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L'histoire de laTunisie est celle d'une nation d'Afrique du Nord indépendante depuis1956. Mais elle s'inscrit au-delà pour couvrir l'histoire du territoire tunisien depuis la période préhistorique duCapsien et la civilisation antique desPuniques, avant que le territoire ne passe sous la domination desRomains, desVandales puis desByzantins. LeVIIe siècle marque un tournant décisif dans l'itinéraire d'une population qui s'islamise et s'arabise peu à peu sous le règne de diverses dynasties qui font face à la résistance des populationsberbères.
Par son emplacement stratégique au cœur dubassin méditerranéen, la Tunisie devient l'enjeu de la rivalité des puissances successives, l'Espagne deCharles Quint, le jeuneEmpire ottoman puis laFrance, qui prend le contrôle de la province ottomane pour devancer sa rivaleitalienne. Marquée par de profondes transformations structurelles et culturelles, la Tunisie voit s'affirmer rapidement unmouvement nationaliste qui conclut avec la puissance tutélaire les accords aboutissant à l'indépendance en 1956. Dès lors, le pays est conduit à marche forcée vers la modernisation et l'intégration économique sous l'impulsion d'un parti politique resté dominant jusqu'à larévolution de 2011.
L'historiographie tunisienne ne prend véritablement son envol qu'au milieu desannées 1980[1]. En1972,Béchir Tlili décrivait déjà une situation difficile :
« La recherche historique décolle difficilement en Tunisie. C'est peut-être le secteur le plus sous-développé ou le plus sous-analysé des sciences sociales. Hormis quelques travaux spécialisés d'universitaires tunisiens, qui ne font pas nombre au demeurant, ou quelques essais d'historiographie, des pans entiers de la construction historique ont été en effet négligés et ignorés[2]. »
En1987, la revueIBLA de l'Institut des belles lettres arabes consacre un numéro spécial à l'historiographie tunisienne où ses auteurs dontTaoufik Bachrouch soulignent une lente évolution de la recherche historique et une inégalité qui demeure dans le « défrichement » des divers domaines, notamment en matière d'histoire contemporaine[3]. En1998, cette évolution se poursuit avec la publication de près de 200 travaux de recherche universitaires consacrés à l'histoire nationale, phénomène marqué par l'ouverture de l'histoire vers les autres sciences sociales[4].
L'histoire nationale demeure l'objet central des travaux, en particulier ses aspects sociaux, politiques et économiques alors que les aspects culturels et religieux restent relativement en retrait[5]. La part la plus importante de la production concerne l'histoire moderne — débutant avec la prise de Tunis en1574 — et contemporaine — débutant avec la signature dutraité du Bardo en1881 — et constitue désormais les deux-tiers des travaux universitaires d'histoire soutenus entre1985 et1998[6]. L'étude de la période médiévale, débutant avec l'arrivée de l'islam, est également abordée de manière significative alors que l'étude de l'histoire antique possède son statut propre qui la distingue de celle des autres époques[6] : elle connaît un nombre de travaux plus limité en raison de l'absence de formation adaptée pour les jeunes chercheurs, notamment sur l'accès aux sources, l'archéologie et les langues antiques étant relativement peu enseignées. Toutefois, des efforts ont conduit à la création d'une maîtrise de lettres classiques en1997[7].
En termes de contenus, alors que l'étude de l'histoire ancienne se tourne surtout vers le champ social et la vie quotidienne, et plus récemment vers l'épigraphie et l'archéologie[7], l'étude de l'époque médiévale touche à des thématiques plus variées, notamment enanthropologie et enpolitique. Si lesXVIe et XVIIe siècles restent encore peu abordés, ce sont lesXVIIIe et XIXe siècles qui sont les plus traités en raison de l'abondance des sources de documentation disponibles, sur les thématiques sociales et économiques en particulier[8]. Des sujets politiques, en dehors de l'étude dumouvement national, et éducatifs sont également abordés. La diversification des thèmes est aussi illustrée par la « nouvelle histoire » traitant des minorités, des femmes, des entreprises, etc[9]. L'histoire régionale est une thématique émergente, elle aussi liée à l'abondance des archives offertes aux chercheurs, qui permettrait selon ses adeptes d'effectuer des synthèses au niveau national pour compenser la faiblesse de lasociologie tunisienne[9].
Les premières traces de présence humaine enTunisie datent duPaléolithique. C'est à vingt kilomètres à l'est deGafsa, dans l'oasis d'El Guettar, que se rassemble une petite populationnomade de chasseurs-cueilleursmoustériens[10].Michel Gruet, l'archéologue qui découvre le site, relève qu'ils consomment desdattes dont il retrouve lepollen aux alentours de la source[11] désormais asséchée[12]. Le site en lui-même livre une structure formée par un amas de 4 000silex[12], taillés ensphéroïdes et disposés en un cône d'environ 75 centimètres de haut[10] pour un diamètre de 130 centimètres. Ces pierres sont associées à des ossements decapridés[13], à des dents demammifères[12] et à des objets de silex taillé moustériens ainsi qu'à une pointe pédonculéeatérienne.
Cette construction, découverte vers lesannées 1950 et vieille de près de 40 000 ans, constitue le plus ancien édifice religieux connu de l'humanité[10],[12]. Gruet y voit une offrande à la source voisine et le signe d'un sentiment religieux ou magique[13],[14]. L'endroit est connu sous le nom d'Hermaïon d'El Guettar en référence aux pierres jetées aux pieds d'Hermès par lesdivinités olympiennes lors du meurtre dugéantArgos[10]. Cette pratique était une manière pour les dieux de se prononcer pour l'innocence d'Hermès[10].
À une cultureibéromaurusienne, répartie sur le littoral[15] et relativement minime en Tunisie[16], succède la période du Capsien, nom créé parJacques de Morgan et issu dulatinCapsa, qui a lui-même donné le nom de l'actuelleGafsa[17]. Morgan définit le Capsien comme étant une culture allant duPaléolithique supérieur auNéolithique, couvrant ainsi une période qui s'étend duVIIIe au Ve millénairesav. J.-C.[18]. SelonCharles-André Julien, « les Protoméditerranéens capsiens constituent [...] le fond du peuplement actuel duMaghreb »[19] alors que, selon les termes deGabriel Camps, un groupe d'archéologues avaient négligé des squelettes capsiens, croyant qu'il s'agissait d'intrus récemment inhumés :

« Un de ces crânes séjourna même un certain temps dans le greffe du tribunal d'Aïn M'lila, une petite ville d'Algérie orientale, car on avait cru à l'inhumation clandestine de la victime d'un meurtre[20] ! »
D'un point de vue ethnologique et archéologique, le Capsien prend une importance plus grande puisque desossements et des traces d'activité humaine remontant à plus de 15 000 ans sont découverts dans la région. Outre la fabrication d'outils enpierre et en silex, les Capsiens produisaient, à partir d'ossements, divers outils dont des aiguilles pour coudre des vêtements à partir de peaux d'animaux. Le gisement capsien d'El Mekta, identifié en1907 par Morgan etLouis Capitan[21], a révélé des sculptures encalcaire de forme humaine mesurant quelques centimètres de haut[22]. Quant aux gravures que l'on a trouvées, elles sont souvent abstraites, même si certaines « représentent avec une certaine maladresse des animaux »[23].

AuNéolithique (4500 à2500 av. J.-C. environ), arrivé tardivement dans cette région, la présence humaine est conditionnée par la formation dudésert saharien, qui acquiert son climat actuel. De même, c'est à cette époque que le peuplement de la Tunisie s'enrichit par l'apport desBerbères[24], issus semble-t-il de la migration vers le nord depopulations libyques[25] (ancien termegrec désignant les populations africaines en général[26]).
Bref, la question des origines du peuple berbère reste encore ouverte et soumise à débat de nos jours, mais sa présence est attestée depuis leIVe millénaire av. J.-C.[25]. La première inscription libyco-berbère découverte àDougga par Thomas d'Arcos en1631 a fait l'objet d'une multitude de déchiffrements infructueux à ce jour[27]. Le Néolithique voit également le contact s'établir entre lesPhéniciens deTyr, les futursCarthaginois qui fondent lacivilisation punique, et les peuples autochtones de l'actuelleTunisie, dont les Berbères sont désormais devenus une composante essentielle.
On observe le passage de laPréhistoire à l'Histoire principalement dans l'apport des populations phéniciennes, même si le mode de vie néolithique continue un temps à exister aux côtés de celui des nouveaux arrivants. Cet apport est nuancé, notamment à Carthage (centre de la civilisation punique enOccident), par la coexistence de différentes populations minoritaires mais dynamiques comme les Berbères, les Grecs, les Italiens ou lesIbères d'Espagne. Les nombreuxmariages mixtes contribuent à l'établissement de la civilisation punique[28]. On trouve par ailleurs la trace d'un peuple pacifique du Néolithique tunisien dans l'Odyssée d'Homère, lorsqueUlysse rencontre lesLotophages (mangeurs delotus) qui semblent vivre dans l'actuelle île deDjerba[29].
L'entrée de la Tunisie dans l'histoire se fait de façon fracassante, par l'expansion d'une cité issue d'une colonisationproche-orientale[30]. Dephénicienne au départ, la cité constitue rapidement une civilisation originale ditepunique.
L'expansionnisme punique dans le bassin occidental de la Méditerranée se fonde sur le commerce, même si lathalassocratie trouve face à elle l'expansion romaine à volonté continentale et hégémonique. Bien que les relations entre Puniques et Romains soient cordiales dans un premier temps, les deux systèmes ne tardent pas à s'affronter et, même si la question a pu se poser de qui allait l'emporter[31], les Puniques s'effacent finalement en146 av. J.-C., non sans avoir marqué de leur empreinte l'espace tunisien, que la puissance de Rome ne va pas effacer totalement.

La Tunisie accueille progressivement une série de comptoirs phéniciens comme bien d'autres régions méditerranéennes, duMaroc àChypre. Le premier comptoir selon la tradition est celui d'Utique[32], qui date de 1101 av. J.-C[33]. C'est ici que prend racine une puissance fondamentale dans l'histoire de l'Antiquité dans lebassin méditerranéen. En814 av. J.-C., des colons phéniciens venus deTyr[34] fondent la ville deCarthage[35]. D'après la légende, c'est la reine Élyssa (Didon pour les Romains), sœur du roi de TyrPygmalion, qui est à l'origine de la cité[36]. Il existe toutefois un doute sur l'exactitude de la date donnée par la tradition littéraire[37], le débat étant alimenté par lesdécouvertes archéologiques. En effet, les plus anciens objets découverts à ce jour sont des céramiques proto-corinthiennes de la moitié du milieu duVIIIe siècle av. J.-C. provenant du dépôt de fondation de la chapelle Cintas, trouvée dans letophet de Carthage parPierre Cintas en1947. Néanmoins, au vu des incertitudes dans les datations des céramiques antiques, rien ne permet d'écarter la datation issue de la tradition littéraire.

