Henri Ier d'Angleterre (vers1068 –), ditHenri Beauclerc, estroi d'Angleterre de 1100 à sa mort et égalementduc de Normandie de 1106 à sa mort. Quatrième fils deGuillaume le Conquérant et de son épouseMathilde de Flandre, il reçoit une éducation enlatin et dans lesarts libéraux pendant son enfance. À la mort de son père en 1087, ses frères aînésRobert Courteheuse etGuillaume le Roux héritent respectivement du duché de Normandie et du royaume d'Angleterre, tandis qu'il se retrouve lui-même sans terre et contraint de choisir entre ses frères rivaux. Henri obtient de Robert Courteheuse la cession duCotentin, mais il en est finalement chassé en 1091, victime de la réconciliation de ce dernier avec Guillaume le Roux. Il parvient toutefois à reconstruire graduellement son pouvoir dans le Cotentin et à s'allier avec Guillaume contre Robert au cours des années suivantes.
Présent à la mort accidentelle de Guillaume en 1100, Henri s'empare du trône d'Angleterre et promet de corriger plusieurs mesures impopulaires de son frère. Son avènement est néanmoins contesté par Robert Courteheuse, qui débarque en Angleterre en 1101 afin de faire valoir ses droits avant d'accepter de le reconnaître. La paix entre les deux frères est éphémère et Henri envahit la Normandie en 1105 et 1106, où il défait et capture Robert à labataille de Tinchebray, qu'il gardera emprisonné pour le restant de sa vie. Le contrôle de la Normandie par Henri se révèle fragile et il est contesté par leroi des FrancsLouis VI le Gros,Baudouin VII de Flandre etFoulques V d'Anjou, qui défendent les droits deGuillaume Cliton, le fils de Robert, et soutiennent une révolte majeure entre 1116 et 1119, finalement brisée lors de labataille de Brémule. Henri Ier et Louis VI concluent un accord de paix l'année suivante.
Représentation d'Henri dans une miniature duXIIIe siècle.
Henri naît probablement en Angleterre en 1068, soit au cours de l'été, soit dans les dernières semaines de l'année, voire au début de l'année 1069[N 1],[1],[2]. D'après une légende locale très peu vraisemblable[N 2], il voit le jour dans la ville deSelby, située dans leYorkshire. Son pèreGuillaume le Conquérant estduc de Normandie ainsi queroi d'Angleterre depuis laconquête normande de l'Angleterre entamée en 1066. L'invasion normande a favorisé la création d'une élite anglo-normande détenant de nombreuses possessions des deux côtés de laManche[3],[4], certains barons s'établissant même aupays de Galles. En dépit de leur installation en Angleterre, les barons anglo-normands maintiennent de solides liens avec leroyaume de France, divisé à ce moment-là en une multitude de fiefs nominalement sous l'autorité duroi des Francs, mais en réalité farouchement autonomes[5]. La mère d'Henri,Mathilde de Flandre, est elle-même une petite-fille du roiRobert II le Pieux et il est possible qu'elle ait décidé de prénommer son fils en hommage à son oncleHenri Ier[6].
Henri est le plus jeune des quatre fils de Guillaume et de Mathilde. Il ressemble physiquement à ses frères aînésRobert Courteheuse,Richard etGuillaume le Roux, étant décrit comme « court, trapu et avec une poitrine en tonneau » et des cheveux noirs[7] par l'historien David Carpenter. En raison de sa différence d'âge avec ses frères, il est peu probable que Henri ait eu beaucoup de contact avec eux pendant son enfance[8]. Il est plus probable qu'il ait été proche de sa sœurAdèle[9], née vers 1067. On dispose de peu de sources concernant les premières années d'Henri : Warren Hollister et Kathleen Thompson pensent qu'il est élevé en Angleterre, tandis queJudith Green affirme qu'il est initialement élevé en Normandie[N 3],[10],[8],[11]. Il est probablement instruit par l'Église, peut-être par l'évêque et chancelier royalOsmond de Sées à lacathédrale de Salisbury, même si rien ne permet de savoir si ses parents le destinent à une carrière ecclésiastique[N 4],[12],[13]. Son niveau d'éducation est également incertain, mais il est probable qu'il apprenne à lire le latin et étudie lesarts libéraux[14]. Henri reçoit enfin un entraînement militaire dispensé par Robert Achard et est adoubé par son père le 24 mai 1086[15],[16].
À l'été 1087, Guillaume le Conquérant est blessé lors d'une campagne militaire menée dans leVexin[15]. Henri rejoint rapidement son père mourant près deRouen, où ce dernier organise le partage de ses possessions entre ses fils Robert, Guillaume et Henri[17] — Richard est alors déjà mort. Les règles de succession en Occident sont alors incertaines : dans certains territoires du royaume de France, laprimogéniture, permettant au fils aîné d'hériter du titre, gagne en popularité[18], tandis que dans d'autres territoires, notamment en Normandie, la tradition veut que les terres soient divisées entre les fils, l'aîné recevant les terres paternelles — souvent celles ayant le plus de valeur — et les plus jeunes fils obtenant des territoires plus modestes ou acquis plus récemment[18]. Guillaume le Conquérant suit la coutume normande en séparant la Normandie, qu'il a héritée, et l'Angleterre, qu'il a conquise[19]. Robert Courteheuse, le fils aîné, bien qu'étant en rébellion contre son père au moment de sa mort, reçoit la Normandie, tandis que Guillaume le Roux, le deuxième fils, alors en faveur auprès de leur père, obtient l'Angleterre[20]. Quant à Henri, il lui est donné une importante somme d'argent, estimée à5 000 livres[N 5], dans le but de s'établir dans une des terres détenues par sa mère Mathilde de Flandre, décédée en 1083, dans leBuckinghamshire et leGloucestershire[21],[22]. Guillaume le Conquérant meurt le 9 septembre 1087 et ses funérailles, organisées peu après àCaen, sont entachées par les plaintes d'un habitant concernant sa propriété : Henri pourrait avoir été chargé de l'apaiser en le compensant avec de l'argent[23].
