
L'histoire de laSicile a vu l'île être contrôlée par plusieurs importantes puissancesméditerranéennes :Carthaginois,Grecs,Romains,Vandales,Ostrogoths,Byzantins,Arabes,Aragonais, mais aussi connaître de longues périodes d'indépendance aux temps desautochtonesélymes,sicanes etsicules, desSicélioteshelléniques, desKalbitesmusulmans et duroyaume de Sicile fondé en 1130 parRoger II de Sicile, membre de lafamille normande de Hauteville. Parfois, l'île a été au cœur des grandes civilisations, parfois elle n'a été qu'un territoire colonial, terre d'immigration et d'émigrants à travers les époques.
La Sicile est la plus grande île de la Méditerranée, tirant dès l'antiquité sa richesse de ses ressources naturelles et de sa situation centrale au carrefour des routes commerciales entre lePonant et leLevant, l'Europe et l'Afrique. Par exemple,Cicéron etal Idrissi décrivent respectivement Syracuse et Palerme parmi les plus grandes et belles villes dumonde hellénique et duMoyen Âge.
Pendant la période normande, la Sicile était prospère et politiquement puissante, devenant l'un des États les plus riches de toute l'Europe. En raison de la succession dynastique, le royaume passa aux mains de lamaison de Hohenstaufen. À la fin duXIIIe siècle, à l'issue desVêpres siciliennes, l'île est conquise par lacouronne d'Aragon surcelle d'Anjou : aux siècles suivants, elle échoit aux Espagnols qui éradiquent toute autre obédience que lecatholicisme, et auxBourbons, tout en préservant une substantielle indépendance jusqu'en1816.
Depuis la création de l’État normand jusqu'en 1860, l'histoire de la Sicile est marquée par une lutte récurrente entre l'affirmation de l'autorité royale centrale et l'emprise de la grandenoblesse sicilienne qui défend une certaine indépendance.
L'histoire économique de la Sicile rurale s'est concentrée sur son économie delatifundium, due à la centralité des grands domaines originellement féodaux consacrés à la culture céréalière et l'élevage, qui se développèrent auXIVe siècle et perdurèrent jusqu'à laSeconde Guerre mondiale.
La Sicile est à la fois la plus grande région de laRépublique italienne et unerégion autonome d'Italie depuis 1944 avec sa propre culture.

Thucydide etDiodore de Sicile sont les principaux auteurs sur la Sicile antique. Les légendes, rejetées en tant que sources historiques parEttore Pais, ont été analysées parJean Bérard comme des témoignages de l'influence égéenne. Le manque de sources est progressivement compensé par les fouilles archéologiques dePaolo Orsi entre 1888 et 1935, puisLuigi Bernabò Brea à partir des années 1950 et de nombreuses universités étrangères après la Seconde Guerre mondiale[1].
L'histoire de la Sicile a longtemps été analysée comme une succession de dominations étrangères, depuisDe rebus siculis (1558) deTommaso Fazello, premier historien moderne de l'île[2]. AinsiVoltaire dit que la Sicile a« toujours été subjuguée par des étrangers ; asservie successivement aux Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Normands sous le vasselage des Papes, aux Français, aux Allemands, aux Espagnols ; haïssant presque toujours ses maîtres, se révoltant contre eux, sans faire de véritables efforts dignes de la liberté, et excitant continuellement des séditions pour changer de chaînes. »[3]Rosario Gregorio, le premier, s'intéresse davantage au peuple sicilien qu'à la chronologie des conquérants[4].
Dans la première moitié duXXe siècle, les intellectuels antipositivistesGiovanni Gentile etBenedetto Croce puis l'historienErnesto Pontieri contestent la lecture victimaire traditionnelle pour réhabiliter les tentatives libérales de la bourgeoisie méridionale et des Bourbons contrées par le conservatisme aristocratique[5]. Après la Seconde Guerre mondiale, si les écrivainsGiuseppe Tomasi di Lampedusa etLeonardo Sciascia romancent la vision d'une sicilianité intemporelle, des historiens modernisent ce regard[2], parmi lesquels en ItalieRosario Romeo avecIl Risorgimento in Sicilia et la recherche marxiste qui réhabilite les conflits sociaux et les mouvements paysans à travers les travaux dePaolo Alatri,Salvatore Francesco Romano etFrancesco Renda[5].Michel Gras,Georges Vallet,Henri Bresc,Jean-Marie Martin,Maurice Aymard etMarie-Anne Matard-Bonucci renouvellent la connaissance historique de l'île en France[6].« Les relations entre la Sicile et les différents dominateurs présumés ont été fictives, liées à sa présence au sein d’empires multinationaux, tels que l’empire espagnol. La représentation de la Sicile opprimée par tant de dominateurs, aussi forte soit-elle, est donc une mystification qui n’a pas réellement d’appui solide sur les résultats de l’historiographie récente. »[7]
La Sicile émerge lentement de la mer sous l'effet de la pression de laplaque africaine et de l'activité volcanique.
| Carte | Époque géologique | Datation |
|---|---|---|
| Tortonien | 11 millions d'années | |
| Messinien | 7 millions d'années | |
| Pliocène | 5 millions d'années | |
| Pléistocène inférieur | 1,8 million d'années | |
| Pléistocène supérieur | 20 000 ans |

Alors que la présence humaine sur la péninsule italienne remonte auPaléolithique inférieur (au moins 700 000 ans), les premiers habitants de l'île[8], deschasseurs-cueilleurs, y seraient arrivés[9], en passant par la péninsule italienne[10], vers 30.000av. J.-C. comme l'attestent les fouilles de l'abri de Fontana Nuova près deMarina di Ragusa[8]. Les gravures de laGrotte de l'Addaura sur leMont Pellegrino et les peintures murales de lagrotte du Genovese àLevanzo témoignent de l'occupation de l'ouest de la côte nord auPaléolithique supérieur[11], comme celle de la pointe sud-est à l'image de lagrotte de San Teodoro àAcquedolci dans laquelle des sépultures ont été découvertes en 1937[12]. Celles-ci prouvent un peuplement continu à partir de 15 000 avant JC, époque où la Sicile devait être recouverte desteppes, avec un climat sec et froid. Lesgrands mammifères du Pléistocène ayant disparu, les sapiens chassenthydrontin, le cerf, le renard et le bœuf, mangent également des mollusques terrestres et marins ainsi que des végétaux[8].
Lors du passage duPléistocène à l'Holocène, la fonte des glaciers dessine le trait de côte actuel avec la disparition de la liaison terrestre avec le continent[8].
À partir de 8 000av. J.-C. apparaissent l'agriculture, l'élevage, mais aussi la céramique (celle de Stentinello) et la navigation qui permet d'accéder aux petites îles[8]. Cettecivilisation néolithique arrive en Sicile avec des humains originaires du Proche-Orient, probablement depuis l'Italie méridionale par leDétroit de Messine. Ils délaissent les grottes pour des huttes réunies dans des villages côtiers fortifiés, commeStentinello, Matrensa etOgnina, laissant des traces essentiellement sur la côte orientale, autour de l’Etna et dans la région de Syracuse, sur les îlesLipari etPantelleria. Ils utilisent lesilex et l'obsidienne[12], roche découverte surLipari etPantelleria. Quelques centaines de personnes y vivent, les rares sépultures découvertes sont une fosse creusée dans la terre ou la roche, dans laquelle est accroupi le corps[8].
Lecuivre apparaît en Sicile vers 3 000av. J.-C., via l'Anatolie et les îles voisines[12]. Apparaîssent laculture dite de San Cono-Piano Notaro au sud-est de la Sicile et la culture de laConca d'Oro près de Palerme[8] : les outils en pierre et en os se perfectionnent, les décorations de céramique se diversifient, et les sépultures collectives remplacent la tombe individuelle néolithique[12].
Lamétallurgie du bronze émerge un millénaire plus tard à travers laculture campaniforme[13]. Déjà ouverte aux influences maritimes, notamment méditerranéennes orientales et proche-orientales (Mésopotamie et Syrie), l'île est au centre d'intenses échanges qui s'ouvrent à la façade atlantique et aux îles Britanniques[12]. Si la culture de la Conque d'Or perdure, une nouvelle civilisation éclot au nord-est, àTindari etNaxos, avec la spécificité d'une céramique grise, etune autre sur la côte méridionale, qui a pris le nom deCastellucio di Noto. AuBronze moyen sicilien correspond laculture du Milazzese àPanarea et lacivilisation de Thapsos, du nomdu village fortifié découvert près de Syracuse, dont les vestiges attestent d'importants échanges avec lemonde mycénien entre la fin duXVe siècle jusqu’auXIIIe[12]. Certains groupes humains venus d'Orient ont dû s'installer de façon permanente sur l'île pour gérer le grands emporiums commerciaux tels queLipari, Cannatello (Agrigente),Thapsos etUstica[8].
La région a traversé une préhistoire complexe, à tel point qu'il est difficile de déterminer les peuples qui se sont succédé. Cependant on remarque l'impact de deux influences, celles des peuples proto-celtes de laculture campaniforme[13] venant du Nord-Ouest, et l'influence méditerranéenne avec une matrice orientale[14].
Vers 1 300av. J.-C., les établissements urbains complexes deviennent de plus en plus présents.
| Période | Culture en Sicile | Culture des îles éoliennes | Chronologie (av. JC) |
|---|---|---|---|
| Néolitique moyen | Stentinello classique Céramique peinte trichrome Serra d’Alto | Stentinello II Céramique peinte trichrome | 5500-5000 5000-4500 4500-4000 |
| Néolitique final | Diana | Diana | 4000-3000 |
| Âge du cuivre ancien | Diana Spatarella | ||
| Âge du cuivre moyen | Piano Conte, Serraferlicchio,Conzo - San Cono - Piano Notaro ;Conca d’oro 1 | Piano Conte | 3000-2500 |
| Âge du cuivre final | Malpasso - Sant Ippolito | Piano Quartara | 2500-2300 |
| Âge du bronze ancien | Castelluccio | Capo Graziano I | 2300-1700/1650 |
| Âge du bronze moyen 1-2 | Castelluccio tardif : Rodi -Tindari | Capo Graziano II | 1700/1650-1500 |
| Âge du bronze moyen 3 | Thapsos | Milazzese | 1500-1300 |
| Âge du bronze récent | Pantalica I - Nord | Ausonio I | 1300-1150 |
| Âge du bronze final | Pantalica II - Cassibile | Ausonio II | 1150-900 |


Les plus anciens peuples de Sicile sont lesSicanes, puis lesÉlymes et enfin lesSicules, peuple d'origineitalique qui s'y installe au début duXIe siècle selonThucydide, auXIIIe siècle selonHellanicos etPhilistos et donnent son nom à l'île[12]. Au terme des invasions successives, les Élymes se retrouvent à l'ouest, les Sicanes au centre et les Sicules dans la partie orientale (carte). Pour améliorer leur sécurité, les Sicanes délaissent leurs habitats côtiers dispersés, pour se regrouper sur des sites naturellement protégés dans les terres[12].
La zone sud-est et la région de Messine développent une civilisation sicule, dont laculture de Pantalica, plus riche que lefaciès sicane de l'ouest (Sant'Angelo Muxaro), grâce aux influences méditerranéennes (Proche-Orient, Anatolie et Grèce), puis aux apports indo-européens des Sicules. Ainsi, avant toute colonisation, la Sicile est partiellementindo-européanisée[12].
Des légendes grecques plus tardives racontent des évènements qui se seraient déroulés aux temps les plus anciens. Ainsi,Minos, le roi deCrète serait venu avec son armée chercherDédale, réfugié en Sicile chezCocalos, le roi des Sicanes. Ce dernier aurait piégé et fait noyer Minos. Ces mythes n'ont pas été confirmés par l'archéologie et seraient postérieurs aux colonisations[16]. En revanche, on sait que la Sicile intègre leréseau commercial mycénien entre 1400 et[11]. LesGrandes Mères vénérées par les populations néolithiques et les Sicanes et les dieux mâles célébrés par les Sicules, sont hellénisés, telAdranos qui se fond dansHéphaïstos[12].
Des contacts avec lesGrecs se nouent entre leXIIIe siècle av. J.-C. et leXIe siècle av. J.-C., notamment auMonte Dessueri, dans le secteur de la future colonie grecque deGéla. Les marchands grecs avec qui la population locale a des contacts sont essentiellement des nobles originaires deCrète, d'Eubée, puis deChypre. Ces relations demeurent toutefois très modestes. Elles cessent quasiment durant leXIe siècle av. J.-C., sauf pour Chypre. C'est auIXe siècle av. J.-C. que les échanges avec les Grecs s'intensifient[17].
LesPhéniciens, peuplesémite originaire de l'actuelLiban, et l'une de leur colonie,Carthage, fondée en 814 , diffusent également leur culture avant d'y fonder des comptoirs, grâce à leurs liens commerciaux avec l'île entre leXIe siècle et la fin duIXe siècle. Mais malgré les influences helléniques et sémitiques,« la Sicile reste à la fin duIXe siècle une terre encore barbare » selonPierre Lévêque, sans civilisation d'envergure[12].
Les Phéniciens commencent réellement à immigrer en Sicile à la fin duIXe siècle et au début duVIIe siècle av. J.-C. À l'arrivée des premiers colons grecs (vers 750 av. J-C), ils délaissent leurs comptoirs disséminés le long de la côte pour fonder leurs premières colonies à l'ouest, à l'opposé des établissements grecs et au plus près de Carthage[18] : en-734,Zyz à l'emplacement de l'actuelle Palerme, puisMotyé en face de l'actuelleMarsala et vers-700 àSolonte, près de Zyz. Ils s'allient aux Élymes tandis que Carthage gagne de l'influence au détriment des cités phéniciennes asiatiques. Insensiblement, les peuples autochtones, punicisés ou hellénisés, deviennent secondaires dans les sources historiques malgré leur nombre plus important[18].


