
L'irrédentisme italien en Corse est un mouvement d'opinion longtemps présent dans une partie de lapopulation corse, qui s'identifiait commeitalienne et refusait lerattachement de l'île à la France. Il a été actif principalement du milieu duXIXe siècle à laSeconde Guerre mondiale[1].

À la fin duXVIIIe siècle commence à apparaître enCorse un sentiment d'identité qui, face à la montée de laculture francophone, se cristallise autour de la valorisation de lalangue italiennetoscane et de la très prochelanguecorse[2]. Géographiquement, laCorse fait partie de l'espace italique et se situe à 82 km des côtes de lapéninsule italienne ; historiquement, elle a toujours fait partie de divers États italiens jusqu'à ce qu'elle soit cédée auroyaume de France par larépublique de Gênes, dans la seconde moitié duXVIIIe siècle. Depuis l'an mille, la situation ethno-linguistique de la Corse a été fortement influencée (surtout dans la partie septentrionale de l'île) par un contact direct avec les dialectes toscans de typepisan, et aussi à la suite des tentatives de repeuplement organisées par larépublique de Pise après lesraids mauresques et favorisées par la grande proximité géographique.
DuXIIIe siècle auXVIIIe siècle, les Pisans ont été remplacés par les Génois, qui ont installé des villages entiers de langue ligure (Bonifacio etCalvi) ; cependant, s'ils ont introduit une influence génoise notable dans les dialectes locaux, de fait, ils ont continué à utiliser le toscan qui avait ses titres de noblesse, comme langue écrite et comme langue de culture. C'est pourquoi, lors duRinascimento italien et jusqu'à la conquête de la Corse par laFrance, la seule langue utilisée dans les communications écrites était l'italien. Les irrédentistes corses se réfèrent linguistiquement aux centres que sontBonifacio etCalvi, qui ont considérablement influencé le dialecte de l'île. Aujourd'hui, enCorse, on compte quelques milliers de citoyens italiens.
En 1768, par letraité de Versailles, le royaume de France obtient – à titre en principe provisoire – le droit d'exercer sa souveraineté sur la Corse, en attendant que la république de Gênes, ruinée, puisse peut-être, un jour, rentrer en possession de l'île. Celle-ci reste donc juridiquement liée à la République de Gênes, mais elle est occupée et administrée par la France, qui se heurte aux nationalistes corses. Les troupes françaises sont défaites lors de labataille de Borgo, en, parPascal Paoli (dont se réclament les irrédentistes duXIXe siècle), mais finissent par l'emporter lors de labataille de Ponte-Novo en.
Par ailleurs, à l'époque contemporaine l'immigration italienne, facilitée depuis toujours par la proximité de l'île avec la côte toscane, est principalement observée auXIXe siècle. En effet, dans la seconde moitié de ce siècle et jusqu'à l'aube duXXe siècle, des populations deToscane, venant principalement des régions montagneuses plus défavorisées de laLunigiana et de laplaine de Lucques, émigrent vers la Corse, surtout dans leCismonte et lecap Corse, soit définitivement, soit comme travailleurs saisonniers. Généralement, ces travailleurs, très pauvres, étaient considérés avec un certain mépris par les îliens et le termelucchese est encore utilisé aujourd'hui en Corse comme synonyme de pauvre. Pratiquement terminé dans les premières décennies du siècle passé, le phénomène de l'immigration en provenance de laToscane et de la péninsule, a été remplacé à une époque plus récente par un afflux plus discret de Sardes qui se sont installés principalement dans la partie méridionale de l'île.La tolérance des autorités françaises envers la venue en Corse de ces populations italiennes a contribué au développement de la mouvance irrédentiste par une déstabilisation des populations de souche Corse qui se sentaient avant tout Corses.[réf. nécessaire]Paradoxalement, ce sont ces populations nouvellement implantées avec la quasi bienveillance des autorités françaises, qui ont contribué au développement d'un sentiment anti-français.[réf. nécessaire]
Vers 1838-1839, un groupe deCorses, de faible ampleur au début mais dont les effectifs augmentent avec les années, indépendant des formations politiques, se lance dans des activités visant à défendre la langue, l'identité et l'histoire locales ; c'est à cette époque que le philologueNiccolò Tommaseo séjourne dans l'île. Tommaseo, avec l'aide deSalvatore Viale, poète et juge àBastia (1787-1861), étudie ledialecte corse et en célèbre la richesse ; il y voit le plus pur desdialectes italiens. Il contribue ainsi à faire naître les premiers germes d'une conscience linguistique et littéraire autonome et irrédentiste parmi l'élite de l'île.