Robert Courteheuse, qui espérait hériter de la Normandie et de l'Angleterre, découvre que son frère puîné a traversé la Manche et s'est fait couronner dès le 26 septembre[24]. Les deux frères sont en désaccord au sujet de l'héritage de leur père et Robert projette rapidement d'envahir l'Angleterre pour s'en emparer[25]. Henri reste en Normandie et devient influent à la cour de son frère Robert, soit parce qu'il refuse de s'allier ouvertement avec Guillaume le Roux, soit parce que Robert aurait saisi l'occasion de son départ pour l'Angleterre pour s'emparer de son héritage financier[N 6],[24],[26]. Quoi qu'il en soit, Guillaume ordonne la confiscation des nouvelles possessions anglaises d'Henri[27]. En 1088, les projets de Robert concernant l'Angleterre commencent à s'effondrer et il s'adresse à Henri, lui demandant de lui prêter une partie de son héritage pour financer l'expédition. Même si Henri refuse[28], les deux frères négocient un accord, par lequel Robert s'engage à lui céder l'Ouest de la Normandie en échange de3 000 livres[N 7],[28],[29]. Henri obtient ainsi un nouveau comté comprenant la délégation de l'autorité ducale sur leCotentin, certains domaines de l'Avranchin et le contrôle des diocèses de ces deux régions[30],[31]. Par ailleurs, il contrôle désormais la stratégique abbaye duMont-Saint-Michel. Ce gain considérable en terres permet en outre à Henri d'accroître son influence sur deux importants seigneurs normands :Hugues d'Avranches etRichard de Reviers[32]. Finalement, même si l'expédition militaire de Robert Courteheuse ne quittera jamais la Normandie[33], Henri a toutefois fort bien monnayé son soutien à ce dernier.
Henri établit rapidement son autorité dans le Cotentin et se crée un solide réseau de partisans dans l'Ouest de la Normandie et dans l'Est de laBretagne, que l'historien John Le Patourel désigne comme « le gang d'Henri »[34]. Il compte parmi ses premiers partisans Richard de Reviers, Geoffroy de Mandeville, Hugues d'Avranches etRobert FitzHamon, ainsi que l'ecclésiastiqueRoger de Salisbury[35]. Conscient de l'influence irrésistible que son frère acquiert dans son duché, Robert Courteheuse tente de revenir sur son accord avec Henri et de se réapproprier le Cotentin, mais l'assise de son frère dans la région est telle qu'il en est découragé[36]. Pendant ce temps, sa propre gestion de la Normandie est chaotique et certaines terres de son duché — notamment celles contrôlées par Henri — deviennent quasiment indépendantes du pouvoir central à Rouen[37]. Si son ascension progressive inquiète Robert Courteheuse, Henri ne gagne pas pour autant la confiance de Guillaume le Roux[38]. En effet, Henri attend que larébellion fomentée par les partisans de Robert contre Guillaume s'effondre pour pouvoir retourner en Angleterre en juillet 1088[39]. La rencontre entre Guillaume et Henri n'est guère fructueuse, puisque le premier refuse de donner au second les terres de leur mère, malgré les dispositions prises par leur père. De retour en Normandie dès l'automne[40], Henri est arrêté sur-le-champ par son oncleOdon de Bayeux avec l'accord de son frère Robert, ce dernier étant convaincu par Odon que Henri conspire avec Guillaume contre lui[41]. Emprisonné àNeuilly-la-Forêt et privé de son comté du Cotentin[42], il demeure en captivité pendant tout l'hiver et n'est libéré qu'au printemps 1089, lorsque les conseillers de Robert Courteheuse le persuadent de le relâcher[43].
Bien qu'il ne possède plus le Cotentin, Henri continue à contrôler l'Ouest de la Normandie[44], profitant des tensions persistantes entre ses frères. Tandis que Guillaume commence à nouer des alliances avec des barons de Normandie et duPonthieu contre son frère aîné[45], Robert forme une alliance avec le roi des FrancsPhilippe Ier[46]. Le conflit entre les deux frères est déclenché à la fin de l'année 1090 par l'appel de Guillaume à Conan Pilate, un bourgeois de Rouen, à se rebeller contre Robert. Soutenu par le peuple rouennais, Conan appelle les garnisons ducales des environs à faire allégeance au roi d'Angleterre[47]. Furieux face à ce défi à son autorité, le duc de Normandie ordonne la mobilisation de ses vassaux : Henri est le premier à répondre à son appel et arrive à Rouen en novembre[48]. La capitale du duché est plongée dans la violence, pendant que les deux camps tentent de s'en arracher le contrôle[48]. Au dernier moment, Robert se retire des combats, laissant Henri seul pour continuer la lutte[49]. La bataille tourne à l'avantage des partisans de Robert et Henri fait prisonnier Conan[49]. Furieux que Conan se soit soulevé contre son suzerain et malgré l'offre de ce dernier de racheter sa liberté par une lourde rançon, Henri ordonne qu'il soit précipité duchâteau de Rouen[50], un geste qu'approuvent les contemporains et qui contribue à sa renommée militaire[51].
