Henri Meschonnic est né de parents juifs russes venus deBessarabie en 1926. Il estenfant caché au cours de laSeconde Guerre mondiale. Jeune bachelier, il poursuit ensuite ses études supérieures de lettres à laSorbonne. En tant qu'étudiant, il est sursitaire et effectue lors de son service militaire un séjour de huit mois àAlger, au cours de laguerre d’Algérie en 1960. Ses premiers poèmes en témoignent.
L’étude de l’hébreu appris pendant laguerre d'Algérie enautodidacte le mène à entreprendre des traductions bibliques, point de départ d’une réflexion à la fois sur lerythme et sur la théorie générale dulangage et du problèmepoétique, ce que montrent les deux premiers livres publiés ensemble,Les Cinq Rouleaux etPour la poétique, en 1970.
Henri Meschonnic a proposé uneanthropologiehistorique du langage qui engagerait la pensée du rythme « dans et par » l'historicité, l'oralité et la modernité du poème commediscours. La notion desujet est vue comme l'activité spécifique d'un discours. Une série d'essais, depuisPour la poétique jusqu'àPolitique du rythme, Politique du sujeten passant parCritique du rythme,Anthropologie historique du langage touchent à différentes disciplines, à partir de la littérature et de la théorie du langage. Le poème est assimilé à un opérateuréthique de valeur commun à tous les discours. La notion de rythme occupe une place centrale dans sa réflexion. Dans une œuvre qui combine écriture poétique, traduction et essai, Meschonnic s'est affirmé en opposition à ce qu'il estimait être des académismes et notamment contre le structuralisme, s'appuyant notamment sur les propositions deWilhelm von Humboldt[7], deFerdinand de Saussure[8] et d'Émile Benveniste[9].
Comme théoricien de latraduction, Meschonnic a mis en avant l'historicité de la traduction. Il a synthétisé ses vues dès 1973 dansPour la poétique II, Épistémologie de l’écriture, Poétique de la traduction et surtout, en 1999, dansPoétique du traduire mais la traduction est une préoccupation permanente dans la recherche de Henri Meschonnic, qui présente la traduction comme un acte critique.
Le texte à traduire doit être abordé comme un discours, comme uneénonciation, et non comme un objet, un écrit. Le texte est un acte, indissociable de sonauteur. Traduire, c'est se connecter à une parole vivante et non pas à langage figé dans des signes. Cette approche permet de dépasser le dualisme entre la forme et le sens, Meschonnic parlant d'une« forme sens ». Le texte à traduire doit être abordé comme une dynamique, dans laquelle le rythme est le principal porteur de sens, plus que dans le mot.Yves Bonnefoy, s'inspirant de ces thèses, parlera d'événement, dedire, pour qualifier le texte à traduire. Ce dire vient d'abord du poète, puis, de façon continue, du poème, et donc il faut que le traducteur remonte au poète s'il veut traduire le poème[10].
De la poétique à l’anthropologie historique du langage
Meschonnic, à la suite deRoman Jakobson, a proposé unepoétique qu'il requalifiera ultérieurement d'« anthropologie historique du langage ». La notion centrale de cette nouvelle poétique est la notion derythme pour laquelle il a proposé plusieurs définitions. Alors que, traditionnellement, le rythme était défini par le retour régulier des mêmes éléments, Henri Meschonnic a étendu cette notion, en s'appuyant notamment sur le travail deIouri Tynianov, à l'ensemble des facteurs constructifs du vers : son accentuation, son organisation phonologique (Meschonnic parle de « prosodie »), mais aussi sa syntaxe et sa structure lexicale.
Lerythme a, chez Henri Meschonnic, une acception plus large encore puisqu'il en vient à désigner l'organisation générale d'undiscours et l'activité du sujet producteur de ce discours : selon Meschonnic le rythme serait « l'organisation du mouvement de la parole par un sujet[11] ». Meschonnic reprend alors les recherches philologiques deÉmile Benveniste[12] qui, à partir deHéraclite, déplatonise le rythme[13].
