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L'historicisme ouhistorisme[1] est unedoctrine philosophique qui affirme que les connaissances, les courants de pensée ou les valeurs d'unesociété sont liés à une situation historique contextuelle.
Ses tenants privilégient l'étude du développement de ces connaissances, pensées ou valeurs,« plutôt que celle de leur nature propre »[2], et relativisent ou mettent en question la simple possibilité de les comparer entre elles, d'une époque ou d'une civilisation à l'autre, à l'aune de critères communs qu'ils considèrent comme délicats à établir. Pour eux, les objets et les événements du passé doivent être étudiés en eux-mêmes, et surtout dans leur liaison avec leurs conditions historiques propres, entre autres sous les contraintes économiques, techniques et culturelles de leur situation d'émergence[1]. C'est par exemple le cas de« l'historisme marxiste »[1] (notion contestée parAlthusser[3]) ; ou de l'émergence du capitalisme selon Max Weber, dont il relie étroitement l'essor, dans la deuxième moitié duXVIIIe siècle, à l'éthique protestante du travail ; ou encore de« l'admiration historique » prônée parErnest Renan.
Parfois, l'historicisme peut aller jusqu'à s'apparenter à unrelativisme historique marqué, selon lequel« toute vérité évolue avec l'histoire »[1] et ne saurait jamais se rattacher à un référentiel unique, de même que touteméthodologie historique doit s'adapter à son objet et se réinventer sans cesse.
L'historicisme est une notion présente dans les débats nés des discussions autour de laphilosophie de l'histoire. Ses principaux critiques sont les philosophesWilhelm Dilthey,Edmund Husserl,Ernst Troeltsch,Martin Heidegger[4] etKarl Popper.
Le terme « historicisme » recouvre plusieurs acceptions.
L'historisme (Historismus ouHistorizismus) désigne d'abord une période de l'historiographieallemande incarnée parRanke,Droysen ouMeinecke[5], mais aussi par leséconomistesList,Hildebrand,Knies ouSchmoller, et dominante dans la seconde moitié duXIXe siècle. Désireux d'ériger l'histoire au rang de science rigoureuse, ces auteurs défendent plusieurs principes communs : l'historien doit établir les faits tels qu'ils se sont produits et saisir le passé dans sa singularité par rapport aux autres époques, sans chercher à émettre un jugement de valeur ; toute entreprise de systématisation doit être rejetée au profit d'une recherche des causes immédiates des événements. S'inspirant de la pensée deHerder, ils appellent à considérer chaque époque en elle-même et rejettent toute philosophietéléologique de l'histoire. Cet historicisme applique à la méthode historique les concepts dupositivisme[6]. Par ailleurs, rejetant l'universalisme de l'école classique, ils considèrent que chaque cas national doit être étudié à part, pour parvenir à la connaissance[7].
De son côté,Ernst Troeltsch définit, en1922, dansDer Historismus und seine Probleme, l'historicisme comme « l'historicisation fondamentale de toute notre pensée sur l'homme, sa culture et ses valeurs. » Selon lui, ce n'est pas l'esprit humain qui, en façonnant ses pensées et ses valeurs, oriente l'histoire, mais le contexte historique qui les détermine[8].
C'est cette seconde acception de l'historicisme que la plupart des penseurs duXXe siècle ont retenu. Ainsi,Raymond Aron en parle comme de « la doctrine qui proclame la relativité des valeurs et des philosophies aussi bien que de la connaissance historique »[9]. Pour sa part,Leo Strauss critique le relativisme de cet historicisme, dont il fait remonter l'origine à l'école historique allemande duXIXe siècle[10].
En revanche,Louis Althusser vise la conceptionhégélienne de l'histoire quand il parle d'historicisme, et il critique l'attribution de cette vision de l'histoire à la pensée deMarx dans un chapitre de son œuvre :Lire le Capital, au titre explicite : « Le marxisme n'est pas historicisme »[3],[11].
