De nombreuses organisations de défense desdroits de l'homme lui reprochent d'avoir, dans la confusion de la période post-khmer rouge du pays, instauré un régime corrompu et dictatorial, reposant sur la répression, la violence et lacooptation, concentrant les pouvoirs dans les mains d'un petit groupe de dirigeants duParti du peuple cambodgien et de riches hommes d'affaires participant au pillage des ressources nationales.
Sa longue période au pouvoir (38 ans) est caractérisée par un durcissement progressif du traitement des oppositions, jusqu'à la condamnation des principaux dirigeants et la disqualification de plusieurs partis à l'approche des élections.
Né sous le nom de Hun Bunal,Samdech Akka Moha Sena Padei Techo, Hun Sen est le troisième des six enfants d'une famille rurale. Il a deux frères aînés et trois sœurs cadettes. Son père, Hun Neang, était un ancien moine qui avait quitté la robe pour rejoindre lesKhmers issarak en lutte contre les forces coloniales françaises. Les parents du jeune Nal étaient de riches propriétaires terriens qui avaient été ruinés quand Dy Yon, sa mère — décédée en 1998 — avait été enlevée et relâchée après paiement d’une forterançon[2].
À partir de 1958, il fréquente l’école primaire de son village, où il aurait été considéré comme un bon élève, avant d’aller, en 1964, àPhnom Penh poursuivre ses études au lycée Indra-Dhevi. Il y apprendra à parler anglais[réf. souhaitée]. Il est hébergé au Wat Neakavoan, dans le quartier de Tuol Kork, par un religieux proche de la famille[1].
C’est là qu’il aurait aussi démarré des activités politiques dès 1965[note 2]. Il devra interrompre sa scolarité en 1968 pour fuir la capitale et la répression qui s’abat sur les militants communistes après les émeutes de Samlaut. Il trouve alors refuge à Memot, à 80 kilomètres deKompong Cham, et travaillera dans les plantations d’hévéas de Ton Luong. Il s’y livrera à des activités syndicales et devra même un temps fuir la police et se réfugier àKratie[3].
Le, il répond à l'appel deNorodom Sihanouk, destitué de ses fonctions de chef de l’État, et entre dans la guérilla qui lutte contre le régime de laRépublique khmère[4].
Il est par la suite, à moins de 25 ans, élevé à la tête d’un régiment basé dans la zone est duKampuchéa démocratique[2]. Toutefois, il n'existe pas de témoignages le mettant personnellement en cause dans les massacres commis au sein de la population par le régime khmer rouge[5].
En 1977, les incidents à la frontière vietnamienne se multiplient et amènent des ripostes desBộ đội que les unités khmères ont bien du mal à contenir. Le haut commandement dePhnom Penh met la faible réactivité des troupes sur le compte du manque de loyauté de l’encadrement et ordonne une épuration massive visant à éliminer tous les éléments suspectés d’être à la solde de Hanoï. C’est pour échapper à ces purges que Hun Sen décide de franchir la frontière[6].
Refoulé en juin, il se réfugie dans la forêt avant de pouvoir enfin gagner leViêt Nam en décembre 1977. Il est d'abord emprisonné plusieurs mois, puis libéré, et participe avec notammentHeng Samrin etChea Sim à la formation d’une organisation politique destinée à renverser les Khmers rouges, leFront uni national pour le salut du Kampuchéa (FUNSK). Il accède le au comité central de cette organisation[3].
Le, une armée vietnamienne de 110 000 hommes passe la frontière et occupe rapidement la presque totalité du territoire cambodgien. Profitant de la chute durégime khmer rouge, il revient àPhnom Penh en janvier 1979 où il intègre en tant que ministre des Affaires étrangères le gouvernement mis en place parles troupes de Hanoï[7].
À la suite des élections du où il est élu député deKompong Cham, il est confirmé aux Affaires étrangères et devient vice-président du Conseil[8].
Alors que le retour de la monarchie devient inéluctable, Hun Sen tente de profiter de sa progression politique rapide pour se présenter comme un de ces personnages« pourvus de mérites » dont regorge la mythologie cambodgienne et qui renversent les monarques en place si ceux-ci ne sont plus en mesure d’obtenir des divinités la protection du royaume[10]. Il va ainsi rénover dès 1989 la pagode de Vihear Suor, dans le nord-est laprovince de Kandal (district de Khsach Kandal), connue pour abriter une statue deNeay Kan, un usurpateur pourvu de mérites qui auXVIe siècle avait disputé le pouvoir au roiAng ChanIer[11].
Il perd les élections de 1993, dont il conteste pendant un temps le résultat. Une nouvelle constitution rétablitSihanouk sur le trône ; son filsNorodom Ranariddh est élu premier Premier ministre, et Hun Sen nommé second Premier ministre[12].
