Hermann Helmholtz était le fils aîné d'un professeur delycée de Potsdam(de). La condition de ses parents ne lui permettant pas de poursuivre des études de physique, il s'inscrivit à l’École de médecine militaire Frédéric-Guillaume sous la direction deJohannes Müller[1],[2] où, après un concours, il pourrait devenir fonctionnaire : c'est ainsi qu'il futmédecin militaire de 1843 à 1848, affecté à la garnison de Potsdam.
Il devint membre de laDeutsche Physikalische Gesellschaft de Berlin qui venait de se créer, et y fut d'abord actif comme rapporteur des publications savantes, où se trouvaient beaucoup d'articles mathématiques. Au cours de ces lectures, il développa un intérêt particulier pour la question de l'existence d'une « force vitale » (Lebenskraft, cf. infra).
En 1848, Helmholtz se vit confier la chaire d'anatomie de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin et, l'année suivante, la chaire de Physiologie de l'université de Königsberg, où il se maria aussitôt. C'est là qu'il inventa l'ophtalmoscope, instrument qui permet l'examen de la rétinein vivo. Il fut ensuite nommé professeur d'anatomie et de physiologie à Bonn (1855), puis professeur de physiologie àHeidelberg (1858) où, devenu veuf, il se remaria. En 1871, il obtient la chaire de Physique de l'université de Berlin et en 1888, la présidence du premier bureau allemand des Poids et Mesures, laPhysikalisch-Technische Reichsanstalt, poste qu'il conservera jusqu'à sa mort.
« Son enseignement l'ennuyait autant que nous », écrira un ancien élève, le physicienMax Planck[3], qui devint son collègue, en prenant la chaire dephysique théorique à Berlin : plus que le professeur, il appréciait lapersonne et lesavant.
Helmholtz a vécu à une époque propice à développer l’expérimentation grâce à un arsenal d’instruments de plus en plus spécifiques et précis, qui prolongent, démultiplient, amplifient, accélèrent le regard des scientifiques sur la nature des phénomènes (et dans ce cas précis, des phénomènes sonores) pour mettre en évidence les explications de certaines observations : la technique a permis de transcrire sous une forme objective des phénomènes inexpliqués ; ainsi, l’acoustique progresse considérablement et Helmholtz fonde l'optique physiologique et lapsychophysique.
La question de l'existence d'une « force vitale » (Lebenskraft), qui alimentait alors abondamment les débats entre physiologistes et chimistes, a inspiré son premier essai publié : « Sur la conservation de la Force » (Über die Erhaltung der Kraft, 1847), où il généralise à toute la physique la loi deconservation de l'énergie, déjà formulée parRobert-Mayer et Joule, tout en lui donnant une forme mathématique plus aboutie : il définit ainsi l'énergie potentielle. Il y montre en outre que laloi de Lenz-Faraday est une forme duprincipe de conservation de l'énergie, dans la mesure où, pour un circuit mobile, leflux magnétique, qui a la forme d'un travail mécanique, est proportionnel à la force électromotrice : ainsi, de même que Joule avait établi la conversion du travail mécanique en chaleur, l'énergie électrique dans un circuit induit est égale au travail nécessaire pour déplacer le circuit dans un champ magnétique. Helmholtz démontre également que l'on peut déduire le principe de conservation de l'énergie, de l'interaction entre particules attractives et répulsives, avec une loi de force qui ne dépend que de la distance mutuelle des particules ; mais la justification mathématique et micromécanique de ce principe a perdu beaucoup de l'importance qu'elle avait en ce milieu duXIXe siècle, lorsqu'il est devenu évident (du vivant même de Helmholtz, d'ailleurs) qu'il y a dans la nature, comme Faraday l'avait pressenti, bien d'autres forces que lesforces centrales[4].