Cherchant de nouvelles terres à cultiver et de nouveaux marchés pour leurs productions, les Grecs s'installent, sous l'impulsion de quelquesoikistes (fondateurs souvent héroïsés par la suite)[18], sur la côte à partir du milieu duVIIIe siècle av. J.-C. : des colons deChalcis fondentNaxos en-735 (cité qui fonde ensuiteLéontinoi, seule colonie non côtière, etCatane) etZancle en -750 (et ses colonies secondaires deRhêgion,Mylai etHimère), desCorinthiensSyracuse un an plus tard (avant d'essaimer àHeloros,Akrai en 664,Kasmenai-Casmene en 643,Camarina en 598), desRhodiens et desCrétoisGela en-688 (elle-même métropole d'Acragas en 582), desMégariensMegara Hyblaea en 750 (laquelle donne naissance à Sélinonte en 650 elle-même fondatrice d'Héracléa Minoa)[19],[12]. Les colonies se développent et acquièrent leurs indépendances politiques vis-à-vis de leurs métropoles tout en maintenant des liens religieux et économiques étroits. Les tentatives grecques de coloniser la côte occidentale échouent, à l'instar de l'éphémèreLilybée grecque dirigée par Pentathlos vers-580, ou de la vaine expédition deDorieus sur lemont Éryx vers-510[18]. Opération de secours ou d'assujettissement par Carthage des colonies phéniciennes de l’ouest sicilien, une expédition menée parMalchus vers -550 serait les prémices de la domination punique de l'ouest sicilien qui prendra fin en-241 à l'issue de lapremière guerre punique[20].
Les Grecs s'imposent progressivement aux peuples autochtones et aux comptoirs phéniciens, mais les conflits entre lesDoriens et lesIoniens s'exportent entre les colonies en Sicile, fragilisant la domination hellénique[18]. Pour autant, les colonies croissent grâce aux riches cultures de blé (aux abords de l’Etna, de l’Anapo, de Gela, d’Agrigente et de Sélinonte)[18], mais aussi devigne et d'oliviers, introduits par les Grecs[19], l'élevage (ovins, équins), et la pêche, notammentau thon. L’artisanat du tissage de la laine, de la céramique et du métal (notamment à Syracuse) se développe[18].
En dépit d'un rivage avec peu de mouillages protégés, excepté Zancle et Syracuse, et des voies terrestres (Catane-Agrigente, Syracuse-Agrigente par Acrai, Catane-Himère par Enna, Agrigente-Himère) limitées et médiocres, les échanges maritimes sont intenses : la Grèce exporte sa céramique, l’Italie, en particulier l’Étrurie, pourvoit en bronze et fer,Carthage est un important client d'Agrigente et alimente d'étoffes précieuses, de parfums et dupourpre de Tyr, l'Ibérie et la Gaule fournissent des métaux des monnaies que les cités battent à partir duVIe siècle[18],[21].
Les villes croissent, s'enrichissent de nombreux monuments. L'économie florissante nourrit la culture locale qui s’hellénise, tout en influençant la culture grecque. AuxGrandes Mères succèdent lesdivinités chthoniennes, en premier lieuDéméter, mais aussiAphrodite. Ledorique s'impose dans les temples.Théâtre de Taormine, templesde Ségeste,Agrigente etSélinonte, ou les traces du temple d'Athéna transformé encathédrale à Syracuse témoignent de cette époque[22]. L'histoire retient les noms des poètesStésichore,Épicharme et puisThéocrite, de l'auteur de mimeSophron, du philosopheEmpédocle[19], des historiensTimée de Tauroménion que reprendraDiodore de Sicile, du législateurCharondas, des pionniers de larhétoriqueCorax,Tisias etGorgias. Lesfigurines en terre cuite deCenturipe, leKouros en marbre deGrammichele, les masques de théâtre deLipari ou les gargouilles de calcaire du temple de la Victoire d'Himère expriment l'essor de la sculpture hellénique en Sicile.
Mais des divisions sociales fortes apparaissent entre les grands propriétaires, aristocrates descendant des colons, et le reste de la population, désormais majoritaire, parmi laquelle croît l'enrichissement des artisans et commerçants[18]. Malgré les tentatives de réforme des institutions oligarchiques, comme les lois de Charondas appliquées à Catane puis dans la plupart des cités chalcidiennes, les cités se laissent séduire, comme ailleurs dans le monde grec, par des dirigeants appelés « tyrans »[21] :Panétios àLeontinoï à la fin duVIIe siècle,Phalaris à Acragas vers -570[23], Pithagore et Euryléon à Sélinonte, Cléandre etHippocrate à Géla.Gélon s'empare du trône de ce dernier, avant de prendre le pouvoir à Syracuse, qu'il fortifie et enrichit, et domine l'essentiel de l'île avec son allié,Théron d'Acragas, en écrasant les forcescarthaginoises appelées parTerillos d'Himère et d'Anaxilas II deRhêgion lors de lapremière guerre gréco-punique àHimère ()[24]. Les tyrans dynamisent l'économie et l'agriculture, engagent des grands travaux urbains, érigent des monuments prestigieux, concourent dans les courses de chevaux ou de chars à Delphes ou d’Olympie, s'entourent d'intellectuels et d'artistes[21].
La chute dePolyzalos etThrasybule, qui ont succédé à leur frèreHiéron, lui-même frère de Gélon et vainqueur sur lesÉtrusques àCumes, ouvre à la démocratie les cités siciliennes dans lesquelles le poids de la bourgeoisie commerçante croît. Les anciens mercenaires s'installent àMessine[24].
Doukétios réveille l'identité sicule : il prendMorgantina, installe sa capitale de sa fédération àPalikè aux dépens deMénai, soumetInessa etMotyon. Les pirates étrusques affaiblissent les forces de Syracuse qui s'allie à Agrigente contre Doukétios, vaincu à Noai ou Nomae en-450. Puis Syracuse se retourne contre Agrigente et rase Paliké, retrouvant son hégémonie sur l'île[24].
Égeste et les cités chalcidiennes signent des traités d'alliance avec Athènes afin de contrecarrer la puissance de Syracuse. La Sicile devient un enjeu dans laguerre du Péloponnèse opposantAthènes à Sparte qui prend la défense de Syracuse[24]. En 427, Athènes soutientLéontinoï, alliée à Camarina, Catane etRhêgion, contre Syracuse appuyée par Gela, Himère, Sélinonte etLocres.Agrigente reste neutre. En 424, les cités belligérantes signent lapaix de Gela après l'appel à l'union sicilienne contre l'ingérence athénienne prononcé par le SyracusienHermocrate[25].
Mais les hostilités reprennent rapidement : Syracuse détruit Lentinoï en -422, puisSélinonte attaque Ségeste en-416[25]. Sous l'influence d'Alcibiade, pupille dePériclès, Athènes répond à l'appel de cette dernière. À ce moment de la guerre du Péloponnèse, la perte de l'Eubée, et la défection de nombreux alliés d'Athènes ont rendu ses approvisionnements en blé précaires. La perspective de couper ceux des alliés siciliens de Sparte, tout en conquérant de nouvelles sources de ravitaillement a pu être un élément déterminant. L'expédition de Sicile prend la mer sous le commandement deNicias, d'Alcibiade et deLamachos en juin-415. À peine en Sicile, Alcibiade doit retourner en Grèce et Lamachos est tué. Nicias reste seul à la tête de l'expédition contre Syracuse, défendu parHermocrate. Le renfort deGylippos, général spartiate, et d'une flottecorinthienne, fait perdre aux Athéniens la bataille des retranchements autour de la ville (octobre-414). Leur flotte est emprisonnée dans la rade et les secours commandés parDémosthène etEurymédon sont défaits en août-413 en mer à la bataille desÉpipoles, puis sur terre. Athènes perd plus de deux cents navires dans cette expédition, et cinquante mille hommes (dont sept mille prisonniers desLatomies de Syracuse).
Ségeste et Sélinonte poursuivent leur affrontement, la première se tournant en 410 vers Carthage qui missionne le généralHannibal de Giscon, lequel, en 409, réduit Sélinonte en cendres tuant 16 000 habitants et écrase Himère dont il faitimmoler 3 000 prisonniers. Il revient avec son petit-neveuHimilcon, conquiertAcragas abandonné par ses habitants réfugiés à Leontinoi en 406, puis Gela et Camarina en 405[24]. En réaction, Syracuse donne le pouvoir àDenys l'Ancien qui négocie une trêve avec les Carthaginois. Il reprend les hostilités contre les Phéniciens à trois reprises, notamment par le siège de Motyé en-397 dont il fait tuer la plupart des habitants, mais doit conclure untraité de paix par lequel les Carthaginois conservent, comme avant la guerre, le tiers occidental de la Sicile, comprenant Sélinonte et une partie du territoire d’Agrigente jusqu’au fleuveHalycos[24].
Les affrontements réguliers et ravageurs entre Carthage et les cités grecques n'empêchent pas la présence de marchands carthaginois à Syracuse et grecs à Motyé, mais surtout une diffusion culturelle grecque dans les cités puniques : elles frappent des monnaies de type grec à partir duVe siècle, Solonte est reconstruite selon un urbanisme et un habitat hellénique, des dieux grecs ont leurs temples à Motyé et même à Carthage, des vases grecs ornent les tombes puniques[26]…
Malgré ces conflits perpétuels au cours duVe siècle, les villes croissent, la population atteint probablement son maximum antique, autour de 1 300 000 habitants, de nouveaux temples sont érigés à Sélinonte, Agrigente, Syracuse, Himère et Égeste durant les 50 premières années, la céramique locale se développe dans les dernières décennies[24].
Denys l'Ancien fait de Syracuse une cité puissante, rayonnant sur l'essentiel de la Sicile, mais aussi sur la Calabre, laBasilicate et sur des cités de lamer Adriatique. Son fils,Denys le Jeune, lui succède en, rapidement renversé par son oncle,Dion, qui meurt trois ans plus tard, laissant la confusion à Syracuse et dans les autres cités et colonies qui en dépendent. Denys reprend le pouvoir jusqu'à être destitué par leCorinthienTimoléon, qui capture égalementMamercus de Catane, crucifié,Hippôn de Messine, torturé à mort,Hicétas deLentinoi, mis à mort[27]. Il s'impose également face aux Carthaginois, lors de labataille de Crimisos en-341. L'afflux d'immigrants d'Italie et de la Grande Grèce qu'il initie, entraîne un développement agricole de l'île et une prospérité qui se traduit par la construction de temples, de théâtres, édifices publics, fortifications[28].
Au retrait de Timoléon, les désordres reviennent[24]. L'avènement d'Agathocle à Syracuse réveille les conflits entre les cités siciliennes et contre Carthage, qui domine toujours une petite partie de l'île, l'épicratie carthaginoise[24]. Sa mort en laisse place à des tyrans locaux telPhintias d'Agrigente, qui détruit Gela pour 1500 ans mais échoue à s’emparer de Syracuse en 280[29]. À Messine, ce sont lesMamertins, anciens mercenairescampaniens etosques d'Agathocle qui deviennent maîtres de la ville[24].
Appelé par Agrigente, Syracuse et Léontinoi,Pyrrhus Ier, roi d’Épire et gendre d'Agathocle, conquiert l'ensemble de l'île, exception faite deLilybée, forteresse carthaginoise dont il doit lever le siège après deux mois en Reconnuroi de Sicile[29], il espère constituer ainsi un royaume unissant Grèce et Grande-Grèce pour égaler le pouvoir de Carthage et de Rome. Mais tandis qu'il cherche à constituer une grande flotte pour attaquer Carthage sur le sol africain, les Siciliens se retournent contre lui, préférant certains les Carthaginois, d'autres les Mamertins. C'est la fin de l'influence grecque sur la Sicile[24].
Après le départ de Pyrrhus à l'automne 276 et sa défaite face aux Romains àBénévent,Hiéron II, ultime tyran hellénistique de l'île, dirige Syracuse durant 54 ans et domine la Sicile orientale, dont il développe l'agriculture et les exportations agricoles vers l’Égypte puis Rome[30].
Ancien espace de luttes entre Grecs et Phéniciens, la Sicile devient à partir de un important enjeu stratégique et économique des deux premièresguerres puniques qui opposent Rome, conquérant de la botte italienne appelé par les Mamertins, àCarthage, largement implanté en Sicile mais aussi maître de la Sardaigne et de la Corse. Syracuse s'incline devant l'armée d'Appius Claudius Caudex en,Agrigente en -261, ses 25 000 habitants vendus comme esclaves par les Romains, qui font subir le même sort à presque autant d'habitants deCamarina et à 13 000 habitants dePanormos[31], pendant que lesSélinontins préfèrent raser leur cité et s'exiler à Lilybée en -241[32].La première victoire navale de l'histoire romaineà Mylae (-260), conduite parCaius Duilius, est doublée par celledu Cap Ecnome (-256), mais les Romains sont défaitsau large de Drépane et échouent face àHamilcar Barca à faire tomber les places carthaginoises de Sicile :Heircté,Éryx,Lilybée.La Sicile tombe finalement aux mains desRomains après la victoire du consulC. Lutatius Catulus en -241 auxîles Égates.Dès lors, Carthage abandonne la Sicile qui devient, en dehors de Messine et Syracuse, alliées de Rome préservant leur indépendance, la premièreprovince romaine, et la provenance principale du ravitaillement de Rome en céréales[33].
Hiéron II reste fidèle aux Romains pendant ladeuxième guerre punique, mais son petit-filsHiéronyme, également petit-fils de Pyrrhus, choisit en -215 le camp carthaginois, comme l'oligarchie qui prend place après son assassinat.Après une série de victoires d'Hannibal, le consulMarcus Claudius Marcellus reprend l'offensive en massacrant les habitants d'Enna, détruisantMegara Hyblaea,pillant Syracuse en -212, après deux ans de résistance grâce au génie d'Archimède, puisMarcus Valerius Laevinus vainc Agrigente.Les cités siciliotes disparaissent, Rome amorce son hégémonie méditerranéenne tandis que s'éteint la puissance de Carthage.Scipion se fait attribuer laprovince de Sicile qu'il réorganise et pacifie avant d'embarquer àLilybée à la tête d'une importante flotte pour vaincreCarthage aularge de Zama en-202[33].Toute la Sicile, y compris l'ancien royaume de Hiéron II, annexée à la province, est soumise à Rome[33], et pour la première fois administrativement unifiée[34].
Sous laRépublique, le gouverneur (consul oupréteur) dirige l'île depuis l'ancien palais royal de Syracuse, aidé par deuxquesteurs pour l’administration financière, l'un à Syracuse, l'autre à Lilybée.La fiscalité des cités dépend de leurs alliances lors des guerres puniques : alors queLentini,Megara Hyblaea (rasée) etMorgantina (repeuplée par des mercenaires espagnols) disparaissent politiquement[35] et que Syracuse, Lilybée et Éryx voient leurs territoires confisqués au profit du peuple romain (civitates censoriae), les alliées de Rome, Messine,Tauroménion etNeetum sont des cités fédérées, percevant leurs propresdîmes, mais soumises aux obligations militaires (civitates foederatae) tandis queCenturipe,Halaesa,Panhormus,Halyciae etSégeste, sont libres et partiellement exemptes d’impôts (civitates liberae et immunes).Les autres cités sont soumises à la dîme en nature (civitates decumanae), alimentant ainsi Rome en blé et en orge[36], mais aussi en fruits, légumes, olives et vin[37].Grâce au prélèvement d'un dixième des récoltes, la Sicile est alors, selon le mot deCaton l'Ancien,« le magasin aux vivres de notre République, le pays nourricier de la plèbe romaine ».« Par ses fournitures de cuirs, de tuniques, de froment, elle a vêtu, nourri, équipé nos armées », considèreCicéron.En effet, les Romains ont accru le peuplement rural et l'agriculture extensive se développe dans de vastes propriétés aux mains de puissants Romains, qui tirent profit à distance de l'essor de la culture du blé dans les plaines, et de l'élevage (chevaux, bœufs, moutons) dans les régions montagneuses[33]. Cependant, la petite et moyenne propriété reste majoritaire sous la République[38].
Parmi les 600000 à un million de Siciliens, les Romains ne sont probablement pas plus de 10 000[38]. Le nombre d'esclaves lui, s'accroit du fait des nombreux hommes et femmes vendus après la chute de Carthage et deCorinthe, et de la baisse de leur prix[39].Souvent désœuvrés et parfois affamés, se livrant au brigandage, ils engagent lapremière guerre servile (135-132) partie d'Enna avant d'essaimer dans toute l'île.Les esclaves menés parEunus et soutenus par le peuple des campagnes dont beaucoup partagent la langue grecque, résistent aux armées romaines[40].Quand le consulPublius Rupilius parvient à écraser la révolte, il privilégie la petite propriété et limite l’extension des latifundia qui deviennent toutefois la norme sicilienne.Unedeuxième guerre servile éclate en lorsque le Sénat affranchit une poignée d'esclaves.Athénion etSalvius Tryphon rassemblent 30 000 hommes qui ne se rendent qu'après quatre ans de lutte.Restés à l'écart de laguerre sociale et de laTroisième guerre servile, les Siciliens contestent en revanche le pouvoir de leur propréteur,Verres, qui instaure durant deux ans un système de fraude, de corruption, de justice arbitraire et de pillage, et qui s'enfuit en-70 àMarseille après la première plaidoirie de leur avocat,Cicéron, ancien questeur à Lilybée[33].
À la mort de César, qui a accordé ledroit latin à l'île en -46,Sextus Pompée, fils dePompée, s'oppose ausecond triumvirat en se rendant maître deMessine puis l'essentiel de l'île en-44. La Sicile devient sa base de résistance via un blocus sur l'approvisionnement en blé de la péninsule et le ravitaillement des armées dans les Balkans. Il négocie avec les triumvirs letraité de Misène en-39 qui reconnait sa souveraineté sur la Sicile, la Corse et la Sardaigne.Mais après deux tentatives infructueuses d'invasion en-38 et-37,Octave dépêche en-36Agrippa qui défait Sextus lors de laBataille de Nauloque, contraignant le vaincu à fuir en Orient[41].Le conflit laisse l'île désolée, des villes pillées, des populations déplacées, comme à Taormine, 6000 esclaves crucifiés, plus de 270 000 militaires stationnés[42].
Octave, en réponse au soutien des Siciliens aux Pompéiens, revient en-36 sur la promesse deMarc Antoine en-44 d'accorder la citoyenneté romaine à tous les hommes libres[36].Une nouvelle révolte d'esclaves, menée par Sélurus, livre la région de l’Etna au brigandage, jusqu'à la mort de leur chef, livré aux fauves à Rome en-35.
Aux prémices de l'Empire d'Octave, devenuAuguste en-27, la Sicile est l'une des dixprovinces sénatoriales[33].Des vétérans s'installent à Syracuse, Catane, Tauroménion et Tyndaris, et de grands domaines sont donnés à de hauts dignitaires et officiers fidèles. Auguste visite l'île en -22[33], et accorde le statut de colonie, donc decitoyen romain à leurs habitants, à ces quatre cités ainsi qu'àTermini et Panormos[43]. Lilybée et Agrigente reçoivent le statut demunicipe[44].
A cette époque, Strabon constate le dépeuplement des villes de l'intérieur se dépeuplent, tel qu'Enna depuis la défaite d'Eunus. Sur la côte est, Catane et Tauromenium ont également décliné, et au sud, la côte ne compte plus qu'Agrigente et Lilybée. Les campagnes, laissées aux bergers, deviennent les propriétés de riches Romains[45], dont des empereurs et des hommes d’État[33].L'agriculture sicilienne devient à l'intérieur des terres celle des vasteslatifundia dédiées à la monoculture céréalière qui marqueront défavorablement l'économie agricole de l'île jusqu'auXXe siècle[37], et ses rendements progressent grâce à la science, malgré la concurrence de l'Afrique et l’Égypte pour la fourniture du blé à Rome[33].Selon le témoignage deStrabon, la Sicile« exporte à Rome tous ses produits, sauf une petite quantité réservée pour sa propre consommation ; […] les fruits de la terre, mais aussi le bétail, le cuir, la laine, etc. »[45].Les marchandises transitent par deux routes romaines, laVia Valeria, de Messine à Lilybée, et lavia Pompeia, entre Messine et Syracuse.
Une éclipse politique marque l'île sous leHaut-Empire. Mais, profitant de la fin des conflits séculaires, les lieux de spectacle renaissent pour abriter les jeux de l’amphithéâtre, comme à Syracuse et à Tauroménion. Cités et campagnes s'agrémentent de villas, thermes, gymnases et nymphées. LaVénus Landolina et le sarcophage de Phèdre et Hippolyte de lacathédrale d’Agrigente témoignent de l'influence persistante de la culture grecque dans la sculpture sicilienne romanisée duIIe siècle, qui survit également par un trilinguisme (sicule, grec et latin)[33]. Syracuse et l'Etna attirent de la haute société romaine, à l'image de l'empereurHadrien en 125apr. J.-C.[46]. Les cités de l'ouest, comme Panormos, Lilybée, Termini etHéracléa Minoa, mais aussi Catane à l'est, se développent, et les villas rurales, à l'instar de lavilla de San Biagio puis lavilla del Casale, remplacent les nombreuses fermes[47]. Les maisons urbaines et les édifices publics conservent les traditions grecques.
L'édit de Caracalla accorde la citoyenneté romaine à tous les hommes libres de Sicile en 212[33].Mais laCrise du troisième siècle affecte la Sicile comme le reste de l'Empire : en 265, les esclaves se révoltent une nouvelle fois, et en 278, des pirates francs d'Orient ravagent Syracuse[33].Pourtant, la campagne sicilienne retrouve un important rôle d'approvisionnement de Rome, et la croissance démographique et économique qui en découlent, accentuée encore par la perte dudiocèse d'Afrique en 432.Lors de ladivision de l'Empire romain définitive en 395, la Sicile intègre l’Empire romain d’Occident[48].
Si l'apôtrePaul a séjourné trois jours à Syracuse, et que la tradition évoque comme évangélisateurs de la Sicile les évêquesMarcien,Pancrace, etBirille envoyés parPierre, il semble que leschrétiens n'apparaissent sur la côte est de l'île qu'auxIIe – IIIe siècles.Dans un pays traditionnellement ouvert ausyncrétisme religieux[49], les temples païens muent en églises, des sépultures collectives comme lacatacombe de Santa Lucia deSyracuse se constituent, des cultes de martyrs (Marcien de Syracuse,Agathe de Catane puisLucie de Syracuse) émergent[33], le monachisme apparaît après le passage deHilarion de Gaza[50].L’évêque de Syracuse assiste auconcile d’Arles en 313, et sa religion se diffuse rapidement dans toute l'île durant le siècle[33] jusqu'à sa christianisation totale à la fin duVe siècle, alliant subordination administration à l'Église romaine et influence liturgique orientale.Donatisme,pélagianisme,arianisme,nestorianisme etmonophysisme sont présents en Sicile sans s'y implanter, les évêques restant tous fidèles à la doctrine romaine[51].
Après leSac de Rome parAlaric, une partie de l'élite romaine se réfugie sur ses latifundia siciliens[52].LesVandales deGenséric débarquent àLilybée au printemps 440, assiègent vainement Palerme et pillent Syracuse. Retournés en Afrique, ils affrontent les troupes deMarcellinus etRicimer après la mort deValentinien III et prennent possession de l'île en 468, avant de la remettre en 476 àOdoacre, en conservant Lilybée jusqu'en 486[53].
Après l'Italie, lesOstrogoths conquièrent la Sicile en 491 et la laissent prospérer en paix, installant des soldats à Syracuse, Messine et Lilybée[53].
Byzance a soutenu Rome contre les Vandales par des opérations en 441, 458 et 468[54]. Le nouvelempereur d'Orient,Justinien, sur le trône en 527, s'engage dans uneopération de reconquête de l'Italie, menée par le généralBélisaire qui débarque àCatane en après avoir commandé l'expédition victorieuse contre les Vandales en Afrique du Nord. L'expédition sicilienne, justifiée par l'assassinat de la reineostrogothiqueAmalasonte, débute par l'occupation de la Sicile et laprise de Palerme par le port, seule place à montrer quelque résistance. L'île devient une base arrière des opérations militaires romaines contre l'Italie péninsulaire. Le roiostrogothTotila tente de reprendre l'île et la saccage en mai 550. Ses hommes en sont définitivement chassés par le généralArtabanès en 551[53].
Dirigée par ungouverneur civil (préteur ou préfet) et un commandant militaire (duc) envoyés deConstantinople, la Sicile, à laquelle sont rattachés les îlesÉgades,Éoliennes,Ustica,Pantelleria etMalte[55], semble avoir un statut particulier,« sorte de domaine privé de l’empereur » distinct de lapréfecture du prétoire d'Italie puis de l'exarchat de Ravenne[53]. Les villes demeurent la base de l'administration sicilienne, gérées par l'assemblée de citoyens que dominent les grands propriétaires[56]. Mais elles perdent de leur attrait et se dépeuplent au bénéfice de petites agglomérations rurales, voire desvillages troglodytes. Leslatifundia dominent toujours le système agricole qui, sous l'influence duchristianisme, utilise de moins en moins l'esclavage au profit d'une forme deservage (énapographoi) et desalariat libre (misthôtoi éleuthéroi)[53].
L'empereur byzantin et leséglises de Ravenne, Milan et de Rome sont les principaux propriétaires fonciers de l'île. L'estimation classique qui donne à la seuleÉglise de Rome la possession de six à huit cent mille hectares est contestée par Vivien Prigent, qui la rabaisse à quatre-vingt mille hectares[57]. Restée un grenier à blé auxVIe et VIIe siècles, la Sicile cultive aussi la vigne, produit grâce à ses pinèdes et des chênaies du bois pour les charpentes et la construction navale, élève des chevaux pour l'armée[58], et commerce du Proche-Orient jusqu'aubassin aquitain[59].
Sous l'autorité romaine d'Orient, l'évêque est déjà l'homme puissant de la cité[56], car l'île est rattachée à l’Église romaine à laquelle elle fournit plusieurs papes, souvent d'origine grecque :Agathon,Léon II,Conon,Serge Ier ouÉtienne III. Le futur papeGrégoire Ier, Sicilien par sa mèreSylvie, fonde en 575 six monastères sur des terres dont il a hérité près de Palerme[60]. La Sicile qui compte alors douze diocèses :Syracuse,Léontinoi,Catane,Taormine,Messine,Tyndarion,Palerme,Lilybée,Trokalis,Agrigente,Lipari,Malte, auxquels s’ajoutent auVIIe siècleThermai etMylae[56].
Le représentant dupatriarche de Rome est l’évêque de Syracuse. Les paroisses utilisent autant lerite romain quegrec, mais n'adhèrent pas auxdogmes chrétiens orientaux dumonothélisme ou de l'iconoclasme. Cependant l'empereurLéon III, par souci de faire face aux succès de l'islam et du monothélisme, décide d'adopter l'iconoclasme, forme plus épurée du christianisme et, face à la résistance de l'Église romaine en Sicile, confisque ses biens et rattache l'île aupatriarche de Constantinople en 732[53].
Même si lesparlers romans populaires progressent, la langue grecque était restée courante dans le sud de l'Italie et en Sicile[53], terres d'exil forcé ou choisi de Goths, de Romains, d'Africains, d’Alexandrinsmonophysites, de Syriens et de Grecs duPéloponnèse, et creusets culturels[56] dans lesquels latin et grec sont couramment compris par beaucoup d'habitants[53]. L’hellénisation s'accentue auVIIe siècle sous l'effet de migrations orientales et de nominations impériales, mais aussi du retour au premier plan de la minorité grecque sicilienne et du développement dumonachisme grec autour dumonastère Saint-Philippe d'Agira[61]. Les hellénophones occupent des dignités religieuses et prévalent dans les monastères de Syracuse, puis s'imposent dans les chancelleries épiscopales siciliennes à la veille de l'application durite byzantin sur l'île[56], décision qui finit par y assoir la primauté de la culture grecque[53].Joseph l'Hymnographe et les patriarchesMéthode Ier de Constantinople etOreste de Jérusalem figurent parmi les siciliens de l'Église d'Orient. Pourtant, les locuteurs grecs semblent diminuer à l'époque deGrégoire le Grand où l'hellénisme ne persiste qu'autour de Syracuse[61]
L'empereurConstant II installe la capitale de l'Empire àSyracuse en 663, possiblement pour mieux lutter contre lesLombards et les Arabes[61], mais au prix d'une forte imposition des Siciliens[62]. Son fils,Constantin IV, ramène son administration centrale à Constantinople et vainc l'usurpateurMezezios et son fils en Sicile.
Sous le premier règne deJustinien II, la Sicile est érigée enthème (après 687), lequel comprend leDuché de Calabre, et est divisé sur l'île en trois ou cinq « tourmes » (Syracuse, Palerme, Agrigente, voire Messine et Catane) et en « drongues ». La Sicile devient uneprovince ecclésiastique dont lemétropolite coordonne depuisSyracuse les quatorze évêchéssuffragants : Catane, Taormine, Messine, Agrigente, Triokala, Lilybée,Drépanon, Palerme, Thermai,Cefalu,Alesa,Tyndarion, Malte et Lipari. Catane accède plus tard au statut d'archevêché, puis de métropole, comme ensuite Messine, alors que Taormine devient archevêché[56].
La civilisation rurale se développe au détriment des villes à la faveur de la mutation de l'armée, dont les soldats ne sont désormais soldés qu'en service et sont paysans le reste du temps. Des villages fortifiés, lescastra, permettent de se protéger des premiers raids arabes[63]. L'île compte deux ateliers monétaires à Catane et Syracuse, ce dernier étant le plus important de l'Empire après celui de la capitale[60].
Descommunautés juives existent à Palerme, Agrigente et Catane depuis leVIe siècle. Les premiers marchands arabes s'établissent en Sicile au début duIXe siècle[56].
Serge, stratège de Sicile, fait proclamer empereur un certain Basile sous le nom deTibère en 718, mais est rapidement démis par le patrice Paul dépêché par l'empereur légitime, Léon III. En 782,Elpidius, gouverneur de la Sicile, s'oppose au pouvoir de l'impératriceIrène et fuit vers lecalifat abbasside où il se proclame empereur byzantin[53]. En 827, c'estEuphémios, amiral de lamarine byzantine de Sicile qui se révolte contreMichel II et se proclame empereur : il demande l'aide des Arabes qui conquièrent la Sicile alors que lui meurt en assiégeant Enna[61].
La vitalité démographique et économique de l'île décline à partir du milieu duVIIIe siècle, sous l'effet de la peste (tardivement, en 745-746), du renforcement de la route commercialeadriatique au détriment de latyrrhénienne, des changements géopolitiques de l'Empire et desrazzias arabes[60].
L'invasion arabe soumet mais n'extermine pas les chrétiens : la hiérachie et de nombreux moines basiliens fuient enCalabre[61], et le primat de Sicile est assumé par le métropolite deReggio[56].
Lesrazzias arabes sur les côtes siciliennes commencent dès leVIIe siècle, à partir de l'attaque des côtes et des terres en 652 par les hommes ducalifeOthmân ibn Affân et du pillage de Syracuse en 669. Après la prise dePantelleria en 700[64], elles se poursuivent par des attaques en 704 puis entre 727 et 740[65], quand les musulmans assiègent Syracuse[66].
Les raids reprennent au début duIXe siècle, et l'émiraghlabide Ziadet-Allah deKairouan dépêche son câdiAssad ibn al-Furat à la tête d'une armée à la demande du rebelle byzantinEuphèmios. Il est probable que l'objectif initial des faqîh de Kairouan d'un simple raid de représailles ait été détourné par la volonté d'Assad de conquérir l'île[67], lequel troque l'expérience militaire contre une glorification dudjihad[68]. LesAghlabides débarquent àMazara del Vallo en 827, prennentMineo etAgrigente mais échouent à faire tomberSyracuse, devant laquelle meurt Asad, etEnna, où est tué Euphémios. Grâce à l'appui de 300 vaisseaux envoyés par lesOmeyyades de l'émirat de Cordoue en 830, Palerme tombe en 831 aux mains des musulmans qui en font leur capitale. Messine est prise en 842 ou 843, Enna en 859, Syracuse en 878 à l'issue d'un siège de neuf mois,Taormine en 902[66],[65],Rometta en 965[61]. Après un siècle et demi de conquête, les musulmans dominent enfin toute la Sicile[65].
La Sicile passe, en 916, sous contrôle desFatimides[65] conquérants de l'Afrique du Nord appuyés par lesKabyles de la tribuKutâma. LesKalbites des Banû Abî l-Husayn en deviennent les émirs héréditaires quasiment indépendants jusqu'en 1040[66].
Moyennant le paiement de ladjizîa (impôt par tête) et dukharâj (impôt foncier augmenté), les juifs et chrétiens bénéficient d'une relative tolérance religieuse par le statut dedhimmi et sont exemptés de service militaire conformément à lacharia[66] : selonMichele Amari,« il est interdit au dhimmi de porter les armes, de monter à cheval, de mettre des selles sur les ânes et mulets ; de construire des maisons plus grandes ou même aussi grandes que celles des musulmans ; de porter des prénoms musulmans ou d'utiliser des cachets avec le lettrage arabe. Par ailleurs, il leur était interdit de boire du vin en public, d'accompagner leurs morts au cimetière avec la pompe funèbre et les lamentations. Il était interdit aux femmes d'entrer dans les bains publics fréquentés par les femmes musulmanes, ou de rester si des femmes musulmanes arrivaient. Et afin qu'il n'oublie à aucun moment son statut inférieur, le dhimmi devait inscrire sur sa porte une marque distinctive, porter également un signe distinctif sur ses vêtements, utiliser des turbans avec une couleur distincte et surtout porter une ceinture en cuir ou en laine. Dans la rue, ils devaient laisser le passage aux musulmans. S'ils étaient assis en groupe, ils devaient se lever à l'arrivée ou au départ d'un musulman. [Était interdite] la construction de nouvelles églises et monastères, mais non la restauration des bâtiments, […] de montrer des croix en public, de lire l'Évangile si fort que les musulmans pourraient l'entendre, de parler avec eux du Messie ; ou de faire sonner les cloches vigoureusement ou de frapper dans les mains bruyamment. »[69]
AuxXe et XIe siècles, de nombreuxcolons arabes etberbères s'installent, principalement dans leVal di Mazara, pour fuir les conflits et les famines d'Afrique du Nord. La rivalité entre ces deux peuples les amène majoritairement à s'installer dans deux zones distinctes : les premiers à Palerme, les seconds à Agrigente. Des musulmans arrivent également d'Espagne, de Syrie, voire de Perse et d'Inde, créant une hétérogénéité et des tensions[70]. L'ouest de l'île compte de nombreux convertis, l'est demeure majoritairement chrétien mais la relation avec Rome ou Constantinople est coupée[71].
La Sicile connaît alors une certaine influence orientalisante dans la musique, la cuisine, les arts décoratifs et l'artisanat céramique. Les fouilles (Ségeste, Palerme, Val di Noto) prouvent une continuité de l’habitat, de l'urbanisme et de l'artisanat entre les périodes romaine d'Orient et musulmane[72]. L'incastellamento concentre la population dans une centaine de villes fortifiées, dotées d'un château et d'une mosquée[73].
L'introduction duchiisme comme religion d’État[72] accentue cette influence. Les filles nées des mariages mixtes qui se multiplient, sont élevées dans la religion chrétienne, les garçons dans l'islam. Une langue arabo-sicule se forme et donnera ausicilien un lexique de termes agricoles[71].
Un renouveau agricole permet l'émergence d'une classe rurale des petits propriétaires libres née du morcellement partiel deslatifundia à l'Ouest[73]. L'irrigation est améliorée et de nouvelles cultures (mûrier,canne à sucre,oranger,palmier dattier,coton[66],aubergine, épinard, fraise, artichaut,abricotier[73],papyrus,melon,pistaches,henné) sont introduites. Les industries minière et textile avec la soie se développent selon le modèle économique des principautés d'Orient : production agricole destinée au marché et au palais, en particulier le coton, la soie et les produits de luxe. Les Arabes ayant la maîtrise de la Méditerranée, la Sicile est au centre d'un système commercial maritime allant de l'Espagne à la Syrie, et Palerme surpasse l'antique Syracuse comme port commercial fréquenté par les marchands méditerranéens[74].
Au début duXIe siècle, débute une grave crise politique. En 998, l'émir de Sicile, Youssouf al-Kalbi nommé par le calife fatimide du Caire, est atteint d'une hémiplégie. Affaibli, il est secondé par son fils Dja'far qui est contesté en 1014-1015 par son frère, Ali, soutenu par les Berbères et les esclaves noirs. Les soldats de Dja'far attaquent les rebelles le 30 janvier 1015, font de nombreuses victimes et capturent le prince Ali, exécuté sur ordre de son frère qui exile tous les Berbères de Sicile en Ifriqiya et massacre tous lesesclaves noirs. Il n'incorpore plus que des Siciliens dans son armée qui s'émousse[75].
Face aux dîmes trop fortes et au pouvoir de leurs dirigeants, les Siciliens assiègent le palais de l'émir, en mai 1019, qui démet Djafar au profit d'un autre de ses fils, Ahmad al-Akhal, et rejoint l’Égypte après Dja'far. Al-Akhal soutient une politique militaire contre les infidèles hors de l'île et s'allie les Ifriqiyens de l'île contre les Siciliens, les exonérant d'impôts sur leurs propriétés. En 1035-1036, les musulmans siciliens vont à Kairouan se plaindre auprès de l'émir zirideAl-Muizz ben Badis et se placer sous son autorité directe, menaçant de livrer le pays aux chrétiens. Al-Mu'izz envoie son fils 'Abd Allah, qui assiège al-Akhal dans la Khalisa de Palerme. Mais une partie des Siciliens se retourne contre les Zirides qui, battus, perdent huit cents hommes. Hasan al-Samsam, frère d'al-Akhal, devient gouverneur mais est rapidement expulsé de Palerme quand des caïds indépendants prennent le pouvoir dans les cités de l'île : 'Abd Allah b. Menkut à Mazara, Trapani et autres lieux ; 'Ali b. Ni'ma ou Ibn al-Hawwas à Castrogiovanni, Agrigente et autres lieux ; Ibn al-Thimna, époux de la sœur du précédent, à Syracuse et à Catane… Ibn al Thimna assiège son beau-frère à Castrogiovanni mais doit se retirer jusqu'à Catane[75]
Les Romains d'Orient profitent de ces querelles dynastiques pour lancer, en 1037, une nouvelle expédition de reconquête qu'ils confient au généralGeorges Maniakès. Appuyés par 15 000 chrétiens siciliens et des mercenairesnormands prêtés par le prince lombardGuaimar IV deSalerne, ils prennent Messine et plusieurs places autour de l'Etna. Mais le rappel du général Maniakès à Constantinople permet aux Arabes de regagner en 1042 toutes les places perdues[76].
Une fratrie de hobereaux normands, fils deTancrède de Hauteville, se constitue dans l'Italie méridionale lecomté d'Apulie puis étend son pouvoir sur laCalabre. Avec l'onction du papeNicolas II, le comteRobert, dit Guiscard, investi duc de Pouille, de Calabre, et de la Sicile à conquérir, et son frère cadetRoger, envahissent l'île pour la reprendre aux Arabes[77], profitant de la demande d'assistancede l'émir Ibn-At-Tumnah, de Syracuse contre celui d'Agrigente, Ibn-At-Anwas.