La population originelle de l'espace tunisien est libyco-berbère et, lorsqu'elle vit à proximité des comptoirs, elle se punicise dans une certaine mesure. En témoignent par exemple les découvertes archéologiques destèles à motifs designe de Tanit gravées de façon maladroite, en particulier sur un site comme celui de l'antiqueClupea, laKélibia actuelle. Ces maladresses évoquent une appropriation du symbolisme punique par des populations en contact avec les citoyens des comptoirs. Ouverte sur la mer, Carthage est également ouverte structurellement sur l'extérieur. Cette croissance pacifique — autant qu'on en sache de par les sources existantes — laisse la place à une lutte d'influence qui aboutit à plusieurs cycles de conflits. Un siècle et demi après la fondation de la ville, les Carthaginois ou Puniques étendent leur emprise sur le bassin occidental de lamer Méditerranée : ils s'affirment enSicile, enSardaigne, auxBaléares, enEspagne, enCorse[38] et enAfrique du Nord — duMaroc à laLibye —, qui est partagée entre lesGrecs deCyrénaïque et les Carthaginois y compris sur la côteatlantique du Maroc. Cette présence prend diverses formes, incluant celle de lacolonisation[35], mais reste d'abord commerciale[38] (comptoirs de commerce, signature de traités, etc.).

De plus, les Carthaginois s'appuient dans ces régions sur une présence phénicienne antérieure à la création de Carthage, sauf peut-être le long de la côte atlantique. La nouvelle puissance de Carthage supplante celle déclinante des anciennes cités de Phénicie dans cet espace de la Méditerranée. De même, les Carthaginois s'allient auxÉtrusques et leurs deux flottes réunies sortent victorieuses de labataille navale d'Alalia, au large de laCorse, contre les Grecs de Massalia (actuelleMarseille). Ces derniers, venus des côtes de l'actuelleTurquie (Ionie), tentent de s'installer en Corse, île située en face de l'Étrurie et au nord de la Sardaigne, zone d'influence et de colonisation punique. Cette dernière île est également sur le trajet le plus court entre les cités massaliotes et les autres cités grecques du sud de l'Italie puis, plus loin, avec la Méditerranée orientale. C'est avec le déclin étrusque que la Corse entre dans l'orbite carthaginoise et que se forme un nouvel empire maritime.
La mutation vers un empire plus terrestre se heurte aux Grecs de Sicile puis à la puissance montante deRome[35] et de ses alliés massaliotes,campaniens ou italiotes. Le cœur carthaginois qu'est la Tunisie, à la veille desguerres puniques, possède une capacité de production agricole supérieure à celle de Rome et de ses alliés réunis, et son exploitation fait l'admiration des Romains. Les avantages de la géographie, avec en particulier les riches terres céréalières de la vallée de laMedjerda, s'ajoutent au talent agronome d'un peuple dont un traité (celui deMagon) sera longtemps admiré.

Parallèlement à cette expansion — la Sardaigne est en voie de colonisation et les implantations espagnoles se consolident —, la superpuissance commerciale, maritime, terrestre et agricole est en passe de vaincre les Grecs en Sicile.

Les relations entre Rome et la thalassocratie punique sont d'abord cordiales, comme en témoigne le premier traité signé en509 av. J.-C.[39]. Toutefois, les relations se dégradent et laissent place à de la défiance à mesure que se développent les deux cités-États, l'affrontement devenant dès lors inévitable.
La lutte entre Rome et Carthage prend de l'ampleur avec l'essor des deux cités : ce sont les trois guerres puniques, qui faillirent voir la prise de Rome mais se conclurent par la destruction de Carthage, en146 av. J.-C., après unsiège de trois ans[38].

Lapremière guerre punique, qui couvre les années264 à241 av. J.-C., est un conflit naval et terrestre en Sicile et en Tunisie. Elle a pour origine les luttes d'influence en Sicile[38], terre située à mi-chemin entre Rome et Carthage, l'enjeu principal étant la possession dudétroit de Messine. Les Carthaginois prennent d'abord la ville deMessine, ce qui inquiète les Romains, cette cité se situant à proximité des villes grecques d'Italie qui viennent de passer sous leur protection.Appius Claudius Caudex traverse donc le détroit et prend par surprise la garnison punique de Messine, événement qui déclenche le début de la guerre. À la suite de ce revers, le gouvernement de Carthage rassemble ses troupes àAgrigente mais les Romains, menés par Claudius etManius Valerius Maximus Corvinus Messalla, s'emparent des villes deSégeste et d'Agrigente au terme d'un siège de sept mois. Après avoir conclu la paix avec les Romains, Carthage doit réprimer unerévolte de sesmercenaires.

Ladeuxième guerre punique, dans les années218 à202 av. J.-C.[38], a pour point culminant la campagne d'Italie : le généralHannibal Barca, issu de la famille desBarcides, parvient à traverser lesPyrénées et lesAlpes avec ses éléphants de guerre. Pourtant, il renonce à entrer dans Rome. Le prétexte de la guerre avait été lesiège de Sagonte par les Carthaginois car, selon letraité de241 av. J.-C., les Carthaginois auraient dû rester au sud de l'Èbre, fleuve qui délimitait les zones d'influence respectives.
L'attentisme d'Hannibal permet finalement aux Romains, alliés àMassinissa[35], premier roi de laNumidie unifiée, de contre-attaquer et de réussir à retourner le conflit en leur faveur à labataille de Zama, en 202 av. J.-C., prenant à Carthage la totalité de ses possessions hispaniques, détruisant sa flotte et lui interdisant toute remilitarisation[38]. Pourtant, malgré la victoire finale, cette guerre ne satisfait pas les Romains. Poussés par la crainte d'avoir encore à affronter Carthage, ils décident, selon le fameux mot deCaton l'Ancien (Delenda Carthago, « Il faut détruire Carthage »), que la destruction totale de la cité ennemie est le seul moyen d'assurer la sécurité de la République romaine. En conséquence, latroisième guerre punique (149-146 av. J.-C.) est déclenchée par une offensive romaine en Afrique qui aboutit à la défaite et à la destruction de Carthage après un siège de trois ans. Après la deuxième guerre punique, Carthage retrouve lentement une certaine prospérité économique[38] entre200 et149 av. J.-C. sans toutefois réussir à reconstituer uneflotte de guerre ou unearmée importante. De son côté, le rétablissement de Rome, malgré ses pertes navales, permet auSénat romain de décider d'une courte campagne destinée à amener les troupes romaines à pied d'œuvre pour le siège de Carthage, conduit parScipion Émilien[38], surnommé dès lors « le second Africain ». Le siège s'achève par la destruction totale de la ville : les Romains emmènent les navires phéniciens au port et les incendient au pied de la cité. Puis ils vont de maison en maison en exécutant ou asservissant la population. La cité qui brûle pendant dix-sept jours est rayée de la carte et ne laisse que des ruines.
AuXXe siècle, une théorie indique que les Romains ont répandu du sel sur les terres agricoles de Carthage pour empêcher de cultiver la terre, théorie fortement mise en doute, l'Afrique devenant par la suite le « grenier à blé » de Rome[40], le territoire de l'ancienne cité étant néanmoins déclarésacer, c'est-à-dire maudit.


À l'issue de la troisième guerre punique, Rome écrase définitivement Carthage et s'installe sur les décombres de la ville en146 av. J.-C.[35]. La fin des guerres puniques marque l'établissement de laprovince romaine d'Afrique dontUtique devient la première capitale, même si le site de Carthage s'impose à nouveau par ses avantages et redevient capitale en14[35],[41]. Une première tentative de colonisation par lesGracques avec la constitution d'uneColonia Junonia Carthago avorte en122 av. J.-C.[42], et provoque la chute et le décès de son promoteur,Caius Sempronius Gracchus. En44 av. J.-C.,Jules César décide d'y fonder unecolonie romaine, laColonia Julia Carthago[42], mais il faudra attendre quelques décennies pour qu'Auguste lance les travaux de la cité[43], qui sera plus tard la capitale de la province. La parure monumentale de la ville jouera un rôle majeur dans laromanisation de la région[44], cette « Rome africaine » se diffusant elle-même dans le riche tissu urbain du territoire de l'actuelle Tunisie. La région connaît alors une période de prospérité où l'Afrique devient pour Rome un fournisseur essentiel de productions agricoles[25], comme leblé et l'huile d'olive[43], grâce aux plantations d'oliviers chères aux Carthaginois[35]. Le fameuxport de Carthage se mue en port d'attache monumental d'une flotte céréalière dont l'arrivée est chaque année impatiemment attendue à Rome[43], avec l'annone, l'institution de la distribution de blé à laplèbe[45]. ÀChemtou, on exploite unmarbre aux veines jaunes et roses que l'on exporte à travers l'empire, alors qu'àEl Haouaria legrès est extrait pour bâtir Carthage[43].

Parmi les autres productions figurent lescéramiques et les produits dérivés du poisson. La province se couvre d'un dense réseau de cités romanisées dont les vestiges encore visibles à l'heure actuelle demeurent impressionnants : il suffit de mentionner les sites deDougga (antiqueThugga),Sbeïtla (Sufetula),Bulla Regia,El Jem (Thysdrus) ouThuburbo Majus. Parmi les symboles de la richesse provinciale se trouvent l'amphithéâtre de Thysdrus, l'un des plus grands du monde romain, et lethéâtre de Dougga. À côté des vestiges des bâtiments publics resurgissent de riches habitations privées, villas au sol couvert demosaïques que la terre du pays ne cesse de restituer aux archéologues. Partie intégrante de laRépublique puis de l'empire avec laNumidie[35], la Tunisie devient pendant six siècles le siège d'une civilisation romano-africaine d'une exceptionnelle richesse, fidèle à sa vocation de « carrefour du monde antique ». La Tunisie est alors le creuset de l'art de la mosaïque, qui s'y distingue par son originalité et ses innovations[43]. Sur les stèles à caractère religieux on distingue d'anciens symboles tels le croissant lunaire ou lesigne de Tanit. Concurrents des dieux romains, des dieux indigènes apparaissent sur des frises d'époque impériale, et le culte de certaines divinités,Saturne etCaelestis, s'inscrit dans la continuité du culte voué par les Puniques àBa'al Hammon et àTanit saparèdre[46]. Le « carrefour du monde antique » voit aussi l'installation précoce decommunautés juives[42] et, dans le sillage de celles-ci, des premières communautés chrétiennes. Lalangue punique elle-même reste longtemps en usage, fortement jusqu'auIer siècle, et elle est attestée dans une moindre mesure jusqu'à l'époque de saint Augustin[47].
L'apogée duIIe et du début duIIIe siècle ne va toutefois pas sans heurts[35], la province connaissant quelques crises auIIIe siècle : elle est frappée en238 par la répression de la révolte deGordienIer ; elle subit de même les affrontements entre usurpateurs au début duIVe siècle. La province est l'une des moins touchées par les difficultés que connaît l'Empire romain entre235 et le début duIVe siècle.
Avec laTétrarchie, la province recouvre une prospérité que révèlent les vestiges archéologiques, provenant tant de constructions publiques que d'habitations privées. Cette époque est aussi le premier siècle du christianisme officiel, devenu religion licite en313 et religion personnelle de l'empereurConstantin[35].