Le talent scientifique de Helmholtz tenait à sa familiarité avec les domaines les plus variés de la connaissance, qui lui permettait au premier coup d’œil d'en saisir les problématiques et d'orienter efficacement ses recherches. Pour avoir développé une telle universalité dans ses écrits[5], où il a prolongé et approfondi les connaissances encore éparses accumulées avant lui, il devait avoir présentes à l'esprit les relations entre les différentes sciences exactes. Il n'était pas non plus dépourvu de talent mathématique : on peut le voir à la façon dont il traduisit dans leséquations aux dérivées partielles de l'hydrodynamique un certain nombre de cas classiques demouvements tourbillonnaires et de jets[6] qui, s'ils n'étaient pas nouveaux, n'avaient jusque-là pas été décrits mathématiquement, et dont on ne soupçonnait pas même qu'on pût les déduire des principes fondamentaux de lamécanique des fluides classique[7]. Saformulation mathématique des écoulements montrait, bien mieux que n'importe quelle description d'expérience ou les premières constatations de Newton, les aspects particuliers et caractéristiques de ces phénomènes, et la simplicité même de leur origine.
Le don particulier d'Helmholtz pour découvrir des processus physiques nouveaux à travers des expériences déjà connues se retrouve dans ses premières intuitions sur le rayonnement électrique[8], six ans avant l'analyse mathématique des célèbres expériences de Faraday par Kelvin, et dix ans avant qu'on ne le détecte effectivement, ou la démonstration de la propagation rectiligne des rayons cosmiques[9], trois ans avant la découverte des rayons X et vingt ans avant la mesure effective de leur fréquence.
Enfin, Helmholtz, grâce à sa notoriété, a apporté au public plusieurs livres de vulgarisation comme son « Optique physiologique » (où il énonce laloi de Lagrange-Helmholtz) ou les « Causes physiologiques de l'harmonie musicale » qui faisaient écho à l'intérêt de ses contemporains pour les rapports entre l'art et les sens, et dans lesquels il n'hésite pas à prendre position vis-vis des idées d'Aristote. Helmholtz a pour cela entrepris des expériences qui relient lesperceptions aux grandeurs physiques.
Dans la mouvance des études de Bessel sur l'équation personnelle, Helmholtz mesure la vitesse de l'influx nerveux car l'opinion prévaut jusque-là que les sensations nerveuses sont instantanées ou si brèves qu'elles échappent à toute mesure[10]. Il entreprend de 1845 à 1850 une série d'expériences et établit ainsi que cet influx se propage à25m/s[11].
SonManuel d'optique physiologique en trois volumes, reconnu comme un ouvrage pionnier en la matière, présente ses travaux sur lavision humaine. Il développe l'hypothèse deThomas Young, selon laquelle la perception de la couleur est due à la présence sur larétine de trois types derécepteurs, qu'il vérifie expérimentalement en 1859. Cette explication de la perception visuelle est connue commethéorie de Young–Helmholtz.
Helmholtz développe une théoriesémiotique de laperception selon laquelle nous interprétons nossensations comme dessignes des objets extérieurs qui en sont la cause. Cette approche s'inspire des théories empiristes notamment développées parJohn Locke, mais surtout de la théorie des énergies nerveuses spécifiques deJohannes Müller : les qualités des choses extérieures ne sont que des puissances capables de produire en nous certaines impressions sans qu'il nous soit possible de déterminer si ces effets sont ou non ressemblants à ce qui les cause.
« Nous appelonssensations les impressions produites sur nos sens, en tant qu'elles nous apparaissent seulement comme des états particuliers de notre corps (surtout de nos appareils nerveux) ; nous leur donnons au contraire le nom deperceptions, lorsqu'elles nous servent à nous former desreprésentations des objets extérieurs »
À partir de cette nouvelle méthode scientifique, il extrapole des considérations sur la perception de laconsonance et de la dissonance. Sa recherche des fondements physiques de laperception l’a conduit à supposer un caractère physique au sentiment de dissonance, qui serait dû à unflux de battements entre harmoniques : la septième, par exemple, serait dissonante dans son rapport de seconde avec l’harmonique 1.
Sa théorie suppose aussi que lescellules ciliées de l'oreille interne ne soient que de simples opérateurs. La membrane basilaire serait seule impliquée. Cette supposition fut réfutée en 1948 par la théorie de Gold[13].