Laconquête normande de la Sicile se fait en une trentaine d'années (1060-1090). Roger prend la tête de l'expédition. Après Castrogiovanni (1060) etMessine (1061), il maitriseTroina puis l'ensemble deVal Demone après labataille de Cerami, etCatane[78]. En 1072, après six mois de siège, Palerme se livre aux Normands. Malgré leur rivalité, les deux frères se partagent le pouvoir : Robert est duc de Pouille et de Calabre, Roger est grand-comte de Sicile, autonome malgré la souveraineté de son frère[77] qui conserve la suzeraineté sur Palerme, la moitié de Messine et le Val Demone[79]. Retardée par le manque de moyens humains et financiers et par les interventions de Roger en Calabre lors de la campagne byzantine de Robert, la conquête normande se conclut par les prises deTrapani (1077),Taormine (1079),Syracuse (1085),Agrigente etCastrogiovanni (1086) etNoto (1091)[79].
Roger développe son pouvoir jusqu'à être à sa mort, l'un des hommes les plus riches et puissants d'Occident. Il fait de la Sicile un état indépendant, pour la première fois depuis la conquête romaine et contraint le pape à le nommerlégat apostolique (1098)[77]. Après la mort de Robert, son fils,Roger Borsa livre à son oncle l'essentiel de ses possessions siciliennes puis des droits sur les cités calabraises, contre son soutien militaire sur le continent[80]. Roger instaure un régime de tolérance religieuse pour les musulmans qui conservent des lieux de cultes et leurs tribunaux[78]. À sa mort, en 1101, sa troisième femme, la reineAdélaïde assure la régence et transfère la cour deMileto à Palerme en 1112[81].
Déclaré majeur en 1112, à dix-sept ans, le fils du Grand comte,Roger II, cherche à étendre encore son pouvoir en Italie face à l’empereur d’Allemagne et la papauté soutenus par les rois chrétiens, et en Méditerranée contre les républiques marchandes italiennes et Byzance. Après la mort de son cousinGuillaume d'Apulie (1127), il obtient la suzeraineté sur la Calabre et les Pouilles et fait ériger l'île enroyaume féodal, reconnu par une bulle de l'antipapeAnaclet le et est couronné à Palerme le jour de Noël suivant[81]. Homme de guerre autant que diplomate, il attaque les Arabes sur leurs terres, conquérant l'Ifriqiya jusqu'àKairouan[77].
Roger II poursuit la politique centralisatrice de ses prédécesseurs et renforce le pouvoir royal appuyé par leParlement, initié par son père en 1097, mais véritablement institué en 1130. Légitimé « roi de Sicile, du duché de Pouille et de la principauté de Capoue » par le papeInnocent II en 1139, il organise lesAssises d'Ariano de 1140 qui tempèrent leféodalisme, introduit par les Normands, par des influencesthéocratiques byzantines, s'appuyant sur une puissante administration royale[77].
Les campagnes s'organisent autour de trois types d’habitats ruraux :« les grosses agglomérations fortifiées disposant d’une administration particulière ; un habitat intermédiaire (terra), souvent fortifié ; les petites localités ouvertes et sans aucune autonomie (casal) »[82].

