Né dans la ville dePitești, au nord-ouest deBucarest, dans une famille de la classe moyenne, Ion Antonescu est très proche de sa mère, Liţa Baranga. Son père, officier, l'envoie à l'école d'infanterie et de cavalerie deCraiova. Pendant son enfance, ses parents divorcent et son père épouse une femme d'originejuive, Frieda Cupferman, avec laquelle Ion Antonescu entretient de mauvaises relations, ce qui a étéa posteriori interprété comme une possible racine de sonantisémitisme[3].
Avec l'effondrement de la France et les Britanniques qui battent retraite en, la Roumanie, considérée comme hostile à l'Axe, est dépecée par l'Allemagne nazie et ses alliés.Joseph Staline, soutenu parAdolf Hitler, adresse unultimatum au gouvernement roumain pour qu'il lui cède une part de son territoire. L'URSSoccupe et annexe alors, en, laBessarabie, leterritoire de Herţa et le Nord de laBucovine. LaHongrie et laBulgarie annexent respectivement laTransylvanie du Nord et laDobroudja du Sud en. La Roumanie perd ainsi, sans s'être défendue, 40 % de son territoire durant l'été 1940 et devient unÉtat satellite duTroisième Reich, qui s'en approprie les ressourcespétrolières et minières en évinçant les investisseurs anglo-saxons et français[7],[8],[9]. C'est la fin de la « Grande Roumanie », constituée à l'issue de laPremière Guerre mondiale. La première perte, en 48 heures, a été celle de laBessarabie et de laBucovine du Nord, fin. Dans sa retraite chaotique à la suite de l'ultimatum soviétique, l'armée roumaine abandonna son matériel à l'armée rouge ; elle eut ses premiers morts de la guerre àHertsa. Desexactions eurent lieu contre la populationmoldave. Ce traumatisme, s'ajoutant à celui d'avoir vu s'effondrer l'allié polonais l'année précédente, poussa Ion Gigurtu (président du Conseil des ministres entre -, qui ignorait l'existence du protocole secret dupacte Hitler-Staline) à déclarer son adhésion à la politique de l'Axe : selon lui« la Roumanie doit faire des sacrifices territoriaux pour justifier son orientation nationale-socialiste et son adhésion totale à l'Axe »[10],[11]. Fin, Gigurtu convoqué par Hitler consent ausecond arbitrage de Vienne[12],[13],[14]. Le lendemain, le caricaturisteDem publia dans le journalCurentul un dessin de deux chiens, l'un ayant la tête de Gigurtu et léchant la crotte d'un autre chien ayant la tête d'Hitler..
Frontières de la Roumanie entre 1941 et 1944, avec la Transnistrie à l'est.
Dès le, à la suite de la défaite de la France, principal soutien géopolitique de la Roumanie, le gouvernement d'Ion Gigurtu met fin aucarlisme et libère Antonescu. Après la débandade des autorités roumaines deBessarabie et lesatrocités soviétiques contre les autochtonesmoldaves, le roiCarol II, totalement déconsidéré et conspué par l'opinion, nomme Ion Antonescu président du Conseil des ministres le, sous la pression deHoria Sima, chef de laGarde de fer qui se livre à des attentats et des assassinats ciblés visant les démocrates, lesfrancs-maçons, les juifs, les partis de gauche, les banquiers et les proches du roi[8],[15],[16].
Dans un premier temps, Ion Antonescu associe au pouvoir la Garde de fer et promulgue des lois antisémites. Il laisse les « Légionnaires » assassiner des intellectuels et d'anciens élus des partis démocrates, et perpétrer despogroms, que CarolII avait empêchés. Mais, au fil des semaines, le partenariat entre les Légionnaires et Ion Antonescu se détériore. Bien qu'admirant lerégime nazi, la Garde de fer demeure nationaliste roumaine, et surtout chrétienne. Comme les phalangistes de l'Espagne franquiste, les Légionnaires répugnent à mettre leur pays au service des intérêts allemands, alors qu'Ion Antonescu, voyant l'Allemagne gagner sur tous les fronts et sachant en quel mépris les nazis tenaient les races non germaniques, pense qu'il n'y a aucun avenir pour la Roumanie hors de l'orbite allemande. Seuls l'antisémitisme et l'anticommunisme rapprochent les deux partenaires, et finalement la Garde de fer tente de renverser Ion Antonescu le. Hitler, qui ne considère pas les « Légionnaires » comme fiables, choisit d'apporter son soutien à ladictature militaire d'Ion Antonescu, qui fait emprisonner les « Légionnaires », notamment leur chef,Horia Sima. Ion Antonescu opte alors pour une alliance avec l'Allemagne nazie, déclarant que son intention est de reprendre les territoires cédés peu auparavant, et considère comme inévitable une guerre avec la Hongrie au sujet de la Transylvanie[17].
