
Cet article présente l'histoire des Juifs en Croatie. Lacommunauté juive enCroatie existe depuis l'antiquité ; elle s'est enrichie de nouveaux membres à l'arrivée des expulsés juifs de lapéninsule ibérique auXVe siècle puis à celle d'ashkénazes mais même en petit nombre, elle est victime deségrégation sous lamaison d'Autriche dans l'empire austro-hongrois. Elle est émancipée graduellement puis totalement en 1867, ensuite à nouveau victime de l'antisémitisme dans l'ex-Yougoslavie jusqu'à laShoah à partir de 1941 qui décime 4/5e de ses membres. De nos jours, la communauté survit en petit nombre (moins de 3 000 personnes) dans le pays, dont plus de la moitié serait àZagreb, et doit supporter lenégationnisme ambiant. Le gouvernement croate reconnaît néanmoins que les Juifs de leur pays ont contribué au développement de l' économie et de la citoyenneté croates ainsi qu'à la science et à la culture croates.

Les fouilles archéologiques dans le cimetière juif près deSolin montrent que les Juifs sont arrivés sur le littoraldalmate à l'époque romaine auIIIe siècle[1]. Il existe également des pierres tombales de Juifs dont celle d'Aurelius Dionysus de Tibériade, près deSenj. Subsistent de nos jours les vestiges d'une ancienne synagogues à Salona (Solin) et quelques inscriptions lapidaires qui suggèrent l’existence deproseuche (expression grecque synonyme de « synagogue ») à partir duIVe siècle àMursa (près d’Osijek)[2].
Après la destruction de Solin par lesAvars en641, les résidents survivants déménagent au palais deDioclétien, qui est resté debout. Les restes de matériaux sont trouvés dans les caves du palais sont encore visibles aujourd'hui comme desmenorahs (chandeliers à sept branches) qui sont sculptés dans la pierre.
L'une des plus anciennes informations pouvant indiquer la présence de Juifs en Croatie provient d'une lettre d'unvizir de la péninsule ibérique,Hisdai ibn Saprut, adressée à Joseph, roi desKhazars. Hormis quelques rares mentions dans des documents duXIIe – XVe siècle, la présence de Juifs dans la région reste assez exceptionnelle[3]. Le responsable de la communauté juive portait le titre demagistratus judaeorum.
Après l'expulsion des Juifs d'Espagne en 1492, la communauté s'enrichit de Juifsséfarades auxquels s'ajoutent par la suite une forte immigrationashkénaze. En 1526, la Croatie passe sous la domination desHabsbourg. Les Juifs subissent une « lente ségrégation » : création deghettos, instauration d'une taxe de tolérance[1].
Au début duXVIe siècle, se construit la synagogue actuelle de Split, l'une des trois plus anciennes d'Europe. Elle est rénovée en 1728.

En 1688, « l’armée autrichienne déporte à Osijek, commeesclaves, un demi-millier de Juifs deBelgrade, qui vient d’être reprise auxTurcs. Quelques décennies plus tard, les Juifs sont autorisés à s’installer de façon temporaire dans certaines villes afin d’assurer un bon approvisionnement des garnisons »[3].
L'impératriceMarie-Thérèse d’Autriche qui règne sur un vaste territoire - et avait déclaré « Je déteste les protestants mais je hais les Juifs »[4] et « exigeait l’installation d’un paravent lorsque le protocole de la cour la forçait à recevoir un sujet juif »[5] - expulse notamment les Juifs dePrague en 1744, alors la plus grande communautéashkénaze d'Europe, qu'elle rappelle rapidement en 1778 pour bénéficier du savoir-faire de ses exportateurs et négociants enverre et en toile deBohême[6]. Entre-temps, plusieurs villes, commeKrizevsci,Koprivinica,Bjelovar etOsijek permettent aux marchands juifs de séjourner pendant lesfoires, pour trois jours au plus, et moyennant une substantielletaxe de séjour[3].
L'impératrice emploie un petit-fils derabbinconverti,Joseph von Sonnenfels, une des plumes du règne de Marie-Thérèse, devenu professeur de sciencescamérales à Vienne, juriste éminent, publiciste, conseiller politique et collaborateur proche deJoseph II ; on sait son rôle pour l'emploi du bonallemand (la création duBurgtheater, théâtre national allemand) et pour la réforme de la procédure judiciaire[6],[7]
Joseph II, le fils de Marie-Thérèse, est plustolérant que sa mère et permet que les Juifs s’installent en Croatie du nord, territoire des Habsbourg depuis près de trois siècles, grâce à l'édit de tolérance de 1781[3]. Jacob Stiegle serait le premier Juif arrivé à Zagreb en 1786.
En 1806, une communauté juive constituée de 75 membres est fondée à Zagreb. Les Juifs se joignent à la communauté croate pour coexister.

« Ce n’est qu’après leur émancipation complète dans l’empire austro-Hongrois, en 1867, que la communauté se développe en Hongrie, dont la Croatie du Nord est alors partie intégrante. La Croatie compte ainsi 13 500 juifs dès 1880, puis 20 000, très majoritairement ashkénazes, en 1900. Aux pères qui se sont investis dans les activités industrielles et commerciales, succèdent des fils avocats, médecins et journalistes, dont lecroate devient rapidement la langue maternelle pour le plus grand nombre »[3].
Alors que les Juifs de Zagreb ont un lieu de culte dans leurs maisons, ils réclament la construction d'une belle synagogue, en soulignant leur volonté de participer à la conception et à l'esthétique du nouveau centre-ville. La municipalité confie le projet à l'éminent architecte de Zagreb,Franjo Klein ; la construction commence en 1866 et le temple est consacré un an plus tard. La synagogue est le premier bâtiment représentatif de la future ville basse et son emplacement montre comment la communauté juive a été acceptée et valorisée dans la vie de Zagreb. Il a été démoli à la fin de 1941[8].