Dans un espace ouvert sur l'extérieur comme l'est alors la province d'Afrique — Carthage est notamment reliée aux grandes cités d'Alexandrie et d'Antioche, qui constituent deux grands centres d'évangélisation[48] —, lechristianisme se développe de façon précoce[49] grâce aux colons, commerçants et soldats[48], et la région devient l'un des foyers essentiels de la diffusion de la nouvelle foi, même si les affrontements religieux y sont violents avec lespaïens. Ainsi, la nouvelle religion se heurte d'abord à l'opposition populaire car le christianisme déchire un tissu social très serré, le paganisme imprégnant toute la vie quotidienne, et ses adeptes sont contraints de vivre à l'écart de la vie domestique et de la vie publique. La cohésion sociale paraît alors menacée, ce qui entraîne des ripostes comme le saccage de tombes chrétiennes. Dès leIIe siècle, la province applique aussi les sanctions impériales, les premiersmartyrs étant attestés dès le[48] : ceux qui refusent de se rallier au culte officiel peuvent être torturés, relégués sur des îles, décapités, livrés aux bêtes féroces, brûlés voire crucifiés.

À la fin duIIe siècle, la nouvelle religion progresse dans la province car, malgré une situation difficile, la nouvelle foi s'implante plus vite qu'enEurope, notamment en raison du rôle social joué par l'Église d'Afrique, qui apparaît dans la seconde moitié duIIIe siècle, et du fait de la très forte densité urbaine. C'est à partir d'environ400 que, sous l'action dynamique d'Augustin d'Hippone et l'impulsion de quelquesévêques, les grands propriétaires terriens et l'aristocratie citadine se rallient au christianisme, où ils voient leur intérêt, l'Église intégrant alors les diverses couches sociales. Rapidement, la province d'Afrique est considérée comme un phare du christianisme latin occidental[48] ;Tertullien est l'un des premiers auteurs chrétiens de langue latine etSaint Cyprien, premier évêque de Carthage, est martyrisé le[48], à une époque où la nouvelle religion est déjà largement répandue dans la société.
Cette expansion rencontre toutefois des obstacles, en particulier lors duschismedonatiste[35] — conséquence des rivalités de prélats avides d'occuper le siège du primat d'Afrique — qui est condamné de façon définitive à l'issue de laconférence de Carthage, ouvert le[48] et organisé par son plus ardent contradicteur en la personne de l'évêque Augustin d'Hippone. Ce dernier accuse les schismatiques d'avoir coupé les liens entre l'Église catholique africaine et les Églises orientales originelles[48]. En dépit de cette lutte religieuse, la conjoncture économique, sociale et culturelle est relativement favorable au moment du triomphe du christianisme[50], comme en témoignent les nombreux vestiges, notamment debasiliques à Carthage — en particulier celle de Damous El Karita — et de nombreuses églises aménagées dans d'anciens temples païens (comme à Sbeïtla) ou même certaines églises rurales découvertes récemment.
Ce dynamisme perdurera longtemps, y compris pendant la période vandale.

En429[51], menés par leur chefGenséric, lesVandales et lesAlains franchissent ledétroit de Gibraltar[52]. Le, après s'être rendus maîtres d'Hippone[53], ils entrent dans Carthage, où ils installent leurroyaume pour près d'un siècle[52]. Les Vandales sont adeptes de l'arianisme[54], déclaréehérésie chrétienne auconcile de Nicée, ce qui ne facilite pas les relations entre eux et les notables locaux majoritairementchalcédoniens. Leclergé africain s'oppose en effet à ce qui représente à ses yeux un double préjudice : la domination desbarbares et celle des hérétiques[55].
Or, les Vandales exigent de la population une totale allégeance à leur pouvoir et à leur foi[55]. En conséquence, ceux qui tentent de s'opposer aux Vandales ou à l'arianisme sont persécutés : de nombreux hommes d'Église sont martyrisés, emprisonnés ou exilés[56] dans des camps au sud deGafsa. Dans le domaine économique, les Vandales appliquent à l'Église la politique de confiscation dont doivent pâtir les grands propriétaires[55]. Les domaines et leursesclaves sont transférés au clergé arien[55]. Cette politique se durcit lorsqueHunéric succède à son père[55]. Il entame une sanglante persécution contre lesmanichéens, puis fait interdire à tous ceux qui n'adhèrent pas à l'Église officielle d'occuper une fonction dans les administrations publiques[55].

À la mort d'Hunéric, ses neveuxGunthamund puisThrasamund lui succèdent et poursuivent la politique d'« arianisation »[55]. Le clergé chalcédonien est surchargé de taxes et d'amendes, et Thrasamund condamne 120 évêques à l'exil[55]. Les témoignages littéraires sur la période vandale, en particulier deVictor de Vite, sont très sévères sur ce mode de gouvernance[57]. L'archéologie rend compte également de destructions importantes à l'époque du royaume vandale[57], comme le montrent le théâtre et l'odéon de Carthage. Néanmoins, « la plupart des historiens modernes[considèrent cette période] comme un court passage, un événement de courte durée »[58] ou « un épisode »[59].
Cependant, laculture latine reste largement préservée[60] et le christianisme prospère tant qu'il ne s'oppose pas au souverain en place. Les Vandales eux-mêmes, devenus les maîtres de l'ancienneprovince romaine la plus riche de l'Empire, se laissent aller à la douceur de vivre de la Tunisie. Le recrutement de leur armée en souffre à tel point qu'ils préfèrent enrôler des autochtones berbères, romanisés pour la plupart[61]. Leur territoire, enserré par des principautés berbères, est attaqué par les tribus de nomades chameliers : leur défaite, en décembre533 à labataille de Tricaméron[57], confirme l'anéantissement de la puissance militaire vandale.
Carthage est prise facilement par lesRomains d'Orient (dits« Byzantins ») dirigés par legénéralBélisaire[62], envoyé parJustinien Ier[63]. Le premier objectif de l'empereur Justinien est de contrôler la Méditerranée occidentale en vue de reconstituer l'unité de l'Empire romain[63]. L'armée byzantine, composée en fait delégionnaires surtouthérules etslaves[64],[65], enfonce lacavalerie vandale autrefois tant redoutée, et le dernier roi,Gélimer, se rend en534[63]. Ensuite, les Byzantins établissent de lourds impôts qui suscitent la résistance des Berbères[66],[67]. La plupart des Vandales sont déportés vers l'Orient en tant que prisonniers (qui seront établis enAnatolie), tandis que d'autres sont enrôlés de gré ou de force dans l'armée comme soldats auxiliaires, aux côtés des Hérules et des Slaves. Cela leur permet de rester dans le pays, alors que l'administration romaine est restaurée.

À l'occasion duconcile de 534, l'évêque de Carthage réunit 220 de ses collègues pour contester la volonté impériale de les contrôler[55]. Ce concile déclare que, même si l'empereur doit faire appliquer les directives ecclésiastiques, il n'a pas à les déterminer[55]. Justinien réagit : les réfractaires sont passibles de châtiments corporels et d'exil, pendant que les plus réticents sont remplacés par des hommes dévoués à l'empereur[55]. L'Église d'Afrique est donc mise au pas[55] et Carthage devient le siège de sondiocèse d'Afrique.
À la fin duVIe siècle, la région est placée sous l'autorité d'unexarque cumulant les pouvoirs civil et militaire, et disposant d'une large autonomie vis-à-vis de l'empereur. Aunom de l'Église, les exarques pourchassent lepaganisme (encore fréquent chez les Berbères), et combattent le judaïsme et les« hérésies » chrétiennes[67].
Mais ils échouent face aumonothélisme, tandis que les empereurs byzantins laissent faire : un état d'esprit insurrectionnel monte dans lesconfédérations de tribus sédentarisées,polythéistes oumonothélistes et constituées en principautés[68]. Ces tribus berbères sont d'autant plus hostiles au pouvoir central byzantin qu'elles ont conscience de leur propre force[55]. Quant au peuple, subordonné à l'administration, pressuré par le fisc et exposé aux abus des gouverneurs, il en vient à regretter le temps des Vandales[55]. Avant même sa prise par les Arabes en698[61], la capitale et dans une certaine mesure — moins aisée à appréhender — la province d'Afrique ont été en grande partie abandonnées par leurs habitants romains et grecs, et investies par les Berbères descendus des montagnes ou montés du désert :Abdelmajid Ennabli évoque à propos de Carthage une cité « délaissée par le pouvoir central préoccupé de sa propre survie »[69]. Dès le début duVIIe siècle, l'archéologie témoigne en effet d'un repli[70].
Cette ère est marquée par le développement urbanistique du pays et par l'apparition de grands penseurs tels queIbn Khaldoun, historien et père de lasociologie moderne.
Trois expéditions sont nécessaires pour que lesArabes réussissent à conquérir la Tunisie. Dans ce contexte, laconversion destribus ne se déroule pas uniformément et connaît des résistances, desapostasies ponctuelles ou l'adoption desyncrétismes. L'arabisation se fera de manière plus lente encore.
La première expédition est lancée en647[61]. L'exarque Grégoire est battu àSbeïtla[71], ce qui illustre l'existence de points faibles chez les Byzantins. En661, une deuxième offensive se termine par la prise deBizerte. La troisième, menée en670 parOqba Ibn Nafi al-Fihri, est décisive : ce dernier fonde la ville deKairouan ainsi que sagrande mosquée[72] au cours de la même année[67] et cette ville devient la base des expéditions contre le nord et l'ouest du Maghreb[25]. L'invasion complète manque d'échouer avec la mort d'Ibn Nafi en683[71]. Un chefmaure,Koceïla, reprend alors Kairouan[71]. Envoyé en693 avec une puissante armée arabe, le généralghassanideHassan Ibn Numan réussit à vaincre l'exarque et à prendre Carthage[73] en695. Seuls résistent certains Berbères dirigés par laKahena[73]. Les Byzantins, profitant de leur supériorité navale, débarquent une armée qui s'empare de Carthage en696 pendant que la Kahena remporte une bataille contre les Arabes en697[73]. Ces derniers, au prix d'un nouvel effort, finissent cependant par reprendre définitivement Carthage en698 et par vaincre et tuer la Kahena[71]. Carthage est progressivement abandonnée au profit d'un nouveau port tout proche,Tunis, et les musulmans, fort actifs en Méditerranée occidentale, commencent àrazzier la Sicile et les côtes italiennes.
Contrairement aux précédents envahisseurs, les Arabes ne se contentent pas d'occuper la côte et entreprennent de conquérir l'intérieur du pays. Après avoir résisté, les Berbères se convertissent à la religion de leurs vainqueurs[71], principalement à travers leur recrutement dans les rangs de l'armée victorieuse. Des centres de formation religieuse s'organisent alors, comme à Kairouan, au sein des nouveauxribats. De plus, lamosquée Zitouna est édifiée à Tunis par lesOmeyyades vers732[74]. On ne saurait toutefois estimer l'ampleur de ce mouvement d'adhésion à l'islam. D'ailleurs, refusant l'assimilation, nombreux sont ceux qui rejettent la religion dominante et adhèrent aukharidjisme, hérésie née en Orient et proclamant l'égalité de tous les musulmans sans distinction de race ni de classe[75]. En745, les kharidjites berbères s'emparent de Kairouan sous le commandement d'Abou Qurra, de la tribu desBanou Ifren.
La région reste une province omeyyade jusqu'en750, quand la lutte entre Omeyyades etAbbassides voit ces derniers l'emporter[75]. De767 à776, les kharidjites berbères sous le commandement d'Abou Qurra s'emparent de tout le territoire, mais ils se retirent finalement dans leur royaume deTlemcen, après avoir tué Omar ibn Hafs, surnommé Hezarmerd, dirigeant de la Tunisie à cette époque[76].

