L'humour absurde est une forme d'humour qui viole délibérément les raisonscausales aboutissant à des conclusions ou des comportements illogiques (absurde) dans le but de provoquer lerire.
L'humour absurde a un lien direct avec leraisonnement par l'absurde dont on fait remonter l'origine à laGrèce antique[1]. Mais les origines d'un humour absurde à proprement parler commenceraient dans leXIXe et leXXe siècle avec lapataphysique, ledadaïsme, lesurréalisme et lethéâtre de l’absurde[1].
L'humour absurde est proche dunon-sens, de l'illogisme. On peut noter que le philosopheEmmanuel Kant faisait état que« l’humour naît quand l’esprit perçoit un fait anormal, inattendu ou bizarre, en un mot incongru et qui rompt avec l’ordre normal des choses »[2]. Certains auteurs identifient trois types d'humour absurde : l’humour absurde moderne cérébral, l’absurde psychoaffectif et l’humour absurde moderne social, voire un quatrième avec l'humour absurde philosophique[1]. L’illogisme, la distanciation émotive, l’incohérence et le paradoxe sont les effets produits par l'humour absurde[1].
L'humour absurde se construit en juxtaposant des termes de manière inattendue, en produisant des associations d'idées étranges, en utilisant la technique dunon sequitur, autant de pratiques qui peuvent aboutir à une situation illogique. L'émetteur d'unmessage humoristique absurde pourra chercher à décevoir les attentes durécepteur en offrant au message une conclusion qui ne suit pas sesprémisses, provoquant un décalage avec les conclusions attendues d'une analyse logique de la situation dans le monde habituel et sensé dans lequel le récepteur croit être en train de raisonner. Le message prend ainsi une apparence logique mais dénuée de sens.
Il en va de même pour ungeste dont le sens ou l'action qu'il produit, peut entrer en contradiction avec le sens communiqué par le message linguistique qui l'accompagne.
L'humour absurde peut également être le produit d'une situation de vie inhabituelle, où les messages et les gestes deviennent inappropriés, inadaptés, décalés, inopportuns là où ils se produisent et que ce décalage suscite le rire. La situation de vie peut se suffire à elle-même pour être perçue comme absurde sans qu'il y ait besoin de langage pour révéler son aspect drôle et incongru (c'est le cas des scènesburlesques ducinéma muet ouslapstick).
Il est à noter qu'il existe, selon les dictionnaires duLarousse etHarraps, une différence entre lenon-sens de la langue française et lenonsense de la langue anglaise. Lenon-sens de la langue française se situerait davantage dans le domaine de lalogique en signifiant une absence de sens logique alors que lenonsense anglais a une connotation plus ludique et plus large et peut également signifierbêtise,sottise,imbécilité,enfantillage, correspondant mieux à l'idée d'humour absurde[3]. Certains auteurs francophones utilisent exclusivement la terme denonsense[4], d'autres ne font pas de distinction en utilisant le terme français pour toutes lesacceptions dunonsense anglais[1].
Une distinction peut être faite entre l'absurde et le nonsense dans la mesure où ce dernier est le« sens de l’humour appliqué aux mots »[4], c'est-à-dire qu'il« lâche la bride au langage, permet à la mécanique des mots de fonctionner un instant toute seule, et se donne l’air de trouver parfaitement naturel ce qui est, selon le cas, franche absurdité, lapalissade gravement formulée, paradoxe cocasse ou raisonnement grotesque »[4],[1]. Alors que l'humour absurde, plutôt que de se situer au niveau de la mécanique des mots, se situerait au niveau de la mécanique dudiscours, parce qu'il agence les mots en préservant une certaine intelligibilité pour l'interprétation[1]. Ainsi s'il peut y avoir de l'absurde dans le nonsense, l'inverse n'est pas forcément vrai[1].
Parallèlement, une autre difficulté tient au fait que dans la langue anglaise il existe une différence entreabsurd etnonsense, là où on parle detheatre of the absurd et non denonsense theatre[3]. Cette différence est liée à un emprunt de la langue anglaise au français fait parMartin Esslin du termethéâtre de l'absurde pour définir le genre. Cette distinction de la langue anglaise exclut lethéâtre de l'absurde de l'humour nonsense[3], soit de ce que nous appelons en français l'humour absurde.
Leburlesque est un humour absurde employant des termes familiers ou vulgaires, mettant en scène des gestes violents (chutes, coups de bâtons) pour traiter absurdement un sujet noble. L'héroï-comique est l'inverse du burlesque.
