Représentation de la fondation légendaire du pays par l'empereurJinmu.
L’histoire duJapon commence avec l'installation de groupes d'homo sapiens il y a au moins 38 000 ans, qui laissèrent les premières traces d'industrie, despierres polies, dans l'archipel japonais. Des poteries, parmi les plus anciennes de l'humanité, sont produites vers 13 000 ans avant notre ère lors de lapériode Jōmon, et comprennent les premières formes d'œuvres artistiques : lesdogū. 400 ans avant notre ère, au cours de lapériode Yayoi, sont introduites des technologies venant deChine et deCorée comme lariziculture et la fonte dubronze et dufer.
Lapériode Yamato, qui s'étend de250 à710, voit l'émergence de la première forme d'État structuré. Lors de sa première partie, de grands tertres funéraires, oukofun, sont bâtis, et, progressivement, larégion du Kansai s'impose en tant que centre politique. AuVIe siècle, lebouddhisme, arrivé au Japon via la Chine et la Corée, bouleverse profondément la vie politique du pays ; uneconstitution en 17 articles d'inspiration bouddhique est rédigée en604 pour encadrer le fonctionnement de l'État. De nombreux immigrés originaires des royaumes coréens façonnent la vie politique et les arts de l'archipel japonais.
DuVIIIe siècle auXIIe siècle, uneculture classique portée par unecour impériale se développe. Très influencée par des modèles continentaux dont elle s'émancipe dès leXe siècle, elle est à l'origine d'œuvres comme leTōdai-ji ouLe Dit du Genji. C'est aussi à cette époque que la scène politique se divise entre le pouvoir impérial, et celui de chefs de clans. Les clansFujiwara,Taira, etMinamoto vont tour à tour accaparer la plupart des rouages de l'administration. Des famines sévissent régulièrement dans le pays, et l'insécurité qui s'installe entraîne la création d'une classe sociale de combattants, oubushi.
Le Moyen Âge japonais s'étend duXIIe siècle à la fin duXVIe siècle. Après laguerre de Genpei, qui s'achève en1185, le pays est dirigé pour la première fois par un gouvernement extérieur à la cour impériale : lebakufu, basé dans larégion du Kantō. Ce gouvernement guerrier, dirigé par leclan Hōjō marque l’époque de Kamakura(鎌倉時代,Kamakura jidai?,1185–1333), l'une des 14 subdivisions traditionnelles de l'histoire du Japon. Cette période, qui commence en1185 et s'achève en1333, est placée sous l'autorité politique dushogunat de Kamakura et constitue la première partie du « Moyen Âge » de l'histoire japonaise. Le gouvernement guerrier en place est ensuite dirigé par lesAshikaga, qui structurent le pays à partir de1336. L'époque Sengoku, ou époque des provinces en guerre, clôt ce Moyen Âge, marqué par de grandes turbulences sociales et politiques et un morcellement du pays en plusieurs provinces et potentats. La réunification politique du pays est cependant réalisée sous l'impulsion successive des chefs militairesOda Nobunaga,Toyotomi Hideyoshi, puisTokugawa Ieyasu.
Leshogunat Tokugawa, qui s'ouvre en1603 et se termine en1868, correspond à l'époque d'Edo. Promouvant d'abord unepolitique commerciale active à l'étranger, il met en place unepolitique d'isolement par l'édit Sakoku de 1635. Le pays connaît une phase d'essor démographique et économique allant de la fin duXVIe siècle au début duXVIIIe siècle. Lenéo-confucianisme importé de Chine sous-tend l'organisation de la société, et une division sociale en plusieurs classes s'instaure. Dans la culture, des formes artistiques comme lekabuki ou lehaïku voient le jour, alors que dans le domaine scientifique, les études hollandaises ouRangaku continuent de diffuser dans l'archipel les sciences et techniques occidentales.
Après la fin de l'occupation, le Japon devient l'une des principales puissances économiques mondiales. Malgré l'opposition récurrente de ses proches voisins, son essor économique lui permet de diffuser dans le monde entier ses productions culturelles, substituant unsoft power important à sa domination militaire passée.
Le Japon lors de la dernière glaciation (vers 20 000 ans avant le présent). Les zones en orange étaient au-dessus du niveau de la mer, celles en blanc représentent les territoires couverts de glace.
Le début du peuplement au Japon remonte probablement au début de ladernière période glaciaire il y a au moins 38 000 ans[1], lorsque l'archipel était en contact avec le reste du continent, mais en raison de la nature acide des sols, aucun squelette n'a été conservé[2]. Au plus fort de cette période vers - 18 000, le niveau des mers est alors inférieur de 130 à 140 mètres au niveau actuel et le territoire est connecté entreKyūshū et laCorée ainsi qu'entreHokkaidō,Sakhaline, et laSibérie[3]. Les premiershomo sapiens partagent les terres avec de grands animaux, y compris desmammouths. La partie la plus septentrionale du Japon actuel est occupée par latoundra et des forêts, alors qu'une zone comprenant leTōhoku et leKantō est, elle, couverte de résineux. Plus au sud, les conifères cèdent progressivement la place à des arbres à feuilles caduques[4].
Les premiers vestiges d'industrie humaine, despierrespolies, remontent à environ 32 000 ans[5], et constituent les traces du début du paléolithique postérieur au Japon. Cette période s'étend jusqu'à 10 000 ans avant notre ère. Découverts initialement àIwajuku, mais se retrouvant dans la totalité du territoire japonais, cesartéfacts se présentent sous la forme de haches, des pointes de lances, et des couteaux[2]. Il y a 22 000 ans, la population est estimée à environ 10 000 habitants[4], et vit principalement de la chasse[6]. La période suivante s'étale de 12 000 à 10 000 ans avant notre ère et se démarque par l'apparition de lames de pierre plus fines dans deux foyers distincts. Au nord-est deHonshū et à Hokkaido, leurs formes de coin s'apparentent à celles retrouvées autour dulac Baïkal, alors qu'à l'ouest leurs formes arrondies s'apparentent à celles retrouvées dans le sud de laChine[7]. Les changements climatiques ainsi que la disparition de certains gibiers entraînent un glissement du régime alimentaire de ces premiers habitants vers une alimentation plus riche en végétaux[6].
Depuis la fin duXIXe siècle les débats, qui touchent aussi parfois les manuels scolaires[8], sur les origines ethniques et culturelles des actuels habitants de l'archipel se polarisent sur la question de l'identité culturelle japonaise. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale la référence aux textes anciens, comme leKojiki et leNihon shoki, s'est atténuée tandis que la population manifestait un véritable engouement pour les découvertes archéologiques concernant les périodes Jōmon et Yayoi. Les fouilles du site Yayoi de Toro (Shizuoka), à la fin des années 1940, puis l'article deTarō Okamoto en 1952 et ses tours de l'Exposition universelle d'Osaka en 1970 qui faisaient l'éloge de la culture Jōmon, opposaient deux modèles de société : le modèle Yayoi d'une communauté agricole et pacifique, le modèle Jōmon d'une société non-hiérarchique à l'esthétique « moderne ». Les chantiers de fouille se sont, depuis, multipliés comme nulle part au monde. Les objets ont alimenté des musées locaux et de nombreux sites ont fait l'objet d'une présentation pédagogique immersive, en particulier lesparcs archéologiques deSannai Maruyama etYoshinogari[9].
Les premières traces de poteries, parmi les plus anciennes de l'Histoire de l'humanité, apparaissent vers 14 500-13 000 avant notre ère, sur le site d'Odai Yamamoto site I dans lapréfecture d'Aomori[10]. Les distinctions régionales apparues au paléolithique entre un Japon occidental et un Japon oriental s'accentuent[11] ; entre sept et huit aires culturelles distinctes sont constituées à la fin de la période, vers 300 avant notre ère[12]. Ledéveloppement de la céramique permet un stockage plus efficace des aliments, mais aussi la cuisson, et donc la consommation, de nouveaux aliments comme les glands, les châtaignes et les marrons[13]. Par ailleurs, des objets en laque comme des peignes ou des bols, ainsi que des étoffes en fibres végétales commencent à apparaître[14].
Un mouvement de sédentarisation dans des villages, déjà observable lors de la période précédente, s'accentue. Les habitations font de quatre à cinq mètres de diamètre, avec un sol situé à un mètre de profondeur. On trouve par ailleurs des bâtiments plus grands, jusqu'à 30 mètres de long, notamment dans les régions connaissant des épisodes d'enneigement[15]. Les pratiques funéraires font apparaître certains objets comme desdogū ainsi que des parures décoratives[16], mais ne présentent pas de distinctions sociales marquées[17]. L'alimentation continue d'être constituée du produit de la chasse, auquel s'ajoutent des végétaux en nombre grandissant sur la période, alors que vers la fin de celle-ci l'agriculture commence à se répandre[14], ainsi qu'une sylviculture duchâtaignier, dès lesIVe etIIIe millénaires avant notre ère[18]. La pêche et la récolte de coquillages se généralisent le long des côtes, et lechien commence à être domestiqué[19]. Les réseaux d'échanges de biens touchent l'ensemble de l'archipel, et traversent parfois la mer[20]. L'abondance de ressources explique sans doute le faible développement de l'agriculture dans le Japon de la période Jōmon, ce qui constitue une variante originale de lanéolithisation :sédentarité, céramiques précoces, mais processus dedomestication des plantes et des animaux (quasi) inexistant[21],[22].
La fin de la période est cependant marquée par un effondrement du modèle duchasseur-cueilleur sédentaire, avec une disparition des villages et un retour au nomadisme[23]. À l'apogée de cette période, les estimations les plus hautes chiffrent à 300 000 le nombre d'habitants, dont 90 % dans laplaine du Kantō[24].
Plusieurs études depaléogénétique ont analysé le génome des habitants de la période Jōmon. Leurs résultats soutiennent les preuves archéologiques basées sur l'industrie lithique que les Jomon sont des descendants directs du peuple du Paléolithique supérieur qui a commencé à vivre dans l'archipel japonais il y a 38 000 ans[25]. Les spécimens étudiés montrent également une forte affinité génétique avec les aborigènes indigènes deTaiwan, ce qui suggère une route côtière de la migration de l'ascendance Jomon[25]. Ces résultats indiquent que ces populations sont génétiquement distinctes des populations vivant aujourd'hui en Eurasie orientale ou même au Japon, à l'exception desAïnous d'Hokkaido. Ils correspondent à l'hypothèse que les Aïnous et les Jomon partagent une ascendance commune. Une étude suggère ainsi que les Aïnous d'Hokkaido « sont probablement des descendants directs du peuple Jomon »[25]. Enfin, les chercheurs ont observé une mutation pathogène du gène CPT1A chez ces individus. La mutation offre des avantages métaboliques pour la consommation d'un régime alimentaire riche en graisses et sa fréquence d'allèles est supérieure à 70 % dans les populations arctiques, mais est absente ailleurs. Cette variante pourrait être liée, selon les auteurs, au mode de vie du peuple Funadomari Jōmon, qui pêchait et chassait les animaux terrestres et marins[26].
Dōtaku, type de cloche de bronze de la fin de la période Yayoi.
La culture Yayoi, du nom d'un type depoterie propre à cette époque, se développe à partir de 800[27] avant notre ère dans l'ouest de l'archipel, et coexiste dans un premier temps avec la culture Jōmon, jusque vers environ 400 AEC, date initiale retenue traditionnellement. Initialement centrée sur le nord deKyūshū, elle se caractérise par l'usage d'une riziculture inondée, technique importée deChine via laCorée[28], et s'étend jusqu'auIIIe siècle[29]. L'usage de greniers surélevés pour stocker les récoltes apparaît[30]. Contrairement à d'autres régions du monde, l'essor de l'agriculture ne s'est pas accompagné au Japon d'un développement de l'élevage[31]. Des objets enbronze et enfer apparaissent simultanément[32]. La matière première n'est pas extraite sur place, mais est importée sous forme de lingot et est fondue dans des moules[33]. De grandes cloches de bronze, des épées et des pointes de lances, ou encore destama sont façonnées et ensevelies dans un but cérémoniel[34].
Les individus de la période Yayoi présentent, à la différence des populations de la culture Jōmon, une nouvelle composante génétique continentale d'Asie du Nord-Est. Les fermiers du Néolithique moyen de l'ouest de la rivièreLiao sont les anciennes populations du continent asiatique qui sont les plus proches génétiquement de la source continentale présente chez ces individus Yayoi, ce qui suggère un itinéraire hypothétique de propagation agricole en direction du Japon qui aurait suivi lapéninsule du Shandong (nord-est de la Chine) vers lapéninsule du Liaodong (partie nord-ouest de la péninsule coréenne) puis atteint l'archipel via la péninsule coréenne[1].
Reconstitution du village fortifié dusite de Yoshinogari, illustrant les habitations surélevées propres à cette époque.
La population connaît une croissance importante, soutenue par les progrès de l'agriculture[34] alors que la cueillette, la chasse, et la pêche sont toujours pratiquées[35]. Cette hausse est surtout sensible au Sud et dans l'Ouest, bien que le Centre et le Sud de la région continuent de représenter la plus importante partie des habitants de l'archipel[34]. Ceux-ci seraient environ 600 000 au début duIer siècle, et un million vers l'an200[36]. Par ailleurs, les troubles politiques sur le continent, plus particulièrement enChine avec la chute desHan, ont probablement entraîné l'arrivée de populations d'outre-mer, et avec elles des savoir-faire techniques et artisanaux[37]. L'habitat n'évolue que peu par rapport à la période Jōmon[34], mais les villes se fortifient et de nouveaux établissements sont fondés sur des hauteurs faciles à défendre, en raison de l'apparition de guerres[38].
La région est pour la première fois citée dans des sources écrites duIVe siècle venant deChine. Le peuple habitant l'archipel est désigné sous le nom deWa, et décrit comme étant réparti en une centaine de principautés, certaines entretenant des relations commerciales avec lesHans[39]. Selon lachronique des Wei, ces principautés se seraient fédérées sous l'autorité de la reineHimiko, dans la région duYamatai[40].
La période qui va de la fin duIIIe siècle à la fin duVIe siècle se caractérise par l'utilisation dekofun, grandstertres funéraires érigés pour des chefs locaux ainsi que pour leurs familles[41]. Leur taille va en s'accroissant entre le milieu duIVe siècle et le début duVe siècle, notamment dans larégion du Kinki[42], qui devient un important centre politique entre450 et500[43] au terme d'un processus d'unification politique[44]. Vers le début duVe siècle, son centre situé dans lazone du Yamato, près deNara, se déplace vers laplaine du Kawachi. L'augmentation de la taille deskofun à cette occasion témoigne d'une croissance importante du pouvoir. Celui deDaisen construit à cette époque fait ainsi 480 mètres de long pour 30 mètres de haut, et aurait nécessité l'utilisation de près de 200 000 hommes pendant plusieurs années[45]. Vers la fin duVe siècle et le début duVIe siècle, un nouveau type de régime politique émerge, centralisé autour de quelques grands chefs et possédant un début d'administration. Cette évolution va de pair avec une baisse en nombre et en taille deskofun, remplacés par de grandes nécropoles disposant de petits tertres, illustrant une concentration du pouvoir[46].
La paléogénétique montre que les anciens individus de la période Kofun sont distincts génétiquement des individus de la culture Yayoi. Les résultats suggèrent que lesHans d'Asie de l'est sont la population la plus proche de cette source continentale. Ils confirment également l'hypothèse que le début de la période Kofun s'est accompagné d'une forte migration en provenance du continent asiatique dans l'archipel du Japon. Depuis lors, on observe « un certain niveau de continuité génétique » avec la population japonaise moderne[1].
Le processus de différenciation sociale déjà actif lors de l'époque précédente s'accentue, et entre350 et400 le matériel funéraire présent dans ces tombes montre une militarisation du pouvoir[42]. Cependant, des régions entières restent en dehors de ce modèle culturel dominant, comme le nord duTōhoku,Hokkaidō, lesîles Satsunan, perpétuant la cultureJōmon[47]. À partir duVe siècle, des rizières en zones sèches se développent, et de nouveaux espaces sont défrichés et cultivés[46], permettant une croissance de la production agricole[48]. La création de digues et d'étangs, ainsi que l'assèchement de marais montrent par ailleurs une organisation sociale plus poussée[49].
Les relations politiques avecles royaumes coréens s'intensifient. Les chefsWa dépendant de la péninsule pour leurs approvisionnements en métaux, il est probable que ceux-ci aient ainsi cherché à sécuriser les circuits d'échanges[47]. Dès leVe siècle, des alliances militaires se forgent avecBaekje et des troupesWa interviennent dans la péninsule pour combattre contre les royaumes deSilla et duKoguryo[50]. C'est via ces alliances que des artisans qualifiés entrent dans l'archipel, et apportent avec eux des technologies comme le tissage de lasoie, la fabrication depapier, la fonte de métaux… Des lettrés du continent maîtrisant l'écriture chinoise émigrent également[45]. Des relations avec les pouvoirs chinois sont aussi entretenues par desambassades, et des sources de l'empire du Milieu témoignent de l'existence decinq rois de Wa au cours duVe siècle[51].