« Après laPremière Guerre mondiale, qui voit le pays entrer dans le giron duroyaume de Serbie, l’assimilation se fait plus difficile face à une pousséeantisémite, nourrie par l’extrême-droite nationaliste locale. Lessionistes prennent le contrôle des principales institutions communautaires, tandis qu’une partie de la jeunesse juive est attirée par le mouvementcommuniste clandestin »[3].

Juste avant laSeconde Guerre mondiale, 40 000 Juifs vivent en Croatie[9]. L'historienRaul Hilberg estime cette communauté à 35 000[10]. D'autres sources ne la font pas dépasser 25 000 membres[3].

Après l'invasion allemande, le, un gouvernementultranationaliste,pro-nazi et antisémite, dirigé parAnte Pavelić est mis en place enCroatie et s'installe à Zagreb au sein d'un État indépendant etfantoche[11]. Tout de suite, des lois antisémites sont promulguées. LesOustachis, supplétifs de l’armée allemande sur l’ensemble du territoire yougoslave, s’attaquent aussitôt à la communauté juive : expropriations, arrestations comme à Zagreb en, exécutions sommaires et internement dans descamps de concentration comme celuide Jasenovac réputé pour sa cruauté mais aussi ceux deJadovno,Kruscica, Loborgrad,Djakovo, Tenje,Osijek dans l'économie de laSolution finale[12].
La grande synagogue de Zagreb est détruite en[11].

Entre et, les Juifs de lazone occupée par les Allemands sont déportés versAuschwitz, soit environ 7 000 personnes. Dans la zone d'occupation italienne, les autorités refusent de livrer les Juifs. De nombreux Juifs y cherchent donc refuge. Les autorités italiennes les regroupent dans le camp de l’île de Rab[12]. « Au printemps 1943, les camps de concentration croates sont vidés de leurs prisonniers juifs, bientôt exterminés à Auschwitz.

L’Église catholique romaine parvient à épargner quelques centaines de Juifs mariés à deschrétiens ; d’autres fuient en zone d’occupation italienne, et des centaines d’autres rejoignent les rangs de la Résistance »[3]. Quand les Allemands occupent la zone italienne en, les partisans yougoslaves aident les Juifs à s'échapper.
« À la Libération, sur les 25 000 juifs que comptait la Croatie en 1941, plus des quatre cinquièmes sont morts, la moitié des survivants émigre enIsraël »[3]. L'institutYad Vashem compte pour sa part, 30 000 victimes juives en Croatie et Raul Hilberg 29 000[10].
Des discours de haine et différentes expressions de soutien, notamment de politiques ou d'éducateurs[14], au régime pro-nazi oustachi de la Seconde Guerre mondiale, ayant fait des dizaines de milliers de victimes parmi Serbes, Juifs, Roms et opposants croates au camp de Jasenovac, ne semblent pas émouvoir l'actuel gouvernement de la droite croate dont la faiblesse des ripostes voire sa mansuétude à l'égard de telles manifestations sont critiquées. Pour marquer leur désapprobation, la communauté juive, la minorité serbe, des associations de victimes et des associations antifascistes boycottent la cérémonie officielle annuelle en mémoire des victimes du camp de Jasenovac, depuis 2015[15],[16].(en)Ognjen Kraus, président du Comité de coordination des communautés juives de Croatie, déclare en 2017 que « le problème, c’est que le gouvernement relativise tout ce qui a à voir avec l’Holocauste »[17]. De visite en Croatie en, le Président israélienReuven Rivlin insiste sur la nécessité pour la Croatie de « faire face à son passé et ne pas l'ignorer est une obligation morale qui constitue une composante fondamentale de toute société juste »[18],[9].
Les Juifs représentent en 2017 entre 2 000 et 3 000 membres, soit moins de 1 % des quelque 4,2 millions de Croates. Même en petit nombre, la communauté juive du pays est toujours active et organise diverses manifestations comme le festival juif du film (renommé Festival de la Tolérance) à Zagreb pour promouvoir son identité et sa culture[19]. Deux Israéliennes ont ouvert en 2016 le restaurantKako da ne ? (« Comment refuser ? ») de spécialités israéliennes et orientales dans la capitale[20]. Présents dans les villes de Zagreb,Rijeka, Osijek,Split,Dubrovnik,Čakovec,Daruvar,Slavonski Brod, les Juifs croates résident pour moitié dans la capitale[21],[15],[3],[22].
La synagogue actuelle de Split datant duXVIe siècle est située actuellement auJewish Pass, dans le bâtimentno 1 au premier étage. Au début duXXe siècle, la communauté juive de Split compte environ 100 membres et participe à diverses activités concernant les Juifs.
Il existe actuellement deux importantes collections du Centre communautaire juif et du musée des arts et traditions de Zagreb, qui ont été recensées par le(en)Center of Jewish Art de l'Université hébraïque de Jérusalem qui avait lancé un projet majeur pour inventorier les restes matériels du patrimoine culturel juif de l’ancienne Yougoslavie, en 1988[2].