Corinthe (engrec ancien :Κόρινθος,Kórinthos) est une anciennecité-État (polis) située sur l'isthme de Corinthe, l'étroite bande de terre reliant la péninsule duPéloponnèse au reste de laGrèce continentale, à mi-chemin entreAthènes etSparte. La ville moderne deCorinthe se trouve à environ cinq kilomètres au nord-est des ruines antiques. Depuis1896, des fouilles archéologiques systématiques menées par l'école américaine d'études classiques à Athènes ont mis au jour des pans entiers de l'ancienne cité, et des fouilles plus récentes, entreprises par le ministère grec de la Culture, ont mis en lumière de nouvelles découvertes archéologiques d'une importance fondamentale dans la compréhension du monde de laGrèce antique.
Corinthe est l'une des rares grandes cités grecques de l'Antiquité à n'avoir jamais développé de politique impérialiste[2]. Elle cherche surtout à s'enrichir par le commerce et défend sa liberté face aux intentions hégémoniques des autres cités grecques, puis contre les velléités macédoniennes,achéennes et enfin romaines. Après sadestruction par laRépublique romaine en146 avant notre ère, la cité ressuscite sous l'Empire romain et prospère grâce à la colonisation et à laPax Romana avant d'être à nouveau éclipsée à la fin de l'Antiquité tardive. La Corinthe antique était une des villes les plus grandes et les plus importantes de la Grèce, avec une population de 90 000 âmes vers400 av. J.-C. Lors de sa refondation en44 av. J.-C., lesRomains construisent une nouvelle ville sur l'ancienne et en font la capitale de laprovince d'Achaïe dans les décennies suivantes.
La céramiquenéolithique suggère que le site de Corinthe est occupé dès 6500 av. J.-C. au plus tard, et de manière continue depuis l'âge du bronze ancien[3], époque à laquelle, selon certaines hypothèses, elle prospère en tant que centre d'échanges et de commerce[4]. Cependant, on observe une forte diminution du nombre de vestiges céramiques durant la phasehelladique ancienne. Il semble donc que la région a été très faiblement peuplée lors de la période précédant immédiatement celle de lacivilisation mycénienne bien qu'elle ait probablement accueilli une ville-palais à l'image deMycènes,Tirynthe ouPylos. Alors que le nombre de poteries est négligeable sur le site de Corinthe, on en retrouve sur la côte, près deLéchaion, ce qui témoigne de la persistance des échanges commerciaux à travers le golfe de Corinthe ; le site de Corinthe lui-même est massivement réinvesti vers 900av. J.-C., année autour de laquelle lesDoriens s'y seraient installés[5].
Selon le mythe corinthien tel que rapporté parPausanias, la ville est fondée par Corinthe (héros éponyme), un descendant du dieuZeus, tandis que d'autres mythes attribuent la fondation de la cité à la déesse Éphyra, fille dutitanOcéan, d'où son nom primitif (Éphyra). Selon le mythe,Sisyphe serait le fondateur de la lignée des premiers rois de Corinthe[6]. C'est également dans cette ville queJason, meneur desArgonautes, a abandonnéMédée. LeCatalogue des vaisseaux de l'Iliade mentionne les Corinthiens parmi les participants à laguerre de Troie sous la conduite d'Agamemnon.
Dans un autre mythe rapporté parPausanias[7],Briarée, l'un desHécatonchires, était l'arbitre d'un litige opposantPoséidon, dieu de la mer, àHélios, dieu du soleil. Son verdict est que l'isthme de Corinthe, proche de la mer, appartiendrait à Poséidon, tandis que l'acropole (Acrocorinthe), au plus près du ciel, reviendrait à Hélios.
Un énième mythe transmis par Pausanias explique queSisyphe rapporta au dieuAsopos que Zeus avait enlevé sa filleÉgine. En compensation, le dieu-fleuve fit surgir l'eau qui alimente la fontainePirène entre les murs de l'acropole. Le cheval ailéPégase s'y posa et but à la source où il finit par être capturé et apprivoisé par le héros corinthienBellérophon.
Sur le plan économique, Corinthe étend ses échanges, initialement limité autour dugolfe de Corinthe, vers laThessalie, l’Épire et l’Illyrie dans le but sans doute d’obtenir des métaux[13], en particulier le bronze que la cité commence à travailler vers 750[14].
