L'indo-européen commun,proto-indo-européen (PIE) ouindo-européen (IE) est une langue hypothétique considérée comme l'origine unique deslangues indo-européennes actuelles. Cette possibleprotolangue est partiellement reconstruite par leslinguistes à partir dessimilitudes entre langues souvent disparues mais réelles et connues et partiellement à partir des schémas de transformation notammentphonologiques bien identifiés. Le proto-indo-européen n'est pour le moment qu'une hypothèse tentant d'expliquer des ressemblances qui se manifestent avec régularité, sa principale contre-hypothèse étant le modèle de l'aire linguistique[1]. Cependant, le consensus considère l’indo-européen comme une langue ayant réellement existé,caractéristique d’un peuple[réf. nécessaire]. Il ne le considère pas comme un pur « artefact » de la recherche, construit par induction et déduction, qui tire toute sa valeur de cela.
La connaissance de l'indo-européen repose donc sur lalinguistique comparée, notamment sur la morphologie et laphonétique étudiées dans leur perspective historique. On peut reconstruire quelques aspects, sinon vraisemblables, du moins puissamment explicatifs du point de vue de la linguistique historique, de saphonologie, de sonlexique et de samorphologie. L’indo-européen connaît deux tendances[2]: les comparatistesphilologues privilégient l'emploi de façonalgébrique etmécanique de formules et de règlesphonétiques alors que lescomparatistes linguistes visent d'abord uneproto-langue réaliste et acceptable, c'est-à-dire un état de langue possible. Les évolutions des études indo-européennes visent à concilier ces deux tendances, à la fois en améliorant l'efficience de l'emploi de formules et de règles et en renforçant le réalisme. Des recherches actuelles tentent de reconstituer quelques traits de sasyntaxe.
Selon l'évolution supposée par la très grande majorité des linguistes, cette langue commune a ensuite connu un phénomène de dialectalisation expliquée notamment par la dispersion géographique des locuteurs donnant les différenteslangues indo-européennes, comparable à la dialectalisation que connaîtra lelatin bien des siècles plus tard.
La localisation géographique et temporelle du « peuple indo-européen » a donné lieu à diverses hypothèses. L'hypothèse kourgane est le modèle le plus reconnu dans le monde universitaire[3],[4]. Il postule que laculture kourgane est celle des hypothétiques locuteurs de l'indo-européen reconstruit.
Le processus de « satemisation », à l'origine de la séparation entrelanguessatem et languescentum, a probablement commencé dès leIVe millénaire av. J.-C.[5], et la seule chose tenue pour sûre est que cette proto-langue a dû se diversifier en dialectes sans rapports directs les uns avec les autres vers la fin duIIIe millénaire av. J.-C.
La plupart des linguistes estiment que l'intervalle entre la période où existait effectivement de l'indo-européen et les premiers textes attestés (autour duXIXe siècle av. J.-C., voir lestablettes de Kültepe) varie entre 1 500 et 2 500 ans, avec des propositions extrêmes qui vont jusqu'à 5 000 ans.
Plusieurs modèles de datation et de localisation existent :
Cependant,Nicolas Fréret récuse l’existence d'une « ancienne langue commune » postulée parLeibniz, au nom de la « différence essentielle et radicale » qui sépare les parlers européens[16]. Par exemple, il indique que le nom de la « mère », dans les langues du nord, a été emprunté au latinmater. Fréret pense que les racines communes aux deux langues celtique et germanique viennent d'un mélange de population.
La phase « classique » du comparatisme indo-européen va donc de laGrammaire comparée[17] (1833-1849) deFranz Bopp auCompendium[18] d'August Schleicher (1861), jusqu'auxannées 1880, où commence la publication duGrundriss der vergleichenden Grammatik der indogermanischen Sprachen[19] deKarl Brugmann.Néogrammairien, Brugmann réexamine le sujet surtout sous l'angle axiomatique de la régularité des lois phonétiques. Ensuite, l'élaboration de lathéorie des laryngales deFerdinand de Saussure[20] peut être considérée comme le point de départ des études « contemporaines » sur l'indo-européen.
L'indo-européen commun, tel qu'on le décrivait au début desannées 1900, est en général toujours accepté aujourd'hui. Les travaux ultérieurs sont pour la plupart des peaufinages et des systématisations, ou des incorporations de nouvelles informations, comme la découverte deslangues anatoliennes ettokhariennes, inconnues duXIXe siècle. Le contre-modèle que constituerait unSprachbund (aire linguistique), c'est-à-dire un ensemble de langues originellement indépendantes qui auraient convergé par influence mutuelle, est écarté au vu de la nature des phénomènes observés[21].