Robert ordonne peu après à Henri de quitter Rouen, probablement à cause du rôle prépondérant joué par ce dernier au cours des récents évènements et parce que Henri lui réclame la restitution du Cotentin[52]. Au début de 1091, Guillaume le Roux débarque en Normandie avec suffisamment de forces pour contraindre Robert à négocier[53]. Par letraité de Caen, Guillaume reçoit plusieurs terres et forteresses normandes, mais s'engage à aider Robert à reconquérir lecomté du Maine et à reprendre le contrôle des possessions d'Henri[53]. En outre, ils se désignent mutuellement héritiers de leurs possessions respectives, excluant Henri de la succession anglo-normande tant qu'ils seront tous deux en vie[54]. Bientôt, le conflit entre Henri et ses frères aînés éclate[55]. Même si Henri mobilise une armée de mercenaires dans l'Ouest de la Normandie, Robert et Guillaume avancent avec leurs troupes, ce qui décourage les soutiens d'Henri[56]. Ce dernier décide de concentrer ses forces au Mont-Saint-Michel, où il est assiégé en mars[57]. Facile à défendre, le site manque toutefois d'approvisionnement en eau potable[58]. D'après le chroniqueurGuillaume de Malmesbury, Robert Courteheuse fournit des réserves en eau à Henri, ce qui semble irriter Guillaume le Roux[59]. Les évènements de la fin du siège demeurent incertains : les assiégeants commencent à se quereller quant à leur stratégie future, mais Henri capitule, vraisemblablement après avoir négocié[N 8],[60],[61]. Il part ensuite en exil pour la Bretagne, avant de se rendre en France[62],[63].
Les activités ultérieures d'Henri ne sont pas bien documentées : le chroniqueurOrderic Vital suggère qu'il s'établit dans leVexin avec quelques partisans pendant un an[60]. Dès la fin de 1091, Robert Courteheuse et Guillaume le Roux se séparent après une querelle[64] et, l'année suivante, Henri pénètre en Normandie et s'empare sans effusion de sang deDomfront[65], après que les habitants aient fait appel à son aide contre leur seigneurRobert II de Bellême[66]. Au cours des deux années qui suivent, Henri réactive son réseau de soutiens à l'Ouest de la Normandie, que Judith Green désigne comme « une cour en attente »[67],[68], et commence à leur remettre des terres, indépendamment de la volonté de Robert[68]. Il reçoit même le soutien financier de son frère Guillaume, qui l'encourage à affronter leur frère aîné : Henri utilise ces fonds pour bâtir une nouvelle forteresse à Domfront[69]. En mars 1094, Guillaume le Roux débarque en Normandie pour y affronter Robert Courteheuse et requiert le soutien d'Henri lorsque son avancée s'essouffle[70]. Henri ne rejoint pourtant pas la campagne et se rend àLondres, peut-être à la demande de Guillaume, qui rebrousse chemin peu après[N 9],[71],[72]. Pendant les années suivantes, Henri renforce son influence à l'Ouest de la Normandie et visite occasionnellement la cour de Guillaume en Angleterre[73]. En novembre 1095, lepapeUrbain II prêche laPremière croisade lors duconcile de Clermont et encourage les seigneurs de l'Occident à combattre enTerre sainte[72]. Robert Courteheuse répond favorablement à la requête du souverain pontife dès l'année suivante et emprunte une somme d'argent importante pour ses frais à Guillaume le Roux, qui reçoit en échange la garde du duché de Normandie en son absence[74]. Pendant les quatre années d'absence de leur frère aîné, Guillaume se rapproche d'Henri et les deux frères mènent ensemble une campagne dans le Vexin entre 1097 et 1098 contre Philippe Ier[75],[76].
L'après-midi du 2 août 1100, Guillaume le Roux, parti chasser dans laNew Forest avec ses chasseurs et plusieurs barons, dont Henri[77], est tué par une flèche, peut-être tirée parGautier II Tirel[78]. De nombreuses théories de conspiration ont depuis été avancées et suggèrent un assassinat du roi d'Angleterre, mais les historiens modernes rappellent que la chasse est à cette époque une activité à risques et que ce genre d'accident est alors tout à fait commun[N 10],[79],[80],[81],[82],[83]. Inquiet, Tirel se réfugie en France, soit parce qu'il a tiré la flèche qui a tué Guillaume, soit parce qu'il craint d'être accusé de régicide et de servir de bouc-émissaire pour la mort suspecte du roi[78]. Dès l'annonce de la mort de son frère, Henri se rend précipitamment àWinchester, où la succession au trône d'Angleterre est immédiatement débattue[84]. Les droits de Robert Courteheuse, qui amorce alors son retour de la Première croisade, sont évoqués par Guillaume de Breteuil : Henri et les barons normands lui ont effectivement rendu hommage avant son départ pour la Terre sainte quatre ans auparavant[85]. Néanmoins, Henri précise que, contrairement à Robert, il est né pendant le règne de leur père sur le trône d'Angleterre et affiche sa revendication à la succession de Guillaume le Roux en évoquant le principe deporphyrogéniture[86]. Les esprits commencent à s'échauffer, mais Henri, soutenu par les comtesHenri etRobert de Beaumont, emporte finalement le soutien de la majorité des barons et les persuade de le reconnaître comme leur souverain[87],[88]. Il occupe ensuite lechâteau de Winchester et se saisit du trésor royal[87].
Dès le 5 août, Henri est couronné en l'abbaye de Westminster par l'évêque de LondresMaurice : en effet, l'archevêque de CantorbéryAnselme a été exilé par Guillaume le Roux et l'archevêque d'YorkThomas de Bayeux se trouve alors àRipon[89]. En accord avec la tradition anglaise et afin de légitimer son avènement, Henri publie laCharte des libertés dans laquelle il énonce ses engagements[90],[91] : rétablissement de l'ordre dans le royaume[92], abandon de la politique oppressive de son prédécesseur à l'encontre du clergé, fin des abus royaux sur les droits de propriété des barons et retour aux coutumes du règne d'Édouard le Confesseur. La proclamation d'Henri précise que le nouveau roi « établira une paix ferme » à travers l'Angleterre et ordonne que « cette paix soit désormais maintenue »[93]. Tout en récompensant ses plus fervents partisans, Henri coopte une grande partie de l'administration existante dans la nouvelle maison royale[94] :Guillaume Giffard, le chancelier de Guillaume le Roux, est éluévêque de Winchester et les importantsshérifsOurs d'Abbetot, Hamo Dapifer et Robert FitzHamon conservent un rôle influent dans le gouvernement[94]. En revanche, l'impopulaireRainulf Flambard,évêque de Durham, est emprisonné à laTour de Londres sous l'accusation de corruption[95]. Dans le but de conserver le soutien de l'Église[96], Henri nomme de nouveaux candidats à de nombreux sièges laissés vacants par son frère et rappelle d'exil Anselme, auquel il présente ses excuses pour son couronnement hâtif en son absence et demande de valider ses nominations d'évêques[97].
