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L’histoire des Juifs en URSS se réfère auxJuifs des différentes régions de l'Union soviétique. Pour les Juifs, la période soviétique signifia d'une part l'abolition desdiscriminations antérieures, la condamnation officielle de toute forme deracisme et d'antisémitisme, et l'ouverture de l'« ascenseur social » soviétique à tout citoyen sans distinction d'origines et de religion, mais d'autre part l'apparition progressive denouvelles formes d'antisémitisme sur fond idéologiquecommuniste, au nom d'un « internationalisme prolétarien » et d'unathéisme d'État qui condamnaient lejudaïsme culturel comme « cosmopolite et nationaliste bourgeois », et lejudaïsme religieux comme « archaïsme rétrograde »[1].

Le, lecoup d'État bolchevik abat larépublique socialiste russe instaurée par larévolution russe de. Désormais seuls maîtres du gouvernement,Lénine et leParti communiste russe (bolchevik) perçoivent l'antisémitisme comme contraire à l'égalitarisme et empêchant l'assimilation[2] mais en même temps, estiment que le judaïsme n'est qu'une croyance religieuse : les Juifs ne constituent donc pas une nation, et ne sont donc pas mentionnés dans laDéclaration des droits des peuples de Russie promettant à toutes les « nationalités »« les droits à l'égalité, à l'autodétermination et à la sécession »[2].

Début 1918, leConseil des commissaires du peuple de laRussie soviétique (RSFSR) sépare l'Église de l’État et l'École de l'Église. Ainsi, les communautés religieuses perdent leur statut d'entités juridiques, leur droit à la propriété et leur droit de passer des contrats[3]. Comme leséglises ou lesmosquées, lessynagogues sontnationalisées, l'enseignement religieux est interdit, et l'étude de lareligion ne peut désormais se faire qu'en privé et non sans risques, car leprosélytisme est interdit. Un Conseil chargé des affaires juives nationales est constitué, une section du dit conseil se charge des nationalités, établissant« la dictature du prolétariat dans les rues juives » et« attirant les masses juives vers le régime »[3]. Le Conseil doit aussi informer les différentes institutions sur les questions juives et combattre l'influence des partissionistes et juifs-socialistes[3].
En juillet, leCongrès des députés du peuple émet unprikaz (décret) interdisant officiellement lespogroms, l’antisémitisme étant contraire à la cause révolutionnaire[3]. En octobre, la« section juive » duPCUS, lesEvsektia, est créée pour les membres juifs du parti dont l’objectif est semblable à celui du conseil chargé des affaires juives. L’Evsektia est, en grande partie, responsable de la fermeture des établissements religieux, de la dissolution decommunautés religieuses et des restrictions à l'enseignement religieux. C’est le début d’une série de« procès communautaires » contre lareligion juive. Le dernier de ces procès, sur lacirconcision, se tient en 1928 àKharkov, au même moment où l’on essaye d’établir une identitélaïque pour la collectivité juive[4].

Alors que les partis juifs et les organisations sionistes sont contraints, au début des années 1920, d’entrer dans la clandestinité, le gouvernement communiste, qui cherche à abolir tout groupe susceptible de constituer une opposition, dissout leKahal.
Lors de la confirmation, en 1924, de laconstitution de l'URSS, le conseil chargé des nationalités est dissous[5]. L’organisme officiel responsable de la réinstallation des Juifs, le comité chargé de l'installation des travailleurs juifs sur les terres, leKOMZET le remplace. Ce comité finance la réinstallation des Juifs enzones rurales. Moins d’un an après, l’OZET, en, la société pour l'installation des travailleurs juifs sur les terres en URSS est créé. Cet organisme recrute des colons et appuie le travail decolonisation duKOMZET[6]. Bien que le gouvernement encourage l'établissement de colonies juives, le soutien à ce projet diminue au fil des années.
C’est leKOMZET qui envoie un certain nombre de Juifs au confluent des rivières Bira et Bidzhan, près du fleuveAmour, dans la partie extrême-orientale de l'Union soviétique afin d’établir une zone territoriale juive, leBirobidjan (oblast autonome juif dans le district fédéral d'Extrême-Orient). La colonisation de cette région est censée créer une zone tampon entre l'Union soviétique et les pays de l'Extrême-Orient et stimuler le développement de cette région éloignée[7].

De 1923 à 1938, l'Union soviétique transforme sesschtetlech (villages agricoles juifs) en « colonies agricoles juives[8] ». Une « organisation de reconstruction par le travail » (ORT) fut créée pour mettre les sans-abri au travail, financer les nouveaux couples, leschtcharachkas (colonies d'orphelins) et lesintellectuels démunis (pourvu qu'ils fussentbolcheviks), et, concernant lesschtetlech, pour « normaliser la vie juive » en laïcisant progressivement et en intégrant les Juifs dans la société soviétique et l'activité économique collective, dans le cadre de la « nouvelle politique économique » deLénine[9]. Sur les 14 000 familles juives investies dans le projet, une partie importante est revenue à la ville en 1938. La plupart des autres restées dans les zones rurales sont tuées pendant laShoah[10],[11],[12].