La théorie laryngaliste notamment, dans sa formulation primitive, discutée depuis lesannées 1880, s'impose comme le courant dominant après1927[22] oùJerzy Kuryłowicz annonce la découverte de la survivance de certains de ses phonèmes hypothétiques dans deslangues anatoliennes. L'Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, deJulius Pokorny, paru en1959, donne un aperçu des connaissances sur le lexique accumulées jusqu'au début duXXe siècle, mais néglige les tendances contemporaines de lamorphologie et de laphonologie, et ignore en grande partie les groupes anatolien et tokharien. Le linguiste Arnaud Fournet[2] constate que le dictionnaireétymologique de l’indo-européen de Pokorny est atomisé en une myriade d'entrées (c'est-à-dire de racines) de forme proche et de sens proche et que ces entrées pourraient être regroupées par une méthodologie d’analyse différente.
La génération d'indo-européanistes active dans le dernier tiers duXXe siècle (commeCalvert Watkins(en),Jochem Schindler(en) etHelmut Rix) a approfondi la compréhension de la morphologie, et de l'alternance vocalique dans la vague deL'apophonie en indo-européen[23] de Kuryłowicz (1956). Depuis les années 1960, les connaissances sur le groupe anatolien sont suffisamment élargies pour établir sa filiation par rapport à l'indo-européen.
D'une manière générale, toutes les concordances entre les langues sont régulières et toute exception apparente à la régularité établie exige une explication particulière. Elles obéissent à ce que les linguistes nomment lecaractère régulier deschangements phonétiques. C'est cette régularité qui rend possible une reconstruction de l'état antérieur de la langue[24].
Plusieurs liens entre l'indo-européen et d'autresfamilles linguistiques ont été proposés, mais ces connexions spéculatives sont hautement controversées. L'hypothèse la plus largement acceptée est peut-être celle de la proximité avec la famille deslangues ouraliennes, ce qui conduirait à la formation d'un groupe encore plus vaste, celui deslangues indo-ouraliennes(en). Les preuves habituellement citées en faveur de cette hypothèse sont la proximité desUrheimaten(en) (lieux d'origine) des deux familles, latypologie morphologique similaire, et un nombre demorphèmes apparemment partagés.Frederik Kortlandt, tout en plaidant pour une connexion, concède que « le trou entre l'ouralien et l'indo-européen est énorme », alors queLyle Campbell, spécialiste enlangues ouraliennes, refuse toute relation entre les deux groupes.
L'existence de certaines spécificités typologiques de l'indo-européen dans leslangues abkhazo-adygiennes peut amener à considérer l'hypothèse d'unSprachbund (union linguistique) ancien des deux langues[25] ou d'un substrat commun qui se trouvait géographiquement dans le foyer indo-européen[5],[26]. Ce type de langues identiques, avec des verbes complexes et dont les langues abkhazo-adygiennes actuelles pourraient être les seules survivantes, est, pourPeter Schrijver(en), l'indication d'un lexique local et d'une réminiscence d'un possiblesubstratnéolithique (hypothèse d'une « créolisation néolithique(en) »[27]).
Les récentes découvertes réalisées dans le domaine de lapaléogénétique ont amené certains linguistes à repréciser des hypothèses anciennes concernant le processus de formation de l'indo-européen. Allan R. Bomhard, propose une hypothèse, fondée sur la glossologie, selon laquelle le proto-indo-européen serait le résultat d’une interférence entre un substrat linguistique originaire du nord du Caucase et une langue dominante liée elle à l'ouralien, voire au pré-ouralien. Ce type d’interférence aurait impliqué une longue période de bilinguisme parmi les locuteurs des deux langues. Frederik Kortlandt lie cette période du proto-indo-européen à un premier foyer situé au nord de la Caspienne. Cette hypothèse serait en accord avec les études génétiques qui montrent que le génome des individus de laculture Yamna provient pour moitié des chasseurs-cueilleurs de l'Est et pour moitié des chasseurs-cueilleurs du Caucase. Laculture de Khvalynsk (c. 4900 - 3500 avant notre ère) sur la moyenne Volga aurait été le point de jonction et de mélange de ces deux populations[28].
Latypologie de l'indo-européen a varié au moins sur trois points essentiels : l'indo-européen de la période récente est unelangue flexionnelle comme toutes les langues indo-européennes dans leur totalité. Au contraire l'indo-européen reconstruit a vraisemblablement connu une phaseagglutinante[29] et une phaseisolante[30] à constructions sérielles[31].