En800, lecalife abbassideHâroun ar-Rachîd délègue son pouvoir enIfriqiya à l'émir Ibrahim ibn Al-Aghlab[77] et lui donne le droit de transmettre ses fonctions par voie héréditaire[78]. Al-Aghlab établit ladynastie des Aghlabides, qui règne durant un siècle sur le Maghreb central et oriental. Le territoire bénéficie d'une indépendance formelle tout en reconnaissant la souveraineté abbasside[78]. Par la suite, les émirs aghlabides continuent de prêter allégeance au calife abbasside[25], si bien que, sous le règne d'Al-Ma'mūn (813-833), les Aghlabides versent annuellement des redevances de 120 tapis[79].

La Tunisie devient un foyer culturel important avec le rayonnement de Kairouan, dotée d'unemaison de la sagesse ouverte aux savants, et de sagrande mosquée, un centre intellectuel de haute renommée[80]. Lamosquée Zitouna de Tunis, deuxième plus vaste mosquée de Tunisie après celle de Kairouan, est reconstruite en totalité[78]. Kairouan, décrite parOqba Ibn Nafi al-Fihri comme un « rempart de l'islam jusqu'à la fin des temps »[81], est choisie comme capitale avant d'être remplacée parRaqqada et El Abbasiyya, considérées comme ses « satellites »[79].
L'essor économique de l'Ifriqiya est le plus significatif du Maghreb grâce aux importations d'or deNigritie[82]. Une bonne politique de l'eau est menée, entraînant le développement de l'agriculture[83] : de nombreux ouvrages hydrauliques romains sont rénovés — notamment la citerne de la Sufra deSousse[84] — et un bon nombre sont construits, dont les bassins de Kairouan[78].
D'un point de vue militaire, les Aghlabides érigent des fortifications, en particulier les murailles deSfax, et lesribats de Sousse et deMonastir[78]. Ils se dotent d'une puissante flotte de combat pour écarter le danger chiite qui vient de la mer, tout en entretenant de bonnes relations avec l'Égypte et le royaume deTahert[78]. Cette flotte et ces protections leur permettent en outre de prendre Malte[85] mais surtout d'attaquer la Sicile en 827, sous le règne de Ziadet AllahIer (817-838), avant de s'en emparer en 902 sousIbrahim II (875-902)[78]. À la fin du règne de ce dernier, Tunis devient la capitale de l'émirat jusqu'en 909[86].
Abu Abd Allah ach-Chi'i, qui déclare descendre deFatima Zahra — fille deMahomet et femme d'Ali ibn Abi Talib, vénéré chez leschiites[82] —, aidé par les Berbères qui refusent la domination des Aghlabides, s'attaque à leur royaume. Appuyée par les tribusKetamas qui forment une armée fanatisée, l'action duprosélyteismaélien entraîne la disparition de l'émirat en une quinzaine d'années (893-909)[87].

En décembre 909,Ubayd Allah al-Mahdi se proclame calife et fonde la dynastie des Fatimides, qui déclare usurpateurs les califesomeyyades etabbassides ralliés ausunnisme. Veillant à une politique fiscale rigoureuse et déterminé à imposer lechiisme, il se heurte à une forte opposition illustrée par un complot déjoué dès911[87]. Malgré cela, l'État fatimide s'impose progressivement sur toute l'Afrique du Nord en contrôlant les routes caravanières et le commerce avec l'Afrique subsaharienne. En921, la ville deMahdia, première capitale établie par les Arabes sur un littoral[87], est fondée et proclamée capitale du califat[82].
En945,Abu Yazid, de la grande tribu desBanou Ifren, organise sans succès une grande révolte berbère pour chasser les Fatimides. Le troisième calife,Ismâ`îl al-Mansûr, transfère alors la capitale à Kairouan et s'empare de la Sicile[61] en948. Lorsque la dynastie fatimide déplace sa base vers l'est en972, trois ans après la conquête finale de la région, et sans abandonner pour autant sa suzeraineté sur l'Ifriqiya, le califeAl-Muʿizz li-Dīn Allāh confie àBologhine ibn Ziri — fondateur de la dynastie des Zirides — le soin de gouverner la province en son nom. Parallèlement, il lance une expédition vers l'Orient, où il fondeLe Caire en973.
Les Zirides prennent peu à peu leur indépendance vis-à-vis du calife fatimide[61], ce qui culmine avec la rupture, vers le milieu duXIe siècle, avec ce suzerain devenu lointain[88]. En conséquence,Al-Muizz ben Badis est adoubé par le califeabbasside deBagdad et inaugure l'ère de l'émancipation berbère[87]. L'envoi depuis l'Égypte de tribus arabes nomades sur l'Ifriqiya marque la réplique des Fatimides à cette trahison[87]. L'arrivée de ces tribus, qui remonterait à1048, pourrait toutefois être plus ancienne selon certaines sources[87]. LesHilaliens suivis desBanu Sulaym — dont le nombre total est estimé à 50 000 guerriers et 200 000 bédouins[87] — se mettent en route après que de véritables titres de propriété leur ont été distribués au nom du calife fatimide. Al-Muizz ben Badis subit un premier désastre près deGabès alors que Kairouan résiste pendant cinq ans avant d'être occupée et pillée. Le souverain se réfugie alors à Mahdia en1057 tandis que les nomades continuent de se répandre en direction de l'Algérie, la vallée de laMedjerda restant la seule route fréquentée par les marchands[87]. En1087, sous le règne deTamim (1062-1108), fils d'Al-Muizz ben Badis, lesPisans et lesGénois, encouragés par le papeVictor III, entrent brièvement dans la ville et la mettent à sac[87]. Ayant échoué dans sa tentative pour s'établir dans la Sicile reprise par lesNormands, la dynastie ziride s'efforce sans succès pendant90 ans de récupérer une partie de son territoire pour organiser des expéditions depiraterie et s'enrichir grâce au commerce maritime. Les Normands prennent Mahdia en1148 et s'y maintiennent durant une douzaine d'années. L'Ifriqiya est alors partagée entre lesHammadides à Tunis, les derniers Zirides, les Normands de Sicile et les princes hilaliens qui s'imposent à leur tour.

Sur le plan économique, les Hilaliens dévastent les cultures et pillent les villages, contraignant la population rurale à se réfugier dans les villes[87]. De vastes domaines agricoles, qui vivaient en symbiose avec les agglomérations, retournent à lasteppe, ce qui entraîne un marasme général. Toutefois, les troupeaux des Hilaliens, constitués de chèvres, de moutons et d'ânes, sont mieux adaptés à la végétation, et la multiplication des dromadaires permet aux pasteurs de migrer plus vers le sud[87]. Sur le plan politique, la chute de Kairouan signe l'effondrement du pouvoir central ziride et l'instauration de fiefs dont les chefs payent des tributs aux chefs hilaliens qui contrôlent leurs zones[87]. La ville de Tunis fait même appel auxHammadides, qui installent le gouverneur Abd al-Haq ibn Khourassan. Ainsi se crée une principauté indépendante sous le règne de la dynastie desKhourassanides ; ces derniers, qui font de Tunis une cité prospère, conservent leur pouvoir jusqu'en 1159, date à laquelle ils sont détrônés par lesAlmohades[89].
Les historiens arabes sont unanimes à considérer cette migration comme l'événement le plus décisif du Moyen Âge maghrébin, caractérisé par une progression diffuse de familles entières qui a rompu l'équilibre traditionnel entre nomades et sédentaires berbères[87]. Les conséquences sociales et ethniques marquent ainsi définitivement l'histoire du Maghreb avec un métissage de la population. Depuis la seconde moitié duVIIe siècle, la languearabe demeurait l'apanage des élites citadines et des gens de cour. Avec l'invasion hilalienne, lesdialectes berbères sont plus ou moins influencés par l'arabisation, à commencer par ceux de l'Ifriqiya orientale[87].

À partir du premier tiers duXIIe siècle, la Tunisie est régulièrement attaquée par les Normands de Sicile et du sud de l'Italie, basés dans leroyaume normano-sicilien. En1135, le roi normandRoger II s'empare deDjerba[90] et, en1148, ce sontMahdia,Sousse etSfax qui tombent aux mains des Normands.
Leroyaume d'Afrique est une extension de la frontièresiculo-normande dans l'ancienneprovince romaine d'Afrique (alors appeléeIfriqiya), qui correspond actuellement à la Tunisie ainsi qu'à une partie de l'Algérie et de laLibye. Les sources primaires ayant trait au royaume sont enarabe[91] alors que les sourceslatines (chrétiennes) sont plus rares. SelonHubert Houben, étant donné qu'« Afrique » n'a jamais été officiellement ajouté aux titres royaux des rois de Sicile« on ne devrait pas parler d'un ‘Royaume Norman d'Afrique' à proprement parler »[92]. L'« Afrique normande » est plutôt une constellation de villes gouvernées par les Normands sur la côte ifriqiyenne[93].
La conquête sicilienne de l'Ifriqiya commence sous le règne deRoger II de Sicile en1146-1148. Le règne sicilien consiste en desgarnisons militaires dans les principales villes, des exactions sur les populations musulmanes, la protection des chrétiens et le monnayage de pièces de monnaie. L'aristocratie locale est largement gardée en place et des princes musulmans se chargent des affaires civiles sous surveillance normande. Les relations économiques entre la Sicile et l'Ifriqiya, qui étaient déjà fortes avant la conquête, sont renforcées, tandis que les échanges entre l'Ifriqiya et le nord de l'Italie sont étendus. Sous le règne deGuillaume Ier, le royaume d'Afrique tombe aux mains desAlmohades (1158-1160). Son héritage le plus durable est le réalignement des puissances méditerranéennes provoqué par sa disparition et la paix siculo-almohade finalisée en1180.