Lorsque l'Allemagne nazieattaque l'URSS, Ion Antonescu fait le choix d'entrer en guerre aux côtés des Allemands pour récupérer laBessarabie. Une fois celle-ci reprise, il envoie l'armée roumaine en Ukraine et accepte de l'Allemagne, « en échange » des territoires cédés à la Hongrie et à la Bulgarie, une partie de laPodolie ukrainienne avecOdessa, territoire alors appelé « Transnistrie », qui devient une « Sibérie roumaine » où le régime déporte et tue Juifs, Roms, homosexuels, francs-maçons et opposants politiques. Le nombre des victimes sera estimé, au procès d'Ion Antonescu, à 400 000[6]. Mais, en, l'armée roumaine est déciméeà Stalingrad et doit battre en retraite aux côtés de son allié allemand. La Roumanie perd, au cours de cette campagne, plus de 220 000 hommes (120 000 morts, 80 000 prisonniers détenus auGoulag et 18 000 enrôlés dans les divisions roumaines alliéesTudor Vladimirescu etHoria-Closca-Crisan)[18].
Jusqu'en 1942, Ion Antonescu tolère que l'organisationAliya d'Eugen Meissner et Samuel Leibovici organise l'émigration des Juifs vers laPalestine mandataire, avec comme argument que le « problème juif » sera résolu mais à condition que les émigrants n'emportent ni biens, ni numéraire. Cette politique cesse ensuite, à cause du refus britannique d'accepter l'immigration en Palestine de Juifs roumains au motif qu'ils sont « citoyens d'un pays ennemi » (d'où des épisodes sanglants comme latragédie du Struma)[19].
Contrairement à son homologue hongroisMiklós Horthy, le dictateur roumain a refusé de livrer les Juifs roumains aux nazis, non pour les protéger mais pour accomplirsa propre extermination notammentà Jassy, àOdessa et enTransnistrie. Les deux dictateurs ont cependant établi des priorités analogues dans leurs « solutions finales » : privés de tout droit, les juifsapatrides étaient anéantis en priorité, tandis que ceux demeurés citoyens hongrois ou roumains avaient plus de chances d'être épargnés, surtout s'ils pouvaient payer. Cependant, de très nombreux juifs étaient devenus apatrides dans les années 1938-41 pour différentes raisons : décrets d'Octavian Goga ou d'Ion Gigurtu en Roumanie, passage de territoires où ils vivaientde la Tchécoslovaquie oude la Roumanie à la Hongrie, juifsdevenus soviétiques après avoir été roumains... Si les Juifs roumains ont eu quelques protecteurs, ce ne furent pas, à l'exception deConstantin Karadja, des fonctionnaires de l'État ou de l'armée, mais desjustes isolés commeViorica Agarici (infirmière et responsable locale de la Croix-Rouge), le pharmacien Beceanu deJassy ouTraian Popovici (maire deCernauti). La plupart de cesjustes sont restés anonymes car « Yad Vashem » était inconnu dans les pays de l'Est pendant lapériode communiste (1946–1990) et la plupart d'entre eux sont morts avant que les familles qu'ils avaient sauvées puissent les retrouver : seules139 personnes ont été honorées parIsraël du titre deJuste parmi les nations enRoumanie etMoldavie[20].
Le, leconducător Antonescu donne l'ordre suivant :« Soldats, je vous l'ordonne, traversez lePrut ! ». Il exhorte ses soldats à mener une« guerre sacrée, anti-communiste, juste et nationale ». Les troupes roumaines traversent ainsi le Prut, reprennent laBessarabie, puis, aux côtés de laWehrmacht, contribuent à prendreOdessa etSébastopol. Les Roumains prennent une part essentielle ausiège d'Odessa, qui se termine le par le retrait de l'Armée rouge[6].
Le3septembre 1941 le général Ciupercă fait à Antonescu un rapport sur la situation de ses troupes, qui, après un mois d'avance sans approvisionnements dans un terrain hostile, doivent faire face aux attaques despartisans soviétiques. Ciupercă propose d'alléger le dispositif, de consolider l'intendance, de laisser la population ukrainienne s'auto-gérer partiellement et de se concentrer sur les plans d'attaque plus à l'Est. Ion Antonescu rejette le rapport et, le, le général Ciupercă est remplacé par le généralIosif Iacobici(ro), prochain chef du grand état-major (ultérieurement, le plan du général Ciupercă sera adopté discrètement, avec succès)[6].