Lebouddhisme fait son entrée au Japon vers leVIe siècle. En538 ou552, l'empereurKinmei reçoit une statue deBouddha ainsi que dessutras de la part du roi coréen deBaekje, alors que des moines bouddhistes venant de la péninsule convertissent déjà depuis quelques années des habitants de l'archipel. Bien qu'étant en contradiction avec les systèmes de croyances locaux, cette nouvelle spiritualité religieuse est bien accueillie, tout comme letaoïsme et leconfucianisme[52]. Elle touche dans un premier temps l'aristocratie, et certains chefs se convertissent à titre personnel ou entraînent avec eux l'ensemble de leur clan[53].
Le bouddhisme étend sa sphère d'influence au champ politique : dans la seconde moitié duVIe siècle, leclan Soga — converti à la nouvelle religion et opposé aux clansNakatomi etMononobe, tenants dushintō — prône son institution en religion officielle de la royauté japonaise, à l'exemple des royaumes coréens. Les partisans du shintō s'imposent dans un premier temps, mais l'empereur Kinmei autorise le chef de clanSoga no Iname à continuer à pratiquer ce culte à titre privé[52]. Son successeurBidatsu est plus hostile à cette religion et va jusqu'à la faire interdire, lui imputant de mauvaises récoltes, notamment en569. L'opposition persistante entre les Soga et les Mononobe débouche sur un affrontement militaire. En587, à labataille de Shigisan, les Soga anéantissent leur ennemi. Leur victoire leur ouvre le chemin du pouvoir ; ils installent sur letrône du chrysanthème un nouvel empereur :Sushun, fils de l'empereur Kinmei et petit-fils de Soga no Iname. L'assassinat de ce dernier, cinq ans plus tard, permet l'accession au trône de la première impératrice régnante du Japon :Suiko, petite-fille de Soga no Iname et demi-sœur de l'empereur Sushun. Au début duVIe siècle, le clan Soga contrôle d'autres clans et trois grandes administrations[53].
La nature de plus en plus despotique du régime ligue contre lui des notables de la cour. Un premier coup d'État échoue en643. Deux ans plus tard, soutenu parKamatari du clan Nakatomi, leprince Naka no Ōe, descendant de l'empereur Kinmei,assassine Soga no Iruka, dépositaire du pouvoir du clan Soga[54]. Ce n'est cependant qu'en667, après une vingtaine d'années de complots politiques et d'actions violentes[55], qu'il accède au trône impérial sous le nom de Tenji[56].
Une troisième crise politique s'ouvre en672 lorsque laguerre de Jinshin éclate, opposant le fils de l'empereur Tenji, leprince Ōtomo, à son oncle,Ōama. Ce dernier, s'appuyant sur des chefs régionaux mécontents des dépenses somptuaires du régime et des échecs militaires en Corée, s'impose lors de la bataille décisive deSetabashi[57]. Contrairement à ses prédécesseurs, il prend immédiatement le titre d'empereur sous le nom deTenmu et adopte la dénomination deTennō en remplacement de celle d'Ōkimi, dirigeant non plusYamato maisNihon[58]. Il entame une série de réformes institutionnelles afin de renforcer le pouvoir impérial. L'empereur est associé aux divinités locales et son ascendance divine affirmée — ausanctuaire d'Ise, le culte de la déesse tutélaire du pays,Amaterasu, est instrumentalisé. Dans le même temps, la propagation du bouddhisme est encouragée[57] et son organisation est placée sous le contrôle de l'État[59].
Au début duVIIe siècle, l'État se modernise en mettant en œuvre plusieurs réformes inspirées de celles des monarchies coréennes[60] et de ladynastie Sui, enChine. En603, Il institue une hiérarchie en six rangs basée sur le mérite. Touchant les membres de la moyenne aristocratie, elle préfigure l'émergence d'un État basé sur une classe de fonctionnaires[61]. En604, laConstitution en 17 articles pose les bases d'uneconception confucianiste de l'État, avec l'affirmation de la prééminence de la famille impériale, et l'obligation d'obéissance envers le souverain. Les anciens chefs de clan doivent se comporter comme des fonctionnaires, et se réunir à la cour pour écouter les ordres du souverain[60]. Laréforme de Taika de646 accentue la centralisation de l'administration sur le modèle de celle de la Chine desTang, et accélère l'intégration des provinces, y compris des plus reculées comme celles du Nord-Est[62]. Des expéditions militaires sont lancées dans leTōhoku et àHokkaidō entre646 et660 pour soumettre les populations de ces régions[63]. Les réformes sont poursuivies sousTenmu. En682, notamment, la rétribution individuelle des fonctionnaires est adoptée. Cette mesure vise surtout à l'achèvement de la transformation des membres de la haute aristocratie en fonctionnaires au service de l'État[64]. Lecode de Taihō, promulgué en701, fournit en détail l'organigramme du régime, compile les règles existantes et marque la naissance d'un « régime de codes » influencé par les modèles continentaux[65].
Sur le continent, laChine desSui et laCorée duKoguryo sont en conflit au début duVIIe siècle. Le pouvoirWa, se voulant l'égal du pouvoir chinois[66], tente de faire reconnaître ses prétentions sur la péninsule, diplomatiquement en envoyant des ambassades en600 et en607 à la cour chinoise[67] — les premières depuis478[68] —, et militairement en600 et en623 en envoyant des troupes en Corée, mais celles-ci sont défaites[67]. En630 une nouvelle expédition militaire est envisagée, mais les partisans dustatu quo l'emportent, et les relations s'apaisent momentanément avecSilla[69].
La Chine desTang entreprend au milieu duVIIe siècle de conquérir la péninsule coréenne[70], avec le soutien militaire deSilla. Sortant de sa position de neutralité, le pouvoir japonais s'allie au royaume coréen deBaekje et organise une intervention militaire afin de reprendre pied dans la péninsule. La coalition chinoise met fin à ses ambitions en663 lors de labataille navale de Hakusukinoe[71]. Vaincu, le gouvernement japonais cherche par la suite à apaiser la situation en envoyant deux ambassades aux Tang en665 et669. Les conflits dans la péninsule ont cependant pour effet d'inciter de nombreux immigrés qualifiés à émigrer, ce qui favorise le transfert de techniques et de modes de pensées et d'organisation[72].
Le développement de l'administration du pays selon un régime de Codes, ouRitsuryō, calqué sur le modèle chinois desSui, s'étale du milieu duVIIIe siècle jusqu'au milieu duXIIe siècle. Il est caractérisé par quatre phases principales d'évolutions, au cours desquelles le pouvoir change de mains à plusieurs reprises[73].
Lors d'une phase allant d'environ750 à850, la maison impériale reste dominante dans les affaires du pays[73]. L'ascension au pouvoir de l'empereurKanmu en781 puis celle de son filsSaga en809 marquent l'apogée de cette période. Sous l'impulsion de ceux-ci, la décision est prise de déplacer la capitale versNagaoka-kyō (784), puis versHeian-kyō (794) afin d'échapper à l'influence desmoines bouddhistes deHeijō-kyō. Ils favorisent par ailleurs la construction de nouveaux temples, ainsi que l'émergence de nouvelles écoles de pensée bouddhistes, dont les écolesTendai (et sonEnryaku-ji) etShingon (et sonTō-ji), de manière à concurrencer celles restées à Heijō-kyō. Ils réforment l'administration de façon à la rendre plus efficace et à faciliter son contrôle, et repoussent les populations non soumises d'Emishi vers le nord, au-delà de l'actuelMorioka[74].
Quelques empereurs retirés remettent en cause la prééminence des Fujiwara lors d'une période allant d'environ1050 à1180[73].Go-Sanjō, qui devient empereur en1068, et son filsShirakawa, qui le devient à partir de1073, parviennent à exploiter les erreurs du régent Fujiwara et les dissensions qui secouent cette famille, élargissant ainsi leurs prérogatives, et augmentant les revenus de leurs terres. Grâce à leur richesse accrue, ils financent de grands travaux dans la capitale, ce qui renforce leur autorité politique. Cette stratégie est poursuivie avec succès jusqu'au règne deGo-Shirakawa au cours duquel les relations à la cour se tendent, et plusieurs rébellions éclatent (celle de Hōgen en1156,Heiji en1160)[77]. C'est à cette époque que sous la direction de son chef militaire,Taira no Kiyomori, et grâce à l'appui deGo-Shirakawa, leclan Taira affirme sa puissance[78].Mochihito, fils deGo-Shirakawa, s'estimant injustement écarté du pouvoir par lesTaira, conclut en1180 une alliance avec leclan Minamoto ; laguerre de Genpei commence. Cinq ans plus tard, les Minamoto défont les Taira lors de labataille navale décisive de Dan-no-ura ; l'époque de Heian prend fin[79].
Leclimat du Japon connaît entre le milieu duVIIe siècle et1100 une hausse significative des températures, dont les conséquences se font sentir sur l'agriculture[80]. Entre leVIIe siècle et leIXe siècle, un nombre important de famines est enregistré, frappant en moyenne tous les trois ans (au niveau local ou national), et ayant la plupart du temps été causées par des épisodes de sécheresse[81]. Des recherches archéologiques mettent en évidence des phénomènes de stérilisation des sols de terres cultivées entre la fin duXe siècle et le premier quart duXIe siècle ; des domaines agricoles sont abandonnés autant dans l'est que dans l'ouest du pays[82].
Lors des périodesNara etHeian, lariziculture se développe sur les flancs de montagne et les fonds de vallée ; l'eau de ruissellement et de pluie de mousson y est plus simple à capter. Dans certaines régions comme leKinai, l'érosion des sols engendrée par l'exploitation forestière fragilise ce type de culture ; les bassins rizicoles sont alors moins souvent irrigués, et plus souvent encombrés par des débris minéraux et végétaux[83]. La cour impériale publie des décrets (11 entre693 et840) pour obliger les agriculteurs àplanter des céréales sèches, une alternative au riz en cas de mauvaise récolte lors d'épisodes de sécheresse[84].
L'administration impériale a plusieurs types de réponses à ces famines. Entre670 et le début duXIe siècle, une politique active est menée, en faisant parvenir des stocks de riz aux régions touchées[85] (à partir de704[86]), en accordant des exemptions fiscales, et en commandant des cérémonies religieuses pour encourager les bonnes récoltes. À partir du début desannées 800, la situation devient plus complexe à gérer. Les fonctionnaires locaux sont souvent accusés de mauvaise gestion par l'administration centrale ; accusations qu'ils rejettent sur les paysans, leur reprochant de manquer de sérieux dans leurs travaux. Dès900, l'administration centrale, débordée, ne parvient plus qu'à limiter les troubles dans la capitale en y distribuant de la nourriture. Au siècle suivant, les ressources ne permettent plus de couvrir les besoins des populations[85].
Cescrises de subsistance ont plusieurs effets sur la population. La mortalité augmente et l'affaiblissement induit des populations l'amplifie. Les épidémies sont fréquentes, et touchent davantage les personnes vivant de la terre, épargnant les nobles. Lafécondité baisse aussi. L'ensemble de ces phénomènes contribue à un tassement de la population du pays[87].
Le Japon connaît lors de l'époque de Nara une période de dynamisme culturel, et apparaît comme un des pôles culturels de l'Asie, derrière laChine qui s'impose comme un modèle à suivre[88]. L'administration impériale japonaise, cherchant à légitimer la lignée impériale, s’attelle à l'écriture d'unehistoire officielle. S'inspirant des modèles chinois, elle publie des chroniques historiques mettant en avant l’origine divine de la famille impériale : leKojiki en712 puis leNihon shoki en720[89]. Une capitale fixe, établie à Heijō-kyō (l'actuelle ville deNara), centralise les pouvoirs politiques et religieux[90]. À la manière descités chinoises de l'époque, son urbanisme suit un plan en grille, et comporte un palais, des ministères, et plusieurs autres administrations. Cette Heijō-kyō aurait compté environ 100 000 habitants[91].
LesWadōkaichin, frappées à partir de708, sont la première monnaie nationale du pays.
L'État continue d'étendre son contrôle sur l'archipel. L'ouest duTōhoku est soumis, et en712 laprovince de Dewa y est créée[92]. Le sud deKyūshū est conquis au début duVIIIe siècle. Des colons s'installent dans ces régions et y introduisent la riziculture. Dans l'ensemble des provinces, l'administration centrale impose la rédaction deFudoki, rapports portant sur divers aspects de la vie locale. Les recensements de populations, et les cadastrages s'y développent aussi[93].
L'économie connaît une phase d'expansion. La frappe de monnaies de cuivre et d'argent est enregistrée dès la fin duVIIIe siècle et en708, la première monnaie officielle du pays : leWadōkaichin, entre en circulation. Si cette économie monétaire reste limitée faute de ressources métalliques, elle démontrait une volonté étatique de développement. Des marchés apparaissent aussi en dehors de la capitale, mais le commerce reste essentiellement une activité de complément, avec peu de boutiques tenues par des marchands[93].
Dans le domaine géopolitique,le pays entretient des relations avec la Chine des Tang, et y envoie une ambassade importante environ tous les 20 ans. Celle-ci peut compter jusqu'à 600 personnes, et le retour au Japon de ces envoyés permet au pays de connaître les dernières évolutions culturelles chinoises[94]. Certains de ces Japonais s'implantent durablement enChine ; un lettré commeAbe no Nakamaro devient un proche de l'empereurTang Daizong. Les relations avecla Corée des Silla sont plus tendues, mais des ambassades sont cependant échangées. LaCorée agit comme un intermédiaire entre le Japon et laChine[95]. Des relations sont aussi entretenues avec leroyaume de Parhae qui succède auroyaume de Koguryo, et une première ambassade arrive à Heijō-kyō en727. Trente suivent jusqu'en926 ; le Japon en envoie treize lors de la même période[96].
Le bouddhisme évolue vers une forme dereligion officielle. L'État prend à sa charge la construction detemples provinciaux ainsi que duTōdai-ji àNara[97]. L'empereurShōmu favorise en particulier le développement de cette religion, et commande en743 une immense statue deVairocana. L'administration du bouddhisme se concentre alors dans les mains desSix écoles de la Capitale du Sud, toutes venant de courants développés sur le continent[98]. L'écoleKegon en particulier domine ce système et gère lestemples provinciaux[99]. Des moinesgyrovagues commencent à apparaître, dont le moineGyōki qui convertit au bouddhisme des populations rurales[100].
La culture connaît lors de l'ère Tenpyō de729 à767 un dynamisme important. Elle est façonnée par les goûts de la cour et les grands chantiers liés aubouddhisme comme ceux duTōshōdai-ji ou duTōdai-ji[101]. Des sculptures gigantesques sont construites pour décorer ces temples. Dans le domaine littéraire, leKaifūsō compilé en751 et leMan'yōshū compilé vers760 rassemblent des poèmes composés pour certains dans la première moitié duVIIe siècle. Les auteurs sont avant tout des gens de la cour, mais des œuvres de soldats ou de paysans sont aussi présentes. Les thèmes portent sur l'amour, la nature, ou encore le travail et la misère de l'époque, dans la capitale ou dans les provinces[102].
Des formes indigènes debouddhisme apparaissent. Le moineSaichō fonde la brancheTendai et le moineKūkai la brancheShingon. Ces écoles japonaises s'opposent rapidement auxSix écoles de la Capitale du Sud, et installent leurs monastères sur lemont Hiei, à proximité de la nouvelle capitaleKyoto (Enryaku-ji) ou dans celle-ci (Tō-ji)[107]. Contrairement aux écoles plus anciennes qui installent leurs temples à proximité des lieux de pouvoirs, ces deux nouvelles écoles installent les leurs dans les montagnes (comme leKongōbu-ji sur leMont Kōya). Elles rompent aussi avec les anciennes pratiques en interdisant leur accès aux femmes. C'est véritablement avec l'arrivée des écolesTendai et Shingon que l'aristocratie japonaise se convertit[108].
Une forme locale de chamanisme, leshintō, continue d'exister et d'influencer les plus hautes sphères de l'aristocratie. Leclan Nakatomi est chargé de plusieurs rituels à la cour, et plusieurs types de divinations (Ashi-ura,zeni-ura, lecture duClassique des changements…) sont pratiqués[109]. Dans les sanctuaires, une classe de gardiennes de lieux saints et d'intermédiaires entre les hommes et les dieux apparaît : lesmiko[110]. AuVIIIe siècle, la dévotion envers la divinité protectrice du Japon et du peuple japonais,Hachiman, connaît un regain de ferveur auUsa Hachiman-gū[111] ; les liens entre la cour et ce sanctuaire s'affirment[112].