Admirateurs de la culture islamique, les rois normands mettent en place une politique tolérante et libérale, basée sur une administration cosmopolite : elle rassemblait des Grecs, desLombards, des Français, desAnglais, des Arabes, desJuifs. L'île connut une période de prospérité, notamment dans l'agriculture héritière des cultures méditerranéennes traditionnelles et de celles introduites par les musulmans. Se développe aussi un artisanat du luxe, porté par les intenses échanges qui font de la Sicile l'un des maîtres du contrôle maritime méditerranéen et transformentPalerme etMessine en centres commerciaux internationaux. La légitimité royale et la coexistence pacifique des communautés s'appuient sur cet enrichissement partagé, dont témoignent les légendes des monnaies siciliennes, en arabe, grec et français[77].
Ce syncrétisme se retrouve dans le mode de vie orientalisé des princes, dans les palais arabes agrémentés de jardins et de fontaines, hébergeant des harems, protégés par des gardes africains et habillés d'étoffes luxueuses que les ateliers royaux ornent de fils d'or, de perles et de pierres précieuses à la mode byzantine. L'art de cette époque combine pareillement les apportsromans,islamiques etgrecs. Pour rivaliser avec la cour de Byzance, les souverains normands allient au modèleroman de labasilique à trois nefs avec absides, les éléments architecturaux arabes (coupoles « en bonnet d’eunuque »,arc outrepassé,muqarnas, motifs…) et les mosaïques byzantines[77].
Comme lestyrans antiques, ils accueillent autour d'eux des artistes et intellectuels d'Europe et d'Afrique, dont le plus célèbre estAl Idrissi[77]. Pour autant, la Sicile retrouve le giron occidental sous le règne des Hauteville, qui dominent Sicile et Mezzogiorno selon une organisation féodale, s'allient par des mariages aux grandes familles d'Europe, font venir des conseillers de France et d'Angleterre, importent lecycle carolingien.
Fidèles aurite romain, malgré des oppositions régulières auxpapes dont ils sontlégats apostoliques nommant les évêques siciliens, ils encouragent la diffusion de l'ordre bénédictin, mais soutiennent également l'ordre de saint Basile dans leur reprise en main de l’Église grecque sicilienne en s'appuyant surBarthélémy de Simeri, tout comme ils construisent de nouvelles mosquées[77]. Face aux revendications desempereurs germaniques sur l'héritage romain en Italie, les souverains normands apparaissent durablement comme un contre-pouvoir pour les papes[81].
Georges d'Antioche mène pour Roger II une politique expansionniste en occupant, entre 1146 et 1149, Tripoli, Mehedia, Sfax, Suse, Corfou, Thèbes et Corinthe.
À Roger II, succèdent deux Guillaume, son fils , qualifié de « Mauvais », et son petit-fils, dit « le Bon ».Guillaume Ier (1154-1166), grand bâtisseur orientalisé, peine à s'imposer face aux émeutes populaires mais maintient la prospérité de la Sicile[77]. Il délègue une grande partie du pouvoir àMaion de Bari, chancelier de son père, qu'il nomme « Émir des Émirs » et qui est assassiné en 1160 par uneconspiration de barons. Des pogroms visant les musulmans et l'agitation menée par ses vassaux affaiblissent le pouvoir royal[81]. Toutes les possessions en Afrique sont perdus entre 1159 et 1160.Guillaume II (1166-1189), après une régence de cinq ans de la reineMarguerite de Navarre conseillée par le francÉtienne du Perche comme chancelier jusqu'à son éviction en 1168[81], et durant laquelle s'affrontent seigneurs et fonctionnaires, restaure l'ordre, en s'inspirant de son grand-père, élève certains chefs-d’œuvre de l’architecture romane sicilien, tel lacathédrale de Monreale en 1178, mais se perd dans sa tentative de conquête du trône deConstantinople[77]. Cherchant des appuis pour ses aventures militaires et sans descendance directe, il s'allie aux empereurs germaniques, donnant sa tante,Constance de Hauteville, fille de Roger II, en mariage à l'empereurHenri VI en 1186.
Quand Guillaume II meurt sans descendance, cinq années de troubles déchirent le royaume entre les partisans du prétendant germanique et ceux deTancrède de Lecce, fils bâtard du princeRoger III d'Apulie, fils aîné du roiRoger II. Tancrède est fait roi sans parvenir à s'imposer et de nouvelles violences contre les musulmans s'expriment dans le royaume[81]. Après la prise de Messine le parRichard Cœur de Lion, en route pour les croisades avecPhilippe Auguste, il doit signer en un traité dans lequel les rois d'Angleterre et de France le reconnaissent roi légitime de Sicile contre la libération de Jeanne, veuve de Guillaume II et sœur de Richard, le versement de son héritage et le remboursement de sa dot. Tancrède doit également faire d'importantes concessions à la papauté dont la renonciation à la légation apostolique[83].
Quand Tancrède meurt, son filsGuillaume III encore enfant monte sur le trône.Henri VI envahit l'île grâce à l'appui de Gênes et de Pise, défait les derniers barons fidèles près de Catane, et prend Palerme où il impose au jeune roi de lui remettre sa couronne lors d'une cérémonie àNoël 1194[77], établissant sa souveraineté dans le sang, en faisant crever les yeux et émasculer l'enfant de huit ans qui disparaît ensuite dans les prisons impériales, en tuant les barons normands, en déterrant les dépouilles de Tancrède et de son fils aîné pour les décapiter et en dérobant tous les trésors de la cour de Palerme pour les envoyer en Allemagne[84]. La dynastie des Hauteville disparaît de Sicile. Leurs intérêts sont par la suite défendus par le gendre de Tancrède,Gautier III de Brienne, avec l'appui du PapeInnocent III.

Une conspiration contre le nouveau souverain est ourdie en 1197, avec le soutien de la reine, visant à couronner Guillaume Monaco, seigneur de Castrogiovanni. Les rebelles sont écrasés et tués[85].Henri Ier de Sicile meurt en 1197, sa femme Constance, un temps régente, le suit l'année suivante[81]. Au décès de sa mère,Frédéric II est placé sous la tutelle du papeInnocent III qui confie à un collège composé de prélats et du chancelierGauthier de Palear, évêque de Troia[86], la destinée de l'île durant les dix ans de sa minorité, marquées par la révolte des musulmans et les luttes entre Allemands et alliés du Pape[81].Markward d’Anweiler revendique également la régence et la tutelle avec le soutien dePhilippe de Souabe, roi de Germanie, et capture Frédéric auCastello a Mare de Palerme en novembre 1201, devenant dès lors régent quelques mois jusqu'à sa mort en 1202, un autre seigneur allemand,Guillaume Capparone, lui succédant comme régent et gardant Frédéric au palais royal de Palerme jusqu’en 1206[86].
Frédéric fait valoir sa majorité en 1208, et part en Allemagne en 1212 pour se faire élire empereur[81], laissant le gouvernement d'une île qui se déchire à sa femme, Constance d'Aragon, puis àGautier de Palear[87]. Lors de son couronnement, en àRome, parHonorius III, il porte des habits impériaux et le manteau de couronnement de son grand-père maternelRoger, reçoit la couronne deCharlemagne ainsi que le glaive, le sceptre et le globe[86]. En décembre, les assises de Capoue qui restaurent la loi normande, annulent les concessions ultérieures à 1198 et révoquent les privilèges et concentrent les pouvoirs et les terres dans les mains du monarque[86]. Onze ans plus tard, lesConstitutions de Melfi achèvent la centralisation de l’État. Le royaume de Sicile est divisé en deux provinces, l'une continentale, l'autre insulaire, elle-même partagée entre deux chefs-lieux, Messine et Palerme[88].
Une fois couronné empereur, Frédéric II passe peu de temps en Sicile : entre l'automne 1221 et le printemps 1225, avec de nombreux séjours sur le continent, puis entre et.Palerme perd son rôle de capitale, l'empereur préférant laCapitanate à la Sicile, etMessine à Palerme. La période souabe ancre la Sicile en périphérie du continent plus qu'au traditionnel bassin méditerranéen[89]. La monoculture céréalière extensive retrouve son importance, l'économie stagne, la population baisse à guère plus d'un demi million, la fiscalité s'accentue[90].
Il constitue un réseau de forteresses, châteaux forts le plus souvent carrés, comme les châteauxd'Ursino,Maniace, d'Augusta etMilazzo[91].
Comme ses ancêtres normands, il appelle des intellectuels et des artistes à sa cour, devenue itinérante, dans laquelle nait l'École poétique sicilienne. Messine devient un important centre de traduction d'arabe en latin, dont les œuvres d'Avicenne[92]. En 1221, l'empereur oblige les juifs à porter une roue rouge[93],[Note 1]. Il met fin en revanche à la coexistence entre chrétiens et musulmans, lesquels se rebellent contre le pouvoir royal depuis les derniers rois normands et attaquent les chrétiens depuis l'ouest montagneux, en les déportant àLucera dans les Pouilles après la prise de la forteresse duMonte Iato en 1222[94]. Le déplacement forcé de populations est une des armes privilégiées de Frédéric II pour punir les villes frondeuses (Centuripe etCapizzi), peupler ses fondations (Augusta etGela)[95] ou repeupler des cités (Palerme,Corleone). Il fait brûler en Martin Bellono, meneur des troubles qui agitent Messine puis Catane, Syracuse et Nicosie[96]. Les derniers bastions de résistance musulmane tombent en 1246[81].
Frédéric meurt en 1250, son fils ainéConrad IV de Hohenstaufen lui succède comme roi et empereur. Mais le pape, adversaire invétéré, propose le royaume de Sicile àRichard de Cornouailles puis investitEdmond d'Angleterre, sans parvenir à les imposer. Conrad restitue le patrimoine et les libertés des Églises et permet au pape de nommer des nouveaux évêques fidèles au partiguelfe, ainsi qu'un légat, Roger de Lentini puis Rufin de Plaisance. De plus, le pouvoir impérial reste affaibli par un mouvementcommunaliste, soutenu parInnocent IV , qui s'étend entre 1251 et 1257 dans le Mezzogiorno.Messine et des villes peuplées de Lombards duMontferrat vers 1100 (Polizzi,Nicosia,Mistretta,Castrogiovanni,Piazza,Vizzini etLentini) se proclament enmunicipalités autonomes. Palerme se livre au légat du pape, Rufin de Plaisance, et signe un traité d'alliance avecCaltagirone. En réponse, Conrad IV concède des exemptions aux marchands messinois àAcre et renonce à l'impôt annuel dans lesNova Capitula de Foggia en 1252, accorde des faveurs auxmassari de Palerme en 1254. Manfred confère aux Palermitains le privilège d'être jugés dans leur cité en 1258[81].
L'aristocratie sicilienne conteste le contrôle impérial de l'Allemand Conrad[81], lui préférant le plus italienManfred, fils légitimé de Frédéric II que son père avait nommé vicaire du royaume d'Italie et de celui de Sicile. Les Sanseverino, les Fasanella, les Lentini, les Oria, les Gesualdo, les Anglone sont exilés et grossissent les rangs pontificaux[81].

Conrad meurt en 1254, laissant la régence à Berthold de Hohenburg, au nom de son filsConradin. Mais Manfred prend le pouvoir. En dépit de l'hostilité du pape Innocent IV et d'une opposition interne incarnée par le maréchalPietro Ruffo à Messine et Berthold de Hohenburg, qui rejoignent le camp pontifical, Manfred parvient sans difficulté à s'imposer sur l'île[81]. Ses partisans, menés par son oncle Frédéric Lancia, détruisent Trapani, vident des cités rebelles de moitié et reprennent aux Pontificaux Palerme où il se fait couronner roi le[97]. Il conquiert la même année la forteresse deBerat, puisCorfou et la côte méridionale de l’Albanie par son mariage avecHélène Ange Doukas, fille du despote d’ÉpireMichel II Doukas[98]. Comme les Hauteville, il vise la conquête deConstantinople[98]. L'union de sa fille,Constance, née d'une première union, avec le futurPierre III d'Aragon en 1262, prouve un prestige européen quasi-intact du roi de Sicile[81].
Comme son père, il vit sur le continent, àNaples etLucera, et se rend peu sur l'île[99]. Il réorganise l'administration du royaume et dote ses parents (Lancia, Agliano et Semplice, Antiochia) et ses fidèles (Maletta, Manfredi, Federico et Niccolò, Enrico di Sparavaira, Enrico Ventimiglia, Tommaso d’Aquino et Filippo Chinardo) d'une quinzaine de nouveaux comtés. En Sicile notamment,Butera,Paternò etArgirò échoient à Galvano,Cammarata àManfredi. Il nomme également des proches aux hautes charges militaires et judiciaires, au moins jusqu'en 1262[81].

Continuateur de la politique pontificale anti-Hohenstaufen d'Innocent IV etAlexandre IV,Urbain IV offre la couronne de Sicile au frère du roi de FranceLouis IX,Charles Ier d'Anjou, sacré le hors de l'île. Le, ce dernier sort vainqueur de labataille de Bénévent lors de laquelle Manfred perd la vie[81]. Lesgibelins fuient vers l'Afrique, le nord de l'Italie et l'Espagne. D'autres résistent àPhilippe II de Montfort et en Sicile, seul Messine cède aux Angevins[100]. En réponse à la tentative deConradin de reprendre le royaume de son père par le nord de l'Italie, la Sicile se soulève contre les Angevins qui ne maitrisent que Palerme et Messine[101]. Mais Conradin est défait à labataille de Tagliacozzo le. Fuyard, il est trahi et livré à Charles d'Anjou qui organise un procès fantoche et le fait décapiter en place publique à Naples le, marquant la fin desHohenstaufen[102]. Débute une lutte de plus de trente ans entre les maisons d'Aragon etd'Anjou pour la domination de laSicile.
Après la victoire deCharles d'Anjou sur Conradin, le maréchal Guillaume Ier de Beynes dit l'Estendart, demi-frère dePhilippe Ier de Montfort, punit dans le sang les cités qui ont résisté commeAugusta, tandis que l'Église de Rome présente les nouveaux maîtres de l'île comme les restaurateurs de l'ordre juste de l'époque deGuillaume II[102]. Or, par les fiefs distribués aux Français, la collecte forte de l'impôt, l'asphyxie économique intérieure par les monopoles royaux et les privilèges accordés aux banquiers, notamment florentins, l'annulation des lois et dons postérieurs à 1245, Charles d'Anjou provoque le mécontentement des Siciliens[103].
Malgré une domination militaire et administrative des Français etProvençaux[81], les guelfes sont faibles et le partigibelin subsiste en Sicile comme dans le Mezzogiorno[81]. Les vieillies familles de l'époque normande et souabe sont éliminées ou s'exilent vers l'Aragon, mais les grands aristocrates français privilégient Naples, nouvelle capitale du royaume au détriment de Palerme, où fleurit la petite noblesse[104]. En rejoignant son frère à Tunis pour lahuitième croisade, il se rend en Sicile pour l'unique fois en 15 ans[105]. Il obtient le titre de roi d’Albanie en 1272, aspirant comme Manfred, d'attaquer Constantinople[98].
Délaissée par ses dirigeants, la Sicile s'appauvrit. Le, le jour dePâques, les Palermitains puis lesCorleonais se rebellent contre les forces françaises. Les communes libres se créent pour instaurer laCommunitas Siciliae sur le modèle de laLigue lombarde en cherchant la protection papale, affiliée au parti guelfe[104]. Pourtant, lesvêpres siciliennes signent la fin de la domination angevine sur l'île qui se donne au parti gibelin dePierre III d'Aragon, lequel s'était entouré des SiciliensJean de Procida,Conrad Lancia etRoger de Lauria, et débarque en août[81]. Mais le soulèvement ne s'étend pas au-delà du détroit de Messine[81].
Promettant de conserver les deux couronnes séparées à sa mort, Pierre laisse en Sicile son fils puiné,Jacques, sous l'égide de la reineConstance, de Jean de Procida, Roger de Lauria etAlaimo di Lentini[106]. Comme Charles d'Anjou et le papeMartin IV, Pierre d'Aragon meurt en 1285. Jacques lui succède comme roi de Sicile, puis hérite du royaume d'Aragon de son frère aîné,Alphonse, et nomme son frèreFrédéric lieutenant général dans l’île[81].
Opposé autraité d'Anagni voulu par le papeBoniface VIII, pour la restitution de l'île auxAngevins de Naples, Frédéric est élu par le Parlement roi de Sicile le 11 décembre 1295 et couronné en la cathédrale de Palerme le 25 mars 1296[81]. Il se retrouve donc face à une coalition regroupant Angevins, Pape, Français et son frère :Robert de Naples prend durablement Catane, puis Jacques échoue devant Syracuse,Philippe de Tarente est défait en octobre 1299 sur la côte occidentale,Charles de Valois s’empare deTermini mais bute surSciacca[107]. LaPaix de Caltabellotta en 1302 officialise Frédéric roi de la Sicile insulaire[81], et acte pour un siècle la séparation politique entre les Angevins de Naples et les Aragonais de Palerme, provoquant l'appauvrissement économique des Siciliens et leur isolement culturel de laPré-Renaissance italienne[108], mais aussi la division administrative jusqu'en 1816 entre les royaumes deTrinacrie etde Sicile citérieure[109].
La guerre reprend lorsque Frédéric associe son filsPierre au trône en 1321. Fidèle au gibelinisme, il soutientLouis de Bavière dans sa campagne italienne contre le pape en 1326-1327[81] comme il a appuyéHenri VII du Saint-Empire. Influencé parArnaud de Villeneuve, il soutient également lesfranciscains spirituels[110]. L'état de guerre favorise les barons et appauvrit le peuple[111]. Le parti francophile s'étend à Messine par aspirations commerciales, chez les barons par intérêts particuliers et parmi la population par rejet des années de conflits. Alors qu'au nord de l'Italie le régime féodal régresse, les grandes familles italiennes et catalanes prennent de plus en plus d'indépendance jusqu'à concurrencer la puissance politique et judiciaire du roi, à l'instar desVentimiglia (seigneurs de Trapani et Geraci),Chiaramonte (fortement possessionnés à Palerme),Moncada (propriétaires en Sicile et de toute l'île de Malte),Peralta (it) (comtes de Caltabellotta et grands amiraux…)[112]…
Après la mort de Frédéric àPaternò, le conflit se poursuit durant les cinq années du règne de son fils, Pierre, qui meurt à son tour le 13 août 1343 àCalascibetta. Son filsLouis n'a que 5 ans. Sa mère,Élisabeth de Carinthie, et son oncle,Jean de Randazzo, gouvernent l'île. Mais lapeste noire se déclare en 1348 à partir d'un navire génois revenu d'Orient, et frappe la région[113], qui compte 250 000 habitants[114], comme l'ensemble de l'Europe. Le régent en meurt en 1348, Louis en est victime à son tour en tout comme, peu de jours après, sa sœurConstance, régente après la mort de leur mère. Leur frère,Frédéric le Simple, reçoit la couronne sicilienne, et leur sœurEuphémie, la régence jusqu'à la majorité du roi, en 1357. Il règne sur une population exsangue et une noblesse fracturée entre les « Catalans », emmenés par les Ventimiglia, fidèles au roi, et les « Latins », menés par les Chiaramonte, partisans des Angevins de Naples avec lesquels ils attaquent la côte méridionale de l'île[113]. Frédéric négocie une paix avecJeanne Ire de Naples en 1372[111].
Sa mort, en 1377, laisse héritière sa fille mineure,Marie. Les quatre grandes familles se partagent le pouvoir et l'île lors de la période dite« des quatre vicaires » (Artale Ier Alagona, comte dePaternò,Manfred Chiaromonte, comte deModica, Guillaume de Peralta, comte deCaltabellotta et Francesco Ventimiglia, comte deGeraci), et le roiPierre IV d'Aragon fait enlever sa petite-fille et nièce pour revendiquer la couronne sicilienne et lui donner un époux[111]. Elle épouse son cousin,Martin le Jeune, qui arme une flotte sous la direction deBernardo Cabrera qui débarque àTrapani le. Ventimiglia et Peralta se rangent à ses côtés. Chiaramonte est exécuté pour rébellion. Alagona quitte l'île. Le couple doit combattre jusqu'en 1396 pour imposer leur pouvoir sur la majorité de l'île : nouveau registre des fiefs, retour des forteresses stratégiques dans le giron royal, légation apostolique, adoption du titre du Roi de Sicile, reprise duParlement sicilien[115]… Marie meurt en 1401, Martin en 1409, le père de celui-ci,Martin le Vieux, roi d'Aragon, s'adjuge la couronne sicilienne, faisant passer l'île, qui perd tout gouvernement autonome, sous dépendance espagnole pour quatre siècles[111].
Latins et Catalans poursuivent leurs luttes durant l'interrègne suivant la mort de Martin le Vieux en 1410, mais les grandes familles ont été décimées : la régence deBlanche de Navarre est contestée par Cabrera, l'antipapeJean XXIII propose comme roiLadislas de Naples, un comité est formé par le Parlement sicilien pour choisir un souverain[116]… Devenu roi d'Aragon par lecompromis de Caspe,Ferdinand Ier, neveu de Martin Ier, désigne son filsJean comme vice-roi.
Jean est rappelé par le nouveau souverain, son frèreAlphonse V[117], qui s'est emparé de la couronne de Naples et la réunit à celle de Sicile en 1442[48]. Le roi, installé à Naples, engage des guerres contre les cités du Nord de l'Italie dont la Sicile doit supporter les conséquences, mais il crée également la première université sicilienne, à Catane en 1434, et une école de grec à Messine[118].
Le millier decasal, villages ruraux favorisés par les rois normands pour équilibrer l'occupation humaine de l'île, a progressivement disparu après la mort de Frédéric II, jusqu'à n'être plus qu'une centaine un siècle plus tard, au profit de la restauration dulatifundium, vastes propriétés des grandes familles, du roi, de l’Église et de ses communautés, exploitées par desmassari endettés qui ne les habitent pas[119]. Le revenu des thonneries et des céréales, mais surtout par la vente de nouveaux titres honoraires ou de pardons pour les crimes et par les impôts, financent les caisses royales. L'île n'exporte plus que du grain et du sucre de canne, et importe textiles, vin, huile. Les ports prospèrent grâce aux commerçants toscans puis génois et catalans, mais aussi vénitiens qui possèdent un consul à Palerme, et anglais, représentés à Messine et Trapani, ce dernier port parvenant à égaler Palerme et Messine grâce à sa plus grande proximité de la côte espagnole[118].