Comme chez Roman Jakobson, la poétique ne désigne plus pour Meschonnic une discipline analytique spécifique à la littérature : elle analyse l'ensemble des phénomènes à l'œuvre dans lediscours, en général, et qui seraient à l'œuvre de façon optimale dans le poème. Le poème serait alors le « révélateur » de l'activité du sujet, de son appropriation du langage. Ce parti pris l'amène à développer, à partir deCritique du rythme (1982), la notion de « sémantique sérielle », généralisation du principe de la rime à l'ensemble des phonèmes d'un texte (ou discours).
À travers une série d'essais, depuisPour la poétique jusqu'àPolitique du rythme, Poétique du rythme, en passant parCritique du rythme, Anthropologie historique du langage, Henri Meschonnic a engagé un certain nombre de chantiers relevant de différentes disciplines : critique littéraire, lexicographie, linguistique, traductologie, philosophie et historiographie.
S'il s'est toujours défendu d'être « polémique[14] », la carrière de Henri Meschonnic n'en est pas moins marquée par une série de conflits ouverts avec quelques représentants du monde poétique, philosophique ou littéraire. En 1975, dansLesigne et le poème, il fait une critique radicale de la phénoménologie deHusserl àJacques Derrida et de sa prétention à accomplir la poésie (p. 471).La formule peut aller jusqu'à un certain rire qui prophétise une réception planétaire[pas clair] : « C'est en surfaisant que Derrida défait » et « Plus il déçoit, plus il triomphe » (p. 473) .
La brouille avec son collègue de l'université de Vincennes et ami desCahiers du chemin, le poète épris de philosophieMichel Deguy, entre dans le prolongement de sa critique de la phénoménologie ; toutefois il faut rappeler que c'est Meschonnic qui a introduit lesPoèmes 1960-1970 (Poésie/Gallimard, 1973) de Michel Deguy, et proposé le texte liminaire de la revuePo&sie animée depuis lors par Michel Deguy.
En 2001,Célébration de la poésie dresse un panorama offensif de la poésie contemporaine en France. SiYves Bonnefoy n'en a rien dit,Michel Deguy a qualifié Meschonnic de « serial killer » etJean-Michel Maulpoix de « sycophante ». L'ouvrage est une charge contre la quasi-totalité des poètes contemporains de l'auteur. Yves Bonnefoy et Jacques Roubaud y sont désignés comme « deux mammouths naturalisés au Muséum d’Histoire Naturelle de la poésie contemporaine », André du Bouchet a des « tics », Michel Deguy est un faiseur de « tours de bonneteau », Jacques Dupin meurt d’« amour de la poésie », Claude Royet-Journoud est un « adorateur » du blanc, Philippe Becq[sic] un « pince sans rire qui ne pince pas grand chose », chez Olivier Cadiot « le toc joue à feindre le toqué » dans une « oulipiteuse décalcomanie de dérivés qui font du surplace »… Meschonnic, comme l'a écritJean-Michel Maulpoix, a pris« soin de choisir le mot qui fait mal. »[réf. incomplète]
Meschonnic n'a vu, dans la réplique de Jean-Michel Maulpoix, que « vilenie » et « diffamation » et s'est expliqué sur ses motivations dans une réponse adressée à Jean-Michel Maulpoix : « Alors que depuis trente ans je construis une autre pensée du langage, et une 'poétique du rythme' […] tout cela est effacé. Le 'langage précis de la pensée', qui est dans la continuité de mon travail, a disparu. Les raisons des 'pourquoi' ont disparu, et 'réfléchir, argumenter', ce que je ne cesse de faire, a disparu. Mais il est dit qu'il n'y a 'pas un mot' sur l'écriture de la poétisation que je critique, alors que justement il y a de nombreux exemples, étudiés dans leurs clichés. » (La Quinzaine littéraireno 824)
Mais c'est le philosopheMartin Heidegger que Henri Meschonnic dénonce avec le plus de force, cherchant à démontrer les continuités qui relient l'œuvre philosophique et les rapports de Heidegger avec le Parti national-socialiste. Il consacre deux ouvrages au philosophe allemand :Le Langage Heidegger en 1990 etHeidegger ou le national-essentialisme en 2007.
