Après y avoir été victime d'ostracisme pendant sept ans pour sa vie sentimentale jugée trop libre, elle est de nouveau accueillie aux États-Unis, participant à des films tels queIndiscret (1958) deStanley Donen etFleur de Cactus (1969) deGene Saks. Elle préside au jury duFestival de Cannes 1973, puis remporte en 1975 son troisième Oscar, celui de lameilleure actrice dans un second rôle, pour sa prestation dansLe Crime de l'Orient-Express (1974), filmé à travers l'Europe parSidney Lumet. En 1978, se remettant d'unemastectomie, elle joue dansSonate d'automne d'Ingmar Bergman, dans ce qui est la première rencontre artistique entre les deux plus grands noms du cinéma suédois de l'époque. Deux ans plus tard, elle publie son autobiographieMa vie, écrite en collaboration avec Alan Burgess. En 1981, elle fait sa dernière interprétation dansUne femme nommée Golda, un téléfilm biographique sur la première ministre israélienneGolda Meir. Après une longue bataille contre lecancer du sein, elle meurt àLondres le, le jour de son67e anniversaire.
Justus Bergman avec sa fille Ingrid, six ans (1921).
Ingrid Bergman est née le dans un immeuble de six étages situé surStrandvägen, dans le centre deStockholm. Elle porte le prénom de la princesse suédoiseIngrid Bernadotte[1],[2],[3],[4],[5]. Elle n'a aucun lien de parenté avec son compatriote le réalisateurIngmar Bergman (1918-2007) avec lequel elle travaillera dansSonate d'automne (1978)[6],[7]. Son père, Justus Samuel Bergman (1871-1929), est le treizième des quatorze enfants de Johan Peter Bergman (1823-1908),professeur de musique etorganiste dans leComté de Kronoberg[8],[9], et de Britta Sophia (née Samuelsdotter ; 1830-1912)[10]. Ayant quitté le domicile familial à l'âge de 15 ans, il subvient à ses besoins en effectuant de petits boulots dans des magasins ; il gagne sa vie en peignant et en chantant. À son retour deChicago, dans l'Illinois, où il a vécu pendant dix ans chez la sœur de sa mère[b],[8], il travaille dans des boutiques d'artistes avec des accessoires photographiques qui ont piqué son intérêt. En 1900, alors qu'il traîne avec ses dessins et son chevalet dans un parc de Stockholm, il rencontre Frieda Henrietta Adler (1884-1918), une jeune Allemande de 16 ans originaire deKiel[c],[9],[11]. Les parents de la jeune fille désapprouvent d'abord la relation de leur fille avec Bergman, estimant qu'il n'est pas d'un niveau social suffisamment élevé et qu'il est beaucoup trop âgé[11],[13],[14],[15]. En 1907, alors que Bergman — qui mène une vie frugale et possède un magasin de photographie — a mis de côté une somme considérable sur son compte en banque, les parents d'Adler acceptent le mariage[11],[13]. Le mariage a lieu àHambourg. Adler s'installe à Stockholm avec son mari. Pendant son temps libre, elle peint et colorie à la main des photographies pour des clients[13] ; elle se distingue par sa discipline et son côté pragmatique[16]. Bergman travaille dans un magasin qui fournit des peintres et des photographes. Il cultive ses passions artistiques comme desviolons d'Ingres[16].
Après la naissance de sa fille, baptisée selon le riteluthérien (le pasteur Erik Bergman, père du futur réalisateurIngmar Bergman, a présidé la cérémonie)[17], il l'a photographiée ainsi que sa famille[d],[19]. Il emprunte l'un des premiers appareils photo disponibles dans le commerce pour photographier sa fille en mouvement. « J'étais probablement l'enfant la plus photographiée de toute laScandinavie », se souvient-elle[4],[20]. Le, Frieda Adler meurt à l'âge de 33 ans des suites d'unejaunisse[21],[4],[20]. Bergman est aidé par sa sœur Ellen, qui vit à proximité, pour s'occuper de sa fille de deux ans[22]. Malgré la perte de sa mère, elle considère son enfance comme « merveilleuse et idéale » et décrit le lien qui l'unissait à son père comme très fort[e],[4]. Elle souligne que c'est grâce à lui qu'elle a appris à poser devant un appareil photo[23]. Chaque été, elle se rend avec son père à Hambourg, chez ses grands-parents et chez les deux sœurs de sa mère, Elsa (qu'elle appelle « Mutti » parce qu'elle lui rappelle sa mère décédée) et Luna[25],[26]. Elsa lui apprend à parler couramment l'allemand, l'encourage à lire et à réciter de courts poèmes allemands et à chanter des chansons locales[25].
En 1922, son père engage une gouvernante de 18 ans, Greta Danielsson, étudiante à l'école de musique, avec laquelle Bergman se lie d'amitié[27],[28],[29]. Lorsqu'il se met en couple avec la gouvernante, malgré la grande différence d'âge, Ingrid Bergman, estimant que son père a « besoin d'amour », approuve leur relation. Face à la forte opposition des cousins de son père, Danielsson quitte la maison des Bergman et refuse la demande en mariage[30],[31]. Bien qu'elle n'accepte pas le choix de son frère, Ellen s'occupe de sa fille ; tous deux assistent ensemble à lamesse dominicale à l'église paroissialeEdwige-Éléonore[32],[33].
En 1924, Bergman prend la direction d'un chœur amateur mixte et entreprend avec lui une tournée dans trois villes des États-Unis. Sa fille est confiée à son oncle Otto et à sa tante Hulda. Ils ont eu cinq enfants — trois garçons (Bill, Bengt et Bo) et deux filles (Britta et Margit). Elle se lie d'amitié avec la plus jeune de ses sœurs, Britt[34],[35],[36],[37].
Ingrid Bergman à l'âge de14 ans environ. L'autoportrait a été réalisé à l'aide d'un appareil photo hérité de son père[38].
En, elle entre dans un lycée de filles, situé à Kommendörsgatan 13[34]. Elle obtient les meilleures notes en français et en allemand, alors qu'elle a des difficultés en cuisine et en sciences[39]. Pendant ses études, elle aime réciter des poèmes ; selon Donald Spoto, elle impressionne et émeut ses camarades de classe avec son interprétation deSveaborg, un fragment deFänrik Ståls Sägner deJohan Ludvig Runeberg. Selon un élève, elle a interprété le poème avec « un telpathos que toute la classe était assise, tremblante, les larmes aux yeux »[40]. En 1925, elle remporte un concours de récitation et Sten Selander, qui lui remet le diplôme, déclare que « Mlle Bergman ira sans doute loin »[34].
À l', elle se rend pour la première fois avec son père auThéâtre dramatique royal, où se joueMotłoch deHjalmar Bergman. À partir de ce moment-là, elle va régulièrement au théâtre, regarde des pièces avecGösta Ekman, entre autres, et se passionne pour la scène[41]. À l'école, elle récite de mémoire des extraits des pièces qu'elle a vues[f],[43]. Malgré cela, elle se souvient de sa période de scolarisation de manière désagréable. « Je détestais l'école parce que j'étais plus grande que les autres, maladroite et timide. Non pas que je me taisais tout le temps, mais je ne parlais que quand il le fallait [...] L'école, c'était l'enfer. Et je me sentais seule », a-t-elle soutenu[44],[45].
En 1929, Justus Bergman tombe malade d'uncancer de l'estomac[46] (selon d'autres sources en 1927[47]). Avec Danielsson, il se rend enBavière pour uneconsultation médicale. Il meurt le à l'âge de 58 ans[g],[47],[49]. Après la mort de son père, Bergman se renferme sur elle-même et ne s'intéresse ni à la récitation, ni au cinéma, ni au théâtre. Elle s'installe à Nybergsgatan 6 chez sa tante Ellen, qui meurt l'année suivante[50],[51]. La jeune Bergman, âgée de moins de 15 ans, déménage alors chez son oncle Otto et sa tante Hulda à Artillerigatan 43[52]. Cette série de tragédies familiales a un effet négatif sur elle — elle devient froide et réservée et se méfie de tout le monde[52]. En 1931, elle revient au théâtre, rêvant de devenir la nouvelleSarah Bernhardt et de pouvoir jouer avec Ekman. « Je suppose que le théâtre était pour moi une sorte de refuge. Les personnes qui se sentent seules et qui ont du mal à se trouver sont souvent impliquées dans le théâtre parce qu'il y a desmasques à mettre. Ils aident une personne à se libérer de ce qu'elle craint. Ce que je dis sur scène n'est pas écrit, et la personne que je prétends être n'est pas vraiment moi. C'est une échappatoire », se souvient-elle[53].
En 1932, avec l'aide de Danielsson, qui recevait occasionnellement des offres pour travailler comme figurante dans des films, elle se rend au studioSvensk Filmindustri et se voit offrir la possibilité de participer à une scène du drameLandskamp (réalisé parGunnar Skoglund ; tous deux ne sont pas mentionnés au générique)[53]. Elle est payée 10 couronnes pour la figuration et se souvient du travail sur le plateau comme de l'un des jours les plus agréables de sa vie[53]. Ce travail d'un jour a éveillé son désir de devenir une actrice professionnelle[54],[55],[56]. L'oncle Otto et la tante Hulda sont sceptiques quant aux projets de carrière cinématographique de Bergman ; ils pensent que la jeune fille devrait devenir secrétaire ou vendeuse, puis se marier[57]. Après avoir obtenu son diplôme de fin d'études secondaires[h] en 1933, elle fait le 2 juin une sélection de textes pour trois auditions auThéâtre dramatique royal (elle choisit des monologues deL'Aiglon d'Edmond Rostand,Le Jeu des ombres d'August Strindberg et une scène sur une paysanne tirée d'une comédie paysanne hongroise)[59], oùGreta Garbo etLars Hanson, entre autres, s'étaient entraînés dans le passé[53]. Elle se prépare à l'examen sous la direction de Gabriel Alwa (elle prend également des cours particuliers de gymnastique avec Ruth Kylberg)[60]. Après avoir présenté un extrait d'Orlątki, la commission interrompt sa prestation. Le lendemain, après avoir livré sa propre interprétation de Strindberg et du rôle de la paysanne lascive, elle est acceptée en première année, avec six autres candidats, sur quarante-huit[59] (selon David Thomson, il y avait soixante-quinze candidats en lice pour huit places)[61].
Selon Charlotte Chandler, les premiers mois de Bergman au Théâtre dramatique royal sont heureux et elle prend plaisir à apprendre[62]. Ses collègues soulignent sa confiance, son talent et son engagement[63],[64]. Anna Norrie joue un rôle clé dans l'éducation de Bergman, lui apprenant les bases du mouvement scénique et à écouter les autres artistes[65]. À l',Alf Sjöberg lui propose de jouer dans une production d'Ett brott[66] deSigfrid Siwertz, ce qui est contraire au règlement de l'école, selon lequel les étudiants ne peuvent obtenir leur premier rôle qu'après trois ans d'études[62]. Ce choix a amené certains de ses camarades de classe — selon les biographes — à « détester » Bergman[62],[67] ; l'un d'entre eux a frappé l'actrice en herbe à la tête avec un livre dans un acte de jalousie. Entre autres incidents, il y a eu des crachats et des agressions physiques[67]. Sous la pression, Sjöberg cède et Bergman se retire pendant les répétitions. En, avec un groupe de jeunes filles de première année, elle est engagée par Sjöberg comme figurante dans la comédieLes Rivaux deRichard Brinsley Sheridan[68].
En 1934,Edvin Adolphson l'engage pour le rôle de la servante Elsa Edlund dans la comédieLe Conte du pont au moine (1935), qu'il réalise avecSigurd Wallén. Bien qu'elle ait enregistré ses scènes en douze jours, elle est restée sur le plateau pendant six semaines, désireuse de mieux connaître l'ensemble du processus cinématographique ; elle s'intéressait à tous les aspects de la production ; le tournage lui a notamment permis de côtoyerJulia Cæsar, actrice etmeneuse de revue émérite de la scène suédoise avec quelque 130 films à son actif en fin de carrière (d'environ 1906 à sa mort en 1971)[69]. Pour sa prestation dans le film, Bergman reçoit 150couronnes[70] et des critiques dithyrambiques. Les critiques estiment qu'elle « a fait preuve de beaucoup de talent et d'assurance » et la décrivent comme « une jeune femme vivifiante et naturelle, un atout vraiment précieux pour le film »[71]. Elle obtient son engagement grâce à l'intervention de Gunnar Spångberg, un ami proche de son père (Karin Swanström, directrice artistique deSvensk Filmindustri, organise son audition, dirigée parGustaf Molander)[72],[73],[74].
Après avoir signé un contrat pour d'autres apparitions au cinéma, elle démissionne duThéâtre dramatique royal à l', malgré les objections du metteur en scène,Olof Molander[71],[75]. Son deuxième projet est le drameBränningar d'Ivar Johansson (1935)[75]. Elle y incarne un personnage très différent de ses débuts : Karin Ingman, fille d'un pauvre pêcheur (Carl Ström), séduite par un pasteur libidineux (Sten Lindgren). Le pasteur l'abandonne lorsqu'il s'avère qu'Ingman est tombée enceinte[76],[77],[78]. Malgré un scénario plus faible, le film a de nouveau reçu des critiques favorables. Les critiques ont salué sa « prestation équilibrée et affectueuse » ainsi que sa « grâce et son naturel ». Avant de tourner son projet suivant, le studio ajoute 500 couronnes d'assurance annuelle au contrat de Bergman, augmentant ainsi son salaire de vingt pour cent chaque année[79]. Elle est également reconnue comme « la nouvelle venue la plus prometteuse du paysage cinématographique suédois »[80].
La troisième production de 1935 est la comédie dramatiqueSwedenhielms deHjalmar Bergman, inspiré de la pièce éponyme, mise en scène en 1923 par Molander, que Bergman décrit comme « un maître de la comédie sérieuse »[81]. Bien que le rôle d'Astrid, une riche mariée amoureuse du fils de Swedenhielm (Håkan Westergren) ne fasse qu'une apparition dans le film, elle réalise un rêve de jeunesse en jouant avecEkman[82],[83],[84]. Elle se félicite d'avoir eu l'occasion de travailler avec lui et Molander, soulignant leur serviabilité, leur cordialité et leur gentillesse[85],[86]. La presse allemande et suédoise apprécie la prestation de Bergman, et une courte note la concernant est publiée dans l'hebdomadaire américainVariety[87],[88]. À la fin de l'année 1937, elle a remporté un sondage auprès des téléspectateurs suédois pour le titre de « Vedette de cinéma la plus admirée de l'année »[89].
Le drameLa Nuit de la Saint-Jean deGustaf Edgren, son dernier film de l'année 1935, traite de l'avortement et de l'infidélité conjugale[88]. Dans ce film, Bergman joue le rôle de Lena, la fille d'un éditeur de journaux (Victor Sjöström) qui est malheureuse en amour avec un homme marié (Lars Hanson)[88]. En raison de son sujet, le film suscite la controverse en dehors de la Suède et ne sort aux États-Unis qu'en 1941, après l'intervention de la censure[88],[90]. La suite de sa collaboration avec Adolphson, Hanson et Molander est le dramePå Solsidan (1936). Elle y interprète le rôle d'Eva Bergh, une employée de banque qui épouse un riche propriétaire (Hanson) et mène une vie prospère à la campagne[91]. Bien que, selon Spoto, le film de Molander soit une « bagatelle romanesque » et que certains critiques le trouvent ennuyeux, la prestation de Bergman est appréciée aux États-Unis, leNew York Times citant comme points forts son « naturel et sa grâce » qui font que « Mlle Bergman domine le domaine ». Quant àVariety, il fait le portrait de Bergman comme d'une actrice « digne d'une place à Hollywood »[92],[93],[94],[95],[96].
Le scénario du drameIntermezzo (1936) deGustaf Molander a été écrit spécifiquement pour Bergman, qui avait pour partenaireGösta Ekman dans le rôle principal masculin. L'intrigue est centrée sur un violoniste (Ekman) qui entretient une liaison avec Anita Hoffman (Bergman), la jeune enseignante de sa fille[97],[98],[99],[100]. Le réalisateur a parlé du professionnalisme de Bergman et de sa disponibilité pour chaque prise[101]. Spoto estimait qu'elle avait intégré dans le personnage d'Anita le lourd défi du conflit entre carrière et sentiments, ce qui rendait son rôle si réel. Un critique a écrit que « Ingrid Bergman ajoute une nouvelle Victoria aux précédentes ». Après le tournage, Molander a envoyé des fleurs à l'actrice, exprimant son appréciation pour sa performance[102]. Le thème principal d'Intermezzo est celui de larédemption et du pardon, un thème souvent utilisé dans les autres films du réalisateur[103].Variety prédit de nouveau que « le destin de l'étoile d'Ingrid Bergman est Hollywood »[104],[105].
Le, elle joue auKomediteatern(sv) dans la version suédoise de la pièce françaiseL'Heure H dePierre Chaine, une satire sur des révolutionnaires communistes qui projettent de saboter une usine. Malgré son petit rôle, sa présence dans la pièce est bien accueillie ; un critique a déclaré que « de grands succès peuvent être augurés pour ses futurs rôles dramatiques ». La pièce est jouée 128 fois[106]. Après son mariage en 1937[107],[108], elle renonce à jouer au cinéma pendant plus d'un an ; elle apparaît avecAdolphson dans la pièceJean deLadislaus Bus-Fekete[109],[110]. Molander, mentor de Bergman, lui confie le rôle de Julia dansDollar (1938), une comédie adaptée de la pièce deHjalmar Bergman, qui met en scène des mœurs conjugales désastreuses et trois couples qui se draguent les uns les autres sans vergogne. Les biographes et les critiques soulignent son sens de la comédie, ses gestes et ses regards spontanés[106],[111]. Compte tenu de son statut devedette en Suède, le réalisateur l'a choisie comme protagoniste, et les critiques ont remarqué son jeu, qui a éclipsé les autres acteurs sur le plateau[107],[104].
