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L’histoire des cabarets montréalais s'étend du début desannées 1920 auxannées 1970. Ils ont créé, sans conteste, un phénomène social, économique et culturel qui a contribué à transformer radicalement le milieu du spectaclemontréalais etquébécois.
Propulsés par laprohibition américaine, les cabarets montréalais reçoivent des artistes de grande renommée venus desÉtats-Unis et de laFrance pour s'y produire.Montréal obtient vite une réputation de ville festive et attire des touristes en grand nombre, notamment desAméricains. De nombreux artistes américains dejazz viennent y jouer. Dans les années 1950, les cabarets montréalais sont un lieu important d'émergence de nouveaux talents québécois.
Le phénomène connaît son apogée durant deux périodes : autour de1930, et par la suite à la fin desannées 1940.
Toutefois, la mafia new-yorkaise et, par la suite, montréalaise ont des liens très serrés avec le monde des cabarets montréalais. La vitalité des cabarets est finalement affectée par la popularité de la télévision et par une campagne de répression publique menée notamment par lemaireJean Drapeau à la fin desannées 1950. Au début desannées 1970, les cabarets disparaissent de la scène montréalaise.
Le, leCongrès américain vote un amendement constitutionnel (leProhibition Act) qui interdit la production et la consommation de boissons contenant plus d'un demi pour cent d'alcool[1].
Cette mesure a pour effet direct de ruiner rapidement les cabarets deNew York (et particulièrement ceux deHarlem) et met au chômage leurs artistes[1].
En1921, legouvernement Taschereau, à l'opposé de ce que l'on voit dans le reste du continent, opte pour une solution avant-gardiste : la création de laCommission des liqueurs du Québec (devenue laSociété des alcools du Québec) qui permet l'accès légal (et contrôlé) à toutes les boissons alcooliques[2].
À partir du milieu desannées 1920, on observe que plusieurs artistes de la scène new-yorkaise s'installent àMontréal pour jouer dans le milieu naissant des cabarets montréalais. Déjà à la fin desannées 1920, on retrouve à Montréal plusieurs boîtes de nuit et clubs très courus : leBoulevard, leCommodore, leHollywood, leBlue Sky, et leCabaret Chinese Paradise ainsi que des clubs de style américain et un théâtre de variétés très influencé par levaudeville américain[3].
Mais la réputation de Montréal comme grande ville nord-américaine de cabarets se confirme quand la plus importante vedette des cabarets new-yorkais,Texas Guinan, arrive à Montréal en1930 pour l'ouverture duCabaret Frolics. Cette animatrice et chanteuse vedette est reconnue pour s'écrier« Hello suckers! » en entrant sur scène au début de toutes ses performances[4]. Texas Guinan fait grande sensation sur laMain (leboulevard Saint-Laurent) mais, surtout, accélère l'engouement pour Montréal et une multitude d'artistes de cabarets américains (MC, chanteurs, musiciens, etc.) viennent aussi s'établir à Montréal[1].
Véritable oasis pour quiconque cherche à échapper aux politiques desprohibitionnistes, Montréal se bâtit en peu de temps une réputation attirante pour les touristes, les investisseurs et les parieurs.
Les cabarets, les clubs et les salons de parieurs font alors de Montréal une ville incontournable du spectacle et du divertissement.
Lacrise économique de 1929, mais surtout la fin de laprohibition aux États-Unis en1933, porte un dur coup aunight life montréalais. Plusieurs vedettes américaines retournent vivre aux États-Unis tandis que les clients américains se font plus rares[5]. D'ailleurs, leFrolics Cabaret ferme ses portes en 1933 après trois ans d'exploitation.
Mais déjà, au début desannées 1930, la réputation de Montréal« ville ouverte » n’est plus à faire et on commence à la désigner comme la« Paris de l’Amérique du Nord ». Tout plaisir illicite peut y être acheté à toute heure du jour et de la nuit. Cette industrie de divertissement et de spectacle repose sur un empire parallèle de plusieurs millions de dollars : l’industrie du jeu finançant, directement ou indirectement, la vie nocturne, ses activités et ses plaisirs« around the clock »[4].
Malheureusement, lamafia new-yorkaise s'installe à Montréal, faisant de celle-ci un petit Chicago[6]. La rue Clark devient célèbre pour sesmaisons closes et ses maisons de jeu. On retrouve même à l'angle des rues Saint-Laurent etOntario la plus importante centrale de paris téléphoniques d'Amérique. De quoi bâtir une belle réputation à Montréal[6].
La nouvelle réputation de Montréal et l'aide de lamafia permettent au milieu des cabarets montréalais de survivre à ces années difficiles.
Au début desannées 1940, il y a entre 25 et 30 cabarets à Montréal[7]. Mais c'est après la fin de laSeconde Guerre mondiale que le monde des cabarets montréalais connaît sa période la plus faste et cela pour une dizaine d'années. À la fin des années 1940, Montréal compte en effet une quarantaine de cabarets de styles fort variés en exploitation en même temps[8].