Cependant, les Bacchiades, conservent des magistratures importantes comme la fonction deprytane. Et de 747 à 650, Corinthe devient un état unifié. Un grand nombre de bâtiments et de monuments sont construits à cette époque. En 733 av. J.-C., Corinthe établit des colonies àCorcyre, àPotidée et àSyracuse. Cette dernière a pour fondateur, peut-être mythologique,Archias de Corinthe. En 730 av. J.-C., Corinthe est devenue une ville grecque développée. Cependant, alors que Corinthe est impliquée dans les guerres avecArgos etCorcyre, le mécontentement de la population grandit à l’égard de ses dirigeants. La victoire de Corcyre sur Corinthe en 664 dégrade encore la situation. Vers le milieu ou la seconde moitié duVIIe siècle av. J.-C. (la datation traditionnelle de 658/7 est discutée), les Bacchiades sont définitivement expulsés par le polémarqueCypsélos, qui devienttyran[22]. Une partie des Bacchiades s'installe alors àTarquinia en Étrurie. Ils seraient selon une légende à l'origine de la dynastie des rois étrusques[23],[24].
L'augmentation de la richesse et le développement des relations commerciales perturbent les structures sociales des cités-États grecques qui ont alors tendance à renverser les dynasties des rois prêtres ; Corinthe, la plus riche des polis archaïques, ouvre la voie à ce changement[25]. Les tyrans prennent le pouvoir avec le soutien populaire. Tout en respectant les lois et coutumes existantes, les tyrans entretiennent, un culte de la personnalité qui se substitue au pouvoir d’origine divine des anciennes maisons royales.
Périandre, son fils qui lui succède en 627[27], est considéré comme l'un desSept Sages de la Grèce. Pourtant, selon Hérodote et Aristote, il appuya son pouvoir sur la plèbe et réprima violemment les velléités aristocrates. Pendant son règne, les premières monnaies corinthiennes sont frappées à l'image de Pégase[28]. Il fut le premier à tenter de percer l'isthme afin de permettre la circulation des navires entre le golfe de Corinthe et le golfe Saronique. Il doit abandonner l'entreprise en raison des difficultés techniques extrêmes, mais il fait construire leDiolkos qui permettait aux navires de traverser l'isthme de Corinthe par voie terrestre. Sur le plan militaire, Périandre conquiert les cités d'Épidaure et de Corcyre. Lycophron, son fils, l’accusa de l’assassinat de sa mère. Périandre l'exila à Corcyre où il fut assassiné quelque temps plus tard par la population. Périandre meurt peu après, en 585. Le pouvoir passe entre les mains de son neveu Psammétique qui lui succède. Mais ce dernier est assassiné en 581, mettant ainsi fin à cette dynastie des Kypsélides.
La cité est aussi réputée pour seshétaïres (prostituées du temple). En effet, Corinthe, possède un temple dédié à la déesseAphrodite, la déesse de l'amour, emploie quelque mille hétaïres. Ces dernières servent les riches marchands et les hauts magistrats vivants ou voyageant dans et hors de la ville. La plus célèbre d'entre elles,Laïs de Corinthe, grâce à sa beauté et ses talents, facturait extrêmement cher ses faveurs.
C’est à cette époque qu’émerge l’ordre corinthien, le troisième ordre de l'architecture classique après le dorique et l’ionique. L'ordre corinthien était le plus complexe des trois, exprimant l'accumulation des richesses et le mode de vie luxueux en cours dans la cité-état antique, en opposition à l'ordre dorique exprimant un mode de vie plus strict et simpliste des anciens Doriens comme les Spartiates. L'ordre ionique était lui l’expression d’un équilibre fidèle à la philosophie et l'harmonie des Ioniens comme les Athéniens.
La ville possède deux ports principaux, l'un dans legolfe de Corinthe et l’autre dans legolfe Saronique, au service des routes commerciales respectivement de l'ouest et l'est de la Méditerranée. Dans le golfe de Corinthe le port deLéchaion relie la ville à ses colonies occidentales (en grec:apoikoiai) et laGrande-Grèce, tandis que dans legolfe Saronique, le port deCenchrées sert les navires en provenance d'Athènes, de l'Ionie, deChypre et du reste du Levant. Les deux ports accueillent l’importante flotte de guerre de la cité. Son influence lui permet de servir de médiateur entreSyracuse etGela en 491.
