Les hijras existent depuis l'Antiquité. Dans l'hindouisme, les filles hijra adorent le plus souvent la déesseBahuchara Mata qui est considérée comme la patronne de la communauté hijra, ou le dieuShiva, ou les deux. La culture des hijras est influencée par les traditions de plusieurs religions.
Dans certaines versions duRamayana[7], lorsqueRāma quitteAyodhya pour un exil de14 ans, une foule de ses sujets le suit dans la forêt.Rāma leur demande de ne pas pleurer et de retourner à Ayodhya. Lorsqu'il revient dans cette ville après une absence de14 ans, il constate que les hijras, n'étant ni hommes ni femmes, n'ont pas bougé de l'endroit où il a prononcé son discours. Impressionné par leur dévotion,Rāma accorde aux hijras le pouvoir de conférer des bénédictions lors d'occasions comme l'accouchement et les mariages. Ce pouvoir supposé est à l'origine du rite du « badhai » au cours lequel les hijras chantent, dansent et donnent des bénédictions[8].
LeMahabharata comprend un épisode dans lequel Arjuna, un héros de l'épopée, est exilé. Il assume alors une identité d'eunuque-travesti et effectue des rituels lors des mariages et des accouchements que les hijras sont censés perpétuer aujourd'hui[9].
En Inde du Sud, les hijras revendiquentIravan, personnage duMahabharata, comme leur ancêtre, et s'appellent eux-mêmes « Aravanis »[8]. Dans leMahabharata, Iravan offre son sang à la déesseKali pour assurer la victoire des Pandavas lors de la guerre de Kurukshetra ; Kali accepte de lui accorder le pouvoir. La veille de la bataille, Iravan exprime le désir de se marier avant de mourir. Aucune femme n'étant disposée à épouser un homme destiné à mourir quelques heures plus tard, le SeigneurKrishna (commeMohini) l'épouse.
LesHijra avaient pour titre traditionnel celui deTritîyâ Prakriti, « troisième Nature », incarnant à leur façon le SeigneurArdhanari ; lesTritîyâ-Prakriti n'étaient pas castrés chez leshindous (pratique interdite par l'Union indienne) et seuls ceux qui s'occupaient de la surveillance desharems d'autrefois appartenant aux conquérantsmusulmans l'étaient ; ils ne sont pas non plus toushomosexuels ouprostitués et ont un puissant pouvoir et caractère sacrés selon l'hindouisme orthodoxe[11],[12].
Les hijras indiens s'identifiant comme musulmans incorporent des aspects de l'hindouisme. Ce syncrétisme ne les rend pas moins musulmans selon Gayatri Reddy[13].
Les Hijras sont criminalisés pour « indécence publique » auXIXe siècle par les lois britanniques de 1871. Leur classification dans leCriminal Tribes Act est abolie en 1952 mais leurstigmatisation sociale est restée inchangée dans les décennies qui ont suivi[14].
Sous l'Empire britannique, ils étaient désignés à tort commeeunuques, eux-mêmes ne se considérant ni comme des hommes ni comme des femmes, mais comme des personnes « agenres »[15],[16]. Les « eunuques » suspects portaient en public ce que les autorités britanniques ont présenté comme des vêtements féminins[17]. Il suffisait qu'une personne se livre aux activités traditionnelles de la hijra, la danse publique et le port de vêtements féminins, pour devenir « raisonnablement suspecte » d'enlèvement, de castration, de sodomie, et pour faire l'objet de contrôles policiers[18],[19].
LeCriminal Tribes Act était sous-tendu, d'après l'historienne Jessica Hinchy, par la volonté de « provoquer l'extinction progressive de la communauté Hijra »[18]. Cependant les Hijras ont élaboré des stratégies pour déjouer la surveillance des autorités. Les hijras du nord de l'Inde ont migré vers d'autres provinces où ils n'étaient pas fichés par la police[18]. Ils ont continué à danser. Lorsque l'affirmation publique de leur identité de genre féminine était trop risquée, les hijras associaient vêtements masculins et féminins[18].