Elle entame alors le tournage de son cinquième film avec Molander, le drame romantiqueUne seule nuit. Elle est réticente à accepter le projet, estimant que le scénario est « embarrassant »[112]. Elle accepte de jouer à condition de pouvoir jouer dans le drameVisage de femme[112],[113]. À la suite des négociations, dans les deux productions susmentionnées, son nom apparaît en premier au générique[112]. Le rôle d'Eva Beckman dansUne seule nuit est caractérisé par la froideur ; la protagoniste rejette l'affection d'un avocat du cirque (Adolphson)[114]. À la fin de l'année, elle remporte un sondage auprès des téléspectateurs suédois sur la « vedette de cinéma la plus admirée de 1937 », devantGreta Garbo[i]. La reconnaissance dont elle commence à bénéficier après l'avant-première d'Intermezzo en décembre aux États-Unis conduit à l'organisation de projections supplémentaires pendant les vacances de Noël. LeNew York Times estime que « la crédibilité des interprétations et en particulier celle de la jeune et ravissante Ingrid Bergman, confirme la haute réputation qu'elle a acquise dans son pays et à l'étranger »[89].
Son dernier film pour laSvensk Filmindustri estVisage de femme (1938) deGustaf Molander, d'après une pièce deFrancis de Croisset. Elle y accomplit, selon Spoto, l'une de ses « interprétations les plus profondes et les plus complexes »[115]. Elle y joue le rôle d'Anna Holm, chef d'un groupe de maîtres chanteurs, une femme au visage déformé qui n'a aucun scrupule. Ce n'est qu'après avoir subi une opération dechirurgie esthétique qu'une transformation spirituelle s'opère dans le personnage[115],[116]. Pour accroître le réalisme de son visage déformé, elle a utilisé un moule spécialement conçu par son premier mari,Petter Lindström[117],[118],[119]. La fin, dans laquelle Holm attend le verdict du tribunal (pour avoir commis un meurtre et sauvé la vie du garçon), a été — à son initiative — laissée à l'appréciation du public[j][121],[122],[123]. LeNew York World-Telegram écrit que « Ingrid Bergman est une autre Garbo ... aussi bonne que Garbo l'était dans ses premières productions »[124],[125]. LeStockholms-Tidningen(sv) qualifie le film d'« excellent et de classe mondiale »[126].
Son premier projet allemand est la comédie romantiqueQuatre Filles courageuses (1938, également connu sous les titresLes Quatre Compagnes ouFilles modernes) deCarl Froelich, d'après la pièce de théâtre éponyme deJochen Huth[131],[132],[133],[120],[134]. Le film est tourné entre mi-avril et fin dans le studio Froelich deBerlin-Tempelhof. Pendant le tournage, Froelich emmène Bergman à une convention nazie oùAdolf Hitler fait un discours. L'actrice est la seule parmi les invités réunis à refuser de faire le salutHeil Hitler[130]. Pendant sa carrière en Allemagne, Bergman a passé beaucoup de temps avec sa tante Elsa, qui était, selon les mémoires de Lindström, une « nazie fanatique ». Pour lui plaire, l'actrice adopta le salut en question, l'utilisant parfois — comme l'écrit Spoto — « lorsqu'on attendait d'elle qu'elle le fasse chez Mutti Adler ». Bergman, qui ne s'intéressait pas aux questions politiques, ignorait la symbolique des gestes de la salutation et leur interprétation[135]. Les biographes ont souligné la tension croissante pendant le tournage du film, ainsi que le malaise causé par la situation politique de l'époque[130],[136]. Le film, qui raconte l'échec de quatre femmes à la tête d'une agence de publicité, est un échec financier et critique[126],[136]. La mauvaise humeur est aggravée par les remarques fréquentes du réalisateur et les nausées causées par la grossesse de Bergman[137]. Le film sort le en Allemagne et le en France[131].
Plus tard, elle a affirmé que si elle avait été au courant de la situation politique en Allemagne à la fin des années 1930 (Bergman ne s'intéressait pas du tout à la politique), elle n'aurait pas choisi de travailler dans ce pays[136]. En raison du manque d'offres intéressantes en provenance d'autres pays, elle prolonge son contrat avec la UFA pour une année supplémentaire[138],[139] (Laurence Leamer a écrit que Lindström, opposé à ce qu'elle travaille dans l'Allemagne nazie, a contacté l'imprésarioHelmer Enwall(sv) pour l'aider à trouver des rôles pour elle en Angleterre ou aux États-Unis)[105]. Un film prévu par l'UFA dans lequel elle devait incarnerCharlotte Corday, la meurtrière deJean-Paul Marat, ne se concrétise pas en raison de la situation politique[140].
Contrat avec Selznick International Pictures (1939–1946)
Les critiques ayant fait l'éloge de sa prestation dans le film suédoisIntermezzo (1936) ont suscité l'intérêt de Hollywood pour Bergman[141],[142]. Après la naissance de sa fille Pia en septembre 1938, elle reçoit une offre de Jeni Reissar, le représentant du producteurDavid O. Selznick pour l'Europe, pour jouer dans le remake américainIntermezzo[138]. Elle envisage avec réalisme de partir car en Suède, où elle a le statut de star, elle reçoit rarement des offres pour jouer dans des films comme Le visage d'une femme[143]. Après des négociations menées par Lindström, elle refuse de signer un contrat de sept ans avec Selznick[143]. Sur l'insistance de son mari, elle accepte de se rendre aux États-Unis à la fin de l'année 1938 pour jouer dans le remake susmentionné. Elle apprend l'anglais avec l'aide deKay Brown, qui finalise le contrat[144]. Accompagnée de cette dernière, elle s'embarque pour l'étranger à bord duRMS Queen Mary le[145],[146]. Le contrat négocié prévoit sa participation au tournage suivi par un retour immédiat en Suède[143]. Pour améliorer son anglais, elle se rend au théâtre pour voir des pièces (dontAbe Lincoln in Illinois deRobert E. Sherwood) et fait appel à des cours particuliers[147],[148]. On lui recommande également d'américaniser son nom de famille en Berryman ou Lindström (du nom de son mari), de redessiner sessourcils et d'améliorer sadentition, mais elle refuse fermement, ayant critiqué la plupart des actrices dont l'apparence corrigée est, selon elle, trop différente de leur beauté naturelle[149],[150].
En, elle commence le tournage du filmIntermezzo réalisé parGregory Ratoff. Elle est payée 2 500 dollars par semaine[151],[152]. Selznick est particulièrement préoccupé par l'éclairage adéquat de l'actrice (il licencie le chef opérateurHarry Stradling pendant le tournage, engageantGregg Toland pour le remplacer)[153],[154]. La réalisation est entravée par le producteur lui-même, qui interfère à plusieurs reprises avec le projet et introduit de nombreuses scènes qui, selon Spoto, font du film « un conglomérat de platitudes sucrées »[155]. Pour Chandler, la version américaine diffère peu de l'original suédois, et les scènes impliquant Bergman sont « remarquablement semblables dans les deux versions »[156]. Elle a pour partenaireLeslie Howard[157], qui fait office de coproducteur (connu pour son rôle d'Ashley Wilkes dansAutant en emporte le vent deVictor Fleming)[158],[159],[160]. Le tournage terminé, elle retourne à Stockholm[161],[162].
Lors de sa première,Intermezzo reçoit des critiques élogieuses et est un succès populaire auprès du public ; elle est décrite parVariety comme un« illustre cadeau de laSuède à Hollywood[163]. », un autre critique note que « l'intrigue simple a été rehaussée par une nouvelle vedette : Ingrid Bergman »[164]. LeNew York Times cite sa « fraîcheur, sa simplicité et sa dignité innée », ajoutant que « Mlle Bergman a une ardeur, cette étincelle spirituelle qui nous fait croire que Selznick a trouvé la prochaine grande dame de l'écran »[165],[166],[167],[168]. Après les critiques positives de sa prestation, le contrat de Selznick avecSelznick International Pictures est renouvelé pour l'année suivante[163]. Il stipule les apparitions de Bergman dans deux films par an, le droit de jouer dans une pièce de théâtre (avec l'approbation de Selznick) et la possibilité de la prêter pour despièces radiophoniques[169].
Le déclenchement de laSeconde Guerre mondiale en septembre 1939 l'empêche de continuer à travailler avec laUFA. Avant de retourner à Hollywood, elle joue dans son dernier film produit en Suède, le drame sur le harcèlement sexuelQuand la chair est faible (1940) dePer Lindberg[169], d'après un roman de Tory Nordström-Bonnier[170],[171]. L'héroïne qu'elle incarne, Kerstin Norbäc, ayant entamé une liaison avec un homme inadapté (Gunnar Sjöberg), est contrainte, à la suite de la condamnation publique, de changer de nom (Sara Nordanå) et de déménager dans un autre lieu où elle entame une nouvelle phase de sa vie[172],[173]. Selon Spoto, Bergman, à l'âge de 24 ans, avec son rôle dansQuand la chair est faible, « a compris instinctivement la gamme complexe d'émotions tortueuses qui jouent le rôle de sentiments dans le monde adulte »[174]. Le film connaît un succès modéré en Suède[175].
Le, elle embarque avec sa fillePia Lindström et sa nourrice deGênes vers New York à bord duSS Rex[k],[176],[177]. Elle arrive aux États-Unis dix jours plus tard et son arrivée est rapportée dans le New York Times[178],[179]. Les premières semaines, elle reste sans emploi ; elle passe son temps libre à se promener, à pagayer sur le lac et à visiter desexpositions universelles[180]. Le 29 janvier, elle apparaît dans une adaptation radiophonique d'Intermezzo pour l'anthologieLux Radio Theatre(en) diffusée surNBC Blue Network[181].
Profitant de son temps libre, avec l'aide de Brown et du producteur Vinton Freedley, elle est engagée dans la pièceLiliom deFerenc Molnár, mise en scène par Harry Howell. Elle y joue le rôle de Juliet, qui ne connaît son père que sous la forme d'un fantôme[181],[182]. En raison de son accent suédois, elle prend des cours avec un professeur quatre heures par jour[183]. Dans la pièce, elle a pour partenaireBurgess Meredith[184]. Après la première, qui a lieu le au44th Street Theatre à Broadway, elle reçoit des critiques favorables[181],[185],[186],[187] ;Brooks Atkinson, entre autres, écrit dans leNew York Times : « Dans le rôle de Julie, nous découvrons une jeune actrice d'une capacité et d'un talent inégalés... Elle parle avec un léger accent. Mais elle a aussi une silhouette et des manières d'une beauté expressive, des yeux sensibles, des lèvres tendres, une voix aimable qui se prête à être entendue et modulée. De plus, elle semble maîtriser parfaitement le rôle qu'elle joue... Mlle Bergman donne au personnage une plénitude de vie et l'illumine de l'intérieur d'une beauté lumineuse »[184],[188]. Sa interprétation est appréciée par Molnár[189].
Après avoir joué pendant six semaines dans la pièceLiliom au cours de l'été[190], elle est prêtée par Selznick àColumbia Pictures, pour laquelle elle joue aux côtés deWarner Baxter dans le drame romantiqueLa Famille Stoddard deGregory Ratoff[191],[192],[193]. Malgré les mauvaises critiques du film, l'interprétation de Bergman est remarqué par les critiques[194], qui notent qu'elle « a prêté son grand talent à un film desérie B »[195],[196].Fay Wray, qui faisait également partie de la distribution, a noté son professionnalisme et son engagement sans faille[197].
Son film suivant est lethriller psychologiquenoirLa Proie du mort (1941) deW. S. Van Dyke pour laMetro-Goldwyn-Mayer, bénéficiant de nouveau d'un accueil plutôt tiède de la part du public et de la critique[194],[198],[199]. Elle est accompagnée sur le plateau parRobert Montgomery etGeorge Sanders[200]. Le film, une adaptation à l'écran du roman éponyme deJames Hilton de 1932, dépeint les vies de Stella Bergen (Bergman) et de Philip Monrell (Montgomery). Un homme souffrant de troubles psychiques se suicide de manière à jeter tous les soupçons sur son ami Ward Andrews (Sanders)[201],[202]. Bergman n'aime ni le scénario ni le film lui-même[194], tandis que Spoto trouve l'intrigue « risiblement invraisemblable ». En raison de sa relation conflictuelle avec le réalisateur, le tournage deLa Proie du mort a été pour elle, de son aveu même, « un long cauchemar »[203]. Le film de Van Dyke a reçu une plus grande reconnaissance en 1946, lorsqu'il est ressorti en salles[204].
Le filmDocteur Jekyll et Mister Hyde et la pièceAnna Christie (1941)
Profitant de la popularité croissante de Bergman, Selznick — poussé par des considérations financières et publicitaires — accepte de la faire participer à la pièceAnna Christie(en) d'Eugene O'Neill, mise en scène parJohn Houseman[217]. Les représentations ont lieu àSanta Barbara etSan Francisco, enCalifornie, et àMaplewood, dans leNew Jersey[217]. Le rôle du personnage-titre, une prostituée, vaut à l'actrice des critiques dithyrambiques, dont la suivante : « Elle a donné au drame d'O'Neill une interprétation poétique et, ce faisant, s'est taillé une place dans l'histoire du théâtre américain »[218]. L'auteur de la pièce lui propose de rejoindre la troupe d'acteurs employés par le théâtre permanent, mais Bergman est contrainte de décliner l'offre en raison de la durée de six ans du projet et de ses obligations contractuelles envers Selznick[219].
De à, elle ne reçoit aucune nouvelle offre d'engagement de la part de Selznick[l]. De ce fait, elle tombe dans une légèredépression[221]. Début mai, elle se manifeste à Hollywood. Un producteur la prête au studioWarner Bros[222],[223].Hal B. Wallis, qui a acheté les droits de la pièce de théâtreEverybody Comes to Rick's (1940) pour 20 000 dollars, la rebaptiseCasablanca et, après de nombreux changements,Humphrey Bogart et Bergman obtiennent les rôles principaux.Michael Curtiz est engagé comme réalisateur[224]. Au début, elle a du mal à comprendre les subtilités de l'intrigue et du personnage qu'elle incarne (le scénario, sur lequel travaillent de nombreux scénaristes, a été révisé et modifié à de nombreuses reprises)[224]. Elle est d'abord mécontente d'avoir été choisie pour jouer dans le film, estimant que le personnage d'Ilsa Lund n'a pas besoin d'être beaucoup travaillé[225]. L'intrigue du mélodrame noirCasablanca s'articule autour du personnage de l'immigrant américain Rick Blaine (Bogart), propriétaire d'un club qui retrouve son amour des années auparavant, Ilsa Lund (Bergman), mariée au résistant tchécoslovaque Victor Laszlo (Paul Henreid)[226],[227],[228]. Le travail a été entravé par un scénario qui n'avait pas de dénouement jusqu'à la toute fin, laissant les acteurs dans l'incertitude[229],[230]. La relation entre Bogart et Bergman était froide[231],[232]. « J'ai embrassé Bogie, mais je ne l'ai jamais vraiment rencontré », se souvient-elle[232],[233],[234],[235]. Son salaire était de 25 000 dollars[236].
De l'avis de Spoto, le personnage de Lund a permis à Bergman d'incarner une maîtresse passionnée et lui a donné le premier grand rôle de sa carrière[237]. Le biographe souligne qu'« Ingrid a apporté à ce film une conviction sur la fragilité de la romance qui parlait directement au cœur des spectateurs en temps de guerre [...] Pendant les deux tiers du film, elle a doté Ilsa d'un calme remarquable, et c'est ce qui rend les dilemmes romantiques de ce personnage si déchirants et si matures »[237].Casablanca a connu un succès important à sa sortie ; le film de Curtiz a reçu huit nominations auxOscars 1944, remportant trois statuettes, dont celle dumeilleur film[238],[239],[240],[241],[242]. Des années plus tard, il est devenu unfilm culte, et Bergman est principalement identifiée au rôle d'Ilsa Lund[237].Bosley Crowther a écrit dans leNew York Times que « [Bergman] illumine les passages romantiques d'une lueur chaleureuse et authentique » ; d'autres ont estimé qu'elle « [joue] une héroïne avec... une autorité et une beauté séduisantes » et l'ont comparée à une jeune Garbo[243].
Gary Cooper et Bergman dans une image du filmPour qui sonne le glas (1943). Pour son interprétation dans ce film, elle a reçu sa première nomination aux Oscars.
Son seul long métrage de l'année 1943 est le mélodrame de guerrePour qui sonne le glas deSam Wood[244]. Bergman avait déjà persuadé Selznick de la prêter àParamount Pictures deux ans plus tôt, lorsque Paramount avait acheté les droits d'exploitation duroman éponyme d'Ernest Hemingway. Une motivation supplémentaire pour elle était la possibilité de jouer avecGary Cooper, qui avait été choisi pour le rôle principal masculin[245],[246],[247]. En 1942,Vera Zorina a été engagée pour jouer Maria[221], mais lorsque le tournage a commencé, Cooper et Wood n'étaient pas satisfaits de sa prestation, et le rôle est allé à Bergman[248],[249],[250], que Selznick a prêtée à Paramount pour 90 000 dollars[244] (selon d'autres sources, le studio a payé 150 000 dollars[251],[252]). Le studio verse à l'actrice une somme contractuelle de 52 000 dollars[253]. Une partie du tournage s'est déroulée dans les montagnes de laSierra Nevada californienne[254], ce qui a constitué une gageure pour l'équipe[255]. L'intrigue est centrée sur Robert Jordan (Cooper), un soldat volontaire qui participe à laguerre d'Espagne. Avec un groupe deguérilleros, il mène une opération visant à faire sauter un pont. Parmi eux se trouve María (Bergman), la fille dont il tombe amoureux[256],[257],[258].Pour qui sonne le glas est le premier film de la filmographie de Bergman à avoir été réalisé enTechnicolor[254],[259],[260],[261].