Salvatore Viale, dans le préambule de l'édition 1843 desChants populaires corses, imprimée àBastia et explicitement dédiée « aux lecteurs corses », rédige un véritable manifeste idéologique dans lequel ce magistrat français revendique avec clarté et liberté l'identité corse comme l'antithèse de l'identité française et son appartenance à l'aireculturelle italienne. Voici le passage le plus significatif :
« À la lecture de ces chansons, on verra que les Corses n'ont pas, ni certainement ne peuvent avoir jusqu'à maintenant une autre poésie ou une autre littérature que l'italienne. La source et la matière de la poésie dans un pays se trouvent dans son histoire, ses traditions, ses coutumes, sa manière d'être et de sentir : toutes choses dans lesquelles l'homme corse diffère essentiellement de celui de la France continentale et en particulier du prototype de l'homme français qui est celui de Paris. Je ne parlerai pas la langue qui est essentiellement pénétrée de ces mêmes principes ; et la langue corse est également italienne, et a même été jusqu'à présent l'un des dialectes moins corrompus de l'Italie. »
Durant ces années – et jusqu'à la fin duXIXe siècle – on considère que la langue vernaculaire corse ne peut servir que pour des comédies, des farces (comme laDionomachìa) ou des fêtes populaires (les chansons), alors que pour les sujets « sérieux » ceux qui rejettent l'assimilation à la France choisissent instinctivement l'italien.
Il n'y a jamais eu de la part duroyaume d'Italie, très proche de la France depuis sa naissance, le moindre signe concret qu'il soit entré en conflit avec Paris au sujet de la Corse. Même quand, après la chute deNapoléon III en 1870, le roiVictor-EmmanuelII d'Italie n'a pas hésité à faire disparaître lesÉtats pontificaux, il n'a jamais fait aucune tentative diplomatique ou militaire pour récupérer la Corse, malgré les pressions continuelles deGiuseppe Garibaldi. En effet, certains Garibaldiens corses commeLeonetto Cipriani deCenturi (Cap Corse) (qui, ayant participé aux batailles de Curtatone (1848) puis deNovare, sera plus tard gouverneur desLégations pontificales (1860) et sénateur du royaume d'Italie) étaient prêts à recommencer une petite « Expédition des Mille » en Corse sous les ordres deGaribaldi, qui justement avait pris sa retraite àCaprera enSardaigne (très voisine de la Corse).
En 1889, on fait revenir deLondres en Corse, après un exil de quatre-vingt-deux ans, les restes dePascal Paoli. Dans l'austère chapelle blottie dans sa ville natale deMorosaglia, l'inscription de la plaque qui scelle la tombe est en italien, ce qui est significatif. C'est en 1896 que paraît le premier journal enlangue corse,A Tramuntana, fondé par Santu Casanova (1850-1936) et qui, jusqu'en1914, se fera l'unique porte-parole de l'identité corse.

L'italien, encore très vivant sur l'île à l'aube duXXe siècle, décline en raison de la présence de l'administration française, mais aussi parce que les diplômes délivrés par les universités italiennes ne sont pas reconnus par la France à partir duSecond Empire, ce qui pousse la quasi-totalité des élites corses à fréquenter les universités françaises. Les Corses commencent à mettre en valeur leur langue vernaculaire comme outil de résistance à l'acculturation française mettant en péril leur identité.
Parallèlement au processus de promotion ducorse, qui l'amène à être de plus en plus perçu comme une langue particulière et non plus comme le niveau « familier » de l'italien, on assiste à la naissance d'une revendication nationale qui conduit à une demande pressante d'autonomie administrative et d'étude à l'école de l'histoire corse.
À côté deTramuntana une autrerevue,Cispra (nom d'un long fusil à silex, utilisé soit par les montagnards, soit par lesbandits), se fit l'interprète d'un état d'esprit qui impliqua transversalement, soit au niveau des convictions politiques individuelles, soit au niveau des couches sociales, tout ce que nous définirions aujourd'hui comme la « société civile » de l'île, tandis que les hommes politiques, à quelque parti national français qu'ils appartinssent, restèrent à l'écart de ce processus, conservant leur fidélité au gouvernement central et à laFrance.
Selon les irrédentistes, laPremière Guerre mondiale (1914-1918) implique lourdement laCorse et aurait révélé ultérieurement la persistance d'un traitement inéquitable de la population locale par l'État français. Certains évoquent des pertes de l'ordre de 10 % de la population, catastrophe démographique qui aurait contraint la population affamée à revenir à une agriculture et à une économie archaïques, retrouvant pour survivre des techniques de culture duXVIIIe siècle. En réalité, les pertes parmi les combattants d'origine corse rapportées à la population totale ne sont que légèrement supérieures à la moyenne nationale (3,94 % pour laCorse contre 3,26 % pour laFrance dans son ensemble)[3].
