Cette version des faits est aujourd'hui sérieusement remise en question. Il semble qu'à l'époque des « Hyksôs »,Avaris fut plutôt lacapitale d'un royaume égyptien marchand très prospère qui vivait du commerce avec leLevant. Il était aussi en lien avec le royaume nubien deKerma, par l'intermédiaire des routes caravanières du désert. La présence de nombreux marchands levantins à Avaris engendra un métissage culturel, que révélèrent les fouilles archéologiques du site deTell el-Dab'a menées parManfred Bietak. L'étiquette d'envahisseurs étrangers ou Hyksôs fut donnée au royaume d'Avaris par les rois thébains de laXVIIIe dynastie. Ils justifièrent ainsi la destruction de la ville et son pillage par des motifs de libération nationale. Cette forme de propagande nationaliste n'était pas nouvelle. Depuis le début de la monarchie pharaonique, les ennemis de l'Égypte étaient toujours assimilés aux Asiatiques, ou aux Nubiens selon les circonstances. C'est ce que montrent les représentations d'un pharaon en train de fracasser le crâne d'un groupe d'ennemis aux caractéristiques ethniques levantines facilement reconnaissables, et ceci depuis la fin duIVe millénaire. Lapalette de Narmer en est l'exemple le plus fameux.
Traditionnellement, seuls six dirigeants de laXVe dynastie sont appelés Hyksôs. Les noms hyksôs sont très proches des noms cananéens, ce qui confirme le lien avec leLevant. On attribue à cette ouverture sur le monde asiatique l'introduction de nouveautés, telles que l'arc composite[1], le glaive appelé lekhépesh, lecheval et lechar. L'usage de ces deux derniers par les Égyptiens est attesté à l’extrême fin de laDeuxième Période intermédiaire[2].
Les noms des princes de laXVe dynastie nous sont parvenus grâce aux œuvres et aux monuments égyptiens, ainsi qu'à l'Histoire d'Égypte deManéthon rédigée sousPtolémée Ier. Les nombreux princes de laXVIe dynastie sont en partie hyksôs, en partie sémites, en partie asiatiques et en partie égyptiens.
Le terme « Hyksôs » vient de l'expressiondémotiquehéka khasout (« maîtres des terres étrangères »), utilisée par les Égyptiens, notamment dans laListe de Turin qui recense les dirigeants des pays alentour. On pense aujourd'hui que seuls sixpharaons de laXVe dynastie étaient réellement hyksôs, non seulement parce qu'ils portaient la couronne égyptienne, mais également parce queManéthon les appelle ainsi[3]. Au total, les Hyksôs auraient régné cent huit ans sur l'Égypte du nord.
Hans Wolfgang Helck a émis l'hypothèse selon laquelle les Hyksôs seraient un groupe deHourrites et d'Indo-Aryens qui auraient migré depuis l'Est. D'après lui, ils venaient de l'empirehittite qui s'étendait sur l'essentiel de l'Asie occidentale. Mais cette hypothèse paraît peu probable àClaude Vandersleyen, pour une question de chronologie, les Hourrites étant apparus trop tard[4]. Selon ce dernier, l'onomastique est clairement sémitique, ce que réfuteDominique Valbelle[5].
Cette période de l'histoire égyptienne est mal connue. Les pharaons qui ont succédé à la deuxième période intermédiaire ont fait oublier la présence des Hyksôs jusqu'aux traces profondes. L'Histoire de l'Égypte de Manéthon n'est connue qu'à travers les œuvres d'autres auteurs, tels que leLibyenSextus Julius Africanus et lejudéenFlavius Josèphe. Ces sources indirectes ne donnent pas les noms des dirigeants hyksôs dans le même ordre. Pour compliquer encore le problème, les orthographes sont tellement divergentes qu'elles sont inutilisables : Beon/Bnon, Apachnan/Pachnan, Annas/Staan, Assis/Archles …
Les noms des rois hyksôs de laXVe dynastie retrouvés sur des monuments historiques sont :
Le nom sémitique « Jacob » apparaissant sous la forme « Yaqoub-her », la parenté directe ou indirecte entre ce nom et les Hyksôs est possible, mais discutable.
On a retrouvé, par exemple dans le cinquième cas de la liste, le nom de certains dirigeants sur un seul objet ou un seul monument. On ne sait pas, cependant, s'il s'agit d'un seul ou de trois pharaons différents. On sait par exemple queÂa-ouser-Rê Apophis aurait eu un autreprænomen,ˁȝ-kȝ-n-Rˁ. Hayes suggère que les deux premiers souverains de la liste sont le même personnage, liste à laquelle il ajoute un ApophisII. Le Cambridge Ancient History (CAH) reprend l'ordre deFlavius Josèphe, qui reprend lui-même Manéthon, et utilise également l'ancienne forme erronée « Apophis ».