Cependant, l'ensemble du territoire d'Ifriqiya finit par être occupé par l'armée du sultan almohadeAbd al-Mumin lors de son expédition depuis les ports d'Honaïne etOran en1159[94]. Les Normands sont progressivement chassés par une flotte almohade de 200 000 hommes[95]. En sept mois, les Normands se voient repoussés jusqu'en Sicile[95] et Mahdia, leur dernière place forte, est reprise par les Almohades en1160[96].
Dans le même temps a lieu pour la première fois l'unification politique du Maghreb[82], et, de fait, la constitution du plus puissant des États nord-africains musulmans du Moyen Âge[97]. L'économie devient florissante[82] et des relations commerciales s'établissent avec les principales villes du pourtour méditerranéen (Pise,Gênes,Marseille,Venise et certaines villes d'Espagne). L'essor touche également le domaine culturel ; le siècle almohade est ainsi considéré comme l'« âge d'or » du Maghreb[82]. De grandes villes se développent et les plus belles mosquées sont érigées à cette époque[98].
Les Almohades confient la Tunisie àAbû Muhammad `Abd al-Wâhid ben Abî Hafs mais son filsAbû Zakariyâ Yahyâ se sépare d'eux en1228 et fonde la nouvelledynastie berbère[41] des Hafsides[99]. Elle acquiert son indépendance dès1236[97] et dirige la Tunisie jusqu'en1574[77], ce qui en fait la première dynastie tunisienne par sa durée[100]. Elle établit la capitale du pays à Tunis[77], et la ville se développe grâce au commerce avec les Vénitiens, les Génois, lesAragonais et lesSiciliens[61].

Le successeur d'Abû Zakariyâ Yahyâ,Abû `Abd Allah Muhammad al-Mustansir, se proclamecalife en1255 et poursuit la politique de son père. C'est durant son règne qu'a lieu laseconde croisade desaint Louis qui se solde par un échec. Débarqué àCarthage, le roi meurt de lapeste au milieu de son armée décimée par la maladie en1270[101]. En1319, sous le règne d'Abu Yahya Abu Bakr al-Mutawakkil (1318-1346), les Hafsides élargissent leur territoire vers l'ouest jusqu'àConstantine etBougie, et vers l'est jusqu'à laTripolitaine[102]. À sa mort, en1346, le royaume sombre dans l'anarchie[102]. Mise à part l'œuvre avant-gardiste d'Ibn Khaldoun, la vie intellectuelle accuse un lourd recul durant l'ère hafside, qui « hésite entre des influences andalouses quelque peu décadentes et des influences orientales sans éclats »[103]. Par ailleurs, Ibn Khaldoun lui-même reste mal connu, bien qu'« AliIer Bey en[ait copié] un exemplaire àFès pour que les lettrés tunisiens puissent disposer d'un exemplaire de l'œuvre de leur illustre compatriote »[104].Charles-André Julien, pour sa part, qualifie les Hafsides de « mainteneurs d'une civilisation à laquelle ils n'ont pas apporté grand-chose d'original »[105].
Les Hafsides de Tunis s'essoufflent et perdent peu à peu, après labataille de Kairouan en 1348, le contrôle de leurs territoires au profit desMérinides d'Abu Inan Faris[97], alors que, frappée de plein fouet par lapeste[106] de1384, l'Ifriqiya continue de subir une désertification démographique amorcée par les invasions hilaliennes[107]. C'est alors que commencent à arriver lesandalous[61]juifs et musulmans fuyant la déchéance duroyaume de Grenade en1492 et occasionnant des problèmes d'assimilation[107]. À leur suite, les souverains espagnolsFerdinand d'Aragon etIsabelle de Castille décident de poursuivre leurreconquête jusque sur les côtes maghrébines pour protéger leurs propres côtes[108]. En une dizaine d'années, ils prennent les cités deMers el-Kébir,Oran,Bougie,Tripoli et l'îlot situé en face d'Alger.

Pour s'en libérer, les autorités de la cité sollicitent l'aide de deux corsaires renommés, originaires de l'île deLesbos dans lamer Égée : les frèresArudj etKhayr ad-Din[109] Barbaros ou Barberousse. Car lapiraterie en Méditerranée est alors « une institution antique et généralisée » selonFernand Braudel[107]. Cette intervention est un événement majeur qui inaugure une période de confrontation entre l'Espagne et l'Empire ottoman pour la domination des territoires du Maghreb, hormis leMaroc, et celle du bassin occidental de la Méditerranée[108]. La Tunisie offre un environnement favorable et les frères Barberousse s'y illustrent particulièrement. Arudj reçoit en effet du souverain hafside aux abois l'autorisation d'utiliser le port deLa Goulette puis l'île deDjerba comme base[107]. Entourés de marins turcs, commeDragut,calabrais, siciliens, corses oudanois, ces pirates se font connaître en Europe sous le nom de « barbaresques » en jouant sur les noms « barbares », « berbères » et « Barbaros »[107]. Après la mort d'Arudj, son frère Khayr ad-Din se déclarevassal du sultan de Constantinople. Nommé grand amiral de l'Empire ottoman, il s'empare de Tunis en1534 mais doit se retirer après laprise de la ville par l'armada — 400 vaisseaux — queCharles Quint mène en1535[61],[107]. Le sultan hafside est alors rétabli dans ses droits sous la protection de Charles Quint[41] et le pays passe sous la tutelle du royaume d'Espagne[25]. Pendant ce temps, le gouvernement ottoman se dote de la flotte qui lui manquait. En1560,Dragut parvient à Djerba et, en1574, Tunis est reprise par les Ottomans[77], qui font de la Tunisie une province de l'empire[54] en1575, même si les gouverneurs turcs vivent retranchés dans les ports[107], lesBédouins restant livrés à eux-mêmes. En1581,Philippe II d'Espagne reconnaît comme possession turque la régence de Tunis ainsi que celle d'Alger, laCyrénaïque et laTripolitaine[107], qui deviennent pour les chrétiens les « régences barbaresques »[108]. Dès lors, l'Angleterre et laFrance prennent le relais de l'Espagne en Méditerranée occidentale : la première bombarde les bases barbaresques en1622,1635 et1672, la seconde en1661,1665,1682 et1683[107].

Pourtant, malgré leurs victoires, les Ottomans ne s'implantent guère en Tunisie et la conquête de l'intérieur des terres ne s'achève que sous les règnes d'Ali II Bey (1759-1782) et d'Hammouda Pacha (1782-1814)[107]. Au cours duXVIIe siècle, leur rôle ne cesse de décroître au profit des dirigeants locaux qui s'émancipent progressivement de la tutelle du sultan de Constantinople[110] alors que seuls 4 000janissaires sont en poste à Tunis[107]. Au bout de quelques années d'administration turque, plus précisément en1590[41], ces janissaires s'insurgent, plaçant à la tête de l'État un dey dont le premier n'est autre que le pacha Ibrahim Roudesli (originaire deRhodes), en poste de1591 à1593. Et, sous ses ordres, unbey[108] chargé du contrôle du territoire et de la collecte des impôts. Ce dernier ne tarde pas à devenir le personnage essentiel de la régence[77] aux côtés dupacha, qui reste confiné dans le rôle honorifique de représentant dusultan ottoman, au point qu'une dynastie beylicale finit par être fondée parMourad Bey en1612.

Durant la même période, les activités des corsaires connaissent leur paroxysme car l'autonomie croissante vis-à-vis du sultan entraîne une baisse de son soutien financier et la régence doit par conséquent accroître le nombre de ses prises en mer afin de survivre. Le,HusseinIer Bey fonde la dynastie desHusseinites[100]. Il cumulait les fonctions de bey, de dey et de pacha, et « disposait sur tous ses sujets du droit de haute et basse justice ; sesdécrets et ses décisions avaient force delois »[111]. Quoique toujours officiellement province de l'Empire ottoman, la Tunisie acquiert une grande autonomie auXIXe siècle[77], notamment avecAhmedIer Bey, régnant de1837 à1855, qui enclenche un processus de modernisation[112]. À cette époque, le pays vit de profondes réformes, comme l'abolition de l'esclavage le 26 janvier 1846 et l'adoption en1861 d'uneConstitution[112],[113] — la première dumonde arabe —, et manque même de devenir une république indépendante. La Tunisie, alors dotée d'une monnaie propre et d'une armée indépendante, adopte en1831 sondrapeau[114]. Il est difficile de mesurer l'importance des influences turques qui demeurent en Tunisie. Quelques monuments affichent leur filiation ottomane :minarets polygonaux et cylindriques ou mosquées sous une grande coupole centrale comme celle deSidi Mahrez à Tunis[107].
Dans un autre domaine, l'art destapis, qui existait pour certains avant l'arrivée des Ottomans, voit les productions de Kairouan présenter auXVIIIe siècle des motifs purementanatoliens[107]. Malgré ces influences perceptibles dans l'aspect des objets manufacturés, l'empreinte de l'Italie voisine se fait de plus en plus manifeste au cours duXVIIIe siècle, tant dans l'architecture que dans la décoration, marquant ainsi une ouverture du pays à l'Europe[107].