Après la défaite des Perses, en 479-478, Corinthe s'inquiète des fortifications menées àMégare etEgine par Athènes. Corinthe s'oppose encore àMégare, pourtant membre de la ligue du Péloponnèse, pour des litiges frontaliers. Mégare cherche alors la protection d'Athènes et se rallie à laLigue de Délos en 460. Athènes envoie des troupes en 459[37]. C'est à partir de cet épisode que naît l'hostilité entre Corinthe et Athènes qui va perdurer dans les décennies suivantes[38]. Le conflit entre Mégare et Corinthe est aussi une des causes de lapremière guerre du Péloponnèse, qui se déroule entre 460 et 446[39]. La question pour savoir qui a ouvert en premier les hostilités entre Corinthe et Athènes est partagée entre les historiens, mais c'est Corinthe qui l'emporte initialement à Halieis au sud de l’Argolide en 459 avec ses alliés Epidauriens[40]. Après cet échec, Athènes vainc les flottes combinées d'Égine, Épidaure et Corinthe lors de labataille d'Égine en 458, près deKékryphaleia, et enchaine une série de victoires comme à labataille d'Œnophyta qui lui permet de dominer la Béotie à partir de 457. Devant l'épuisement de Corinthe et l'incapacité d'agir des Spartiates, un premier armistice est conclu en 451[41]. Avec ces victoires, Athènes devient la première puissance maritime et terrestre du monde grec[42]. Mais labataille de Coronée, 446 av. J.-C., met fin à la domination athénienne dans la région et amène à lapaix de Trente Ans qui conduit entre autres au retour de Mégare dans la ligue du Péloponnèse.
Les différends entreAthènes et Corinthe prennent une place importante dans les causes qui menèrent à laguerre du Péloponnèse. Laligue du Péloponnèse repose essentiellement sur l’opposition à Athènes. Et dans la ligue, Corinthe se montre comme l’un des adversaires les plus farouches à Athènes, mettant constamment la pression sur Sparte pour agir[43]. Si la peur de l’assujettissement et de la domination politique est importante pour Corinthe, les raisons économiques ne sont pas négligeables dans les causes du conflit. L’hégémonie athénienne sur mer, qui impacte déjà la cité de Mégare[44], inquiète Corinthe au sujet de son propre commerce[45].
Une guerre civile éclate en 435 àÉpidamne, colonie deCorcyre, cité fondée par Corinthe. Devant l’inaction de Corcyre, Épidamne fait appel à Corinthe qui envoie des soldats. En 433, Athènes s’allie alors avec Corcyre contre Corinthe et envoie des soldats. Mais ces derniers, insuffisants en nombre, ne peuvent empêcher la victoire de Corinthe lors de labataille navale au large des îles Sybota[46]. Toujours en 433, Athènes fait pression surPotidée, une ancienne colonie de Corinthe, alors membre de laLigue de Délos, pour expulser les magistrats corinthiens. Potidée refusant, Athènes décide d’assiéger la cité. Corinthe, qui n'entend pas laisser assiéger son allié sans réagir, envoie à son tour une armée de 2 000 hommes avec à sa têteAristéas. Labataille de Potidée qui s'ensuit, en 432, ne permet pas de libérer la cité, et les troupes de Corinthe dépassées doivent s'enfuir[47]. Le siège perdure et Potidée tombe en 429. Le soutien de Corinthe à Potidée et d'Athènes à Corcyre, contraire aux conditions de lapaix de Trente ans, est l'une des causes directes conduisant à la guerre du Péloponnèse[37].
Ruines de Corinthe.
Corinthe, avec le soutien deMégare à qui Athènes a fermé son marché, appelle alorsSparte à la guerre contre Athènes en 431. Sparte accède aux demandes, marquant ainsi le début de la guerre du Péloponnèse[48]. Durant la guerre, Athènes conquiert les colonies corinthiennes deSollion en 431, d'Anactorion en 425. La colonie d’Ambracie est détruite en 426. La mort de l’athénienCléon et du spartiateBrasidas, partisans farouches de la guerre, permet aux modérés de faire entendre leur voix, et la paix entre Athènes et Sparte est jurée. Mais Corinthe refuse de signer lapaix de Nicias en 421, car le traité ne permet pas à Corinthe de récupérer ses colonies perdues[49]. La paix est fragile et le conflit se fait indirect. Corinthe, non satisfaite par la paix, reproche à Sparte de ne pas défendre suffisamment les intérêts de la cité. Corinthe cherche à former une nouvelle alliance avec Argos. La nouvelle confédération accueille par la suite les cités de Mantinée, d’Elis et quelques cités de Chalcidique[50]. Mais Sparte n’entend pas les choses ainsi et débute de nouvelles négociations afin de renouer avec Corinthe[51].
Les cités d’Argos, d'Élis et deMantinée se retournent vers Athènes, en 418, qui cherche à étendre son influence dans le Péloponnèse et essaie d’endiguer Sparte dans ses territoires par le jeu d’alliances. Cette alliance défensive fait resurgir les tensions entre Sparte et Athènes. Sparte envoie son armée sur Mantinée. Corinthe apporte son aide à Sparte lors de labataille de Mantinée, 418 av. J.-C., qui défait Athènes[52]. Cette victoire permet à Sparte de retrouver une influence totale sur le Péloponnèse[53].