Les relations avec les pays étrangers fluctuent selon les secteurs. Si les échanges politiques se font plus rares duXe siècle auXIe siècle, les commerçants venant deChine ou deCorée continuent à développer leurs activités dans l'archipel[103]. La dernière ambassade est envoyée en838 enChine alors que ladynastie Tang commence à péricliter[105]. La situation est comparable enCorée jusqu'à l'unification de la péninsule par leGoryeo au début duXe siècle[113].
Carte d'unshōen auVIIIe siècle. Ce type de domaine privé croît lors des siècles suivants.
Le pays connaît une période de paix relative, bien que des agitations puissent perdurer dans les provinces[103]. Si la guerre de Trente-huit ans(三十八年戦争?), qui s'achève en802, permet de pacifier leTōhoku, certaines zones comme l'actuellepréfecture d'Aomori restent hors du contrôle impérial, et des révoltes ont lieu (prise d'Akita en878)[114]. Plus largement, les provinces commencent à jouer un rôle plus important dans l'histoire nationale. Une élite s'y développe à partir duXe siècle, et devient de plus en plus autonome vis-à-vis du pouvoir central. Ses revenus grandissants lui permettent de lever des forces armées pour mater les émeutes[115]. Une nouvelle classe de combattants, lesBushi, fait alors son apparition[116] vers900[117] et est utilisée pour faire face à l'insécurité qui se généralise dans les provinces comme dans la capitale[118].
Au niveau local, de grands ensembles privés oushōen, commencent à se constituer auVIIIe siècle. Initialement limités, leur nombre augmente à partir duXe siècle. Ils sont issus de terres appartenant au domaine public, et privatisées par des fonctionnaires, ou des monastères bouddhiques. Si leurs propriétaires restent soumis à l'impôt, les exemptions se multiplient[116]. Grâce à une pression fiscale souvent moindre sur ces terres, des paysans de plus en plus nombreux délaissent les terres publiques pour s'y installer et les exploiter pour un seigneur local. Des droits de police et de justice sont aussi parfois acquis par ces seigneurs, qui échappent alors à l'autorité de l'administration[119]. Plus largement, la privatisation de ces terres contribue à réduire les recettes fiscales de l'État[120], et plusieurs édits visent à réduire l'importance desshōen lors de l'époque Heian. Cependant, au sein même de l'administration travaillent des aristocrates tirant leurs richesses et leur poids politique de l’existence de ce type de domaine, ce qui réduit la portée de ces édits[121].
En1150 la population japonaise compte environ sept millions d'individus (avec unedensité moyenne de24 habitants au kilomètre carré), dont 40% vivent dans leKínai (environ 1,4 million d'habitants, soit60 habitants au kilomètre carré) ou dans leKantō (environ 1,6 million d'habitants, soit50 habitants au kilomètre carré)[122].
À partir de la fin duXIIe siècle, une série de chefs guerriers exercent le pouvoir au nom de l'empereur depuis leur capitale deKamakura dans leKantō[73]. Pour la première fois dans l'histoire du Japon, le pouvoir est exercé par un groupe extérieur à la cour impériale et localisé hors duKansai[123].Minamoto no Yoritomo, qui sort victorieux de laguerre de Genpei en1185, reçoit de la cour le titre deseiitai shōgun et prend la tête dubakufu, ou « gouvernement de la tente ». Faute d'héritier mâle en âge de régner, c'est le clan de sa femme,Hōjō Masako, leclan Hōjō, qui s'approprie le pouvoir à sa mort en1199[124] et le conserve pendant plus d'un siècle[123].
Hōjō Masako dirige les affaires de l'État de1199 jusqu'à sa mort en1225[125], alors que le nouveau régime doit faire face à des tentatives de déstabilisation venant de la cour impériale restée àKyoto. Elle fait éliminer son propre filsMinamoto no Yoriie en1203, ainsi que des membres duclan Hiki duquel il était proche, et fait nommer shogun son second filsMinamoto no Sanetomo. En1213, elle écarte du pouvoirWada Yoshimori qui occupait un poste clef dans l'administration et qui est accusé de comploter[125]. Ceci permet aux Hōjō de confisquer des domaines appartenant aux clans écartés du pouvoir, consolidant ainsi leurs bases économiques et sécurisant les zones situées autour deKamakura, celles-ci devenant contrôlées par des Hōjō et par leurs alliés[126].Minamoto no Sanetomo meurt assassiné, sans héritier, en1219[127]. Étant donné qu'il était proche de l'empereur retiréGo-Toba avec qui il entretenait unecorrespondance épistolaire, son assassinat devient prétexte à une intervention de la cour.Go-Toba tente de renverser le pouvoir sans succès lors de larévolte de Jōkyū en1221. En réaction, l'empereur et sa descendance sont exilés loin deKyoto, et les terres des nobles ayant appuyé la révolte sont confisquées par le shogunat[124]. Dès lors, et jusqu'à la chute du régime un siècle plus tard, l'équilibre du pouvoir bascule du côté deKamakura[128].
Les Hōjō mettent en place à partir de1221 plusieurs institutions pour consolider leur pouvoir dans tout le pays. Un poste de contrôleur militaire, ouTandai, de la capitaleKyoto est créé en1221 et son titulairesiège au palais de Rokuhara[129]. Un « conseil des treize » est créé en1225 pour encadrer les décisions importantes du régime. Le shogunat devient plus pacifié et plus stable avec les successeurs deHōjō Masako. Cependant, la branche aînée des Hōjō écarte du pouvoir les branches cadettes de la famille, ce qui n'est pas sans entraîner quelques rébellions, notamment en1246[130]. Le régime prend efficacement appui sur des hommes-liges ougokenin, auxquels il redistribue des domaines confisqués à des opposants ; en contrepartie, ils doivent se soumettre à une série d'obligations envers le shogunat. Cedébut de système féodal[130] perdure lors des époques suivantes[131]. Les institutions judiciaires sont aussi modernisées en plusieurs étapes (1221 voit la création d'une cour d'appel ; en1249, des postes de magistrats instructeurs sont créés[132]. En1232, est publié le recueil juridiqueGoseibai Shikimoku[133]).
Vestiges dugenkō bōrui, mur défensif construit au nord deKyūshū auXIIIe siècle pour repousser les invasions mongoles.
Le régime de Kamakura connaît une forme d'apogée lors dela régence deHōjō Tokimune de1268 à1284[134]. La famille impériale subit en1272 une scission entre deux branches rivales, ce qui concourt à renforcer le pouvoir de Kamakura[135]. Les tentatives d'invasions mongoles du Japon en1274 et1281 permettent aubakufu de renforcer son emprise sur les îles deShikoku et deKyūshū[134], et, dans cette dernière, une administration spéciale est mise en place, sous le contrôle des Hōjō[136]. Le Bakufu a recours à de nombreux guerriers pour assurer la défense des côtes, mais peine à les rémunérer. Contrairement aux conflits précédents, le régime ne peut pas confisquer de domaines pour les redistribuer, ce qui entraîne de moins bonnes récompenses[137].
À partir des dernières années duXIIIe siècle, le régime des Hōjō doit faire face à plusieurs difficultés. La centralisation des pouvoirs dans les mains de cette famille au détriment des hommes-liges entraîne un coup d'État àKamakura en1285[138]. Leclan Adachi, soutien du régime, est éliminé, et plusieurs centaines de vassaux se voient confisquer leurs terres. Cette répression coupe la famille Hōjō de plusieurs de ses appuis les plus puissants dans leKantō, parmi lesquels plusieurs se retournent contre eux lors de la chute du régime[139]. Dans le même temps, la situation sociale des guerriers tend à se dégrader dans le pays, ce qui provoque des troubles de plus en plus importants[140]. Malgré un édit en 1291 qui tente sans succès de sécuriser les revenus des guerriers, le régime se coupe progressivement de sa base sociale, alors que le pays traverse des vagues de violences[141]. Dans ce contexte défavorable au régime des Hōjō, l'accession au pouvoir de l'empereurGo-Daigo en1318 permet d'unifier plusieurs opposants aubakufu. Après deux complots infructueux en1324 et1331[142], laguerre de Genkō, qui commence en1331, porte au pouvoir l'empereur Go-Daigo en1333 et marque la fin du régime de Kamakura[143].
La redistribution de domaines qui suit larévolte de Jōkyū attire dans l'Ouest du pays des guerriers venant d'autres parties du Japon. Les nouveaux-venus découvrent de nouveaux modes de vie (culture, alimentation…), et introduisent de nouvelles méthodes pour valoriser les terres. Ils favorisent une politique de défrichements, et contribuent à augmenter le rendement des terres[144]. Le recours à des outils defer et l'utilisation d'engrais permettent d'intensifier la culture des terres, et, dans leKinai, des doubles cultures annuellesriz/froment se développent. Les changements de propriétaires consécutifs à larévolte de Jōkyū permettent aussi à davantage de paysans d'avoir accès à la terre, sans pour autant en devenir propriétaires[145].
Cette hausse des productions agricoles permet l'essor d'une économie d'échanges, et favorise le développement des métiers de l'artisanat et du commerce. Dans les grandes villes, aux abords des temples ou des lieux de passages comme les ponts, les marchés deviennent plus fréquents et se développent[146]. Les guildes, qui ont commencé à exister depuisla période précédente, sont à présent assez structurées pour demander des exemptions de taxes ou des monopoles de vente, et bénéficient de la protection des administrations provinciales, des propriétaires de domaines ou de sanctuaires. À l'échelle du pays, les voies de commerces maritimes comme terrestres (Tōkaidō) prennent de l'importance, et des agglomérations apparaissent à leurs abords (Tsuruga,Onomichi, etc.)[147]. Dans les villes plus importantes commeKyoto, des quartiers spécialisés se constituent (quartiers dédiés aux poissonniers, aux artisans du cuivre, aux brasseurs de saké…)[148]. La condition féminine s'améliore, les femmes participant activement aux activités économiques[149], mais une population dehinins (« non humains ») constituée d'artisans dits exposés à la souillure (tanneurs, équarrisseurs…), victimes de discriminations et detabous, apparaît aussi, surtout dans l'Ouest du pays[148].
Les échanges internationaux, notamment avec laChine, s'intensifient, ce qui a pour effet l'introduction de plus en plus de monnaies de cuivre étrangères, et l'essor d'une économie monétaire locale[147]. Un port comme Hakata (Fukuoka) est à l'avant-garde de ces échanges[150], mais les marchands chinois perdent progressivement, au cours duXIIIe siècle, leurs monopoles commerciaux, alors que les marchands japonais s'aventurent de plus en plus loin pour commercer avec ladynastie Song. Le Japon importe essentiellement des produits de luxe (céramiques, soieries, parfums, livres), et exporte des matières premières (soufre, or, argent, etc.) et des produits manufacturés (sabres,laques…)[151]. Ce commerce avec la Chine profite aussi àOkinawa, qui voit l'émergence de chefs quise font construire des châteaux[152]. ÀHokkaidō et dans le nord deHonshū, lespopulations aïnous se structurent et continuent de cohabiter avec les Japonais, bien que des rébellions éclatent en1320 et1322[153].
La culture du siècle de Kamakura et son renouveau religieux
L'affermissement dubakufu insuffle aushintoïsme une nouvelle dynamique. Le culte de la divinité de la guerreHachiman se développe auTsurugaoka Hachiman-gū àKamakura[154], et des jeux guerriers comme leyabusame intègrent des cérémonies religieuses[155]. Dans le même temps, le culte des divinités locales du Kantō se répand dans la population, alors que celles-ci sont absentes du panthéon de la cour de Kyoto[154].
La vitalité dubouddhisme est soutenue par l'intensification des échanges commerciaux et les déplacements de population qu'il induit[155]. Venant du continent en suivant les voies commerciales, des moineschinois introduisent leChán ainsi que des éléments de la culture chinoise ; mouvement qui s'intensifie avec la chute de ladynastie Song provoquée par des invasions mongoles. Des moines japonais commeEisai ouDōgen se rendent sur le continent, et, à leur retour, fondent de nouvelles écoles dubouddhisme zen, soutenues par le régime de Kamakura. Le moineEisai, qui est à la tête de l'école zen du rinzai, ouvre ainsi des temples àKamakura (Jufuku-ji en1200) et àKyoto (Kennin-ji en1202)[156]. Ces nouveaux courants critiquent les écoles plus anciennes[157], qui, en réaction, obtiennent en1207 l'expulsion du moineHōnen de la capitale. Lui et ses disciples, comme le moineShinran, se dispersent alors dans le pays, diffusant leurs idées dans de nouvelles régions[158]. D'autres moines sont à l'origine d'écoles indépendantes du bouddhisme zen, commeIppen (écoleJi shū) ouNichiren (école de Nichiren)[159]. Face à ces nouveaux courants, les écoles plus anciennes procèdent à une forme de contre-réforme. L'école Kegon construit de nouveaux monastères, qui diffusent des enseignements jugés plus acceptables ; l'école Ritsu est la plus active dans ce mouvement et construit ou restaure de nombreux temples, ponts, ports, etc[160].
La seconde partie du Moyen Âge est marquée par de nombreuses luttes de pouvoir, et le recours à la violence se banalise. Le délitement de l'État central est le résultat d'une grande instabilité des couches dirigeantes. Économiquement, les dynamiques mises en place au cours de l'époque Kamakura se maintiennent et s'amplifient : le niveau de vie continue d'augmenter, une hausse portée par un accroissement du commerce international et des productions artisanales[161].
L'empereurGo-Daigo entame larestauration de Kenmu en1333, à la suite du renversement dushogunat des Hōjō. Il instaure un régime autoritaire, et entend réunir sous son contrôle les pouvoirs militaire et administratif[162]. Il favorise les guerriers de l'Ouest dans la nouvelle configuration du pouvoir, au détriment de ceux duKantō. Ces derniers conservant une puissante armée, il tente de diviser leurs principaux chefs,Ashikaga Takauji etNitta Yoshisada, en exacerbant leurs rivalités. Par ailleurs, il commet plusieurs erreurs au début de son règne, en décrétant plusieurs lois qui déclenchent la venue dans la capitale,Kyoto, de guerriers soucieux de faire valoir leurs droits[163]. Ceux-ci sont contraints de rester longtemps dans la capitale en raison de la lenteur de la nouvelle administration, et, désœuvrés, s'abandonnent à la violence à l’encontre des habitants de la ville. L'empereur finit par abolir ces lois. Ce revirement suscite de nombreux mécontentements, et forge la réputation d'incompétence de l'empereur[164]. En1335, après avoir réprimé larébellion Nakasendai,Ashikaga Takauji se révolte ouvertement contre le nouvel empereur. Il prend la tête d'une armée et rallie les mécontents du nouveau régime[165]. Les forces impériales sont battues à labataille de la Minato-gawa en, et l'empereurGo-Daigo doit fuir sur lemont Hiei alors queKyoto est ravagée par des combats[166]. Poursuivant sa marche vers l'Ouest, Ashikaga Takauji fédère leclan Akamatsu àBizen, puis les guerriers deKyūshū, avant de revenir dans la région de Kyoto[165], et de défaire les troupes impériales lors de labataille de la Minato-gawa. Cependant, sa victoire n'est pas totale, et, les années suivantes, des combats éclatent entre les troupes de Takauji et les forces impériales[166].
Dès1336, Takauji définit le cadre de l'administration gouvernementale, en promulguant lecode de Kenmu ; le nouveau régime se calque ainsi surcelui de Kamakura. La capitale est fixée àKyoto, et, en1338,Ashikaga Takauji obtient le titre deshogun[167]. Il cherche à réinstaurer l'ordre qui prévalait lors du shogunat précédent, en prenant appui sur l'ancienne noblesse, les religieux et les guerriers de la couche sociale supérieure[168]. Leclan Ashikaga exerce le pouvoir au sein de ce nouveau shogunat pendant un siècle[167]. Lors des dix premières années du régime, le nouveau shogun s'assure les services de deux personnalités : son frère cadet,Ashikaga Tadayoshi, qui dirige le pouvoir resté àKamakura ainsi que l'appareil de justice, etKō no Moronao, un vassal desAshikaga, promu secrétaire du shogun. Takauji maintient un équilibre entre ces deux hommes jusqu'à l'incident de Kan'ō pendant lequel leurs soutiens s'affrontent ouvertement[169]. Au terme de ce conflit,Kō no Moronao etAshikaga Tadayoshi trouvent la mort, et, si le shogun Ashikaga Takauji est vainqueur, les petits guerriers des provinces du centre et de l'Ouest du pays en sortent aussi renforcés, élargissant leurs domaines au détriment de la noblesse et des religieux, alors que Takauji comptait s'appuyer sur ceux-ci pour asseoir son pouvoir[168].
