Ce fut sous le nom éminemment plus évocateur dans le monde de la jeunesse, du cinéma et des jeux vidéo que les médias américains associèrentLa Guerre des étoiles avec le programme scientifique et militaire mobilisant les crédits publics dans le giron ducomplexe militaro-industriel, objet de cet article.
Ce vaste projet de laguerre froide a eu pour origine, d'une part la pousséesoviétique depuis le milieu desannées 1970 et d'autre part la volonté politique de Reagan de dépasser la doctrine d’équilibre de la terreur qui prévalait alors[2].« Pour contrer l'horrible menace des missilessoviétiques (…) un programme ambitieux est mis à l'étude pour protéger les États-Unis par un bouclier spatial, identifiant et anéantissant toutmissile venu de la haute atmosphère » (discours du sur l'Empire du mal).
En1984, laStrategic Defense Initiative Organization (SDIO) fut créée pour superviser le programme. Trois ans plus tard, laSociété américaine de physique conclut que le développement d'un bouclier antimissile global était extrêmement ambitieux, n’était pas réalisable avec la technologie de l’époque et qu'environ dix années de recherches seraient nécessaires simplement pour déterminer sa faisabilité. Avec ladissolution de l'URSS et la fin de la guerre froide, l'administration Clinton, si elle ne mit pas fin aux recherches dans le domaine, en réduisit grandement l'ambition et renomma l'organisationBallistic Missile Defense Organization (BMDO).
Ce sont les médias américains qui affublent l'IDS du surnom deStar Wars après le discours duprésident Reagan qui lance le programme, le (deux mois et demi avant la sortie duRetour du Jedi), à l'occasion de la Convention annuelle des associations évangéliques nationales qui se tient àOrlando, dans lequel il réutilise l'expression d'« Empire du mal » pour désigner lebloc soviétique contre la menace duquel cette initiative est lancée[3].
George Lucas est ulcéré que ses adversaires politiques réutilisent ainsi le nom de sa saga : il perd deux procès contre des groupes d'intérêts militaro-industriels utilisant le nomStar Wars pour promouvoir l'IDS[3].
Missile antimissileGalosh. Un réseau dont la construction a débuté en 1968 comprenant actuellement quatre bases avec une centaine d'intercepteurs protègent Moscou depuis 1972 d'une attaque limitée par missile balistique[4].
L'idée d'une défense contre lesmissiles balistiques date de l'apparition de ceux-ci mais malgré les grands moyens financiers déployés par lessuperpuissances d'alors, la portée de cette technologie demeura réduite. L'Union soviétique fut la première à déployer un tel système autour deMoscou en1971, leA-35 (ABM-1A)[5]. Aux États-Unis, l'ambitieuxprogramme Nike-Zeus, à l’étude dès1956, fut réduit auprogrammeSentinel en1967 qui lui-même devint leprogrammeSafeguard(en), limitant la protection à quelques silos de missiles duDakota du Nord.
Pour éviter une nouvelle course aux armements, letraité ABM, limitant le nombre de ces armes, fut signé en1972 et, tandis que l'URSS se concentra sur la protection de sa capitale, leSafeguard américain constitué des missilesSpartan etSprint fut abandonné en1976.
Un des quatre sites de lancement enDakota du Nord destiné auxmissiles Sprint qui ne fut déclaré opérationnel que quelques mois entre 1975 et 1976.
George Shultz, secrétaire d’État sous Reagan, suggère qu'une conférence parEdward Teller (« père de labombe H ») en 1967 fut un important précurseur de l'IDS. Durant cette présentation aulaboratoire national de Lawrence Livermore, à laquelle assista Ronald Reagan, le physicien introduisit l’idée d'une défense antimissile utilisant des armes nucléaires. En1979, Ronald Reagan, en visite aubunker deCheyenne Mountain, fut frappé par le fait que si le centre de commande duNORAD était capable de détecter et de suivre une attaque avec précision, il n'avait aucun moyen de la stopper. Cet état de fait placerait le président dans une position intenable, devant choisir entre contre-attaquer immédiatement ou essayer d’encaisser l'attaque pour maintenir l'avantage par la suite. Shultz suggère que ce sentiment d'impuissance et les idées défensives proposés par Teller dix ans auparavant s’associèrent pour donner l’élan à l'IDS[6]. À l'automne 1979, sur demande de Reagan, le lieutenant généralDaniel O. Graham(en) élaboraHigh Frontier, une idée de défense stratégique utilisant des armes placés au sol et dans l'espace. Ce concept était destiné à remplacer la doctrine d’équilibre de la terreur que Reagan décrivait comme un pacte suicide[7].