Dans cette île sous-développée, périphérie de l'Europe[119] mais à nouveau reliée à l'Italie,Antonello de Messine, premier portraitiste de la Renaissance italienne, et rare peintre d'importance duQuattrocento sicilien, développe son art. La famille de sculpteurs lombardsGagini est principalement active à Palerme et en Sicile occidentale, puis, dans la seconde moitié duXVIe siècle, Messine adopte lemaniérisme des architectes et sculpteurs toscansGiovanni Angelo Montorsoli etAndrea Calamech[120].
Jean, roi d'Aragon et de Sicile en 1458, déclare ces deux royaumes perpétuellement unis. Lors d'une session du Parlement àCaltagirone, il limite les obligations militaires des nobles et l'acquisition de terres aux seuls Siciliens, interdit le commerce avec les Turcs et l'approche des côtes par les navires musulmans. Son fils,Ferdinand le Catholique réunit par son mariage Aragon et Castille et poursuit la lutte contre les Juifs et les musulmans. Il instaure l'Inquisition sur l'île en 1487 contre les nouveaux convertis et expulse en 1492 les derniers juifs de l'île, présents depuis plus d'un millénaire et représentant un dixième de la population urbaine. La clémence demandée par les Palermitains pour les Juifs siciliens n'a pas d'effet, et l'île perd définitivement médecins, marchands et prêteurs[121].
Les huit cent mille à un million de Siciliens[122] sont majoritairement urbains au début duXVIe siècle, mais la mainmise féodale grandit durant ce siècle. La bourgeoisie urbaine, enrichie sous l'essor de la féodalité et non unifiée à l'échelle insulaire, ne cherche pas à être un contrepoids politique, malgré les révoltes à Palerme vers 1450 et à Messine en 1464. Des nobles espagnols, dotés de titres inédits comme duc et prince, s'installent pour compléter le contrôle des fidèles fonctionnaires royaux ibériques[123]. La Sicile accueille également auXVe siècle des Byzantins fuyant Constantinople pris par les Turcs, à l'instar deConstantin Lascaris, des Albanais qui forment la communauté desArberèches, des Italiens à la recherche d'un travail, quelques esclaves arabes originaires du Magheb[114].

La découverte de l'Amérique développe la route maritime atlantique au détriment des échanges en Méditerranée, et l'économie sicilienne décline. La société est dominée les vice-rois et la Grande curie, avec une aristocratie et une Église qui disposent d'importants privilèges[124]. En réponse, lesmaestranze, corporations de métiers qui défendent les intérêts des artisans, forment les apprentis et secourent les membres qui ne peuvent plus exercer, prennent de plus en plus d'importances, jusqu'à rendre justice elles-mêmes[125].
Petit-fils de l'empereur Maximilien et de Ferdinand d'Aragon,Charles de Habsbourg devient roi des Espagnes, de Naples, de Sicile et de Jérusalem en 1516 puis l'empereur Charles Quint en 1519. Les barons et les Palermitains contestent levice-roiHugues de Moncade en 1516, qui se réfugie à Messine[126]. Au printemps 1517, le roi envoie le napolitain Ettore Pignatelli à la tête de 7000 hommes pour reprendre l'ile, en punissant par décapitation et confiscations de biens les rebelles[127]. Giovan Luca Squarcialupo organise une nouvelle insurrection, mais périt assassiné. En 1523, les Français soutiennent un soulèvement indépendantiste qui échoue. Frontière de l'Occident chrétien, la Sicile retrouve temporairement un rôle stratégique contre lesBarbaresques, et fournit des navires contre Tunis[126]. L'empereur visite Palerme, Termini, Polizzi, Randazzo, Taormine et Messine entre le 22 août et le 3 novembre 1535. Deux lignes de fortifications sont élevées, l'une le long de la côte dans chaque port, l'autre à l'intérieur des terres pour défendre les plaines, auxquels s'ajoutent une centaine de tours d'observation et le réseau ancien de châteaux et de castras. Trois mille soldats sont cantonnées sur l'île, l'ost compte 1800 vassaux, les 57 compagnies de la milice territoriale comprennent 9000 fantassins, 1600 cavaliers[128]. Les vice-roisd'Osuna et Maqueda arment des navires sur leurs fonds propres pour protéger les côtes régulièrement attaquées par les Turcs sous les règnes dePhilippe II etPhilippe III durant lesquels les Siciliens participent à laSainte-Ligue et à labataille de Lépante en 1571, marquant la fin de l'invincibilité ottomane[126].
Tout au long desXVe et XVIe siècles, l'Inquisition est toute puissante, suscitant les plaintes de Parlement, plusieurs fois émises jusqu'à la suspension pour 10 ans par Charles Quint lors de sa visite sur l'île. Après sa reprise en 1546, les vice-roisJuan de Vega,Marcantonio Colonna etEnrique de Guzmán s'opposent à la puissance du tribunal religieux, ce qui n'aboutit qu'en 1592, à l'encadrement par le roi Philippe II des privilèges du Saint-Office sicilien, qui est le plus féroce en dehors de l'Espagne. Entre 1511 et 1515, 120 hérétiques sont condamnés au bûcher. Entre 1560 et 1570, 183 évangélistes sont condamnés dont 22 brûlés. En 1657, le religieux impieDiego La Matina tue l'inquisiteur dans la prison dupalais Steri[129]. Les Jésuites bénéficient de la protection du vice-roi Juan de Vega du vice-roi pour fonder 35 collèges, dontle premier ouvre à Messine, en 1548, au détriment des Dominicains et Franciscains plus anciennement implantés. Avec laContre-Réforme, le culte mariale s'étend, à Messine, Modica et Cefalù dont elle devient la sainte patronne, et à Palerme où 123 églises lui sont dédiées à la fin duXVIIe siècle, mais leclergé régulier domine toujours la vie spirituelle insulaire avec près de 800 couvents masculins, dont 130 franciscains, et 12000 religieux[130].
Dans la première moitié duXVIe siècle, letoscan s'impose comme langue officielle au détriment du latin et l'espagnol[131].

La peste frappe durement Messine en 1575 et Palerme en 1624. Le prix du blé s'effondre[132], le peuple connait la faim et une lourde imposition par l'Espagne pour financer ses guerres, dont laguerre de Trente Ans, d'autant que la noblesse refuse de payer sa part et que l'administration espagnole préfère lui vendre des titres princiers ou ducaux et mettre des fiefs et villes aux enchères. Cela forme le terreau de plusieurs révoltes contre les vice-rois auXVIIe siècle, notamment entre mai et à Palerme sous l'impulsion deNino La Pelosa puis deGiuseppe D'Alesi, et à Messine entre 1674 en 1678, secouru par leduc de Vivonne. Abandonnée par Louis XIV, Messine est punie par le nouveau vice-roi espagnol[133].

Persiste la culture des céréales sur les vastes terres détenues par des riches familles qui les confient à desterraggieri (paysans) ou, de plus en plus éloignés, à desgabelotti,métayers ou intendants qui s'enrichissent au détriment des paysans à qui ils sous-louent les terres et prêtent argent et animaux. Les exportations de blé sont plus que divisées par deux entre le début duXVIe siècle et la fin duXVIIe siècle ce que tente de résoudre par la colonisation des terres, en permettant auXVIIe siècle, aux seigneurs de fonder des bourgs (licentia populandi). La population atteint 1 150 000 habitants, avec une augmentation uniquement dans les campagnes où naissent de nombreux villages sans parvenir cependant à endiguer les difficultés de l'agriculture sicilienne[134].
L'Etna détruit partiellement Catane et les villes de la côte orientale en 1669, et leval di Noto est dévasté parun violent séisme qui fait 60000 victimes en 1693[48]. Leduc de Camastra supervise la reconstruction des villes rasées dans unbaroque tardif sicilien[135], à laquelle participent les architectesGiovanni Battista Vaccarini,Vincenzo Sinatra,Rosario Gagliardi etAndrea Palma. A l'ouest, le baroque s'exprime dans les villasValguarnera etPalagonia deTommaso Napoli àBagheria, dans lesstucs deGiacomo Serpotta et les sculptures d'Ignazio Marabitti. La peinture baroque avait été introduite au début du siècle par leCaravage lors de son exil (La Nativité,La Résurrection de Lazare,L'Adoration des bergers,L'Enterrement de sainte Lucie), puis son discipleMatthias Stom[120], mais aussi par le bref passage deVan Dyck à Palerme (plusieursSainte Rosalie etLa Vierge du rosaire), maîtres étrangers qui influencentPietro Novelli[136].

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Les Espagnols, fraîchement débarqués en Sicile essuient une lourde défaite face aux Britanniques, alliés de l'Autriche.Charles II d'Espagne meurt en 1700, et désignePhilippe d'Anjou, un petit-neveu, comme héritier. En réaction, l'Angleterre, lesProvinces-Unies, lePortugal et leSaint-Empire romain germanique forment laGrande Alliance[48]. Letraité d’Utrecht de 1713 fait deVictor-Amédée II de Piémont-Savoie, beau-père de Philippe, le nouveau roi de Sicile, couronné à Palerme, tout en laissant au roi d'Espagne le bénéfice et l'autonomie politique et fiscale de ses possessions (dont le comté de Modica), estimées au dixième de l'île. Le duc de Savoie reste une année en Sicile, qui n'avait plus accueilli son souverain depuis Charles Quint, rouvre l'université de Catane et tente de relancer l'économie avec de nouvelles manufactures de papier et de verre, par l'agriculture et la construction navale[137]. Il cherche à assainir les institutions politiques et à confisquer les biens des barons ayant créé des bourgs sans autorisation royale[138]. Il s'aliène également une partie de la population lors de la« controverse de Lipari » qui l'oppose en 1715 au Pape Clément X, lequel supprime lalégation apostolique remontant à Roger II. Aussi, les Siciliens accueillent-ils favorablement les troupes espagnoles qui débarquent en juin 1718, sont défaits par les Anglaisau large de Capo Passero mais remportent les bataillesde Francavilla etde Milazzo contre les soldats de l'empereur autrichienCharles VI qui souhaite échanger la Sardaigne contre la Sicile. Les combats dévastent l'île et poussent les Espagnols à la reddition le 6 mai 1720. Le 8 août, le duc de Savoie donne la Sicile à l'Empereur. De sa courte aventure sicilienne, Victor-Amédée conserve auprès de lui l'architecte messinoisFilippo Juvarra et les juristesFrancesco d'Aguirre etNicolo Pensabene[139].
Animés par lesprincipes mercantilistes, les vice-rois autrichiens échouent à réformer les impôts et à refaire de Messine un port de premier rang. Ils confient les mines d'argent et d'alun à une main-d’œuvre originaire de Saxe et de Hongrie, que rejette la population locale nostalgique de la domination espagnole[140]. N'ayant prononcé aucune exécution depuis 1658, le Saint-Office rallume ses bûchers en 1724 et 1731. L'aristocratie s'européanise, fonde des académies dont la première est l'académie du bon goût à Palerme en 1718, construisent des palais et des villas, financent des artistes[141].
L'île revient en 1735 auxBourbons d'Espagne par la reconquête de l'infantCharles de Bourbon, duc de Parme et de Plaisance à partir de 1731, puis roi de Naples en 1732, qui nommeJosé Carrillo de Albornoz vice-roi[48]. La statue deCharles VI est aussitôt fondue pour un monument à la gloire du nouveau souverain qui reste une semaine à Palerme à la suite de son couronnement le 3 juillet 1735[142], après la chute de Messine et Syracuse, et alors que Trapani résiste encore[143]. Les aspirations de réforme de Don Carlos, comme l'instauration de la magistrature suprême du commerce, sont bloquées par l'aristocratie. Il faut plus de trois semaines pour aller de Trapani à Messine par le réseau routier[144]. Il tente de relancer le commerce du blé et les exportations vers le Maghreb[145].
Lesecrétaire d’ÉtatBernardo Tanucci poursuit la politique éclairée de Charles quand, devenu roi d'Espagne, celui-ci laisse en 1759, les couronnes de Naples et de Sicile à son troisième fils,Ferdinand III de Sicile, alors âgé de 8 ans. Deux tiers des 40000 hectares de terres des Jésuites, chassés de Sicile en 1767, sont distribués à des paysans afin d'accroitre le nombre de petits propriétaires exploitants, selon les thèsespopulationnistes deAntonio Genovesi. Les collèges sont confiés à d'autres ordres séculiers, puis inclus dans un système scolaire public, gratuit et laïc institué en 1770 : 18 écoles du premier grade pour apprendre catéchisme, lecture, écriture, calcul et latin ; cinq écoles du deuxième grade sises à Palerme, Messine, Catane, Syracuse et Trapani, où sont enseignés lecture, écriture, calcul, latin et grec, catéchisme,théologie dogmatique, histoire sacrée et profane, mathématiques, philosophie générale etcelle de Cicéron. Palerme accueille la seule école supérieure, distincte de l'unique université de l'île, à Catane[146]. Le vice-roiGiovanni Fogliani de Pellegrino, prédécesseur de Tanucci à Naples, jouit d'une longévité inédite de dix-huit ans, jusqu'à une révolte palermitaine en 1773[147].
Le SicilienGiuseppe Beccadelli di Bologna succède à Tanucci au poste de secrétaire d'État de Ferdinand à Naples en 1776. Moins réformiste, il poursuit la vente des terres des Jésuites au seul profit des plus riches, achetant lui-même de vastes domaines et bénéficiant d'unelicencia populandi du roi pour fonder de nouveaux bourgs. Il refuse de transformer l'Académie royale des études de Palerme en Université et de rouvrir l'université de Messine. Contestée par un prête de Castrogiovanni, Pasquale Mattias, condamné à six ans de prison, l'inquisition est abolie le[148]. L'enseignement de l'économie politique est introduite en 1779 à la Faculté de Droit de Catane, dont le professorat d'« économie, commerce et agriculture » est confié au juristeVincenzo Malerba, défenseur de la torture contreCesare Beccaria, et à la faculté des Études philosophiques de Palerme où Vincenzo Emanuele Sergio enseigne « économie, agriculture et commerce » avant que l'agriculture soit déléguée en 1785 à l'agronome et économistePaolo Balsamo[149]. En 1780, la vice-royauté échoit àDomenico Caracciolo qui s'inspire des Lumières pour moderniser de l'île : imposition sur les carrosses pour restaurer les rues de Palerme, développement de la petite propriété par desbaux emphytéotiques à partir des biens de la grande aristocratie, mise en place avortée d'uncadastre, encadrement de l'autorité des barons. En, il est rappelé àNaples comme secrétaire d'État à la place de Beccadelli.Francesco d'Aquino, prince de Caramanico, lui succède sur l'île jusqu'en 1795 et poursuit, plus modérément, l'affirmation de la souveraineté royale contre les barons, notamment par laPragmatique du imposant le retour au domaine royal des fiefs sans héritier. En revanche, l'affaiblissement féodal n'amène ni émergence d'une bourgeoisie ni renouvellement de l'agriculture[150].
Dans cette lutte entre la puissance du monarque et les privilèges des barons, le faussaireGiuseppe Vella tente par leConseil d’Égypte, d'accréditer la thèse de la primauté royale[151]. Son détracteur, l'abbé et historienRosario Gregorio, prône la fin de la féodalité au profit d'un état moderne bâti sur ledroit public[142]. Le jacobinisme touche peu la Sicile, malgré la figure deFrancesco Paolo Di Blasi et des conspirations avortées à Syracuse en 1794, et à Catane en 1794[152] et 1803. Mais la dernière décennie duXVIIIe siècle et le début duXIXe siècle voient la naissance d'une gauche démocratique encore marginale[153].
Le roi Ferdinand et la reineMarie-Caroline sont chassés de Naples par les soldats français deChampionnet le 23 décembre 1799. Conseillés parWilliam Hamilton et protégés parNelson qui reçoit plus tard leduché de Bronte en reconnaissance de ses services, le couple royal se réfugie à Palerme. Leur fils de 6 ans, Charles-Albert, meurt durant la traversée. Marie-Caroline décrit dans sa correspondance sicilienne un clergé corrompu et un peuple« sauvage » qui aspirent à une république, à laquelle s'oppose une noblesse« d'une loyauté douteuse » qui craint de perdre richesse et hégémonie dans la démocratisation du régime[154]. Elle quitte Palerme en juin 1800, avec Nelson et les Hamilton, pour retourner à Vienne. En 1802, quatre ans seulement après la découverte d'Edward Jenner, Ferdinand impose lavaccination contre lavariole dans des centres médicaux ouverts à travers l'île[155]. Il revient à Naples le 27 juin 1802, la reine le 15 août[156].
Ils sont à nouveau détrônés en 1806 par l'armée napoléonienne occupant le sud de la péninsule italienne, et reviennent en Sicile occupée par les Britanniques[48], présents à travers 20000 soldats commandés par l'amiralCollingwood et son adjointSmith, des marchands pour qui l'île durant leblocus est l'un des rares débouchés, mais aussi une influence culturelle sur l'élite insulaire[157]. Au point que nombre d'Anglais, commeColeridge, et de Siciliens, souhaitent une annexion de l'île auRoyaume-Uni[158]. Contre l'avis du puissantsecrétaire d’ÉtatJohn Acton, la reine pousse à poursuivre la lutte en Calabre durant quatre ans mais ni les attaques de l'amiralSmith ni celles du généralHesse-Philippsthal ne sont fructueuses[159]. Le représentant britanniqueWilliam Cavendish-Bentinck est missionné par son gouvernement pour apaiser l'île, qui connait un bras-de-fer entre le couple royal, entouré de leur cour napolitaine, et les barons locaux qui refusent de voter de nouveaux impôts au Parlement de janvier 1810, et dont le roi exile cinq représentants. Ferdinand doit se démettre au profit de son filsFrançois, nommé vicaire du royaume, lequel libère les nobles exilés qui forment un gouvernement. Le, le Parlement sicilien, sous la conduite de Bentinck qui souhaite que la Sicile sous protectorat anglais propose un contre-modèle à la Révolution française et à Napoléon à l'Italie et à l'Europe, adopte, à l'instar de laconstitution espagnole votée la même année, uneconstitution libérale, coécrite parPaolo Balsamo. Elle sépare l'île du royaume de Naples, instaure lebicamérisme et laséparation des pouvoirslégislatif,exécutif etjudiciaire, reconnait leslibertés individuelles, et abolit les privilèges féodaux. Mais elle reste en deçà du mouvement européen social et post-féodal faute de renversement de l'ancien état social. Malgré l'abolition de la féodalité, les aristocrates dominent toujours l'île, là où la Révolution française intronise la bourgeoisie. De plus, l'absence de culture du débat démocratique enferme chacune des chambres dans des postures bloquant toute possibilité d'accords[160].