Par ailleurs, l'indo-européen de la dernière période est unelangue accusative, comme le sont l'ensemble des langues indo-européennes, mais dans une phase antérieure, elle semble avoir été unelangue active dans laquelle on faisait la différence entre le sujet actif et le sujet non actif[32],[33]. Thomas V. Gamkrelidze etViatcheslav Vsevolodovitch Ivanov ont été parmi les premiers à démontrer de manière convaincante que le proto-indo-européen a été une langue active, suivis notamment parWinfred P. Lehmann(en)[34],[35] Cette thèse demeure néanmoins discutée[36].
Ces différences typologiques majeures suggèrent que la formation de l'indo-européen s'est étendue sur une longue période.
*b est très rare[24]. On le rencontre notamment dans*píbeti « il boit »,píbati en sanskrit[38], issu de*pí-ph3-e-ti, redoublement de la racine*peh3- « boire »[24].
Pour expliquer notamment cette rareté du*b et laloi de Bartholomae,Viatcheslav V. Ivanov et Tamaz V. Gamkrelidze ont proposé la théorie glottalique en 1973, sans obtenir de consensus. Elle propose que[37] :
les sonoresaspirées (*bh, *dh, *gh...) seraient des sonores simples (*b, *d, *g...) avec un allophone aspiré (*bh, *dh, *gh...).
La fricative*s pourrait avoir plusieurs articulations de [s] à [ʃ]. Devant une occlusive sonore, elle se sonorise en [z], par exemple dans*nizdó-s « nid », dérivé de*ní-sed- « se poser »[24]. Ainsi enlituanienlìzdas « nid » etsėdėti « il s'assied », envieux slavegnĕzdo « nid » etsĕdĕti « il s'assied »[38].
Allophones vocaliques de laryngales, nasales, liquides et semivoyelles
*h̥₁, *h̥₂, *h̥₃, *m̥, *n̥, *l̥, *r̥, *i, *u
Variantes longues de ces allophonesd
*m̥̄, *n̥̄, *l̥̄, *r̥̄, *ī, *ū
Notes :
a : il est très souvent suggéré[40] que tous les*a et*ā sont des dérivés de la séquence*eh₂ ou*h₂e, maisManfred Mayrhofer(en)[41] pense que l'indo-européen a en réalité un*a et un*ā, indépendamment d'unh₂.
Chaque mot ne possède qu'un seulton et ce ton peut occuper n'importe quelle place dans le mot. Si deux mots juxtaposés dans la phrase sont unis par le sens, l'un des deux estatone[Quoi ?][43], de même un mot composé ne reçoit qu'un seul ton[24]. Lesanskrit est la langue qui a le mieux conservé la place et les fonctions du ton indo-européen[44]. On le note avec un accent aigu.
Le ton a parfois une fonction distinctive[24]. Par exemple*tómos « coupure », substantif masculin à valeur d'action ou d'objet accompli, d'où le grecτόμος, s'oppose à*tomós « coupant », adjectif, en grecτομός. En sanskritváraḥ « choix » etvaráḥ « prétendant »[43].
En l'absence de ligateur de phrase, la tonicité du verbe indique la subordination ; le verbe personnel n'est pas accentué dans une proposition principale ou indépendante[24].
*ḥ est la vocalisation d'une consonne et donne naissance à des voyelles dans les langues indo-européennes[24].*i et*u peuvent être analysés comme la forme à degré zéro d'unediphtongue ou comme des voyelles simples[37].
Le système morphologique des langues indo-européennes se caractérise par son extrême complexité. Un seul et mêmesignifiant peut correspondre à plusieurs signifiés et, inversement, un même signifié peut s'exprimer par divers signifiants[24].
L'indo-européen est unelangue flexionnelle, c'est-à-dire une langue dans laquelle les relations grammaticales entre les mots sont signalées par des modifications des mots (habituellement par des terminaisons spécifiques). Leradical dans l'indo-européen est lemorphème de base, qui porte par lui-même un senslexical. Par l'addition desuffixes, les morphèmes forment desthèmes, et par addition dedésinences (habituellement finales), ils forment desflexions oudéclinaisons desubstantifs ou deverbes.
Les radicaux indo-européens sont considérés comme étant en majorité monosyllabiques, avec une base type consonne-voyelle-consonne (consonne) (CVC(C)). Cette forme de base du radical est parfois modifiée par l'alternance vocalique. Beaucoup de spécialistes pensent que les radicaux à voyelle initiale commençaient originellement par une série de consonnes, perdues par la suite dans toutes les langues, sauf dans leslangues anatoliennes, où elles sont appeléeslaryngales, habituellement précisées par un nombre inférieur (enindice)*h₁, *h₂, *h₃ (ou*H lorsque indéterminée). Ainsi, une forme verbale telle que lelatinagunt, « ils agissent », à laquelle correspondent legrec ancienágousi (ἄγουσι) et lesanskritajanti (अजन्ति), serait reconstruite*h₂eǵonti, avec l'élément*h₂eǵ- constituant le radical lui-même.