En 414, Athènes mène l’expédition de Sicile. Corinthe participe à la défense deSyracuse, son ancienne colonie. Corinthe brise le blocus[54] et défend victorieusement le port de Syracuse contre la flotte athénienne[55]. Cette expédition est un désastre militaire pour Athènes. Plus de 200 navires et 50 000 soldats sont perdus. En 413, Corinthe porte un coup fatal aux positions occidentales de la flotte athénienne devantNaupacte, puis au large d’Érinéos d'Achaie[56]. Malgré ses efforts pour relever sa flotte, Athènes est définitivement battue en 405 lors de labataille d'Aigos Potamos par la flotte spartiate, conduisant l'année suivante à la fin de la guerre du Péloponnèse. Corinthe, ainsi que Thèbes, demande la destruction d'Athènes, ce que Sparte refuse[57]. Sparte se montre relativement clémente vis-à-vis d'Athènes[58] et accepte un armistice qui ordonne la destruction desLongs Murs et de la flotte athénienne[59]. Au sortir de la guerre du Péloponnèse, Sparte a accru son hégémonie sur tout le monde grec[60].
La décision spartiate d'épargner Athènes a pour conséquence de dégrader les relations entre Corinthe et Sparte[37]. La position stratégique de Corinthe sur la route qui mène vers le nord de la Grèce aggrave les hostilités entre Corinthe et Sparte. De plus, le soutien apporté par Sparte à Denys l'Ancien à Syracuse, comme son intrusion dans les affaires asiatiques, contrarie énormément Corinthe et Athènes[61]. L’hostilité contre Sparte est de plus appuyée politiquement par les démocrates à Corinthe[62]. Afin de lutter contre l’hégémonie spartiate, Corinthe, Thèbes, Athènes et Argos s’allient, encouragées par le satrapeTissapherne à la suite de l'expédition des Dix Mille conduite par Sparte[63]. Ces événements conduisent à laguerre de Corinthe. Les coalisés, dont Corinthe prend la tête[30], installent un conseil à Corinthe, auquel se joignent bientôt les Eubéens, les Acarnaniens, les Leucadiens et la Chalcidique[64],[65].
Malgré une cuisante défaite de leur flotte face aux Perses et leur allié athénien lors de labataille de Cnide, la guerre tourne initialement à la faveur des Spartiates lors des batailles deNémée en 394 et deCoronée la même année. Mais Sparte ne parvient pas à passer l’isthme de Corinthe, et le conflit se transforme en une guérilla dans la région de Corinthe[66]. Au bout de deux ans de conflit, le corps social de Corinthe vole en éclats. En effet, les aristocrates, dont la fortune repose essentiellement sur l'exploitation de leurs terres, ne veulent plus soutenir le conflit, qui a encore la faveur du peuple. Une guerre civile éclate en 392 et un grand nombre d’aristocrates sont assassinés. Les démocrates prennent le pouvoir et imposent à la cité unesympolitie (sympolitéia/fusion) avec la cité d’Argos[67]. Les murs de leur frontière commune sont démontés[68]. Les Spartiates tentent de s'opposer à cette fusion avec le soutien des oligarques corinthiens, qui s'emparent du port corinthien de Léchaion en 392 puis une seconde fois en 390[69],[70], après en avoir été expulsés par les athéniens lors de labataille de Léchaion en 391[66]. Mais le stratège athénienIphicrate harcèle les Spartiates et leur reprend un grand nombre de positions autour de Corinthe, à défaut de Léchaion[68]. Sur mer, les Athéniens, sous l'impulsion deConon, se lancent à la reconquête de leur ancien empire maritime. Ils reconquièrent de nombreuses îles (Skyros,Imbros,Lemnos) et s'allient avec des adversaires de la Perse (Évagoras de Chypre et le pharaonAchôris[71]). Cette politique inquiète les Perses qui retournent leur alliance en faveur de Sparte. Ce retournement incite les protagonistes à négocier la paix, démontrant le nouveau poids de la Perse dans les affaires grecques. En effet, les négociations sont arbitréesde facto par le roi de Perse[72].