Au début duXVIe siècle, l'Afrique du Nord que les Ottomans appellentMaghreb est en pleine décadence et traverse une crise politique profonde[102]. Ces bouleversements favorisent l'émergence de principautés et de cités portuaires indépendantes qui relancent l'activité descorsaires.
La « course » atteint son paroxysme sous le règne d'Hammouda Pacha (1782-1814), où les navires, partant des ports deBizerte,La Goulette,Porto Farina,Sfax ouDjerba, s'emparent de vaisseaux espagnols, corses, napolitains ou vénitiens[115]. Le gouvernement entretient durant cette période de 15 à 20 corsaires, un même nombre d'entre eux étant rattachés à des compagnies ou à des particuliers — parmi lesquels parfois des personnages haut placés comme le garde des Sceaux Sidi Mustapha Khodja ou lescaïds de Bizerte, Sfax ou Porto Farina — et remettant au gouvernement un pourcentage sur toutes leurs prises, qui comprennent des esclaves chrétiens[115]. Les traités de paix, qui se multiplient auXVIIIe siècle — avec l'Autriche en1748 et1784,Venise en1764-1766 et1792, l'Espagne en1791 ou lesÉtats-Unis en1797 —, réglementent la course et en limitent les effets[115]. En premier lieu, ils imposent certaines exigences (possession de passeports aussi bien pour les navires que pour les hommes) et précisent également les conditions des prises en mer (distance par rapport aux côtes), de façon à éviter de possibles abus. Il faut attendre lecongrès de Vienne et lecongrès d'Aix-la-Chapelle pour que les puissances européennes somment les États barbaresques de mettre un terme à la course, ce qui sera effectif et définitif après l'intervention des Français en1836[115].

Toutefois, en raison de la politique ruineuse desbeys, de la hausse des impôts[100] et d'interférences étrangères dans l'économie, le pays connaît peu à peu de graves difficultés financières[112]. À la suite du doublement de lamejba, uneinsurrection générale éclate en1864. Réprimée dans le sang, elle achève de ruiner le pays et entraine la suspension de la Constitution. Tous ces facteurs contraignent le gouvernement à déclarer la banqueroute en1869 et à créer une commission financière internationale anglo-franco-italienne[116]. C'est l'occasion pour les grandes puissances européennes, la France, l'Italie et le Royaume-Uni, de s'introduire dans le pays[61]. La Tunisie se dirige à peine vers une réelle indépendance en1873, avecKheireddine Pacha[112], qu'elle retombe sous le joug d'une puissance étrangère.
Car la régence apparaît vite comme un enjeu stratégique de première importance de par la situation géographique du pays, à la charnière des bassins occidental et oriental de la Méditerranée[117]. La Tunisie fait donc l'objet des convoitises rivales de la France et de l'Italie : la première souhaite sécuriser les frontières de l'Algérie et éviter que la seconde ne contrarie ses ambitions enÉgypte et auLevant en contrôlant l'accès à la Méditerranée orientale. La seconde, confrontée à une surpopulation, rêve d'une politique coloniale et le territoire tunisien, où la minorité européenne est alors constituée essentiellement d'Italiens, est un objectif prioritaire[117]. Lesconsuls français et italien tentent de profiter des difficultés financières du bey, la France comptant sur la neutralité de l'Angleterre (peu désireuse de voir l'Italie prendre le contrôle de la route ducanal de Suez) et bénéficiant des calculs deBismarck, qui souhaite la détourner de la question de l'Alsace-Lorraine[117]. Après lecongrès de Berlin du au, l'Allemagne et l'Angleterre permettent à la France d'annexer la Tunisie[77],[112], et cela au détriment de l'Italie, qui voyait ce pays comme son domaine réservé[118].

Les incursions de « pillards »khroumirs en territoire algérien fournissent un prétexte àJules Ferry, soutenu parLéon Gambetta face à un parlement hostile, pour souligner la nécessité de s'emparer de la Tunisie[117]. En avril1881, les troupes françaises y pénètrent sans résistance majeure et parviennentjusqu'aux abords de Tunis[112] en trois semaines[119]. Le, leprotectorat est officialisé lorsqueSadok Bey signe forcé, menacé d'être destitué et remplacé par son frère Taïeb Bey[120],[121], letraité du Bardo[122] aupalais de Ksar Saïd[123]. Ce qui n'empêche pas, quelques mois plus tard, les troupes françaises de faire face à des révoltes rapidement étouffées dans les régions deKairouan etSfax[117]. Le régime du protectorat est renforcé par lesconventions de La Marsa du qui accordent à la France le droit d'intervenir dans la politique étrangère, la défense et les affaires internes de la Tunisie[124],[125] : le pays conserve son gouvernement et son administration, désormais placés sous contrôle français, les différents services administratifs étant dirigés par de hauts fonctionnaires français et unrésident général gardant la haute main sur le gouvernement[117]. La France représente dès lors la Tunisie sur la scène internationale, et ne tarde pas à abuser de ses droits et prérogatives de protecteur pour exploiter le pays comme unecolonie, en contraignant le bey à abandonner la quasi-totalité de ses pouvoirs au résident général[126]. Néanmoins, des progrès économiques ont lieu, notamment via les banques et les compagnies[124]. Un réseau ferroviaire se développe[116]. La colonisation permet l'expansion des cultures de céréales et de la production d'huile d'olive ainsi que l'exploitation des mines dephosphates[116] et defer.
Un important port militaire est aménagé àBizerte[117]. De plus, dans le domaine de l'éducation, les Français établissent un système bilingue arabe et français qui donne l'opportunité à l'élite tunisienne de se former dans les deux langues[127].

La lutte contre l'occupation française commence dès le début duXXe siècle. La Tunisie est le premier État du monde arabe influencé par lenationalisme moderne[128], avec le mouvement réformiste et intellectuel desJeunes Tunisiens fondé en1907[129] parBéchir Sfar,Ali Bach Hamba etAbdeljelil Zaouche. Ce courant nationaliste se manifeste par l'affaire du Djellaz en1911 et leboycott des tramways tunisois en1912[126]. Ces événements marquent la transformation des Jeunes Tunisiens en militants agissant par des mouvements de rue[130]. Le résident général fait exiler ses principaux dirigeants[126]. De1914 à1921, le pays vit en état d'urgence et la presse anticolonialiste est interdite[25]. Malgré tout, le mouvement national ne cesse pas d'exister[126]. Dès la fin de laPremière Guerre mondiale, une nouvelle génération organisée autour d'Abdelaziz Thâalbi prépare la naissance du parti duDestour[126]. Entré en conflit avec le régime du protectorat[130], le parti expose, dès la proclamation officielle de sa création le[125], un programme en neuf points. À partir de novembre1925, le Destour, affaibli, devient clandestin et renonce à l'action politique directe[130].

Après avoir fustigé le régime du protectorat dans des journaux commeLa Voix du Tunisien etL'Étendard tunisien[131], l'avocatHabib Bourguiba fonde en1932, avecTahar Sfar,Mahmoud El Materi et Bahri Guiga, le journalL'Action tunisienne[132], qui, outre l'indépendance, prône lalaïcité[133]. Cette position originale conduit le[125], lors ducongrès de Ksar Hellal[130], à la scission du parti en deux branches, l'une islamisante qui conserve le nomDestour, et l'autre moderniste et laïque, leNéo-Destour[116], une formation politique moderne, structurée sur les modèles des partis socialistes et communistes européens, et déterminée à conquérir le pouvoir pour transformer la société[132]. Le parti privilégie l'action politique, la mobilisation de ses adhérents, leur prise de conscience, et estime qu'il doit convaincre l'opinion française tout en adaptant sa stratégie aux nécessités de l'action[134].

Après l'échec des négociations engagées par legouvernement Blum, des incidents sanglants éclatent en1937[116] et lesmanifestations d'avril 1938 sont sévèrement réprimées[133] : état de siège à Tunis le9, emprisonnement de Habib Bourguiba en France pour conspiration contre la sûreté de l'État pour cinq ans[25], arrestation deSlimane Ben Slimane, deSalah Ben Youssef et de 3 000 membres du Néo-Destour[135]. Cette répression conduit à la clandestinité du Néo-Destour, qui incite les nouveaux dirigeants à ne pas exclure l'éventualité d'une lutte plus active[135],[134]. Ainsi, le sixième bureau politique formé fin1939 et animé par Habib Thameur enjoint aux cellules d'entretenir l'agitation. Il sera toutefois démantelé le et ses principaux membres arrêtés. Enmai 1940, lerégime de Vichy transfère Bourguiba enFrance. Il est, fin 1942, libéré par les Allemands et envoyé enItalie, oùBenito Mussolini espère l'utiliser pour affaiblir laRésistance française enAfrique du Nord[133]. Cependant, Bourguiba ne désire pas cautionner lesrégimes fascistes et lance le un appel pour le soutien auxtroupes alliées[133] :
« Les Alliés ne tromperont pas nos espoirs[d'indépendance][135]. »

Pendant ce temps, la Tunisie est le théâtre d'importantes opérations militaires[129] connues sous le nom decampagne de Tunisie[116] : des troupesallemandes prennent position dans le pays dès le lancement de l'opérationTorch (débarquement des Alliés en Afrique du Nord) le. L'Afrika Korps dugénéral Rommel se replie depuis laLibye derrière laligne Mareth. À son retour à Tunis, le, Bourguiba s'assure que son message soit transmis à toute la population et à ses militants. Après plusieurs mois de combats et une contre-offensive blindée allemande dans la région deKasserine etSbeïtla au début de l'année1943, les troupes duTroisième Reich sont contraintes de capituler le dans lecap Bon, quatre jours après l'arrivée des forces alliées àTunis[136]. Bourguiba se voit remis en liberté par lesForces françaises libres le. Le, Bourguiba s'achemine clandestinement vers l'Égypte, et le l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) est fondée parFarhat Hached[137]. Ce syndicat compte, durant cette période, 100 000 adhérents, et il joue un rôle considérable dans le mouvement national[135] car sa naissance dote le Néo-Destour d'un allié dans la lutte pour la libération et la construction du nouvel État, même si les tentatives visant à le mettre au pas débutent dès les premiers mois de l'indépendance, entravant du même coup le développement d'un contre-pouvoir[132].
Après laSeconde Guerre mondiale, les dirigeants nationalistes inscrivent la résistance armée dans la stratégie de libération nationale[134]. En1949, un Comité national de la résistance constitué et dirigé parAhmed Tlili désigne dix responsables régionaux chargés d'organiser des groupes armés strictement cloisonnés[134].


Des pourparlers sont menés après la guerre avec legouvernement français[135], si bien queRobert Schuman évoque en1950 l'indépendance de la Tunisie en plusieurs étapes[125]. Mais des troubles nationalistes en1951 précipitent leur échec[125] : la note du gouvernement français du rejette les revendications tunisiennes et interrompt le processus de négociation avec legouvernement Chenik.
Avec l'arrivée du nouveau résident général,Jean de Hauteclocque, le, et l'arrestation, le, de 150 destouriens dontBourguiba revenu d'Égypte le, débutent la révolte armée[116] — avec grèves, manifestations de rue et diverses formes de mobilisation populaire[134] —, la répression militaire française[125] et un durcissement des positions de chaque camp[138].