Le, six jours après l'entrée des troupes roumaines à Odessa, lespartisans soviétiques font sauter le quartier général roumain d’Odessa. Le généralIoan Glogojanu, commandant d'Odessa, est tué, ainsi que 16 officiers, 46 sous-officiers et soldats, et quatreofficiers mariniers allemands.
Les Roumains ne parviennent pas à capturer les auteurs de l'attentat. Le soir même, le maréchal Ion Antonescu, au nom du gouvernement roumain, ordonne des représailles implacables contre la population civile, spécialement les Juifs, parce que, conformément à sa propagande,« tous les Juifs sont communistes »[22],[23]. Aussitôt, le nouveau commandant d'Odessa, le général Trestioreanu, annonce qu'il va prendre des mesures pour « pendre les Juifs et les communistes » sur les places publiques. Durant la nuit 5 000 Juifs sont exécutés, pendus en grappes de trois à cinq victimes à chaque lampadaire sur les boulevards d'Odessa.
À la suite de ce crime de masse, le, lesAlliés occidentaux déclarent la guerre à la Roumanie, qui n'était jusqu'alors en guerre que contre l'URSS.
Fidèle à ses engagements envers Hitler et l'Allemagne nazie, Antonescu envoie ses troupes bien au-delà de laBessarabie, à 2 000 km vers l'est, où elles subissent aux côtés des Allemands ledésastre de Stalingrad. En, l'armée roumaine, pour laquelle il n'existe aucun dispositif d'évacuation, est décimée à Stalingrad et doit se mettre en retraite aux côtés de son allié allemand, qui la laisse volontiers en arrière-garde. Elle perd, au cours de cette seule campagne, plus de 220 000 hommes (dont environ 7 000, parmi lesquels le généralMihail Lascăr(ro), se rendent volontairement aux Soviétiques pour intégrer lesdeux divisions roumaines alliées, « Vladimirescu » et « Horia-Cloșca-Crișan »)[6].
Au total, 473 000 soldats roumains sont engagés contre l'Union soviétique, ce qui constitue, parmi les forces de l’Axe, le contingent le plus fourni après celui de l'Allemagne[6].
N'ayant jamais été élu par un suffrage, ni investi par le Parlement comme son homologue français, lemaréchal Pétain, Ion Antonescu ne tient sa légitimité que d'un décret royal. En, alors qu'il s'est s'auto-proclamé le « Pétain roumain », il se faitplébisciter et obtient par la contrainte deux millions de « oui » contre 3 360 « non »[2],[24].
Cependant, sa popularité, si tant est qu'elle ait été sincère, s'effondre lorsque les deux armées roumaines, engagées sur les flancs des forces allemandes, subissent d'importantes pertes au cours de labataille de Stalingrad. Devant l'avancée de l'Armée rouge, qui entre en Roumanie du Nord-Est en, l'opposition à Antonescu s'organise autour d'un « Bloc national démocratique » regroupant les quatre principaux anciens partis politiques du pays, interdits mais clandestinement encore actifs.
Ion Antonescu est destitué et arrêté avec ses partisans le, lors d'uncoup d'État ordonné par le roiMichelIer, en accord avec le « Conseil national de la Résistance » et les dirigeants des partis politiques (dont ceux duParti communiste roumain, alors libérés de prison)[25]. La Roumanie, déjà partiellement occupée par l'Armée rouge depuis, déclare la guerre à l'Allemagne et à la Hongrie le, engageant 547 000 soldats contre l'Axe, le contingent le plus fourni après ceux de l'URSS, desÉtats-Unis et duRoyaume-Uni[6].
Mais les Alliés attendent jusqu'au pour répondre à la demande d'armistice, et, durant cette période, tandis que les Roumains luttent à l'ouest contre laWehrmacht et l'armée hongroise, l'Armée rouge se comporte toujours, à l'est, en ennemie, continuant à faire des prisonniers alors que les Roumains ont reçu l'ordre de ne pas résister. De plus, durant trois semaines, laRoumanie est bombardée alternativement par l'USAAF depuisFoggia en Italie, par laLuftwaffe depuisSzeged en Hongrie, et par l'Armée de l'air soviétique.