La menace d'intervention de la Perse incite tous les belligérants à négocier la paix. L'intervention perse dans les conflits grecs inspire la premièrePaix commune (Koiné eiréne). Elle veille à garder un certain équilibre entre les cités grecques afin d'éviter la montée en puissance de l'ennemi potentiel qu'est la Perse[73]. Cette premièreKoiné eiréné prend le nom de paix du Roi oupaix d'Antalcidas, en 386, conclue en faveur de Sparte[60]. LaPerse recouvre son autorité sur les cités d'Asie, tandis que l’autonomie des cités grecques est proclamée sous la protection de Sparte. Athènes conserveSkyros,Imbros etLemnos[63]. LaConfédération béotienne est dissoute[74]. Sous la pression de Sparte, les clauses de paix imposent la rupture de la sympolitie entre Corinthe et Argos[75]. Les oligarques reprennent le pouvoir, et la cité réintègre la ligue Péloponnésienne[66]. Sparte est alors, à la fin des années 380, à l'apogée de sa puissance[76],[77]. À la suite de la guerre de Corinthe, les Grecs n'interviendront plus en Asie avant la montée en puissance de la Macédoine avecPhilippe II de Macédoine etAlexandre le Grand[61].
En 379, de retour dans la ligue du Péloponnèse, Corinthe soutient Sparte dans la guerre contre Thèbes, qui veut disloquer la ligue et reconstruire saConfédération. Dans le même temps, Athènes cherche aussi à reconstruire sa puissance avec laseconde confédération athénienne, créant un troisième pôle de gravité avec Sparte et Thèbes[78]. Mais Thèbes résiste et soumet toute laBéotie entre 379 et 371. Initialement soutien des Thébains, Athènes s'allie avec les lacédémoniens lors du congrès de Sparte en 371, isolant ainsi Thèbes. La victoire thébaine lors de labataille de Leuctres permet à la cité béotienne de briser l’hégémonie spartiate[79]. La puissance de Thèbes est telle qu'elle sera la première cité grecque à prendre et à piller la cité de Sparte en 370. La campagne d'Épaminondas dans le Péloponnèse permet à laMessénie de se libérer du joug spartiate[80]. La défaite spartiate attise la volonté d'indépendance des démocrates corinthiens qui veulent chasser les soldats spartiates de la cité, mais l'aristocratie s'y oppose et maintient son soutien aux Lacédémoniens[66].
En 369, Thèbes cherche à conquérir Corinthe, qui résiste au pied de ses murs avec l’aide des troupes athéniennes deChabrias[81]. Thèbes cherche un arbitrage favorable de la part du roi de PerseArtaxerxès II, qui convoque les représentants des cités grecques àSuse. Les conditions de paix sont particulièrement défavorables pour Athènes et pour Sparte et ses alliés. Mais Thèbes fait pression sur les cités pour qu'elles acceptent les conditions en commençant par Corinthe[82]. En 366, Corinthe refuse catégoriquement les clauses du rescrit de Suse, bientôt suivie par les autres cités[66]. L'année suivante, en 365, Corinthe, usée par la guerre, accepte finalement de reconnaître l'indépendance de laMessénie aux dépens de Sparte et conclut une paix séparée avec Thèbes[83],[84]. Pourtant, devant l’insistance de Thèbes à maintenir sa présence dans le Péloponnèse, Corinthe participe en 362 avec Sparte à labataille de Mantinée[66]. La victoire thébaine est ternie par la mort de leur généralÉpaminondas, qui contraint la cité à demander une paix qui est conclue en -362/-361. La mort du chef thébain met fin à la domination de Thèbes[85]. Sparte vaincue et Thèbes sans meneur, les deux cités ne seront pas en mesure de s’opposer à l’ascension de la Macédoine.
AuIVe siècle, la vie politique de la cité continue à être particulièrement mouvementée et souffre de nombreuxstasis[86] et coups de force. Vers 366-365,Timophane, militaire et homme politique issu d'une grande famille corinthienne, se voit confier une troupe de cavalerie de 400 hommes pour la défense de la cité, mais il se sert de ses troupes pour prendre le pouvoir. Après avoir éliminé ses opposants dans un bain de sang, il tente d'imposer un régime tyrannique à Corinthe, mais son frèreTimoléon, après avoir tenté de l'en dissuader, l'en empêche et le tue avec l'aide de complices[87].
Dans les années qui suivent, Corinthe s’intéresse aux affaires de son ancienne colonie deSyracuse. En 345, Corinthe envoieTimoléon à la tête d'une armée de mercenaires rétablir une situation alarmante en Sicile devant la menace Carthaginoise et l'incapacité deDenys le Jeune à éteindre les troubles qui traversent l'île. Le Corinthien parvient à rétablir la situation. Il fait exilerDenys le Jeune à Corinthe, vainc l'expédition militaire carthaginoise en Sicile et conclut la paix avecCarthage. Il relève la cité en faisant venir descolons de toute la Grèce entre 344 et 337[88].