Le radical ne peut pas à la fois commencer et se terminer par une occlusive sonore non aspirée, par exemple*gwod- n'existe pas, de ce fait le sanskritgádati « il dit » n'a pas de correspondant dans d'autres langues. Un radical qui commence par une occlusive sonore aspirée ne finit pas par une sourde, et inversement, il n'y a donc pas de racines telles que*bheut- ou*teubh- ; toutefois, un radical qui commence par *s plus consonne sourde peut se terminer par une sonore aspirée[43] :*steigh- « aller, marcher, s'avancer, gravir » d'où le sanskritstighnoti « il monte », le grec ancienστείχω (steíkhô) « je vais, je m'avance », le vieil irlandaistíagu « je vais », le gotiquesteigan « monter »[38]...
Le radical connaît deux formes de redoublement, préfixées à la racine[43] :
Le redoublement normal (pour des verbes) : composé de la consonne ou de la sonante inititale du radical + une voyelle (*i au présent,*e au parfait,*i ou*u au parfait si le radical comprend les sonantes*y ou*w). Par exemple, la racine*pel(h1)- « remplir » produit*pí-pel-mi d'où le sanskritpí-par-mi « j'emplis »,*pí-pleh1-mi d'où le grec ancienπί-πλη-μι (pί-plê-mi).
Le redoublement intensif (pour des verbes et des substantifs) : composé de la consonne ou de la sonante initiale du radical + une voyelle + le cas échéant la sonante qui suit les voyelles du radical. Par exemple la forme simple de la racine*wert- « tourner » :*wért-eti « il tourne » devientvártati en sanskrit etvertit en latin ; forme redoublée :várvarti (contraction de*vár-vart-ti) « il tourne », en avestiquevár-vṛt-ati « ils tournent ».
Le redoublement s'emploie pour des substantifs de caractère affectif ou technique avec une valeur expressive. Pour les verbes, il sert à renforcer le sens, à marquer la répétition ou la durée de l'action ou son achèvement.
Le phénomène d'alternance vocalique est un des aspects distinctifs de l'indo-européen. L'alternance vocalique, ouapophonie, est une variation d'une voyelle qui change, se modifie en*o,*e ou disparaît (Ø, aucune voyelle). Ces variations dépendent peut-être des sons adjacents et de l'emplacement de l'accent dans le mot. Ils trouvent un écho dans leslangues indo-européennes modernes, où ils en sont venus à refléter des catégories grammaticales. Ces timbres vocaliques sont habituellement nomméstimbre e,timbre o, appelés collectivementdegré plein ;degré zéro (aucune voyelle, Ø) ;degré long (*ē ou*ō). Les différentes formes duverbeanglaissing (sing, sang, sung) sont un exemple de l'alternance vocalique ; elles reflètent une séquenceproto-germanique*sengw-, *songw-, *sngw-. Certains spécialistes pensent que lesaffixes flexionnels de l'indo-européen reflètent des variations de l'alternance vocalique, habituellement un degré zéro, de radicaux indo-européens plus anciens. Parfois le degré zéro apparaît là où l'accent du mot s'est déplacé, depuis le radical vers un des affixes. Ainsi, l'alternance dulatinest,sunt, « il est, ils sont », ramène à l'indo-européen*h₁és-ti, *h₁s-ónti.
La voyelle*e alterne avec*o. Pour les noms et les adjectifs, elle est à l'origine de la deuxième déclinaison du latin et du grec. Par exemple,*yug-ó-m est devenujugum en latin,ζυγόν (zugόn) en grec ancien,yugám en sanskrit,yokäm en tokharien A,yukan en hittite... Pour les verbes, la conjugaison thématique, désinence*-ō à la première personne du singulier du présent de l'indicatif qui s'oppose à la désinence-mi de la conjugaison athématique.
Il n'existe qu'un seul infixe, qui se place avant le dernier élément phonétique du radical :*-ne- / *-n-. On le trouve dans des verbes ou dans des substantifs. Par exemple la racine*yeug- « atteler », avec infixation*yu-ne-g-, *yu-n-g-« lier, joindre » : sanskrityunákti (de*yu-né-g-ti) « il joint »,yuñjánti (de *yu-n-g-énti) « ils joignent », latinjungō « je joins ». Racine*wed- « eau » sans infixe : sanskritudán, hittitewātar, anglaiswater / avec infixe : latinunda, lituanienvanduõ.