L'empereurKōmyō, issu de la brancheJimyōin-tō et soutenu parAshikaga Takauji, accède au pouvoir à la faveur de l'abdication de Go-Daigo en1336. Il installe sa cour àKyoto. Cependant, Go-Daigo fuit avec lessymboles impériaux àYoshino, plus au sud, et y installe une cour impériale dissidente. Commence alors une période d'affrontement entre laCour du Nord et lacour du Sud : l'époque Nanboku-chō, pendant laquelle deux lignées d'empereurs se disputent la réalité du pouvoir impérial[166].
À la faveur de l'incident de Kan'ō, à partir de1349, la cour du Sud parvient, de manière éphémère, à exploiter un affrontement au sein du clan Ashikaga, et réoccupe un tempsKyoto[168]. Cependant, le shogunat reprend le dessus, et impose en1392 la réunification des deux cours impériales[170].
Le shogunat Ashikaga rétablit un pouvoir étatique limité de1370 à1440, mais il est circonscrit aux régions du centre du Japon[162]. Son apogée s'étend du début du règne d'Ashikaga Yoshimitsu en1368 jusqu'à l'assassinat du shogunAshikaga Yoshinori en1441.Ashikaga Yoshimitsu réussit à imposer la réunification des deux cours impériales en1392, etse fait reconnaître« roi du Japon » par l'empereur Ming en1397[170]. Il parvient à gouverner avec l'appui à la fois de la noblesse de cour — il épouse une fille duclan Hino, alors le plus puissant deKyoto —, et de l’aristocratie guerrière. C'est sous son règne que les revenus fonciers des guerriers égalent puis dépassent pour la première fois les revenus fonciers des nobles[172]. Il entreprend aussi plusieurs voyages à travers le pays pour affirmer son autorité auprès des gouverneurs provinciaux[171]. Son filsAshikaga Yoshimochi exerce le pouvoir à sa mort en1408, mais revient aux pratiques classiques du shogunat et néglige la noblesse. À sa mort en1428,Ashikaga Yoshinori est désigné à la suite d'un tirage au sort pour lui succéder. S'étant révélé unautocrate, il s'attire rapidement les critiques[173] à la fois des nobles et des guerriers. Il est assassiné àKyoto en1441 au cours de larébellion de Kakitsu[174].
Durant la seconde moitié duXVe siècle, l'autorité des shoguns vacille dans les provinces. Les Ashikaga concentrent leur contrôle sur leKinai, alors que les grands vassaux exercent librement leur pouvoir sur leurs propres domaines[175]. Lorsque la période médiévale s'achève, les Ashikaga ne jouent plus qu'un rôle secondaire, le pouvoir réel tombant entre les mains des seigneurs locaux.
Morcellement du pouvoir et apparition de potentats locaux
L'instabilité du pouvoir, provoquée par la chute du régime de Kamakura en1333, l'interruption de la restauration impériale en1336 et la division de la cour en deux entités la même année et les dissensions au sein duclan Ashikaga, entame la crédibilité de l'État. La fidélité des vassaux envers leurs seigneurs n'est plus garantie, et les paysans qui exploitent les domaines commencent à s'organiser pour tirer profit de ces situations. Les communautés paysannes n'hésitent plus à contester l'hégémonie des différents seigneurs[176]. Des ligues d'intérêts rassemblant des personnes issues d'un même groupe social, ouIkki, apparaissent. Cela peut concerner dès leXIVe siècle des seigneurs de petites propriétés rurales, ouJi-samouraï[177], mais aussi des paysans[178]. À partir de la fin de laguerre d'Ōnin, cet éclatement du pouvoir entraîne une période d'anarchie importante, marquée par de fortes disparités régionales[179].
Entre1520 et1550, desdaimyō s'affranchissent de leur soumission aushogun, et constituent de véritables petits États indépendants[n 1] d'un seul tenant avec une administration propre, et réalisent même pour certains des cadastres et mettent en place leur propre fiscalité[180]. Ces nouveaux pouvoirs sont cependant parfois victimes de dissensions internes, des guerriers pouvant lancer des révoltes contre leursdaimyō[181]. Si la forme de l'État seigneurial s'impose dans les régions périphériques, dans le centre du pays, des organisations communautaires comme lesIkki affirment leur influence et concurrencent le pouvoir seigneurial local[182]. Ces seigneurs font souvent construire des châteaux autour desquels s'installent des commerçants[183]. Ce type devilles castrales deviennent les nouveaux nœuds de communications liés par des routes commerciales. Ces villes nouvelles remettent en cause les privilèges que des guildes ont réussi à obtenir ailleurs, et les marchés y sont le plus souvent ouverts. Lechâteau d'Ichijōdani que leclan Asakura fait construire à partir de1471 est à l'origine d'un des exemples les plus anciens de ce type d'urbanisation[184].
Lenô apparaît à l'époque, etZeami est l'un des principaux dramaturges de l'époque.
La production culturelle de l'époque reflète la croissance économique et les changements sociaux. La séparation entre la culture élitiste et la culture populaire se brouille alors qu'un nombre croissant de personnes a accès à celles-ci. La multiplication des villes permet par ailleurs une diffusion culturelle plus importante[185] et des villes commeYamaguchi dans l'Ouest ouOdawara dans l'Est deviennent des centres régionaux culturels importants[186].
Dans le domaine littéraire, la noblesse perd de son influence. La littérature de cour, en particulier celle écrite par les femmes, tend à s'effacer. À la fin duXIVe siècle, la forme poétiquewaka s'essouffle[187], alors que lerenga se popularise[188]. Le premier recueil impérial derenga,Tsukubashū, est publié en1357, et la forme est codifiée parNijō Yoshimoto dans un ouvrage édité en1372[189].Le théâtrenô émerge[190], et un dramaturge commeZeami joue un rôle clef dans son développement[191]. Le dynamisme des échanges économiques avec la Chine s'accompagne de l'importation de nouveauxcaractères chinois et de nouvelles lectures de ceux-ci[188].
Lejardin duDaisen-in est un des plus représentatifs du styleshoin qui apparaît à cette époque.
Sur le plan architectural, le styleshinden, utilisé pour les palais des grandes familles des époques précédentes, est supplanté par le styleshoin d'inspiration bouddhique zen[188]. Les jardins d'agrément évoluent ; ils deviennent plus petits, et combinent pierres, sable, végétation et eau agencés de manières symboliques, établissant ainsi un lien entre esthétique et religion. Des éléments comme des pavillons de thé font aussi leur apparition. LeGinkaku-ji (1482) et leDaisen-in (1509) de Kyoto sont représentatifs de ce style nouveau[192]. Cette architecture permet de dynamiser la sociabilisation des élites, favorisant ainsi l'essor de certaines expressions artistiques comme la poésie, la peinture, le théâtre ou lecérémoniel lié au thé[193]. Ce dernier accède au rang d'art, et une pratique particulière, lewabi-cha, voit le jour auXVIe siècle[194].
Les progrès technologiques dans le domaine agricole induisent une hausse de la population. Entre1200 et1600, la population nationale passe de sept à treize millions[196]. L'intensification de l'utilisation des sols permet aux agriculteurs de vivre avec des exploitations d'un hectare ou moins. L'émergence de communautés villageoises, ouSō, font naître des solidarités nouvelles permettant de résoudre les conflits internes sans passer par une autorité extérieure[197], et d'organiser les activités quotidiennes. CesSō sont communs dès les années 1400, et la religion leur sert parfois d'élément de cohésion sociale, les réunions des conseils villageois pouvant se tenir dans des temples[198]. Les troubles politiques et les violences qui en résultent entraînent la construction de protections autour de ces villages, comme desdouves ou desfossés[199]. Cette intensification de l'agriculture a des effets sur les écosystèmes de l'archipel. La captation des eaux pour lariziculture provoque l'érosion des sols et des inondations. L'exploitation intensive de labiomasse pour produire des cendres servant d'engrais[199] affecte les forêts, qui, en raison de la hausse de la population, sont de plus en plus exploitées pour fournir du bois de construction ou de chauffage. L'agriculture sur brûlis ravage de nombreuses collines, leurs sols détériorés ne laissant plus pousser que despins rouges et des herbes tropicales, faisant ainsi disparaître des essences plus anciennes[200].
Leswakō pratiquent la piraterie sur les côtes continentales.
La reprise du commerce avec le continent s'amplifie[201]. À partir duXVe siècle, aux importations déjà bien établies s'ajoutent lecoton deCorée. Elle est cependant contrariée, pendant les périodes de troubles que connaît le Japon, par l'entrée en activité de pirates, ouwakō. Ils s'attaquent aux littoraux continentaux, surtout entre1330 et1380, puis entre1470 et1570. Les échanges avec laChine des Ming se concrétisent par l'échange de 17 ambassades entre1404 et1549, lors desquelles des marchands et des temples, en plus dubakufu, font parvenir des vaisseaux remplis de marchandises[202].
Les corporations de marchands, ouza, continuent de gagner en importance, et s'occupent de plusieurs activités de la chaîne commerciale (vente, stockage, transport) et bancaire (prêts, change d'argent…), toujours avec l'appui de puissants protecteurs. Cependant, les troubles socio-politiques qui jalonnent la période ont souvent raison de ces protecteurs, et les corporations s'émancipent peu à peu[203]. La hausse de la population entraîne aussi une urbanisation plus importante. La plus grande ville du Japon,Kyoto, atteint environ 100 000 habitants vers1370-1440, avant de connaître une baisse à la suite des troubles qui frappent le pays[204]. Des centres urbains s'épanouissent là où les circuits commerciaux convergent, notamment aux abords de lamer intérieure et dans leKinai[205]. En1550, ces centres commerciaux rassemblent des centaines, voire des milliers d'habitants : les plus grands commeHakata ouSakai peuvent compter entre 5 000 et 30 000 habitants[206].
Au cours de la seconde moitié duXVIe siècle, trois chefs militaires se succèdent au pouvoir et contribuent à l'unification de tout l'archipel japonais.
Oda Nobunaga commence ce processus d'unification de1560 à1582. Il se fait remarquer par ses talents militaires lors de sa victoire à labataille d'Okehazama en1560[207]. L'utilisation systématique d'arquebuses, dans des corps d'infanterie dédiés, lui apporte un avantage stratégique[208], et il étend son fief par des conquêtes et des alliances. En1573, il fait expulser le shogunAshikaga Yoshiaki deKyoto, mettant ainsi fin au règne decette dynastie[207]. Il met aussi au pas les autres puissances politiques de son temps : les seigneursAsakura etAzai concurrents, lesmoines bouddhistes combattants de l'Enryaku-ji et les ligues d'Ikkō-ikki à l'Hongan-ji. Il commence à structurer un pouvoir centralisé depuis leChâteau d'Azuchi qu'il fait construire non loin deKyoto, et instaure plusieurs mesures allant de la suppression des péages à la lutte contre la fausse monnaie.Sa mort subite en 1582 suspend ces réformes[208].
Toyotomi Hideyoshi, un général d'Oda Nobunaga, poursuit cette œuvre d'unification[209] jusqu'à sa mort en1598, après avoir obtenu le titre dekanpaku en1585[210]. Il impose la règle de l'heinō bunri auxsamouraïs des terres qu'il conquiert ; dépossédés de leurs terres ces derniers deviennent de simples administrateurs territoriaux au service de l'État[209]. Une opération de cadastrage, outaikō kenchi, est entreprise dans le cadre d'une réforme agraire qui met fin au système desshōen. La possession de sabres par les paysans est aussi interdite, afin d'éviter les révoltes et de séparer socialement les paysans des guerriers. Hideyoshi soumet les seigneurs de l'île deKyūshū en1585, mettant ainsi la main sur la ville deNagasaki, siège d'une importantecommunauté chrétienne. Il fait expulser les missionnaires, et exerce une répression de plus en plus féroce contre leschrétiens[210]. Après avoir soumis l'essentiel du pays, il tente par deux fois, à la tête d'une armée aguerrie, deconquérir la Corée en1592 et en1596, mais doit finalement renoncer en1598[211]. À sa mort la même année, le pays est unifié, mais se pose alors la question de sa succession[212].
Tokugawa Ieyasu, un des généraux deToyotomi Hideyoshi, prend la tête d'une faction militaire[212]. Il s'assure la maîtrise du pays après labataille de Sekigahara en1600, et obtient de l'empereur le titre de shogun en 1603[212]. Le titre est transmis à son fils dès1605 pour assurer la mise en place d'une dynastie, mais il conserve la réalité du pouvoir jusqu'à sa mort en1616. Par le contrôle des mines et des ports, il s'assure de la maîtrise du système monétaire. Il force ses vassaux à détruire leurs fortifications[213]. Son petit-filsTokugawa Iemitsu impose en1635 le système dusankin-kōtai qui oblige tous les grandsseigneurs féodaux à vivre un an dans la ville d'Edo où siège le shogun. Les ressources financières de ces seigneurs, contraints à mener un train de vie luxueux, et les velléités de révolte sont ainsi réduites[214]. Ceux-ci ont par ailleurs interdiction de se rendre àKyoto et de rencontrer l'empereur[215].
Le premier contact japonais avec des Occidentaux intervient en1542 lors de l'arrivée duportugaisFernão Mendes Pinto dans l'île deTanegashima[216]. Lesarmes à feu sont introduites par ce biais et copiées par des artisans japonais. Des marchands portugais s'installent dans les ports du sud deKyūshū commeHirado,Funai, etNagasaki où les marchands deKyoto se déplacent pour leur acheter soieries etarquebuses[217]. Au contact de ces commerçants, plusieurs nouveautés techniques et artistiques sont introduites dans le pays :horloges,pain etvin, instruments de musique comme desorgues. Un art influencé par l'Occident, l'art Nanban, se développe. Un dictionnaire japonais-portugais, leNippo Jisho est publié en1603[217].Hideyoshi cherche aussi mais sans succès à relancer le commerce avec laChine[218].
Les premiers missionnaires chrétiens, espagnols et italiens, arrivent dans l'archipel par cette route commerciale[217].François Xavier, unjésuite, débarque àKagoshima en1549. Grâce à la protection d'un seigneur local, il commence son travail d'évangélisation. En1585, il estime à environ 100 000 le nombre deconvertis dans l'île, puis à environ 700 000 dans l'ensemble du pays en1605.Nagasaki est cédée auxjésuites qui l'administrent de 1580 à 1588[219]. Dans un premier temps, cette nouvelle religion est perçue plutôt favorablement parNobunaga, car elle concurrence le pouvoir des différentes sectes bouddhiques, dont il cherche à réduire l'influence[218]. Son successeurHideyoshi craint, lui, que son influence empêche l'unification du pays, et interdit en1587 toute forme de prosélytisme chrétien[220]. Pour justifier cette interdiction, il dénonce l'essor de l'esclavage que l'arrivée des marchands et des missionnaires chrétiens a permis. La vente d'esclaves japonais, ou deNobi coréens, se développe alors dans les ports deKyūshū, et son interdiction doit être réaffirmée dès1588[221].
L'État s'efforce de renforcer son contrôle sur les différents courants religieux. Une tentative d'instauration d'un culte àTokugawa Ieyasu, divinisé, est entreprise par ses successeurs. Un sanctuaire, leTōshō-gu, est construit àNikkō en1617, mais la lignée impériale étant toujours bien présente, l'initiative ne suscite pas le moindre intérêt dans la population[218]. Les tensions grandissantes entre bouddhistes et chrétiens entraînent l'interdiction de cette dernière religion en1613, et, en un quart de siècle, elle disparaît presque totalement du pays. Les dirigeants japonais redoutent que les divisions religieuses n'entraînent à terme des divisions politiques dans le pays[222].
Carte montrant les réseaux commerciaux utilisés par les marins japonais au début duXVIIe siècle.
Dans le domaine commercial, les relations avec l'étranger sont plutôt encouragées par le nouveau régime. Le début du régime des Tokugawa correspond à l'arrivée de nouveaux commerçants européens, qui concurrencent les Portugais dans la région.Le premier navire hollandais, dirigé par un Anglais, arrive en1600. Des licences sont octroyées à ces bateaux pour pouvoir commercer[220]. Si la Chine de ladynastie Ming refuse d'accorder aux commerçants japonais des autorisations commerciales, des négociations avec les autorités coréennes sont entamées avec plus de succès. Les Tokugawa ont refusé de prendre part à laguerre d'Imjin, ce qui met les Coréens dans de bonnes dispositions. Une délégation coréenne arrive dans le pays en1607, mais elle est comprise par le pouvoir Tokugawa comme un signe de soumission, et les négociations tournent court. Le shogun ouvre certains ports aux marchands européens, chinois et coréens, mais, devant la concurrence grandissante, des mesures protectionnistes sont prises. Dès1604, le commerce de la soie est réglementé[223]. Vers1612-1614, la dynamique s'inverse, et les Tokugawa cherchent à limiter au maximum les échanges avec les commerçants étrangers. Le nombre de ports ouverts au commerce est réduit progressivement, eten 1635 un édit interdit aux Japonais de se rendre à l'étranger. En1639, l'accès au pays est interdit aux Portugais, laissant aux seuls Hollandais la possibilité de commercer avec le Japon[224]. Pour les autres commerçants asiatiques, seuls quatre ports restent ouverts :Nagasaki (pour la Chine),Tsushima (pour la Corée),Satsuma (pour lesRyūkyū), etMatsumae (pour lesAïnous)[225].