Le 15 avril 2014, dans l'affaire « National Legal Services Authority versus Union of India », la Cour suprême de l'Inde a statué que les personnes transgenres devaient être traitées comme une troisième catégorie de genre ou comme une classe socialement et économiquement « arriérée » (Other Backward Classes) ayant droit à ce titre à des droits spécifiques en matière d'accès à l'éducation et à l'emploi[20].
La loi sur les personnes transgenres (protection des droits) de 2019 (Transgender Persons (Protection of Rights) Act, 2019(en)) est une loi du Parlement indien ; elle a provoqué les critiques et les protestations des avocats et des militants transgenres en Inde. Elle n'intègre pas des principes conformes à l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire « National Legal Services Authority versus Union of India (NALSA v. UOI) » en 2014, tels que le droit des personnes transgenres de déclarer leur identité de genre auto-perçue. sans subir unechirurgie de changement de sexe, et desréservations dans les emplois et les établissements d'enseignement. La loi a également été critiquée pour avoir infligé moins de peines pour les crimes contre les personnes transgenres par rapport à la peine pour les crimes contre les personnescisgenres. Le 27 janvier 2020, la Cour suprême a adressé un avis au gouvernement central dans une requête contestant laconstitutionnalité de la loi.
Le mot « Hijra » vient de la langueourdou avec uneracinearabe (J R) dont la signification a rapport avec lamigration de latribu. De la langue ourdou, le mot a étéemprunté à l'hindi ainsi qu'à d'autres langues[21].
Le mot a été traduit en langues occidentales commeeunuque,intersexé, ouhermaphrodites, des termes dont la définition marque des anomalies physiologiques desorganes génitaux[16]. Cependant, la plupart des membres du Hijra naissent physiologiquement mâles et seule une minorité naît avec une diversité physiologique[22].
Dans la langueourdou, le mot est considéré comme un surnompéjoratif et à sa place, on utilise l'expressionKhawaja Sara (خواجه سرا ou واج s سرا;khwaaja sira). EnInde, le groupe peut utiliser un mot plus ancien :Kinnear (Kinnar), considéré comme plus formel et plus digne. Les autres termes utilisés sontkhasuaa (खसुआ;khasuaa) oukhusaraa (खुसरा;khusaraa). Enbengali, le Hijra est appelé "হিজরা" qui s'écritHijra, Hizla, Hijra, Hizra ouHizra.
Il existe de nombreux concepts exprimant les catégories de genre ou sexuelles similaires dans le sous-continent indien, qui peuvent être qualifiés desynonymes mais en fait, ils expriment desidentités de genre et desidentités sexuelles distinctes qui dépendent des différences géographiques et culturelles :
Dans la languetelugu, le Hijra est appelénapunsakudu (నపుంసకుడు;napunsakudu),koja (కొజ్జ;kojja) oumaada (మాడ;maada).
Dans l'État indien duTamil Nadu, le termeThiru nangai est utilisé, signifiant « fille de Dieu », Ali, et aravanni,aravani ouaruvani, qui désigne Aruvani. le saint patron d'al-Araban.
Dans la languepenjabi de l'Inde et du Pakistan, le Hijra est appelékhusra oujankha.
Dans la languegujarati, le Hijra est appelépavaiyaa.
L'identité sexuelle des hijras est incompatible avec lataxonomie occidentale moderne du genre, de sexe et de l'orientation sexuelle[23],[24]. La plupart des personnes hijras naissent mâles mais certaines peuvent naître intersexuées (avec des organes génitaux ambigus). Dans la culture occidentale, elles sont souvent perçues comme des filles dutroisième sexe et la plupart se considèrent à la fois comme des hommes et des femmes. Cependant, certains hijras se considèrent ou sont perçus par la société indienne ou bengalie comme des femmes, en tant qu'hommes de sexe féminin ou intersexués[25].
Parallèlement, certains d'entre eux, principalement influencés par des orateurs anglophones s'appuyant sur le discours international concernant lesminorités sexuelles, se considèrent désormais commetransgenres ou femmestranssexuelles mais les Hijras n'essaient pas d'amener l'environnement à les percevoir comme des femmes.