La répression provoque une escalade : dans certains lieux, elle est suivie par le sabotage, l'exécution des collaborateurs, l'attaque des fermes puis les opérations contre les troupes coloniales. Toutefois, leNéo-Destour adopte une stratégie qui s'adapte aux événements alors que la complexité des situations laisse une grande marge de manœuvre aux chefs locaux dans le cadre des directives générales[134]. Le, le colonel Durand est frappé et poignardé au cours d'une manifestation de protestation organisée par le Néo-Destour àSousse. Les affrontements entre les manifestants et les forces de l'ordre, le àMoknine, se terminent par une fusillade, et de nombreux faits similaires se produisent à travers le pays[134]. Leratissage du cap Bon par l'armée française, dès le — touchant principalement durant trois jours les localités deTazarka,El Maâmoura etBéni Khiar — fait trente morts, d'après la commission d'enquête des ministresMahmoud El Materi etMohamed Ben Salem qui y incluent les victimes des répressions des manifestations àNabeul etHammamet () etKélibia ()[139].
Le résident général exige ensuite deLamine Bey qu'il congédie les ministres qui avaient fait une requête auprès de l'ONU. Face à son refus, Jean de Hauteclocque lesfait arrêter et interner àKébili pendant un mois et demi. Un nouveaugouvernement est nommé mais le bey refuse de travailler avec lui. Le résident général propose alors un programme de réformes qu'il juge insuffisantes : il convoque lui-même une assemblée de quarante personnalités tunisiennes de toutes opinions politiques qui concluent au rejet de ce programme le.
Avec l'assassinat le du syndicalisteFarhat Hached[140] par l'organisation de laMain rouge[141], se déclenchent manifestations, émeutes, grèves, tentatives de sabotage et jets de bombes artisanales[134]. Le développement de la répression, accompagnée de l'apparition ducontre-terrorisme, incite les nationalistes à prendre plus spécifiquement pour cibles les colons, les fermes, les entreprises françaises et les structures gouvernementales[134]. C'est pourquoi les années1953 et1954 sont marquées par la multiplication des attaques contre le système colonial : le mouvement nationaliste encourage la création de véritables unités de combat dans les différentes régions alors que les modestes ressources permettent difficilement de les entretenir. Protégés par leur insertion dans leur milieu social et connaissant le théâtre des opérations, les maquisards réussissent à organiser une guérilla de harcèlement[134].
En réponse, près de 70 000 soldats français sont mobilisés pour arrêter les guérillas des groupes tunisiens dans les campagnes[142]. Cette situation difficile est apaisée par la reconnaissance de l'autonomie interne de la Tunisie, concédée le lors dudiscours de Carthage prononcé parPierre Mendès France,président du Conseil en France depuis seulement un mois[125],[143] :
« L'autonomie interne de l'État tunisien est recouvrée et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français[138]. »
C'est finalement le[142] que les conventions franco-tunisiennes sont signées entre le chef du gouvernement tunisienTahar Ben Ammar et son homologue françaisEdgar Faure[140]. Elles prévoient le transfert au gouvernement tunisien de toutes les compétences à l'exception de celles des affaires étrangères et de la défense. En dépit de l'opposition deSalah Ben Youssef, qui sera exclu du parti[54], les conventions sont approuvées par le congrès du Néo-Destour tenu àSfax le de la même année[138]. Après de nouvelles négociations, la France finit par reconnaître « solennellement l'indépendance de la Tunisie »[138] le[144], tout en conservant la base militaire deBizerte.

Le[100], l'Assemblée constituante est élue : le Néo-Destour en remporte tous les sièges et Bourguiba est porté à sa tête le[25],[145]. Le, il devient le Premier ministre deLamine Bey[140]. Le, la Tunisie fait son entrée à l'Organisation des Nations unies[25]. LeCode du statut personnel, à tendance progressiste, est proclamé le[146] et, le, la monarchie est abolie, la Tunisie devenant unerépublique[147] dont Bourguiba est élu président[148] le[149]. Son passé de résistant puis les mesures prises au lendemain de l'indépendance pour émanciper les femmes et combattre la pauvreté ainsi que l'analphabétisme contribuent à affermir son autorité[132]. LaConstitution républicaine est définitivement ratifiée le[149].
Le, en pleineguerre d'Algérie, des avions de l'armée française franchissent lafrontière algéro-tunisienne etbombardent le village tunisien deSakiet Sidi Youssef[25]. En1961, dans un contexte d'achèvement prévisible de la guerre, la Tunisie revendique la rétrocession de la base de Bizerte[125] : lacrise qui suit fait près d'un millier de morts, essentiellement tunisiens[125], et la France finit, le, par rétrocéder la base à l'État tunisien[148].

Dans lesannées 1960, alors que toutes les institutions du pays sont tenues par le parti au pouvoir, désormais connu sous le nom deParti socialiste destourien (PSD), l'université de Tunis demeure encore un forum où les questions de développement et de démocratie sont débattues et les choix politiques de Bourguiba critiqués[132]. Cela n'empêche pas, le, l'assassinat de Salah Ben Youssef, principal opposant de Bourguiba à partir de 1955[148], àFrancfort, tandis que leParti communiste (PCT) est interdit le.

La République tunisienne devient donc un régime departi unique dirigé par le Néo-Destour[148]. En,Ahmed Ben Salah entame une politique « socialiste » d'étatisation pratiquement totale de l'économie, avec la nationalisation des terres agricoles encore aux mains d'étrangers le[148].
Des émeutes contre la collectivisation des terres dans leSahel tunisien le poussent au limogeage de Ben Salah le avec la fin de l'expérience socialiste[148]. En avril1972, un Code des investissements très libéral est promulgué sous l'impulsion du Premier ministreHédi Nouira[25], changeant ainsi la philosophie économique du pays[148]. Avec une économie affaiblie par la fin du socialisme et unpanarabisme défendu parMouammar Kadhafi, un projet politique qui unifierait la Tunisie et laLibye sous le nom deRépublique arabe islamique est lancé en1974 mais échoue très rapidement en raison des tensions tant nationales qu'internationales. Après la condamnation à une lourde peine de prison de Ben Salah, rendu responsable de l'échec de la politique descoopératives, viennent l'épuration de l'aile libérale du PSD animée parAhmed Mestiri puis la proclamation de Bourguiba comme président à vie en1975[25]. C'est dans ces conditions, marquées par un léger desserrement de l'étau du PSD sous le gouvernement d'Hédi Nouira, que l'UGTT gagne en autonomie à travers son hebdomadaireEchaab (Le Peuple) tandis que naissent en1977 laLigue tunisienne des droits de l'homme et le journal indépendantErraï (L'Opinion)[132].

Le coup de force du « Jeudi noir » contre l'UGTT enjanvier 1978 puis l'attaque contre la ville minière deGafsa, en janvier1980, ne suffisent pas à museler la société civile émergente. Malgré le harcèlement de journaux commeErrai ouAl Maarifa, de nouvelles publications telles queLe Phare,Démocratie,L'Avenir,Al Mojtama'a ou15-21 voient le jour[132]. Dès le début desannées 1980, le pays traverse une crise politique et sociale[150] où se conjuguent le développement duclientélisme et de lacorruption, la paralysie de l'État devant la dégradation de la santé de Bourguiba, les luttes de succession et le durcissement du régime. En1981, la restauration partielle du pluralisme politique, avec la levée de l'interdiction frappant le Parti communiste, suscite des espoirs qui seront déçus par la falsification des résultats aux élections législatives de novembre, auxquelles prennent part le PSD, le PCT et deux nouvelles formations non encore légalisées : leMouvement des démocrates socialistes et le futurParti de l'unité populaire[132]. Par la suite, la répression sanglante des « émeutes du pain » de décembre1983[150], la nouvelle déstabilisation de l'UGTT et l'arrestation de son dirigeantHabib Achour, tout comme le recours de plus en plus fréquent à la manière forte face à la contestation sociale et islamiste, contribuent à accélérer la chute du président vieillissant[132]. En1986, le pays passe également par une grave crise financière : Bourguiba désigne alors le le technocrateRachid Sfar comme Premier ministre et le charge de mettre en œuvre un plan d'ajustement structurel de l'économie recommandé par leFonds monétaire international et destiné à rétablir les équilibres financiers du pays[150]. Mais la situation favorise la montée de l'islamisme[140] et le long règne de Bourguiba s'achève dans une lutte contre l'islamisme menée parZine el-Abidine Ben Ali, nommé ministre de l'Intérieur puis Premier ministre en octobre1987[148].
Le, Ben Ali dépose le président pour sénilité, action accueillie favorablement par une large fraction du monde politique[150]. Élu le avec 99,27 % des voix[151], le nouveau président réussit à relancer l'économie alors que, sur le plan de la sécurité, le régime s'enorgueillit d'avoir épargné au pays les convulsions islamistes qui ensanglantent l'Algérie voisine, grâce à la neutralisation du partiEnnahdha au prix de l'arrestation de dizaines de milliers de militants et de multiples procès au début desannées 1990[132]. Les opposants laïques signent quant à eux le Pacte national en1988, plate-forme destinée à la démocratisation du régime. Pourtant, l'opposition et de nombreusesONG de défense desdroits de l'homme accusent peu à peu le régime d'attenter aux libertés publiques[116] en étendant la répression au-delà du mouvement islamiste. En1994, le président Ben Ali est réélu avec 99,91 % des voix[152],[153] et signe l'année suivante un accord de libre-échange avec l'Union européenne[125].

Lesélections du, bien qu'elles soient les premières présidentielles à être pluralistes avec trois candidats, voient le président Ben Ali réélu avec un score comparable aux scrutins précédents[151],[153] (99,45 %[154]). La réforme de la Constitution approuvée parréférendum le accroît encore les pouvoirs du président, repousse l'âge limite des candidats, supprime la limite des trois mandats réintroduite en 1988 et permet au président de briguer de nouveaux mandats au-delà de l'échéance de2004 tout en bénéficiant d'une immunité judiciaire à vie[132].
Le, un attentat au camion piégé vise lasynagogue de la Ghriba et provoque la mort de19 personnes dont quatorzetouristesallemands. Entre2004 et2006, la vie politique se caractérise par la poursuite de la répression politique. Enseptembre 2005, un texte de loi voté par laChambre des députés accorde des avantages aux « présidents de la République dès la cessation de leurs fonctions » et à leurs familles en cas de décès[132]. Ennovembre 2005, le pays attire l'attention de la communauté internationale en organisant la deuxième phase duSommet mondial sur la société de l'information sous l'égide de l'ONU. En plein sommet, les actions menées par l'opposition focalisent les médias internationaux sur la question de la liberté d'expression. À cette occasion, le rapprochement entre islamistes et personnalités laïques commeAhmed Néjib Chebbi etHamma Hammami suscite une campagne de diffamation de la part du pouvoir mais aussi de vives réactions venant de personnalités indépendantes et d'animateurs dumouvement Ettajdid[132].
Durant le premier semestre2008, degraves troubles secouent la région minière deGafsa durement frappée par lechômage et lapauvreté ; ce sont les plus importants troubles sociaux depuis l'arrivée au pouvoir du président Ben Ali[155].