Plusieurs suffixes comme*-ye/o- ou*-yo-/-i- qui forment des présents à partir de thèmes nominaux,*-ske/o- qui fournit des présents de d'aspect déterminé*-ne/o- qui tire des présents d'aspect déterminé de thèmes radicaux.
Il existe des suffixes modaux :*-e/o- forme lesubjonctif,*-yeh1-/-ih1- et*-oi- forment l'optatif[24].
Il y a troisgenres : masculin, féminin et neutre. Lehittite a conservé un état de la langue qui opposait le neutre au genre animé (sans distinction du masculin et du féminin)[24].
La distinction entre masculin et féminin est stricte pour les adjectifs mais moins nette pour les substantifs[24].
Le neutre s'emploie de préférence pour les choses inanimées alors que le masculin et le féminin pour les êtres vivants et les choses en mouvement[24]. De plus, le neutre est aussi utilisé pour des êtres qui ne sont pas considérées comme des personnes (les esclaves...), très souvent aussi pour des diminutifs[43]. L'opposition entre inanimé et animé peut résulter d'un ancien système d'ergatif[24]. Outre la notion de sexe, l'opposition entre masculin et féminin s'étend à ce qui est conçu comme mâle (par exemple le ciel) ou femelle (par exemple la terre, les arbres)[43].
Lessubstantifs indo-européens sontdéclinés suivant huit ou neufcas[N 1],[24]. Il y a peut-être un cas directif, ouallatif[46]. Aux cas directs (nominatif, vocatif et accusatif), lesdésinences divergent entre les genres animés et le neutre alors qu'aux autres cas, dits obliques, elles servent à tous les genres[24].
Le degré des voyelles duthème et la place du ton peuvent varier au cours de la flexion[43].
Il existe deux types majeurs dedéclinaisons : thématique et athématique. Les déclinaisons thématiques des substantifs sont formés avec unsuffixe*-o- (*-e au vocatif), et n'a pas d'alternance vocalique. Les flexions athématiques sont plus archaïques, et elles sont classifiées par leur comportement dans l'alternance vocalique : « acro-statique », « protéro-dynamique », « hystéro-dynamique », et « holo-dynamique », après le positionnement de l'accent premier indo-européen (« dynamis ») dans leparadigme.
Type
acro-statique
protéro-dynamique
Racine
Suffixe
Désinence
Racine
Suffixe
Désinence
cas forts
Ton vocalisme*é *h₂éw-i-s (lat.avis « oiseau »)
Ton vocalisme*é *péh₂-wr̥ (hittite.paḫḫur « feu »)
cas faibles
Ton vocalisme*é *h₂éw-i-s (Gén. latinavis « de l'oiseau »)
Ton vocalisme*é *ph₂-wén-s (Gén. hittite.paḫḫuenaš « du feu »)
Type
hystéro-dynamique
holo-dynamique
Racine
Suffixe
Désinence
Racine
Suffixe
Désinence
cas forts
Ton vocalisme*é (Acc.Sing.; Nom.Sing. avec vocalisme*ḗ) *ph₂-tér-m̥ « père »
Les pronoms indo-européens sont difficiles à reconstruire à cause de leur variété dans les langues-filles. C'est particulièrement le cas pour lespronoms démonstratifs. L'indo-européen a despronoms personnels pour lespremière et deuxième personnes, mais pour la troisième, des démonstratifs sont utilisés. Les pronoms personnels ont leur propre radical et leurs propres terminaisons, et certains ont mêmedeux radicaux ; cela reste visible enfrançais, où deux formes demeurent pour le pronom personnel de la première personne : « je » (sujet), « me » (objet). Pour Beekes[47], il y a aussi deux formes pour le pronom à l'accusatif, au génitif et au datif : une forme accentuée (ou tonique) et une forme enclitique (ou atone).
Comme pour les démonstratifs, on parvient à reconstruire un système avec seulement deux pronoms :*so /*seh₂ /*tód, « cela », et*h₁éi /*h₁ih₂ /*h₁id, « ceci », « le »anaphorique. On postule aussi l'existence de plusieurs particules adverbiales*ḱis, « là »,*h₁idh₂, « ici »,*h₂en, « là-bas », et*h₂eu « encore », desquels les démonstratifs ont été construits dans plusieurs langues-filles.