Quelques mois plus tard, Henri épouse le 11 novembre 1100Mathilde d'Écosse, sœur du roiEdgar[98]. Il est alors âgé d'environ32 ans, mais les mariages tardifs ne sont pas inhabituels auXIe siècle[99],[100],[101]. Le couple a probablement déjà eu l'occasion de se rencontrer lors de la décennie précédente, peut-être grâce à Osmond de Sées[102],[103]. L'historien Warren Hollister pense que Henri et Mathilde deviennent très proches, mais que leur union est certainement motivée par les circonstances politiques[N 11],[104],[105]. Initialement prénommée Édith, la nouvelle épouse d'Henri est d'ascendance anglo-saxonne par sa mèreMarguerite et est la nièce d'Edgar Atheling, prétendant malheureux au trône d'Angleterre en 1066, et l'arrière-petite-fille du roiEdmond Côte-de-Fer[104]. Ainsi, ce mariage permet à Henri d'accroître sa légitimité et donne à Mathilde l'opportunité d'acquérir une influence sur le gouvernement anglais[106],[107]. Le mariage rencontre toutefois un obstacle, car Mathilde a été élevée dans plusieurs couvents et aurait peut-être déjà fait ses vœux pour devenir nonne[108]. Henri fait donc appel à l'aide d'Anselme, qui organise un concile àLambeth Palace pour autoriser ce mariage[108]. Malgré quelques oppositions, le concile conclut que Mathilde n'est pas effectivement nonne et lui donne l'autorisation d'épouser Henri[N 12],[108],[109].
Mathilde se révèle être une épouse digne et un soutien efficace de son époux : elle détient le rôle de régente à une occasion, s'adresse à et préside plusieurs conseils, et patronne les arts[98],[107]. La nouvelle reine donne rapidement plusieurs enfants à son époux : une fille, prénomméeMathilde, en 1102, et un fils, prénomméGuillaume, dit « Adelin », l'année suivante. Il est possible que le couple ait eu un troisième enfant, Richard, qui meurt en bas âge[N 13],[98],[110]. Après la naissance de ses enfants, Mathilde préfère s'établir auPalais de Westminster, tandis que Henri voyage régulièrement à travers l'Angleterre et la Normandie : la présence de la reine dans la capitale souligne son implication régulière dans le gouvernement royal[107], mais des raisons plus personnelles, notamment religieuses, ne sont pas à exclure. En dépit de son mariage apparemment fructueux, Henri semble avoir un nombre considérable de maîtresses, dont il engendre de nombreux enfants illégitimes : on connaît le nom d'au moins neuf fils et de treize filles, qu'il reconnaît pour la plupart comme ses bâtards et auxquels il apporte son soutien dans leur éducation et leur établissement[99],[111]. Le cas d'Henri n'est pas isolé : les nobles anglo-normands ont de nombreuses aventures extraconjugales (et souvent publiques) auxXIe etXIIe siècles[112],[113]. Plusieurs des relations extraconjugales d'Henri ont lieu avant son mariage, mais d'autres surviennent pendant son union avec Mathilde[113]. Les origines des maîtresses d'Henri sont diverses[107], mais plusieurs d'entre elles semblent avoir été choisies pour des raisons politiques, même si les chroniques contemporaines n'apportent pas beaucoup d'indices à ce sujet et demeurent assez floues[114].
Au début de 1101, le régime d'Henri est fermement institué, mais des membres du baronnage anglo-normand continuent à soutenir son frère Robert Courteheuse ou seraient prêts à le rallier s'il venait à prendre le pouvoir en Angleterre[115],[116]. En février, Rainulf Flambard s'évade de la Tour de Londres et se rend en Normandie, où il affiche son soutien à Robert[117], qui rassemble au cours du printemps une flotte et une armée importantes pour débarquer en Angleterre[118]. En représailles, Henri confisque les possessions de Rainulf Flambard et, avec le soutien d'Anselme, le démet de son évêché[119]. Il reçoit en avril et en juin le renouvellement des serments de fidélité de ses vassaux, mais leur soutien lui semble trop fragile[120]. Malgré l'imminence de l'invasion de son frère aîné, Henri mobilise ses forces et sa flotte àPevensey, où Robert compte débarquer, et entraîne ses troupes à résister aux charges de cavalerie[121],[122]. En dépit de la levée de fonds et de chevaliers par l'Église, de nombreux barons ne sont pas au rendez-vous[121]. Ce n'est qu'après l'intervention personnelle d'Anselme, qui leur rappelle l'importance pour l'Église de soutenir Henri[123], que certains changent d'avis et rejoignent l'armée royale. Contrairement aux prévisions d'Henri, Robert Courteheuse débarque àPortsmouth le 20 juillet avec de modestes forces comprenant quelques centaines d'hommes, mais est rapidement rejoint par ses partisans anglais[124]. Pourtant, au lieu de marcher directement vers Winchester et de se saisir du trésor royal, Robert marque une pause, ce qui laisse le temps à Henri de se rendre en hâte vers l'Ouest et de l'intercepter[125].