À partir du, le pays fait face à une violente crise sociale, à la suite du suicide d'un jeune chômeur,Mohamed Bouazizi, par immolation àSidi Bouzid[156]. Le mouvement de contestation, dont les revendications sont à la fois sociales et politiques, s'étend ensuite à d'autres villes du pays[157]. Le, le présidentZine el-Abidine Ben Ali fait un discours retransmis sur la chaîne téléviséeTunisie 7 et répond à plusieurs questions soulevées par le peuple et l'opposition, déclare que son mandat en cours serait le dernier et qu'il quitterait donc le pouvoir en2014[158]. Malgré ces initiatives de la part du chef de l'État, des manifestations spontanées ont lieu le sur l'avenue Habib-Bourguiba àTunis. Lors de ces manifestations, toutes les classes sociales sont présentes et manifestent leur volonté de voir partir le président en place. Cependant, elles tournent mal et les forces de police interviennent en utilisant dugaz lacrymogène et des balles en caoutchouc. Ce même jour, après environ un mois de crise sociale, le président Ben Ali limoge son gouvernement et prévoit des élections législatives anticipées dans les six mois. Après cette déclaration, l'état d'urgence est décrété puis le président quitte le pays par la voie aérienne[159]. C'est son Premier ministreMohamed Ghannouchi qui devient le président par intérim, avant queFouad Mebazaa ne soit proclamé le lendemain par leConseil constitutionnel en sa qualité de président de laChambre des députés[160]. Celui-ci confirme Ghannouchi comme Premier ministre et lui demande de former ungouvernement d'union nationale dont beaucoup de membres font partie duRassemblement constitutionnel démocratique (RCD) au pouvoir[161]. À la suite des différentes contestations, Ghannouchi est remplacé le remplacé parBéji Caïd Essebsi[162]. Le, le président par intérim annonce l'élection d'uneAssemblée constituante qui doit rédiger une nouvelleConstitution. Le, Caïd Essebsi nomme songouvernement avant que le RCD soit dissous deux jours plus tard.
L'Assemblée constituante est élue le23 octobre 2011 auscrutin de liste à la proportionnelle, avec une parité hommes-femmes et une répartition au plus fort reste. Lesislamistes d'Ennahdha obtiennent une majorité relative (89 sièges sur 217) et concluent unecoalition gouvernementale avec leCongrès pour la République (CPR), un parti de gauche nationaliste, etEttakatol, un partisocial-démocrate, sur la base d'une répartition des responsabilités[163] : la présidence de la République va àMoncef Marzouki (CPR), la présidence du gouvernement àHamadi Jebali (Ennahdha) et la présidence de l'assemblée àMustapha Ben Jaafar (Ettakatol). Cette alliance provoque des dissidences à l'intérieur des deux partenaires d'Ennahdha sans toutefois mettre en danger le gouvernement, puisque la coalition conserve la majorité absolue.
Plusieurs crises sécuritaires se succèdent alors, avec des manifestations qui dégénèrent[164] mais aussi avec l'attaque de l'ambassade américaine et de l'école américaine par des salafistes le[165]. Cette période est surtout marquée par l'irruption de la violence politique : le, le coordinateur deNidaa Tounes àTataouine, Lotfi Nagdh, est mortellement blessé à la suite d'une manifestation violente déclenchée par des membres de laLigue de protection de la révolution[166] ; le,Chokri Belaïd, un opposant politique, est assassiné en quittant en voiture son domicile du quartier d'El Menzah VI[167],[168]. Ce meurtre ébranle le gouvernement, alors empêtré dans une interminable crise ministérielle. Le soir même, Hamadi Jebali annonce, unilatéralement et sans consultation despartis politiques, sa décision de former un gouvernement detechnocrates dont la mission serait limitée à la gestion des affaires du pays jusqu'à la tenue d'élections[169]. Bien accueillie par une large partie de la population et par l'opposition, cette initiative se heurte à l'hostilité farouche de son propre parti et de son allié, le CPR[170]. Après plusieurs jours de concertations, le chef du gouvernement finit par annoncer sa démission le ; Ennahdha désigne alorsAli Larayedh,ministre de l'Intérieur, pour lui succéder.

Legouvernement Larayedh comporte des personnalités indépendantes aux postes de souveraineté (Défense,Intérieur,Affaires étrangères etJustice) mais ne parvient pas à rétablir la confiance. La crise politique s'aggrave encore lorsqu'une seconde personnalité politique,Mohamed Brahmi, est assassinée le puis lorsque huit soldats sont tués dans uneembuscade audjebel Chambi le. La contestation contre Ennahdha culmine alors que le renversement enÉgypte du président islamisteMohamed Morsi quelques jours plus tôt, le, fait prendre conscience au parti qu'il joue sa survie politique. Undialogue national s'instaure alors, sous la direction d'un quartette issu de la société civile et dirigé par le puissant syndicat de l'Union générale tunisienne du travail[171]. Le projet constitutionnel est totalement réorganisé et rationalisé[172] et une feuille de route organise une sortie de crise par l'achèvement rapide des travaux de l'Assemblée constituante et la mise en place d'un gouvernement de technocrates chargé du maintien de l'ordre, de la gestion des affaires courantes et de l'organisation des premières élections présidentielle et législatives sous le régime de la nouvelleConstitution. Après de nombreux remous, le texte est finalement adopté le etMehdi Jomaa, jusqu'alorsministre de l'Industrie, est chargé de former le nouveau gouvernement, qui est intronisé le.
À la suite desélections législatives du 26 octobre 2014, le partiNidaa Tounes arrive en tête du scrutin mais sansmajorité absolue alors qu'Ennahdha, qui avait remporté les élections de 2011, termine deuxième, en fort recul. Ainsi l'Assemblée des représentants du peuple remplace l'Assemblée constituante. Le premier tour de l'élection présidentielle a lieu le et voit s'affronter 27 candidats dont deux, en la personne deBéji Caïd Essebsi (Nidaa Tounes) avec 39,46 % des voix et Moncef Marzouki avec 33,43 % des voix[173], sont qualifiés pour le second tour organisé le et qui permet à Caïd Essebsi de remporter le scrutin avec 55,68 % des voix contre 44,32 % des voix pour Marzouki[174] et de devenir ainsi le premier président issu d'une élection démocratique et transparente. Lequartet du dialogue national, association de quatre organisations s'étant donné pour but d'organiser des négociations entre lespartis politiques pour assurer la transition vers un régime démocratique permanent, obtient leprix Nobel de la paix2015[175]. Ce prix est le premierNobel attribué à un ressortissant ou organisation de la Tunisie[175] après son indépendance[176].Ban Ki-moon,secrétaire général des Nations unies, exprime sa joie et félicite le quartet tout en affirmant que ce prix est dédié à tous les Tunisiens qui ont commencé lePrintemps arabe[177].
Le, uneattaque terroriste a lieu auBardo, près deTunis, sous la forme d'une fusillade, d'abord près duParlement, où ont lieu des auditions sur la loi anti-terroriste puis aumusée national du Bardo. Événement inédit jusqu'alors pour le pays, l'attentat cause la mort de 25 personnes, dont 22 touristes, un agent des forces de l'ordre et les deux terroristes, ainsi que 47 blessés[178],[179],[180]. L'attaque est revendiquée par l'État islamique.
En 2017 et 2018, le pays est touché par plusieurs vagues de contestation. Des Tunisiens expriment leur ras le bol face à la cherté de la vie, à l'inflation, et au chômage qui reste au-dessus de 15 %, et dépasse 30 % chez les jeunes diplômés. Globalement, le pays connaît une certaine morosité et inquiétude économique[181],[182],[183]. L'Observatoire social tunisien recense 5 000 mouvements de protestation en 2015, plus de 11 000 en 2017 et 4 500 pour les quatre premiers mois de 2018[184].

Le présidentBéji Caïd Essebsi meurt le, à92 ans. Fin 2019, un double scrutin,législatif le, etprésidentiel, avec un premier tour en septembre et le second tour le, se déroule sans heurts, montrant une certaine maturité de la démocratie électorale en Tunisie. Les élections législatives aboutissent cependant à une assemblée fragmentée entre diverses formations[185]. L'élection présidentielle propulse à la tête de l'État un nouveau venu dans le monde politique, un juriste et universitaire spécialiste dudroit constitutionnel, âgé de61 ans,Kaïs Saïed, élu avec une confortable avance face, au second tour, à l'homme d'affairesNabil Karoui. Kaïs Saïed propose durant sa campagne une vision associant un certain conservatisme moral et religieux, unsouverainisme, et un mode de fonctionnement démocratique à rebours de l'organisation centraliséebourguibienne[186].
Conformément à la Constitution, ce nouveau président propose àHabib Jemli de former un gouvernement. Habib Jemli est désigné par le parti islamisteEnnahdha, la formation la mieux placée aux élections législatives, sans pour autant disposer de la majorité : ce parti ne détient que54 sièges sur 217. L'Assemblée des représentants du peuple lui refuse sa confiance[187].Elyes Fakhfakh, membre du partiEttakatol, est alors désigné par le président pour tenter de constituer un gouvernement, comme le prévoit l'article 89 de la Constitution[188],[189]. Il reçoit le soutien dubloc démocrate et deTahya Tounes[190]. Finalement, le 19 février 2020, un accord est trouvé pour former ungouvernement[191], d'intenses négociations ayant été nécessaires avec l'intervention, en médiateurs, de la centrale syndicale (UGTT) et de l'organisation patronale (UTICA). Le partiEnnahdha apporte son soutien à ce gouvernement et y obtient sept ministères, mais pas ceux de l'Intérieur et de laJustice qu'il escomptait[192]. Le 25 juillet 2020,Hichem Mechichi est désigné pour remplacer Fakhfakh[193].
Le, à la suite d'un mouvement de manifestations dans le pays, le président Kaïs Saïed, invoquant l'article 80 de la Constitution, limoge legouvernement Mechichi avec effet immédiat et gèle le parlement, ce qui déclenche unecrise politique[194],[195]. Le 11 octobre, il nommeNajla Bouden au poste de chef du gouvernement[196]. Après la tenue d'uneconsultation électronique, du 15 janvier au 20 mars 2022, le président de la République annonce la tenue d'unréférendum constitutionnel le 25 juillet et d'élections législatives le 17 décembre[197].
Le, le président Kais Saied a remporté un second mandat avec plus de 90 % des voix lors de l'élection présidentielle. Cinq partis politiques avaient appelé la population àboycotter le scrutin[198].
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