En 343,Sparte etThèbes très affaiblies, Corinthe, devant la montée en puissance duroyaume de Macédoine et sous l'impulsion deDémosthène, s'allie avecAthènes[66]. En 338, les troupes de Corinthe font partie de l'armée coalisée autour d'Athènes pour s'opposer àPhilippe II, dont les troupes ont envahi les terres[89]. La victoire de Philippe à labataille de Chéronée, 338 av. J.-C., marque le début de l'hégémonie de la Macédoine sur toute la Grèce. Lors de la venue de Philippe dans le Péloponnèse, Corinthe conclut un traité de paix avec lui. Ce dernier convoque les cités grecques à Corinthe afin de conclure uneKoiné eiréne. Toutes les cités acceptent hormis Sparte[90]. Elles sont intégrées dans laligue de Corinthe dont Philippe prend la tête. La ligue vise à stabiliser la Grèce d'une part et unifier les Grecs contre la Perse que Philippe veut conquérir[91]. Après la révolte de Thèbes en 335, Corinthe doit accueillir une garnison de soldats macédoniens en son sein[66]. Corinthe devient alors l'une des principales bases d'appui macédoniennes en Grèce.
Le monde égéen vers 200 av. J.-C.Tridrachme en argent de Corinthe, v. 308-306 av. J.-C.
Au cours de la période hellénistique, Corinthe, comme beaucoup d'autres cités grecques, ne recouvre jamais totalement son autonomie. Lessuccesseurs d'Alexandre le Grand se battent pendant de nombreuses années pour recueillir l'héritage d'Alexandre, et Corinthe est régulièrement le champ de bataille desAntigonides de Macédoine et d'autres puissances hellénistiques. Pendant le règne d'Alexandre et jusqu'en 319 elle est sous l'influence d'Antipater. Puis à la mort de celui-ci la ville passe sous l'influence dePolyperchon et son filsAlexandros. En 314, Alexandros est assassiné et sa femmeCratesipolis (titre qui signifie « Preneuse de ville », on ignore son véritable nom) prend sa suite. Elle devient donc souveraine de Corinthe et deSicyone (entre autres) jusqu'en 308, où elle cède la ville àPtoléméeIer, qui se présentait comme le libérateur de la Grèce du joug des Antigonides.Cassandre reprend la ville en 307 puis la perd au profit deDémétrios en 304[92].
Corinthe reste sous le contrôle des Antigonides pendant un demi-siècle. Après 280,Cratère, historien fils du général macédonienCratère, est nommé gouverneur de Corinthe. À sa mort en 263Alexandre, son fils, prend le pouvoir dans la cité. Vers -253/-252, il accepte l’or dePtolémée II et conteste la suprématie macédonienne. Subventionné par les Ptolémées, il cherche l'indépendance de la cité et impose de plus en plus un régime tyrannique. La perte de Corinthe et de l’Eubée est un coup violent porté à l'hégémonie macédonienne sur la Grèce.Antigonos II Gonatas tente de la récupérer en développant une alliance avec Athènes, Argos et Sicyone, mais Alexandre réussit à convaincre Sicyone de s'allier à lui, puis à la ligue achéenne. Occupé par une offensive de son rival Ptolémée dans lesCyclades, Antigonos est incapable de défendre ses positions. En 249, Alexandre obtient des victoires sur Athènes et Argos et, l'année suivante, il peut forcer ses ennemis à accepter une trêve. Au faîte de sa puissance, Alexandre meurt en 247, dans des circonstances qui ont conduit ses contemporains à croire qu'il avait été empoisonné par Antigonos.
Sa veuve,Nicée, prend le contrôle de ses biens, mais après la mort de son protecteur Ptolémée Philadelphe en 246 sa position est affaiblie. Antigonos obtient une victoire navale sur ses ennemis et peut retourner ses forces vers Corinthe. Nicée accepte de se marier au fils et héritier d'Antigonos,Démétrios II de Macédoine. Au cours des célébrations de mariage à l'hiver -245, Antigonos arrive à prendre la garnison de l’Acrocorinthe et le contrôle de la cité. La domination macédonienne tourne court deux ans plus tard. En -243,Aratos de Sicyone, par une attaque surprise, capture la forteresse de l'Acrocorinthe et convainc les citoyens de rejoindre laligue achéenne. Mais l’ingérence romaine dans les affaires grecques et le renouveau spartiate en lutte contre la ligue conduisent Aratos à demander l'aide du MacédonienAntigonos III Doson qui récupère Corinthe en échange en 224[93].