Dans l'archipel, l'influence japonaise dans lesRyūkyū et àHokkaidō est réaffirmée. Leroyaume qui dirige l'archipel du sud est tributaire de laChine jusqu'en1609, date à laquelledes samouraïs venant de Satsuma envahissent les îles. L'année suivante, le roiShō Nei est contraint de se rendre àEdo pour rendre hommage au shogun. L'administration du royaume est peu à peu adaptée à son état devassalité. Dans un ouvrage de1650 retraçant l'histoire des Ryūkyū, leChūzan Seikan, commandé par le roiShō Shitsu, la parenté entre populations des Ryūkyū et de Satsuma est affirmée, tout comme la reconnaissance de la suzeraineté dudomaine de Satsuma. Cependant, le royaume continue à verser un tribut à la Chine des Ming. Dans l'autre extrémité du pays, au nord, le chef duclan Matsumae accède, en1634, au rang de daimyo, et étend son contrôle dans la région. Lapéninsule d'Oshima, au sud deHokkaidō, est soumise en1640[226], mais lesAïnous occupent toujours le reste de l'île[227].
La victoire des Tokugawa permet au Japon de connaître une longue période de paix intérieure, avec une pacification progressive de la société, ainsi qu'un développement économique important. Ces éléments, favorables au nouveau régime, inscrivirent son action dans la durée[228]. Le pays connaît une phase d'essor démographique et économique allant de la fin duXVIe siècle au début duXVIIIe siècle. Les progrès techniques permettent la mise en culture de nouvelles terres ainsi que la canalisation de plusieurs fleuves, entraînant une hausse des rendements agricoles[228].
Machiya, type d'habitation urbaine de l'époque d'Edo.Minka, habitation rurale de l'époque d'Edo.
Une structuration de la société en trois groupes est mise en place sous les Tokugawa, divisant celle-ci entre les guerriers, les roturiers vivant dans les villages et dont l'activité est tournée vers l'agriculture, et les roturiers vivant en ville. Inspirée duconfucianisme, cette division sociale est liée à la naissance, et fixe les professions et lieux d'habitation accessibles à chacun[229]. Une souplesse d'application du modèle théorique existe à l'époque. À ces différents groupes sociaux s'ajoutent les nobles de la cour, les moines et les parias qui ne rentrent pas dans le schéma théorique. Les guerriers forment une classe dirigeante qui compte environ 2 millions de personnes en1700, soit 6 à 7 % de la population nationale, et sont au cœur d'un réseau d'obligations vassaliques envers leurs seigneurs[230]. Les roturiers de campagne représentent entre 70 et 80 % de la population[231], la plupart agriculteurs, les roturiers de ville représentant entre 10 et 15 % de la population. Dans ces deux dernières classes existe un rang de riches notables propriétaires de leurs terres ou de leurs habitations, qui représentent une minorité de la population[232]. Leshinins (artistes de foire, comédiens, prostituées) et lesetas (« souillés ») représentent entre 1 et 2 % de la population, auxquels s'ajoutent les mendiants et les Aïnous[233]. Ces différents statuts sociaux peuvent se manifester dans les costumes, les coiffures, ou la forme des toits des habitations[234].
La famille obéit au même mouvement hiérarchique et joue un rôle de fabrication et de diffusion dece modèle confucéen dans la société. Une forme de paternalisme issue de ce noyau familial se retrouve ainsi dans les relations entre un vassal et son seigneur, ou entre un ouvrier agricole et le fermier qui l'emploie[235]. Dans les familles guerrières est entretenu un système patriarcal rigide, dans lequel le fils aîné gère et hérite de la totalité des biens familiaux, imposant ses ordres aux frères et aux oncles, les épouses et filles étant reléguées dans un rôle inférieur. La multiplication des quartiers de plaisir entraîne la dégradation de la condition féminine[236]. Ce système patriarcal demeure plus souple dans la paysannerie, l'importance du travail des femmes leur garantissant un meilleur statut, et l'augmentation des défrichements auXVIIe siècle entraînant des divisions successorales plus fréquentes. Ces dernières sont encore plus répandues en ville, notamment chez les marchands[237].
Reconfiguration des relations politiques intérieures et extérieures
Sur le plan de la politique intérieure, le régime Tokugawa connaît son apogée entre1651 et1709 sous les shogunsIetsuna etTsunayoshi. L'État est basé surune idéologie néo-confucianiste[238], ce courant de pensée atteignant son âge d'or[239]. À ce titre,Hayashi Razan, maître confucianiste chargé de la formation de trois shoguns successifs, joue un rôle clef dans la diffusion des idées deConfucius et deZhu Xi, et est à l'origine d'une école de pensée orthodoxe dominante. D'autres courants hétérodoxes coexistent, menés parKumazawa Banzan (critique de la montée en puissance des marchands), parYamaga Sokō (prônant l'accès aux études pour tous), ou parOgyū Sorai (prônant un retour à la pensée chinoise)[240]. Toutes ces écoles ont en commun la paix comme élément moteur de la prospérité, et une vision agraire de la société[241].
Hoshina Masayuki, l'homme fort sous Ietsuna, insuffle une série de réformes pour « civiliser » le régime, en introduisant des règles concernant les procédures de décision dans les institutions ou pour les nominations, limitant ainsi l'arbitraire qui prévalait sous les pouvoirs précédents. Cette politique rencontre des soutiens dans les grands fiefs du pays, comme àMito, àKanazawa, ou àOkayama. Lejunshi, suicide rituel, est interdit en1663, ainsi que les échanges d'otages entre familles en1665[238]. Les guerriers doivent être avant tout de bons gestionnaires de fiefs, plutôt que de bons combattants. Cette évolution ne se fait pas sans critiques, comme le montre la parution en1701 duHagakure, un guide pratique et spirituel destiné aux samouraïs[242]. Tsunayoshi organise la bureaucratie gouvernementale, mise au service non plus d'un clan mais de l'État. Il renforce la discipline en limogeant les administrateurs incompétents et en pénalisant les familles seigneuriales désobéissantes ; ces mesures, parfois prises de façon brutale, peuvent être jugées despotiques par ses contemporains, ce qui ternit le prestige du gouvernement[243]. La fin de son règne est marquée par les difficultés. Une réforme monétaire ratée en1695 entraîne un phénomène inflationniste. Une série de tremblements de terre et l'éruption du Mont Fuji en1701 sont vues comme de mauvais présages par la population ; l'affaire des 47rōnin en1703 contribue à saper le prestige du shogun[244], et à remettre en cause les évolutions du système[245].
Après la chute de la dynastie desMing en1644, le gouvernement japonais se montre peu pressé de mettre en place des relations avec le nouveau pouvoir Qing, et est épargné par les soubresauts qui agitent alors le continent. Les Tokugawa mettent en place un nouveau cérémoniel pour l'accueil des ambassades venant deCorée ou d'Okinawa, ou pour les visites des chefs decomptoirs hollandais deNagasaki, et l'utilisent pour affirmer la puissance shogunale. Les persécutions de chrétiens — qui restent d'une ampleur limitée, en dépit de ce qu'affirme alors la propagande catholique en Europe — conduisent la plupart des convertis à renoncer à leur foi[246].
Essor économique des campagnes et développement urbain
Les activités agricoles restent la base économique sous les Tokugawa[241], et s'accroissent de manière importante au cours du siècle. La production nationale deriz passe de 18 millions dekokus en1600 à 25 millions en1700, alors que, dans le même temps, les surfaces cultivées sont multipliées par deux, grâce à la hausse des investissements productifs, des défrichements (le recours à des bêtes de trait devient plus fréquent), et aux progrès techniques (les outils en fer se généralisent)[247]. Les seigneurs, touchant sous forme de taxe 40 à 50 % des récoltes[241], soutiennent la hausse de la production[247]. Des lois sont ainsi passées pour interdire le morcellement des parcelles[248], ou pour limiter la culture d'autres espèces que le riz, comme letabac ou lecoton[241]. Une organisation collective du travail se met en place dans les rizières, renforçant le poids de la communauté agricole sur l'individu[249]. Autour des grandes villes se développent des cultures commerciales : duchanvre pour le textile, ducolza pour l'huile d'éclairage, ou dumûrier pour le ver à soie. Cela entraîne l'apparition d'économies régionales spécialisées, comme celle du coton dans leKansai[247], duthé àUji, ou du tabac àMito etKagoshima[250]. La spécialisation des activités est aussi notable dans les régions côtières pour la pêche, dans la production desel, mais aussi, dans les zones montagneuses, dans l'exploitation des forêts pour faire face à la hausse démographique, induisant une demande accrue enbois de chauffage etde construction. Dans les communautés rurales, les femmes jouent aussi un rôle dans le développement d'un artisanat tourné vers l'exportation[250].
L'élévation du niveau de vie et la consommation de produits de luxe par les classes dirigeantes favorisent l'essor d'industries, comme lesteintureries[250] ou la production desoie ; les premiers revendeurs de tissus en semi-gros apparaissent àEdo. Lacéramique, lalaque, lepapier, mais aussi les brasseries desaké, bénéficient de cette dynamique consumériste[251]. L'industrie minière adopte de nouvelles techniques, qui permettent de prolonger l'activité de certaines mines jusqu'au milieu duXVIIe siècle (or àSado, argent àIwami ouIkuno) ou d'en développer d'autres (cuivre). La hausse de la production defer permet de faire baisser son prix, et donc celui d'outils et d'armes faits à partir de ce métal[251].
L'accroissement et l'intensification des échanges commerciaux favorisent le secteur des transports, qui bénéficie aussi d'un cadre politique unifié et pacifié[251]. Se met alors en place un réseau de routes, ponts et auberges reliant les grands centres urbains en cours de développement[252]. Ceux-ci sont étroitement contrôlés par le pouvoir via despéages etgués. Les produits pondéreux sont principalement convoyés par voies fluviales et maritimes, nécessitant la construction de transporteurs spécialisés, et des liaisons maritimes régulières se mettent en place entreEdo etOsaka. Ce commerce sur de grandes distances rend nécessaire le développement delettres de change et, avec elles, de familles de banquiers, comme celle desMitsui, connue àEdo dès la fin duXVIIe siècle[253]. Au début duXVIIIe siècle,Edo compte 2 000 maisons de changeurs,Kyoto 600, etOsaka 2 400[254].
La croissance urbaine est un des phénomènes majeurs duXVIIe siècle. À côté des trois grandes villes que sontEdo (1 million d'habitants au début duXVIIIe siècle),Kyoto (600 000 habitants), etOsaka (500 000 habitants), de nouvelles villes émergent près des châteaux seigneuriaux, des ports, des villes étapes, minières, ou proches des grands temples, mais elles dépassent rarement les 50 000 habitants[254]. Dans ces centres urbains, la culture bourgeoise est à son apogée dans la dernière décennie duXVIIe siècle ; elle est tournée vers le récréatif et fondée sur la production et la circulation de beaux objets, la poésie et le théâtre. Les artisans deKyoto sont à l'origine de différentes modes et sont actifs dans l'architecture, les aménagements intérieurs et l'art des jardins. C'est à cette époque que lacéramique de Bizen se répand[255]. L'enrichissement des marchands fait qu'Osaka commence à détrônerKyoto en tant quecapitale culturelle. Des auteurs commeIhara Saikaku,Bashō etChikamatsu Monzaemon sont les principaux représentants des lettres japonaises duXVIIe siècle[256] ; l'existence d'une importante population lettrée et l'essor des techniques degravure et delithographie permettent une plus grande diffusion de leurs œuvres. La fermeture du pays aux influences étrangères se fait sentir et entraîne le développement d'un art de vivre à la japonaise. Les maisons de familles aisées adoptent plus massivement le styleshoin-zukuri, datant duXVe siècle et destiné à l'origine à quelques grands personnages[257]. Les quartiers de plaisirs se développent, comme celui deYoshiwara àEdo, dont les contours sont limités par des palissades et les accès contrôlés ; 25 lieux de ce type existent dans le pays auXVIIe siècle[258].
Le centre politique, culturel et intellectuel du pays bascule pour la première fois de l'est à l'ouest du pays[259] et la société féodale subit une série de crises[260].
La croissance de la population stagne à partir du milieu duXVIIIe siècle, pour osciller entre 28 et 33 millions d'habitants. La technique ne permet plus la mise en culture de nouvelles terres, et les efforts se tournent vers l'intensification du travail et vers la diversification des cultures. Cette évolution vers des cultures non-vivrières rend la population plus exposée économiquement en cas de surproduction ou de baisse des prix. La tension démographique transforme le moindre aléa climatique en crise de subsistance, et ruine les paysans les plus pauvres, les obligeant à avoir recours à des prêts ou à l'usure[260]. Ces paysans ayant perdu leurs terres deviennent un prolétariat agricole ou émigrent en ville. La population des campagnes se polarise entre grands propriétaires et paysans sans terre, favorisant le développement dejacqueries[261] (les principaux pics d'agitations sont atteints dans lesannées 1780,1830 et1860[262]). Les taxes dont les paysans doivent s'acquitter, théoriquement fixées à 50 %, s'établissent dans les faits entre 60 et 80 % des récoltes. Les mauvaises récoltes sont à l'origine de phénomènes d'inflation ; quatre grandes famines touchent le pays en1732 (causant près d'un million de morts), 1775 (200 000), en1783-1787 (plusieurs centaines de milliers), et en1833-1839[263].
La situation dans les villes est comparable à celle des campagnes. L'expansion de l'économie marchande a enrichi une population d'artisans et de négociants, qui spéculent en achetant des terrains en ville. Ils les louent à des populations plus pauvres, anciens paysans émigrés en ville, exposés aux hausses de prix de l'alimentaire, aux incendies et aux épidémies. Cette hausse des dépenses de consommation touche aussi les samouraïs, dont le niveau de vie baisse, et pousse dans la misère les couches économiquement les plus fragiles[261] ; certains samouraïs « revendent » leurs titres à des marchands, en adoptant la famille de ces derniers, leur faisant acquérir ainsi un rang social plus élevé[264]. Dans les premières décennies duXIXe siècle, uneproto-industrialisation se met en place au cœur de ce tissu urbain. Deston'ya, ou industries domestiques, se développent et réunissent dans des fabriques des employés salariés. Ce système est inauguré dans lesannées 1820-1830 dans des brasseries desaké de la région d'Osaka, puis dans celle deKyoto dans dessoieries, ensuite dans celle deNagoya, dans des ateliers de tissage du coton[265]. Les femmes, puis les paysans expulsés de leurs terres. constituent le gros de ces employés d'une économie pré-industrielle[266].
Trois vagues de réformes sont engagées pour faire face à ces difficultés économiques[264]. La première à partir de1720, lesréformes Kyōhō, par le shogunYoshimune[264], vise à relancer de grands travaux, comme le défrichement de nouvellesrizières, et à réduire le train de vie de l'État. Malgré une stabilisation des finances du shogun, portée par des hausses d'impôts, la situation des couches rurales populaires continue à se dégrader[267]. La seconde vague de réformes, portée par le ministreTanuma Okitsugu[264], intervient en1770. Il renforce le monopole de certains grands marchands et permet le développement de sociétés par actions, tout en continuant la politique de grands travaux de son prédécesseur. Malgré des progrès dans le domaine commercial, il rencontre l'opposition des conservateurs, mais aussi celle des classes les plus populaires, victimes d'une inflation non maîtrisée. En1783, l'explosion du volcanAsama provoque des crises de subsistance, et, en1787, une trentaine de provinces sont proches de l'insurrection[268]. La troisième vague de réformes, lesréformes Kansei, est lancée en1790 par le daimyoMatsudaira Sadanobu[264], en réaction à la réforme précédente : Sadanobu en revient à une vision agrarienne de la société et voit dans la croissance de l'économie marchande l'origine des troubles que connaît le pays. Il fait renvoyer dans les campagnes les paysans émigrés en ville, fait interdire les dépenses de luxe, ainsi que les productions artistiques jugées contraires aux bonnes mœurs[269]. Bien qu'il ne reste au pouvoir que jusqu'en1794, ses réformes marquent profondément la fin du règne des Tokugawa[263].