Plus tard, avec lacollectivisation forcée deStaline et après lagrande famine des années 1930 qui n'épargne pas lesschtetlech, un grand nombre de leurs habitants se sauvent vers laPologne ou vers laBessarabie alorsroumaine, où ceux qui ne se sont pas fait prendre (et envoyer auGoulag ou auBirobidjan) ne sont pas les bienvenus, mais sont pris en charge par l'office Nansen[13] : les plus chanceux pourront gagner l'Occident ou l'Amérique du Nord. En1938 il ne reste rien du travail de l'ORT et lesschtetlech sont devenus deskolkhozes comme les autres.
Cette période est mieux connue notamment depuis la découverte de centaines deplaques photographiques parmi les archives de l'ORT-France parSerge Klarsfeld.

Après laseconde Guerre mondiale et laShoah par balles dont lesjuifs soviétiques furent victimes, beaucoup de survivants introduisirent des demandes de visas d'émigration pour quitter l'Union soviétique, en particulier après laguerre des Six Jours en1967. Certains furent autorisés à partir, mais beaucoupessuyèrent des refus, soit instantanément, soit par le biais d'une attente interminable de traitement de leur dossier par l'OVIR, le département duministère de l'Intérieur responsable de la délivrance des visas de sortie. Dans de nombreux cas, l'excuse donnée pour un refus était que la personne avait eu accès à un moment ou à un autre de sa carrière à une information vitale pour la sécurité nationale de l'Union soviétique et qu'elle ne pouvait donc pas pour le moment être autorisée à quitter le pays[14].

Pendant laguerre froide, les Juifs soviétiques sont confrontés à unantisémitisme systématique et institutionnel ; certains secteurs du gouvernement leur sont presque entièrement interdits[16],[17]. Jugés « cosmopolites », ils étaient considérés comme un risque de sécurité ou comme des traîtres potentiels. Certains furent arrêtés, ou punis par d'autres voies, pour avoir osé exprimer le désir de quitter le pays pour l'Ouest, ce qui étaitipso facto considéré comme une confirmation des soupçons quant à leur manque de loyauté. En fait, lesJuifs religieux souhaitaient émigrer pour vivre librement leur foi tandis que des Juifs laïcs voulaient fuir l'antisémitisme suscité par les autorités soviétiques. Comme les autres citoyens soviétiques, tous souffraient de l'absence de libertés civiles et de la pénurie endémique.

Mais en introduisant une demande de visa, la famille entière pouvait perdre son emploi et ne plus en retrouver à la hauteur de leur formation, ce qui rendait ses membres susceptibles d'être inculpés de « parasitisme social » : une infraction pénale[18]. Les Juifs harcelés constamment, leur logement perquisitionné, soumis à de longs interrogatoires, pouvaient être condamnés pour ne pas avoir travaillé et exilés augoulag enSibérie sous n'importe quel motif[18]. Ceux qui étaient autorisés à émigrer, devaient payer une taxe proportionnelle à leur niveau d'études, généralement élevée parmi les Juifs. L'un des fondateurs en1976 du mouvementrefuznik, et son porte-parole, étaitNatan Sharansky.
L'arrivée au pouvoir deMikhaïl Gorbatchev dans l'Union soviétique du milieu des années1980 et sa politique deglasnost et deperestroïka, de même que le désir d'entretenir de meilleures relations avec l'Ouest, amenèrent des changements considérables. La plupart des refuzniks furent alors autorisés à émigrer. Avec ladislocation de l'Union soviétique à la fin de la décennie, le termerefuznik passa au registre de l'histoire.

Selon le recensement de 1926, la population de la RSFSR comprend plus de 585 000 Juifs. En 1939, 956 600 Juifs vivent en RSFSR soit près de 33 % des 2 870 000 Juifs d'URSS. L’accroissement de la population juive des grandes villes soviétiques est dû à l'abolition de lazone de Résidence : par exemple de 28 000 Juifs à Moscou en 1920, on passe à 250 100 en 1939. Alors qu'il y avait moins de 25 000 Juifs àPetrograd en 1920, il a près de 200 000 Juifs à Leningrad en 1939. Les Juifs sont installés dans pratiquement toutes les grandes villes d'URSS. En 1939, ils sont 27 000 àRostov-sur-le-Don, 14 000 àSmolensk, près de 8 000 àSverdlovs'k et 5 400 àKhabarovsk.Les nouvelles villes créées au cours de la grande industrialisation du premier plan quinquennal (1928-1932) en accueillent aussi, commeMagnitogorsk où vivent 964 Juifs.
Ces populations de Russie sont plus assimilées que les autres Juifs d'URSS, moins d'un quart ayant une langue maternelle juive et plus de 40 % des hommes juifs et près de 37 % des femmes juives ayant épousé des non-Juifs, soit le taux le plus élevé de mariages mixtes parmi les Juifs d'URSS.
En tout, jusqu'à 2010 et avec un pic au début des années 1970 et une émigration de masse dans les années 1990, plus de 1 200 000 personnes venues de l'ancienne Union soviétique immigrent en Israël soit plus d'un tiers de toute l'immigration vers Israël[19].