Frances Fitzgerald avance que Reagan a pu être inspiré par une arme fictive, capable de supprimer les courants électriques, présente dans l'un de ses films de1940,Murder in the Air[8].
L’idée d'unlaser à rayons X, capable de canaliser l’énergie d'une explosion nucléaire en des rayons capable de détruire des missiles balistiques en vol, aurait beaucoup influencé le lancement de l'IDS. À l’étude depuis les années 1970 au laboratoire de Livermore par le « groupe O », dirigé parLowell Wood, ami et protégé d'Edward Teller, cette nouvelle arme promettait de faire pencher la balance en faveur de la défense plutôt que de l'offensive. Teller, dans une lettre àPaul Nitze décrivait avec enthousiasme les possibilités envisagées d'un tel système :« Un seul module laser à rayons X de la taille d'un bureau… pourrait potentiellement abattre l’intégralité des missiles soviétiques basés au sol… » (lettre du)[9].
Ce programme de relance en matière de recherches en armement est considérérétrospectivement comme étant l'un des éléments qui aurait pu amener à la chute de l'Union soviétique ; à tout le moins la stratégie reaganienne de confrontation avec le dit « Empire du mal », selon les discours présidentiels, consistait à mettre à genoux l'adversaire en l'amenant sur le terrain d'une compétition militaro-économique visant à l'étouffer financièrement, les crédits alloués par lepolitburo à cettecourse aux armements ne l'étant pas sur d'autres plans plus fondamentaux de l'économie de l'URSS.
Le, le président Ronald Reagan, dans un discours télévisé sur le budget de la défense nationale, annonce l'Initiative de défense stratégique[10]. L’année suivante, laStrategic Defense Initiative Organization (SDIO) est mise en place pour superviser le programme au sein dudépartement de la Défense, sous la direction du lieutenant-généralJames Alan Abrahamson(en)[1].
Le SDIO prend en charge un vaste effort derecherche et développement destiné à anéantir une offensive soviétique. De nombreux laboratoires développent de nouveaux concepts d'armes, tels que l'installation delaser de haute puissance en orbite et au sol, des constellations desatellites lance-missiles, anti-missiles ou des missiles intercepteurs lancés par sous-marin.
En, la phase I du système de défense stratégique est approuvée, six composants de l'IDS commencent le processus de validation. La même année le conceptBrilliant Pebbles se distingue comme étant le plus prometteur. D’après Abrahamson, il pourrait être déployé pour un cout inférieur à 25 milliards dedollars (48 milliards de2016). En1989, le nouveau président,George H. W. Bush, décide après examen de poursuivre l'IDS et en particulierBrilliant Pebbles qui doit devenir le premier système à être déployé[1],[11].
Le retentissement de l'annonce de ce nouveau projet par Reagan est immense, bien qu'il n'offre pas de défense totale et qu'il s'avère extrêmement coûteux, même pour le pays le plus riche du monde. Il inquiète cependant les alliés des Américains car on redoute, s'il était matérialisé, qu'il transforme les États-Unis en une forteresse, inviolable et invincible, incitant au repli de la super-puissance occidentale à unisolationnisme qu'ils avaient abandonné, non sans regrets, après laSeconde Guerre mondiale.