Dessin du navire deNikolaï Rezanov qui arrive au Japon en 1804.
À partir de la seconde moitié duXVIIIe siècle, laRussie accentue sa présence au nord du pays. Elle s'engage dans une vague de colonisation de laSibérie. Au même moment, le nombre de colons japonais augmente dans l'île deHokkaidō[270]. Des expéditions japonaises se rendent dans lesîles Kouriles et àSakhaline, et la possibilité de commercer avec les Russes est étudiée, mais reste sans suite. Dans la même région, l'économie desAïnous se dégrade et le gouvernement japonais, craignant que ceux-ci ne s'allient avec les Russes, surveille de plus en plus cette population. Les révoltes d'Aïnous, notamment celle de1789, ont pour effet d'accélérer le mouvement de colonisation japonaise. Les Russes, n'ayant pas réussi à nouer des relations diplomatiques avec la Chine, se tournent vers le Japon, et essaient d'obtenir l'ouverture de voies commerciales. Dès1791, une école enseignant le japonais ouvre enRussie[271]. Toutefois, la pression coloniale japonaise dans le Nord ne fait que tendre davantage les relations entre les deux pays[272].
L'incident duPhaeton en1808 àNagasaki, lors duquel un navire hollandais est attaqué par des forcesbritanniques, fait prendre conscience au shogunat de la puissance de feu des Occidentaux ; il fait renforcer les fortifications côtières du pays. L'extension de lapêche à la baleine dans le Pacifique par lesAméricains[273] a pour conséquence une augmentation du nombre de navires occidentaux cherchant à venir se ravitailler dans l'archipel. La peur que les Occidentaux ne tentent de réintroduire lechristianisme dans le pays renforce la postureisolationniste du shogunat[274].
Carte du Japon datant de 1783 : l'île deHokkaidō, absente, ne sera intégrée qu'après la Restauration Meiji.
La rencontre de nouvelles puissances étrangères, ainsi que la réalisation de cartes géographiques représentant le pays au début duXVIIIe siècle, fait naître parmi les élites un questionnement identitaire. Les voyages individuels sont de plus en plus nombreux, qu'ils soient motivés par des raisons religieuses ou intellectuelles[274], et sont à l'origine de l'édition de guides de voyage présentant la géographie et les coutumes des différentes régions du pays. Ils permettent d'ancrer peu à peu dans les consciences l'idée d'une unité nationale, les différents terroirs régionaux s'intégrant dans un ensemble plus large, l'archipel[275].
Certains produits comme lethé, cultivés en plus grande quantité et donc meilleur marché, font leur entrée dans les classes moyennes, et, par la même occasion, la culture qui leur est associée pénètre aussi cette couche sociale[275]. Le théâtre exerce une influence considérable sur la culture ; jusqu'en 1765, lethéâtre de poupées d'Osaka jouit d'une grande popularité, avant que leKabuki ne prenne le relais. Ses acteurs sont adulés, et les grands du pays cherchent à s'attacher leur amitié. De grandsmatsuri religieux, commecelui de Gion à Kyoto, deKanda à Edo et leSannō matsuri d'Edo, deviennent des événements populaires, drainant dans les temples de grandes foules. Le tourisme populaire prospère ; lesstations thermales sont bondées et des cohortes depèlerins visitent les temples et les sanctuaires[276]. Plusieurs centaines de milliers de personnes se rendent ainsi dans lesanctuaire d'Ise en1770 et en1830[277].
Une éducation élémentaire se généralise, et chaque fief met en place au cours duXVIIIe siècle une école accueillant les fils de samouraïs, mais aussi de roturiers. La première d'entre elles ouvre en1641 dans le domaine d'Okayama ; on en compte une cinquantaine au milieu duXVIIIe siècle, puis 300 un siècle plus tard. À côté des enseignements confucianistes à visée morale[278] sont enseignés le calcul ou l'astronomie. Les savoirs occidentaux sont diffusés via lecomptoir deNagasaki. Dans les campagnes, ces enseignements sont dispensés dans des écoles de temple outerakoya, tissant un réseau d'enseignement primaire. Le pays compte environ 350 de ces écoles en1780, et 200 nouveaux établissements ouvrent entre1789 et1804, puis 3 000 entre1804 et1844. Des cours privés oujuku prennent le relais pour l'enseignement secondaire[279]. La maîtrise de la lecture devient une obligation sociale et professionnelle[280], et l'édition connaît un développement important. Environ 10 000 titres sont en circulation en1720, d'abord imprimés àKyoto etOsaka avant qu'Edo ne domine ce secteur d'activité à partir de la fin duXVIIIe siècle. La production est variée, allant desromans picaresques aux livres érotiques. Les « livres à couverture jaune », de taille réduite et au prix abordable, font leur apparition[277]. Des libraires ambulants circulent dans les villes, et certaines librairies comptent parfois plus de 20 000 ouvrages. Une littérature sentimentale « pour filles » émerge, et, dans le même temps, des ouvrages sont saisis en raison de leur caractère jugélicencieux. Les progrès de l'imprimerie entraînent aussi une popularisation desukiyo-e dès la fin duXVIIIe siècle[278].
Estampe montrantl'amiral Perry et le texte de la lettre du président Fillmore adressée à l'empereur du Japon.
Les puissances étrangères accentuent leur présence dans la région lors de la première moitié duXIXe siècle. LesRusses continuent leurs avancées dans le nord[283] et tentent de faire de l'île Tsushima une base portuaire pour leur marine[284]. LesBritanniques renforcent leurs positions après leur victoire contre laChine lors de laguerre de l'opium en1842[283]. Le pouvoir shogunal cherche un temps à s'en faire des alliés, ceux-ci s'étant battus contre la Russie lors de laguerre de Crimée de1853 à1856[285]. L'arrivée de l'amiral américain Perry en1853 dans la baie d'Edo signe la fin de la politique d'isolement du pays[283]. La France, alliée aux Britanniques, impressionne les esprits japonais à la suite du sac dupalais d'été en1860, et commence à jouir d'un certain prestige dans l'archipel[284].
Image allégorique de l'inflation, les cerfs-volants montrant la hausse des prix.
Sur le plan économique, l'arrivée de marchands étrangers engendre des résultats contrastés. Le port deYokohama, créé en1879, détrône rapidement celui deNagasaki, et capte les deux tiers du commerce extérieur. Le pays exporte du thé, des produits de la pêche, ainsi que de la soie. La très forte demande pour ce dernier produit entraîne une augmentation des prix. Le prix du riz augmente de 50 % par an entre1858 et1867. Les échanges commerciaux avec l'Occident provoquent aussi une fuite des monnaies d'or en dehors de l'archipel, à l'origine, là aussi, d'un phénomène d'inflation. La très forte demande ensoie pour l'exportation permet de soutenir la croissance dans ce domaine. A contrario, lecoton importé d'Occident, meilleur marché que celui produit localement, provoque la ruine des producteurs japonais[288].
Sur le plan intérieur, des aléas climatiques provoquent plusieurs famines de1833 jusqu'au début desannées 1840. En1836, on dénombre ainsi 20 000 morts dans la province deTottori, et 100 000 dans leTōhoku. D'importants mouvements de population désorganisent les cités ; les citadins gagnent la campagne en quête de nourriture, tandis que les habitants des campagnes affluent dans les villes, espérant bénéficier de distributions de vivres. La flambée des prix alimentaires grève le budget des couches moyennes[289]. Sur la période1831-1836, on recense par ailleurs plus d'un millier de soulèvements, émeutes ou disputes violentes dans la population, prenant pour cible les classes dirigeantes. En 1836, on dénombre près de 10 000 paysans en armes dans la région deMikawa, et 30 000 autour dumont Fuji[290].Mizuno Tadakuni,haut fonctionnaire gouvernemental chargé par le shogun de mener des réformes, entreprend, entre autres initiatives, de favoriser le retour à des cultures vivrières et à réduire les déficits budgétaires[291]. Il se heurte aux intérêts des grandsdaimyos, et, pour la première fois, le régime plie face à ceux-ci en le renvoyant. Certains fiefs, commeSatsuma etChōshū, mettent en place avec succès leurs propres réformes, et en profitent pour se doter d'une petite armée équipée d'armes à feu et d'artillerie[292].
En1858, la décision d'Ii Naosuke, propulsétairō à la suite du retrait du shogunTokugawa Iesada, de signerune série de traités inégaux avec les puissances occidentales, provoque la dernière grande crise du régime[288]. Tandis qu'il s'efforce d'éviter une guerre en engageant des négociations, il doit faire face à une opposition qui souhaiteexpulser les étrangers[293]. Son assassinat en1860 inaugure une longue série d'assassinats politiques qui laisse une empreinte durable dans le paysage politique japonais. La déliquescence du pouvoir shogunal engendre une agitation dans les différents fiefs[294]. L'opposition se radicalise lorsque l'empereur régnant, pour la première fois depuis plusieurs siècles, intervient publiquement et manifeste sa désapprobation à l'égard de l'action du gouvernement shogunal. En1863, Sa Majesté impérialeKōmei signe l'ordre d'expulser les barbares[293]. À partir de1866, des fiefs du sud-ouest se rassemblent et concluent une alliance politique et militaire contre le shogunat[295]. Face au pouvoir paralysé, la figure de l'empereur apparaît comme une force déterminée et capable de s'opposer aux Occidentaux. Fin1867, le dernier shogunTokugawa Yoshinobu abdique[296]. Larestauration impériale est proclamée le. Les fiefs soutenant le shogunat sont soumis militairement lors de laguerre de Boshin, les derniers se rendantlors de la bataille de Hakodate en[297].
La première déclaration de l'empereur en1868 présente une loi fondamentale, prélude à une constitution, gage de liberté d'expression, et indique qu'une lutte contre la hausse des prix va être entreprise. Une coalition instable est alors au pouvoir, composée du parti anti-shogunal et centrée sur les leaders dudomaine de Satsuma et les nobles de la cour[298]. Le nouveau gouvernement rend aux Tokugawa leur fief — amputé cependant des quatre cinquièmes de son revenu — et le début de l'ère Meiji est proclamé en. Un conseil honorifique est le premier organe de gouvernement de ce nouveau régime, et celui-ci prend encore en compte les équilibres entre domaines ayant participé au renversement de l'ancien régime, et la noblesse de cour[299]. Plusieurs changements d'organisation ont lieu lors des mois suivants, ce qui permet à des personnalités commeŌkubo Toshimichi etIwakura Tomomi d'émerger. Du au26 décembre sont publiées 34 ordonnances importantes, allant de la suppression des monnaies locales jusqu'à l'interdiction de certains châtiments corporels[300].Une réforme territoriale remplaçant les anciens domaines par des préfectures est menée à bien au deuxième semestre1869[301], avec comme conséquence principale une plus grande centralisation de l'État. Un impôt foncier est introduit en1873 pour garantir une recette publique stable. De1868 à1875, de grandes réformes, d'inspiration occidentale et touchant l'éducation, l'armée et le système juridique, sont entreprises — desexperts étrangers sont engagés[302]. De1876 à1880, un travail portant sur la rédaction d'une constitution nationale est réalisé par un conseil des anciens[303], mais sans aboutir ; les personnes partisanes d'unmodèle parlementariste anglais comme leministre du Trésor,Ōkuma Shigenobu, sont écartés du pouvoir après une crise politique en1881, et le régime s'oriente vers une monarchie laissant le pouvoir suprême à l'empereur[304]. Ce n'est que le qu'une constitution est effectivement adoptée et fixe la répartition des pouvoirs[305].
L'industrie est modernisée en ayant recours au modèle des manufactures d'État, et les premières infrastructures de télécommunications et de chemins de fer sont déployées avec l'aide d'entrepreneurs anglais[306]. Ledéveloppement de Hokkaidō est aussi décidé. Les évolutions sociales rapides sont cependant à l'origine de révoltes parmi les samouraïs, comme en1874 à Saga, et en1877 à Satsuma[307]. Les entreprises créées par l'État sont privatisées dix ans après leurs ouvertures, ce qui permet au gouvernement de dégager des liquidités et à de grands groupes de se constituer. Des conglomérats, commeMitsubishi ouMitsui, se renforcent par ce biais[308].
Après une période de stabilité démographique à la fin de l'ère Edo, la population repart à la hausse en passant de 30 à 50 millions de personnes entre1870 et1915, soutenue par une baisse de la mortalité infantile, et une hausse des naissances et de l'espérance de vie. Cette croissance est rendue possible grâce à l'augmentation des importations de riz et la mise en valeur de terres arables àHokkaidō[309] (la surface des champs y passant de 45 000 à 750 000 chō de1890 à1920, et la surface des rizières de 2 000 à 83 000 chō sur la même période). La part de la population citadine connaît aussi une hausse : 28 % des Japonais vivent dans des villes de plus de 10 000 habitants, contre 16 % en1893.Tokyo atteint les 2 millions d'habitants etOsaka 1 million en1903, cette dernière triplant sa taille en un demi-siècle. Cet essor de la population urbaine entraîne une baisse du poids de l'agriculture dans lePIB du pays, celui-ci passe de 45 % en1885 à 32 % en1914[310].
La hausse de la production industrielle comme celle des mines est à l'origine de grandes pollutions à fort impact sur l'agriculture. Les rejets de lamine de cuivre d'Ashio, par exemple, contaminent larivière Watarase, un affluent dufleuve Tone, dès lesannées 1880, et précipite la formation d'un importantmouvement ouvrier en1907[311]. Dès lesannées 1890, lesconditions de travail difficiles dans l'industrie favorisent la diffusion dusocialisme venu d'Europe[312]. En1911, on fixe à 12 ans l'âge minimum pour travailler, et à 12 heures la durée maximale du travail journalier pour les femmes et les enfants[313]. La condition des femmes évolue : si le ministère de l'Éducation encourage en1899 la création de plus de lycées réservés aux femmes, depuis1890 celles-ci ont l'interdiction d'adhérer à un parti ou de participer à des meetings politiques[314]. Pour combattre cette situation, un journal commeSekai Fujin est créé en1907 parFukuda Hideko[315], et, en1901,Tsuda Umeko fonde une école réservée aux femmes : leCollège Tsuda[316]. Une jeunesse de plus en plus éduquée voit toutefois se réduire les possibilités d'ascension sociale par le biais de l'éducation, puisque seul le nombre de postes subalternes augmente dans les entreprises dans lesannées 1890[317]. Cette population éduquée bénéficie dans le même temps d'un plus large accès aux écrits de journalistes et de critiques[318]. Les idéesmarxistes se diffusent dans lesannées 1890 ; en1901, àTokyo est fondé un parti socialiste, immédiatement dissous par le premier ministre (un nouveau parti de ce type est autorisé en1906)[319].
La production culturelle obéit à deux grandes dynamiques sur la période1890-1914 : le façonnement d'un cadre national pour sa diffusion, mouvement déjà enclenché plus tôt dans le siècle, et une opposition interne entre culture japonaise et culture occidentale, prolongement de la situation politique en Asie marquée par lavictoire du Japon sur la Russie et par lachute de la dynastie chinoise desQing en1911[320]. Le rôle de la culture européenne comme modèle est remis en cause par certains[321], tandis que d'autres cherchent à faire une synthèse des deux cultures[322]. L'éducation primaire progresse : 50 % des enfants sont scolarisés à ce niveau en1890, 95 % en1906. Au même moment se met en place la base d'unsystème universitaire japonais, avec la constitution d'un réseau d'universités impériales dans les plus grandes villes du pays, ainsi que d'établissements privés commeWaseda,Keiō, etDōshisha. Les titres de presse se multiplient, passant de plus de 400 en1890[323] à 2 000 en1914. La même année, le Japon se place second au niveau mondial en nombre de livres publiés, derrière l'Allemagne, avec près de 27 000 titres. La langue japonaise s'uniformise par ce biais, même si de nombreux dialectes se maintiennent. Le dialecte de Tokyo, là où se trouve la plupart des moyens d'édition, se généralise et devient le japonais standard[324].