Nombre d'anciens combattants préférèrent alors émigrer vers lescolonies, ou trouver des emplois sur le continent, plutôt que de retourner chez eux, dans un pays de plus en plus rendu désert à tous les points de vue. Cette émigration s'ajoute aux lourdes pertes humaines et économiques subies par l'île. Parmi ceux qui restent en Corse, le mouvement revendicatif se radicalise, et des liens politiques se renouent avec l'Italie qui, dèsFrancesco Crispi (président du Conseil à plusieurs reprises dans lesannées 1890), encourage le développement des mouvements irrédentistes en même temps qu'une politique étrangère hostile à laFrance.
Sous l'impulsion dePetru Rocca naît la revueA Muvra (1919), essentiellement rédigée encorse et enitalien, avec quelques articles enfrançais. Dans la mouvance de ce journal naît en le Partitu Corsu d'Azione (PCDA, autonomiste, analogue au Partito Sardo d'Azione).A Muvra (le mouflon insulaire) est rejoint par d'autres publications enCorse et enItalie, où le quotidien de LivourneIl Telegrafo à partir de1923 diffusa pour l'île une édition qui connut une large diffusion.
À côté de cette floraison dejournaux et depériodiques se multiplièrent les études linguistiques (comme l'Atlante Linguistico Etnografico Italiano della Corsica (Atlas linguistique et ethnographique italien de la Corse) deGino Bottiglioni) et historico-ethnographiques (Archivio Storico di Corsica etCorsica Antica e Moderna) consacrées à l'île et publiées enItalie et enCorse.
D'autresCorses célèbres cherchèrent à ranimer les relations avec l'Italie, il s'agit deVersini Maiastrale,Matteu Rocca (I lucchetti en 1925),Dumenicu Carlotti (Pampame corse en 1926),Ageniu Grimaldi etUgo Babbiziu (Una filza di francesismi colti nelle parlate dialettali corse en 1930).Petru Giovacchini écrivit les poèmesMusa Canalinca etRime notturne en 1933 sur l'île (mais par la suite – exilé àRome – il composaAurore,Poesie corse,Corsica Nostra etArchiatri pontifici corsi).

C'est ainsi que se réalisait le passage d'une revendication autonomiste et identitaire à une revendication plus nettement indépendantiste et nationaliste ; avec l'avènement de lapropagandemussolinienne, on en vint à l'irrédentisme : legouvernement fasciste ne lésine pas pour financer les indépendantistes corses et institue de nombreuses bourses d'études pour inciter les jeunes Corses à fréquenter à nouveau lesuniversitésitaliennes.
Dans le mouvement irrédentiste italien deCorse se distinguent, outrePetru Rocca, d'autres personnages qui presque tous sont tout à la fois des écrivains (avec des productions poétiques encorse et enitalien) et des militants politiques. Certains, comme les frères Ghjuvanni et Anton Francescu Filippini (ce dernier, considéré comme le plus grand poète corse, fut le secrétaire deGaleazzo Ciano, le ministre italien des Affaires étrangères durant lapériode fasciste), choisissent très jeunes l'exil enItalie ; Bertino Poli, Domenico Carlotti (Martinu Appinzapalu), Petru Rocca, Pier Luigi Marchetti et d'autres connaissent une fin tragique pour avoir uni leur destin à celui durégime fasciste. Il en est de même pour Marc Angeli et Petru Giovacchini, condamnés à mort par contumace enFrance comme déserteurs et traîtres après la défaite de l'Italie dans laSeconde Guerre mondiale.
Marco Angeli, originaire de Sartène, collabore àA Muvra de 1919 à 1924, se faisant remarquer comme polémiste, poète et auteur du premier roman en corse (Terra corsa,Ajaccio, 1924). Il exerce également une intense activité politique, en tant que secrétaire du PCdA. Après 1926, accusé de désertion en France, il doit s'exiler en Italie, à Pise où il avait passé son doctorat en médecine. À partir de 1930, il développe depuis la citétoscane une intense activité de propagande écrite, de plus en plus ouvertement irrédentiste. Angeli finit par créer un réseau de militants qui, réunis enGruppi d'Azione Còrsa, compte des milliers d'adhérents dans l'Italie des années trente. Marco Angeli publie en outre à MilanGigli di Stagnu etLiriche corse en 1934.
En 1935, le rapprochement politique temporaire entre l'Italie et laFrance conduit à la dissolution de ces groupes, qui connaissent une renaissance provisoire lors de lacampagne de France de 1940 (en particulier lors de labataille des Alpes).