Il peut paraître difficile de distinguer l'humour noir de l'humour absurde parce qu'ils sont souvent liés dans l'activité humoristique[5] et que« l'humour noir est en somme un des moyens par lesquels l’esprit parvient à se défendre contre l’inéluctable absurdité de l'univers »[2]. Si l'on peut penser que la définition unanime d'un humour noir est impossible à fournir, il existe dans chaque culture des capacités d'interprétation instinctives et spontanées qui« cernent correctement cette réalité de l’humour noir que nous savons généralement identifier quand nous le rencontrons »[2].
Certains auteurs interprètent que les deux humours prennent lamort comme sujet mais que son traitement n'est pas identique dans chacun d'eux[1]. Alors que le premier se moque de la mort pour s'en libérer aveccynisme, froideur[2] et une certaine violence[1], l'humour absurde conjure l'angoisse de la mort en faisant un constat psychosocial par unemise en abyme de l'absence de sens de l'existence[1].
Le contexte, qu'il soit à dominante historique ou culturelle, tient un rôle important dans l'interprétation de la nature de l'humour. Ainsi, en mai1985, un dessin deCabu dans l'émissionDroit de réponse, qui représentait en forme de frites géantes les supporters belges d'un match de football, semblait relever de l'humour absurde mais dans le contexte historique de lacatastrophe du stade du Heysel. Les frites représentant les morts, ce dessin était interprété comme un dessin d'humour noir que l'animateur de l'émissionMichel Polac avait trouvé scandaleux et dénué d'humour pour finir par lecensurer d'antenne[6]. Il faut ajouter que le dessin était accompagné également d'un commentaire explicite :« Compressés contre les grillages, les spectateurs ressortent en frites »[7] qui ne fait plus aucun doute sur l'interprétation de l'aspect noir du dessin pour des raisons culturelles cette fois, ce qui montre comment les contextes historiques et culturels peuvent être intimement liés dans le rôle qu'ils tiennent dans l'interprétation de l'humour. De même, si le livre deJonathan Swift,Modeste proposition pour éviter que les enfants d'Irlande soient un fardeau pour leurs parents ou pour leur pays et pour les rendre utiles à la communauté, peut de nos jours être interprété par le lecteur comme un humour absurde, parce que dans ce livre Swift enjoint à ses concitoyens de vendre comme viande de boucherie leurs propres enfants pour sortir de la misère; dans le contexte de 1729, époque de sa publication et de réelle grande pauvreté en Irlande, ce livre était unpamphlet d'uneironie féroce et noire dont l'humour même pouvait paraître exclu.
Le contexte culturel, seul, peut conditionner l'interprétation, comme le montre cette citation d'Alphonse Allais écrite après avoir voyagé dans un train bondé d'enfants, aux apparences absurdes mais qui s'apparente dans beaucoup de cultures à de l'humour noir :« Les familles, l’été venu, se dirigent vers la mer en y emmenant leurs enfants dans l’espoir, souvent déçu, de noyer les plus laids »[2].
L'humour absurde et lafolie peuvent être confondus parce que les propos et les gestes d'humour absurde peuvent donner l'impression que celui qui les produit est touché d'une incapacité à penserlogiquement, d'un désordre mental, dedémence, au mieux qu'il est bête ; ses propos sont alors qualifiés de crétins, d'idiots, de déments. Ces qualificatifspéjoratifs peuvent signifier que le récepteur du message n'a pas saisi la dimension humoristique, ou bien que l'émetteur est tout simplement fou. L'humour absurde peut ressembler à la folie au point que dans la cinématographie on a souvent recours à un personnage naïf, idiot, bêta, simplet ou comportant un désordre mental pour exprimer l'absurde d'un scénario; tels sont les films:La Party,Jour de fête,Bienvenue, mister Chance,Forrest Gump,Bernie,L'Armée des douze singes. Lesblagues juives mettent souvent en scène unschlémil, un simplet, qui ouvre l'histoire de la blague au monde de l'absurde[8]. Si l'humour absurde montre la part de folie du monde, il n'est pas une folie car« L’absurde n’est pas l’illogisme, ni même l’alogisme, à l’état pur : il faut bien qu’un reste de santé mentale subsiste pour faire paraître la folie et que le chaos ressorte sur un fond quelque peu ordonné »[4].
La capacité culturelle pour le récepteur à identifier ce qui est absurde ou ne l'est pas va conditionner sa capacité à comprendre et donc rire à l'humour absurde. Pour comprendre l'absurde, il ne faut pas prendre le message au premier degré, et entrer en complicité avec son auteur[6]. Le niveau de complicité, qui est une forme d'adhésion au message, dépend de questions culturelles et demorale.