De l'avis des biographes,Pour qui sonne le glas était un film sans éclat, édulcorant le roman d'Hemingway en une intrigue fade dénuée de dynamisme et de romantisme. En outre, on reproche au film de ne pas condamner expressément lefascisme espagnol et d'omettre toute mention deFrancisco Franco et de ses troupes[255]. Bergman elle-même s'est montrée critique, mentionnant que le travail sur le plateau était décevant et frustrant en raison de la médiocrité du scénario[262]. Bien que les critiques aient été majoritairement positives quant à sa prestation[263],[264],[265], certains ont commenté l'inadéquation fondamentale de Bergman pour le rôle d'une femme espagnole malmenée par la vie, en couple avec l'idéaliste Robert Jordan[266].
À la demande de Selznick, elle participe au tournage du court documentaire de propagandeSwedes in America (1943) d'Irving Lerner[272], réalisé pour leBureau d'information de guerre des États-Unis (OWI)[238],[273],[274],[275],[276]. Selznick, convaincu du succès du duo Bergman-Cooper dirigé par Sam Wood, la prête à nouveau à laWarner Bros. pour laquelle elle tourne en 1941 le drame romantiqueL'Intrigante de Saratoga de Sam Wood, d'après le roman d'Edna Ferber[277],[278],[279]. L'intrigue décrit le destin de la fille illégitime de l'aristocrate Clio Dulaine (Bergman). Elle se rend àSaratoga Springs, dans l'État de New York, pour y trouver un mari fortuné. Elle finit par épouser un joueur texan, Clinton Maroon (Cooper)[280],[281],[282]. Pendant le tournage, elle doit porter de lourdes perruques brunes et un maquillage chargé, ce qui la gêne[283]. Elle décide d'accepter le rôle, voulant jouer une intrigante immorale.Jack L. Warner, ayant vu le film lors du montage final, a exprimé des sentiments négatifs à son égard, de sorte que toutes les copies deL'Intrigante de Saratoga ont été envoyées aux troupes américaines en mer[284], et qu'il est sorti au cinéma en 1945[285]. Le cachet de Bergman s'élève à 69 562 dollars[286],[287]. Malgré de mauvaises critiques, le film est rentable au box-office[288].
Le, leTime consacre saune à Ingrid Bergman[289]. À partir de la fin décembre, elle se produit pendant cinq semaines devant lestroupes américaines enAlaska. Elle lit notamment des textes dramatiques, chante des chansons folkloriques suédoises, signe des photographies et rend visite aux soldats blessés dans les hôpitaux[m] (au cours de cette tournée, elle rencontre le lieutenant-généralSimon Bolivar Buckner, Jr. avec lequel elle restera en contact épistolaire jusqu'à sa mort en 1945)[291],[292].
L'histoire se déroule dans l'Angleterre victorienne. Paula Alquist Anton (Bergman), une jeune femme mariée, soupçonne chez elle des symptômes de maladie mentale. Gregory Anton (Boyer), inquiet pour la santé de sa femme, décide d'emménager avec elle dans la maison où sa tante a vécu avant d'être sauvagement assassinée. L'inspecteur Cameron (Cotten), observant le comportement d'Anton, rouvre l'enquête sur le meurtre de la vieille dame[299],[300].
Photo promotionnelle prise en 1946.
À sa sortie, le film reçoit des critiques enthousiastes, y compris pour l'interprétation de Bergman. Un critique était d'avis qu' » elle [était] superbe dans un rôle éprouvant pour les nerfs. Sa prestation sensible et émotionnelle doit retenir l'attention du spectateur »[289]. LeNew York Journal-American écrit que « sous le charme hypnotique de Boyer, Mlle Bergman brûle de passion et vacille de dépression jusqu'à ce que le public... se raidisse sur son siège ». LeNew York Post, quant à lui, estime que le « mélange d'amour, de terreur et d'un sentiment croissant de défaite de son propre esprit constitue l'une des plus belles réussites de la saison »[301]. Elle se souvient du travail sur le plateau comme de l'une des plus grandes expériences de sa vie, et compte le film lui-même parmi ses préférés[302].
Un autre projet de son œuvre est lefilm noirLa Maison du docteur Edwardes (1945) d'Alfred Hitchcock, qui traite de la théoriefreudienne desrêves. Bergman avait pour partenaireGregory Peck dans le rôle principal masculin, et l'inspiration pour le film était le roman éponyme de 1927 deFrancis Beeding, avec un scénario deBen Hecht[309],[310],[311]. L'intrigue est centrée sur le Dr Anthony Edwardes (Peck), un jeune médecin qui prend le poste de directeur d'uneclinique psychiatrique. Son comportement inhabituel éveille les soupçons de la glaciale Dr Constance Petersen (Bergman)[312],[313]. Elle est enthousiaste à l'idée de travailler avec Hitchcock, soulignant entre autres son sens de l'humour et sa serviabilité[n],[315], bien qu'elle soit d'abord sceptique sur le rôle proposé, trouvant le comportement du personnage irrationnel et l'histoire invraisemblable[316],[317].
La Maison du docteur Edwardes est le premier film américain à afficher son nom dans le rôle principal. À sa sortie, le film d'Hitchcock est un succès en salles, rapportant 7 à 8 millions de dollars et recevant des critiques globalement favorables dans la presse. Il est nommé dans six catégories des Oscars et remporte lastatuette de la meilleure musique[318],[319]. Spoto a remarqué le style d'interprétation de Bergman, le décrivant comme « la meilleure leçon d'interprétation modulée et mature à l'écran »[320].
Après avoir terminé le tournage du film, à l'invitation duministère de la Guerre, elle entame une tournée américaine avec Joe Steele, visitant l'Indiana, leMinnesota, laPennsylvanie, leWisconsin et leCanada, promouvant la vente d'obligations de guerre et donnant du sang pour les soldats blessés. Elle prononce également des discours et lit de courtes adaptations d'un recueil de nouvelles et de poèmes, attirant de nombreux donateurs[321].
Leo McCarey, réalisateur dufilm musical à succèsLa Route semée d'étoiles (1944), souhaite engager Bergman pour le premier rôle féminin en vue de sa suite. Selznick, convaincu que les suites sont rarement aussi réussies que le premier volet, est sceptique quant à l'engagement de Bergman. Il était d'avis que Bergman servirait de toile de fond àBing Crosby qui jouait le rôle principal[322],[323],[324]. Ayant appris que la suite était prévue et lu le scénario, elle fait pression sur Selznick pour qu'elle soit engagée et mise en valeur dans le film[322]. Le producteur la prête àRKO Pictures pour 175 000 dollars. Le studio lui rembourse également deux films qu'il avait produits pour lui plusieurs années auparavant[325],[326]. En préparation de son rôle clérical, elle effectue plusieurs visites dans uncouvent qui gère une école pour religieuses[327].
L'intrigue desCloches de Sainte-Marie est centrée sur la consciencieuse et dévouée Sœur Mary Benedict (Bergman), qui dirige l'école paroissiale et connaît des difficultés financières. La situation est compliquée par l'arrivée d'un nouveau curé, le père Chuck O'Malley (Crosby)[328]. Pendant la production, elle a ajouté certaines des répliques de son personnage et a présenté au réalisateur plusieurs scènes qui, selon Spoto, « ont augmenté la tension et ajouté de la saveur au récit ». Elle a également interprété une vieille chanson suédoise[329]. Le travail sur le plateau fut l'une des expériences les plus joyeuses de sa carrière, et son rôle dans ce film contribua à élargir la gamme des types féminins dans la filmographie de Bergman[330]. De nombreuses femmes, s'identifiant à elle, sont entrées dans les ordres religieux[331]. Curtis F. Brown estime que « l'image de pureté virginale qu'elle a représentée de manière si convaincante dans le rôle de Sœur Benedict a été gravée de manière indélébile dans l'esprit du public comme étant la “vraie” Ingrid Bergman »[332].
Fin 1945, les recettes brutes de trois films avec Bergman — La Maison du docteur Edwardes,L'Intrigante de Saratoga etLes Cloches de Sainte-Marie — dépassent les 21 millions de dollars, battant des records de recettes auRadio City Music Hall deNew York. Le magazine spécialiséBoxOffice, se basant sur les données recueillies et sur de nombreux avis, notamment de critiques, de propriétaires de salles de cinéma, de représentants de cercles féminins et de commentateurs radio, la déclare l'actrice la plus rentable pour ses employeurs en Amérique, pour la deuxième fois consécutive. Sa reconnaissance croissante lui vaut de recevoir 25 000 lettres d'admirateurs par semaine[o],[341]. Le magazineLife déclare 1945 « l'année Bergman »[343],[344].
Sa collaboration avecHitchcock se poursuit avec un rôle principal dans lefilm d'espionnagenoir avec des éléments mélodramatiquesLes Enchaînés (1946), pour lequelHecht écrit à nouveau le scénario[345],[346],[347]. Selznick revend le projet à laRKO et son contrat avec Bergman, à la suite de contentieux avec Lindström, n'est pas renouvelé[348],[349]. L'intrigue du film est centrée sur Alicia Huberman (Bergman), la fille d'un ancien agent de renseignement (Fred Nurney), qui, mandatée par l'agent duFBI T.R. Devlin (Cary Grant), se rend auBrésil pour infiltrer une organisation denazis en cavale depuis la fin de laSeconde Guerre mondiale. Bien que la protagoniste soit amoureuse de Devlin, elle accepte d'épouser Alexander Sebastian (Claude Rains), qui est à la tête du réseau d'espionnage au Brésil et qui a une véritable affection pour elle[350],[351],[352].
En créant le personnage de Huberman à la moralité douteuse, une femme forcée par le sens du devoir dans un mariage sans amour et qui a désespérément besoin d'être rassurée sur son amour, Hitchcock s'est inspiré des problèmes conjugaux de Bergman et de son expérience de sa liaison avec le photographeRobert Capa[353]. La scène du baiser entre Bergman et Grant, qui dure près de 150 secondes, est restée dans l'histoire du cinéma. Hitchcock interrompt le plan toutes les trois secondes, respectant ainsi lecode Hays en vigueur qui interdit les scènes jugées inappropriées au delà d'une certaine durée[354],[355].
Bergman sur une photo promotionnelle du filmArc de Triomphe (1948).
Bergman a reçu des critiques favorables ;James Agee a écrit que son « jeu d'actrice est le meilleur de tout ce que j'ai jamais vu ». LeFilm Bulletin l'a quant à lui félicitée pour son « éclatante prestation » et a prédit qu'elle était l'une des principales candidates aux Oscars[356]. Spoto attire l'attention sur les scènes dans lesquelles elle simulait l'ébriété et les conséquences délétères que cela avait sur le moral de son personnage à l'écran. Selon le biographe, ces scènes démontrent les vastes possibilités de sa palette de jeu et sa maturité dans l'expression de ses sentiments[357].
En tant qu'actrice indépendante, elle accepte de jouer dans lemélodramede guerreArc de Triomphe deLewis Milestone et produit par Enterprise Productions, adapté du roman éponyme écrit en 1945 parErich Maria Remarque, avecCharles Boyer etCharles Laughton pour compléter la distribution[358]. Les négociations ont abouti à ce qu'elle reçoive 175 000 dollars et une garantie de vingt-cinq pour cent des recettes nettes[358]. L'intrigue s'articule autour du Dr Ravic (Boyer) et de son histoire d'amour compliquée avec la chanteuse Joan Madou (Bergman), qui débouche sur une tragédie[359].Arc de Triomphe sort en salles après deux ans de montage[359]. Il s'agit d'un échec aux yeux de la critique et du public, rebutés par des longueurs excessives et un double dénouement pessimiste[360],[361]. Bergman a déclaré qu'elle ne ressentait pas et donc ne pouvait pas aimer le personnage qu'elle jouait[355]. Des opinions négatives ont également été exprimées par Boyer et Milestone[p],[359].
La pièceJeanne de Lorraine (1946-1947) et le filmJeanne d'Arc (1948)
Ingrid Bergman (deuxième à partir de la droite) dans la pièceJeanne de Lorraine (1946), qui fut le succès de la saison 1946-1947 àBroadway.
En 1946, elle revient authéâtre à Broadway, jouant le double rôle principal deJeanne d'Arc et deMarie Grey (dans un intermède) dans la pièceJeanne de Lorraine (1946) deMaxwell Anderson[363]. La Pucelle d'Orléans est sa figure historique préférée depuis sa plus tendre enfance et un rôle qu'elle souhaite jouer depuis de nombreuses années. Pour se préparer, elle a étudié tous les documents disponibles à son sujet[363]. Le spectacle, mis en scène parMargo Jones, est présenté pour la première fois le authéâtre Alvin[364],[365],[366]. Elle est accompagnée sur scène parRomney Brent etSam Wanamaker[367]. Les critiques parlent favorablement de sa technique de jeu —Brooks Atkinson duNew York Times, entre autres, la met sur un pied d'égalité avecHelen Hayes etKatharine Cornell, affirmant : « Il n'y a aucun doute que le jeu de Mlle Bergman est superbe. Depuis Lilioma, elle a multiplié ses talents et s'est épanouie ; elle a apporté au théâtre une rare pureté d'esprit [et] une grandeur incomparable... [Elle est] une jeune fille ravissante, fière, gracieuse et dotée d'un sourire exceptionnellement lumineux... Sa prestation est un événement théâtral d'une grande importance ». Une critique duNew Yorker va dans le même sens : « Son jeu est peut-être inégalé dans le théâtre actuel »[368]. L'auteur de la pièce l'a également complimentée[369].
Jeanne de Lorraine est l'un des succès de Broadway de la saison 1946-1947 ; elle est montée 199 fois, huit fois par semaine[370]. Elle ne quitte pas la scène pendant six mois[366]. Le travail théâtral intense, les problèmes conjugaux croissants et l'incertitude quant à son avenir à Hollywood provoquent chez Bergman un état d'anxiété nerveuse[370]. Le rôle de Jeanne d'Arc lui vaut des Drama League et des Tony Awards[371],[372]. On continue également à faire l'éloge de sa prestation dansLa Maison du docteur Edwardes (dont la première projection européenne a été retardée) à laMostra de Venise 1947[371]. Elle reçoit 129 000 dollars pour six mois de représentation de la pièce[367], ce qui fait d'elle l'actrice de théâtre la mieux payée à l'époque[344]. Le magazineNewsweek met sa photo en une avec le commentaire « La reine de Broadway »[344],[373]. Elle refuse un rôle dans la comédieMa femme est un grand homme (1947) deH. C. Potter, pour laquelleLoretta Young remporte une statuette aux Oscars[374],[375].
Victor Fleming, impressionné par la prestation de Bergman dansJeanne de Lorraine, lui confie le rôle principal dans le drame historique biographiqueJeanne d'Arc (1948)[372],[376],[377]. Le film, tourné dans lesstudios de Hal Roach àCulver City, enCalifornie, est problématique ; le budget est de 4[372] à 5 millions de dollars[378],[379]. Au cours de sa production, le film a pris de plus en plus d'ampleur, jusqu'à ce que, selon Spoto, il ne ressemble plus du tout à « l'art brut et simple » d'Anderson[380]. À l'issue des négociations, le cachet de Bergman s'élève à 175 000 dollars, plus une garantie de cinq pour cent des recettes brutes[381]. Le film de Fleming a reçu sept nominations aux Oscars, dont une quatrième pour Bergman en tant que meilleure actrice principale — l'Oscar est finalement accordé àJane Wyman pour son interprétation dans le drameJohnny Belinda deJean Negulesco — remportant la statuette de la meilleure photographie en couleur[382],[383]. Les évaluations de la prestation de Bergman en Jeanne d'Arc sont mitigées ;Bosley Crowther écrit qu'elle n'a pas une « grande qualité spirituelle ».C. A. Lejeune deThe Observer estime que « la Jeanne d'Arc d'Hollywood est un triomphe de la matière sur le mental et l'esprit »[384].
Le dernier projet de Bergman avant son départ pour l'Europe est le mélodrame historiqueLes Amants du Capricorne (1949) d'Alfred Hitchcock — une adaptation à l'écran du roman d'Helen Simpson — réalisé pour Transatlantic Pictures, le studio deSidney Bernstein(en)[385],[386],[387],[388]. Malgré son enthousiasme initial[385], la production pose de nombreux problèmes ; Hitchcock entreprend de filmer pour la deuxième fois (après le filmLa Corde de 1948) de longues séquences de 10 minutes, ce que Bergman n'apprécie pas. De ce fait, les disputes entre le réalisateur et l'actrice sur le plateau sont fréquentes. Lesgrèves des employés du studio et les carences du scénario ont également ralenti la production[389],[390],[391],[392]. Le film a reçu des critiques généralement négatives[393],[394], bien que les critiques aient loué l'interprétation de l'actrice[382]. Plus tard, Hitchcock dira avoir réaliséSous le signe du Capricorne pour « faire plaisir à Ingrid Bergman »[385].
À la fin des années 1940, lassée des nombreuses restrictions imposées par la censure (code Hays), de l'ingérence du gouvernement américain dans les films la mettant en scène, et exprimant son mécontentement quant à la direction artistique qu'elle a prise par erreur (Arc de Triomphe), elle prend contact avecRoberto Rossellini[395]. Ayant visionné deux filmsnéoréalistes qu'il a réalisés,Rome, ville ouverte (1945) etPaïsa (1946), elle lui fait part de son désir de collaborer dans une lettre[395],[396],[397],[398],[399],[400],[401].