Il conteste par ailleurs des spécialistes comme Jean Quillien, qui a consacré ses travaux à Wilhelm von Humboldt, en discutant de près ses traductions (voir "La Philosophie contre la pensée Humboldt" dansLangage, histoire, une même théorie, p. 641 et suivantes). Il ne faut pas oublier que c'est Meschonnic, plus que Quillien, qui a assuré un renouveau d'intérêt pour le travail de Humboldt en France, et lui qui avait soutenu la publication des livres en français du plus grand spécialiste de Humboldt à Berlin, Jürgen Trabant, qui, pour sa part, voit dans le travail de Meschonnic un véritable prolongement de l'ethnolinguistique au sens humboldtien.
Mais pour comprendre ses positions, il est cependant toujours préférable de lire en premier lieu les réponses et explications que Henri Meschonnic donne dans ses entretiens, comme celui qu'il donne au sujet deCélébration de la poésie qui replace le point de vue à partir de son questionnement central, à savoir le fonctionnement de la langue[15].
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Mais c'est surtout à partir de son expérience de traducteur de laBible et de poète que Meschonnic engage une « anthropologie historique du langage » comme « critique du rythme ». C'est parce que l'hébreu biblique ne connaît pas l'opposition vers/prose (voir l'introduction deGloires, traduction desPsaumes), que le traducteur se confronte à la recherche d'un système répondant au système accentuel de la transcription réalisée par lesMassorètes, et qu'il théorise lerythme comme "sujet du poème", c'est-à-dire "organisation prosodique-rythmique du texte" (voir "Le goût du rythme comme récitatif" dansGloires, p. 30-37).
L'œuvre poétique de Henri Meschonnic commence par des « poèmes d'Algérie » publiés dans la revueEurope en, mais c'est surtout avecDédicaces proverbes (prix Max-Jacob, 1972) qui comporte quatre pages liminaires que commence l'aventure d'un « langage qui n'a plus rien à faire de la distinction utile ailleurs entre dire et agir, qui n'a plus rien à faire de l'opposition entre l'individuel et le social, entre la parole et la langue ». Aussi tous les livres qui suivent sont-ils tous à considérer comme autant de poèmes en cours participant à une seule et même aventure, « ni confession, ni convention », hors de tout « psittacisme formaliste ».
« Hugo continuant la Bible » dans Henri Meschonnic et Manoko Ôno,Victor Hugo et la Bible (éd. sous la direction de Franck Laurent),Maisonneuve et Larose,2001,p. 7-25
Célébration de la poésie, Verdier,2001 ; poche/Verdier,2006.
Hugo, la poésie contre le maintien de l’ordre, Maisonneuve et Larose,2002.
Spinoza poème de la pensée, Maisonneuve et Larose,2002.
Un coup de Bible dans la philosophie, Bayard,2004.
« Comment on efface un travail de pensée ». Réponse de Henri Meschonnic à Jean-Michel Maulpoix à propos deCélébration de la poésie publiée dansLa Quinzaine littéraire, nº 823,.
Avec Gérard Dessons:À quoi sert la littérature ?, Entretien avec Henri Meschonnic,Écrivains présents/La Licorne « À quoi sert la littérature ? »,,p. 7-13.
Avec Catherine Schroeder:Le meilleur slogan se dispense de ponctuation dansMédias l'Hebdono 308,,p. 18.
Avec Daniel Delas surDes Mots et des mondes dansLe Français aujourd'huino 94,,p. 114-118.
Avec Anne-Marie Hubat :La notion de point de vue dansLe Français aujourd'huino 98,,p. 20-27.
Avec Hidetaka Ishida dansGendaishisô, Revue de la pensée d'aujourd'hui, Tokyo,, vol. 20-11,p. 158-165.
Avec Samuel Blumenfeld :Je travaille à réhébraïser la Bible dansLe Monde 2,,p. 21-25.
AvecLuis Mizón : « Vie et poésie. Entretien de Luis Mizón avec Henri Meschonnic sur son expérience poétique de la traduction ») dansConfluences poétiques,no 3,,p. 287-301.
