L'hypothermie est une situation accidentelle et anormale où la baisse de latempérature centrale d'un animalhoméotherme (« à sang chaud ») ne permet plus d'assurer correctement les fonctions vitales.
Pour l'hypothermie physiologique et normale, voir :
L'humain, comme les mammifères et les oiseaux, est un homéothermeendotherme, c'est-à-dire qu'il maintient une température généralement supérieure à celle de son milieu, en produisant lui-même une chaleur (thermogénèse). Cette production consomme de l'énergie obtenue à partir de son propre métabolisme[1],[2].
Lorsque la température ambiante s'abaisse, la première réaction est unevasoconstriction cutanée (superficielle et des extrémités). Les petits vaisseaux superficiels diminuent de diamètre pour limiter la déperdition de chaleur. La peau se refroidit pour former une barrière passive isolante. Cette réaction s'accompagne dechair de poule (horripilation ou piloérection), réflexe qui n'est efficace que chez les animaux à pelage épais (augmentation du pouvoir isolant de la fourrure)[4],[5].
Cette économie de chaleur se fait aux dépens de l'irrigation sanguine, avec un manque d'oxygénation des tissus périphériques, et un risque degelure. Ce risque est retardé chez l'homme par des oscillations du débit sanguin cutané, qui rétablissent périodiquement une irrigation tant que c'est encore possible[4].
Chez l'homme le refroidissement des extrémités se traduit par un engourdissement. Dans les populations adaptées au froid (inuits, pêcheurs de laMer du Nord…), il existe au contraire une vasodilatation et une diminution de la douleur au froid. L'habitude peut maintenir la fonction aux dépens de l'économie de chaleur[6].
Chez l'humain adulte, la principale source de réchauffement est lefrisson thermique. C'est un tremblement desmuscles striés squelettiques, consistant en des contractions oscillantes au rythme de 10à 20 par seconde[7].
Le frisson peut augmenter la production de chaleur de 3 à 5 fois, mais il est inconfortable et perturbateur. Il est aussi peu rentable, car une bonne partie de la chaleur produite se perd dans le milieu ambiant. Le seuil de température corporelle déclenchant le frisson s'abaisse avec la répétition et l'habitude de l'exposition au froid. Quand les réserves glucidiques sont épuisées, le frisson thermique cesse, le sujet passe alors de l'état d'homéotherme à celui depoikilotherme[8].
Dans les populations humaines adaptées au froid, et chez les nouveau-nés, il existe une thermogenèse sans frisson (qui augmente de 20 à 25 % le métabolisme de repos), d'origine indéterminée. Les indiensAlacalufs de Terre de Feu pouvaient dormir nus dans de légers abris à3 °C la nuit, sans frissonner grâce à un métabolisme accru de 30 à 40 %[9].
Chez de petits mammifères (comme le rat), on a pu montrer que cette thermogenèse sans frissons provenait dutissu adipeux brun[10].
Le plus souvent, il s'agit d'une hypothermie accidentelle par exposition prolongée du corps à une ambiance froide, comme l'air extérieur enhiver ou un séjour prolongé dans une eau froide (naufrage, baignade ou chute en état d'ivresse en eau douce), plus rarement en montagne (dans uneavalanche, égarement de randonneurs hors piste)[8].
Les sujets les plus à risques sont lessans-abris (surtout alcoolisés ou drogués), y compris pour des températures extérieures supérieures à10 °C[11] ; les personnes âgées isolées avec chauffage insuffisant ; les nourrissons et petits enfants plus sensibles au froid (thermorégulation immature)[8].
Les sites de mesure de référence sont le tiers inférieur de l'œsophage[14] et l'artère pulmonaire. En pratique, dans le cadre de l'urgence, ou en pédiatrie, on se contente de la mesure de la température auriculaire (tympanique). Le rectum, l'aisselle ou le nasopharynx ne sont pas des sites fiables de mesure en situation d'hypothermie. Lesthermomètres médicaux habituels ne mesurent pas les températures basses, il faut utiliser des thermomètres hypothermiques pouvant descendre jusqu'à15 °C (le plus souvent thermomètre électrique mesurant la température en continu, parthermistance ou parthermocouple)[3],[14].
La victime peut avoir une peau froide, mais une température interne correcte, l'hypothermie n'est alors pas encore installée mais elle surviendra si la victime reste en ambiance froide.
Entrainement de marines américains en situation d'hypothermie.
Le patient reste conscient, mais avec des phases d'amnésie, d'apathie, ou de difficulté d'élocution. Il a des troubles du jugement et d'adaptation à la situation.