« Caro Signor Rossellini, ho visto i suoi film Roma città aperta e Paisà e li ho apprezzati moltissimo. Se ha bisogno di un'attrice svedese che parla inglese molto bene, che non ha dimenticato il suo tedesco, non si fa quasi capire in francese, e in italiano sa dire solo 'ti amo', sono pronta a venire in Italia per lavorare con lei. »
« Cher M. Rossellini, j'ai vu vos filmsRome, ville ouverte etPaïsa, et les ai beaucoup appréciés. Si vous avez besoin d'une actrice suédoise qui parle très bien anglais, qui n'a pas oublié son allemand, qui n'est pas très compréhensible en français, et qui en italien ne sait dire que « ti amo », alors je suis prête à venir faire un film avec vous. »
Ce à quoi le réalisateur italien répond :
« Ho appena ricevuto con grande emozione la sua lettera che è arrivata proprio il giorno del mio compleanno come il regalo più prezioso. In verità sognavo da tempo di fare un film con lei e da questo momento farò tutto il possibile perchè questo sogno diventi realtà al più presto. Le scriverò una lunga lettera per sottoporle le mie idee. Con la mia ammirazione la prego di accettare l'espressione della mia gratitudine insieme ai miei migliori saluti. »
« C’est avec beaucoup d’émotion que je viens de recevoir votre lettre : elle me parvient le jour même de mon anniversaire et en est le plus beau cadeau. Ce qui est sûr, c’est que je rêvais de faire un film avec vous et qu’à partir de maintenant je ferai tout mon possible pour que cela arrive. Je vous écrirai une longue lettre afin de vous soumettre mes idées. De concert avec mon admiration la plus fervente, je vous prie d’agréer l’expression de ma gratitude, ainsi que celle de mes sincères salutations. »
La réputation de Bergman permet à Rossellini d'obtenir un financement américain pour développer le nouveau projet[404],[405]. Le drameStromboli (1950) est produit par le studioRKO, propriété d'Howard Hughes[406],[407],[408],[409],[410]. Selon les termes de l'accord, Bergman et Lindström reçoivent chacun 175 000 dollars[411] (elle avait d'abord essayé de persuaderSamuel Goldwyn de soutenir le projet, mais ces plans ont été contrecarrés par une projection infructueuse du filmAllemagne année zéro de 1948)[412].
Le film est tourné sur l'île de Stromboli enMéditerranée, située dans l'archipel volcanique desîles Éoliennes au sud de laSicile, et le tournage est turbulent ; Rossellini, connu pour travailler plutôt avec des acteurs non professionnels, ne dirige pas Bergman comme elle en a l'habitude à Hollywood. En outre, le tournage a été entravé par les journalistes qui ont afflué en grand nombre sur l'île après que la rumeur d'une liaison entre le réalisateur et l'actrice ne soit rendue publique[413],[414],[415],[416]. L'histoire deStromboli est centrée sur Karin (Bergman), émigréelituanienne. Sous la pression d'une série de difficultés qu'elle rencontre dans sa vie, elle décide de mettre fin à ses jours[417],[418].
Chandler a écrit qu'au moment où Hughes a accepté de financer le film, Hollywood a perdu une actrice, Lindström a perdu sa femme et l'Amérique a perdu une icône de la beauté et de l'innocence[419]. Lorsqu'elle s'envole pour l'Italie pour un tournage, elle commence à être stigmatisée aux États-Unis comme une « salope », considérée comme le symbole d'une vedette déchue, et accusée d'avoir abandonné son mari et sa fille de dix ans. Elle reçoit des dizaines de milliers de lettres de condamnation, notamment deJoseph Breen (directeur administratif ducode Hays, le code de censure américain), du producteurWalter Wanger[420],[421] et d'anciens admirateurs[422] qui la traitent de « pute » et de « salope » et estiment qu'elle devrait être brûlée sur le bûcher. Ils ont souhaité à son nouveau-né une maladie grave et la mort[423].
Outre l'Église luthérienne de Suède, son comportement est condamné dans les églises d'outre-Atlantique (y compris le Conseil fédéral des églises qui condamne la liaison de Bergman et l'Église catholique aux États-Unis qui mène la campagne contre elle), dans les écoles et devant leSénat américain ; à l'initiative de Frank Lunsford, sénateur deGéorgie, un vote est organisé pour interdire la projection de films réalisés par Rossellini et mettant en scène Bergman. 5,5 millions d'Américaines, affiliées à des cercles locaux, votent le boycott des films avec l'actrice[424],[425],[426],[424],[425],[426]. La presse suédoise la qualifie de « tache sur la bannière suédoise », bien que l'un des quotidiens locaux,Expressen, condamne les manifestations d'hypocrisie dans son cas. L'Armée du salut décide de retirer tous les enregistrements où elle figurait, réalisés en 1949 pour des œuvres de charité[427]. À son tour, la presse italienne, y compris celle liée aux milieux catholiques, critique le comportement des médias américains, le qualifiant d'« agression cannibale contre Mlle Bergman »[428]. Des lettres de soutien lui sont envoyées parAlfred Hitchcock,Cary Grant[429],David O. Selznick[430],Ernest Hemingway[431],Gary Cooper,Helen Hayes,Jennifer Jones,John Steinbeck[430],[432] etMarion Davies[428], entre autres.
Selon John Russell Taylor, la stigmatisation massive contre Bergman était due à l'incapacité du public à faire la distinction entre son image à l'écran — souvent décrite comme « sainte », en référence à son interprétation deJeanne d'Arc ou d'une religieuse dansLes Cloches de Sainte-Marie — et son image privée. Son style appartenait sans aucun doute à celle d'une « brave femme », une personne naturelle, saine, sans artifice, qui ne s'embarrasse pas de maquillage, ne se préoccupe pas de ce qu'elle porte, mais qui a toujours l'air éblouissante de toute façon »[433].
Stromboli, un exemple canonique dunéoréalisme italien[434], a été boycotté aux États-Unis et interdit de projection dans de nombreuses villes et États du pays[428]. Il a reçu un certain nombre de critiques négatives, le décrivant comme « faible, vague, peu inspirant et banal au point d'en être douloureux ». Bergman, elle aussi, reçoit de mauvaises critiques pour la première fois de sa carrière ; les critiques l'accusent de jouer sans « profondeur » et d'avoir des expressions faciales « absentes ». Selon Spoto, les critiques se sont surtout concentrés sur sa réputation plutôt que sur son talent[435]. Après la première,Edwin C. Johnson(en),sénateur du Colorado — en plus de condamner publiquement Bergman[436],[437],[426] — demande devant le Sénat que le Département du commerce (DOC) soit habilité à délivrer une licence selon laquelle l'entrée dans le pays serait subordonnée à la moralité d'une personne. Bien qu'il n'ait pas été voté, le projet de loi posait un problème à Bergman, qui n'était pas citoyenne américaine ; son visa n'était plus valable et elle pouvait être arrêtée si elle venait aux États-Unis[438].
Rétrospectivement,Stromboli a été largement réhabilité : il est placé12e parmi les100 films italiens à sauver (« 100 film italiani da salvare ») de 1942 à 1978. En 2012, le sondage des critiques du magazine britanniqueSight and Sound l'a également classé parmi les 250 plus grands films de tous les temps[439]. Pour Dave Kehr dans leNew York Times, il s'agit de « l'une des œuvres pionnières du cinéma européen moderne »[440]. Dans leChicago Reader, le critique Dave Camper estime que « Comme beaucoup de chefs-d'œuvre du cinéma, Stromboli n'est entièrement expliqué que dans une scène finale qui met en harmonie l'état d'esprit du protagoniste et l'imagerie. Cette structure... suggère une croyance dans le pouvoir transformateur de la révélation. Obligée de laisser tomber sa valise (elle-même bien plus modeste que les malles avec lesquelles elle est arrivée) lors de l'ascension du volcan, Karin est dépouillée de son orgueil et réduite — ou élevée — à l'état d'enfant en pleurs, une sorte de premier être humain qui, dépouillé de ses attributs, doit réapprendre à voir et à parler à partir d'une « année zéro » personnelle (pour reprendre le titre d'unautre film de Rossellini) »[441].
Bergman (au centre) dans une scène du filmEurope 51.
Le deuxième projet de Bergman et de son mari est le drameEurope 51 (1952)[442]. Elle y interprète le rôle d'Irène Girard qui, après une tragédie familiale, réévalue sa vie et commence à aider ceux qui sont dans le besoin. Lorsque son mari George (Alexander Knox) apprend qu'elle vient aussi en aide à des repris de justice, il la place dans unhôpital psychiatrique[442],[443],[444],[445]. Pour Franck Viale, « C'est à travers un amour inconditionnel pour tous les êtres humains, à travers un don absolu de soi, qu'Irene, internée, entre en réalité dans un sanctuaire. Incomprise, elle rejoint la cohorte de tous les saints. L'idée de ce film est née en partie de deux anecdotes : sur le tournage desOnze fioretti de Saint-François d'Assise, quelqu'un s'était exclamé disant queSaint-François était fou ; un psychiatre s'était confié à Rossellini en se demandant s'il avait eu raison de considérer comme malade un voleur qui s'était lui-même rendu à la police pour raison morale. Ce poème à la fois grisâtre et lumineux, qui a entre autres pour source d'inspirationSimone Weil, est le gage d'une espérance qui dépasse le pessimisme ordinaire, les conventions moyennes et raisonnables »[446].
Le film a été pratiquement ignoré en dehors de l'Italie, où il a reçu des critiques favorables. Il n'a été projeté aux États-Unis que deux ans plus tard. Le tournage a été de nouveau problématique pour Bergman, à qui Rossellini a imposé d'improviser des dialogues pendant le tournage d'une scène[447]. Le rôle de Girard lui vaut leRuban d'argent de la meilleure actrice. Bien qu'annoncée comme la gagnante de laCoupe Volpi de la meilleure interprétation féminine lors de la cérémonie de clôture de laMostra de Venise 1952, Bergman ne reçut pas le prix parce qu'elle était doublée parLydia Simoneschi dans la version originale du film, et les règlements du festival stipulaient qu'un interprète doublé devait être disqualifié de la compétition[448]. Les règles furent modifiées par la suite et, sous la direction artistique deGillo Pontecorvo, le prix fut décerné à Bergman à titre posthume, et reçu par son fils Robertino Rossellini lors de la cérémonie de clôture de laMostra de Venise 1992[449].
L'accueil décevant réservé àStromboli et ses divergences croissantes avec son mari sur sa méthode de travail sur les films l'amènent à douter du bien-fondé de l'orientation professionnelle qu'elle s'est choisie[450]. Malgré le scandale moral et l'échec commercial deStromboli, des cinéastes hollywoodiens se montrent toujours intéressés par une collaboration avec Bergman ;Sam Spiegel lui propose un rôle aux côtés deMarlon Brando, tandis queWalter Wanger lui envoie des scénarios. Elle est également considérée parGraham Greene comme la candidate idéale pour l'adaptation cinématographique de son romanLa Fin d'une liaison (1951). Toutes les propositions qu'elle reçoit pour participer à d'autres films sont rejetées par Rossellini[451], y compris celles de cinéastes italiens commeFederico Fellini,Franco Zeffirelli,Luchino Visconti etVittorio De Sica[452].
Bergman dans une scène du film à sketchesNous les femmes (1953).
Au cours du second semestre 1953, elle joue son propre rôle dans le film à sketchesNous les femmes (1953), dans un troisième segment intituléIngrid Bergman, réalisé par son mari. Ce sketch comique la met en scène en tant que cultivatrice de roses, en conflit avec le poulet qui picore ses arbustes. Le tournage a eu lieu dans la propriété d'été du couple àSanta Marinella et a impliqué les enfants du couple[453],[454],[455]. En novembre, elle revient au théâtre, jouant à nouveau le rôle de laPucelle d'Orléans dans l'oratorio d'Arthur Honegger sur un livre dePaul Claudel :Jeanne d'Arc au bûcher. Son interprétation se limite à ses propres réflexions sur la vie et le jugement. La première a eu lieu à l'Opéra San Carlo deNaples. Dirigée par Rossellini, la production fut un succès et donna lieu à une tournée européenne qui comptaitPalerme,Milan,Paris,Barcelone,Londres etStockholm, où l'oratorio fut considéré comme l'un des événements de la saison à l'Opéra royal de Stockholm[453],[456],[457].
En dehors de l'Italie, la représentation reçoit des critiques mitigées, bien que le rôle de Bergman soit généralement évalué positivement, sauf à Stockholm, oùStig Ahlgren(sv) duVecko-Journalen se penche sur sa personnalité en termes moqueurs. En réponse, avec l'aide d'Edvin Adolphson, elle prononce depuis la scène un discours émouvant devant le public rassemblé, qui est accueilli par des applaudissements nourris. Malgré cela, l'hôtel où elle logeait reçut une multitude de lettres de harcèlement, ce qui lui causa, comme elle le rappelle, « presque du désespoir » et « de l'angoisse psychique »[458],[459]. En s'inspirant du même oratorio, Rossellini décide de tourner un film biographique,Jeanne au bûcher, en reprenant des éléments de lacomédie musicaleJeanne d'Arc au bûcher, dans lequel elle a de nouveau joué le rôle de l'héroïne nationale de la France[460],[461],[462].
En 1954, le drame de Rossellini,Voyage en Italie, fait son entrée dans les salles de cinéma. Il raconte l'histoire d'un couple d'Anglais en difficulté, les Joyce (Bergman,George Sanders), Ils voyagent en voiture sur les routes en direction de Naples. Alexander vient d'hériter d'une maison à la suite du décès d'un oncle. Le film est d'abord accueilli par une critique acerbe, accusé d'être sans objet et ennuyeux, mais des années plus tard, il est apprécié, y compris par les cofondateurs de laNouvelle Vague française[463],[464], et lesCahiers du cinéma le désignent comme l'un des douze meilleurs films de tous les temps en 1958[465]. Selon Thomson,Voyage en Italie n'est pas « un film aussi convaincant qu'Europe 51, mais il est plus émouvant ». Comme il l'affirme : « Tourné avec une mise en scène précise et de longs plans-séquences,Voyage en Italie ressemble à un roman ou à un essai sur le voyage, et l'influence d'Antonioni est indéniable. C'est comme si, pour la première fois de sa vie, Ingrid Bergman n'était qu'une actrice accessible, une figure familière dans le paysage et non pas une héroïne, une égérie ou un guide. À ce stade presque ultime, Rossellini semble avoir dépassé toute cette mythologie qui voulait qu'Ingrid Bergman fût "magique" »[466].
Le dernier projet de Bergman et Rossellini est le drameLa Peur (1954), coproduction italo-allemande adaptée d'unenouvelle deStefan Zweig. Le film, dont le thème central est le chantage et la confession, n'a pas eu de succès non plus, et les admirateurs du talent de Bergman ont exprimé une certaine déception[467],[468],[469],[470]. Thomson le considère comme « unfilm noir profondément déprimant dans lequel l'ombre ressemble au sang des personnages »[471].
Pour Franck Viale,La Peur est « un exercice de style [...] intimiste, tourné en trente jours en Allemagne. [C'est l'occasion pour Rossellini] de contempler les gestes de son héroïne et de capturer ses sensations. On ne la quitte jamais. [...] Le film, qui aurait pu aussi s’appeler « La Cruauté », a bien la peur pour thématique centrale. Cette peur que nous pouvons lire sur le visage d'Irene est en définitive celle de la volonté. Celui du désir que le monde soit d'une façon plutôt que d'une autre. La peur de perdre, de l'échec, de la mort. Les intérieurs et décors froids sont le signe d'une distance aux choses plus que d'un manque d'amour »[446].
Alors qu'elle est de plus en plus déçue par sa collaboration professionnelle avec Rossellini, elle reçoit des offres pour travailler avec des réalisateurs européens ; d'autres offres viennent d'Hollywood, notamment deGeorge Cukor, qui lui propose un rôle dans une adaptation cinématographique du roman deNathaniel Hawthorne de 1860,Le Faune de marbre, toutes déclinées car Rossellini refuse que sa femme travaille avec d'autres réalisateurs que lui. Des tentatives pour l'impliquer dans les piècesLa Chatte sur un toit brûlant deTennessee Williams ouThé et Sympathie deRobert Anderson ont également échoué[472].
L'utilisation par Rossellini d'une diva hollywoodienne dans ses films typiquementnéoréalistes, dans lesquels il utilise normalement des acteurs non professionnels, a provoqué des réactions négatives dans certains cercles. Rossellini, « défiant les attentes du public [,]... a employé Bergman comme si elle était une non-professionnelle », la privant d'un scénario et des luxes typiques accordés à une vedette (plomberie d'intérieure, par exemple, ou coiffeurs) et forçant Bergman à agir “en s'inspirant de la réalité pendant qu'elle travaillait”, créant ce qu'un critique appelle “un nouveau cinéma d'introspection psychologique” »[473]. Bergman connaissait le style de mise en scène de Rossellini avant le tournage, puisque le réalisateur lui avait déjà écrit pour lui expliquer qu'il travaillait à partir de « quelques idées de base, les développant petit à petit » au fur et à mesure de l'avancement d'un film[474]. Rossellini est alors accusé d'avoir ruiné sa brillante carrière en l'éloignant d'Hollywood, tandis que Bergman est considérée comme l'instigatrice de l'abandon par Rossellini du style esthétique et des préoccupations sociopolitiques du néoréalisme[475].
Si les films de Rossellini avec Bergman n'ont pas été très rentable à leurs sorties, ils ont été très appréciés et remarqués rétrospectivement. Selon Jordan Cronk, leur collaboration a inspiré le début d'une ère cinématographique moderne. Les films de Rossellini à l'époque de Bergman réfléchissent à des questions de psychologie complexe telles que les dépeint Bergman dans des films commeStromboli,Europe 51 etVoyage en Italie[476]. L'influence du partenariat entre Bergman et Rossellini peut être ressentie dans les films deGodard,Fellini etAntonioni et, plus récemment,Abbas Kiarostami etNuri Bilge Ceylan[476].
En 1955, elle accepte la proposition deJean Renoir de jouer dans lacomédie romantiqueElena et les Hommes (1956), dont le scénario a été écrit spécialement pour elle par le réalisateur. Elle y incarne Helena Sokorowska, une aristocrate polonaise vivant à laBelle Époque, qui flirte avec des hommes ambitieux et riches. L'héroïne les aide à atteindre un succès professionnel considérable, puis se désintéresse d'eux et cherche de nouveaux amants, parmi lesquels le général Rollan (Jean Marais) et le jeune comte de Chevincourt (Mel Ferrer)[477],[478],[479],[480].
L'actrice Ingrid Bergman en 1955.