Les hijras sont considérés en Inde traditionnellement avec respect et méfiance. Respect, car leurcastration est très symbolique par le fait que l'individu mâle est celui par qui la famille est perpétuée, et elle leur confère un pouvoir defertilité pour lesHindous. C'est pour cette raison qu'ils assistent, contre rémunération, à desmariages pour assurer ainsi que le couple soit fertile, et également à des cérémonies de naissance et autres[26]. Ils sont censés tenir leur pouvoir de la déesse hindoueBahuchara Mata[27]. La méfiance vient du fait qu'ils sont également considérés comme capables de jeter le « mauvais œil ». Ainsi, quand ils sont en colère, ils frappent leurs mains fortement pour effrayer la population car le claquement des mains rappelle le claquement des corps durant un rapport sexuel[28].
Depuis lacolonisation de l'Inde par leRoyaume-Uni, la perception des hijras a changé et une partie de la population les méprise pour des raisonshomophobes. Les Hijras vivent généralement en marge de la société et leurstatut est très bas, parfois inférieur à celui desIntouchables. Ce changement de perception par la société pousse certains à s'identifier comme femmes et non comme asexués. Beaucoup pratiquent letravail du sexe etmendient[29]. Les filles de Hijra et en particulier celles qui vivent de la prostitution sont victimes deviolences graves dans leslieux publics, dans lespostes de police, dans lesprisons et à domicile[30].
Depuis la fin duXXe siècle, lesONG occidentales reconnaissent officiellement les femmes de Hijra comme appartenant au genre III, qui ne sont ni des hommes ni des femmes[31]. Les militants desdroits de l'homme et les organisationsLGBT cherchent à les généraliser sous le terme « transgenre »[23].
La Cour suprême indienne a rendu plusieurs décisions importantes en leur faveur dans les années 2010 (2014, 2018)[27]. Les gouvernements des États de l'Inde ont œuvré depuis à la protection des hijras dans les domaines de la santé, de l'éducation et de l'emploi[27]. Ainsi par exemple, la nomination deManabi Bandopadhyay comme directrice d'un établissement universitaire, leKrishnagar Women's College(en) en 2015, est considérée un acte politique en faveur des hijras et de leur intégration dans la sphère de l'enseignement supérieur[32]. Leur visibilité au sein de la société s'améliore grâce auxarts de la rue[33].
Certaines jeunes femmes déclarées garçons à la naissance et qui veulent exprimer pleinement leuridentité de genre féminine deviennent hijras[29]. Elles peuvent être de sexe masculin comme féminin[15].
Lacastration est appelée « nirvan » qui signifie « renaissance » ; elle est réalisée lors d'une cérémonie par ledai (sage-femme traditionnelle) et implique l'ablation complète à l'aide d'un couteau et sansanesthésie dupénis, destesticules et duscrotum. Les cris des castrés sont brouillés par le son des trompettes.
Les Hijras portent des vêtements de femmes et adoptent desrôles de genre féminins. Ils ont une longue histoire documentée dans lesous-continent indien, de l'Empire moghol à nos jours, qui raconte divers rôles dans la culture du sous-continent - certains sont caractérisés par laliminalité de genre, certains sontspirituels et certains sont liés à la seule survie individuelle.
Aucun recensement fiable n'existe sur le nombre d'hijras enInde, mais on estime qu'ils sont environ entre 500 000 et un million[34].
Une grande fête réunit chaque année les hijras de l'Inde. Elle se déroule à la pleine lune, fin avril, dans le village deKoovagam, à 200 km au sud deMadras. Ils viennent y revivre un épisode duMahâbhârata. La légende veut qu'à la veille d'une bataille, le clan desPandavas ait consulté unastrologue. Celui-ci leur avait prédit la victoire à condition qu'ils sacrifient un homme parfait.
Il n'y en avait que trois : le dieuKrishna,Arjuna, le chef des Pandavas, et son filsIravan. Les deux premiers étant indispensables,Iravan accepta de se sacrifier, mais exigea de pouvoir d'abord se marier et de consommer son mariage, au moins pour une nuit. Aucune candidate ne s'étant proposée pour une si brève union, le dieuKrishna prit une forme féminine pour satisfaire le vœu d'Iravan qui fut décapité le lendemain matin, assurant ainsi la victoire de son camp.