Pour l'URSS, ce projet est une très mauvaise surprise, car il remet en question l'équilibre de la terreur, concrétisé depuis1949 par la possession à son tour de l'arme nucléaire, la rendant désormais vulnérable si lesÉtats-Unis voulaient pousser leur avantage, voire faire disparaître selon le mot de Reagan l'« Empire du mal », alors que sonéconomie n'a plus les moyens de se lancer dans une escalade vertigineuse des dépenses militaires.
Moscou, qui s'enlise enAfghanistan et se voit contré d'une manière plus musclée par l'administration Reagan, invoque l'accord ABM de 1972 (limitation stricte des systèmes antimissiles) puis mobilise, en vain, tous les arguments à sa disposition pour que les États-Unis abandonnent leur programme. Aux États-Unis, certaines personnalités commeHarimann, lui reprochèrent de violer les précédents traités de limitation de la course aux armements : Traité Salt II (1979),traité Salt I (1972),démilitarisation de l'espace (1967), interdiction des essais nucléaires dans l'espace (1963).
Par le jeu de l'IDS, l'Europe aussi fut poussée dans cette course aux anti-missiles, dans la mesure où, forts des effets dissuasifs que reçut l'IDS sur l'« Empire du mal », les États-Unis proposèrent également des contrats avec d'autres États alliés, ces derniers pouvant dès lors bénéficier du système. Bien que le projet fût irréalisable dans les délais prévus et reposât sur de simples spéculations politiques, l'Europe fut, en quelque sorte, pour ne pas se trouver à la merci des États-Unis, obligée de lancer à son tour le programmeEUREKA, qui restait essentiellement civil, et qui n'aboutit pas non plus.
Fusée ERIS (Reentry-vehicle Interception System) testé en 1991 et 1992. Ancêtre direct duGround-Based Midcourse Defense.Test d'un antimissile ERINT qui donna naissance au Patriot PAC-3 actuellement en service.
Les technologies développées servent pour le succédané de ce programme dénomméNational Missile Defense relancé par l'administrationG. W. Bush, à la suite desattentats du 11 septembre 2001. LeNational missile defense prévoit d'installer une centaine deGround Based Interceptor (missiles balistiques anti-missiles) enAlaska et enCalifornie pour pouvoir intercepter une vague d'une vingtaine demissiles balistiques provenant d'Asie et desÉtats voyous. Des essais ont eu lieu de2002 à2005, les premiers de ces missiles ont été déclarés opérationnels en2005. L'administration Obama a modifié les objectifs du MND en intégrant l'OTAN dans un programme anti-missile pour l'Europe.
Divers systèmes d'armes anti-missiles tactiques sont aussi en cours de développement ou en fonction à cette date dans lesforces armées des États-Unis.
Dans lesannées 1980, l'US Army étudia la faisabilité d'intercepteurs qui détruiraient les missiles ennemis simplement par collision directe plutôt que par les effets d'une explosion.
Le HOE réussit la première interception par collision d'une ogive de missile balistique à plus de 160 kilomètres d'altitude, le[12]. Cette expérience démontra la viabilité de ce concept et lança le développement parLockheed du ERIS, précurseur du systèmeGround-Based Midcourse Defense (GMD) aujourd'hui déployé[13].
Le ERINT faisait partie du programme de l'IDS destiné à la conception d'une défense contre les missiles de moyenne portée. Le ERINT évoluera en une version améliorée dumissile Patriot, le PAC-3.
Le projetBrilliant Pebbles (« galets brillants »), élaboré en 1986 par Lowell L. Wood aulaboratoire de Livermore reposait sur uneconstellation de satellites utilisant des projectiles detungstène comme intercepteurs. Les satellites étaient conçus pour fonctionner de manière autonome afin de limiter la vulnérabilité et le cout du système[14].
John H. Nuckolls, directeur du laboratoire de Livermore entre1988 et1994, décrivit le système comme« le chef-d’œuvre de l'initiative de défense stratégique ». Bien que perçu comme le projet le plus prometteur de l'IDS, il sera annulé en 1994 par le BMDO.
Certaines des technologies développées pourBrilliant Pebbles furent réutilisées par la suite, par exemple les capteurs et caméras furent intégrés à la missionClementine de laNASA[11].