En revanche,Alan Gardiner prétend qu'il y a eu trois rois Apopi. Ce problème n'est pas résoluà ce jour[Quand ?] et on ne sait toujours pas s'il y a eu un, deux ou trois Apopi.
Manéthon n'est pas contemporain des faits et reprend des textes plus anciens. Il décrit l'invasion des Hyksôs comme le fait d'une horde de barbares étrangers, qui auraient fait tomber sans effort les contrées qu'ils traversaient, et soumis les peuples à leur volonté par la conquête militaire :
« De l'Orient, un peuple de race inconnue eut l'audace d'envahir notre pays, et sans difficulté ni combat s'en empara de vive force. Ils saisirent les chefs, incendièrent sauvagement les villes, rasèrent les temples des dieux et traitèrent les habitants avec la dernière cruauté, égorgeant les uns, emmenant comme esclaves les enfants et les femmes des autres. »
Hans Wolfgang Helck défend l'idée d'une invasion, en partie liée à son hypothèsehourrite. On considère cependant aujourd'hui que l'« invasion » n'a jamais eu lieu. Les Hyksôs se seraient infiltrés dans différents groupes, notamment sémitiques, et auraient pris le pouvoir à la fin duMoyen Empire lorsque celui-ci était en pleine décadence.Jürgen von Beckerath affirme même que toute invasion sémitique était impossible, les tribus n'étant ni assez nombreuses, ni assez bien équipées pour faire face à l'armée égyptienne. Il est donc probable que les Hyksôs aient été une minorité égyptienne, qui aurait étendu en interne son pouvoir sur l'Égypte.
Les principales preuves de l'existence de l'empire hyksôs sont des petits objets de style hyksôs trouvés enPalestine, ainsi qu'un vase exhumé àCnossos et un petit lion de granit mis au jour àBagdad. Des inscriptions portant des noms hyksôs ont été trouvées jusqu'àKerma, auSoudan. Ces objets prouvent qu'ils étaient le fruit d'un commerce plutôt que d'un pouvoir politique ou militaire.
Le royaume hyksôs était implanté dans l'est dudelta du Nil et enMoyenne-Égypte. Il n'a jamais occupé laHaute-Égypte, encore sous le contrôle des dirigeants deThèbes. Les relations entre les Hyksôs et le sud semblent avoir été seulement commerciales, bien que les princes de Thèbes aient apparemment reconnu la suzeraineté des Hyksôs et leur aient payé un tribut. Les Hyksôs de laXVe dynastie établirent leur capitale àMemphis et leur résidence secondaire àAvaris.
Jürgen von Beckerath a étudié l'écriture de leurs noms en hiéroglyphes. Ils semblent révéler une assimilation du rôle de roi d'Égypte « à l'ancienne ». Ils adoptent le dieuSeth pour représenter leur propre déité. Ils se seraient intégrés à la vie égyptienne plus que le contraire.
L'autorité des Hyksôs semble avoir été acceptée localement par la population. Mais malgré la prospérité et la relative stabilité de leur royaume, les princes égyptiens du sud voyaient les Hyksôs comme des envahisseurs asiatiques.
Les Hyksos ont apporté à l'Égypte une paix relative, préservant un certainstatu quo, jusqu'à la reconquête du nord par le sud des princes de Thèbes. Quand ils furent chassés du pays, toute trace de leur occupation fut effacée. Les dirigeants de la nouvelleXVIIIe dynastie réécrivirent l'histoire à leur avantage, la présentant comme une guerre de libération contre de détestables envahisseurs étrangers.
Dans son livreContre Apion, l'historienFlavius Josèphe assimile l'Exode d'Israël à celui mentionné parManéthon, dans lequel 480 000 Hyksôs sont expulsés d'Avaris vers la Palestine. Manéthon les appelle les « rois pasteurs » dans une traduction impropre[8]. Flavius Josèphe identifie ces rois pasteurs aux Hébreux. Après leur expulsion, les Hyksôs fondèrent Jérusalem. Ensuite, ils se lièrent à des « lépreux » en Égypte sous la conduite d'un prêtre d'Héliopolis,Osarsiph, surnommé Moïse. Il n'est pas certain que cette identification de Moïse à Osarsiph provienne de Manéthon. D'après lui, les Hébreux seraient les descendants de ces lépreux ; ils auraient demandé de l'aide aux Hyksôs et auraient été expulsés avec eux[9],[10].