Quant àKarl Popper, mettant sous ce vocable les pensées dePlaton,Hegel etMarx[7], il donne cette définition de l'historicisme dansMisère de l'historicisme (1944)[12] :
« Qu'il me suffise de dire que j'entends par [historicisme] une théorie, touchant toutes les sciences sociales, qui fait de laprédiction historique son principal but, et qui enseigne que ce but peut être atteint si l'on découvre les « rythmes » ou les « motifs » (patterns), les « lois », ou les « tendances générales » qui sous-tendent les développements historiques. »
Il s'agit donc d'envisager l'histoire comme le développement d'un processus identifié et déterminé, que l'on devine à l'aide du passé, et qui permet de déterminer le futur. Selon Karl Popper, lemarxisme est l'historicisme le plus abouti, qui fait explicitement de la lutte des classes le moteur de l'histoire.
PourChristophe Bouton, « Popper sème la confusion en définissant l'historicisme comme une doctrine qui affirme la prédictibilité de l'histoire à partir de lois générales, ce que nient tant l'historicismeépistémologique que l'historicisme relativiste »[13].
Pour sa part,George W. Stocking reprend la définition de l'historicisme épistémologique dans son article « On the limits of "presentism" and "historicism" in the historiography of the behavioral sciences » (1965), où il met en garde les historiens contre l'abus desrécurrences et desanachronismes propres au point de vue des vainqueurs et leur oppose l'historicisme méthodologique, qui permet d'appréhender une « raisonnabilité » et des modalités du savoir distinctes[14].
De même, en1998,Laurent Mucchielli considère qu'« être historiciste ou tout simplement historien, c'est comprendre que les textes ont des contextes, que les discours ont été pensés et prononcés à l'intention d'un auditoire, que les articles et les livres ont été pensés et écrits à l'intention d'un lectorat, que les grands hommes quels qu'ils furent ont eu des professeurs et n'ont pas tout inventé, qu'ils ont reproduit comme les autres les préjugés et les stéréotypes culturels les plus généraux de leur époque, qu'ils ont eu les mêmes faiblesses narcissiques (bien souvent plus que les autres…), bref qu'ils furent simplement des hommes et surtout des hommes de leur temps »[15],[16].
Certains auteurs font le lien entre le développement de l'historicisme et dupositivisme et les égarements desidéologies modernes de l'autonomisation de la volonté duSujet. UnVoegelin, unKarl Löwith ou unLeo Strauss n'hésitent pas à voir dans la pensée moderne l'expression d'un historicisme, réalisé parHegel etComte.
Selon Jeffrey Andrew Barash, l'historicisme débute en Allemagne auXVIIIe siècle, notamment à partir des écrits du jeuneJohann Gottfried Herder. En mettant en question les prétentions des Lumières, puis de la Révolution française, à pouvoir réorganiser l'ordre socio-politique grâce à une raison abstraite qui s'appliquerait uniformément à toute nation, l'historicisme naissant à partir de Herder, deFriedrich von Gentz et deWilhelm von Humboldt vise à légitimer une pluralité de critères du vrai selon le contexte singulier de leur élaboration linguistique et nationale. Après avoir joué un rôle décisif dans la naissance des différentes idéologies politiques traditionnelles au cours duXIXe siècle, Barash identifie dans les déplacements ultérieurs de la réflexion sur l'histoire les signes de grandes mutations idéologiques qui rendent notamment possible les mythologies politiques du totalitarisme[17].
La critique porte sur le fait que la représentation d'un tel développement de laraison dans l'Histoire, non seulement est contradictoire en soi (si chaque époque révèle un particularisme qui doit être dépassé, lamodernité est une telle époque), mais aboutit aussi à rendre relatives les figures historiques dans lesquelles laraison s'est montrée.