Ion Antonescu est assigné à résidence àBucarest jusqu'au, lorsqu'uncoup d'État communiste renverse le gouvernement issu du Conseil national de résistance. Il est ensuite transféré à Moscou à la demande des Soviétiques.
Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Ion Antonescu est ramené en Roumanie et traduit devant le « Tribunal du peuple » de Bucarest, qui le condamne à mort, le, pour crimes« contre la paix, contre le peuple roumain, les peuples de la Russie soviétique, les Juifs, les Roms et autres crimes de guerre ». Il est reconnu coupable d'avoir provoqué la mort de 500 000 militaires et civils, ainsi que la déportation ou l'exécution de près de 300 000 Juifs roumains ou ukrainiens et de 15 000 Roms.
Le roi Michel reçoit une demande de grâce de la part des avocats et de la mère d'Antonescu. Le roi aurait envisagé de demander aux Alliés de refaire le procès d'Antonescu en le joignant auprocès de Nuremberg. Mais sous la pression dugouvernement communiste roumain, il signe le décret d'exécution[26].
Antonescu est fusillé aux abords de laprison de Jilava, non loin de Bucarest, le, en même temps que son homonymeMihai Antonescu, vice-président du Conseil du royaume de Roumanie de 1941 à 1944, que le général de gendarmerieConstantin Vasiliu(ro), ex-sous-secrétaire d'État et queGheorghe Alexianu, ex-gouverneur de Transnistrie[27],[28]. Avant le tir, il lève son chapeau en criant« Vive la Roumanie ! » et ses derniers mots après le tir sont, selon le rapport officiel de laSecuritate de l'époque :« Vous ne m'avez pas tué, messieurs, tirez encore ! »[29]
Ion Antonescu est un dictateur conservateur et nationaliste, après avoir longtemps vainement tenté de former un gouvernement d'union nationale rassemblant des partis démocratiques comme le Parti national paysan[n 3]. Tout en menant une politique globalement xénophobe, il refuse de livrer les Juifs roumains à l'Allemagne et, bien évidemment, ne persécute pas lesAllemands et lesHongrois de Roumanie, ni les minorités de tradition orthodoxe comme lesSerbes, lesBulgares, lesGrecs, lesGagaouzes, lesUkrainiens ou lesLipovènes.
À partir de 1935, il approuve la mise en place de mesures discriminatoires et, à partir de, de la « dictature carliste » (dictature anti-fasciste). Sa critique de la démocratie comme facteur decorruption ainsi que son titre deconducător (« guide ») ont été repris à leur compte par lescommunistes et parNicolae Ceaușescu, et certains commentateurs expliquent ainsi qu'après larévolution roumaine de 1989, la démocratie et un état de droit aient été si difficiles à remettre en place[30]. L'attaque contre l'URSS fait sortir leParti communiste de l'expectative et lui fait rejoindre l'opposition à Antonescu[n 4].
Selon lui, sa« mission historique [était] de faire de l'ordre et de nettoyer le pays de tous les éléments étrangers et nocifs : Juifs,francs-maçons, Roms et autres parasites qui ont corrompu le peuple roumain immaculé ». CommeAdolf Hitler, il considère qu'il faut aussi se débarrasser des homosexuels, des handicapés, des suffragettes, des communistes et du système démocrate et libéral, afin de« purifier et guérir la race »[n 5]. Sa réponse d' àIon Brătianu, chef du Parti libéral interdit, est explicite :« Les « youpins » ((ro)jidani[31]), avec les Anglais et les Américains, ont dicté la paix […] que vous avez accepté […] avec cette humiliante, indigne et ignoble garantie d'accorder des droits civiques […] à ces cochons de Juifs qui ont sali le pays, compromis l'économie et la pureté de notre race […]. Vous avez causé la décadence morale de la Roumanie en capitulant devant les Juifs et les francs-maçons, par instauration d'un système démocrate-libéral, qui a accordé des droits égaux à tous, même aux femmes[32]. »
Des chercheurs commeDennis Deletant(en)[n 6] soulignent la nécessité de remettre l'avènement du régime Antonescu dans le contexte tant chronologique de poussée de l'extrême droite nationaliste en Europe après laGrande Dépression, que géographique des particularités de la Roumanie etde son passé (qui, bien sûr, ne justifient aucun crime). Un aspect important de ces particularités est que lamajorité roumaine a été, durant de longues périodes de l'histoire du pays, en position d'asservissement et de soumission politique à des pouvoirs qui lui étaient étrangers (selon les territoires,Empire grec,Empire bulgare,Empire mongol,royaume de Hongrie,Empire turc,Empire autrichien,Empire russe)[n 7]. La société roumaine était à la fois multiculturelle, inégalitaire au détriment de la majorité autochtone, perméable aux influences extérieures et parcourue de courants identitaires. Antonescu et son régime s'inscrivent ainsi dans ces contradictions, comme en témoignent les décisions et postures suivantes :
Il s'affichait fermement antisémite, bien que sa première belle-famille fût juive, tout comme son ami d'enfanceWilhelm Filderman, dont la famille, aisée, avait entretenu l'enfant Antonescu et payé sa scolarité[33]. Filderman était président de la fédération des organisations juives de Roumanie. Dans un premier temps, Ion Antonescu lui permit avec l'organisation « Aliyah » dirigée, à Bucarest, par Eugen Meissner et Samuel Leibovici, d'affréter des trains à travers laBulgarie et des bateaux à travers lamer Noire, pour conduire des Juifs roumains enTurquie, alors neutre, et de là, enPalestine[n 8], mais pour ledéporter ensuite enTransnistrie. Filderman n'en réchappa que de justesse et se réfugia à Paris après la guerre.