La guerre contre les Hyksôs commence vers la fin de laXVIIe dynastie.Thèbes est le siège d'une dynastie guerrière émergente, prise en étau entre le riche royaume d'Avaris et celui deKerma enNubie. Des écrits plus récents duNouvel Empire font intervenirSeqenenrê Tâa, un prince de Thèbes. Il aurait contacté un de ses contemporains hyksôs, Aauserra Apopi. La tradition prit la forme d'un conte, dans lequel le roi hyksôs Apopi envoie un messager à Seqenenrê à Thèbes, pour demander que le bassin deshippopotames soit détruit à cause du bruit qu'ils font et qui l'empêche de dormir ! La réalité historique que l'on peut retirer de cette version naïve est la division de l'Égypte, la quasi-totalité du territoire devant payer le tribut aux quelques Hyksôs du nord.
Seqenenrê Tâa tente une approche diplomatique, qui va probablement au-delà des échanges d'insultes avec les rois hyksôs : il aurait envoyé à plusieurs reprises des troupes attaquer les Hyksôs, batailles au cours desquelles il aurait finalement perdu la vie. Son proche parent et successeur,Ouadjkheperrê Kames, le dernier représentant de laXVIIe dynastie de Thèbes, tentera à son tour de reconquérir l'Égypte du nord.
Pierre Montet a supposé[11] que la cause essentielle de la guerre contre les Hyksôs était de nature religieuse :Amon contreSeth.
Kamosé attaqua et détruisit la garnison sud des Hyksôs à Néfrousy, cité au nord de Cusae dans le14eNome (au-dessus d'Assiout). Puis il mena son armée aux portes de la ville d'Avaris. Il ne parvint pas à prendre la cité, mais les troupes égyptiennes ravagèrent les champs, les cultures et les villages alentour.
À la fin du règne d'Apophis Ier, l'un des derniers rois hyksôs de laXVe dynastie, les forces hyksôs en déroute enMoyenne-Égypte se retirèrent au nord et se réfugièrent àAtfieh. Apophis était encore sur le trône à la mort de Kamosé.
Les derniers rois hyksôs ont régné assez peu de temps, avant l'arrivée au pouvoir du successeur de Kamosé,Ahmosis, premier roi de laXVIIIe dynastie.
On n'a aucune certitude sur l'époque des faits. Certains auteurs datent l'expulsion des Hyksôs de la quatrième année du règne d'Ahmôsis ; d'autres commeDonald Bruce Redford le datent de sa quinzième. Le soldat Ahmôsé précise qu'il suivait à pied le char du roiAhmôsis Ier. C'est la première fois qu'il est question de chevaux et de chars en Égypte. Dans les combats menés autour d'Avaris, Ahmôsé fit des prisonniers et coupa de nombreuses mains[12]. Ces faits lui valurent après la bataille de nombreuses récompenses, notamment l'or des braves, obtenu trois fois de suite.
Après la chute d'Avaris, les Hyksôs quittent l'Égypte. Ils sont poursuivis par l'armée égyptienne jusqu'auSinaï et enCanaan. Là, dans ledésert du Néguev, entreRafah etGaza, la ville fortifiée deSharouhen où ils se réfugient est, toujours d'après le soldat Ahmôsé, assiégée durant trois ans. Nous avons là encore trop peu d'éléments pour établir des dates. D'autres Hyksos ont probablement pris la mer, comme en témoignent des récits grecs tardifs.
L'écrivaine française pour la jeunesseOdile Weulersse a publié en 1984 un roman historique,Les pilleurs de sarcophages, dans lequel les Hyksôs sont les ennemis principaux de Tétiki et du nain Penou. L'intrigue se situe peu de temps avant la chute d'Avaris et la victoire d'Ahmôsis sur les Hyksôs.
↑Les arcs composites, constitués de corne, de bois et de tendons sont des arcs traditionnels de certains peuplées asiatiques (Scythes, Mèdes, Perses, etc.). Ils sont destinés à la chasse ou la guerre, reconnaissables à la forte courbure des branches, et leur petite taille.
↑a etbChaque partie du nom a été retrouvée sur un objet ou un monument différent : l'unité du nom n'est pas garantie.
↑On n'a aucune certitude quant à l'exactitude du nom, il est fortement probable que ce ne soit pas le nom complet.
↑Selon Manéthon, hyk dans la langue sacrée signifie « roi » et sôs dans la langue vulgaire veut dire « pasteur ». Si hyk vient bien de heka « chef, prince », sôs ne transcrit pas shasou « nomades », c'est une abréviation du mot khasout « étrangers ».
↑Philippe Borgeaud,Aux origines de l'histoire des religions, Éditions du Seuil,,p. 97.