Jean-Louis Chiss, Gérard Dessons (dir.),La Force du langage, Rythme, discours, traduction, Autour de l’œuvre d’Henri Meschonnic, Paris, Honoré Champion, 2000 (Henri Meschonnic,Pascal Michon, Jean-Louis Chiss, Jürgen Trabant, Gérard Dessons, Daniel Delas, Serge Martin, Jean-Patrice Courtois, Véronique Fabbri, Denis Thouard, Alexis Nouss, Mônica de Almeida, Jean-Claude Chevalier)
Pascal Michon (dir.),Avec Henri Meschonnic les gestes dans la voix, La Rochelle, Himeros/Rumeur des âges, 2003 (Henri Meschonnic,Pascal Michon, Véronique Fabbri,Serge Martin,Serge Ritman, Gérard Dessons, Éric Barjolle)
Pascal Michon,Fragments d’inconnu. Pour une histoire du sujet, Paris, Le Cerf, 2010, coll. « Passages » dirigée par Jocelyn Benoist, 251 p.
Pascal Michon,Problèmes de rythmanalyse, vol. 2, Paris, Rhuthmos, 2022, 255 p.
Gérard Dessons,Serge Martin etPascal Michon (dir.),Henri Meschonnic, la pensée et le poème (Cerisy-la-Salle,), Paris, In’Press, 2005 (Henri Meschonnic, Gérard Dessons, Daniel Delas,Pascal Michon, Jean-Louis Chiss, Joëlle Zask, Geneviève Jolly,Bernard Noël,Béatrice Bonhomme, Patrick Rebollar, Ok-Ryon Kim, Arnaud Bernadet, Andrew Eastman,Jacques Ancet, Jürgen Trabant,Serge Martin, Youg Joo-Choi, Simone Wiener, Jae-Ryong Cho, Véronique Fabbri)
Béatrice Bonhomme et Micéala Symington (dir.),Le Rythme dans la poésie et dans les arts, Honoré Champion, 2005. Comprend : « IV. Une pensée du rythme : Henri Meschonnic » (Henri Meschonnic, Laurent Mourey, Philippe Païni,Serge Martin - « Le poème, une éthique pour et par la relation rythmique, notes sur Henri Meschonnic etLudwig Wittgenstein,p. 357-373 -, Andrew Eastman)
Béatrice Bonhomme et Micéala Symington (dir.),Le Rêve et la ruse dans la traduction de poésie, Honoré Champion, 2008. Comprend : « II. Traduction et rythme » (Henri Meschonnic ou la saveur de l'écoute par Alexandre Eyriès;Embibler, taamiser avec les premiers gestes d'Au Commencementpar Laurent Mourey, La traduction comme poème-relation avec Henri Meschonnic parSerge Martin)
Marcella Leopizzi,Parler poème. Henri Meschonnic dans sa voix, Fasano-Paris, Schena-Baudry, 2009.
Marko Pajević (ed.),The Henri Meschonnic Reader. A Poetics of Society, Edinburgh University Press 2019 (avec des textes d'introduction substantiels)
Numéros de revues ayant consacré un dossier critique
Serge Martin, « Henri Meschonnic etBernard Vargaftig : le poème relation de vie après l’extermination des juifs d’Europe » dans A. Schulte Nordholt (dir.), Témoignages de l’après-Auschwitz dans la littérature juive-française d’aujourd’hui. Enfants de survivants et survivants-enfants, « Faux titreno 327 », Amsterdam / New York : Rodopi,,p. 136-150.
Valéry Rasplus,«Le philosophe et la Shoah»,BibliObs,. La partie "Préambule" démonte l'argumentaire d'Henri Meschonnic,« Pour en finir avec la Shoah»,Le Monde,.
↑Voir "Penser Humboldt aujourd'hui" dansLa Pensée dans la langue. Humboldt et après, Saint-Denis: Presses universitaires de Vincennes, 1995,p. 13-50
↑Voir entre autres le passage où Meschonnic "compte neuf contresens qui opposent radicalement le structuralisme à Saussure" dans le chapitre V ("Le sens du langage, non le sens des mots") dansÉthique et politique du traduire, Lagrasse: Verdier, 2007,p. 51-52
↑Voir, entre autres, les chapitres 29 et 30 dansDans le bois de la langue, Paris: Laurence Teper, 2008,p. 359-418