Il mit en œuvre la « Shoah en Roumanie », qu'Antonescu appelait « nettoyage du terrain » (Curățirea terenului)[34], mais il refusa de livrer aux nazis les Juifs roumains, même ceux arrêtés en Allemagne, tandis que l'extermination des Juifs enTransnistrie fut interrompue à la suite du désastre deStalingrad.
Sur le plan privé, il s'affichait conservateur, strict, et attaché aux valeurs chrétiennes, mais il fut jugé pour bigamie pour s'être marié avec Maria, née Niculescu, ex-Cimbru, ex-Fueller, sans avoir jamais divorcé de Rachel Mendel-Antonescu, mère de son fils unique, malgré les efforts de sa première belle-mère, Frida Cupferman. Il avait épousé Rachel en secret, au désespoir de sa famille et de celle de la jeune fille, qui s'étaient liguées pour briser leur idylle, ce qui a étéa posteriori interprété comme une seconde possible racine de son antisémitisme[35].
Joseph Goebbels rapporte dans son journal personnel, le :« Antonescu est au gouvernement avec l'aide des francs-maçons et des ennemis de l'Allemagne. Nos minorités [allemandes en Transylvanie] ont la vie dure. Le Reich a fait un tel effort pour rien. »[36]
Ainsi, Ion Antonescu apparaît comme unopportuniste qui a profité dans sa jeunesse, à l'époque de la Roumanie social-démocrate et pluraliste, des avantages de ce temps-là, puis, ultérieurement, à l'âge mûr, de la vague d'ultra-nationalisme et de l'antisémitisme montant en Europe et en Roumanie. Que ce soit par opportunisme ou par idéologie, Antonescu souhaitait « nettoyer la Roumanie de tous les Juifs » mais en « pleine souveraineté », sans interférence allemande. Ce faisant, il plaça nettement le gouvernement et l'armée au rang des bourreaux[37],[38],[39], ce queTraian Popovici dans son livreConfessions appelle« une tache indélébile sur la face de la nation », tache dont Antonescu était conscient mais dont il n'avait cure, comme en témoigne sa fameuse déclaration de l'été 1941 :« Peu m'importe si l'Histoire nous considère comme des barbares tant que c'est parmi les vainqueurs » (Îmi este totuna că intrăm în istorie ca barbari, dacă suntem printre învingători)[40].
Dans la dernière décennie du régimecommuniste,Nicolae Ceaușescu, qui avait comme Antonescu, pris le titre officieux deConducător (« guide »), utilise à son tour la symbolique identitaire de l'« ordre national » pour tenter de légitimer son pouvoir en s'appuyant sur des personnages historiques. Après lachute de Ceaușescu, les maîtres d'œuvre de son « national-communisme »,Adrian Păunescu etCorneliu Vadim Tudor, soutiennent la réhabilitation d'Ion Antonescu et créent leParti de la Grande Roumanie[41].