À partir de la seconde moitiéXVIIIe siècle, les sites de la Sicile antique sont une des étapes duGrand Tour des aristocrates européens, car plus accessibles que la Grèce sous domination ottomane[5]. Ils décrivent le contraste entre l'art et la culture, l'apparent paradoxe entre la pauvreté des habitants et la richesse des ressources naturelles et de l'histoire.Riedesel,Payne-Knight,Münter,Goethe,Brydone,Swinburne, l'abbé de Saint-Non,Michel-Jean Borch,Dominique Vivant Denon,Jean-Pierre Houël visitent Ségeste, Sélinonte, Agrigente, Taormine, Syracuse, mais aussi l'Etna et Palerme[161], et délivrent la première« image mondiale » de la Sicile[5].
Après la chute deMurat, Ferdinand s'installe à Naples, et abroge la constitution sicilienne le 8 décembre 1816. Il unifie l'île et Naples sous le titre de Ferdinand Ier desDeux-Siciles et met en place une« monarchie administrative », centralisatrice etabsolutiste, en s'inspirant duCode Napoléon (Lois civiles, 1819). L'île est administrée par un vice-intendant et un conseil dans chacun des vingt-trois districts, regroupés en sept provinces dont Palerme, Messine, Catane, Syracuse, Girgenti, Caltanissetta et Trapani sont les chefs-lieux où résident chaque intendant eux-mêmes soutenus par un conseil d'intendance composé de trois membres désignés par le roi parmi les grands nobles, qui assume également le contentieux administratif, et un conseil provincial dont les quinze membres sont désignés par les communes. Celles-ci sont dirigées par un maire issu d'une assemblée nommée à raison d'un représentant par millier d'habitants. Un lieutenant du roi remplace à Palerme la charge de vice-roi[162].
Pour appartenir à ces instances, les prétendants se livrent à des luttes d'influence et parfois criminelles qui ont pu participer à l'émergence du crime organisé sicilien[163]. En effet, les gestionnaires des domaines agricoles (gabellotti) et leurs équipes de gardiennage (campieri) s'émancipent progressivement de leurs donneurs d'ordre traditionnels pour former des groupes spécialisés d'usage de la force, monnayant leurs services aux propriétaires et aux pouvoirs officiels et infiltrant les forces publiques et parapubliques de sécurité (gardes municipales, polices rurales). Incapable de les affronter, l'Etat préfère pactiser avec ces groupes pour contrôler l'île[164]. En 1838, le procureur général du roi àTrapani décrit pour la première fois officiellement la mafia comme une organisation secrète dangereuse[48],[Note 2].
Par la défaillance de l'administration et le conservatisme de la population, les barons conservent le pouvoir économique, transformant leurs fiefs en latifundia dont ils délèguent la gestion auxgabellotti pour vivre à Palerme, Messine ou Naples[165]. La noblesse perd moins de 10 % de ses possessions tout en en tirant plus profit par la disparition des anciensdroits d’usage et le partage descommunaux presque toujours à son avantage. Plus que l'abolition dumajoratfidéicommis en 1818, c'est la loi de 1824 autorisant la vente de propriétés pour payer les dettes qui entame plus notablement le foncier nobiliaire, au profit de barons créanciers surtout, de l’Église, de petits nobles et de quelques bourgeois urbains[166]. Sans audace économique, spéculant sur le grain dont la production extensive reste la ressource première de l’île, fraudant à l'exportation contrôlée par leMastro Portulano, l'aristocratie laisse l'île dans sa torpeur, imitée par les quelques riches bourgeois qui préfèrent acheter des terres et des titres de noblesse. Les industries et le commerce sont laissés aux étrangers, notamment les Anglais dont la Sicile est la base arrière de leur commerce avec l'Italie et les Balkans depuis leBlocus continental, ce que complète la contrebande qui émerge à cette période, ont le monopole de l'extraction du soufre autour d'Agrigente et Palerme à partir de 1808 et développent la production demarsala. Les paysans etbraccianti demeurent exploités, pauvres, endettés, illettrés et sous-nutris. En dehors des axes reliant Palerme à Messine[165] et àCaltanissetta, le réseau routier n'est quechemins muletiers[166].

L'opposition aux Bourbons, désormais considérés comme étrangers, l'émergence des idées duRisorgimento, comme l'adhésion aux diverses formes d'illégalité (banditisme, sociétés secrètes, conspiration, fraudes) font naitre des mouvements sociaux autonomistes et parfois contradictoires entre les nobles autonomistes cherchant à se libérer du carcan de l'absolutisme napolitain, et le peuple rural non structuré qui aspire à un meilleur partage des terres[167]. En 1820, informé de larévolte libérale de Naples, le peuple de Palerme, animé par lesmaestranze, imité de celui d'Agrigente, se soulève en faveur de l'autonomie de l'île et tue 45 habitants de Caltanissetta dans leur tentative de rallier le centre de l'île, alors que les libéraux de Messine et Catane adoptent le parti révolutionnaire napolitain qui considère le soulèvement palermitain comme un désir de retour à l'ordre ancien. Le gouvernement provisoire est présidé par le cardinalPietro Gravina. Faute d'unité, la sédition est écrasée par les 25000 hommes du généralFlorestano Pepe. Naples tombe le 21 mars 1821 face aux Autrichiens qui rétablissent Ferdinand. Son filsFrançois, lieutenant général en Sicile entre 1812 et 1814 puis entre 1816 et 1820, est couronné en 1825 et confie ce poste à l'ancien directeur de la police,Pietro Ugo delle Favare, qui traque les carbonari et les rebelles de l'île durant cinq ans. En 1830, le frère du roi,Léopold de Bourbon-Siciles, devient à son tour lieutenant général en Sicile alors qu'une tentative de soulèvement avorte à Palerme[168].
Après la mort du choléra de 40 000 personnes à Palerme et 70000 dans l'île, parmi lesquelles l'économisteNiccolò Palmeiri et l'historienDomenico Scinà, les Siciliens se soulèvent en 1837, encouragés par les sociétés secrètes, dont lescarbonari, dans leurs théories d'une contamination volontaire napolitaine[169]. L'île est à nouveau divisée, cette fois entre les Catanais démocrates et autonomistes, et le parti conservateur qui voit d'un bon œil l'intervention du maréchalFrancesco Saverio Del Carretto pour étouffer le mouvement en arrêtant 750 personnes dont 180 sont exécutés. La déconcentration dont bénéficie l'île est annulée et des fonctionnaires napolitains y sont désormais nommés[168]. L'Université de Messine est rouverte, des réformes agraires entreprises engendrant une hostilité aristocratique envers les Bourbons[170].
Larévolution de 1848 est précédée par une décennie d'agitation intellectuelle libérale favorable à l'autonomie sicilienne et à l'unité italienne à travers les publications deLa Guerra del Vespro siciliano deMichele Amari (1842) etLa Lettre de Malte deFrancesco Ferrara (1847)[171]. Le paysage politique libérale se structure autour des chefs de file commePietro Lanza, prince de Scordia, partisan d'une monarchie constitutionnelle, les démocrates Francesco Ferrara,Emerico Amari,Vito d'Ondes Reggio, les modérés néogibelins Michele Amari etGiuseppe La Farina, le républicain carbonaristePasquale Calvi, les mazzinistesRosolino Pilo,Giuseppe La Masa etFrancesco Crispi[172]. A l'inverse, jugeant les abus d'autorité des latifundistes responsables de la pauvreté du peuple et de l'atonie industrielle et commerciale, le fonctionnaire libéral napolitainLodovico Bianchini plaide en 1841 pour un centralisme plus fort, tout en prônant un allègement des règlementations et une redynamisation de l'économie insulaire. Mais il échoue à imposer le cadastre dans l'île[173].
Alors que l'élection du pape libéralPie IX en juin 1846 fait espérer aux néo-guelfistes deGioberti une confédération des États italiens et que lePrintemps des peuples va fleurir à travers l'Europe, les troubles débutent à Palerme le 12 janvier 1848, d'abord à l'initiative du peuple conduit par La Masa, rejoint par les bourgeois et aristocrates libéraux modérés, dontRuggero Settimo, ancien membre du gouvernement libéral de 1812 et du conseil provisoire de Palerme en 1820, et son amiMariano Stabile, qui constituent le 28 janvier une garde nationale composée de bourgeois et de nobles, afin de contenir le mouvement révolutionnaire populaire. L'île totalement soulevée, Settimo et Stabile prennent la tête, le 2 février, d'un gouvernement provisoire favorable à une monarchie libérale[174]. Un Parlement est élu le 15 mars sur la base de laconstitution de 1812, et se réunit en mars dans l'église San Domenico de Palerme. Divisé entre monarchistes et républicains, fédéralistes et unitaires, il parvient à se mettre d'accord pour proposer la couronne sicilienne aufils cadet du roi de Sardaigne, qui la refuse[171]. Les libéraux et une large partie des démocrates cherchent plus à conserver ou retrouver leurs avantages qu'à répondre aux aspirations populaires, notamment agraires[174].
Malgré les tractations franco-britanniques, Ferdinand II fait bombarder Messine en septembre 1848, et débarquer sur l'île 10 000 hommes sous l'autorité du généralCarlo Filangieri qui prennent Palerme, en mai 1849[174]. Cette révolution brisée affaiblit, parmi les patriotes siciliens, la revendication d'indépendance contre Naples au profit de l'idée autonomiste au sein d'une Italie unifiée et fédérale[175], hormis chez les quelques séparatistes commeEmerico Amari. L'exil des meneurs vers Malte, l'Italie du Nord ou la France nourrit dans les années suivantes l'ouverture et l'inclusion des intellectuels siciliens dans les courants italiens et européens qu'expriment laBibliothèque des économistes deFerrara et l'Histoire des musulmans deMichele Amari[176].
Après le remplacement des compagnies armées locales par la gendarmerie en 1848, le crime à main armée s'organise et s'intensifie contre les voyageurs sur les routes et les chemins auparavant relativement sûrs et en revend auMaghreb le bétail et les chevaux volés, le régime le considérant lié aux agitateurs de la gauche libérale puis aux garibaldiens et aux socialistes. L'industrie pâtit depuis 1820 du retrait progressif des Anglais et de la crainte des financiers de nouvelles émeutes, à l'exception du travail descoraux et deslapidaires. Les réformes napolitaines, incomplètes, sont incapables de transformer la société sicilienne[173].
Les lieutenants généraux Filangeri etPaolo Ruffo di Bagnara redonnent à l'île une partie de son autonomie mais Ferdinand s'enfonce dans l’absolutisme en réduisant les libertés de mouvement et d'expression et en accentuant l'arbitraire de la justice[177] aux mains deSalvatore Maniscalco, chef de la police insulaire[176], pendant que leRoyaume du Piémont-Sardaigne déploie une politique progressiste et pan-italienne[177].

Après la mort de Ferdinand en 1859, son fils,François II, poursuit l'alliance avec l'Autriche en refusant la main tendue deCavour, premier ministre deVictor-Emmanuel II dePiémont-Sardaigne. Les mazziniens maintiennent l'agitation dans le Mezzogiorno, et dépêchent en Sicile l'avocat républicain deRibera,Francesco Crispi, alors que Cavour y envoie un fidèle, Enrico Bensa[176].

À la suite d'une série d'émeutes entre 1854 et 1859, et après l'intégration de laLombardie, de laToscane, de l'Émilie et laRomagne auroyaume de Sardaigne à l'issue de laDeuxième guerre d'indépendance italienne, les Napolitains écrasent unenouvelle tentative de soulèvement menée à Palerme le parFrancesco Riso. Mais d'autres révoltes populaires éclatent dans le Nord de l'île[178], attisées par lesmazzaniens Crispi, Pilo et La Masa. Avec le soutien officieux du roi de Sardaigne,Giuseppe Garibaldi, aventurier partisan de l'unité italienne convenant à la fois aux modérés pour son soutien à lamaison de Savoie et aux démocrates par sa popularité, s'embarque à Gênes pour la Sicile. Un millier de volontaires essentiellement du Nord de l'Italie, dontCrispi etsa femme, le suit sur lePiemonte, commandé par lui et piloté parSalvatore Castiglia, et leLombardo, commandé parBixio et piloté parAugusto Elia, et débarquent à Marsala le 11 mars. L'expédition des Mille emporte les victoires àCalatafimi le 15,Palerme le 30, emportant l'adhésion de plus en plus de Siciliens mais surtout l'engouement de la presse européenne et américaine sous la plume deCharles Dickens,Florence Nightingale,Alexandre Dumas ou encoreKarl Marx[179]. Peu populaire sur l'île, la conscription n'enthousiasme pas les Siciliens à l'approche des moissons et moins d'un millier d'hommes forme la division sicilienne, sous bannière noire bordée de rouge avec un volcan au centre[180]. Lavictoire de Milazzo en juillet met fin à la présence des troupes napolitaines de l'île[181].
Garibaldi,proclamé dictateur à Salemi, délègue la gestion administrative de l'île à Crispi, qui nomme un gouverneur aux pleins pouvoirs dans chacun des 24 districts de l'île, puis reçoit les portefeuilles de l'Intérieur et du Trésor dans le gouvernement du 2 juin[182]. Pour contenter le peuple des campagnes, Garibaldi abolit les taxes sur le moulage des grains et sur l'importation de céréales et de légumes, décrète le partage des terres communales au profit des paysans pauvres et des combattants punissant de mort ceux qui s'y opposent. Face aux idées républicaines et jacobines, voire socialistes qui émergent parmi le peuple, les nobles et les bourgeois, traditionnellement autonomistes, choisissent de soutenir l'annexion voulue par Cavour, et défendue sur place ses envoyésLa Farina etCordova[183]. Il faut d'ailleurs voir dans la répression dumassacre de Bronte en août parBixio, la nécessité de rallier les propriétaires à la couronne piémontaise et ne pas fâcher à l'Angleterre[184].