Les verbes sont conjugués à au moins trois temps :présent,aoriste etparfait, qui a au départ une valeur aspectuelle. À l'indicatif, unimparfait et unplus-que-parfait (bien que ce soit moins évident pour ce dernier) ont pu exister. Laconjugaison est aussi marquée par un système très développé departicipes, un pour chaque combinaison de temps et de mode, et une série de noms verbaux et de formations adjectivales.
Terminaisons reconstruites de l'indicatif présent actif
Voici un exemple, selon Ringe[49], de la conjugaison athématique d'un verbe, avec infixe nasal au présent, thème d'aoriste et redoublement au parfait. Deux séries de terminaisons sont fournies pour les désinences primaires médio-passives (au subjonctif et à l'indicatif primaire) : les dialectes centraux (indo-iranien, grec, germanique, balto-slave, albanais et arménien) utilisent des désinences en*y, alors que les dialectes périphériques (italique, celtique, hittite et tokharien) ont conservé les désinences en*r, qui sont généralement considérées comme les formes originelles.
Les hypothèses suivantes de Ringe sur la phonologie de l'indo-européen commun ne sont pas universellement acceptées :
Laloi de Sievers s'applique à toutes les sonantes (*i,*u,*r,*l,*n,*m) quelle que soit leur position.
En fin de mot,*-t devient*-d lorsque le mot suivant commence par une voyelle ou par une consonne sonore.
Les effects de laloi boukólos, largement acceptée, sont indiqués. Cette loi stipule que*kʷ se transforme en*k s'il est suivi par*u ou*w.
Voici un exemple, selon Ringe[49], de la conjugaison thématique d'un verbe, simplement au présent. Les deux séries de terminaisons citées précédemment pour les désinences primaires médio-passives, sont de nouveau employées, de même que les théories précitées sur la phonologie.
Ici s'ajoute une règle sur la disparition des laryngales présentes dans la séquence-oRHC ou-oRH#.R représente une sonante quelconque,H une laryngale indéterminée,C une consonne quelconque,# la terminaison d'un mot. Elle fait disparaitre la plupart du temps le*h₁ à l'optatif.
*kʷetwr̥̄ḱomt- ; peut-être au départ*kʷetwr̥dḱomt-
*kʷeturdḱomth₂
cinquante
*penkʷēḱomt- ; peut-être au départ*penkʷedḱomt-
*penkʷedḱomth₂
soixante
*s(w)eḱsḱomt- ; peut-être au départ*weḱsdḱomt-
*ueksdḱomth₂
soixante-dix
*septm̥̄ḱomt- ; peut-être au départ*septm̥dḱomt-
*septmdḱomth₂
quatre-vingts
*oḱtō(u)ḱomt- ; peut-être au départ*h₃eḱto(u)dḱomt-
*h₃eḱth₃dḱomth₂
quatre-vingt-dix
*(h₁)newn̥̄ḱomt- ; peut-être au départ*h₁newn̥dḱomt-
*h₁neundḱomth₂
cent
*ḱm̥tom ; peut-être au départ*dḱm̥tom
*dḱmtóm
mille
*ǵheslo- ;*tusdḱomti
*ǵʰes-l-
Lehman[51] pense que les nombres plus grands que 10 sont construits séparément dans les groupes de dialectes et que*ḱm̥tóm signifiait à l'origine « un grand nombre », plutôt que spécifiquement « cent ». Il faut remarquer que la numération reconstituée de l'indo-européen présente beaucoup d'analogies avec celle dulatin.
De 5 à 10, les nombres cardinaux sont indéclinables et sans distinction de genre, contrairement aux nombres 1 à 4[43].
Beaucoup de particules peuvent être utilisées à la fois commeadverbes etpostpositions, comme*upo, « sous ». Les postpositions deviennent des prépositions dans la plupart des langues-filles. Parmi les autres particules qu'on peut reconstruire, il y a[24] :
Lesnégations :*ne négation simple, peut se préfixer en*ṇ-,*né tonique en négation de phrase. La prohibition s'exprime par*mḗ (*méh1 ?).
lesconjonctions*kʷe, « et », à l'origine postposée à chacun des termes associés, souvent disparue après le premier terme, parfois après le second.*wē, « ou », utilisée de la même façon.
En général, le déterminant précède le déterminé, qu'il s'agisse d'un adjectif qualificatif, d'un génitif d'appartenance, d'un adverbe, mais l'adjectif différenciateur est postposé.
Dans une phrase, les formes atones remontent en deuxième position. Le verbe personnel, atone en proposition principale ou indépendante, figure en deuxième position, après son objet ; tonique dans une subordonnée, il se place généralement en fin de phrase. Le sujet est d'ordinaire au début, suivi par les circonstants, les actants, enfin l'accusatif d'objet. Si le sujet est à l'origine du procès, les éléments sont placés dans l'ordre chronologique[24].