Elena et les Hommes est souvent considéré comme le troisième volet d'une trilogie débutée parLe Carrosse d'or (1953) avecAnna Magnani etFrench Cancan (1955) avecJean Gabin etFrançoise Arnoul[481],[482]. Après l'hommage à lacommedia dell'arte et aucafé-concert dans les deux premiers volets, ce film est consacré authéâtre de Guignol[481]. À propos du film, Renoir a déclaré « En racontant l'histoire d'Elena j'ai parlé de tout ce qui me tient au cœur : de la beauté, de l'amour, des ambitions graves ou frivoles, des élans passionnés de la foule et même de ces défauts délicieux que sont la paresse et l'hypocrisie... »[483]. Le personnage du général Rollan est inspiré du général historiqueGeorges Boulanger. En 1886, Boulanger bénéficiait d'un large soutien populaire en France, malgré la défaite française dans laguerre franco-prussienne, et certains de ses partisans le poussaient à faire un coup d'État, ce qu'il ne fit pas[482]. Son influence créa le mouvement du nom deboulangisme, revanchiste et patriotique. Selon Daniel Serceau, le film « dévoile les ressorts d’une manipulation des masses sous couvert du nationalisme et de la grandeur d’un peuple. Derrière cette façade, il donne à lire les intérêts économiques, politiques, carriéristes et même libidinaux qui cherchent à se satisfaire. Il montre comment les foules adhérent d’autant plus aux discours de meneurs que ces derniers font écho à leur propre désir de puissance »[484]. Mais selon Claude Monnier,Elena et les Hommes « est bien plus qu’une charge satirique sur la volonté de pouvoir : c’est surtout un des films les plus complexes de Renoir, un véritable film-somme où le cinéaste fait la superbe synthèse de ses travaux précédents »[485]. Filmé dans unTechnicolor flamboyant, le récit est plutôt structuré comme un décrescendo : « il commenceallegro (à peine quelques minutes de film et Ingrid Bergman est entraînée, à sa grande joie, dans la foule délirante et les couleurs criardes du 14 juillet), se faitallegretto dans sa partie centrale (les délirants chassés-croisés au château de l’industriel Martin-Michaud, l’exercice militaire pris comme un jeu d’enfant) et s’achève enadagio apaisant (le projet de coup d’Etat du général retombe comme un soufflé et tout le monde s’enlace avec tendresse et soulagement) »[485].
Le film a été tourné auxstudios de Billancourt à Paris. Les prises de vue ont eu lieu dans la ville, notamment àSaint-Cloud et auchâteau d'Ermenonville. Les décors ont été conçus par le directeur artistiqueJean André[486]. Le tournage est réputé difficile[485]. Bergman enregistre ses dialogues en français et en anglais[487]. Le film enregistre 2 116 337 entrées en France[270]. Pour sa sortie aux États-Unis, le film est sévérement coupé et remonté, ce qui en amoindrit considérablement l'écho dans ce pays selonJacques Lourcelles[488].
La nouvelle qu'elle travaillait sans Rossellini ayant été rendue publique par la presse,Kay Brown, qui avait rejoint la société new-yorkaise International Creative Management (ICM), lui propose de jouer dans le drame historiqueAnastasia (1956) d'Anatole Litvak, ce qui lui permettrait de revenir dans lecinéma américain. Litvak reste inflexible sur l'implication de Bergman (malgré le fait que la20th Century Fox, qui, à l'instigation de Brown, a acheté les droits de la pièce écrite parMarcelle Maurette, a reçu des réponses négatives dans un sondage qu'elle a commandé pour connaître l'opinion du public sur l'actrice)[489],[490],[491],[492]. Le rôle est d'abord proposé àJennifer Jones, maisDarryl F. Zanuck, producteur du projet — tout comme Litvak — est favorable à Bergman. Ayant signé un contrat pour participer au film, elle avoue : « J'étais en exil professionnel depuis plus de sept ans, assez longtemps ». Rossellini s'oppose fermement à sa décision, la menaçant à nouveau de se suicider et lui faisant du chantage. Le cachet de Bergman s'élevait à 200 000 dollars[493],[494],[495].
L'intrigue est centrée sur un réfugiérusse blanc, le général Bounin (Yul Brynner), qui rencontre en 1926 dans lacapitale française une jeune femme (Bergman) qui ressemble illusoirement à laprincesse Anastasia, seule représentante de lafamille Romanov. Il décide d'exploiter le fait de la ressemblance de la femme afin d'acquérir une fortune déposée par le tsarNicolas II[496],[497].
Après avoir tournéAnastasia, elle se rend à Paris pour répéterThé et sympathie (mise en scène deJean Mercure), dans laquelle elle a pour partenairesYves Vincent etJean-Loup Philippe. La pièce est un succès et Bergman reçoit des critiques favorables, elle est appelée quinze fois devant le rideau et elle est récompensée par une ovation de trois minutes. Le succès de la pièce fait qu'elle ne quitte pas la scène parisienne pendant neuf mois, jusqu'à l'été 1957|[514],[515],[516],[517]. Son projet cinématographique suivant est la comédie romantiqueIndiscret (1958) deStanley Donen, dans laquelle elle partage l'affiche avecCary Grant. Elle incarne l'actrice Anna Kalman, qui rencontre Philip Adams (Grant), lequel, pour rester célibataire, dit aux amoureuses qu'il rencontre qu'il est déjà marié[518],[519],[520]. Le film réalisé par Donen est un succès, Chandler notant que « [Bergman] est toujours une actrice très regardée qui excelle dans les productions de style hollywoodien »[521]. Dans la même veine, Spoto écrit : « Ses réactions délicates parfaitement adaptées au charme élégant de Grant ont montré au public ses nouveaux talents d'actrice »[522]. LeNew York Times souligne que « Bergman apparaît comme une comédienne des plus charmantes, une professionnelle qui peut prononcer une ligne de dialogue joyeuse et dédaigneuse aussi facilement qu'une déclamation dramatique »[523]. Son interprétation de Kalman lui vaut une nomination auGolden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie[307].
En 1959, elle apparaît dans le rôle d'une gouvernante anonyme dans le premier téléfilm de sa carrière,The Turn of the Screw deJohn Frankenheimer, une adaptation du roman court fantastiqueLe Tour d'écrou deHenry James, produit parNBC. L'épisode faisait partie de lasérie d'anthologieFord Startime. En raison d'une relation conflictuelle avec le réalisateur et d'un manque de temps pour se préparer au rôle, elle n'était pas satisfaite de son travail sur le plateau. Son interprétation lui a valu unPrimetime Emmy pour la meilleure actrice principale dans une mini-série ou un téléfilm[530],[531],[532],[533].Variety a fait l'éloge de la production et a considéré que « la chaleur et l'intensité de l'interprétation de Mlle Bergman » étaient son plus grand atout[534].
Rip Torn et Bergman (au centre) dans le téléfilmTwenty-Four Hours in a Woman's Life (1961).
En 1961, après une pause de deux ans[535], elle joue dans le mélodrame franco-américainAimez-vous Brahms... d'Anatole Litvak, inspiré duroman du même nom deFrançoise Sagan. Elle interprète la décoratrice d'intérieur Paula Tessier, une femme mûre qui trompe son partenaire infidèle Roger (Yves Montand) avec Philip (Anthony Perkins), une douzaine d'années plus jeune qu'elle. Selon Bergman,« [Il y a] une scène très amusante oùAnthony Perkins, complètement saoul, s'approche de la table où je suis installée avecYves Montand. Tous les deux sont parfaits dans leur rôle. Il y a longtemps que je n'avais pas travaillé avec deux acteurs qui me plaisent autant. Ils sont charmants, ils ont chacun beaucoup de personnalité et sont très différents ; on comprend parfaitement que, dans mon rôle de Paula, je puisse les aimer tous les deux… »[536]. Pourtant, Bergman se souvient ensuite qu'elle n'a réussi à s'attacher à aucun des acteurs avec lesquels elle a joué[537],[538],[539].
Le film a été plutôt bien accueilli en France, avec unprix d'interprétation masculine auFestival de Cannes 1961 pourAnthony Perkins, mais aux États-Unis, l'ancienne réputation de Bergman la poursuivait avec ce film qui parlait d'infidélité. Elle témoigne :« Je me souviens, j'allais à San Francisco. […] Je n'avais pas encore passé la douane quand les journalistes qui m'attendaient ont attaqué : « Pourquoi avez-vous fait cet horrible film ? ». Une fois dehors, j'ai demandé : « Quel horrible film ? —Aimez-vous Brahms ?, voyons ! » J'ai expliqué : « C'est adapté d’un roman deFrançoise Sagan, et à Paris, c'est un grand succès. — Mais enfin, c'est un film terrible, affreux. — Qu'est-ce qu'il a d'affreux ? — Vous partagez la vie d'un homme avec qui vous n'êtes pas mariée, et vous prenez un amant assez jeune pour être votre fils. Quelle honte ! Et ensuite, vous retournez avec ce type avec qui vous vivez, qui vous a trompée pendant toutes ces années, et qui est tout prêt à recommencer. Mais qu'est-ce que c'est que ce genre de film ? » Voilà comment réagissaient les journalistes deSan Francisco réputés pour leur cynisme et leur dureté ! En fait, ils reflétaient l'opinion américaine, et auxÉtats-Unis, le film n'a pas connu le moindre succès »[536].
En septembre 1961, elle fait une apparition fugace dans son propre rôle, tout commeClaudia Cardinale[540], dans la comédie françaiseAuguste dePierre Chevalier, d'après lapièce éponyme deRaymond Castans, qui met en vedetteFernand Raynaud,Valérie Lagrange etJean Poiret[541]. Dans la séquence où « Auguste » descend de l'avion qui l'amène auFestival de Cannes,Fernand Raynaud descendait d'un avion réellement arrivé (mais lui n'était monté à la coupée que pour en redescendre sous les caméras). La surprise, pour la production, fut de découvrir qu’Ingrid Bergman était réellement passagère de ce vol. Elle venait au Festival de Cannes. Elle accepta de bonne grâce d'être filmée, à son tour, à sa descente d'avion.
Le cinéaste suédoisGustaf Molander et Bergman (photographiés en 1964).
Au cours de la saison 1962-1963, elle se produit authéâtre Montparnasse à Paris dans le rôle-titre (qui a été interprété auparavant parAlla Nazimova,Eleonora Duse etEva Le Gallienne, entre autres) de la pièceHedda Gabler d'Henrik Ibsen, mise en scène parRaymond Rouleau[547]. Malgré des difficultés initiales avec le texte français, elle reçoit des critiques globalement favorables ; un critique deFrance-Soir remarque sa « fierté comme dans un rêve ; personne n'a jamais joué Ibsen aussi magnifiquement », tandis queLe Figaro loue « cette voix si particulière, une interprétation artistique »[548]. D'autres journalistes français, en revanche, se montrent plus critiques et estiment qu'elle est « trop manifestement gentille pour jouer une méchante »[549]. Leamer écrit que « sa Hedda était légère et invraisemblable, manquant d'énergie, d'audace et de profondeur »[549].
Une version télévisée abrégée de la pièce a été diffusée sur laBBC etCBS en 1963. Bergman avait pour partenairesMichael Redgrave,Ralph Richardson etTrevor Howard[549],[550]. Spoto a écrit qu'en dépit de la version radicalement abrégée, « Ingrid a réussi à transmettre l'élégance vénéneuse d'Hedda et, d'une certaine manière, à modifier son sourire sincère pour montrer une sévérité glaciale »[548]. Les avis sur sa prestation sont partagés[549],[551],[552].
Dans le drame franco-italo-ouest-germano-américainLa Rancune (1964) deBernhard Wicki, d'aprèsFriedrich Dürrenmatt, Bergman a pour partenaireAnthony Quinn[553],[554],[555],[556]. Bergman incarne Claire Zachanassian, une femme très riche qui revient régler ses comptes dans un petit village qui l'avait chassée des années auparavant. Pour les besoins du film, le village fictif de Güllen, situé enEurope centrale, a été construit sur les décors desstudios Cinecittà àRome, tandis que les extérieurs ont été tournés sur place dans la ville deCapranica[557]. Malheureusement, le film est unbide commercial.
C'est en 1960, à la demande de Bergman, queBuddy Adler, directeur de la production de la20th Century Fox, achète les droits de la pièceLa Visite de la vieille dame deFriedrich Dürrenmatt, dont la mort retarde la production jusqu'en 1963. La fin originale du film pose problème : les producteurs ne veulent pas présenter Bergman comme une héroïne capable de soudoyer les habitants de la ville pour qu'ils tuent son ancien amant. Lorsque Quinn a repris les droits et est devenu coproducteur du film, il a accepté de changer la fin et s'est attribué le rôle de Serge Miller (William Holden avait d'abord été pressenti). Des années plus tard, il a soutenu que c'était Bergman qui avait préconisé le changement de fin et son implication en tant que partenaire, ce qui s'est révélé faux[558],[559]
Bergman dans le rôle de Deborah Harford dans la pièceMore Stately Mansions (1967).
De juin 1965 à mars 1966, à l'invitation deMichael Redgrave, elle joue avec succès le rôle de Natalia Petrovna dans une pièce mise en scène par lui,Un mois à la campagne d'Ivan Tourgueniev, jouée àGuildford puis authéâtre de Cambridge(en) dans leWest End deLondres, recevant des critiques majoritairement positives[571],[572],[573]. En raison de lascoliose diagnostiquée chez sa filleIsabella, elle réduit ses activités professionnelles, n'acceptant qu'une seule offre à l'époque : elle apparaît dans une adaptation télévisée de la pièce deJean CocteauLa Voix humaine deTed Kotcheff, unmonodrame joué par une femme. L'ensemble de la production a été réalisé par Schmidt etDavid Susskind. Elle est diffusée pour la première fois aux États-Unis en mai 1967 surABC, marquant les débuts de Bergman à latélévision en couleur[574],[575],[576],[577]. LeNew York Daily News écrit : « [Bergman] a une fois de plus prouvé sa qualité. Délicate et fantaisiste, joyeuse et tragique, son interprétation est tour à tour d'une remarquable virtuosité. Elle a créé de la magie [...] et touché le cœur »[578].
Après la guérison de sa fille, elle envisage de jouer le rôle-titre dansAnna Karénine deLéon Tolstoï, mais décide qu'elle est trop âgée pour cela (parmi les autres personnages qu'elle a envisagés figure Christine Mannon, l'héroïne de la pièce d'Eugene O'Neill,Mourning Befits Elektra)[579],[580]. Avec son interprétation de Deborah Harford dansMore Stately Mansions d'O'Neill (mise en scène deJosé Quintero), elle revient àBroadway après plus de deux décennies. La première a eu lieu en septembre authéâtre Ahmanson(en) deLos Angeles (le conseil d'administration de l'Ahmanson avait initialement choisiJessica Tandy pour le rôle de Harford) et, après six semaines de production en Californie, la pièce est transférée à Broadway. Elle a reçu des critiques largement négatives, la qualifiant notamment de sombre, d'ennuyeuse et de somnolente, certains estimant que Bergman « fait moins ressortir le personnage que ce à quoi on pourrait s'attendre ». Malgré les critiques négatives, la pièce a été ovationnée et le public l'a appréciée[581],[582],[583].
Lacomédie loufoqueFleur de cactus (1969) deGene Saks est son premier film depuisJeanne d'Arc (1948) entièrement tourné aux États-Unis[584]. Elle y interprète Stephanie Dickinson, l'assistante d'un dentiste (Walter Matthau) qui accepte de se faire passer pour sa femme afin qu'il puisse mettre fin à sa relation avec Toni Simmons (Goldie Hawn)[585],[586]. Spoto a parlé positivement de son rôle, écrivant qu'elle « a un flair délicieux pour la comédie, donc quand elle se transforme dansFleur de cactus d'un iceberg apparemment nordique à une maîtresse passionnée, elle est élégante et crédible »[587]. Pour ce film, elle reçoit un salaire de 800 000 dollars[588]. Elle est nommée pour leGolden Globe de la meilleure actrice dans un film musical ou une comédie[307].
En 1970, elle apparaît dans le mélodrameLa Pluie de printemps deGuy Green avecAnthony Quinn etFritz Weaver au générique[589]. Le film se concentre sur le destin d'une femme mariée, Libby Meredith, qui tombe amoureuse de son voisin, Will Cade (Anthony Quinn)[590],[591]. Le film de Green n'a pas été plébiscité par la critique, Bergman n'ayant été complimentée que sur son physique[592],[593].
Elle exprime des opinions négatives sur les changements intervenus dans le système de production cinématographique et sur les histoires destinées à l'écran[593]. « Les films sont stupides, violents, cruels et trop érotiques pour une vieille dame comme moi », affirme-t-elle[594]. Le, une reprise de la comédieLa Conversion du capitaine Brassbound deGeorge Bernard Shaw, mise en scène par Frith Banbury, est jouée pour la première fois authéâtre de Cambridge(en) à Londres, dans laquelle elle interprète Lady Cecily Waynflete. Les critiques sont mitigées, mais l'intérêt du public la maintient sur scène pendant neuf mois[595],[596]. L'année suivante, la pièce est jouée aux États-Unis et au Canada. Le, le sénateurCharles Percy de l'Illinois présente des excuses nationales pour l'injustice dont elle a été victime de la part de Johnson en 1952 ; onze essais sur Bergman sont publiés dans leCongressional Record[597],[598],[599].
Présidence du jury au Festival de Cannes etL'Épouse fidèle (1973) au théâtre Albery
Son projet suivant est le rôle de l'excentrique, riche et âgée Mme Basil E. Frankweiler dans le film familialFrom the Mixed-Up Files of Mrs. Basil E. Frankweiler (1973) deFielder Cook. Elle l'a accepté, se souvient-elle, parce qu'elle y voyait une bonne occasion de se moquer de ce qu'elle pensait être offert aux actrices dans la cinquantaine (« des rôles pour des femmes dans leurs quatre-vingts ans, des vieilles dames desséchées et amères » écrit Spoto)[600].
Bergman dans le rôle de Constance Middleton dans la pièceL'Épouse fidèle (1975).