L'apparition du cabaretAu Faisan Doré, en1947, change le visage des cabarets montréalais. En effet,Jacques Normand ouvre un cabaret francophone permettant aux artistes français et québécois de se produire avec succès. La formule fait des émules.
En fait, durant près d'une décennie, les cabarets montréalais accueillent toutes les grandes vedettes américaines, françaises et québécoises.
On y voit les spectacles des grands artistes françaisCharles Aznavour[9],Tino Rossi etCharles Trenet au cabaretAu Faisan Doré, ainsi qu'Édith Piaf etPatachou au Cabaret Sans souci.Frank Sinatra,Dean Martin,Jerry Lewis etSammy Davis Jr se produisent, eux, au Cabaret Chez Paree. Les grands spectacles d'effeuilleuses telles queLili St-Cyr, Peaches etGypsy Rose Lee se voient auThéâtre Gayety et au Cabaret Roxy[10],[11]. Même la chanteuse françaiseMistinguett, à l'âge de 80 ans, fait une présence courageuse au Cabaret Montmartre[12].
Il y a, durant ces années, surtout de1946 à1954, une lutte farouche entre les cabarets montréalais les plus connus pour attirer les vedettes américaines ou françaises[13]. Ainsi, pour se limiter aux vedettes françaises,Line Renaud,Jacqueline François,Henri Salvador,Yves Montand,Guy Béart,Lucienne Boyer,Luis Mariano,Maurice Chevalier etBourvil font tous de nombreuses présences à Montréal[13].
Des chics cabarets tels leEl Morocco, le Tic Toc et le Normandie Roff (situé dans l’hôtel Mont-Royal) aux plus populistes tel leCasino Bellevue au coin des ruesBleury etOntario, en passant par le Rialto, leCrystal Palace et le Roxy, le paysage nocturne montréalais est peuplé d’une diversité et d’une vitalité sans pareille. Le Cabaret Samovar, leEl Morocco et le Tic Toc proposent même des spectacles« every hour on the hour »[4].
Dans une chronique appeléeCabaret Circuit, le journaliste et chroniqueurAl Palmer, du journalMontreal Herald, décrit par l'entremise de ses articles hebdomadaires toutes les nouvelles, potins, présences de vedettes à Montréal, changements de propriétaires et de noms dans le monde des cabarets montréalais[14].
Au cœur de cette effervescence et de cette nouvelle réputation, prédomine leboulevard Saint-Laurent auquel on associe très tôt le surnom duQuartier du Red Light de Montréal.
Pendant cette période, qu'on peut considérer comme l’âge d’or des nuits montréalaises, les autorités provinciales et municipales gardent un œil complaisant sur les activités des bars et des clubs. Par exemple, la loi sur l’heure de fermeture à 2 heures du matin n’étant pas mise en application, le public rentre chez lui au lever du soleil. Plusieurs établissements illégaux, fort populaires, violent les lois municipales et provinciales, mais dans le contexte de l’après-guerre, personne ne semble s'en soucier[15].
C'est à l’endroit surnomméThe Corner, à l’intersection de la rue Craig (maintenantrue Saint-Antoine) et de larue de la Montagne, que l'on retrouve le point central dujazz à Montréal de 1945 jusqu'au milieu des années 1950[16]. Les cabaretsRockhead's Paradise et leCafé St-Michel y sont établis. Le musicien américainLouis Metcalf s'installe à Montréal en 1946 et anime leCafé St-Michel pendant près de 10 ans. Il forme l'International Band, premier ensemble à jouer le nouveau stylebebop à Montréal et au Canada[17]. C’est la période durant laquelleOscar Peterson devient un pianiste de jazz reconnu etOliver Jones y commence sa carrière[18]. Plusieurs artistes noirs de jazz y font de nombreuses présences telsArt Pepper,Fats Navarro etSonny Rollins qui viennent y jouer régulièrement.
Au début desannées 1950, le milieu des cabarets montréalais continue de vivre une effervescence extraordinaire malgré les changements de noms et de propriétaires de cabarets.Jacques Normand est maintenant animateur etmaître de cérémonie auCabaret Saint-Germain-des-Prés[11] et on voit apparaître d'autres cabarets francophones àMontréal (ex. :Cabaret Casa Loma, le Beu qui rit, etc.) dans les années 1950[19]. On voit aussi naître plusieurs cabarets dans toutes les régions du Québec et les artistes commencent à faire des tournées en province[20].