Le 22 juillet, le LombardAgostino Depretis, ex-mazzanien proche de Cavour et membre des Mille, est nommé pro-dictateur, s'empressant de promulguer l'application duStatut albertin du Piémont[185]. Contre les réticences de Garibaldi et Crispi qui souhaitent attendre la libération de l'Italie du Sud et une assemblée constituante italienne, la Sicile approuve, le, avec 432 055 « pour » et 667 « contre » (75 % de participation)[175], leplébiscite d'annexion au royaume deVictor-Emmanuel II : les conséquences ne sont pas toujours comprises par les votants, d'autant que les opposants ont été empêchés par l'armée[186]. Deux jours plus tôt, le pro-dictateurAntonio Mordini, remplaçant Depretis démissionnaire, crée un Conseil extraordinaire d’État composé de 37 personnalités siciliennes, essentiellement autonomistes modérés[Note 3] puisque les démocrates et les cavouristes ont refusé d'y siéger, lequel réclame à l'unanimité un statut spécial pour l'île sans être entendu. Le1er décembre 1860, Victor-Emmanuel II se rend à Palerme pour recevoir des mains de Mordini les résultats du plébiscite ainsi que sa démission. Le Piémontais Massimo Cordero di Montezemolo prend la charge de lieutenant général. Auxpremières élections générales italiennes de janvier 1861, dont le corps électoral est réduit à un dixième de celui du plébiscite par l'application de la loi piémontaise[Note 4], près de la moitié des Siciliens s'abstiennent et la victoire des candidats de Cavour est moins franche que dans le reste du royaume[175] : les autonomistes catholiques l'emportent dans une dizaine de circonscriptions de l'île et la gauche envoie au Parlement Crispi, La Masa et Calvi[189].
Le, l'État piémontais change son nom enRoyaume d'Italie dont la Sicile devient une partie. Garibaldi s'efface devant le roi Victor-Emmanuel II mais remobilise autour de son mot d'ordre« O Roma, o morte », trois mille volontaires durant l'été 1862 depuis la Sicile afin d'intégrer Rome au royaume italien. Le gouvernement d'Urbano Rattazzi envoie contre eux l'armée italienne en Calabre[190].
L'enthousiasme sicilien en faveur de l'annexion ne dure pas : le gouvernement revient sur la promesse d'une autonomie sicilienne, tente d'amoindrir l'héritage de Garibaldi et impose une« piémontisation » sans tenir compte des différences culturelles entre les régions unifiées[Note 5],[191]. Pour s'assurer une stabilité électorale, l’État italien négocie à la baisse ses ambitions réformatrices avec une partie de la noblesse, la bourgeoisie terrienne et les professions libérales, au risque de perdre sa légitimité auprès des classes inférieures et de rendre inapplicable le centralisme en laissant le pouvoir, et notamment la violence — légale ou non — à ces élites locales[192]. Mais une autre partie de la noblesse et le haut clergé demeurent fortement favorables aux Bourbons. L'aura de Garibaldi persiste en Sicile, par sa flamme patriotique et pour ses idées démocratiques et sociales, comme la réforme agraire. Contre ladroite historique, républicains garibaldiens etmazziniens duParti d'action s'allient aux intellectuels du parti autonomiste pour une décentralisation forte. Pourtant les frontières sont poreuses, et Crispi rejoint, lui, lagauche monarchiste[193]. Les paysans endettés par l'achat des fiefs démantelés à partir de 1861, doivent rapidement les revendre à l'aristocratie ou à la bourgeoisie[194]. La réforme de la justice, l'application du régime fiscal piémontais et le service militaire obligatoire inconnu sous les Bourbons sont autant de mesures impopulaires au moment où la crise économique provoque une famine. Alors que l’Église possède un dixième de l'île, la vente aux enchères des biens des corporations religieuses, dissoutes le, profite aux grands propriétaires et à la mafia qui, par pression et corruption, obtiennent des biens à bas prix, jusqu'à 10 % de leurs valeurs réelles. 15 000 laïcs connaissent le chômage, religieuses, moines et prêtres se retrouvent à la rue, et les œuvres de bienfaisance (orphelinats, écoles de charité, hospices, distributions alimentaires) ferment. L'hostilité de l’Église vis-à-vis du gouvernement se transforme au fur et à mesure en soutien à la mafia[195].
25 000 déserteurs entre 1861 et 1863 tentent d'échapper à la conscription et rejoignent des soldats des Bourbons démobilisés et des hommes de mains des grands possédants dans des bandes opérant dans les campagnes[196]. Lebrigandage post-unitaire sicilien, moins politisé que sur le continent, profite de la division administrative des forces de l'ordre[197] et de la sympathie de la population[196] qui ne ressent pas de devoir de loyauté vis-à-vis du nouveau pouvoir, les plus pauvres y voyant desRobin des Bois, les plus riches une opposition à un nouveau régime qui menace leurs privilèges.
Île révolutionnaire, sous-administrée, hostile tant à l'autorité qu'au changement, la Sicile devient aux yeux de la droite historique une terre arriérée à remettre de force dans la voie de l'ordre et du progrès[175]. Dès décembre 1860, Cavour écrivait qu'il fallait« imposer l’Unité à la partie la plus corrompue, la plus faible de l’Italie […] [au moyen de] la force morale et, si celle-ci ne suffit pas, de la force physique »[164]. Aussi, l'État décrète-t-il l'état de siège à trois reprises en quatre ans (août 1862, août 1863 et septembre 1866) et promulgue laloi d'exception Pica[175]. Les 120 000 hommes du généralGovone, pour qui« on n'avait pas encore achevé de parcourir le cycle qui mène de la barbarie à la civilisation » en Sicile[198], parviennent à neutraliser la plupart des brigands en 1865, au prix d'une politique de la terreur (arrestations et détentions sans procès, exécutions d'otages, torture, coupures d'eau, incendies…) qui fait 2 500 morts et 2 800 condamnés[196]. Le divorce entre Sicile et gouvernement s'accentue[198] et unenouvelle insurrection mêlant partisans des Bourbons et d’ex-garibaldiens à des bandes de brigands éclate à Palerme en septembre 1866[199], écrasée après sept jours et demi par la Garde nationale[200].
Rejetant la politique répressive de ladroite historique, la Sicile, par l'apport des voix de la classe moyenne, envoie 42 députés de gauche sur 48 sièges à pourvoiren novembre 1874, anticipant la victoire nationale de la gaucheen novembre 1876 (où la Sicile vote à 95 % pour la gauche). Ce vote et les multiples insoumissions populaires antérieures remettent la Sicile au cœur du débat politique et intellectuel. Laquestion méridionale[Note 6] exprime alors la méconnaissance des problèmes du Mezzogiorno par les élites du Nord nourrie par des préjugés antiméridionnaux, et la peur de la droite que les territoires archaïques n'imposent des idées démocratiques ou socialisantes fragilisant de l’État-nation, certains de ses membres proposant de limiter les libertés du peuple pour mieux les affranchir des élites méridionales. En réponse à la question méridionale, lesicilianisme émerge pour expliquer la situation misérable de l'île par les manquements des dirigeants étrangers qui se sont succédé durant des siècles, et dont les Piémontais sont les derniers en date, et justifier l'immobilisme sociétal comme inhérent à la Sicile où« tout change pour que rien ne change » selon le mot célèbre duGuépard deLampedusa[175], malgré la contradiction avec l'image d'une Sicile révolutionnaire[7].
Laréforme électorale de 1882 soutient la montée en puissance desclasses moyennes faisant évoluer le personnel politique sicilien au détriment des aristocrates de l'île, qui sont 22 au Parlement italien en 1897, puis 13 en 1909, et seulement 5 en 1919. Le corps électoral insulaire passe 49 000 électeurs à la naissance de l'Italie à 254 000 en 1892, mais retombe sous les 166 000 électeurs de 1882 après 1895 et jusqu'à l'adoption du suffrage universel masculin en 1913. Les radicaux, républicains et socialistes rassemblent 39 % des suffrages en 1913 contre 8 % en 1897[175]. Crispi tente de freiner la progression de la gauche en Sicile mais la loi du 10 février 1889 instaure l'élection des maires des communes de plus 10 000 habitants, et élargit le corps électoral à la classe moyenne par l'uniformisation du cens à 5 lires dans toutes les communes[201].
La Sicile prospère dans les premières années de l'union italienne mais inégalitairement entre l'est et la côte riches de ses vergers et de son coton, et l'ouest appauvri par la culture extensive du blé des latifundia et la misère du peuple de Palerme[202].Caltanissetta affiche un nombre de meurtres dix fois supérieur à Messine[203]. Les services publics (écoles, tribunaux, prisons, casernes, hôpitaux) se développent et renforcent les villes secondaires, les petits bourgs ruraux subissant un exode au profit des villes de plus de 10 000 habitants et de la côte au début duXXe siècle[202]. Palerme, Messine et Catane regroupent moins d'un cinquième de la population insulaire.Palerme et laConca d'Oro s'enrichissent avec l'exportation d'agrumes, en particulier decitron, la culture du coton se développe rapidement, et l'ouverture ducanal de Suez promet à Palerme et Messine une position commerciale internationale, puisque le tonnage des exportations depuis des ports de l'île quadruple[204]. Les exportations de blé, d'agrumes, de vin profitent de laguerre de Sécession et de la crise duphylloxéra dans le vignoble français[205]. LaBanco di Sicilia est fondée en 1867. Le développement industriel de Catane lui vaut le surnom de « Milan du Sud » qui profite à la fois de la richesse de son arrière-pays agricole relié hâtivement auréseau ferré, et de l'essor de l'industrie chimique autour dusoufre[204].
Les villes s'enrichissent de bâtiments publics et privés prestigieux, adoptant l'art nouveau à travers lestyle liberty, la vie associative culturelle et sportive foisonne dans les grandes agglomérations et les villes secondaires, les bibliothèques publiques et privées ouvrent, la presse et l'édition prospèrent, les universités se remplissent[192]. Pour accueillir les touristes, ouvrent à Taormine leGrand Hotel Timeo' en 1873 et leSan Domenico Hotel en 1896 dans un ancien couvent dominicain duXIVe siècle, à Syracuse lhotel des Etrangers à la même époque, à Palerme laVilla Igiea en 1899 et leGrand Hotel et des Palmes en 1907[5].
Ce développement industriel et économique est soutenu par les deux grandes familles de Palerme, lesFlorio, représentés par Paolo et Ignazio, puisIgnazio Florio Jr., l'une des plus grosses fortunes d'Italie, et de l'autre côté par lesWhitaker, propriétaires de la villa qui deviendra leGrand Hotel et des Palmes, oùWagner dirige à l'hiver 1881-82 son dernier opéra,Parsifal. L'influence des Florio est telle que la presse désigne Palerme sous le nom de « Floriopolis », tandis que la haute société européenne de laBelle Époque afflue dans la ville admirer son opulence. Mais beaucoup des intellectuels siciliens de l'époque vivent hors de l'île :Giovanni Verga,Luigi Pirandello,Salvatore Quasimodo,Vitaliano Brancati, ouElio Vittorini[206]. L'opulence va de pair avec un système declientélisme et defraude électorale importantes, symbolisé par le conseiller régional et députéRaffaele Palizzolo, et les premiers échanges entre la mafia sicilienne et laMano nera américaine amène le policier italo-américainJoe Petrosino à enquêter à Palerme où il est assassiné[203].
Pourtant l'île doit supporter la nationalisation de la dette du Nord, qui avait permis de financer l'industrialisation du Piémont et de la Lombardie, et souffre d'une fiscalité alourdie. L’État italien sous-investit dans l'île[Note 7] et, faute de capitaux privés, les inégalités économiques se creusent avec le Nord par la politiquelibre-échangiste qui soumet l'industrie locale à la concurrence étrangère puis par le protectionnisme soutenu par le bloc agroindustriel unissant la bourgeoisie industrielle du Nord et l'aristocratie latifundiaire du Sud, qui affecte les exportations à partir de 1887[205]. Le coût de la vie double durant les décennies 1870 et 1880, sans que le prix du travail n'augmente[207]. De plus, une épidémie de choléra survenue à Naples en 1885 se propage à Palerme.

Depuis le Moyen Âge, les agriculteurs vivent dans les petites villes (agrotowns) devenues centres féodaux, religieux puis politiques et administratifs, et se rendent chaque jour sur la place centrale pour se faire embaucher ou dans les champs qu'ils exploitent[202]. Les latifundistes délèguent couramment la gestion de leurs terres, pour trois, six ou neuf ans, à desgabelotti, moyennant redevance en argent, lesquels à leur tour concèdent le plus souvent pour un an ou deux à des paysans la mise en culture, selon deux contrats dominants : leterratico, avec loyer fixe en grains, et lametateria pour laquelle le montant de la location peut aller jusqu'au trois quarts de la récolte. Aussi, lesbraccianti, journaliers qui forme à la fois la catégorie la plus exploitée et la plus nombreuse des campagnes, sans emploi entre 120 à 150 jours par an en moyenne[208], tentent de s'organiser contre lesgabelotti qui forment une nouvelle bourgeoisie rurale peu favorable au développement économique et au progrès social[165]. Lesfaisceaux des travailleurs se créent à partir de 1892, ce mouvement socialisant suscitant un intérêt international mais pas de soutien par lePSI car interclassiste et aspirant plus à petite propriété rurale qu'à la socialisation des terres[175]. En réponse aux inquiétudes de l'élite rurale et urbaine, le président du ConseilFrancesco Crispi se positionne en défenseur de l'Unité de l'Italie[175] et décrète l'état de siège du 4 janvier au 18 août 1894. Les faisceaux sont dissous sans résoudre les difficultés des ouvriers agricoles et des mineurs de soufre[205], les projets de réforme dulatifundio par Crispi n'aboutissant pas[175].
Un autre Sicilien,Antonio di Rudinì, succède à Crispi à la tête du gouvernement. Défenseur des intérêts des propriétaires fonciers, il freine la montée en puissance politique des classes moyennes en renforçant le poids des notables. Il crée un poste de commissaire civil concentrant une large partie des pouvoirs de l'État et qui échoit àGiovanni Codronchi[175].
Si le socialisme est durablement absent de Sicile, un front syndical et réformiste se forme pour tenter de moderniser l’économie et de démocratiser la politique. En réaction, le discours sicilianiste réactionnaire rend responsable des difficultés siciliennes, l’État et le protectionnisme mis en œuvre au profit des industriels et ouvriers du Nord[175].

La population ne cesse d'augmenter entre 1851 et le début des années 1960, excepté entre 1921 et 1931, alors que l'émigration est la plus forte au début duXXe siècle, notamment dans le centre de l'île : plus de 100 000 départs sont comptabilisés entre 1905 et 1907, 142 000 en 1913. Ainsi, la densité double entre 1860 (93 hab /km²) et 1953 (183 hab / km²), mais de façon déséquilibrée : supérieure à 500 habitants / km² en 1951 au nord de Catane, au sud de Messine et autour de Palerme, elle se situe entre 200 et 500 sur la côté, sauf sur le littoral sud-oriental moins peuplé, et passe sous les 100 habitants dans l'essentiel de la Sicile intérieure[209]. À partir de 1882, les départs sont vers le Brésil, l'Argentine et les États-Unis[210]. Dans les îles Éoliennes, notammentStromboli, les habitants partent régulièrement vers des territoires plus prospères[209]. Certains villages disparaissent, et les salaires agricoles augmentent là où la main-d’œuvre vient à manquer[211].
Untremblement de terre fait plus de 60 000 morts à Messine en 1908. L’État saisit l'occasion de la reconstruction pour prouver de l'avantage de s'inscrire dans l'unité italienne[135].
L'île au début duXXe siècle reste l'une des bases italiennes des luttes sociales, comme l’Émilie, la Lombardie et la Toscane[7].
LaPremière Guerre mondiale entraîne l'arrêt des exportations, une baisse du prix réglementé de la farine et le développement dumarché noir[212]. Le PalermitainVittorio Emanuele Orlando est nommé Président du Conseil le, après ladéfaite de Caporetto.
Après la Première Guerre mondiale, l'économie sicilienne ne peut résister à la concurrence internationale (soufre américain, agrumes tropicaux, blés nord-américains)[192]. Le retour des soldats, ayant partagé de nouvelles idées au front, et d'émigrés prenant leur retraite sur leur île natale amènent des aspirations plus progressistes[212].