Lors de ladeuxième guerre macédonienne, en 197, Corinthe, dans le giron macédonien, devient un enjeu de la lutte entre Rome etPhilippe V. Son territoire est ravagé et pillé par Rome et ses alliés, la ligue achéenne etPergame, et la cité est assiégée[94]. LeconsulTitus Quinctius Flamininus vainc Philippe V à labataille de Cynoscéphales, en 197 av. J.-C.. Philippe doit rendre les terres conquises aux cités grecques. Accueilli en héros et libérateur et épris de culture grecque, Flaminimus proclame la liberté des cités grecques à Corinthe lors desjeux isthmiques en 196. Malgré ces déclarations, la ville est occupée par une garnison de soldats romains et réintégrée dans laligue achéenne, alliée de Rome. Sous la direction dePhilopœmen, les Achéens prennent le contrôle de l'ensemble du Péloponnèse et font de Corinthe la capitale de leur confédération[95].
Après avoir évacué le danger séleucide avec lapaix d'Apamée et vaincuCarthage, Rome peut se concentrer sur laGrèce. Le conflit qui oppose Rome à son ancien allié, laligue achéenne, a pour origine un différend entre Athènes etOropos. Son règlement passe par l’assemblée de la ligue située à Corinthe. Cette dernière va cristalliser les antagonismes et conduire la ligue et Corinthe à sa perte. En effet, devant les tergiversations de la ligue, les Romains finissent par prendre position en faveur de l’autonomie de certaines cités de la ligue dont Corinthe[96]. La cité d'Héraclée de Trachis profite de l’occasion pour faire sécession, ce qui conduit la ligue à mobiliser une armée pour la reprendre[97]. En 146, Rome déclare la guerre à la ligue achéenne, et après plusieurs victoires sur les forces de la ligue lors de l'été de cette année, les Romains, avec à leur tête le consulLucius Mummius Achaicus, assiègent Corinthe. Le général achéen Diaeus organise la défense contre Rome, mais sans réussite. Après labataille de Corinthe en 146av. J.-C. et la prise de la cité, Mummius fait exécuter tous les hommes et vend les femmes et les enfants comme esclaves avant d’incendier la ville[98],[99], fait d'armes pour lequel il reçut le surnom « Achaïcus », vainqueur de la Ligue des Achéens[100]. La destruction de Corinthe est sans doute due à la crainte des Romains d'une résurrection de l’opposition corinthienne[101] et à la volonté de faire un exemple en effaçant son identité. Son territoire est effet intégré à l'Ager Publicus dont une partie passe sous contrôle deSicyone[102],[103]. Cet épisode marque la fin définitive de l'indépendance de la cité[104].
La cité cesse d'exister pendant près d'un siècle et son territoire est administré parSicyone. Bien qu'il existe des traces archéologiques preuves de l’existence d’un certain nombre d'habitations dans les années qui suivent sa destruction[105],Jules César, qui veut lancer un grand programme colonial, refonde la ville commeColonia Laus Iulia Corinthiensis (colonie de Corinthe en l'honneur de Jules) en -44, peu avant son assassinat[106]. Les premières années de la renaissance de Corinthe sont particulièrement difficiles. La cité est ballottée d'un camp à l'autre au gré de l'évolution de laguerre civile romaine qui suit l'assassinat de Jules César[107]. Entre 44 et 30, la cité ne peut réellement prospérer[108]. Avec laPax Romana, et sous l'impulsion des Romains, Corinthe est reconstruite et redevient une grande ville du sud de la Grèce et de l’Achaïe. Patronnés par l'empereur, les jeux isthmiques sont à nouveau autorisés, démontrant le retour d'une certaine prospérité[109],[110]. Sous le règne du premier empereur romain, Corinthe reconstruit les temples d'HéraAkraia, d'Apollon et d'Aphrodite, un théâtre ainsi qu'un ensemble de boutiques au nord-ouest de l'Agora[105]. La population hétérogène de la cité est essentiellement composée de Romains, de Grecs et d'une communauté juive chassée de Rome par l'empereurClaude[111].
Corinthe est aussi mentionnée plusieurs fois dans leNouveau Testament, en grande partie dans le cadre de la mission de l'apôtrePaul de Tarse. La tradition veut que l’Église de Corinthe ait été fondée par saint Paul, ce qui en fait unsiège apostolique. Paul écrit au moins deux épîtres à la communauté chrétienne, lapremière épître aux Corinthiens et ladeuxième épître aux Corinthiens. La première épître reflète parfois le conflit entre l'Église chrétienne prospère et la communauté environnante. Lorsque l'apôtre Paul arrive à Corinthe vers 51 ou 52,Gallion, frère deSénèque, estproconsul de laprovince d'Achaïe, dont la capitale est Corinthe. Paul réside dans la cité dix-huit mois (voir Actes 18:1-18) où il devient un familier dePriscille et Aquila avec qui il travaille et voyage.