Il existe unevasoconstriction cutanée avec peau pâle et froide, frissons et horripilation. La pression artérielle et la fréquence cardiaque sont élevées. La respiration rapide (tachypnée) mais avec une faible amplitude thoracique.
L'auscultation montre un encombrement bronchique, parfois associé à unbronchospasme. Lesréflexes ostéotendineux sont vifs. On observe des troubles urinaires :polyurie (urines abondantes),dysurie (difficulté à uriner)[3].
Il existe un ralentissement global et continu du psychisme (bradypsychie), avec trouble permanent des fonctions supérieures et de la parole. L'état du patient va de l'obnubilation aucoma. On constate une dilatation des pupilles et une disparition duréflexe photomoteur.
L'entrée dans le coma peut être précédée d'une phase d'excitation cérébrale (sensation d'ivresse) puis de bien-être avec endormissement euphorique[8].
La peau est glacée et cyanosée. Des marbrures peuvent apparaître en cas decollapsus cardiovasculaire. Il n'y a plus de frisson, mais une hypertonie musculaire avec des trémulations (tremblements localisés très fins). Les réflexes ostéotendineux sont diminués.
La fréquence cardiaque est ralentie, la pression artérielle abaissée voire imprenable. La fréquence respiratoire est diminuée. L'encombrement bronchique est abondant avec un risque d'inhalation des sécrétions.
En dessous de 20 °C, le patient peut être en état de mort apparente avec un tracé plat à l'électroencéphalographie (EEG) ce qui ne doit pas arrêter la poursuite de la réanimation. En effet, dans cette situation, des survies ont été signalées, surtout chez l'enfant[15].
Un décès médicolégal par arrêt cardiorespiratoire et EEG plat doit être déclaré en normothermie, c'est-à-dire qu'une personne en hypothermie ne peut être considérée comme morte qu'après un réchauffement médical en milieu hospitalier[3].
La prise en charge de l'hypothermie fait l'objet de la publication derecommandations seulement en cas d'arrêt cardiorespiratoire. Celles, américaines, datent de 2010[16], celles, européennes, de la même année[17].
En situation d'hypothermie, le corps humain peut être représenté par un noyau central (organes principaux, en premier lieu le système nerveux central) et d'une enveloppe (la peau et la circulation sanguine périphérique). Le noyau central doit absolument rester à température constante (homéothermie), l'enveloppe périphérique se comporte comme unpoikilotherme, en jouant un rôle défensif. Pour protéger le noyau central et maintenir sa température, l'organisme sacrifie ses extrémités (gelures, voire pertes de doigts et d'orteils)[18].
Le risque principal est donc le transfert de sang périphérique, froid, vers l'intérieur du corps, qui provoquerait un abaissement supplémentaire de la température centrale. Ceci peut survenir si l'on fait faire des mouvements à la victime, si on la bouge sans précaution, ou si on tente de la réchauffer de manière active (frottement, contact avec un objet chaud) : cela active la circulation au niveau de la peau.
L'exercice musculaire, comme la marche, augmente certes la production de chaleur (multiplication par trois), mais en atmosphère trop froide, les pertes parconvection peuvent aboutir à un bilan déficitaire. La pire des situations est l'eau glacée, où l'exercice musculaire ne fait qu'aggraver l'hypothermie, les pertes parconduction étant trop importantes (la conduction thermique de l'eau est 32 fois supérieure à celle de l'air)[3].
La lutte contre l'hypothermie se fait donc essentiellement par un réchauffement passif : la victime est mise dans une ambiance chaude et se réchauffe toute seule. À défaut, elle doit être isolée (couverture de survie) du froid extérieur. L'objectif immédiat n'est pas tant de réchauffer la victime, mais d'éviter qu'elle se refroidisse encore. En effet, si l'on apporte activement de la chaleur par l'extérieur, cela provoque des réactions néfastes (« syndromeafterdrop » des anglo-saxons) :
injection du sang périphérique, encore froid, vers la partie centrale du corps, et donc un refroidissement de la température centrale ;
comme la peau est froide, le transfert de chaleur est plus important et peut provoquer des brûlures, et ce d'autant plus qu'en raison de l'anesthésie créée par le froid, la victime ne sent pas la douleur.
En extérieur, la victime est couverte en attendant l'arrivée des secours. Elle sera transférée avec prudence dans la cellule sanitaire chauffée du véhicule d'intervention. Si une personne a séjourné dans de l'eau froide, elle est déshabillée une fois en ambiance chaude (en ambiance froide, les vêtements, même mouillés, limitent les fuites de chaleur).