Dès leXIXe siècle, les linguistes ont établi de nombreuses correspondances dans le lexique : ainsi, ils ont montré que, depuis l'Inde jusqu'à l'Irlande, les noms de la parenté par exemple se correspondent rigoureusement. Un emprunt étant exclu entre langues aussi séparées dans l'espace et dans le temps, ils ont conclu qu'une telle concordance ne pouvait s'expliquer que par un héritage commun[24]. Des linguistes commeÉmile Benveniste ont pu reconstruire une grande partie du vocabulaire de l'organisation ethnique et sociale et de nombreux termes institutionnels, en particulier juridiques[52]. La désignation des principaux organes internes et externes de l'être humain est concordante et les formes reconstituées particulièrement archaïques[24].
Lesétymons indo-européens doivent être précédés d'unastérisque, qui indique le caractère supposé et non attesté de la forme. Il existe plusieurs manières de noter les étymons, selon le degré de précision ; par exemple, le mot signifiant « mère » est noté*mātēr ou, plus précisément (et si l'on suit les thèseslaryngalistes,méħ2tēr) (ou bien, avec d'autres conventions typographiques,méH2tēr,méh2tēr). Cela se constate d'autant mieux avec l'étymon pour « soleil »,séh2-ul,*séħ2-ul,*sāul-, etc.
Voici quelques exemples d'étymons indo-européens reconstitués et de mots dont ils sont l'origine :
On observe dans les langues traditionnelles une très grande stabilité dans le domaine du style. Cette stabilité est telle qu'elle permet une reconstruction. Des spécialistes comme Rüdiger Schmitt ont ainsi mis au jour les vestiges d'un important formulaire poétique indo-européen[54]. Certaines expressions sont indissociables des conceptions religieuses : les dieux sont « célestes », « immortels », « donneurs de biens »[24].
Dès 1864,Adalbert Kuhn relevait des traits communs dans les formules magiques ou curatives germaniques et védiques. Par la suite, de nombreuses études ont constaté des similitudes remarquables entre des textes littéraires de l'ensemble du domaine indo-européen[24]. L'emploi d'un vocabulaire spécial pour la poésie est fréquemment attesté. Cette création lexicale peut s'obtenir de différentes façons dont la périphrase à valeur métaphorique, lakenning de la poésie germanique[24].
Comme l'indo-européen a été parlé par une sociétépréhistorique, aucun vrai témoignage écrit n'existe, mais depuis leXIXe siècle, des spécialistes ont essayé plusieurs fois de composer des « textes de démonstration » pour montrer leurs thèses en application. Ces textes sont des hypothèses éclairées au mieux ;Calvert Watkins(en) en1969 a fait observer que, malgré quelque cent cinquante années de pratique, la linguistique comparée n'est pas en mesure de reconstruire une seule phrase correcte en indo-européen. Malgré tout, ces textes ont le mérite de donner une impression de ce à quoi un énoncé cohérent en indo-européen pourrait ressembler.
Deux exemples de ces « textes de démonstration » :
Ce que fournit la méthode de la grammaire comparée n'est pas une restitution de l'indo-européen, tel qu'il a été parlé : c'est un système défini de correspondances entre des langues historiquement attestées[43]. Une langue aussi « une » que celle qui est supposée par les concordances observées entre les langues attestées ne peut se concevoir s'il n'a pas existé, durant une certaine période de temps, une nation qui présentait une unité[43]. Mais les ressemblances de structure générale qu'on observe entre les langues indo-européennes actuellement parlées proviennent d'innovations parallèles et indépendantes plutôt que de la conservation du type indo-européen[43].
L'indo-européen commun reconstitué n'est pas du tout un ordre figé et originel, le matériel reconstitué se situe sur différents plans chronologiques. Par exemple, certains suffixes de l'indo-européen commun sont restés productifs dans les langues actuelles, parfois en changeant de signification, alors que d'autres ont cessé de créer des mots nouveaux dès l'époque commune[24]. Ainsi, les « élargissements », d'anciens suffixes qui apparaissent à la fois à la suite de racines verbales et nominales sans qu'on puisse en déterminer le rôle[43].
Allan Bomhard a tenté de reconstituer 4 étapes dans l'évolution de l'indo-européen[37] :
Un pré-indo-européen, que l'on ne peut reconstituer que par la comparaison avec d'autres familles de langues (si l'on admet l'hypothèse dunostratique).