Les eunuques s'identifient à la forme féminine deKrishna et viennent chaque année commémorer cet épisode par un mariage symbolique dans le petit temple décrépit deKoovagam, dédié au dieu localKoovagam, considéré comme une incarnation d'Iravan.
La fête dure deux jours ; elle commence par lemariage célébré par unprêtre hindou qui noue autour du cou des Hijras, parées de leurs plus beaux atours, le cordon nuptial appeléThali. Les mariées vont ensuite déposer une offrande aux pieds de la divinité avant de se livrer à des danses et à des chants pendant toute la soirée sous l'œil des visiteurs venus souvent en famille. Les Hijras choisissent alors un homme avec qui passer la nuit, en mémoire du mythe duMahabharata[28].
Le lendemain matin, les hijras considérées comme veuves reviennent pleurer leurs maris.
En général, lors de leurs prestations artistiques, les Hijras se déplacent en groupes de trois à cinq, jouent de la batterie, applaudissent, chantent et dansent pour l'aumône. Leurs gestes suggestifs suscitent des pulsionsérotiques chez les hommes[15].
Les hijras forment des communautés très structurées, leschelas (disciples) autour d'unguru (enseignant) comme chef qui organise les limites des zones où chaque ménage peut danser et mendier de l'argent[35]. Une parenté fictive s'y organise[36],[35].
La dépendance financière paraît être la clé de voûte de l'organisation du groupe. Tout est payé, leschelas qui rapportent le plus (par leur habileté de musiciens ou de danseurs, lamendicité ou laprostitution) sont achetés et revendus deguru enguru.[réf. souhaitée] Lechela peut avoir à reverser la totalité de ses revenus auguru et la circulation de dettes accumulées, et sans cesse grandissantes, prend parfois des proportions phénoménales.[réf. souhaitée] Enfin, quand il se marie avec un homme, il partage sa vie et continue à travailler pour sa communauté, où son statut est amélioré par ce mariage.[réf. souhaitée]
Les hijras peuvent adopter de jeunes garçons qui veulent exprimer pleinement leur identité de genre féminin ou qui ont été rejetés de leur famille, ou bien encore qui ont fui les mauvais traitements de leur famille et du voisinage[29]. La plupart d'entre eux travaillent commeprostitués masculins pour subvenir à leurs besoins[29].
Ils parlent entre eux une langue particulière, lefarsi hijra, dérivée duhindoustani (et non dupersan comme le laisserait croire son nom) mais avec une prononciation et un vocabulaire distincts.
↑Julfikar Ali Manik and Ellen Barry, "A Transgender Bangladeshi Changes Perceptions After Catching Murder Suspects",New York Times, 3 April 2015.
↑"Many, if not most, translations of Valmiki's Ramayana do not contain this reference." Joseph T. Bockrath, "Bhartia Hijro Ka Dharma: The Code of India's Hijra",Legal Studies Forum83 (2003).
↑a etbBeing a Eunuch, By Siddarth Narrain, for Frontline, 14 October 2003.
↑Nanda, Serena. "Hijra and Sadhin".Constructing Sexualities. Ed. LaFont, S., New Jersey: Pearson Education, 2003. Print.
↑Reddy, Gayatri.,With respect to sex : negotiating hijra identity in South India, Chicago, University of Chicago Press,(ISBN978-0-226-70754-9,OCLC655225261)
↑A Collection of Acts passed by the Governor General of India in Council in the Year 1871, Calcutta, Office of Superintendent of Government Printing,, « Act No. XXVII of 1871 »
↑ab etcAniruddha Dutta, « Beyond the binary: (trans)gender narratives and class distinctionin Rituparno Ghosh’s later films »,South Asian History and Culture, 2015,lire en ligne
↑a etbDes saris et des hommes. Film documentaire de Thomas Wartmann (Between the lines, All, 2006). 95 min.
↑Soumya Narayan Datta, « Empowering the Marginalized Hijrasin West Bengal: An overview »,Science, Technology and Development, vol 9, march 2020,lire en ligne
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↑a etbDictionnaire de l'Inde sous la direction de Catherine Clémentin-Ojha, Christophe Jaffrelot, Denis Matringe et Jacques Pouchepadass, p. 237
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