Les deux armées se rencontrent àAlton, dans leHampshire, où des négociations de paix commencent, sans que l'on sache quel camp prend cette initiative, même si Rainulf Flambard se distingue pendant les discussions[125]. Par letraité d'Alton, Robert renonce à exiger d'Henri son hommage et le reconnaît comme roi d'Angleterre, contre la renonciation d'Henri à ses possessions en Normandie — à l'exception de Domfront — et le paiement annuel à Robert d'une pension viagère de2 000 livres[N 14],[126]. En outre, si l'un des deux frères meurt sans héritier mâle, l'autre héritera de ses terres. Enfin, les barons ayant perdu leurs possessions pour avoir soutenu Robert ou Henri doivent être restaurés dans leurs terres, tout comme Flambard doit être restauré dans son évêché, et les deux frères s'engagent à combattre ensemble pour défendre leurs possessions normandes[127]. Après la conclusion du traité, Robert réside quelques mois en Angleterre avant de retourner en Normandie[128]. Cependant, au mépris du traité, Henri inflige de sévères sanctions aux barons qui ont soutenu Robert[129]. Ainsi,Guillaume II de Warenne, accusé d'avoir commis plusieurs crimes pendant le débarquement de Robert, est exclu de l'amnistie du traité d'Alton et banni[130]. L'année suivante, Henri s'en prend àRobert II de Bellême et ses frères, qu'il accuse de 45 offenses[131] : après l'avoir contraint à la fuite[132], il assiège ses forteresses, dont les châteauxd'Arundel,de Tickhill,de Shrewsbury et deBridgnorth[133]. Privé de sa base de pouvoir, Robert II de Bellême accepte les conditions de paix d'Henri et part en exil en Normandie[134].
Tinchebray, où a lieu la confrontation finale entre Henri et son frère Robert Courteheuse en 1106.
En 1103, Henri renforce son réseau de soutiens en Normandie[135] : il marie ses filles illégitimesJulienne et Mathilde avec Eustache de Breteuil etRotrou III du Perche[136], et distribue des terres et de l'argent à d'autres barons[137]. Face à cette menace, Robert Courteheuse est contraint de s'allier avec Robert II de Bellême[138], avec lequel il était entré en conflit. Prétendant que son frère n'a pas respecté ses engagements du traité d'Alton, Henri traverse la Manche en 1104 et se rend à Domfront, où il rassemble ses alliés[139],[140], avant d'accuser Robert de s'allier avec ses adversaires et de repartir pour l'Angleterre[141]. Toutefois, dès 1105, Henri envoie Robert FitzHamon dans le duché afin de provoquer son frère[142],[143]. FitzHamon est capturé par le duc, ce que le roi d'Angleterre utilise comme excuse pour intervenir et restaurer l'ordre[144]. Après avoir négocié la neutralité de Philippe Ier[145], Henri occupe l'Ouest de la Normandie et avance versBayeux, pour y délivrer FitzHamon[146]. Ayant sans succès tenté d'obtenir la reddition de la ville, il l'assiège et la brûle[146], avant d'entrer dans Caen sans combats puis de prendreFalaise[147]. Sa campagne s'essouffle, ce qui le pousse à négocier avec Robert[148], mais les discussions ne sont pas concluantes et les combats se poursuivent jusqu'à Noël, lorsque Henri retourne en Angleterre[149],[150].
La seconde campagne d'Henri en Normandie commence lors de son débarquement en juillet 1106[151],[152]. Décidé à provoquer une bataille décisive, il assiège le château deTinchebray, dans le Sud-Ouest du duché[153]. Informés de la situation, Robert Courteheuse et Robert II de Bellême accourent depuis Falaise pour délivrer Tinchebray[153]. Après une ultime tentative de négociations, labataille de Tinchebray a lieu le 28 septembre[N 15],[154],[155]. Les combats durent environ une heure : après une charge de la cavalerie ducale, les infanteries des deux camps se jettent dans la mêlée[156]. Finalement, l'intervention des réserves d'Henri, conduites parÉlie Ier du Maine etAlain IV de Bretagne, permet d'attaquer les flancs de l'armée adverse et de mettre en déroute les troupes de Robert II de Bellême[157], puis celles de Robert Courteheuse. Bellême parvient à échapper à la capture en s'enfuyant précipitamment, mais Courteheuse est fait prisonnier[157]. La résistance au roi d'Angleterre s'effondre et les dernières garnisons se rendent à la demande du duc[158]. Lorsqu'il atteint Rouen, Henri réaffirme les lois et les coutumes normandes, et reçoit l'hommage des principaux barons et bourgeois du duché[159]. Les prisonniers capturés à Tinchebray sont pour la plupart rapidement libérés, mais Robert Courteheuse et son farouche alliéGuillaume de Mortain demeurent en captivité[160].Guillaume Cliton, le jeune fils de Robert, est remis à la garde du baron normand Hélias de Saint-Saëns[161], pendant que Robert II de Bellême se réconcilie avec Henri[162]. Comme Henri ne peut pas juridiquement démettre son frère du duché de Normandie, il évite initialement d'utiliser le titre de duc et rappelle que sa position de roi d'Angleterre lui permet d'agir comme gardien du duché afin d'y restaurer l'ordre[163],[164].
À partir de 1108, le duché de Normandie est confronté à la menace accrue du royaume de France[165], et des comtésd'Anjou etde Flandre. En effet,Louis VI le Gros succède à son père Philippe Ier et commence à réaffirmer le pouvoir royal central[165]. Louis demande ainsi à Henri de lui rendre hommage pour la Normandie et que deux châteaux contestés situés le long de la frontière avec ledomaine royal soient placés sous le contrôle de seigneurs neutres[166],[167]. Le refus d'Henri pousse Louis à mobiliser son armée[166], mais les deux rois négocient une trêve qui ne résout pas les points d'achoppement[N 16],[166],[168]. Parallèlement,Foulques V devientcomte d'Anjou en 1109 et s'empresse d'étendre son autorité[169],[170] : tout en héritant du Maine, il refuse de reconnaître Henri comme son seigneur lige et se rapproche de Louis[171].Robert II de Flandre rejoint aussi l'alliance contre le roi d'Angleterre, peu avant sa mort en 1111[172]. Face à cette menace, Henri fiance sa fille Mathilde avec leroi des RomainsHenri V[173]. Cette alliance matrimoniale permet à Henri V de rétablir sa situation financière et de financer son expédition àRome en 1111 pour s'y faire couronnerempereur avec la dot de Mathilde, fixée à6 666 livres[N 17],[174],[175]. Malgré la difficulté pour recueillir cette somme colossale — ce qui nécessite la mise en place d'une taxe spéciale[176] —, Mathilde est couronnée reine des Romains àMayence le 25 juillet 1110[177], puis épouse Henri V àWorms le 6 ou le 7 janvier 1114.