À la fin des années trente enCorse la sympathie pour l'Italie atteignit un point auquel on n'aurait pas pensé. En effetSantu Casanova (qui devait mourir en exil àLivourne) rédigea des textes et des poèmes pour célébrer laguerre d'Éthiopie tandis qu'àFlorence, en 1940,Bertino Poli écrivaitIl pensiero irredentista corso e le sue polemiche. LesCorsesirrédentistes parviennent également à organiser des réjouissances publiques, avec une importante participation populaire, pour célébrer le la proclamation de l'Empire italien d'Éthiopie.
L'irrédentisme est ravivé en Italie au cours de la première moitié duXXe siècle, et, en Corse, certains voient enMussolini un homme providentiel capable de rattacher laCorse à l'Italie. En 1939, dans le cadre d'une réunion duGrand Conseil du fascisme, un plan en trois temps est exposé :

Pendant les premières années de laSeconde Guerre mondiale, un grand nombre d'intellectuels corses firent de lapropagande en faveur de l'Italie (en particulier lesGruppi di Cultura Corsa). Au premier plan on trouvaitMarco Angeli,Bertino Poli,Marchetti,Luccarotti,Grimaldi etPetru Giovacchini (qui fut proposé commegouverneur deCorse si l'Italie avait annexé l'île en 1942).Petru Giovacchini en vint à déclarer quePascal Paoli (le héros de la Corse) avait été le précurseur de l'irrédentismecorse et était favorable à la réunion de l'île à l'Italie[5].
LesGruppi di Cultura Corsa deGiovacchini comptèrent 72 000 membres en 1940, selon l'historienR.H. Rainero dans son livreMussolini et Pétain. Storia dei rapporti tra l'Italia e la Francia di Vichy.
De à, près de 85 000 soldats italiens occupèrent militairement l'île, violant l'accord passé avec lerégime de Vichy lors de l'armistice du 24 juin 1940[6]. L'Armée de Vichy, bien que plutôt hostile aux Italiens, n'a pas la possibilité de contester cette occupation sous peine de rompre l'armistice[7]. De nombreux assimilés Corses mais en fait, des émigrés d'origine italienne, collaborent donc activement avecMussolini dans l'espoir d'un rattachement de l'île à l'Italie. Giovacchini et Poli appelèrent à une libération de la Corse semblable à celle qui avait eu lieu enDalmatie, maisMussolini lui-même s'opposa à l'annexion de l'île par l'Italie tant que la guerre durerait. Le dictateur fasciste prévoyait d'annexer la Corse à la fin de la guerre mais son projet fut compromis par lacampagne d'Italie en 1943 ; selon les propos que l'on lui prête, il voulait cependant« la gabbia senza gli uccelli », c'est-à-dire la cage mais pas les oiseaux[réf. nécessaire].
Après 1945, une centaine deCorses partisans de l'Italie furent jugés par des tribunaux militaires français sous l'inculpation de trahison et de collaboration avec l'Axe. Huit furent condamnés à mort, mais seul lecolonelPetru Cristofini fut fusillé. Son épouse,Marta Renucci, qui fut la premièrejournalistecorse à afficher ouvertement des opinions pro-italiennes, fut arrêtée sous la même accusation et condamnée à quinze ans de prison qu'elle purgea àAlger ; après quoi elle revint enCorse où elle vécut assez isolée jusqu'à sa mort en1997 à la polyclinique deFuriani enHaute-Corse.

En réalité,Mussolini semble n'avoir fait que suivre, sans l'anticiper ni surtout le créer, un sentiment diffus mais qui ne s'était jamais éteint chez lesCorses d'être des étrangers dans lanation française. Il existait chez les insulaires une tradition très ancienne consistant à chercher de l'aide ailleurs (Sampiero Corso avait même essayé d'en trouver chez lesTurcs) et à se rassembler autour de personnages considérés comme « forts » - en l'occurrence, l'Italie et leduce[réf. nécessaire]. Mais une telle évolution (encouragée d'ailleurs par l'indifférence française[réf. nécessaire]) doit être considérée comme purement fortuite plutôt que comme une adhésion complète et réellement idéologique. En1902, Santu Casanova en appelait déjà à un homme du destin dans les colonnes de laTramuntana, en faisant référence à un nouveauPascal Paoli.[réf. nécessaire]
L'irrédentisme italien en Corse a presque totalement disparu avec la mort en 1951 de Petru Giovacchini, son dernier et irréductible partisan qui ne représentait qu'une fraction minoritaire dont beaucoup sont morts hors de Corse. En effet, ceux qui avaient accepté de rejoindre les troupes de Mussolini ou qui avaient adhéré à sa cause furent considérés comme traîtres par leurs concitoyens. Il est à noter que Mussolini était intéressé aussi par la position stratégique de l'île.[réf. nécessaire]