Dans le même temps il poursuit sa promotion depourvu de mérite et entreprend la restauration du monastère du vieux palais de la nécropole royale d’Oudong dont les travaux se termineront au début de 1997. Sihanouk répliquera par la mise en place du reliquaire du Sakya Mony Chet Dey sur le même site et qui sera terminée en 2003[13].
La victoire en duCPP (Parti du peuple cambodgien ; cambodgien :Kanakpak Pracheachon Kâmpuchéa) dont il est le vice-président lui assure de redevenir le seul Premier ministre du pays[16].
Candidat à sa propre succession auxélections législatives du, le parti de Hun Sen a remporté sans surprise[17] près de 75 % des sièges[18]. Quatre formations d'opposition ont toutefois reproché au Parti du peuple cambodgien d'avoir « truqué » les élections en sa faveur[19]. Desorganisations non gouvernementales internationales tellesAmnesty International, attribuent quant à elles, cette victoire à une opposition affaiblie par les rivalités politiques internes et externes, ainsi que par un climat d’intimidation des électeurs, de la presse et des militants[20].
En juillet 2013, le Parti du peuple cambodgien (CPP) de Hun Sen remporte les législatives mais l'opposition dénonce une fraude et conteste les résultats, ouvrant une crise politique. Un an plus tard, une répression policière met fin aux manifestations[21].
Contrairement auxélections de 2013, où, porté par la jeunesse, il avait obtenu 44 % des voix (contre 51 % pour le parti au pouvoir CPP), le parti d'oppositionCNRP est absent duscrutin de 2018, où l'opposition n'est représentée que par d'éphémères partis satellites au régime en place. En effet, après avoir confirmé ses bons scores lors des élections municipales de, le CNRP voit son chefKem Sokha accusé de « complot » avec lesÉtats-Unis puis emprisonné ; le parti est dissout et une centaine de cadres est interdite de politique pendant cinq ans. Par ailleurs, des activistes sont arrêtés, des syndicalistes sont harcelés et des médias indépendants doivent fermer[22]. Les élections sont largement remportées par Hun Sen, même si la campagne a été critiquée pour sa chasse aux « traîtres », c'est-à-dire les Cambodgiens souhaitant s'abstenir, suivant le mot d'ordre de boycott de l'opposition en exil. L'Union européenne et les États-Unis ont jugé le scrutin non crédible[23]. En réaction aux élections, l'UE prend des premières mesures pour annuler des accords commerciaux avec le Cambodge.
S'il n'a plus d'opposition parlementaire, le Premier ministre durcit cependant par la suite sa politique à l'égard des voix critiques citoyennes. En mai 2018, le journalPhnom Penh Post est mis en faillite, se voyant soudainement réclamer cinq millions de dollars par le fisc[24]. Fin 2020, 138 cadres et sympathisants de l'ex-CNRP (dont l'avocate et activiste pour la défense des droits humainsTheary Seng) sont jugés lors d'un procès jugé exceptionnel. Par ailleurs, depuis le début de l'année, une cinquantaine de syndicalistes, journalistes ou encore défenseurs de l'environnement sont placés en détention. Le motif pour les poursuivre, dit d'« incitation », est en effet suffisamment vague pour étouffer les voix dissidentes au régime[25].
Hun Sen remporte lesélections législatives de juillet 2023 face à un seul adversaire, le parti royalisteFuncinpec, qui rassemble 5 sièges face aux 120 désormais détenus par le PCC[26]. Le seul parti crédible d’opposition, leParti de la bougie, avait été disqualifié en mai faute d’avoir pu fournir le récépissé de son enregistrement au ministère de l’Intérieur, bien qu'il a formulé plusieurs demandes pour l'obtenir. Conforté par ce scrutin, le Premier ministre, âgé de 70 ans, annonce le 26 juillet 2023 passer le pouvoir à son fils aînéHun Manet, âgé de 45 ans, qui dirige l'armée et a mené la liste du CPP àPhnom Penh[27]. Le Premier ministre sortant fait également part de son ambition d'être élu à la présidence duSénat après lesélections sénatoriales de février 2024, faisant de lui le numéro deux du système politique[28]. Il aura passé 38 ans au pouvoir. Il démissionne effectivement le 22 août suivant au profit de Manet, qui est confirmé au poste de Premier ministre par l'Assemblée nationale[29]. Le, il est élu président du Sénat par les 62 sénateurs, leParti du peuple cambodgien ayant remporté la quasi-totalité des sièges aux dernières élections[30].
Hun Sen est marié avec Bun Sam Hieng, une infirmière d'origine vietnamienne qui s’appellera bientôt Bun Rany et qu’il avait connue en1975, alors qu’il était hospitalisé[6].