Sans que l'on puisse apporter la preuve formelle que les Anglais aient inventé l'humour, il est indéniable que l'humour anglais est particulièrement caractérisé par une dimension absurde. AuXIXe siècle,Les Aventures d'Alice au pays des merveilles deLewis Carroll ont largement diffusé la notion et l'esprit de l'absurde en humour. Durant leXXe siècle, avec le développement des moyens de communication télévisuels, la troupe d'artistes desMonty python connue pour l'absurdité de son humour, a popularisé à travers le monde un certain humour anglais absurde comme on le connaît aujourd'hui. On peut également citer des artistes, moins connus du monde non-anglophone, tels que le duo desdeux ronnies (en)[9],Eddie Izzard, ouLee Evans avec son personnage de Malcolm. Laculture populaire anglaise recèle de blagues absurdes.
AuQuébec,Simon Papineau identifie, parmi les comiques québécois, un nouvel humour absurde qualifié de moderne défini comme tel:« L’humour absurde moderne québécois est un type d’humour qui se plaît à faire des associations entre des mots, des objets, des personnages, des lieux et des concepts qui n’ont, a priori, strictement aucun « rapport », voire aucun lien entre eux et qui semblent ne renvoyer à rien d’autre qu’à eux-mêmes, et ce dans le but de faire rire »[1]. Cet humour absurde moderne succéderait dans l'histoire à un humour absurde classique où ce n'était pas forcément la nature des sujets choisis qui étaient absurdes mais leurs traitements et où l'humoriste s'adaptait au monde du public ; tandis que dans l'humour absurde moderne, les sujets sont délibérément absurdes et le public doit s'adapter au monde absurde, voire fantastique, de l'humoriste[1]. Les représentants de cet absurde moderne québécois seraient, parmi d'autres, lesDenis Drolet,Jean-Thomas Jobin, lesChick'n Swell,Patrick Groulx[1].
Les types deblagues issues de laculture populaire peuvent porter un sens de l'humour absurde
La culture populaire juive n'est pas exempt d'humour absurde, car« l'un des aspects les plus visibles de l'humour juif est le dérèglement de la logique et du principe de causalité »[8]. La cultureYiddish connaît de nombreuses blagues absurdes[10],[8].
Exemples :
LesElephant joke (en) sont un type de blague absurde impliquant un éléphant, apparues dans les années soixante à Appleton (Wisconsin) auxÉtats-Unis sous la forme decartes à collectionner imprimées par L.M. Becker Co.
Texte anglais à traduire :
Question: Why did the elephant paint its fingernails red?
Réponse : Pour qu'il puisse se cacher dans les champs de fraises.
Q : Comment peut-on savoir qu'un éléphant est avec soi dans la baignoire ?
R : Par l'odeur decacahuètes de son haleine.
Q : Comment peut-on savoir qu'un éléphant était dans le réfrigérateur ?
R : Par les empreintes dans le beurre.
Q : Quelle heure est-il quand un éléphant s'assoit sur votre clôture ?
R : L'heure de construire une nouvelle clôture.
Lesshaggy dog stories sont des histoires qui prennent la forme classique d'une blague mais qui s'allongent dans le temps et dont la chute, qui peut paraître abrupte, ne semble pas tenir un rapport de sens avec ce qui la précède[14],[15]. AuRoyaume-Uni,Ronnie Corbett est réputé pour sesshaggy dog stories.
Texte anglais à traduire :
A boy owned a dog that was uncommonly shaggy. Many people remarked upon its considerable shagginess. When the boy learned that there are contests for shaggy dogs, he entered his dog. The dog won first prize for shagginess in both the local and the regional competitions. The boy entered the dog in ever-larger contests, until finally he entered it in the world championship for shaggy dogs. When the judges had inspected all of the competing dogs, they remarked about the boy's dog: "He's not that shaggy."
Lasupercazzola est unnéologisme décrivant une pratique qui a été connue du grand public par le biais du cinéma avec la sortie du filmMes chers amis deMario Monicelli en 1975 et qui est devenu synonyme denonsense dans la culture de masse italienne (it). La supercazzola (déformation du terme originalsupercàzzora que l'acteurUgo Tognazzi prononçait d'une manière trop rapide pour distinguer la dernière syllabe[16]), qui débute le plus souvent par une question, consiste à introduire des mots incompréhensibles au milieu d'un discours, de joindre des mots inexistants à des mots réels, plongeant la discussion à la limite de l'absurde et du non-sens, mais la rendant encore assez compréhensible pour que l'interlocuteur cherche à comprendre la supercazzola et à répondre aux questions qu'elle pose.
Exemples de supercazzola :
Texte italien à traduire :
Mascetti : Tarapìa tapiòco! Prematurata la supercazzola, o scherziamo?