La cité qui a prospéré au début duIer siècleapr. J.-C., en particulier grâce à l'action deClaude, connaît son apogée sousNéron[112]. L'empereur romain, épris deculture grecque, témoigne de cette évolution lors de son voyage en Grèce à partir de 66. En 67 il proclame la liberté des Grecs auxjeux isthmiques à Corinthe, commeTitus Quinctius Flamininus l'avait fait deux siècles auparavant. Les ports de Léchaion et de Cenchrées sont aussi reconstruits ainsi que le sanctuaire d'Isthmia[113]. L’attitude deVespasien vis-à-vis de la cité est plus ambigüe. Il lui retire en effet le droit de frapper la monnaie, peut-être comme mesure de rétorsion en raison de troubles dans la cité[114]. Mais à la suite d'un tremblement de terre de 77 qui touche Corinthe il favorise la reconstruction et refonde la cité commeColonia Iulia Flavia Augusta[115]. À la fin duIer siècleapr. J.-C., Corinthe, qui est devenue une capitale de laprovince d'Achaïe, redevient une métropole régionale à l'image de ce qu'elle fut au sein de laligue achéenne et de son glorieux passé[116]. La cité a enfin retrouvé la prospérité[117].
AuIIe siècleapr. J.-C., on possède très peu d'information sur la cité[116]. La réfection des thermes d'Euryclès a lieu sous le règne deTrajan, celui du théâtre d'Hérode Atticus sousAntonin le Pieux. Quelques constructions sont aussi attestées comme celle d'un aqueduc apportant l'eau dulac Stymphale et celles des temples dédiés à Héraclès et à Posséidon sousCommode. Ces travaux attestent d'une certaine richesse de la cité, due principalement à une grande production artisanale et une activité commerciale très dynamique[105]. Des traces archéologiques de l’application de l'édit du Maximum au tournant duIIIe siècle ont aussi été retrouvées à Corinthe[118].
Lors de la scission de l'empire en 395, la cité passe dans l'Empire romain d'Orient sous domination byzantine. La ville est en grande partie détruite dans les tremblements de terre de 365 et 375. En 396, Corinthe est pillée parAlaric lors de son invasion de la Grèce. Après ces catastrophes, la ville est reconstruite une seconde fois, mais la cité couvrait une superficie beaucoup plus petite que précédemment. Quatre églises sont construites dans la ville proprement dite, une autre sur la citadelle de l'Acrocorinthe et une basilique monumentale au port de Lechaion[119]. Pendant le règne de l'empereurThéodose II, entre 408 et 450, on commence la construction d'un grand mur de pierre à partir dugolfe Saronique jusqu'augolfe de Corinthe, pour la protection de la ville et de la péninsule du Péloponnèse, afin de faire face aux invasions barbares du nord. Pour son édification, on utilise les pierres de nombreuses constructions de Corinthe. Le mur de pierre est long d'environ dix kilomètres et on le nommemur de l'Hexamilion (« six miles » = dix kilomètres). La structure est renforcée avec des tours supplémentaires sous le règne deJustinien[120].
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2011 :JacquesDumont, « Corinthe »,Encyclopédie Universalis,(lire en ligne, consulté le)
1854 :M.E. (d')Eschavannes,Histoire de Corinthe : Relation des principaux événements de la Morée, Paris, Just Rouvier,, 266 p.(lire en ligne)
1955 :ÉdouardWill,Korinthiaka : Recherches sur l'histoire et la civilisation de Corinthe des origines aux guerres médiques (thèse de doctorat), E. de Boccard,, 719 p.(OCLC490157183,lire en ligne)
1990 :Marie-ClaireAmouretti et FrançoiseRuzé,Le Monde grec antique : des palais crétois à la conquête romaine éditeur=Hachette Supérieur,, 320 p.(ISBN978-2-01-016010-3)
2006 :XavierBouteiller,Le territoire de Corinthe : Transformations politiques et aménagements du paysage (440 av. J.C.- 96) (thèse de doctorat),Université du Maine,, 328 p.(OCLC494485120,lire en ligne)
FrançoisQuantin, « Du même aux autres et de l’autre aux mêmes : Les Corinthiens sur les rives orientales de la mer Ionienne et du sud de l’Adriatique »,Pallas,no 89,(lire en ligne, consulté le)
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