En septembre, authéâtre Albery(en) de Londres, elle inaugure les représentations deL'Épouse fidèle (The Constant Wife), une comédie deWilliam Somerset Maugham, et est accompagnée sur scène parJohn Gielgud, qui assure la mise en scène. La pièce est un succès critique et le plus grand succès de la saison au théâtre Albery : toutes les représentations sont complètes ;L'Épouse fidèle est jouée dans leWest End pendant huit mois, jusqu'en mai 1974[608],[609]. En, elle découvre une petite bosse dure sous son sein gauche ; après avoir vu un spécialiste, elle refuse de subir unebiopsie dans l'intérêt du succès de la pièce (si elle se retire,L'Épouse fidèle devra également être retirée de la scène)[610],[611],[612].
L'avant-dernière production cinématographique de Bergman est la comédie musicale fantastique franco-américaineNina (1976) deVincente Minnelli, dans laquelle elle incarne la comtesse Lucretia Sanziani, une femme âgée qui donne des conseils de vie à Nina, une jeune fille du village (Liza Minnelli). OutreCharles Boyer, le film met en scèneIsabella Rossellini (dans le rôle de la sœur dePia), qui fait ses débuts au cinéma (Isotta, l'autre fille de Bergman, est assistante maquilleuse et costumière). À sa sortie, le film passe inaperçu. Bergman est payée 25 000 dollars pour sa prestation[627],[628]. En 1977, elle accepte l'invitation du Chichester Festival Theatre et joue dans la pièceWaters of the Moon de N.C. Hunter (mise en scène par Patrick Garland) ; son succès lui vaut d'être jouée auTheatre Royal Haymarket de Londres l'année suivante, entre autres[629],[630].
Sa dernière apparition sur grand écran remonte à 1978, dans le rôle de Charlotte Andergast dans le drame suédoisSonate d'automne d'Ingmar Bergman. Elle a d'abord refusé le rôle, arguant qu'elle ne comprenait pas son personnage. Elle changea d'avis lorsqu'elle se rendit compte que l'intrigue, centrée sur une pianiste de renommée mondiale (Bergman) concentrée sur sa propre carrière et incapable d'établir une relation plus étroite avec sa fille Eva (Liv Ullmann)[631], était une histoire sur elle-même et sa relation difficile avec sa fillePia (Bergman, comme son personnage, était plus concentrée sur le développement de sa carrière cinématographique et a donc négligé les contacts avec sa fille, et le processus de réconciliation entre elles a pris des années). À sa demande, le réalisateur a pris en compte certaines des questions proposées et a modifié la fin, ce qui a laissé la voie ouverte à une réconciliation entre la mère et la fille[632],[633].
Selon Spoto, le rôle d'Andergast était une sorte de remise en question, ainsi qu'une tentative d'avouer et d'alléger la culpabilité qu'elle portait depuis de nombreuses années. Lorsque le film est sorti, il a reçu des critiques élogieuses, notamment qu'elle avait été « élevée » au rang des plus grandes actrices de tous les temps ; un critique a déclaré que « rien de ce qu'elle a fait ne peut être égalé » : « rien de ce qu'elle a fait ne peut être comparé à ce film, son jeu est "parfaitement évocateur" »[634].
Pendant le tournage deSonate d'automne, elle se rend àLondres pour des examens qui révèlent une expansion de soncancer. Après avoir terminé le film, elle se fait retirer un épaississement sous l'aisselle gauche et unetumeur maligne dans lesganglions lymphatiques. Elle a ensuite subi uneradiothérapie. Malgré le traitement, elle a continué à jouer dans la pièceWaters of the Moon de N. C. Hunter, recevant des critiques positives. Il y a eu180 représentations au total[638]. En juin, elle est contrainte de subir une secondemastectomie lorsque les médecins découvrent que le cancer s'estmétastasé dans son sein droit. La radiothérapie la rend de plus en plus malade ; son visage est gonflé par les injections decortisone, et elle souffre également de douleurs au dos et aux épaules (malgré la détérioration de son état de santé, elle ne manque que deux représentations).Waters of the Moon est la dernière pièce de sa carrière[639],[640],[641].
Le, elle est maîtresse de cérémonie lors d'un gala en l'honneur d'Alfred Hitchcock, auquel l'American Film Institute (AFI) décerne un prix pour l'ensemble de sa carrière, àBeverly Hills, en Californie[642],[643],[644],[645]. Huit mois plus tard, elle assiste à un gala du Variety Club organisé en son honneur au profit de l'hôpital pour enfants de Los Angeles[646],[647],[648],[649].
En 1980, Delacorte Press publie les mémoires de Bergman,Ma vie (My Story). Pour le promouvoir, elle rencontre des journalistes, fait des apparitions à la télévision et part en tournée en Europe et aux États-Unis[650],[651],[652].Kay Brown, entre autres, l'a persuadée d'écrire des mémoires ou une autobiographie. Lorsqu'elle accepte, Alan Burgess est engagé pour l'assister. Le travail sur le livre s'est poursuivi pendant la majeure partie de l'année 1976, Bergman retrouvant de vieuxjournaux intimes et ses amis lui envoyant des copies de lettres qu'elle leur avait écrites. Burgess décida que l'ensemble du livre serait écrit à la première personne[653]. Lindström participe au projet — sur l'insistance de Burgess — en faisant don, entre autres, de divers documents. À son initiative, une rencontre entre les anciens époux a eu lieu à Londres[654]. En raison d'un certain nombre d'erreurs factuelles et d'un style chaotique et négligé, le livre est publié avec trois ans de retard[655]. Lindström a été particulièrement affecté par son contenu, arguant qu'il le dépeignait comme un homme malveillant (bien que Bergman lui ait soumis les parties pertinentes du livre pour approbation et qu'elle ait retiré du texte tout ce qu'il avait demandé et, de l'avis des amis du couple, présenté l'histoire de leur rencontre et de leur mariage de manière véridique). La publication de ce livre l'a amené à parler négativement de son ex-femme dans des lettres adressées à des journalistes, des écrivains et des amis. Selon Spoto, son obstination est le résultat d'un amour frustré des années auparavant[656]. Elle a fait une tentative de réconciliation avec son ex-mari en 1979, en lui rendant visite, ainsi qu'à sa femme Agnes, dans leur maison près deSan Diego, en Californie. « Ma réaction fut froide et évasive », se souvient Lindström[657]. Selon la version présentée dans le livre de Leamer, Bergman n'a pas été invitée à San Diego, mais Lindström, craignant d'être stigmatisé par la presse, n'a pas refusé l'occasion de rendre visite à son ex-femme, qui luttait contre la maladie. Comme il l'a souligné, « son voyage à San Diego était principalement pour des raisons publicitaires »[658]. Burgess soutient qu'il a été le principal artisan de la réconciliation des anciens époux[659]. Leamer a affirmé que le ressentiment de Lindström à l'égard de la publication était dû au fait que Burgess n'avait pas inclus son matériel dans le livre, mais s'était rangé du côté de Bergman ; lui et sa fillePia ont exigé que leurs lettres et interviews soient retirées du livre[660]. La forme curieuse du livre a permis à Bergman, selon Burgess, « de dire ce qu'elle voulait dire à la première personne, et à moi, le narrateur, de dire ce qu'elle ne voulait pas dire ou ne pouvait pas dire »[661].
En 1981, à l'instigation du producteur Gene Corman, elle accepte, malgré son refus initial, de jouer dans le drame biographique téléviséUne femme nommée Golda (1982) d'Alan Gibson, incarnant laPremière ministre israélienneGolda Meir. Pour se préparer, elle écoute des enregistrements de sa voix et fait des cassettes de ses propres imitations afin d'abaisser le timbre de sa voix. Après avoir passé une audition (organisée à sa demande, en raison d'une absence de quatre ans des plateaux de cinéma et d'un changement important de son apparence à la suite de sa maladie), elle signe le contrat. Le tournage a lieu notamment àTel Aviv et àJérusalem[662],[663],[664].
Bien que son état de santé se soit progressivement détérioré pendant le tournage (le cancer s'est propagé, elle perd rapidement du poids et des forces, et sa main droite a gonflé après l'ablation de sesganglions lymphatiques lors de lamastectomie, ce qui a provoqué une accumulation delymphe), elle n'a exigé aucune considération particulière ; elle a été ponctuelle sur le plateau tous les jours[665],[666]. Après avoir terminé son travail, elle annonce lors d'une conférence en décembre qu'elle met fin à sa carrière d'actrice à près de 50 ans, motivée par le désir de passer du temps à voyager et avec ses filles et petits-enfants[667].
Elle passe les dernières semaines de 1981 en compagnie de son ancien mari, Lars Schmidt, et de sa famille àChoisel, dans lesYvelines. À son retour à Londres, à l'initiative de Schmidt, Margeret Johnstone est venue vivre avec elle, faisant office d'infirmière personnelle, de compagne et de cuisinière. Lorsque sa santé le lui permet, elle invite des amis à de modestes dîners, va au cinéma et au théâtre, se promène dans les parcs. De février à, elle subit unechimiothérapie intensive à l'hôpital St Thomas de Londres, qui a des effets secondaires indésirables[673],[674]. Lestabloïds britanniques, dont leDaily Express et leDaily Mirror, relatent les combats de Bergman contre sa maladie, et des photographes campent devant sa maison[675]. Le, elle se rend pour la dernière fois àNew York, à une fête célébrant les 30 ans de ses jumellesIsabella etIsotta. En août, accompagnée de Schmidt, elle visite l'île suédoise de Danholmen et sa ville nataleStockholm, où elle retrouve des amis d'enfance[676],[677],[678],[679]. Dans les derniers jours de sa vie, la maladie s'attaque à sa colonne vertébrale ; pour soulager la douleur, elle se fait des injections dediamorphine[680].
Lorsque le médecin qui s'occupe d'elle la visite à son domicile le, il constate que sonpoumon droit a cessé de fonctionner et que, dans son poumon gauche, seul le lobe supérieur ne s'est pasaffaissé[680]. Elle meurt dans la soirée du, lejour de son67e anniversaire[681],[682],[683],[684], des suites d'uncancer du sein qu'elle combattait depuis sept ans[685],[686]. Le lendemain, la nouvelle de sa mort est annoncée à la télévision[687].
Le corps de Bergman est incinéré et les funérailles ont lieu à l'égliseSt Martin-in-the-Fields en octobre. Outre sa famille, 1 200 personnes y assistent, parmi lesquelles des amis, des acteurs et des actrices (dontJohn Gielgud,Joss Ackland,Liv Ullmann,Wendy Hiller) et des admirateurs de son talent. Au cours de la cérémonie, des citations d'Antoine de Saint-Exupéry et deWilliam Shakespeare ont été lues en public,Birgit Nilsson a chanté sur un air deLudwig van Beethoven, une chorale d'enfants a interprété la chansonThe Old Man du filmL'Auberge du sixième bonheur, etAs Time Goes By a été jouée à la flûte (ou au violon)[687],[688]. Une partie des cendres a été dispersée par la famille au cours de l'été 1983 sur les eaux de Danholmen, et une autre partie a été placée dans une urne aucimetière du Nord de Solna, à côté de la tombe de ses parents[689] (certaines sources ont rapporté qu'une urne vide avait été placée dans le cimetière[690]). Dans son testament, elle répartit ses biens, estimés à près de 4 millions de dollars, à parts égales entre ses quatre enfants[635],[672].
Bergman est morte seulement quelques jours après sa compatriote, l'actrice suédoiseUlla Jacobsson, également atteinte d'un cancer, et deux semaines avant une autre actrice de légende,Grace Kelly, dans un accident de voiture.
Bergman parlait cinq langues — le suédois, l'allemand, l'anglais, l'italien et le français — et a joué dans chacune d'entre elles[691], pourtant elle était de naturetimide[r]. Pendant sa formation auThéâtre dramatique royal (1933-1934), elle ne se fait pas d'amis proches. Elle est complexée par sa trop grande taille[693],[694] et son léger surpoids[61]. Ayant reçu unjournal intime de son oncle Gunnar Spångberg à l'âge de 14 ans, elle y note ses pensées et événements importants (elle le conservera jusqu'à ses premières années aux États-Unis)[695]. Elle se caractérise entre autres par sa frugalité — pendant les années de sa collaboration avec Selznick, elle lui donne souvent des conseils pour économiser de l'argent, se dit prête à se passer de l'aide d'une doublure et utilise les services d'une couturière, modifiant ses costumes pour qu'ils puissent être réutilisés —, son assiduité, sa ponctualité, sa conscience professionnelle et sa prévenance. Contrairement à de nombreuses vedettes de cinéma, elle n'abuse pas de ses privilèges[696],[697] ; elle s'étonne de voir des signes de reconnaissance autour de sa personne[698]. Elle a appris la propreté et l'amour de l'ordre et du rangement dès son enfance dans une famille allemande du côté de sa mère, où elle a fait l'expérience de la « discipline allemande »[699] sur elle-même. Dans ses dernières années, en dehors des plateaux de tournage et de la scène, elle était une personne dépendante des autres (elle laissait les questions pratiques entre les mains de ses maris ou de ses amants)[700],[701].
Elle se considère comme une actrice intransigeante qui fait « ce qu'elle est censée faire, et c'est tout »[696]. Parmi ses traits de caractère, Spoto cite également la bravoure, qui, selon lui, fait d'elle une femme résistante face à l'adversité[295], même si, selon ses proches, des événements traumatisants de son enfance, notamment la mort de ses parents et de sa tante Ellen, l'ont amenée à lutter contre sa douleur tout au long de sa vie (John Russell Taylor pense que ces événements ont contribué à faire d'elle « une adolescente renfermée et douloureusement timide »)[702]. Blenda Helena Bergman, l'une des sœurs de son père, se souvient qu'elle a fait preuve d'une grande gentillesse envers les autres dès l'enfance et qu'elle est restée quelqu'un de bien même lorsqu'elle est devenue une femme mûre[703].
Bergman en 1942 en compagnie de deux marins alliés.
Enfant, elle collectionne les livres surJeanne d'Arc, ainsi que les médaillons et les statuettes qui lui sont consacrés[704]. À l'âge de neuf ans, elle se produit devant sa famille en récitant, entre autres, des poèmes de poètes suédois qu'elle a appris à l'école, et interprète différents rôles[705]. En 1925, sur l'insistance de son père (qui souhaite qu'elle deviennechanteuse d'opéra)[702], elle prend des cours particuliers de chant, bien qu'elle n'exprime pas beaucoup d'intérêt pour cette voie[706]. À l'âge adulte, elle aime les longues promenades, la natation et la danse[707]. Depuis son plus jeune âge, elle passe le plus clair de son temps libre à se détendre sur le boulevardStrandvägen dans le centre de Stockholm et, après son déménagement aux États-Unis au début des années 1940, au bord de l'océan ou sur la plage deMalibu et sur les hautes falaises duPalisades Park(en) àSanta Monica, à étudier des scénarios[708]. Elle n'aime pas le manque d'activité et n'a pas de passe-temps dans sa vie d'adulte. Elle passe son temps libre à lire des scénarios ou à apprendre de nouvelles choses, comme l'équitation ou letennis (afin de pouvoir recréer de manière plausible ces activités dans un film, après quoi elle s'en désintéresse)[709].
Ingrid Bergman en 1942.
N'ayant aucun talent culinaire, elle s'en remettait à des aides[710] pour les fêtes qu'elle organisait. Elle avait un faible particulier pour les sucreries, et sa friandise préférée était laglace à la vanille américaine avec une double portion desirop de chocolat et decrème chantilly (elle n'y a renoncé que pour perdre du poids pour son rôle dans un film)[145]. Elle appréciait également la crème glacée sous d'autres formes — sous forme de dessert avec de la crème chantilly et des fruits, avec desbananes et dunappage, et de la crème glacée recouverte d'unglaçage aucaramel chaud — elle pouvait en manger jusqu'à quatre portions par jour[707]. Elle aimait l'alcool et sescocktails préférés comprenaient desmartini gin, des boissons aurhum et deswhiskey sour. Comme l'écrit Spoto, bien qu'elle ait « beaucoup bu tout au long de sa vie », elle était fière et disciplinée, grâce à quoi elle n'avait pas de problèmes deconsommation excessive d'alcool et cela n'affectait pas non plus son travail[711]. Lindström a adopté un point de vue différent, affirmant que la cicatrice sur son sourcil gauche a été causée par une chute alors que, selon lui, elle était « tellement ivre ». Il a également ajouté qu'il avait trouvé une bouteille sous son lit[712]. Elle était une fumeuse compulsive de cigarettes à partir de la seconde moitié des années 1940[712].
Enfant, ses meilleures amies sont Greta Danielsson (la tutrice de son père) — [avec laquelle elle aime passer son temps libre (elles nagent toutes les deux et vont au cinéma)[713],[29] — et Britt, l'une des filles de sa tante Hulda et de son oncle Otto. Ensemble, elles nagent et se promènent dans le centre de Stockholm[714]. Plus tard, elle entretient des relations amicales avec, entre autres, Alfred Hitchcock et sa famille[715],[716],Ann Todd[717], le journaliste suédoisBarbro Alving (sa première mission de reporter consiste à prendre secrètement des photos du mariage de Bergman en 1937)[718],[719],Cary Grant (avec lequel elle n'a jamais été en couple, malgré une rumeur persistante)[720],David O. Selznick[721],Ernest Hemingway[722],Gary Cooper[261],George Seaton et sa femme Phyllis[723],Jean Renoir etDido Freire, sa seconde femme[724],Kay Brown avec laquelle elle a vécu, avec sa fille et sa bonne, pendant une courte période après son arrivée aux États-Unis[725],[726], et Ruth Roberts (qui a d'abord été la tutrice de Bergman aux États-Unis et qui, des années plus tard, est devenue sa compagne lors de ses voyages pour de longs tournages en extérieur)[727].
Bergman avec son premier mariPetter Lindström dans les années 1940.