Lerelativisme propre à l'historicisme tend à déconsidérer commechoses du passé les philosophies antérieures, pour ne privilégier que ce qui arriveen dernier. Non seulement l'historicisme est aliéné à laconscience historique, mais tend à faire le lit de l'idée selon laquelle lesModernes comprennent mieux les auteurs du passé, que ceux-ci ne se comprenaient eux-mêmes. Cette appréhension surplombante du passé, en tant qu'elle réinterprète l'histoire à la faveur des opinions du présent et sous le mode durelativisme, préfigure lenihilisme, et par sa distinction entre faits et valeurs, l'éclatement de la philosophie ensciences humaines.
L'historien des religionsMircea Eliade reproche à la démarche historiciste d'être trop contextualisante et de refuser la valeurheuristique desstructures, un des fondements ducomparatisme religieux[18].
La critique de l'historicisme, proche de la critique duscientisme oupositivisme est un thème récurrent de la penséelibérale classique auXXe siècle.Friedrich Hayek, en plus dePopper etLudwig von Mises, s'en est fait l'écho. La crainte des adeptes de laphilosophie politique est que le nihilismepositif et historiciste conduise autotalitarisme.Hannah Arendt se montre hostile à l'historicisme — qu'elle entend comme une hypertrophie du principe deraison[19] — insiste sur le rôle de la philosophie de l'histoire dans l'avènement des régimes totalitaires[20].
L'économistelibéralLudwig von Mises présente en 1957[21] l'historicisme comme unedoctrineépistémologique par essence hostile à l’économie. D'après lui, l’historicisme rejette toutes sources de connaissance – hormis lessciences naturelles, lalogique et lesmathématiques – qui ne seraient pas fondées sur l’étude de l’histoire, au premier rang desquelles l’économie. L’historiciste estime que l’erreur fondamentale de l’économie est de croire que l’homme recherche exclusivement son bien-être matériel. Mises conteste que l’économie prêche une telle croyance : toute action humaine s’expliquerait par un jugement de valeur des individus. Ainsi le coût, qui pour les historicistes est un élément propre aux sociétés capitalistes, serait en réalité « un élément de tout type d'action humaine, quelles que soient les caractéristiques du cas particulier. Le coût est la valeur des choses auxquelles l'acteur renonce afin de parvenir à ce qu'il veut : c'est la valeur qu'il attache à la satisfaction désirée de façon la plus pressante parmi les satisfactions qu'il ne peut avoir parce qu'il en a préféré une autre. C'est le prix payé pour une chose ».
Mises postule ainsi que, croyant pouvoir appliquer les méthodes des sciences naturelles à l’histoire, l’historiciste recherche les lois qui gouverneraient l’histoire. S’étant fixé un objectif impossible, les lois que l'historiciste énonce ne sont dès lors que le produit de son intuition, peu importe que « Hegel et, par-dessus toutMarx se considéraient comme parfaitement informés des lois de l'évolution historique ».
L'historicisme enarchitecture, d'où dérive l'éclectisme, désigne la tendance apparue auXIXe siècle de retrouver les racines nationales des différents styles européens, surtoutallemand,bavarois,russe,scandinave, par opposition austyle néoclassique et de manière plus large que lenéogothique ou le romantisme en vogue. Il se manifeste, en fonction du programme (un parlement, une gare, un musée…) par des références explicites à des styles produits à certaines périodes historiques "nationales" - des styles historiques nationaux qui servent de références aux nationalismes naissants et bien identifiées par les peuples, auXIXe siècle - par opposition aux non références nationales, mais fonctions du programme - comme le néo-antique, néo-classique pour un palais de justice, une gare centrale ou néo-égyptien, pour de grandes serres ou un musée, néo-assyrien pour une très grande gare, etc.[22].
Juridiquement parlant, l'historicisme désigne un courant de pensée fondé parFrançois Baudouin etJacques Cujas dans le cadre de l'humanisme juridique. Critiquant les travaux desglossateurs etpostglossateursitaliens, ceux-là plébiscitent pour un retour aux sources et une remise en contexte historique dudroit romain. Contrairement aux juristes médiévaux, ils ne voient pas en leDigeste une source juridique intemporelle et universelle mais une simple compilation d'extraits. Leurs travaux ont notamment permis de reconstituer leCode Théodosien et lesXII Tables.