Consolidation du régime et montée de l'impérialisme
Lespremières élections législatives de l'histoire du pays se tiennent en juillet 1890, et placent leJiyūtō et leRikken Kaishintō en tête de la représentation nationale, rassemblant à eux deux 170 des 300 sièges de lachambre des représentants. Cette chambre s'oppose régulièrement aux membres du gouvernement, nommés par l'empereur, dans le but d'obtenir plus de pouvoir pour leur assemblée. L'obstruction passe notamment par le refus de vote du budget tel que présenté par le gouvernement plusieurs années de suite. Le déclenchement de laguerre sino-japonaise en Corée en1894 met fin provisoirement à cette opposition. En, la contestation par les puissances occidentales de certains points dutraité de Shimonoseki mettant fin à la guerre est utilisée par les dirigeants duJiyūtō pour négocier pour la première fois l'entrée de plusieurs de ses membres au sein du gouvernement[325]. Ce fonctionnement gouvernemental s'impose par la suite et, lors de la décennie suivante, de1901 à1913,Katsura Tarō etSaionji Kinmochi occupent de façon alternée le poste dePremier ministre. En 1913, un an après le décès de l'empereur Meiji, lacrise politique Taishō met fin à cette répartition du pouvoir et ouvre l'époque de ladémocratie Taishō[309]. En outre, de1900 à1920, s'opère un recul des factions politiques liées aux anciens clans du Sud-Ouest, à la bureaucratie et aux hauts fonctionnaires. Cet affaiblissement profite aux diplômés de plusieurs universités qui s'imposent dans certains secteurs : la haute fonction publique, la magistrature, et les banques accueillent ceux de l'université impériale de Tokyo, le monde de la presse et celui des affaires ceux de l'université Waseda, et la médecine ceux de l'université Keiō[326].
La poussée coloniale des puissances européennes reprend dans lesannées 1880 : les Britanniques colonisent laBirmanie en1886, les Français l'Indochine de1884 à1893, les AméricainsHawaï en1898[327]. LaCorée devient un enjeu stratégique pour certains hommes politiques japonais à partir de1890, et est l'objet d'uneguerre contre la Chine en1894-1895, puis d'uneguerre contre la Russie en1904-1905 — cette dernière concerne aussi le contrôle de laMandchourie. Victorieux dans les deux cas, leJapon impérial renforce sa position sur l'échiquier international et agrandit son territoire :Taïwan est transformée en colonie en1905, leLiaodong et la moitié sud deSakhaline sont acquis en1905, eten 1910la Corée devient une colonie japonaise[328]. La superficie du pays s’accroît ainsi de 77 % entre1894 et1910[329]. En1902, pour la première fois, un traité défensif est signé entre le Japon et une puissance occidentale (les Britanniques)[330], et, en 1905, le Japon bat militairement une puissance occidentale (la Russie lors de labataille de Tsushima)[331]. La modernisation du Japon devient un exemple à suivre en Asie ; le pays attire des étudiants chinois et coréens[332]. La situation se retourne cependant dès1905, avec l'essor de l'impérialisme japonais en Corée. Les relations entre les deux pays se tendent jusqu'à la colonisation de ce dernier[333].
Entre1914 et1940, la population continue de croître, passant de 51 millions d'habitants à 70 millions. Alors que 28 % des Japonais vivent dans une ville de plus de 10 000 habitants en1913, ils sont en1940 29 % à vivre dans une ville de plus de 100 000 habitants.Tokyo passe de deux millions d'habitants en1905 à 5,5 millions en1935, se hissant au même niveau queLondres ouNew York[336]. Cette poussée démographique est aussi notable àHokkaidō qui, de région nouvellement colonisée, se peuple jusqu'à atteindre un niveau comparable aux autres régions de peuplement plus ancien. De 1 800 000 habitants en1913, sa population passe à 3 millions en1940, et son réseau urbain se structure autour de trois villes de plus de 100 000 habitants :Hakodate,Sapporo, etMuroran[337]. La question de la surpopulation devient un enjeu politique à partir du milieu desannées 1910. Alors qu'une féministe commeShidzue Katō préconise le contrôle des naissances, des leaders politiques s'y opposent, y voyant une menace pour la vigueur de l'industrie et du colonialisme japonais[338]. À la fin desannées 1930, on dénombre plus de deux millions de Japonais dans les colonies du pays et un million vivant dans d'autres pays[339].
Troismoga marchant dans les rues de Tokyo en 1924.
Lacondition féminine évolue, et les femmes sont de plus en plus nombreuses dans des postes decols blancs (le tiers des enseignants du primaire dans lesannées 1920 sont des enseignantes)[340]. En1922, elles sont autorisées à s'organiser politiquement et à assister à des meetings politiques[341]. Plusieurs initiatives législatives sont prises, la dernière en1931, pour tenter, sans succès, d'élargir lesuffrage aux femmes[342]. Dans les années1920, quelques femmes obtiennent dans le monde du spectacle une visibilité importante associée à une image de modernité, ce qui aboutit à la promotion de la figure de lamodan gaaru[343]. D'autres parties de la population sont en quête d'une reconnaissance sociale :Burakumin,Aïnous, migrantsCoréens… et tendent à se regrouper en associations pour défendre leurs intérêts[344]. Ces derniers, venus chercher du travail dans l'archipel, passent de 1 000 en1910, à 300 000 en1930, puis à environ 1 million en1940[345]. L'enseignement supérieur accueille de plus en plus d'étudiants : de 9 695 en1915, leur nombre passe à 81 999 en1940. Cette hausse s'accompagne de créations d'associations politiques étudiantes radicales, de gauche comme de droite[346].
Alors que les gouvernants passent d'une politique de soutien du prix du riz à une politique visant à le faire baisser, l'espace politique se réduit en milieu rural. Les pouvoirs publics veulent mettre un terme à l'agitation ouvrière en ville en faisant baisser le prix des produits de consommation courante, comme lors desémeutes du riz de 1918. Lacrise de 1929 touche elle le prix de la soie et du coton et contribue à aggraver la situation. Le nombre de conflits entre propriétaires terriens et ouvriers agricoles passe de 87 en1917, à 2 751 en1926, et 6 824 en1935[347]. La situation des ouvriers en ville s'améliore légèrement, principalement pour les ouvriers qualifiés, à l'heure où les progrès de l'industrialisation en réclament un nombre important[348]. Les conditions de vie restent difficiles pour les ouvriers non qualifiés, et le nombre de syndiqués passe de 3 000 vers1910 à 30 000 en1919[349], ce qui pousse les gouvernements successifs à prendre des mesures en faveur des ouvriers dans lesannées 1920[350].
Culturellement, l'augmentation du nombre de journaux, de postes de radio, et de cinémas contribue à rapprocher les mouvements culturels avant-gardistes deTokyo des territoires plus reculés du pays. Le nombre de cafés, grands magasins, et de galeries d'arts soutient l'émergence d'une culture de plus en plus urbaine, industrielle, et s'adressant en premier lieu aux classes moyennes et aux jeunes adultes. Une complexification s'opère, guidée par les critiques artistiques, opposant cultures anciennes et nouvelles, cultures occidentales et orientales, et cultures prolétaires et bourgeoises[351]. Dans le domaine littéraire, l'opposition entre littérature« de masse » et littérature« pure » entraîne la création de deux prix littéraires séparés. En1935, leprix Naoki récompense la littérature de masse, quand leprix Akutagawa couronne une littérature plus élitiste[352]. L'écrivainYasunari Kawabata émerge comme figure de lalittérature japonaise dans lesannées 1930[353]. Lecinéma est florissant ; en1940 le pays compte une dizaine de grandes compagnies cinématographiques. Les œuvres créées empruntent beaucoup aux formes du théâtre japonais, ainsi qu'à ses classiques (l'histoire des47 rōnin est ainsi portée 45 fois à l'écran entre1907 et1925, et plus encore les années suivantes)[354].
Après lacrise politique Taishō de1913 commence une période d'une quinzaine d'années pendant laquelle se renouvelle la culture parlementaire, avec à la clef une ouverture démocratique. La montée en puissance des classes moyennes et du milieu ouvrier favorise l'éclosion de discours critiques sur l'autoritarisme de l'État[355]. Une presselibérale s'épanouit et exprime une certaine sympathie envers les revendications chinoises et coréennes lorsque ces pays subissent la répression de l'armée japonaise. Le suffrage universel masculin est élargi en1925 à tout homme de plus de 25 ans[356]. Cependant la même année est votée une loi visant à stopper la montée de l'extrême gauche[357] qui compte huit élus au parlement en1928, à l'issue de la première élection au suffrage universel. Une police politique est mise en place dans chaque préfecture, et certaines activités politiques deviennent passibles de la peine de mort. Ceci n'empêche pas le mouvement ouvrier d'organiser plusieurs milliers de grèves dans l'industrie en1931[358].
Lacrise économique de 1929 et la montée des tensions internationales dans lesannées 1930 mettent cependant ce système politique sous pression[357]. L'entretien d'une armée importante devient un lourd fardeau alors que la situation économique s'aggrave. La montée du communisme aux frontières du pays fait peur à la classe moyenne, et les conservateurs sont perçus comme étant trop proches desconglomérats industriels pour apparaître comme une alternative possible. L'arméea contrario continue d'être perçue comme le moyen d'une ascension sociale, et son discours impérialiste est jugé crédible par certains pour faire face aux difficultés économiques[359]. Dans ce contexte, un courant nationaliste radical, dont les tenants sont souvent issus des rangs de l'armée, fait son chemin en s'opposant au milieu politique en place, qu'il juge trop faible. Ce courant met en place une« stratégie de la tension », et plusieurs coups d'État sont préparés en1931. Le, unetentative de putsch conduit à l'assassinat du premier ministreInukai Tsuyoshi. Son remplacement par un militaire met fin au régime des partis existant depuis1918[360]. Ce nouveau pouvoir nationaliste est traversé par deux tendances : lafaction du contrôle se compose de militaires alliés à la bureaucratie, souhaitant orienter l'État vers une économie de guerre en augmentant les dépenses militaires, et lafaction de la voie impériale, plus radicale, visant à mettre fin à la domination des partis politiques et desconglomérats industriels sur le pays. Cette dernière faction est à l'origine, le, d'une nouvelle tentative de coup d'État pendant laquelle plusieurs ministres sont assassinés. La partie de l'armée restée loyale au pouvoir tire avantage de l'échec de l'opération en imposant ses vues au sommet de l'État. Elle engage plus encore le pays dans la voie de la guerre, notamment en poussant à l'alliance avec l'Allemagne hitlérienne[361], avec laquelle le Japon signe en novembre 1936 lepacte anti-Komintern. La justice parvient quant à elle à conserver une certaine indépendance vis-à-vis du pouvoir militaire, y compris au plus fort de laSeconde Guerre mondiale[362], mais la presse subit une importante censure, et les opposants au régime comme les libéraux, les socialistes, les journalistes ou les professeurs d'université sont intimidés ou arrêtés[363].
Sur le plan de la politique internationale, la situation se calme dans lesannées 1920. Les traitésde Versailles puisde Washington ont stabilisé la situation. L'agitation anti-japonaise en Corée persiste, mais sans possibilité de s'étendre. Le nouveau régime chinois se focalise sur son combat contre les seigneurs de guerre et le parti communiste[358]. Les choses changent lorsqu'au début desannées 1930 un gouvernement lié aux militaires est instauré auJapon. Celui-ci met en place l'État fantoche duMandchoukouo, puis quitte laSociété des Nations en1933[361]. L'invasion de la Mandchourie en1931 est le point de départ d'une guerre de quinze ans dont le théâtre d'opération va s'élargir au reste de la Chine à partir de, puis auPacifique et à tout l'Extrême-Orient à partir de1941[364].
Les troupes japonaises massacrent environ 200 000 Chinois lors dumassacre de Nankin.
Une nouvelle phase d'expansion en Chine commence en lorsque laguerre sino-japonaise éclate. Attaquant au nord, et à partir deShanghai, lestroupes nippones se heurtent à celles deTchang Kaï-chek.Nankin, la capitale durégime nationaliste chinois, est prise le, ce qui donne lieu à desmassacres de populations pendant lesquels environ 200 000 personnes sont tuées[368]. Au Japon, le conflit n'est pas soutenu par la population, et la censure dissimule au public la violence des combats[369]. Le régime accentue sa répression contre les opposants (socialistes, syndicalistes…), notamment de à[363]. Le conflit s'enlise dès le printemps1938, alors que les Chinois continuent de résister[370].
Face à l'enlisement du conflit en Chine dès1938, les militaires japonais envisagent deux options. Paridéologie anti-communiste, certains chefs militaires favorisent une « option nord », qui consisterait à attaquer l'URSS de façon à sécuriser leurs possessions au nord. D'autres, tenants d'une « option sud », souhaitent couper les voies d'approvisionnement des nationalistes chinois, et s'en prendre aux colonies européennes (Indochine française,Birmanie britannique,Indes orientales néerlandaises…). Les tenants de la première option ont d'abord gain de cause, etune première série d'escarmouches opposetroupes japonaises et soviétiques à l'été1938. L'année suivante, les troupes soviétiques surclassent les forces japonaises à labataille de Khalkhin Gol[371]. La signature duPacte germano-soviétique le les ayant apparemment privés du soutien potentiel de l'Allemagne nazie, les Japonais renoncent dès l'automne de la même année à attaquer de nouveau l'URSS. Unpacte de non-agression entre les deux pays est finalement signé le. Lesvictoires allemandes en Europe de l'Ouest, qui entraînent un affaiblissement des puissances coloniales européennes en Asie, ouvrent la voie en1940 à la réalisation de l'« option sud »[372]. LeTonkin est envahi en septembre 1940. LePacte tripartite est signé le même mois entre leJapon, l'Allemagne, et l'Italie, scellant l'Axe Rome-Berlin-Tokyo. Ces développements sont perçus négativement par lesÉtats-Unis qui restreignent leurs exportations de fer et de pétrole vers le Japon[373]. Les troupes japonaises prennent pied dans le Sud de l'Indochine française en, ce qui place leur aviation à portée des possessions anglaises (Malaisie) et américaine (Philippines). En représailles, lesÉtats-Unis décrètent un embargo total vis-à-vis du pétrole exporté vers le Japon. Or, ce dernier a besoin de carburant pour mener sa guerre contre larépublique de Chine. Dans l'espoir de ramener les Américains à la table des négociations, une guerre maritime éclair contre eux est envisagée par les militaires japonais[374].
Le, l'empereurHirohito annoncelors d'une allocution radiophonique lacapitulation du pays[384]. Le 17, le princeNaruhiko Higashikuni est chargé de former un gouvernement transitoire afin de gérer le pays en attendant l'arrivée des troupes alliées. Le 2 septembre, la reddition du pays et des troupes japonaises est signée à bord du cuirasséUSS Missouri, et le 8,Douglas MacArthur qui est responsable de l'administration de l'occupation américaine installeson administration àTokyo, face aupalais impérial. Environ 400 000 soldats américains débarquent dans le pays jusqu'à la fin du mois d'octobre de la même année[385]. Dès le 19 septembre, 40 hauts cadres de l'armée dontHideki Tōjō sont arrêtés, et le 4 octobre, l'occupant se porte garant des libertés civiles des Japonais[386] : près de 2 500 prisonniers politiques sont libérés, ledroit de vote est accordé aux femmes, son âge légal est fixé à vingt ans ; la liberté syndicale est réinstaurée, et dès la fin de l'année 400 000 personnes sont adhérentes d'un syndicat[387]. Le système éducatif commence à être réformé dès l'automne1945[388], et en1948 leRescrit impérial sur l'éducation est aboli[389].
Dans le domaine économique, le pays est miné par des problèmes de ravitaillement, les infrastructures étant en ruine. Une situation de pénurie perdure jusqu'en1948. Lecrime organisé prospère, tandis que se développe uneéconomie souterraine. Jusqu'à un million de Japonais périssent de sous-alimentation, et l'inflation est endémique jusqu'à la fin de la décennie[390]. Les grands conglomérats que sont lesZaibatsu commeMitsui ouSumitomo sont dissous en, et fin1946, une réforme agraire permet à 80 % des paysans d'accéder à la propriété[388].
Les débuts de laguerre froide en1946 obligent lesÉtats-Unis à revoir leur relation avec leJapon : en Extrême-Orient, laCorée du Nord communiste est créée en1948, et l'année suivanteles communistes achèvent leur conquête de la Chine continentale. La priorité est alors donnée au redressement économique de l'archipel. Après un intermède socialiste assuré parTetsu Katayama, les libéraux arrivent au pouvoir en1948 avecYoshida. En octobre de la même année, l'occupant instaure une nouvelle politique économique dirigée parJoseph Dodge : une politiquedéflationniste est mise en place, et les libertés publiques sont réduites[393]. En1950 des purges politiques visant les communistes touchent plus de 10 000 personnes[394]. Les nationalistes et militaristes ayant exercé des fonctions de pouvoir jusqu'en 1945 font aussi l'objet de purges importantes pendant l'occupation américaine, mais les autorités japonaises reviennent sur ces dernières progressivement entre1952 et1955[395]. L'occupant décide de réarmer en partie le pays, alors que laguerre de Corée vient d'éclater, ce qui relance l'activité de pans entiers de son économie : dès1951, la production industrielle bondit de 12 %[396].