Elle rencontre son premier mari,Petter Lindström, de huit ans son aîné, en. Il avait obtenu un poste de professeur et dirige uncabinet dentaire et des recherches médicales avancées[729],[730]. En 1934, le couple commence à se fréquenter régulièrement, et Bergman cite les opinions de Lindström sur des sujets tels que l'alimentation ou la santé. Ensemble, ils assistent à des bals et à des promenades le long du port de l'île deDjurgården ou à des randonnées en forêt. Ils appréciaient également les vacances auski et les fêtes entre amis[731],[732],[129]. Bergman se souvient que leur relation n'a pas été uncoup de foudre et que « [Lindström] a mis longtemps avant de se rendre compte qu'il m'aimait »[733]. Le, après deux ans de relation informelle, ils se fiancent dans une église deHambourg, la même église où les parents de Bergman s'étaient mariés[108],[734],[735]. Un an plus tard, le 10 ou 11 juillet, ils se marient. La cérémonie a lieu dans l'église paroissiale deStöde, la ville natale du marié[s][107],[108],[736]. Le couple vit jusqu'à la naissance de leur fillePia (née le 20 septembre 1938)[138],[139],[157].
Les premiers signes de crise conjugale apparaissent après le retour de Bergman des États-Unis, où elle a joué dans le filmIntermezzo (1939). Comme elle l'a affirmé, dès la première séparation, leur mariage « n'a jamais vraiment marché », entravé par les divergences croissantes sur les questions de goût, de tempérament et de sa carrière naissante, grâce à laquelle elle est devenue plus indépendante de son mari, bien que dans les premières années de leur mariage, elle s'en remettait entièrement à lui[737],[738],[739]. Outre la médecine, Lindström participe à la négociation des contrats de sa femme, dont il devient l'agent et l'imprésario ; il lui donne souvent des conseils sur la façon de s'habiller, de perdre du poids, de se comporter et de parler ; il analyse également les propositions de rôles radiophoniques qu'elle reçoit. Sa façon de négocier conduit souvent à des conflits avec les producteurs, dontCharles K. Feldman etDavid O. Selznick[740]. Elle affirme qu'au fil du temps, Lindström commence à lui faire des reproches et que les nombreuses remarques de son mari sur l'exercice quotidien ou le respect strict de son régime alimentaire deviennent lassantes, ce qui la conduit à douter de la force de ses sentiments et à perdre confiance en elle dans ses relations avec les autres, ce qui a un impact sur sa carrière. Cela aboutit à une perte de confiance en Lindström[741],[742] (elle propose le divorce à deux reprises dans les années 1940)[743].
Selon Spoto, dès le début, c'est leur travail qui a déterminé la vie de l'un et de l'autre ; selon lui, le métier d'acteur était une vocation pour Bergman, tout comme la médecine l'était pour Lindström. L'avancement dans leurs carrières respectives et divergentes est selon lui la raison de leur séparation l'un de l'autre[744],[745]. Bergman se souvient que « le sentiment était très fort avant le mariage et quelque temps après le mariage »[100]. Selon Leamer, — même si elle était considérée comme l'épouse et la mère idéale aux États-Unis — elle ressentait la lassitude de la vie conjugale[746]. La procédure dedivorce, largement médiatisée, dure un an et se déroule dans une atmosphère de scandale[t],[750]. Il est complété le àLos Angeles, sans la participation de Bergman[751],[752],[753],[754]. Le tribunal accorde la garde de la fille au père[755]. Dans les années qui suivirent, il tint des propos amers sur son ex-femme, ce qui, de l'avis de leur fille, était le résultat de la blessure et de l'humiliation profonde qu'il avait subies[756]. Elle se souvient qu'en raison de l'attention portée par ses parents au développement de leurs propres carrières, « je n'ai pas de souvenirs marquants de bonheur familial ». Bergman s'attribue l'entière responsabilité de la négligence de ses devoirs maternels, qu'elle explique par sa propre immaturité[757].
Roberto Rossellini et Ingrid Bergman àRome en 1951.
Le deuxième mari de Bergman était le réalisateur italienRoberto Rossellini, qui avait neuf ans de plus qu'elle[758]. Les deux se sont rencontrés pour la première fois le à l'hôtel George-V à Paris, après que l'actrice a exprimé son désir de travailler professionnellement avec lui dans une lettre adressée au réalisateur[759],[760]. Rossellini, outre son mariage raté avecAssia Noris, avait la réputation d'être uncoureur de jupons, et ses nombreuses partenaires féminines comprenaientAnna Magnani,Liliana Castagnola,Marilyn Buferd etRoswita Schmidt[759],[761]. Il était également connu pour sa personnalité difficile et ses fréquentes sautes d'humeur ; craignant que Bergman ne veuille se remettre avec Lindström au début de leur liaison, il les menaça toutes les deux d'écraser sa voiture contre un arbre ou de se tuer avec un revolver[u],[763],[764],[765]. Spoto a conclu que Bergman était censé être la plus longue romance de sa vie, qui n'était pas censée durer éternellement[766]. Leur relation est considérée comme l'un des plus grands scandales duXXe siècle[767].
Bergman en 1963 avec ses trois enfants issus de sa relation avec Rossellini.
La relation entre Bergman et Rossellini suscite l'intérêt des journalistes ; la fille du couple, Isabella, se souvient que lorsqu'elle était jeune, il fallait souvent couvrir les fenêtres de la maison car lespaparazzi qui campaient à l'extérieur suivaient les moindres faits et gestes de sa mère et de son père[783]. Selon Spoto, le second mariage de Bergman ressemble à bien des égards à la relation avec Lindström ; outre son refus de travailler avec d'autres réalisateurs, Rossellini fait preuve d'une jalousie excessive — motivée, entre autres, par la possibilité d'une reprise de la carrière de sa femme une fois qu'elle a cessé de jouer dans les productions qu'il dirige — et d'un désir de contrôle total sur Bergman (il lui interdit, entre autres, de rencontrer sa fillePia Lindström). Il avait des accès d'agressivité ; lors d'un accès de colère, il a jeté Bergman, qui essayait de l'étreindre et de le calmer, contre un mur — comme elle l'a rappelé : « Même en s'approchant de lui, on risquait sa vie ». Il lui arrive également de la gifler. Il était connu pour son mode de vie prodigue et désorganisé ; il n'accordait que peu d'attention aux finances, ce qui a entraîné des difficultés dans le mariage, et les agents de recouvrement réquisitionnaient souvent les meubles pour couvrir les dettes. Il organisait des fêtes somptueuses et possédait plusieurs voitures de course coûteuses, ce qui était à l'opposé de la méthodique et ordonnée Bergman. Selon des amis journalistes, elle était dominée par son mari à tel point qu'elle devenait totalement soumise en sa présence et avait peur de dire ce qu'elle pensait. Bien qu'on lui ait conseillé de demander le divorce, elle a rejeté cette possibilité, de peur que le tribunal n'accorde la garde des enfants au père. Il parlait avec dédain de leur vie intime et qualifie Bergman de « femme sans passion ». En retour, elle lui reprochait de ruiner sa carrière cinématographique[784],[785],[786],[787].
Lorsqu'elle revient au cinéma américain avec le rôle principal d'Anastasia (1956), Rossellini, ne pouvant l'accepter, exige une séparation et emmène ses trois enfants en Italie[788]. EnInde pour son travail, il entame une liaison avec la scénariste Sonali Das Gupta, âgée de 27 ans, mariée et mère de deux enfants, qui tombe bientôt enceinte de lui[789],[790],[791],[792]. Le, ils signent un accord de séparation à Rome, et Bergman obtient dans un premier temps la garde des enfants. La même année, leur mariage est annulé[793],[794].
Rossellini avait entre-temps menacé Bergman de la considérer comme une femme inapte à être mère et de lui retirer son droit de garde si elle décidait de se remarier. Pour dissoudre leur mariage, l'avocat de Bergman s'est appuyé sur le fait que, étant citoyenne suédoise, elle n'avait pas enregistré son divorce par procuration en Suède, avant son mariage (également par procuration) avec Rossellini, de sorte que — selon la loi italienne — elle était toujours l'épouse de Lindström au moment du second mariage (en 1950, lorsqu'elle a contracté le mariage par procuration, la Suède ne la reconnaissait pas une ressortissante. Ce n'est qu'en 1958 qu'elle sa nationalité suédoise lui a été rendue)[795]. Lorsque Rossellini a appris qu'elle se remarierait, il a tenu sa promesse et a obtenu devant le tribunal le droit à la garde exclusive de leurs trois enfants. Bergman se résigne au verdict, ne voulant pas leur faire subir les attaques vicieuses dans les médias que sa fillePia, issue de son premier mariage, subissait[796]. Dans son journal, elle écrit que l'une des raisons pour lesquelles elle a laissé tomber la bataille pour la garde des enfants est qu'elle a secrètement emmené les enfants d'Italie enNorvège avant qu'ils ne rejoignent Rossellini, et qu'elle leur a obtenu des papiers là-bas (grâce à ses relations au consulat suédois). Jugeant son comportement indigne après un certain temps, elle a abandonné la poursuite du litige et après une bataille de deux ans, les enfants ont été rendus à leur père[797]. Selon Leamer, la bataille judiciaire pour lapension alimentaire et la garde des enfants a duré trois ans ; Rossellini a accusé Bergman d'êtrebigame, elle l'a à son tour accusé de la tromper avec Gupta (les avocats de l'actrice ont déposé une lettre au tribunal dans laquelle Rossellini admettait la liaison). L'affaire s'achève en, avec une décision de justice accordant à chaque parent la garde des trois enfants (en alternance pendant une année civile). Bergman accorde alors la garde totale à son ex-mari, limitant ses droits parentaux à des visites de vacances et autres. Un journaliste a rappelé que Bergman lui aurait avoué qu'elle n'était pas une bonne mère parce qu'elle « se souciait plus d'être inscrite sur sa tombe en tant qu'actrice qu'en tant qu'épouse ou mère »[798]. Rossellini et Bergman sont ensuite restés en bons termes, gardant une relation amicale[799],[800],[801].
Son troisième mari était le producteur de théâtre et impresarioLars Schmidt. Ils se sont rencontrés en 1957 par l'intermédiaire deKay Brown, alors qu'ils vivaient tous deux à Paris. Ils ont rapidement fait connaissance et ont commencé à passer du temps libre ensemble, notamment sur la petite île de Danholmen au large de la Suède, propriété de Schmidt[802],[803],[804],[805]. Ils se marient en présence de quelques amis au bureau d'enregistrement deCaxton Hall à Londres le, puis, après un déjeuner à l'hôtel Connaught, ils partent pourChoisel, dans lesYvelines à l'ouest deParis, où ils s'installent. En raison de leurs trois enfants issus de leur mariage avec Rossellini, ils louent un appartementavenue Vélasquez (selon Leamer, les enfants vivaient avec une domestique dans un appartement loué par Bergman à l'hôtel Raphael) pour faciliter leur trajet vers l'école italienne (que, par décision de justice, ils fréquentent)[806],[807],[808],[809].
Les emplois du temps chargés et les nombreuses responsabilités professionnelles des deux époux ont conduit aux premiers signes d'une rupture dans la relation au milieu des années 1960. « Nous étions séparés par nos vies professionnelles, qui nous conduisaient dans différents endroits du monde. Et même si nous faisions tous les efforts possibles pour rester en contact étroit, il y avait de longues périodes où nous étions seuls », se souvient Schmidt. Bergman, quant à elle, admettait que même s'ils étaient mariés depuis dix ans, « ce n'était pas vraiment une vie de couple »[810]. Leamer estime que leur maison de Choisel « était plus un cadre pour les fêtes, les séances photos et les visites occasionnelles des enfants qu'une véritable demeure »[811]. La solitude découlant d'une séparation excessive d'avec Bergman a conduit Schmidt à commencer une liaison avec une femme plus jeune en 1970, mais Bergman a voulu éviter le divorce ; elle a tenté pendant huit mois de sauver la relation[812].
En 1976, ils divorcent discrètement, sans prévenir aucun de leurs amis. Bergman invoque sa carrière, qu'elle fait passer en premier, comme raison principale. Malgré la séparation, Schmidt accompagne son ex-femme jusqu'à la fin de sa vie, dans tous les moments de fête et dans toutes les situations difficiles pour elle. Il l'aide également dans les affaires importantes[813]. Ils entretiennent une relation amicale[814]. Dans les dernières années de sa vie, elle réside dans le quartier londonien deChelsea, au 9 Cheyne Gardens[636],[815],[816].
Selon Taylor, tout au long de sa vie, elle a été attirée par des hommes plus âgés et puissants (le genre qui pourrait remplacer son père bien-aimé, qu'elle a perdu prématurément alors qu'elle était enfant)[700]. Joseph Henry Steele, son publicitaire et ami de longue date, a décrit Bergman comme « une femme forte à la recherche d'un homme plus fort »[700].
Elle connaît son premiercoup de foudre au printemps 1934, lorsqu'elle apparaît aux côtés d'Edvin Adolphson dans la pièceLes Rivaux. L'acteur, âgé de 41 ans, est mari et père de famille. Selon Spoto, le couple a été réuni par une « passade fugace », Bergman ayant pris au sérieux le fait qu'Adolphson était marié et jouissait d'une grande réputation. Il la fait jouer dans la comédieLe Conte du pont au moine (1935), qu'il coréalise. Ils partagent une amitié chaleureuse qui dure jusqu'à sa mort en 1979[817]. En 1935, elle réalise un rêve en partageant l'affiche avecGösta Ekman dans le filmSwedenhielms. Comme elle l'a admis, « j'avais un peu le béguin pour lui. Peut-être même plus qu'un peu [...] Mais cela ne s'est pas produit. Il était beaucoup plus âgé que moi »[818]. Spoto en déduit qu'Ekman, comme Adolphson, était son prochain père-mentor, pour lequel elle aurait pu avoir des sentiments et en qui elle aurait pu avoir confiance. Selon lui, leur relation avait le caractère d'unerelation platonique[819].
En 1941, avant la sortie du film d'épouvanteDocteur Jekyll et M. Hyde, de nombreuses spéculations sont apparues sur la liaison de Bergman avec son partenaireSpencer Tracy. Cette version a été démentie par toutes les personnes impliquées dans la production, y compris Billy Grady, représentant du studioMGM, qui a rappelé que, bien que Tracy ait eu de l'affection pour Bergman, « il était aussi très discret et savait qu'il ne pouvait pas avoir cette fille en particulier. Il a donc opté pour une relation professionnelle sympathique ». Tracy a maintenu que la seule chose qu'il avait faite avec l'actrice était d'aller manger deshamburgers ensemble dans un restaurant deBeverly Hills[820]. Sur le tournage du film susmentionné, Bergman, âgée de 25 ans, a développé un béguin pour le réalisateurVictor Fleming, âgé de 58 ans, qui a commencé à l'appeler « ange », ce qu'elle a pris comme une déclaration d'amour[820]. Ils restent amis jusqu'à ce qu'ils travaillent à nouveau ensemble sur Jeanne d'Arc (1948)[821].
Une autre relation intime — attribuée à Bergman après sa mort — serait une histoire d'amour avecGary Cooper, qui a duré de 1942 à 1943 et a été initiée pendant le tournage du mélodrame de guerrePour qui sonne le glas (1943)[822]. Elle ne tarit pas d'éloges sur les qualités d'acteur de son partenaire de tournage, qui a connu par le passé de nombreuses histoires d'amour tumultueuses, notamment avecClara Bow,Marlene Dietrich etLupe Vélez[823]. Tant les personnes travaillant sur le film que les acteurs jouant les rôles principaux n'ont jamais confirmé publiquement leur relation. Selon Spoto, l'attribution d'une liaison aux deux acteurs est le fruit de ragots hollywoodiens, bien qu'il n'exclue pas la possibilité que « les deux personnes aient trouvé une certaine chaleur et un certain réconfort dans leur proximité », en raison, entre autres, de problèmes conjugaux (Bergman à l'époque ne trouvait pas d'amitié et de compréhension auprès de son premier mari)[824]. Selon l'auteur, « ils étaient des amants non pas de la chair, mais de l'esprit »[825]. Leur liaison se poursuivra également pendant le tournage deL'Intrigante de Saratoga (1945). « De toute ma vie, je n'ai jamais eu de femme aussi amoureuse de moi qu'Ingrid », se souvient Cooper[826].
Robert Capa, photographié en 1954, l'année de sa mort.
Gregory Peck, son partenaire à l'écran dans le filmLa Maison du docteur Edwardes (1945), a admis dans une interview accordée en 1987 au magazinePeople que « Tout ce que je peux dire, c'est que je l'aimais vraiment et je pense que c'est la raison pour laquelle je devais arrêter... J'étais jeune. Elle était jeune. Nous étions impliqués dans un travail intense et étroit pendant des semaines »[827]. La romance entre les deux a été confirmée par un costumier travaillant sur le film, soutenant qu'un jour de tournage « Ingrid et Peck sont arrivés en retard, tout ébouriffés », ce qui allait provoquer « beaucoup de spéculations »[828].
Elle a rencontréRobert Capa en 1945 à l'hôtel Ritz à Paris lors d'une tournée pour lesAlliés stationnés en Europe. Pendant six semaines, ils passent leur temps à se promener, à manger et à parler d'art. Leur histoire d'amour discrète a duré, en dilettante, pendant deux ans. Lorsqu'elle poursuit sa tournée en Allemagne, elle entame une brève liaison avecLarry Adler (qui est marié), qui se produit avec elle. Après avoir mis fin à leur relation intime, ils restent des amis proches (selon certaines sources, leur relation s'est poursuivie après leur retour aux États-Unis ; Adler soutient que leur liaison s'est poursuivie, avec moins d'intensité, jusqu'en 1949). Lorsque Capa arrive à son tour à Berlin, ils reprennent leur liaison. La crise de son mariage avec Lindström signifie que Bergman est prête à quitter son mari et à se lier avec Capa, qui est sceptique quant à ses projets, principalement en raison de l'incertitude quant à son avenir[829],[830],[831],[832]. Sur l'insistance de Bergman, il vient à Hollywood, où (grâce à son parrainage) il obtient un emploi de photographe publicitaire sur le tournage des filmsLes Enchaînés (1946) etArc de Triomphe (1948). Ils se rencontrent notamment dans la maison d'été d'Irwin Shaw à Los Angeles et à New York. Outre son amant, Capa est aussi un compagnon et un mentor pour elle ; elle lit les livres qu'il lui recommande et regarde les pièces de théâtre qu'il a choisies. Sur sa suggestion, elle visionne le film de RosselliniRome, ville ouverte (1945)[833],[834],[835].