Malgré l'importance du philosophe castelvetranaisGiovanni Gentile dans la définition du programme idéologique et culturel fasciste, l'adhésion sicilienne aufascisme semble superficielle, sans opposition affirmée ni engouement fort[213]. En 1921, aucun fasciste n'est élu député, en 1924, ils sont 38 sur 57[214]. Une théorie défendue tant par les Alliés en 1943 que par le comteLucio Tasca Bordonaro, ancien leader des grands propriétaires terriens à la même époque, considère le fascisme comme une idéologie septentrionale imposée au Sud[215].
LaPremière Guerre mondiale, laloi d'immigration Johnson-Reed de 1924 et la politique fasciste réduisent drastiquement le phénomène d'émigration massive des Siciliens qui privilégient désormais le nord du pays et dont quelques uns participent à la colonisation de laLibye et de l'Éthiopie[216], la Sicile devenant le« centre géographie de l'empire » italien[217].
La période fasciste rééquilibre les investissements publics (42 % vont au Mezzogiorno et à la Sicile entre 1937 et 1940) par des grands travaux routiers impressionnants mais ne répondant pas aux besoins d'un réseau routier secondaire, de l'électrification de l'île, dix fois inférieure au reste du pays, et de celle deslignes Palerme-Messine etMessine-Syracuse restées à voie unique, ou encore de l'adduction hydraulique[218],[219].
La « bataille pour le blé » lancée par Mussolini en 1925[220] ne permet ni d'atteindre uneautarcie alimentaire ni de masquer les problèmes économiques et accentue les retards structurels de l'île[192], enfermée dans une production céréalière plutôt que des cultures à hauts rendements exportables comme arboriculture[220].
Mussolini s'attaque à la mafia sicilienne en nommant préfet de Trapani en 1924, puis de Palerme le 20 octobre 1925,Cesare Mori, qui s'est déjà illustré dans la lutte contre le banditisme et le crime organisé à Castelvetrano et à Caltabellotta. Usant durant 3 ans et demi de la torture et la prise d'otages, le« Préfet de fer » arrête 11000 personnes, parvient à diviser par deux le nombre de meurtres entre 1923 et 1926[221].
Labonification agricole fasciste de la Sicile a été ordonnée par la loi du 2 janvier 1940, dans un paysage dominé depuis deux millénaires par leslatifundia : parmi les 452 419 exploitations agricoles sur 2 101 000 ha, 2 034 exploitations couvrent alors 591 209 ha et les 64 les plus étendues exploitent à elles seules 119 477 ha. Ce plan ambitionnait de coloniser en dix ans 500 000 ha de terres incultes, de créer 20 000 exploitations familiales de 25 ha, de bonifier 200 000 autres hectares par la construction de routes et d'adduction d'eau, et l'introduction de nouvelles méthodes de culture et des contrats de travail plus justes. Alors que laculture extensive du blé, auquel succèdent les fèves, domine, il vise une diversification de la production (coton, lin, ricin, oliviers, agrumes, betterave, sorgho, plantes médicinales et fourragères). L'électricité doit être acheminée par tunnel sous-marin depuis la Calabre[222]. Mais, à part la création des nouveaux bourgs ruraux peuplés de Toscans[217], le plan reste inappliqué : au sortir de la guerre, les 87 domaines de plus de 1000 ha couvrent 8,7 % de l'ile (171 000 ha) et ceux entre 200 et 1000 ha occupaient un quart des provinces d'Enna et Caltanisetta, la mécanisation rare, le rendement en baisse[218],[Note 8].
Les principaux antifascistes siciliens sont communistes, recrutés parmi les ouvriers de Trapani, Syracuse et Messine.Francesco Lo Sardo,Girolamo Li Causi,Giuseppe Montalbano etLucio Lombardo-Radice sont condamnés par leTribunal spécial pour la sécurité de l’État. Parmi les chrétiens duParti populaire deLuigi Sturzo qui a du s'exiler, la résistance est menée par les représentants de la direction nationale, dont Giuseppe Tupini etGiovanni Gronchi, et par les locauxMario Scelba etSilvio Milazzo à l'est,Pasquale Cortese,Franco Restivo,Lauro Chiazzese à Palerme,Giuseppe Alessi etSalvatore Aldisio àCaltanissetta,Bernardo Mattarella àTrapani. L'opposition libérale est composée d'anciens parlementaires fidèles àGiolitti et àCroce, comme le trapanaisVirgilio Titone et le messinoisGaetano Martino. Le mouvement séparatiste s'oppose également au fascisme au nom du régionalisme, à l'image d'Antonio Canepa. Au début des années 1930, des étudiants créent le Front Antifasciste universitaire, alimentés par les discours universitaires comme le philosophe Gino Ferretti à Palerme s'opposant à l'idéalisme des Gentiliens, et des oppositions naissent entre 1939 et 1942 au sein des groupes universitaires fascistes de l'île. La presse d'opposition compteLa Croce di Costantino à Caltagirone,Il Faro à Trapani,Il Popolo à Caltanissetta,L'Opinione à Catane etPrimavera Siciliana à Palerme[223].
Lacampagne d'Italie débute avec les opérationsHusky etLadbroke, et le débarquement, à partir du 10 juillet 1943, de 450 000 soldats alliés entreGela etPachino.Harold Alexander, secondé parBernard Montgomery etGeorge Patton, mène l'opération contre 315 000 soldats italiens et 90 000 Allemands menés par le généralAlfredo Guzzoni etAlbert Kesselring[224]. Après une résistance allemande à Catane, et une progression facile à l'ouest entachée par lemassacre de Biscari, les Alliés entrent dans Palerme le 22 juillet et maitrisent l'ensemble de l'île après les chutes de Catane (5 août) et de Messine (17 août), et l'évacuation des forces allemandes vers Reggio[213]. L'armistice de Cassibile est signé le 3 septembre près deSyracuse entre leroyaume d'Italie et les forcesalliées[225].
Depuis l'entrée en guerre de l'Italie, l'île est isolée, ses exportations sont interrompues, ses importations aléatoires, les denrées rationnées, la mafia est revigorée par le soutien financier des clans américains et le développement du marché noir[226]. Les inégalités entre le Mezzogiorno, théâtre des intenses combats de la libération entre 1943 et 1944, et le Nord qui parvient à conserver 90 % de son potentiel industriel à l'issue du conflit, s'intensifient. Se nourrir coûte trois à quatre fois plus cher dans le Sud, la majorité des denrées étant accaparée par le marché noir[220].
Legouvernement militaire d'occupation dirigé par le général Alexander, secondé parFrancis Rennell Rodd etCharles Poletti, qui est en place jusqu'au 11 février 1944 et le transfert de la gestion administrative au gouvernement provisoire de Salerne, s'appuie sur le clergé et les notables plutôt que sur les forces politiques, même antifascistes, afin de garantir le calme dans l'île. Le pouvoir des chefs mafieux, non par une volonté délibérée de l'AMGOT, mais faute de personnel politique alternatif, s'en retrouve renforcé[224],[227]. Les alliés entament uneépuration franche, en particulier dans l'enseignement[220]. Les préfets et podestats des grandes villes sont destitués. Un an après le débarquement, 3671 personnes ont été jugées pour fascisme, dont 205 libérées, et 7234 en attente de jugement[215]. Mais l'AMGOT freine cette épuration quand elle touche des transfuges jugés essentiels dans les secteurs de l'économie et de l'administration[220].
Au sortir de la guerre, l'île, dirigée par unHaut commissaire nommé par le gouvernement italien, est tentée par leséparatisme, à travers leMouvement pour l'indépendance de la Sicile, mais la création le 28 décembre 1944 d'une commission pour unstatut autonome de la Sicile par le gouvernement italien d'Alcide De Gasperi, à laquelle les indépendantistes refusent de participer, la réforme agraire conduite par le communisteFausto Gullo, et le retour en force des partis de masse, font perdre son importance à ce courant[228]. Initiés par des fascistes laissés en liberté puis grossis par les nationalistes et les mafieux, les mouvements contre la faim et le chômage qui culminent lors dumassacre de la Via Maqueda, puis l'opposition à laconscription des« Nonsiparte », alimentent les rangs des séparatistes qui regroupent selonAndrea Finocchiaro Aprile jusqu'à 500000 militants, et causent plus de 60 morts et de 200 blessés en octobre 1944 et janvier 1945[229],[230]. Le banditSalvatore Giuliano habille de cette aspiration indépendantiste la défense des intérêts des barons et agrariens craignant les réformes, son soutien à la mafia cherchant à conservant la maitrise du marché noir, puis son appui aux monarchistes[225].
Lestatut d'autonomie régionale est promulgué le puis inclus dans la loi constitutionnelle du, donnant à la Sicile une liberté plus grande qu'auxautres régions autonomes[225].Carlo Trigilia souligne dansSviluppo senza autonomia (Développement sans autonomie, 1992) que paradoxalement l'autonomie juridique n'aura signifié ni autonomie économique (l'île est largement financée par les aides et transferts) ni une autonomie politique, l'idéologie « réparationniste » permettant au personnel politique local de n'avoir à gérer que la manne des subsides nationales au profit de la région, et plus sûrement de leur intérêt et celui de leurs alliés. L'autonomie provoque également un effacement de la Sicile au niveau de la vie publique nationale à partir de 1950[7].
Les Siciliens votent à 65 % pour la monarchie quand la majorité des Italiens préfèrent l'instauration d'une République[231]. La première assemblée régionale élue en avril 1947 marque la forte progression des communistes dans lesagrotowns, la gauche obtenant un tiers des voix, ce qui a pu motiver leMassacre de Portella della Ginestra. Le premier président de l'Assemblée régionale sicilienne estEttore Cipolla issu du mouvement populiste de droiteFronte dell'Uomo Qualunque[231].
Par anticommunisme, la Démocratie chrétienne, parti de la classe moyenne, choisit de s'allier aux partis réactionnaires (agrariens, monarchistes, séparatistes, populistes et libéraux) plutôt qu'à la gauche sicilienne, PSI et PCI, plus paysanne qu'ouvrière. Ainsi disparaît la perspective de réformes ambitieuses de l'île que l'autonomie pouvait laisser espérer concernant notamment l’agriculture, lesadministrations publiques locales et les infrastructures de transports[192]. La DC, et principalement la tendance deGiulio Andreotti, minoritaire au niveau national, domine un demi-siècle depolitique sicilienne. Les Siciliens votent traditionnellement à droite, la gauche n'obtenant jamais plus d'un tiers des voix. Pour autant, contrairement au reste du Mezzogiorno, ils approuventle divorce en 1974 etl'avortement en 1981, exprimant une tradition laïque et d'émancipation des femmes[232] alors qu'en 1966, la condamnation à 11 ans de prison du violeur deFranca Viola qui prétendait l'épouser exprime une aspiration à sortir de la culture dugallismo qui justifie les viols et incestes passés sous silence, les fréquentes violences contre les femmes, le contrôle de celles-ci par la famille et le village, notamment quand le mari est parti travailler hors de l'île sans emmener son épouse[227].
En application de la réforme agraire deFausto Gullo, 982 concessions pour 86400 ha de terres incultes (sur 5000 demandes et 900000 ha) sont accordées. Contesté par les grands propriétaires, le mouvement est freiné par leurs actions en justice et les recours aux mafieux qui font deux victimes par mois entre novembre 1946 et avril 1948 parmi les paysans, coopérateurs et syndicalistes, majoritairement communistes. Le front paysan se structure autour des ligues et des coopératives portées par la gauche et par ladémocratie chrétienne à la suite duParti populaire italien. Contre la nouvelle réforme agraire dugouvernement De Gasperi, dix ans après labonification agricole fasciste, l'assemblée régionale dominée par la droite, adopte le 27 décembre 1950 une contre-réforme moins volontariste, dont la légitimité constitutionnelle est confirmée par la Haute cour régionale[233]. Au moment où l'agriculture occupe encore un actif sur deux, elle se donne trois objectifs principaux : bonification, obligation d'emploi maximum de main-d'œuvre et redistribution foncière qui s'attaque auxlatifundia céréaliers de plus de 200 ha (les terres irriguées et vergers ne sont pas concernés), divisés en lots de 3 à 4 ha attribués par tirage au sort à des paysans pauvres sous l'égide de l'Ente per la riforma agraria siciliana (ERAS)[208], qui succède àl'Ente per la colonizzazione del latifondo siciliano faciste[222]. Au terme de son application, en 1962, sur les115 000 ha expropriés, majoritairement médiocres, 81 832 ont été réattribués à 18 937 exploitants supprimant les baronnies foncières sans pour autant réellement moderniser le secteur[234]. En ajoutant la vente directe de terres, 20 % de la surface agricole insulaire changent de propriétaires durant cette période[233]. Le groupement encoopératives est encouragé par l'Etat[208] mais contrecarré par l'individualisme paysan et la mafia[234] qui, quoiqu'originellement hostile à la réforme, détourne la vente des terres à destination des paysans à son profit[227]. Une nouvelle réforme agraire, portée par le président de la Région,Silvio Milazzo, exproprie au tournant des années 1950-1960, 93000 ha de terres non ou mal cultivées, revendus à des paysans et dont les gains des ventes financent la bonification et la construction d'infrastructures publiques mais n'empêche pas l'inexorable baisse du poids de l'agriculture dans la population active[235]. L'agriculture intensive côtière se développe, à l'image de laConca d'Oro plantée d'agrumes, d'arbres fruitiers et de légumes jusqu'ausac de Palerme, les vignobles occupent les pentes de l'Etna, quatre cinquièmes du sol volcanique de Pantelleria sont dédiés à la vigne[209]. En 1973, lerendement agricole monte à 15,1 quintaux à l'hectare — contre 12,1 en 1938-1939 et 6,6 en 1945-1947 — la production de coton relancée après guerre passe de 122000 q de fibres en 1955 à 9000 en 1973[236].

Le développement industriel est tardif et lent, malgré 280 milliards de lires d'investissement entre 1947 et 1957, majoritairement étranger à l'île[209]. Plutôt que l'amélioration des infrastructures, l’argent public finance le maintien dupouvoir d'achat des familles redevables aux hommes politiques locaux[192]. Organe étatique du principe de réparation défendu par les autonomistes, laCassa del Mezzogiorno consacre 220 milliards de lires à la Sicile pour l'agriculture, les infrastructures, l'industrie et le tourisme entre 1950 et 1965 (soit 18 % de l'enveloppe globale)[234]. À partir des mines, seule activité industrielle traditionnelle qui emploie 10000 mineurs en 1950 mais dont la production deconcentré décline de 80000 t en 1966 à 26000 t en 1973, l'industrie chimique se déploie pour transformer le soufre, lesel gemme, la potasse, legaz (près de Catane) et les hydrocarbures : desraffineries à Géla, Augusta et Milazzo[Note 9], l'industrie chimique à Augusta-Priolo et àTermini Imerese. La production de ciment se développe également. Augusta devient le troisième port italien en tonnage de marchandises[236]. Mais le pétrole n'enrichit pas la Sicile comme hier le soufre, et après avoir cru de 4 points entre 1961 et 1971, la part de l'emploi industriel stagne à 13 %[235].
Durant les deux décennies postérieures à la Seconde Guerre mondiale, la population augmente plus rapidement que l'ensemble de la population italienne (11,9 % contre 8 %) du fait d'une baisse supérieure de la mortalité et un fléchissement moindre de la natalité[209]. Le paludisme est vaincu, l'analphabétisme tombe à 16,46 % en 1961 (contre 71 % en 1901 et 40 % en 1941). Mais plus de la moitié des Siciliens des années 1950 vivent dans l'extrême pauvreté, avec un revenu moyen inférieur de 30 % à la moyenne nationale[235], mais toujours plus haut que leBasilicate et d’autres régions méridionales[7]. Les Siciliens quittent le centre de l'île vers le littoral, bétonné pour le tourisme, l'industrie et de population croissante, les villes croissent, anarchiquement, par l'arrivée des ruraux, une partie des ménages s'enrichit et adopte laconsommation de masse dans les années 1960[235]. Leséisme de janvier 1968 met en lumière lavallée du Belice laissée à l'écart du « miracle économique »[237]. Messine et Palerme sont les seules métropoles italiennes à gagner des habitants dans les années 1970 et 1980[238]. L'émigration reprend, vers l'Europe du Nord et l'Italie septentrionale industrialisée[213] : pendant que la population insulaire passe de 4,7 à 4,9 millions entre 1950 et 1960, 386000 Siciliens quittent l'île dans les années 1950, 624 000 dans la décennie suivante. L'économie locale profite des devises envoyées par les ouvriers de l'automobile ou du bâtiment, les mineurs, les commerçants, à leurs familles restées sur l'île qui poursuit sa standardisation italienne, perd progressivement ses spécificités culturelles[216]. L'Association pour le développement industriel du Midi italien analyse en 1989 que « de la société industrielle, [le Midi] a emprunté ses modèles de consommation et les valeurs sociales de la mobilité et du succès, mais pas la structure et l'organisation économique, du moins pas dans la mesure qui aurait permis de réaliser complètement ces valeurs dans la légalité »[227]. Cette« modernisation sans industrialisation » édifie écoles, universités, hôpitaux et musées, sans que l'économie ne puisse financer un fonctionnement de qualité des services publics[192] et ne modifie les bases sociales et civiques[227].
LaMafia (Cosa Nostra etStidda), organisation criminelle socialement enracinée dont la puissance réside dans un réseau clientéliste, persiste. Si la mafia rurale, bras armé du parti agrarien, disparait en même temps que leslatifundia qu'elle contrôlait, la mafia urbaine prend la relève de la collusion avec le pouvoir politique à travers le détournement des aides de l'Etat, la fraude aux marchés publics et la contrebande du tabac puis de la drogue[227]. À l'image des frèresLa Barbera et duclan Greco[227], elle profite de la spéculation immobilière en accaparant les fonds pour la construction de lotissements et villas, laquelle culmine dans les années 1950-1960 avec lesac de Palerme, mené avec le soutien des élus de l'époque[239]. Elle croît par la malhonnêteté des élites et faute de contre-pouvoir économique influent, puis se consolide dans les années 1980 quand l’État substitue à la stratégie de développement économique une politique publique d'assistance au Mezzogiorno[192]. Active dans le trafic de drogue dès l'époque deLucky Luciano, la mafia fait de la Sicile un centre majeur du raffinage et de la diffusion de l'héroïne après le démantèlement de laFrench Connection en 1974, tissant un vaste réseau en Europe et à travers le monde grâce à ladiaspora italienne, l'ouverture des frontières et le l'absence de coopération policière et judiciaire internationale[238].

Lecompromis historique entre la DC et le PCI, de même que la volonté de certains centristes d'assainir les pratiques politiques, attisent l'hostilité de la mafia qui tue le secrétaire provincial de la DCMichele Reina en 1979 et le président de la régionPiersanti Mattarella en 1980[240]. Les affrontements des clans criminels débutés à la fin des années 1960, auxquels s'ajoute une véritable guerre contre l'État, à partir de la fin des années 1970, culminent entre 1981 et 1983 avec laDeuxième guerre de la mafia et l'assassinat du préfet dePalerme, le généralCarlo Alberto Dalla Chiesa. En réponse, l’État copie la politiqueantiterroriste à travers des enquêteurs et magistrats spécialisés qui s'appuient sur des repentis pour détricoter la nature multiple et intimement imbriquée dans le système politico-économique local[239].
Le parrainToto Riina, qui mise sur cette « stratégie de la terreur » pour assouplir les lois antimafia, multiplie les assassinats de politiciens, de journalistes, de policiers et de magistrats, jusqu'aux morts des jugesGiovanni Falcone etPaolo Borsellino en 1992[239]. Au contraire, ces deux attentats entrainent une réaction populaire sans précédent contre le crime organisé[239]. En, Jean-Paul II effectue un voyage en Sicile, lors duquel il s'en prend à« culture de mort de la mafia » et appelle les hommes d'honneur à revenir vers le dogme catholique comme une tribune d'intellectuels catholiques dénonce dans leGiornale di Sicilia« le scandaleux entrelacs entre représentants de l’Église catholique et émissaires du pouvoir mafieux, à travers l’inquiétante médiation des politiciens »[239]. S'ensuivent la levée de l'immunité parlementaire deGiulio Andreotti le 13, l'arrestation deBenedetto Santapaola le 18, mais aussi cinq attentats faisant cinq morts et vingt blessés àFlorence,Milan etRome, commandités par leclan des Corleonesi[241]. Après la création deLa Rete deLeoluca Orlando qui prône la lutte politique contre Cosa Nostra en s'ouvrant à la société civile, et malgré une bonne tenue de la DC et du PSI face à l'opération Mains propres, le personnel politique sicilien se renouvelle fortement dans la seconde moitié des années 1990[242]. Si laMafia se fait depuis plus discrète, elle continue de racketter les entreprises par lepizzo et de noyauter l'économie à travers de multiples appels d'offres truqués, formant un obstacle au développement de la région.

Traditionnelle terre d'émigration, la Sicile devient auXXIe siècle, une terre d’immigration. L'île deLampedusa attire régulièrement l'attention des médias par lesboat-people de migrants qui y débarquent ou y sont débarqués. La population vieillit (20 % des Siciliens ont plus de 65 ans en 2008, 16 % moins de 15 ans), le taux de chômage est le plus fort d'Italie et frappe surtout les 15-24 ans, les femmes ne représentent qu'un tiers des actifs. L'économie souterraine (corruption généralisée et activités mafieuses) reste fortement intégrée dans l'île qui reçoit de fortes subsides publiques, possède un faible tissu de PME, manque d'attrait pour les grandes firmes privées au profit de la primauté des entreprises publiques autonomes de l’État dont la gestion clientéliste est ruineuse. Aussi l'île semble vivre une« modernisation sans développement » selon le mot d'Alfio Mastropaolo[243].
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