La majorité des historiens, en revanche, décrit, archives à l'appui, un dirigeant qui aurait pu, comme ses homologuesfinlandais oubulgares, éviter des crimes qu'il a pourtant ordonnés[43],[44],[45],[46],[47],[48],[49]. Les défenseurs d'Ion Antonescu affirment que son sort serait injuste en comparaison de celui du maréchal finlandaisCarl Mannerheim, qui, après la guerre, a été considéré comme un héros dans son pays[50], mais leur point de vue passe sous silence le fait que Mannerheim a limité son offensive contre l'URSS à laCarélieperdue en 1940 sans même tenter de conquérirMourmansk comme le lui demandaient les Allemands, qu'il n'a pas participé à laShoah ni ordonné à l'armée finlandaise de tuer des civils, et qu'il a finalement préservé l'indépendance de son pays, tandis qu'Antonescu, loin de se contenter de reprendre aux Soviétiques lesprovinces roumaines perdues en 1940, a envoyé l'armée roumaine au massacre jusqu'àStalingrad, a accusétous les Juifs indistinctement d'être des « agents du bolchévisme, ennemis de la nation », a ordonné à l'armée roumaine deles exterminer[51] et n'a pas préservé son pays de l'invasion soviétique, commencée sous sa gouvernance par laseconde offensive Iași-Chișinău.
Ces mêmes défenseurs d'Ion Antonescu considèrent lecoup d'État du roi Michel comme une « tragique erreur », affirmant que si le roi avait attendu un mois ou deux de plus pour que ce soit le maréchal lui-même qui demande l'armistice, les Alliés occidentaux se seraient avancés plus profondément vers l'Est de l'Europe, réduisant d'autant lazone d'influence soviétique[52]. Ce point de vue ne tient pas compte de laseconde offensive Iași-Chișinău, qui était déjà en cours depuis trois jours, rendant inéluctable l'invasion rapide de la Roumanie par l'Union soviétique. De plus, la Roumanie n'était pas considérée comme co-belligérant Allié (cas de la Pologne) ni même comme pays ennemi ayant déposé les armes en attendant l'armistice (cas de la Bulgarie), mais comme pays ennemi (comme la Hongrie et l'Allemagne nazie), l'exposant ainsi aupire traitement. Dans tous les cas, la Roumanie, comme toute l'Europe de l'Est, avait perdu ses dernières chances d'éviter l'occupation soviétique dès l'hiver 1943, à laconférence de Téhéran, où Winston Churchill qui négociait en position de faiblesse, a du, pour garder laGrèce dans la zone d'influence britannique, renoncer aux prétentions britanniques sur les autres pays est-européens[53],[n 9].
Durant lesannées 1990, dans plusieurs communes de province et dans la villetransylvaine deCluj[54], des maires ou des particuliers mettent Ion Antonescu à l'honneur avec des rues à son nom ou des statues ou bustes à son effigie. Mais l'ordonnance du gouvernement roumain du visant à lutter contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, ordonne l'enlèvement des effigies d'Antonescu et le changement de nom des rues concernées[55],[56].
Dans les années 2000, à la demande du fils de Gheorghe Alexianu, ancien gouverneur de Transnistrie, et des cercles nationalistes, la sentence du condamnant le groupe d'Ion Antonescu pour « crimes contre la paix » est attaquée devant la cour d'appel de Bucarest. Le, la cour estime que les documents produits par les plaignants, inconnus lors du premier procès, notamment les protocoles secrets dupacte Hitler-Staline, justifient l'engagement d'Ion Antonescu contre l'URSS en 1941, et que, par conséquent, le « crime contre la paix » n'est pas établi, puisque la Roumanie, comme la Finlande, n'aurait eu aucune raison d'attaquer l'URSS si celle-ci n'avait pas d'abordenvahi ses voisins[57]. Pour les autres chefs d'accusation de 1946, la sentence de l'époque est confirmée[n 10],[59]. Après appel duparquet, la Haute Cour de cassation et de justice de Roumanie rejette, le, la demande du visant à casser la sentence du rendue par le Tribunal du peuple de Bucarest[60].
En 2004, le gouvernement roumain ratifie les conclusions de la « Commission internationale d'enquête sur l'Holocauste en Roumanie », nommée parIon Iliescu, président de la Roumanie, et dirigée parElie Wiesel, faisant état de la responsabilité objective d'Ion Antonescu dans la mort de 280 000 à 380 000 Juifs roumains ou soviétiques, en Roumanie ou dans les territoires occupés par son armée[61].