Leurs noces eurent lieu le à Memot et ils auront six enfants (trois garçons et trois filles, l'une d'elles ayant été adoptée) ; leurs noms sontHun Manet, Hun Mana, Hun Manit, Hun Mani, Hun Mali, et Hun Malis[16].
En, Hun Sen, à la surprise générale, annonce lors d'une cérémonie de remise de diplômes devant environ 3 000 personnes qu’Hun Malis, sa fille adoptive estlesbienne. Bien qu'il ait demandé à l'audience d'accepter leshomosexuels et les lesbiennes, il a pris des dispositions pour renier l'adoption de sa fille et la priver de tout droit à l'héritage[31].
Le, Hun Manet, fraîchement diplômé de l’académie militaire de West Point, est nommé par son père à la tête de l’unité nationale antiterroriste[32].
Hun Mana, directrice générale de lachaîne de télévision Bayon TV, s’est mariée le avec Dy Vichea, fils d’Hok Lundy, l’ancien chef de la police nationale. Il s’agit du second mariage entre ces deux familles, Hun Manit, le fils cadet, ayant épousé Hok Chendavy, fille de Hok Lundy[33].
Hun Mani, le dernier des fils, est quant à lui marié avec Yim Chay Lin, la fille de Yim Chay Li, secrétaire d’État au Développement rural. Hun Mali, fille de Hun Sen a épousé Sok Puthyvuth, fils du vice-Premier ministre et ministre du Conseil des ministresSok An[34], d'origine chinoise[35].
Sauf indication contraire, l'ensemble des informations qui suivent sont issues du chapitre « Pour une relecture du jeu politique cambodgien : le cas du Cambodge de la reconstruction (1993 - 2005) » de l'ouvrageCambodge contemporain[36]
Celui queLee Kuan Yew — ancienPremier ministre de Singapour — décrit comme« parfaitement impitoyable et implacable, dénué de tout sens humain »[47] est l'homme fort duParti du peuple cambodgien implanté jusque dans le plus petit village du pays, qui contrôle tous les rouages de l’administration et qui monopolise le pouvoir depuis le début desannées 1980[48].
À partir de 1979 et jusqu'au milieu desannées 1980, en tant que ministre des Affaires étrangères, sa mission principale sera de faire reconnaître le gouvernement de larépublique populaire du Kampuchéa en dehors des pays de la sphère d’influence soviétique, principalement parmi ceux dutiers monde. Cette stratégie était surtout destinée à contrer l’influence de laChine qui, avec les principales puissances occidentales, continuait de soutenir diplomatiquement et militairement les Khmers rouges. Au départ, il a insisté sur l’importance de garder des relations étroites avec Hanoï avant de défendre le programme de retrait militaire vietnamien et demander le renforcement de l’indépendance du Cambodge. En1981, à la suite notamment de ses nombreuses visites dans les capitales mondiales, Hun Sen avait obtenu la reconnaissance diplomatique de la république populaire du Kampuchéa par une trentaine de pays et avait désamorcé l’hostilité de la plupart des nations dutiers monde, même si l’ONU continuait de lui refuser le siège de représentant du gouvernement légitime du Cambodge. Toutefois, malgré la création en d’un gouvernement de coalition du Kampuchéa démocratique (GCKD) regroupant les principales formations d’opposition et reconnu par l’ONU, la république populaire du Kampuchéa apparaissait de plus en plus comme la seule alternative possible à un retour des Khmers rouges aux affaires. En les dirigeants de l’Association des nations de l'Asie du Sud-Est réunis àPékin, acceptèrent le principe d’inclure les dirigeants de la république populaire du Kampuchéa dans un futur gouvernement provisoire cambodgien. De son côté, Hun Sen annonçait un projet de « réconciliation nationale » et proposait de faire entrer des représentants de toutes les factions d’opposition à l’exception des Khmers rouges dans le gouvernement de larépublique populaire du Kampuchéa. À partir de1988 eurent lieu des entrevues entre Hun Sen et Norodom Sihanouk àFère-en-Tardenois et des réunions informelles de toutes les factions cambodgiennes àJakarta qui aboutiront, le, à la signature des accords de paix de Paris[49],[50].
Sur le plan interne, Hun Sen montrera dans le même temps son habileté à gérer les dissensions au sein de son propre parti entre les anciens Khmers rouges qui avaient quittéPol Pot et s’étaient rapprochés de Hanoï, la ligne dure des jeunes cadres plus nationalistes et méfiants autant à l’égard duViêt Nam que de l’Union soviétique, le courant proche deMoscou emmené par l’ancienPremier ministrePen Sovan et d’autres factions de moindre importance[51],[52].