Afin de contrer la menace franco-angevine, Henri étend son réseau de partisans en Normandie et fait arrêter ou déposséder les barons qu'il ne juge pas fiables[178], notamment Robert II de Bellême qui, après un nouveau revers d'allégeance en faveur de Louis VI, est enfermé en 1112[179]. Ces confiscations de terres lui permettent d'acheter d'autres soutiens, notamment dans le Maine[180],[181]. Vers 1110, Henri tente de faire arrêter Guillaume Cliton, mais ce dernier s'enfuit en Flandre avec ses gardiens[182]. C'est également à cette époque qu'il commence à être désigné comme le duc de Normandie[183]. Un soulèvement en Anjou entre 1111 et 1113 donne à Henri l'occasion d'intervenir en soutien à son neveuThibaut IV de Blois contre Louis VI[184],[185], qu'il essaie d'isoler diplomatiquement en fiançant son fils Guillaume avecMathilde d'Anjou, la fille de Foulques V, et en mariant sa fille illégitimeMathilde avecConan III de Bretagne[186]. Face à l'abandon de l'Anjou et de la Bretagne, Louis VI décide de négocier avec Henri, qu'il rencontre en mars 1113 près deGisors : il renonce à cette forteresse et reconnaît la suzeraineté d'Henri sur le Maine, la Bretagne etBellême[187]. Le roi d'Angleterre retraverse ensuite la Manche, car la situation aupays de Galles s'est détériorée en son absence : malgré une première campagne qui avait permis de coloniserPembroke en 1108[188], plusieurs seigneurs normands doivent à présent faire face aux attaques galloises, tandis qu'Owain ap Cadwgan fait aveugler son otage Madog ap Rhiryd et queGruffydd ap Cynan menace au Nord l'autorité de Richard d'Avranches[189]. Henri riposte en pénétrant au centre du pays de Galles, pendant que son alliéGilbert de Clare avance par le Sud et que son beau-frère et gendreAlexandre Ier d'Écosse envahit par le Nord[189]. Après avoir contraint Owain et Gruffydd à négocier la paix[190], Henri renforce durablement son autorité dans lesMarches galloises[191].
La succession d'Henri est complètement bouleversée par le naufrage de laBlanche-Nef le[222]. En début de soirée, Henri quitte le port deBarfleur pour l'Angleterre, tandis que Guillaume Adelin et ses compagnons doivent le suivre dans un vaisseau différent : laBlanche-Nef[223]. Il semble que l'équipage et les passagers aient été ivres puisque, en sortant du port, le navire s'écrase contre un rocher[N 20],[224],[225]. LaBlanche-Nef coule, ce qui provoque la mort d'au moins300 personnes. Seul un passager, un boucher de Rouen, parvient à survivre et à atteindre le rivage[224]. En apprenant la nouvelle, la cour évite d'annoncer le naufrage et la mort de l'héritier au trône au roi. Henri s'effondre de douleur lorsqu'il est informé de la mort de son seul fils légitime[226],[227]. La catastrophe remet sérieusement en doute la succession au trône[228],[229], les plus proches parents mâles du roi étant désormais ses neveux. Toutefois, Henri annonce peu après qu'il compte se remarier avecAdélaïde de Louvain, ce qui laisse espérer la naissance d'un nouvel héritier. Le mariage d'Henri et d'Adélaïde a lieu auchâteau de Windsor le 24 janvier 1121[N 21],[228],[230]. Il semble que Henri ait choisi sa nouvelle épouse en raison de sa beauté et de son prestigieux lignage, et qu'Adélaïde ait elle-même apprécié la compagnie de son époux, qu'elle suit lors de ses nombreux voyages à travers l'Angleterre, peut-être afin de maximiser les chances de concevoir un enfant[231],[107],[230].
Le désastre de laBlanche-Nef plonge le pays de Galles dans le chaos, puisque la mort de Richard d'Avranches encourage la rébellion deMaredudd ap Bleddyn[232]. Henri doit intervenir personnellement à l'été 1121 et réaffirme le pouvoir royal dans le Nord de la région[232], malgré une blessure pendant les combats. L'alliance avec l'Anjou est également remise en question par la mort de Guillaume Adelin[233] : à son retour de Terre sainte, Foulques V réclame la restitution de sa fille Mathilde, de sa dot et de ses fortifications dans le Maine[233]. Si Mathilde d'Anjou retourne finalement en Angleterre, la dot est en revanche conservée par Henri, qui déclare que la somme lui appartenait avant d'entrer en la possession de Foulques et refuse de lui restituer les fortifications qu'il a occupées[234]. En représailles, Foulques marie sa filleSibylle à Guillaume Cliton et leur accorde le Maine[235]. Cette décision sème l'agitation en Normandie, où Amaury III de Montfort renoue en 1123 son alliance avec Foulques et mène une rébellion[235], dans laquelle il est rejoint par d'autres barons, dontGaléran IV de Meulan[N 22],[236],[237],[238].