↑Après la répression de la rébellion légionnaire en, Ion Antonescu n'avait pas l'intention de remettre la Garde de fer dans une position de pouvoir. Il exclut de son gouvernement tous les membres du mouvement. Il essaye de nouveau, comme il l'avait fait en, de susciter l'intérêt de Parti national paysan et d'autres partis, pour former un gouvernement d'unité nationale, mais il ne réussit pas.Iuliu Maniu, chef reconnu des forces démocratiques, refuse de participer à un gouvernement qui méprisait la démocratie parlementaire, limitait les libertés civiles et interdisait les élections à partis politiques multiples. Ainsi, le cabinet qu'Antonescu forme le est composé principalement de militaires, dont la mission principale est d'assurer l'ordre public et une administration efficace. Avec cette équipe, il commence à jeter les bases de son propre type d'autoritarisme : cf.(ro)« Al Doilea Război Mondial. 1940-1944 », dans Mihai Bărbulescu, Dennis Deletant, Keith Hitchins, Serban Papacostea et Pompiliu Teodor,Istoria României, Bucarest, Corint,(ISBN973-653-514-2),p. 383.
↑Deux divisions roumaines, nommées « Horia-Cloșca-Crișan » et « Tudor Vladimirescu », ont combattu du côté allié en URSS : elles sont l’équivalent roumain de ladivision Leclerc.
↑Il déclare, le :« Nous sommes devant la nécessité pour notre nation de profiter de ce désastre (la guerre) pour se purifier, s'homogénéiser. Nous sommes sans pitié. Je ne pense pas à l'intérêt général du genre humain, je pense à l'intérêt national de notre race, qui nous ordonne de cesser d'être tolérants avec tous ces éléments étrangers qui nous ont exploités, abâtardis, amollis et qui nous ont fait tant de mal ». Cf(ro) ASRI : Fondul Penal, dossier 40 010, vol. 77,p. 29.
↑Le principal obstacle à l'activité d'« Aliyah » ne venait pas des régimes fascistes de Roumanie et de Bulgarie, qui en profitaient pour piller les candidats au départ, mais de l'attitude desAlliés : lesBritanniques refusaient les visas pour la Palestine, surtout après avoir déclaré la guerre à la Roumanie en, et lesSoviétiques torpillaient les navires de réfugiés même lorsqu'ils étaient sous pavillon neutre et même lorsqu'ils connaissaient parfaitement leurs passagers, comme le démontre latragédie du Struma.
↑Ce que les défenseurs d'Antonescu omettent de mentionner est que sort de la Roumanie après-guerre, avec ou sans le maréchal, était scellé depuis laConférence de Moscou (1944) (dont laconférence de Yalta entérina les décisions). La délimitation des zones d'influence en Europe était sans relation avec l'attitude des différents pays pendant la guerre (la Pologne connut un sort similaire à la Roumanie), et du point de vuegéographique, même si les armées occidentales avaient pénétré davantage enEurope centrale, elles n'auraient pas atteint la Roumanie, le plus oriental des « pays de l'Est », qui ne pouvait être que le premier conquis et occupé par les Soviétiques : cf. Alexandru Duțu, Mihai Retegan, Marian Ștefan, « România în al doilea război mondial » (« La Roumanie dans la Seconde Guerre mondiale ») inMagazin istoric, juin 1991, p. 35-39. Par ailleurs, lors de laretraite italienne duDodécanèse,Harry Hopkins, principal conseiller deFranklin Delano Roosevelt, convainc ce dernier de ne pas participer à lacampagne du Dodécanèse : vaincus par les Allemands fin 1943, les Britanniques perdent la possibilité de débarquer dans lesBalkans et dès lors le sort militaire de la Roumanie et de ses voisins ne dépend plus que de l'Union soviétique : cf. Pascal Boniface,Le grand livre de la géopolitique : les relations internationales depuis 1945 - Défis, conflits, tendances, problématiques, éd. Eyrolles, Paris 2014. Pour avoir ainsi facilité l'extension de l'Union soviétique en Europe de l'Est, Hopkins a été accusé d'être unagent d'influence soviétique piloté par leNKVD via Ishak Ashmerov : cf. David Roll,The Hopkins Touch: Harry Hopkins and the Forging of the Alliance to Defeat Hitler, Oxford University Press 2013, ch. 6, p. 399 ; Eduard Mark, « Venona's Source 19 and the Trident Conference of May 1943: Diplomacy or Espionage? » inIntelligence & National Security, avril 1998, vol. 13, chap. 2, pp. 1 - 31 ; Verne W. Newton, « A Soviet Agent? Harry Hopkins? » inNew York Times du 28 octobre 1990,[1] et John Earl Haynes, Harvey Klehr, « Was Harry Hopkins A Soviet Spy? » inFrontpage.Mag du 16 août 2013[2]. Enfin, lorsqu'Antonescu fut renversé, les « Cinq de Cambridge », agents soviétiques qui dirigeaient les services de renseignement britanniques, avaient déjà persuadé les puissances Alliées que l'Europe orientale était pour elles une cause perdue d'avance : cf. Gianni Ferraro,Enciclopedia dello spionaggio nella Seconda Guerra Mondiale, editura Sandro Teti,(ISBN978-88-88249-27-8).