C'est dans ce climat international tendu, que s'ouvrent les négociations dutraité de paix. Malgré l'opposition de gauche qui tente d'obtenir la neutralité du pays, et la droite conservatrice deHatoyama etKishi qui envisage de reconstituer une armée sitôt l'indépendance recouvrée, le premier ministreYoshida accepte les conditions américaines qui prévoient l'instauration de bases militaires permanentes dans le pays[396]. Le, 49 États ratifient par écrit letraité de paix avec le Japon[397].
Dans lesannées 1950, l'économie reste en partie tournée vers les besoins de la reconstruction, et labalance commerciale du pays reste déficitaire jusqu'en1965, puis devient excédentaire, permettant au pays de stocker des réserves de monnaies étrangères[398]. De1955 à1973, la croissance économique est soutenue : leproduit national brut est multiplié par 5[399] grâce à des améliorations technologiques et des disponibilités importantes en capital pour financer les investissements de modernisation[400].L'industrie crée 28 millions d'emplois entre1947 et1990[401], et le pays accède au rang de grande puissance économique. LePNB du pays dépasse celui duRoyaume-Uni en1967, et celui de l'Allemagne de l'Ouest en1969[399].
La part de l'agriculture dans l'économie poursuit sa décroissance : de 45 % en1950, elle chute à 18 % en1970. Ce phénomène s'accompagne d'un dépeuplement de certaines régions, notamment le long de lamer du Japon[402]. Une politique de contrôle des prix (limitation des importations, stockage des excédents, etc.), reconduite par les gouvernements successifs[403], permet de dégager des marges suffisantes pour soutenir la mécanisation de l'agriculture[401].
Mais le développement économique engendre des problèmes de santé publique. Des maladies résultant de pollutions industrielles font leur apparition — par exemple, lamaladie de Minamata en 1953, et lamaladie Itai-itai, identifiée en1965, toutes deux causées par des rejets industriels. Labaie de Tokyo est rendue impropre à la pêche en1962[404], alors que la capitale est régulièrement le théâtre de phénomènes desmog. En1970, la pollution de l'air àTokyo atteint un pic ; l'année suivante, une agence nationale de l'environnement est créée[405].
Hatoyama est élu au poste de Premier ministre en1954, porteur d'un discours nationaliste réclamant plus d'indépendance vis-à-vis des Américains[408]. Le succès que remporte leparti socialiste auxélections législatives de 1955 pousse les conservateurs, divisés entre plusieurs partis, à se regrouper au sein duParti libéral-démocrate[409]. Hatoyama réussit à unir au sein d'un même parti des tendances allant du centre gauche à la droite nationaliste[408], ce qui permet au parti de régner sans partage pendant plusieurs décennies[410]. Lesannées 1950 sont par ailleurs marquées par de grands mouvements sociaux, et les étudiants regroupés dans leZengakuren émergent comme une des grandes forces politiques du moment[411]. Lorsqu'en1960, le premier ministreNobusuke Kishi tente de faire passer en force la signature d'un traité de coopération militaire avec lesÉtats-Unis, près de 3 000 000 personnes se rassemblent pour protester autour dubâtiment de la Diète[412],[413].
Dans lesannées 1960, s'enchaînent les mandats deHayato Ikeda de1960 à1964 puis deEisaku Satō de1964 à1972. Le premier engage leParti libéral-démocrate dans une politique favorisant l'économie, visant « haute croissance et doublement des salaires », et remporte assez largement lesélections législatives de 1960[414]. Un calme social s'installe[415] alors que la croissance du PIB se maintient à plus de 10 % par an[416]. Son successeur et continuateur conserve le pouvoir pendant plus de sept ans, le record de l'après-guerre[417].
LaNissan Sunny produite à faible coût dans lesannées 1960 permet à de nombreux foyers japonais d'avoir accès à l'automobile.
La population japonaise s'accroît régulièrement jusqu'au début desannées 1970. Bien que letaux de fécondité diminue de 4,54 enfants par femme en1947 à 2,13 en1970, l'espérance de vie croît de 47 ans en1937 à 68 ans en1960 (puis 78 ans en1990). La population passe ainsi de 70 millions à la fin desannées 1930 à plus de 100 millions dans lesannées 1960[422]. Une urbanisation massive s'organise dans les agglomérationsde Tokyo,de Kyoto, etde Nagoya ; en1970, 72 % de la population mènent une vie citadine[402]. L'éducation progresse aussi. Alors qu'en1950 seuls 50 % des élèves poursuivent leur scolarité au-delà du collège, ils sont 90 % en1975. Le nombre d'étudiants à l'université passe de 240 000 en1950 à 1 670 000 en1970[423]. Une classe moyenne importante émerge, qui se dote debiens d'équipement en nombre ; vers1970, environ 90 % des ménages sont équipés de lave-linges, d'aspirateurs, de réfrigérateurs, et de téléviseurs en noir et blanc. Les automobiles en circulation se multiplient, la production évoluant de 30 000 véhicules en1956 à 5 millions en1970[402].
Le peuple japonais a accès à uneculture de masse diffusée par la radio et le cinéma, des médias en forte croissance entre1945 et1960, avant d'être supplantés par la télévision[424]. À côté de cette culture moderne, un mouvement de préservation des modes d'expressions traditionnels, porté dès avant-guerre par l'écrivainSōetsu Yanagi, se poursuit[425] ; c'est dans cette optique que laFondation du Japon voit le jour en1972[426].
La consommation d'énergie quintuple entre1960 et1990. Mais la ressource énergétique principale s'épuise rapidement : en1955, l'exploitation du charbon disponible sur le territoire japonais couvre 79 % des besoins, seulement 17 % en1990. Après avoir eu recours aux hydrocarbures importés pour pallier le manque de charbon, le pays opte pour l'énergie nucléaire. Lapremière centrale entre en activité en1966 àTōkai, et, au début desannées 1990, une quarantaine de réacteurs produisent le quart de la production énergétique nationale[399].
La hausse duyen combinée à une balance commerciale très bénéficiaire a plusieurs effets visibles à l'international. Le pouvoir d'achat des Japonais leur permet de se rendre en nombre à l'étranger et de s'adonner à la consommation touristique[434]. De plus, les produits de leurs entreprises, notamment dans le secteur des technologies, inondant certains marchés, éveillent l'intérêt de la jeunesse occidentale pour les productions culturelles du Pays du Soleil levant[435]. Sur la scène internationale, le Japon accède au rang de modèle économique[436]. Cette reconnaissance et sa prospérité l'incitent à augmenter sa participation financière dans de grands organismes internationaux (aide au développement de pays dutiers monde, contributions aux projets de l'Unesco…). En outre, il investit les excédents de sa balance commerciale en achetant en masse desbons du Trésor américain[435].
Scandales politico-financiers et rapprochement avec la Chine
Entre1972 à1987, le système politique japonais est sous l'influence d'un seul homme :Kakuei Tanaka.Premier ministre de 1972 à 1974, il s'impose comme « faiseur de roi » les années suivantes, grâce à ses ressources financières et ses réseaux politiques[437]. Il commence sa carrière politique dans larégion de Niigata dont il est originaire, et y met en place un système definancement occulte lui permettant de couvrir les dépenses de ses campagnes électorales, ainsi que celles de ses soutiens[438]. En1974, à la suite d'unscandale politico-financier, il est contraint à la démission. Son influence au sein duPLD reste cependant forte[439], même après les révélations publiques de son implication dans l'affaire Lockheed qui éclate en1976[440]. Le système de factions qu'il a renforcé dans le parti fragilise le pouvoir des premiers ministres qui ne peuvent plus compter sur de fortes majorités : cinq Premiers ministres se succèdent jusqu'en1982, effectuant des mandats d'au plus deux ans[440]. Le parti lui-même est profondément divisé : en1979, faute d'un accord interne, il présente deux candidats au poste de Premier ministre. Il devient en outre très impopulaire : les effectifs de sa base militante sont divisés par deux la même année[440].
Le parti, et le pays, retrouvent une certaine stabilité politique avec l'arrivée au pouvoir deYasuhiro Nakasone. Nommé en1982, il parvient à conserver son poste après les élections législativesde 1983 etde 1986[441]. Il désigneNoboru Takeshita pour lui succéder à la tête duPLD. Ce dernier, grâce à l'appui d'une faction importante du parti, s'installe aux commandes du pays en1987. Cette même faction va porter au sommet de l'État trois autres de ses membres entre la démission deTakeshita en1989 et1992[442].
Au niveau international, le Japon opère un rapprochement diplomatique avec larépublique populaire de Chine. Jusqu'en1972, influencé par les Américains, le pays ne reconnaît queTaïwan comme interlocuteur, mais les choses évoluent lorsque lesÉtats-Unis, ayant subi un échec lors de laguerre du Viêt Nam, amorcent un début de désengagement en Asie. LeJapon et laChine signent finalement un traité de paix en1978[443], dans lequel une clause met en garde contre la présence « hégémonique » de l'URSS dans la région[444]. Dans le même temps, les relations avec le régime du généralsud-coréenPark Chung-hee restent conciliantes, et le gouvernement japonais accepte de couvrir l'enlèvement à Tokyo d'un opposant sud-coréen[445].
Lesnouvelles religions ouShinshūkyō, qui se sont développées au cours des décennies précédentes, connaissent leur apogée au début desannées 1970[446], avant d'être remplacées par d'autres mouvements sectaires plus récents (shin-shinshūkyō[447]), qui séduisent une population plus jeune et plus urbaine[448]. Les pratiques religieuses évoluent aussi : en1984, par exemple, 65 % des Japonais interrogés indiquent ne pas avoir de croyance, quand dans le même temps 81 % d'entre eux visitent les temples lespremiers jours de l'année[449].
La baisse continue de la fréquentation des salles de cinéma (d'un milliard d'entrées par an en1950 à 187 millions en1973) remet en cause les investissements des principaux studios du pays. Le réalisateurAkira Kurosawa, par exemple, doit faire appel à des capitaux soviétiques ou américains pour pouvoir financer ses films[454].
Bien que les mouvements de concentration urbaine vers les grandes villes ralentissent, certaines régions commeHokkaidō ouKyūshū tirent profit d'un développement régional. Malgré des initiatives étatiques en leur faveur, les autres aires géographiques restent en marge[455]. Dans les grandes villes commeTokyo, des quartiers de gratte-ciels commencent à être construits. C'est le cas, par exemple, deNishi Shinjuku où les premiers immeubles de grandes hauteurs apparaissent dans lesannées 1970[456].
Au niveau régional, des antagonismes anciens s'enveniment entre le Japon, la Chine et laCorée du Nord. Cette dernière, lâchée par son allié soviétique, se lance dans une course à l'armement nucléaire, et menace directement le territoire nippon[468]. LaChine, quant à elle, dispute au Japon lasouveraineté sur les îles Senkaku[470]. Les tensions avec ces deux pays, mais aussi avec laCorée du Sud, prennent souvent pour cadre des questions mémorielles, notamment durant laguerre des manuels en2005, et à l'occasion de visites d'officiels japonais ausanctuaire de Yasukuni[471].
Cependant, sous la présidence deGeorge W. Bush, le Japon se démarque à plusieurs reprises de son allié américain en optant pour une politique de conciliation. En1991, deux ans après lesmanifestations de la place Tian'anmen, il normalise ses échanges diplomatiques et économiques avec la Chine. En1998, le premier ministreObuchi et le président sud-coréenKim Dae-jung prônent, d'une même voix, une politique d'ouverture envers le voisin nord-coréen, initiative prolongée par deux visites àPyongyang du Premier ministreKoizumi[470].
Les navires de laclasse Izumo sont utilisables comme de véritables porte-avions[472].
La question de la réforme de l'armée japonaise resurgit à maintes reprises dans le débat public. Malgré une opposition populaire forte, plusieurs cadres politiques plaident pour uneréforme de la constitution japonaise pour permettre le déploiement desForces japonaises d'autodéfense dans des missions plus variées à l'étranger[472]. En2014, le Premier ministreAbe lance un processus de révision constitutionnelle[473]. Dans le même temps, la composition des forces armées évolue. En2012, le lancement de la construction de deux navires declasse Izumo (utilisables comme de véritables porte-avions), associés à la flotte dedestroyers declasse Kongō, et aux transporteurs d'assaut declasse Osumi (lancés dans lesannées 2000), permet au pays de constituer plusieurs groupes deforces opérationnelles[472].
L'appréciation du yen face au dollar à partir de la seconde moitié desannées 1980 provoque le retour de capitaux au pays, souvent investis dans l'immobilier commercial. Cependant, laBanque du Japon intervient pour juguler labulle spéculative qui se forme, en relevant sontaux d'escompte à partir de. Dès le cours de labourse de Tokyo commence à s'effondrer, et, au terme de l'année, la perte s'élève à 39 %. Pour compenser leurs pertes, des entreprises sont contraintes à vendre leurs actifs immobiliers, ce qui a pour effet de faire baisser la valeur de ceux-ci. Les banques sont elles aussi acculées à la vente d'actifs, et l'économie nationale entre en récession[474]. La faillite de deux groupes financiers en1997, laHokkaido Takushoku Ginko etYamaichi Securities(en), force le gouvernement à injecter 1 800 milliards de yens dans le système bancaire, mais sans succès jusqu'à ce que des réformes structurelles soient imposées, six ans plus tard, par legouvernement Koizumi[475].
Sous la pression de ses partenaires commerciaux, désireux d'accéder au marché intérieur japonais, le gouvernement japonais applique plusieurs mesures de déréglementations. Les privatisations d'entreprises, qui avaient commencé dans lesannées 1980, reprennent lorsqueKoizumi prend la direction des affaires du pays[476].
Le taux de chômage double entre1992 et2002, passant de 2,2 % à 5,4 %. Il atteint, et parfois dépasse, 10 % dans les catégories comme celles des hommes de moins de 25 ans ou de plus de 60 ans. La part de l'emploi précaire (intérim, contrats à durée indéterminée…) augmente et concerne un actif sur quatre au début desannées 2000[477].
Cependant, la valeur en dollars des exportations progressent continûment, portée par des secteurs restés compétitifs comme l'automobile et l'électronique, et la balance commerciale demeure excédentaire (autour de 100 milliards de dollars par an). Du fait de l'abondance de ses devises (en2007, le pays détient 970 milliards de devises étrangères), le pays reste le premier créditeur mondial en2002[476].
La population poursuit sa croissance, et atteint un maximum de 127 millions d'individus en2004. Cependant cette hausse s'explique notamment par un allongement de la durée de vie[478], le taux de fécondité étant passé sous le taux de renouvellement dès1974[479], et la part des plus de 65 ans passe de 7 à 20 % entre1970 et2006[478]. La baisse de la natalité glisse progressivement jusqu'à 1,32 enfant par femme en2006[479], et les projections pour2100 indiquent que la population japonaise pourrait baisser jusqu'à 64 millions d'habitants si la tendance ne s'inversait pas[480].
Au début desannées 1990, des phénomènes culturels, jusque-là marginaux — celui desOtaku, par exemple —, deviennent de notoriété publique. Basés sur diverses expressions de la culture populaire japonaise comme lemanga, lajapanimation et l'univers desjeux vidéo[481], ils influencent des mouvements artistiques commeSuperflat[482], et portentleSoft power japonais à l'étranger : en2005, le pays se classe deuxième exportateur mondial de biens culturels (12,5 milliards de dollars, en valeur)[483].
Le11 mars 2011, un séisme demagnitude 9,0, suivi d'untsunami, frappe l'est duTōhoku autour deSendai, provoquant la mort de plusieurs milliers de personnes, d'importants dégâts dans toute la partie nord-est deHonshū et l'accident nucléaire de Fukushima[484]. Cette triple catastrophe, écologique et technologique, instille le doute dans une opinion publique japonaise déjà accablée par des années de stagnation économique et inquiète de la montée en puissance de son voisin chinois[485],[486].
↑Bien que déclenchées à des dates différentes, les attaques sont simultanées (à une heure près) car elles ont lieu de part et d'autre de laligne de changement de date.
↑Christian Galan, « L’enseignement de l’histoire au Japon : jusqu’ici tout allait (presque) bien »,Écrire l'histoire,vol. 17,,p. 209-215(lire en ligne, consulté le).
↑Jonathan M. Reynolds, « Les parcs archéologiques de Sannai Maruyama et Yoshinogari : Identité culturelle et préhistoire dans le Japon contemporain »,Perspective,vol. 1 « Japon »,,p. 329-345(lire en ligne, consulté le).
↑Jean-Paul Demoule,« Aux marges de l'Eurasie: Le Japon préhistorique et le paradoxe Jomon », dans Jean Guilaine (dir.),Aux marges des grands foyers du néolithique. Périphérie débitrices ou créatrices ?, Paris, Errances,,p. 177-202.
↑Laurent Nespoulous,« Le contre-exemple Jōmon », dans Jean-Paul Demoule (dir.),La Révolution néolithique dans le monde, Paris, CNRS éditions,,p. 65-85.
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