L'hypothermie, en ralentissant les réactions chimiques, ralentit également la dégradation descellules en cas d'anoxie ; unarrêt cardioventilatoire a donc plus de chances d'être récupéré dans le cas d'une hypothermie grave, on ne déclare donc un échec des manœuvres deréanimation cardiopulmonaire qu'après une durée plus importante que dans le cas d'une victime normotherme (un cas nécessitant près de trois heures demassage cardiaque externe, se terminant par une récupération complète, sans séquelles, a été publié[19]). Il est toutefois difficile de distinguer une hypothermie grave d'un cadavre froid, sans espoir de réanimation.
Le réchauffement actif est effectué à l'hôpital, sous surveillance médicale, notamment :
parperfusion d'un soluté chauffé (température devant rester néanmoins inférieure à42 °C[14]), par exemple les poches de soluté sont chauffées modérément dans un four (étuve) puis mises dans une couverture chauffante. La victime a souvent besoin d'une quantité importante de perfusion, en raison de la baisse du volume sanguin (volémie) secondaire à l'augmentation de ladiurèse (quantité de liquides urinée) due au froid et à la vasodilatation secondaire due au réchauffement ;
Dans les cas les plus graves, la mise en place d'unecirculation extracorporelle ou d'uneECMO[20] peut être discutée. Un lavage pleural par liquide réchauffé peut être une alternative[21].
Pour prévenir l'hypothermie, il est vital de bien couvrir lesorganes vitaux (tel que lecœur et lecerveau), lors de températures basses. En effet, l'organisme, pour lutter contre l'hypothermie, va monopoliser et affluer dusang dans lecœur et lecerveau. C'est pour cette raison que ce sont d'abord les extrémités desdoigts et despieds qui sont victimes degelure, car le sang n'irrigue plus ces parties du corps, pour maintenir les organes vitaux à bonne température. Par conséquent, si les organes vitaux ne sont pas bien couverts, par une bonneveste pour le tronc et unbonnet sur latête, par exemple, la déperdition de chaleur risque donc d'être très importante, car c'est là où se trouve la plus grande quantité de sang. Il ne sert donc pas à grand-chose, d'avoir desgants sur lesmains, si les organes vitaux ne sont pas bien maintenus au chaud.
Dans certains cas, la mise en hypothermie (Hypothermie induite) est volontaire et faite de manière contrôlée : le métabolisme de l'organisme (ou d'un organe particulier) est alors ralenti, permettant à ce dernier de mieux résister au manque d'oxygène.
Ce type de traitement est largement employé enchirurgie cardiaque (le terme utilisé est alorscardioplégie froide, qui porte la température à moins de35 °C) : après installation d'unecirculation extracorporelle, le chirurgien refroidit le cœur ce qui permet son arrêt et l'intervention sur celui-ci. Le réchauffement de cet organe, en fin d'intervention, permet le plus souvent la reprise des battements cardiaques.
Il a également été proposé lors de certainscomas avecanoxie ducerveau (par exemple dans les suites d'unarrêt cardiorespiratoire). Dans les cas detraumatismes crâniens graves, le traitement par hypothermie s'avère décevant[22]. Il semble être également prometteur pour le traitement des agressions cérébrales.
Risques : hormis en cas d'arrêt cardiaque, son intérêt clinique et son efficacité ne sont pas démontrés et sont à mettre en balance avec des effets secondaires cardiovasculaires, hydroélectrolytiques et infectieux, auxquels il faut ajouter les difficultés et manque deretours d'expérience du refroidissement et du réchauffement. Selon G. Franconyet al.[23], desessais randomisés sont encore nécessaires« avant de recommander l’emploi de l’hypothermie thérapeutique en traumatologie crânienne. »
↑S. Charpentieret al. « Caractéristiques des hypothermies chez des sans-abri à Paris, France, 2004 »,BEH du 9 janvier 2007.
↑K. Laaidi, « Vagues de froid et santé en France métropolitaine »,Bulletin épidémiologique hebdomadaire,no 7,,p. 61-6..
↑M.Aubignat, P.Krystkowiak, M.Tir et D.Andriuta, « Hypothermie périodique spontanée (syndrome de Shapiro) revue de la littérature et proposition de critères diagnostiques »,La Revue de Médecine Interne,vol. 41,, A214–A215(DOI10.1016/j.revmed.2020.10.370,lire en ligne, consulté le)
↑G. Francony, P. Declety, P. Bouzat, J. Picard, J.-F. Payen, « Les dangers de l'hypothermie thérapeutique »Annales Françaises d'Anesthésie et de Réanimation 2009;28(4):371-374.