↑Le, mais une Cour d'appel de Bucarest a déclaré nulles certaines décisions du Tribunal du Peuple du condamnant Antonescu et d'autres accusés pour certains de leurs « crimes contre la paix », en s'appuyant sur le fait que l'ultimatum soviétique de 1940 et les exactions etdéportations commises ensuite contre la populationmoldave deBessarabie[58] auraient justifié la guerre contre l'Union soviétique, si bien que l'article 3 de la Convention de 1933 définissant ce qu'est une agression ne s'applique pas dans son cas. En conséquence, Antonescu et vingt autres personnes ont été déclarés non coupables de « crimes contre la paix à l'encontre des peuples de la Russie soviétique » (comme le stipulait le texte de 1946) et non coupables également en ce qui concerne certains des « crimes de guerre résultant de la collaboration militaire entre la Roumanie et l'Allemagne », sur la constatation que les éléments constitutifs de ces crimes-là étaient absents. La cour a estimé légitime la guerre contre l'URSS pour libérer la Bessarabie et la Bucovine du Nord dans la mesure où il s'agissait d'écarter une menace militaire soviétique imminente, déclarant que, vue sous cet angle, la coopération militaire avec l'Allemagne n'était pas illégitime. En revanche, la même cour a constaté que la Roumanie, par l'intermédiaire du régime d'Antonescu, a collaboré militairement avec les pouvoirs de l'Axe sans traité militaire, ce qui lui laissait une autonomie relative dans ses décisions, établissant ainsi une responsabilité propre de la Roumanie, distincte de celle de l'Axe. En acceptant le de participer dans le cadre duplan Barbarossa à des opérations militaires jusqu'àStalingrad et à des annexions hors de son territoire de 1939 (i.e. enTransnistrie), la Roumanie s'est livrée avec l'Axe à uneguerre d'agression contre l'Union soviétique, ce qui justifie les conclusions de la cour de 1946 qui avait condamné les 21 accusés sur ce point. La cour a fondé sa décision sur les conclusions du Tribunal de Nuremberg (1946) selon lesquelles la guerre engagée par l'Allemagne nazie était une guerre d'agression. Dans sa référence aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité, la cour a constaté que l'existence du pacte germano-soviétique ne pouvait pas justifier de tels crimes et que par conséquent la demande de révision qui les concernait était sans fondements.
↑Andrei Pleșu,Petre Roman et Elena Ștefoi,Transformări, inerții, dezordini : 22 de luni după 22 decembrie 1989 (Transformations, inerties, désordres :22 mois après le), éd. Polirom, Bucarest 2002.
↑Correctement, en roumain on dit Evrei (Juifs) ; péjorativement on ditovrei (petits Juifs), mais de façon insultante on ditjidani (youpins) etjidovi (youtres).
↑George Magherescu (aide de camp d'Ion Antonescu),Despre Mareșalul Ion Antonescu (biographie d'Ion Antonescu), Edit. Păunescu, Bucarest, 1991.
↑Joseph Goebbels,Die Tagebücher von Joseph Goebbels, Teil II, Diktate 1941–1945 [Journal de Joseph Goebbels, Partie II: Dictées, 1941–1945](ISBN3-598-21920-2).
↑Christian Destremau,Le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale, Perrin, Paris 2011, p. 394.
↑Si la villetransylvaine deCluj a donné le nom d'Antonescu à une de ses voies, c'est peut-être parce que l'autorité d'Antonescu ne s'y est jamais exercée, car cette ville a été cédée à laHongrie de Horthy le audeuxième arbitrage de Vienne, une semaine avant qu'Antonescu ne prenne le pouvoir, et récupérée par la Roumanie bien après le, date de la destitution d'Antonescu. Les antifascistes et lesJuifs de Cluj n'ont pas été victimes d'Antonescu mais dugouvernement hongrois deFerenc Szálasi.
↑Sandru Cosmin-Marian,Imaginea României în presa internațională după 1989 (L'image de la Roumanie dans la presse internationale depuis 1989) sur[12] consulté le.