Les cabarets montréalais présentent de plus en plus d'artistes montréalais et québécois (animateurs, chanteurs, humoristes, musiciens), inspirés par le succès du cabaretAu Faisan Doré. Dans lesannées 1950, on y découvre, par exemple,Monique Leyrac,Félix Leclerc,Raymond Lévesque,Dominique Michel,Clémence DesRochers,Denise Filiatrault,Pauline Julien,Oscar Peterson,Oliver Jones,Paul Berval[11],[21],[22] etLes Jérolas (duo composé deJérôme Lemay et deJean Lapointe)[23].
L'arrivée à Montréal de la danseuse d'origine égyptienne Fawzia Amir, en 1955, puis l'ouverture du Club Sahara en 1957, ont introduit au Québec un style de danse qui lui était méconnu, la danse du ventre, et popularisé la danse folklorique traditionnelle égyptienne et moyen-orientale[24],[25].
Jean Simon joue un rôle très actif d'imprésario et de chercheur de nouveaux talents francophones dans les années 1950 et 1960 avec son concours « Les découvertes de Jean Simon » qui sera très couru au cabaret « Café de l'Est » ainsi qu'au « Casa Loma ».Ginette Reno (entre autres) y commencera sa carrière.
Toutefois, les actions dumaire de MontréalJean Drapeau et la popularité grandissante de la télévision à partir du milieu des années 1950 portent un dur coup aux cabarets de Montréal et, par ricochet, à ceux de tout le Québec.
Devant les liens entre la mafia et certains commerces duQuartier du Red Light de Montréal, le docteur Ruben Lévesque fonde en leComité de moralité publique de Montréal[26]. Ce comité, avec l'aide d’un jeune avocat du nom deJean Drapeau, et à l’aide des informations amassées par l'avocatPacifique Plante (connu aussi sous Pax Plante), demande et obtint de laCour supérieure du Québec, une enquête publique. L’enquête Caron (du nom du juge qui la présida) présente son rapport le. Des accusations sont portées contre 20 officiers de police qui sont poursuivis et congédiés[27]. La même journée, Jean Drapeau annonce sa décision de se présenter comme candidat à la mairie lors de la prochaine élection municipale, prévue pour le. Il fonde leParti civique qui profite de l’effet du Rapport Caron et, avec un programme de « nettoyage » de la ville, devientmaire de Montréal. Aussitôt, Pacifique Plante est nommé chef de l’escouade de la moralité[28].
Une vague intense de répression contre les maisons de jeu (« barbotes ») et lesbordels s’ensuivit[27]. Ces actions provoquent un effet dépressif sur l'ensemble des cabarets montréalais encore très nombreux.
Toutefois, une certaine presse à sensation s’attaque violemment à l’administration et, en1957, après une élection entachée d’irrégularités, Jean Drapeau est évincé de l’hôtel de ville et remplacé parSarto Fournier[29]. Après une pause de trois ans, Jean Drapeau reprend le pouvoir à partir de 1960 et« termine le ménage ». Le « Roxy » et le « Bijou » sont même démolis, faisant fuir l'atmosphère perpétuelle de fête qui régnait jusqu'alors[6].
Même si certains cabarets continuent d'opérer avec un certain succès dans lesannées 1960 (ex. leCafé Saint-Jacques, le Café de l'Est, leCabaret Casa Loma, le Café et Cabaret Montmartre et le Mocambo)[11], le déclin est visible et irréversible. Les nouvelles mesures policières, la popularité de la télévision, la venue d'un nouveau style musical (le rock) convergent à réduire au silence le milieu des cabarets tels qu'il existait dans lesannées 1930,1940 et1950[3].
Après l'Exposition universelle de 1967, le monde des cabarets montréalais n'est plus, pour ainsi dire, qu'un souvenir[30].
Le vaste quartier où l'on retrouvait les cabarets montréalais dans les années 1950 est animé aujourd'hui par le projet duQuartier des spectacles.
Durant les premières années de la télévision canadienne (années 1950), quelques émissions phares permettent aux artistes de cabarets de connaître une célébrité soudaine. En effet, par exemple les émissionsMusic-Hall etAu p'tit café, inspirées directement des cabarets montréalais procurent à des vedettes commeDominique Michel,Jacques Normand etPaul Berval une visibilité qui vont propulser leur carrière[31].
Par la suite, l'effervescence des cabarets montréalais, la présence de nombreuses vedettes étrangères, les liens reconnus avec la mafia (locale ou new-yorkaise) ainsi que son rôle dans l'émergence d'artistes québécois marquent l'imaginaire montréalais et québécois.
Plusieurs productions télévisées ou de cinéma québécoises rappellent cet univers :
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Sources pour les adresses et années d'opération des cabarets :
LecontrebassisteCharles Biddle en 1996 :
« J'entends les gens parler duFestival de jazz, dire comment c'est passionnant. Montréal était comme ça tous les jours dans les années 1940 et 1950. Vous pouviez vous lever en pleine nuit, sortir et avoir du bon temps. Montréal était la Mecque du divertissement pour les artistes, surtout les artistes noirs[37]. »
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