On doit àGeorg von Békésy d'avoir démontré qu'Helmholtz s'était fourvoyé en considérant que lamembrane basilaire, présente dans lacochlée, opérait suivant un mode de résonateurs. Békésy, lui, choisit un modèle où des portions de la membrane déterminent la perception des hauteurs d'un son.
« Celui qui, dans ses recherches scientifiques, cherche à obtenir des applications pratiques immédiates, peut être généralement assuré qu'il cherche en vain. Tout ce que la science peut achever est une connaissance parfaite et une compréhension parfaite de l'action des forces naturelles et morales[trad 1],[14]. »
Illustration d'Optique physiologique, de Hermann von Helmholtz, publiée en 1867
Sur la conservation de la force, précédé d'unExposé élémentaire de la transformation des forces naturelles, traduit par Louis Pérard, Masson, Paris, 1869 ;1847 pour l'original allemand (en ligne). .
↑Ph. Lenard verra plus tard dans les réalisations mathématiques d'Helmholtz, qui n'avait étudié cette science qu'en autodidacte, la preuve de la stérilité des études de mathématiques pures pour une nation :Philipp Lenard,Große Naturforscher : eine Geschichte der Naturforschung in Lebensbeschreibungen, Munich, J.-F. Lehmanns Verlag,, « Julius Robert Mayer (1814— 1878) –James Prescott Joule (1818— 1889) – Hermann Helmholtz (1821— 1894) ».
↑Dans son mémoire « Sur la conservation de l'Énergie » (1847). Œuvres complètes,vol. I,p. 4-6.
↑Dans son mémoireElektromagnetische Theorie der Farbenzerstreuung (1892). Œuvres complètes,vol. III,p. 505.
↑Ernst Weber admettra la possibilité de distinguer jusqu’à 64 hauteurs différentes dans undemi-ton aux alentours de 1 000 Hz (Lawrence M. Ward et Kelly P. Davidson, « Where the action is: Weber fractions as a function of sound pressure at low frequencies »,J. Acoust. Soc. Am.,vol. 94,no 5,.
↑Dr E.-L., « Le physicien hongrois Georg von Bekesy a consacré ses travaux au mécanisme de l'audition »,le Monde,
Karl Eduard Rothschuh:Hermann von Helmholtz. In:Hans Schadewaldt (Hrsg.):Die berühmten Ärzte. [2. bzw. deutsche, wesentlich erweiterte Auflage nach René Dumesnil:Médecins célèbres, Paris] Köln ohne Jahr [zwischen 1964 und 1973], S. 280–282.
Gregor Schiemann(de).Hermann von Helmholtz's Mechanism: The Loss of Certainty. A Study on the Transition from Classical to Modern Philosophy of Nature. Dordrecht, été 2009,(ISBN978-1-4020-5629-1).
Shulman, Seth.The Telephone Gambit: Chasing Alexander Bell's Secret. New York: Norton & Company, 2008.(ISBN978-0-393-06206-9).
Johannes Steudel(de):Hermann von Helmholtz. In: Rudolf Creutz, Johannes Steudel (Hrsg.):Einführung in die Geschichte der Medizin in Einzeldarstellungen. Iserlohn 1948, S. 297–320.
Armin Stock,Jost Lemmerich(de):Hermann von Helmholtz: Ein Wegbereiter der wissenschaftlichen Psychologie. Adolf-Würth-Zentrum für Geschichte der Psychologie der Universität Würzburg, Würzburg 2014(ISBN978-3-00-044640-5).
Emil Warburg,Max Rubner,Moritz Schlick:Helmholtz als Physiker, Physiologe und Philosoph: Drei Vorträge gehalten zur Feier seines 100. Geburtstages. Müllersche Hofbuchhandlung, Karlsruhe 1922.
Franz Werner: Hermann Helmholtz´ Heidelberger Jahre (1858–1871). (= Sonderveröffentlichungen des Stadtarchivs Heidelberg 8). Mit 52 Abbildungen. Berlin / Heidelberg (printemps) 1997.