Les relations entre Henri d'une part et Mathilde et Geoffroy de l'autre deviennent de plus en plus tendues pendant les derniers mois de son règne. Le couple pense, avec raison, qu'il lui manque l'appui de barons anglo-normands. Au début de 1135, Mathilde demande à son père de lui remettre les châteaux royaux situés en Normandie et de requérir de la noblesse normande qu'elle lui prête un serment d'allégeance, afin de conforter la position du couple après sa mort[273]. Henri rejette furieusement sa requête, probablement parce qu'il craint que Geoffroy essaie d'implanter durablement son autorité en Normandie[274],[275],[276]. Une nouvelle rébellion éclate dans le Sud du duché sous la conduite deGuillaume Ier de Ponthieu, auquel Geoffroy et Mathilde apportent leur soutien[18],[277]. Henri se rend précipitamment en Normandie pendant l'automne afin d'y rétablir son autorité. En novembre, il marque une étape àLyons-la-Forêt pour y chasser[278] et tombe subitement malade — d'après le chroniqueurHenri de Huntingdon, après avoir consommé « une surabondance » delamproies, contre l'avis de ses médecins.
Malgré les dispositions prises par Henri en 1126, la succession de Mathilde sur les trônes d'Angleterre et de Normandie est immédiatement contestée. Tout d'abord, lors de l'annonce de la mort du roi d'Angleterre, Mathilde et Geoffroy sont en Anjou d'où ils soutiennent la rébellion contre l'armée royale, qui inclut beaucoup de leurs partisans potentiels, à l'instar de Robert de Gloucester[18]. Par ailleurs, les barons qui avaient accompagné Henri pendant sa campagne ont fait serment de demeurer en Normandie jusqu'à l'inhumation du défunt roi, ce qui les empêche de retourner immédiatement en Angleterre[283]. Ainsi, une partie de la noblesse normande discute de l'éventualité d'offrir la couronne à Thibaut IV de Blois[284], mais son frère Étienne traverse en précipitation la Manche depuisBoulogne avec quelques troupes[285],[286] et se fait couronner roi d'Angleterre dès le 22 décembre[286]. Ses prétentions sont notamment soutenues par son frère cadetHenri de Blois,évêque de Winchester, etHugues Bigot, qui déclare que Henri Ier aurait délivré sur son lit de mort les barons anglo-normands de leur serment de fidélité à Mathilde et aurait appuyé la candidature d'Étienne[286]. En dépit de cette tournure des évènements, Mathilde l'Emperesse ne renonce pas à son héritage paternel et décide de faire appel de cette décision auprès du papeInnocent II, puis d'envahir l'Angleterre : la guerre civile entre Mathilde et Étienne, connue sous le nom d'Anarchie, va durer jusqu'en 1153[287].
Henri hérite après la mort deGuillaume le Roux du royaume d'Angleterre, ce qui lui confère un droit de suzeraineté sur le pays de Galles et l'Écosse, et après la défaite deRobert Courteheuse du duché de Normandie, une entité régionale complexe dont les frontières sont souvent sensibles aux troubles[288]. La frontière anglo-écossaise n'est pas véritablement fixée sous le règne d'Henri Ier, puisque l'influence anglo-normande s'étend au Nord au-delà de laCumbria. Pourtant, les relations entre Henri Ier et Alexandre Ier, puis son successeurDavid Ier, sont globalement cordiales, en partie grâce au premier mariage d'Henri avec la sœur d'Alexandre et de David, et au mariage de sa fille illégitimeSibylle avec Alexandre[289],[290]. Au pays de Galles, Henri use de son autorité pour se faire respecter par les seigneurs gallois, tandis que les seigneurs normands des Marches étendent leur influence jusqu'aux vallées du Sud du pays de Galles[291],[292]. Quant à la Normandie, elle est contrôlée par plusieurs hauts seigneurs ou des membres du clergé, qui renforcent leur assise territoriale par la construction croissante de forteresses le long des frontières[293]. Les alliances et les relations avec les comtés frontaliers sont particulièrement importantes pour Henri afin de maintenir la stabilité dans son duché[294], ce qui explique notamment pourquoi ses deux enfants légitimes épousent des enfants de Foulques V d'Anjou en 1119 et en 1128.
Henri est responsable d'une expansion substantielle du système juridique royal[N 26],[295],[296],[297]. En Angleterre, il s'inspire du système anglo-saxon en ce qui concerne la justice royale, le gouvernement local et les taxes, mais le renforce avec des institutions additionnelles centralisées[298]. Après 1110, l'archevêque Roger de Salisbury développe l'Échiquier royal et l'utilise pour collecter et vérifier les revenus des shérifs royaux[299]. Par ailleurs, des juges itinérants se déplacent à travers le royaume où ils tiennent descours de circuit, et les lois sont plus régulièrement enregistrées[300],[301],[302]. L'expansion de la justice royale permet à Henri d'accroître ses revenus, essentiellement grâce aux amendes[303]. En outre, le tout premier Pipe Roll voit le jour en 1130 et permet d'enregistrer les dépenses royales[304]. Henri décide aussi de réformer la monnaie en 1107, en 1108 et en 1125, et inflige de sévères punitions corporelles aux monnayeurs reconnus coupables de l'avoir avilie[N 27],[305],[306]. En Normandie, Henri restaure la loi et l'ordre en établissant un corps de juges et un système d'Échiquier similaires à ceux existant en Angleterre[307]. Les institutions normandes prennent de l'envergure sous son règne, bien que moins rapidement qu'en Angleterre[308]. Les nombreux membres de l'administration royale sont surnommés les « nouveaux hommes » par les historiens, en raison de leur capacité à gravir ses échelons malgré leurs origines modestes[N 28],[309],[310].