L'indo-européen à accent tonique d'intensité. Les voyelles atones disparaissent progressivement. Des voyelles deviennent longues. Le système des sonantes se met en place. Lespostpositions demeurent d'usage étendu. Les conjugaisons sont simples, distinguent l'aspect. L'ergativité a un rôle fondamental pour noms et verbes.
L'indo-européen à accent tonique de hauteur. L'accent tonique change de nature et de place dans les mots, levédique l'a en partie conservé ainsi[24]. L'ergativité commence à céder la place à l'emploi de l'accusatif. Les adjectifs se différencient des substantifs. Apparition des désinences primaires pour les verbes. Des temps commencent à remplacer l'aspect dans les conjugaisons.
L'indo-européen tardif en voie d'éclatement, lorsque leslangues anatoliennes se sont séparées du tronc commun. L'ordre des mots privilégié passe de SOV à SVO. Les déclinaisons se complexifient, les formes thématiques se multiplient, le pluriel est mieux marqué. Le genreanimé se scinde en masculin et féminin. Leduel apparaît. Les conjugaisons s'apparentent à celles du grec classique. Plusieurs formes departicipes se forment. Cette dernière étape est largement acceptée par les linguistes depuis les enseignements fournis par le déchiffrement duhittite et lathéorie des laryngales[24].
Pour l'archéologueJean-Paul Demoule, les apports les plus connus de l'indo-européen se limitent le plus souvent à des facettes transitoires du modèle sous-jacent, à une analyse comparée des racines indo-européennes, ce qui est certes pratique pour un apprentissage des mots dans plusieurs langues. Mais le modèle est pauvre et peut être contredit[55]. Plusieurs linguistes ont pointé les erreurs de l'ouvrage de Jean-Paul Demoule dans le domaine de la linguistique[56],[57],[58],[59].
↑Daniel Droixhe, « Souvenirs de Babel. La reconstruction de l'histoire des langues de la Renaissance aux Lumières »,Souvenirs de Babel,,p. 208(lire en ligne, consulté le)
↑Franz Bopp,Grammaire comparée des langues sanscrite, zend, grecque, latine, lithuanienne, slave, gothique, et allemande, trad. par Michel Bréal, 1866 ; version allemande :Vergleichende Grammatik des Sanskrit, Zend, Griechischen, Lateinischen, Litauischen, Gotischen und Deutschen, 6 vol., Berlin, 1833–52 ;3e éd. 1868–71, en 3 vol.
↑Jerzy Kuryłowicz, « ə indo-européen et ḫ hittite », inSymbolae grammaticae in honorem Ioannis Rozwadowski, t. 1, sous la dir. de W. Taszycki et W. Doroszewski, 1927,p. 95–104.
↑Jerzy Kuryłowicz,L'apophonie en indo-européen, Wrocław, Zakład im. Ossolińskich, 1956, 430 p.
↑Émile Benveniste,Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Paris,Éditions de Minuit,(ISBN978-2-7073-0050-8) ;Pierre Monteil,Éléments de phonétique et de morphologie du latin, Paris, Nathan, 1986 ; Pierre Chantraine,Morphologie historique du grec, Paris, Klincksieck, 1991 ; Michel Lejeune,Phonétique historique du mycénien et du grec ancien, Paris, Klincksieck, 1987.
J. P. Mallory,À la recherche des Indo-Européens : Langue, archéologie, mythe, Paris, Seuil, 1997 ; traduit de l'anglaisIn search of the Indo-Europeans : language, archaeology and myth, Londres,Thames and Hudson,(ISBN0-500-27616-1).
Émile Benveniste,Le vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 1 :Économie, parenté, société, coll. « Le sens commun », Paris, Éd. de Minuit, 1969(ISBN978-2-7073-0050-8).
Émile Benveniste,Le vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 2 :Pouvoir, droit, religion, coll. « Le sens commun », Paris, Éd. de Minuit, 1969(ISBN978-2-7073-0066-9).
Franz Bopp,Grammaire comparée des langues indo-européennes, trad. sur la seconde éd. et précédée d'une introduction parMichel Bréal, Paris, Imprimerie impériale, puis Imprimerie nationale, 1866-1874, 5 vol. [réimpression en fac-similé : Paris, Bibliothèque nationale de France, 2001].
Jean-Pierre Levet, « Les origines de l'indo-européen : Recherches et perspectives », dansDictionnaire des langues, Paris, PUF, 2011,p. 411-423.
Romain Garnier et Xavier Delamarre (dir.),Wekwos Revue d'études indo-européennes, revue internationale de linguistique, de grammaire comparée et d'histoire des religions. Éditeurs : Actes Sud, puis Les Cent chemins.