Aujourd’hui, pour asseoir son pouvoir, Hun Sen met en avant son rôle dans la défaite des Khmers rouges, le retour de la paix et la croissance économique[53]. Ses adversaires politiques le présentent pour leur part régulièrement comme une « marionnette d’Hanoï »[54]. Si un tel assujettissement était évident à l’époque où l’armée vietnamienne avait installé le gouvernement et stationnait un véritable corps expéditionnaire au Cambodge, l’affirmation semble toutefois difficile à étayer avec des arguments solides une vingtaine d’années plus tard[55]. Par contre, les affirmations des ONG qui lui reprochent de mettre en place des systèmes de corruption sophistiqués[56],[57],[58], d’être à la tête d’un pays où de graves atteintes auxdroits de l'homme continuent à avoir lieu[59],[60] et où ceux qui les commettent bénéficient encore trop souvent d’une totale impunité[20],[61] semblent plus difficiles à contredire.
Si beaucoup, même parmi ses opposants, lui reconnaissent une certaine habileté politique[7], Hun Sen est aussi connu pour ses accès de colère[62]. Capable d’improviser un discours-fleuve à partir de quelques notes, il n’hésite pas à l’occasion à agrémenter ceux-ci d’accusations virulentes contre ses adversaires politiques ou les délégués de la communauté internationale qui osent reprocher la lenteur à mettre en place certaines réformes[7],[55].
Même s'il a prétendu à plusieurs reprises qu'au cas où il perdrait des élections, il se retirerait paisiblement du pouvoir pour se consacrer à sa famille et aux échecs[62],[note 3], son attitude en 1993 — lorsqu'il a contesté le résultat d'élections qu'il avait perdues[63] — ou en1997 — quand il évinçaNorodom Ranariddh, le premierPremier ministre qui risquait de lui porter ombrage[64] — permet de douter que cette promesse soit un jour tenue si le cas venait à réellement se présenter.
Enfin, concernant ses anciens collègues Khmers rouges, il leur mena un combat féroce après avoir quitté leurs rangs, légitimant son régime en le présentant comme le seul recours possible à leur retour. Il fera même, à la fin desannées 1980, de leur participation aux pourparlers de paix un prétexte pour en bloquer quelque temps le processus. Après les accords de Paris de 1991, l’intégration à la vie politique des partisans de Pol Pot sera de courte durée et Hun Sen apparaîtra à nouveau comme leur principal adversaire[52]. Toutefois, la donne change à la fin desannées 1990 avec les défections de plusieurs hauts responsables Khmers rouges en échange de leur amnistie. Hun Sen est devenu le chantre d’une politique de « réconciliation nationale » qu’il combattait encore peu avant et qui entendait sacrifier la justice à la paix et au développement économique du pays[65]. Dans le même temps, dès1999, le gouvernement engage des pourparlers avec l’ONU pour mettre en place une juridiction visant à traduire devant un tribunal les anciens dirigeants Khmers rouges encore en vie[66]. Très vite, ces deux processus vont devenir antinomiques et les tractations en vue de créer lesChambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens seront longues et âpres. Finalement, un accord sera signé en2004 et le premier procès débute en. À ce moment, 5 accusés sont incarcérés[67]. Les choses se compliqueront le, lorsque les juges internationaux décideront d’ouvrir de nouvelles enquêtes et surtout de convoquer des membres influents du gouvernement proches du Premier ministre. En guise de réponse Hun Sen fera part de son désaccord en fustigeant la communauté internationale et l’ONU dans plusieurs discours virulents dont il a le secret[68],[69].
Au pouvoir depuis le milieu desannées 1980, Hun Sen a eu le temps de réunir un nombre impressionnant de diplômes universitaires, au grand dam de son opposition qui rappelle que l’intéressé n’avait eu qu’une scolarité sommaire et met en doute la valeur de ces titres[70].
↑La nouvelle date aurait été utilisée pour la première fois en1979 lors de sa nomination aux Affaires étrangères et alors qu’il avait été décidé de vieillir d’un an le jeune ministre[1]
↑L'intéressé a affirmé àRaoul-Marc Jennar que ses activités se limitaient alors à livrer des messages cachés dans des pains à des militants sans en connaitre le contenu[1]
↑Il a été initié aux échecs lors de son passage au Wat Neakavoan et continue à pratiquer l’activité à un bon niveau[52]
↑Alain Forest, « Notes sur la royauté déchirée : À propos de quelques ouvrages récents sur le Cambodge »,Asie du Sud-Est et Monde Insulindien, Paris,vol. 13,nos 1-4,,p. 59-80.
↑Chhay Muth, « Le vice-Premier ministre Yim Chhay Ly préside la célébration du 2e Festival de la rivière »,Agence Kampuchea Press, Kampong Cham,(lire en ligne).