Texte italien à traduire :
Prete : Dimmi, figliolo.
La supercazzola a été utilisée par un animateur du programme télévisé italienLe Iene durant des interviews où les interlocuteurs, plutôt que d'admettre ne pas avoir compris la question, cherchaient à fournir une réponse à leur interlocuteur, provoquant l'hilarité du spectateur.
Dans la tradition française, on parle plus debon mot, dejeux de mots ou detrait ou de mot d'esprit pour évoquer l'humour mais cela n'empêche pas que celui-ci puisse être populaire et absurde.
Lapointe est selonJean-François Marmontel, grammairien et encyclopédiste duXVIIIe siècle, un jeu de mots amusant, unesaillie drolatique que l'on retrouve dans la conversation ou dans des ouvrages légers[17]. Dans son dictionnaireélements de littérature, Marmontel écrit à propos de la pointe:« Les jeux de mots sans avoir cette finesse piquante, sont quelquefois plaisants, par la surprise qui naît du détour de l'expression »[18]. Marmontel en cite quelques exemples qui ont une dimension absurde dans leur humour :
En FranceJean-Marie Gourio s'est attaché à fréquenter les bars et à recueillir les paroles et discussions qui s'y tenaient. Il en a retiré une série d'ouvrages intitulésBrèves de comptoir qui contiennent de nombreux exemples d'humour absurde que l'on pourrait qualifier debistro.
Il suffit d'ouvrir les premières pages d'un de ses recueils pour rencontrer de l'humour absurde :
LesBrèves de comptoir n'ont jamais reçu de prix de l'humour absurde mais deux fois celui dugrand prix de l'Humour noir[19]. Des adaptations au théâtre, à l'opéra et au cinéma ont été réalisées. À la télévision lesBrèves de comptoir étaientracontées parJean Carmet dans l'émissionPalace. Jean-Marie Gourio a travaillé dans beaucoup de journaux français (Hara-Kiri etCharlie Hebdo) et participé à desémissions de télévision et de radio françaises (Merci Bernard,Palace,Les Nuls etLe Tribunal des flagrants délires) d'humour absurde[19].
En2002, le psychologueRichard Wiseman et quelques-uns de ses confrères ont cherché à savoir, à travers une expérience qu'ils ont nommé Laughlab, quelle étaitla blague la plus drôle dans le monde (en), c'est-à-dire« celle qui fait rire le plus de monde, quel que soit l’âge, le sexe ou la nationalité »[20], en invitant les internautes à envoyer leurs meilleures blagues par internet et donner une appréciation sur celles qui étaient postées sur le site du LaughLab[20],[21]. La récolte des données ayant rassemblé 40 000 blagues, il s'avère que la meilleure blague du monde est une blague d'humour absurde[20]. De cette enquête, dont la méthodologie est contestée du fait du choix d'un panel constitué exclusivement d'internautes qui plus est anglophones[20], il en ressort que les Européens aiment le plus l'humour absurde et les blagues conjurant ce qu'il peut y avoir de plus angoissant dans la vie tels la maladie, la mort... le mariage (sic)[22] ; et que les Américains du nord aiment l'humour dans lequel un des protagonistes de la blague est stupide, niais ou ridiculisé[20],[22].
Et la blague la plus drôle du monde est :
Traduction en français de la blague la plus drôle du monde :
La deuxième blague la plus drôle du monde[24] est :
Sometime in the middle of the night Holmes woke Watson up and said: Watson, look up at the stars, and tell me what you see.
Watson replied: I see millions and millions of stars.
Holmes said: and what do you deduce from that?
Watson replied: Well, if there are millions of stars, and if even a few of those have planets, it’s quite likely there are some planets like earth out there. And if there are a few planets like earth out there, there might also be life.
And Holmes said: Watson, you idiot, it means that somebody stole our tent. »
Traduction en français de la deuxième blague la plus drôle du monde :
Au beau milieu de la nuit, Holmes réveille Watson et lui dit : Watson, regarde les étoiles et dis-moi ce que tu vois.
Watson répond : Je vois des millions et des millions d'étoiles.
Holmes dit : Et qu'en déduis-tu ?
Watson répond : Eh bien, s'il y a des millions d'étoiles, et même si seulement quelques-unes d'entre elles ont des planètes, il est tout à fait probable qu'il existe quelques planètes comme la Terre quelque part. Et s'il y a quelques planètes comme la Terre quelque part, il doit bien y avoir aussi de la vie.
Et Holmes répond : Watson, espèce de crétin, ça veut surtout dire qu'on nous a volé la tente. »
Sur les autres projets Wikimedia :