La réticence de Bergman à abandonner sa carrière et le refus de Capa de s'engager dans une relation plus sérieuse (il préférait travailler comme photographe et voyager à travers le monde) ont contribué à la fin de leur relation[836],[837]. Pour Leamer, le principal obstacle à une relation permanente est la vie instable de Capa, qui lutte entre autres contre l'alcoolisme et ladépendance au jeu, ainsi que ses problèmes financiers[838]. Leur romance a inspiré la relation des personnages interprétés parJames Stewart etGrace Kelly dans le filmFenêtre sur cour (1954) d'Alfred Hitchcock[839]. En 1980, elle avoue dans ses mémoires avoir eu une liaison avec Capa[840],[841].
Avant le début de la production deJeanne d'Arc (1948), elle a une liaison avec Fleming en 1947 (elle est révélée après que l'épouse du réalisateur en a informé Lindström)[842]. À la fin des années 1950, alors que son mariage avec Rossellini touche à sa fin, elle se rapproche deRobert Anderson, auteur de la pièceThé et Sympathie, dans laquelle elle joue. En raison de leurs projets professionnels respectifs, à l'initiative de Bergman, ils sont restés dans une amitié durable et cordiale[843],[844]. Dans ses mémoires,Anthony Quinn — son partenaire dans les filmsLa Rancune (1964) etLa Pluie de printemps (1970) — « incapable de s'abstenir de suggestions malicieuses » (comme l'écrit David Smit), suggère qu'il a partagé non seulement une relation intime avec Bergman, mais aussi avec sa fillePia lorsqu'elle est devenue majeure[827].
À la fin des années 1970, son partenaire estJohn Van Eyssen. « Bien sûr que je l'aimais. Nous avions une relation formidable. Nous avons beaucoup ri. Je la considérais comme une personne merveilleuse, merveilleuse », se souvient-il[845].
Au cours de sa formation d'un an auThéâtre dramatique royal, elle accorde une grande attention à l'utilisation de sa voix (en particulier à l'intonation correcte, à l'apprentissage de la respiration, à la modulation de sa voix et à la prononciation appropriée pour chaque mot afin de ne pas mettre l'accent sur les moins importants), à sa gestuelle et à l'écoute des autres[356],[846].
Dès le début de sa carrière, le style de jeu de Bergman se caractérise par des variations d'humeur expressives et une énergie sans fioritures. En conséquence, selon Spoto, les spectateurs des films dans lesquels elle joue ont invariablement l'impression que les réactions extérieures du personnage qu'elle incarne sont déclenchées par des ressentis internes authentiques, et sont donc caractérisées par un haut degré de réalisme[71]. Selon le réalisateurGustaf Molander, les qualités fondamentales de l'œuvre de Bergman sont « la vérité, le naturel et l'imagination », ajoutant qu'« elle se déplace toujours avec une grâce et un aplomb merveilleux »[101],[847]. Lawrence J. Quirk estime que pendant son séjour chez Molander, elle « a révélé [ses] capacités d'actrice et de projection de la personnalité en constante évolution »[80].
Spoto a souligné que, malgré le passage des décennies, son jeu conserve une grande liberté, ce qui est la clef des œuvres cinématographiques où elle est apparue au fil des ans. Analysant la filmographie de Bergman, il a avancé la thèse qu'elle n'avait pas de technique de jeu rigidement développée, et que sa préparation n'était accompagnée d'aucune approche intellectuelle ou analyse critique ; elle n'a d'ailleurs jamais participé à des réflexions érudites ou prétentieuses sur la psychologie de l'acteur[101]. De son propre aveu, elle connaît très peu de choses sur le jeu d'acteur et se fie principalement à son instinct. Par ailleurs, elle place la simplicité et l'honnêteté au-dessus de tout, ce qui, selon elle, plaît aux gens[848] : « Je n'ai pas lu beaucoup de ces livres sur le métier d'acteur. Je pense instinctivement et la première fois que je lis un scénario, je sais exactement ce que sera le rôle de femme. C'est pourquoi je rejette beaucoup de propositions que je ne comprends pas. Je dois comprendre complètement le personnage, c'est-à-dire qu'il doit y avoir quelque chose en moi qui soit cette personne, et je le ressens alors immédiatement. C'est plus un sentiment qu'une technique »[849].
Selon Spoto, c'est parce qu'elle a toujours abordé son rôle de manière simple et naturelle, en étudiant le scénario jusqu'à ce qu'elle comprenne son personnage. Les conseils et les discussions qu'elle avait avec les réalisateurs et les autres acteurs impliqués dans un projet donné étaient également importants ; pour le biographe, la grandeur de son interprétation ne provenait pas d'une analyse académique ou d'une recherche psychologique, mais du don rare qu'elle possédait : une imagination créative et la capacité d'empathie avec un rôle[101]. Elle a elle-même affirmé qu'elle aimait surtout créer des personnages à la vie compliquée, et parfois anormale — « des personnes influencées par des circonstances inhabituelles, élevées dans un environnement inhabituel »[356]. Funing Tang, de l'université de Miami, a écrit que « même un moment de réticence, un bref regard ou même un mouvement des yeux peut changer la direction d'un film et lui donner, ainsi qu'à son personnage, unsuspense, une ambiguïté et un mystère qui sont enracinés dans ses qualités uniques »[850].
Bergman est considérée comme unevedette internationale du cinéma, l'une des plus grandes et des plus éminentes actrices de l'histoire du cinéma américain[851],[852] et mondial[853], ainsi qu'une icône duglamour hollywoodien[852] et unsex-symbol[854] (un éditorial du quotidienPM(en) a écrit qu'elle était, pour les journalistes, l'une des plus belles femmes du monde)[855]. LeNew York Post la qualifie de « Greta Garbo des années 1940 »[856] et leReader's Digest la considère comme « la première dame d'Hollywood »[857]. J.Y. Smith écrit dans leWashington Post que sa « beauté innocente mais provocante a fait d'elle l'une des plus grandes stars de la scène et de l'écran »[858]. John Russell Taylor la caractérise quant à lui comme « l'une des femmes les plus belles et les plus désirables du monde »[859].
Buste de Bergman àFjällbacka en 2012, situé sur la place qui porte son nom.
Curtis F. Brown a écrit que « Bergman incarne les qualités les plus humaines, les plus provocantes et les plus chères que nous associons généralement aux femmes dans ce qu'elles ont de plus féminin ; une force innée qui surmonte une vulnérabilité passagère, et une beauté sans faille qui évoque chez les hommes comme chez les femmes la fierté de la dignité humaine »[860]. L'historien David Thomson estime qu'elle « s'est toujours efforcée d'être une "vraie" femme », ajoutant : « Il fut un temps, au début et au milieu des années 1940, où Bergman jouissait d'un amour en Amérique qui n'a presque jamais été égalé. À son tour, la force de cette affection a ravivé le 'scandale' lorsque, au lieu d'une sainte, elle s'est comportée comme une actrice impulsive et ambitieuse »[861].Ingmar Bergman a ouvertement admis être fasciné par son visage ; il appréciait particulièrement le visage, le teint, les yeux et les lèvres de l'actrice, et selon lui, son rayonnement avait un grand attrait érotique[862],[863]. Joseph Cotten se souvient que « Mlle Bergman était l'une de ces personnes talentueuses qui apparaissent de temps à autre. Je me considère privilégié d'avoir pu travailler avec elle surHantise [1944] etLes Amants du Capricorne [1949]. Elle a certainement marqué à jamais l'histoire du cinéma et on se souviendra d'elle de notre vivant comme d'une amie personnelle et d'une grande actrice »[864]. Le biographe Laurence Leamer a affirmé qu'elle présentait « une féminité à la fois sensuelle et innocente, un sourire aussi chaleureux qu'un foyer d'hiver et une beauté fraîche et laiteuse qui était sur son visage comme la rosée du matin - une qualité magique que la caméra magnifiait et mettait en valeur »[865],[866].Liv Ullmann a déclaré qu'« elle m'a beaucoup appris sur le métier d'actrice et encore plus sur le fait d'être une femme »[867], etOmar Sharif a comparé le moment où il l'a vue pour la première fois à « un moment de beauté religieuse »[866]. Elle inspiraWoody Guthrie (1912-1967), qui écrivit une chanson en son honneur après avoir vu le filmStromboli (1950)[868]. Celle-ci était restée à l'état de texte, jusqu'à ce queBilly Bragg la mette en musique[869].
Ilsa Lund, qu'elle a incarnée dansCasablanca (1942), a inspiré le personnage d'Ilsa Faust (joué parRebecca Ferguson) dans les films de la sérieMission impossible[884]. L'Université Wesleyenne, située àMiddletown, dans leConnecticut, abrite la « Collection Ingrid Bergman », qui comprend un album de coupures de presse, des dossiers financiers et juridiques, des photos, des costumes, des récompenses, des souvenirs, des portraits, des scripts et des photographies[885]. Un bâtiment historique de cinq étages dans la ville française deChoisel — qui a servi de mairie et d'école dans le passé — a été baptisé « L'Espace Ingrid Bergman » (EIB)[886]. En 2020, lesservices postaux américain (USPS) etsuédois ont émis conjointement un timbre à l'effigie de Bergman en hommage à sa carrière[887].
↑Pendant son séjour aux États-Unis, Bergman travaille comme décorateur dans un groupe d'hôtels nouvellement créés[8]. À l'instigation de son professeur de chant Karl Nygren, il prend des cours particuliers de peinture et de chant d'octobre 1903 à mars 1906. Il dirige ensuite une chorale avec laquelle il effectue des tournées dans plusieurs villes américaines[11].
↑Elle est venue rendre visite à ses parents à Stockholm. Adler est impressionnée par les tableaux de Bergman. Elle lui rend souvent visite dans le parc et l'observe peindre. Très vite, le couple tombe amoureux l'un de l'autre[12]
↑En 1908, moins d'un an après le mariage de Bergman et Adler, leur première fille meurt peu après sa naissance. Quatre ans plus tard, une semaine après la naissance, le deuxième enfant du couple décède[5],[16],[18]
↑Lorsque Bergman était un peu plus âgée, son père lui a montré un film où la future actrice pouvait voir sa mère. « Mon premier réflexe a été de ressentir de la tristesse en la voyant si pleine de vie. Puis j'ai été heureuse. Ma vie s'est enrichie d'une image précieuse », se souvient-elle. Lorsqu'elle arrive aux États-Unis quelques années plus tard,David O. Selznick confie le film susmentionné à des techniciens pour qu'ils le restaurent, ce qui permet à Bergman d'y revenir encore et encore[23]. Avant son mariage avec Lindström, elle a trouvé des lettres écrites par sa mère à Bergman dans la maison de sa tante Ellen avant leur mariage[24].
↑Elle a récité de mémoire le monologue deMotłoch et deGreen Elevator, et a été capable de jouer certaines scènes de ces pièces avec beaucoup de réalisme et d'engagement[42]
↑Après la mort de Bergman, sa succession a été estimée à un demi-million decouronnes suédoises (100 000 dollars au taux de change de 1997). Un quart de cette somme a été garanti par des titres d'une société dont le père de l'actrice était directeur, et laissé en fiducie pour la fille de Bergman[48].
↑Selon le catalogue du certificat d'études secondaires de 1933 qui a été conservé, Bergman a obtenu des A en manières, diligence, attention et organisation, des A en histoire de l'Église, en langue et littérature suédoises, des B+ en allemand, en histoire, en histoire de l'art et en géographie, et des B en mathématiques, physique, chimie, entretien ménager, santé, couture, dessin, chant et gymnastique[58].
↑Elle a recueilli 15 208 voix, contre 10 949 pour Garbo. Les actions de Garbo, après son départ pour Hollywood, ont perdu de la valeur année après année en Suède[89].
↑Lindström n'a pas pu accompagner Bergman et sa fille aux États-Unis en 1940 parce qu'il s'est porté volontaire pour servir plusieurs mois dans l'armée suédoise en tant quecadreur ; ses tâches consistaient notamment à superviser la production de courts métrages sur les progrès de la chirurgie buccale[174].
↑Pendant les représentations, Bergman attrape unrhume et contracte une fortefièvre. Le, elle est transportée à l'hôpital deSeattle, dans l'État de Washington, où on lui diagnostique unepneumonie bilatérale. Elle est transportée àLos Angeles. Après un mois de repos — sous les soins de Lindström et de son médecin personnel — elle se rétablit sans complications[290].
↑Pendant le tournage de Bewitched (1945), Hitchcock a manifesté un engouement pour Bergman qui s'est transformé en une affection non partagée. Spoto a écrit qu'elle le considérait comme un mentor, un ami et qu'elle avait du respect pour son talent. « Pendant quatre ans, leur travail commun a donc été non seulement une grande joie pour Hitchcock, mais aussi une douloureuse affliction »[314].
↑Elle est également invitée à toutes sortes d'événements officiels. Le, à l'invitation de la Jeunesse américaine pour la démocratie (AYD, héritiers de laLigue des jeunes communistes), elle remet une médaille au lieutenant Edwina Todd, une infirmière américaine travaillant auxPhilippines. Sont également présents à la cérémonie le procureur général de CalifornieArtie Shaw,Barney Ross,Dorothy Parker etFrank Sinatra[341], entre autres. Gerald L. K. Smith, un antisémite convaincu, demande en vain auComité parlementaire sur les activités antiaméricaines (HUAC) d'enquêter sur la vie et les activités de nombreux acteurs de l'industrie cinématographique, dont Bergman[342].
↑Entre 1939 et 1946, le revenu brut de Bergman s'élève à plus de 750 000 dollars (avecIrene Dunne, elle est ainsi l'une des actrices les mieux payées d'Hollywood). Bien qu'elle soit enregistrée comme étrangère ayant le droit de travailler, elle paie quatre-vingt-dix pour cent d'impôts sur les revenus qu'elle perçoit, de sorte que son revenu net fluctue autour de 20 000 dollars par an[362].
↑Le contrat avec la20th Century Fox prévoit la possibilité de faire des apparitions publiques pour promouvoir le film. Bergman arrive aux États-Unis le. Elle est accueillie à l'aéroport Idlewild de New York par une foule de journalistes et d'admirateurs. Outre laconférence de presse, elle assiste à la représentation de la pièceMy Fair Lady (où elle est ovationnée) et accepte unprix Crawford décerné par le magazineLook[503],[504].
↑Pendant sa scolarité, elle présente des symptômes d'allergie dus à une grande timidité ; ses doigts, ses lèvres et ses paupières se mettent à gonfler. Le traitement à l'hôpital n'a pas apporté l'amélioration attendue[692].
↑Pour éviter l'attention des médias, seuls les amis et les parents sont invités à la cérémonie ; lorsqu'une personne locale alerte les photojournalistes, les photos du mariage circulent dans le monde entier, et la nouvelle des noces est rapportée aussi largement en Europe que le mariage d'Édouard VIII et deWallis Simpson[107].
↑Bergman, désireuse de mener le divorce à distance et d'une manière aussi amicale que possible, engage l'avocat Monroe MacDonald. Elle lui remet une déclaration décrivant les raisons de la rupture (elle juge que Lindström a géré sa vie et sa carrière de manière trop inflexible). MacDonald, convaincu que le public et la presse américains se rangeront du côté de l'actrice, remet la lettre confidentielle à un journaliste, après quoi son contenu apparaît dans les pages de centaines de journaux américains. L'avocat a également contactéLouella Parsons, révélant ses conversations conjugales privées. Lindström, agité par la médiatisation de l'affaire et offensé par les accusations portées contre lui, demande, par l'intermédiaire de ses avocats, que les contacts de l'actrice avec sa fille soient limités aux seuls États-Unis et qu'elle reçoive un tiers de la valeur de la vente de leur maison deBeverly Hills. Il monte également sa fille contre elle (selon Leamer, il refuse seulement que l'enfant soit en présence de Rossellini)[747],[748]. Au total, de l'automne 1949 à la fin de l'année 1950, 38 000 articles paraissent dans la presse américaine sur le divorce de Bergman et Lindström[749].
↑Dans sa jeunesse, les parents de Rossellini, pour des raisons inconnues, l'ont placé dans unétablissement psychiatrique et, selon certaines sources, il a souffert sporadiquement d'une forme légère detrouble psychique jusqu'à la fin de sa vie. Bergman a été mise en garde contre une relation avec lui par le réalisateurLeo McCarey[762].
↑Lorsque le public apprend que Bergman estenceinte (avant son mariage avec Rossellini), on conseille à l'actrice de faire uneinterruption volontaire de grossesse (IVG)[774]. La publicité et le siège de son domicile par les journalistes font qu'elle ne quitte pas son appartement pendant près de trois mois. Lors de l'accouchement, rapporté par l'ANSA, une foule de journalistes se rassemble devant la clinique Villa Margherita et, comme l'écrit Spoto, « Rome ressemble à un plateau de tournage hollywoodien ». Elle a été enregistrée à la clinique sous un autre nom. La chambre dans laquelle elle reposait était sous étroite protection policière. De nombreuses tentatives pour pénétrer de force dans le service et soudoyer le personnel sont déjouées[775],[776],[777],[778].
↑En première position, dans le même classement, figureHumphrey Bogart dans la liste masculine etKatharine Hepburn dans la liste féminine.
↑Ett brott : pièce en six scènes / adaptation radiophonique : Alf Sjöberg. Bibliothèque théâtrale de Radiotjänst, 99-0529631-X ; 32. Stockholm. 1938. Libris 1375289 (filmé en 1940)