Henri distingue précisément sa cour itinérante en différentes catégories[318],[319] : au cœur se trouve sa maison domestique, appelée ladomus ; un groupe plus large est désigné comme lafamilia regis ; et les rassemblements plus formels sont connus sous le nom decuria regis[318]. Ladomus est divisée en différentes parties : la chapelle, dirigée par le chancelier, s'occupe des documents royaux, la chambre se charge des affaires financières et le maître-maréchal est responsable des voyages et du logement[320],[321]. Lafamilia regis inclut les troupes montées d'Henri, qui s'élèvent jusqu'à 1 000 hommes, proviennent d'un plus large éventail de rangs, et peuvent être déployées à sa guise[322]. Initialement, Henri poursuit la pratique entretenue par son père de porter régulièrement la couronne lors des cérémonies à lacuria regis, mais elle finit par devenir peu à peu moins fréquente[323]. La cour d'Henri est grande et ostentatoire : elle finance la construction de bâtiments et châteaux plus vastes, et fournit au souverain de multiples cadeaux, notamment une ménagerie privée d'animaux exotiques auPalais de Woodstock[324]. Même s'il vit au sein d'une communauté relativement vivante, la cour d'Henri est plus étroitement contrôlée que sous les règnes précédents[325]. Ainsi, des règles strictes régissent les comportements personnels et interdisent aux membres de la cour de piller les villages qu'elle traverse, comme c'était le cas sous le règne de Guillaume le Roux[325].
Anselme de Cantorbéry rentre d'exil après l'avènement d'Henri en 1100, mais l'informe qu'il se conformera aux souhaits d'Urbain II[331]. Henri se trouve dès lors dans une position difficile : d'une part, le symbolisme et l'hommage sont importants pour asseoir son autorité royale, mais d'autre part, il a besoin du soutien d'Anselme dans sa lutte contre son frère Robert Courteheuse[332],[333]. Anselme s'en tient fermement à la décision papale, malgré les tentatives d'Henri de le persuader de renoncer à cette demande en échange d'une vague assurance d'un futur compromis[332],[334]. Les relations entre le monarque et le prélat s'enveniment peu à peu, au point qu'Anselme repart en exil et que Henri confisque les revenus de son archevêché. Ce n'est qu'après la menace d'une excommunication par Anselme que les deux hommes négocient une solution àL'Aigle le 22 juillet 1105[332],[334],[335],[336]. Une distinction est faite entre les pouvoirs séculiers et ecclésiastiques des prélats, en vertu desquels Henri abandonne son droit d'investir les membres du clergé, mais conserve la coutume de requérir d'eux qu'ils lui rendent hommage pour leurs temporalités[336] — les propriétés foncières que le clergé détient. En dépit de ce désaccord, Henri et Anselme collaborent étroitement, en particulier pendant l'invasion de Robert Courteheuse en 1101, et tiennent ensemble d'importants conciles réformateurs en 1102 et en 1108[337].
Une longue dispute éclate entre les archevêchés de Cantorbéry et d'York lorsqueRaoul d'Escures succède à Anselme en 1114[338]. L'archevêché de Cantorbéry a longtemps affirmé que celui d'York devait formellement promettre de lui obéir, mais l'archevêché d'York fait valoir que les deux archiépiscopats sont indépendants au sein de l'Église d'Angleterre et qu'une telle promesse n'est pas nécessaire. Henri soutient la primauté de l'archevêché de Cantorbéry, afin de s'assurer que l'Angleterre restera sous une seule administration ecclésiastique, mais le papePascal II préfère les arguments de l'archevêché d'York[338]. L'affaire est complexifiée par l'amitié personnelle d'Henri avec l'archevêque d'YorkThurstan et le désir royal que le verdict ne soit pas prononcé par le souverain pontife, ce qui menacerait ses prérogatives[338]. Mais comme il a besoin du soutien pontifical dans sa lutte contre Louis VI, Henri autorise Thurstan à assister au concile de Reims en 1119, au cours duquel celui-ci est consacré par le pape sans la moindre mention d'un quelconque devoir envers l'archevêque de Cantorbéry[339]. Convaincu que Thurstan a agi à l'encontre des assurances qu'il lui avait faites, Henri l'exile d'Angleterre et ne l'autorise à rentrer qu'en 1121[340],[341], après que leurs amis communs ainsi qu'Adèle, l'une des sœurs d'Henri, aient négocié une réconciliation entre eux et que le pape Calixte II ait menacé de jeter l'interdit sur l'Angleterre.
Même après la Querelle des Investitures, Henri continue à jouer un rôle majeur dans la sélection du clergé séculier anglo-normand[342]. Il nomme plusieurs membres de son administration à des évêchés et, comme le suggère l'historien Martin Brett, « certains de ses officiers pouvaient espérer une mitre avec une confiance presque absolue »[343]. Henri fait par ailleurs de plus en plus appel à un plus grand nombre de ces évêques en tant que conseillers — en particulier Roger de Salisbury —, rompant ainsi avec la tradition antérieure qui consistait à s'en remettre principalement à l'archevêque de Cantorbéry[344]. Il en résulte un corps d'administrateurs cohésif à travers lequel Henri peut exercer une influence prudente, en tenant des conseils pour discuter des questions politiques essentielles[345],[346]. Cette cohésion se modifie quelque peu après 1125, lorsque Henri commence à promouvoir un plus grand nombre de candidats aux postes supérieurs de l'Église, souvent avec des opinions plus réformistes : l'impact de cette génération sera perceptible après la mort d'Henri, notamment sous le règne d'Étienne[347].
Henri fait de nombreux dons à l'Église et patronne plusieurs communautés religieuses, mais les chroniques duXIIe siècle ne le considèrent pas comme un roi exceptionnellement pieux par rapport à ses contemporains[348]. Même s'il s'est toujours intéressé à la religion, ses convictions personnelles et sa piété peuvent s'être développées au cours des dernières années de sa vie[349],[350]. Si tel est le cas, la mort prématurée de son fils Guillaume en 1120 et les tensions orageuses du second mariage de sa fille Mathilde en 1129 ont pu être des évènements décisifs dans ce changement[N 30],[351],[350],[352],[353]. En tant que partisan de la réforme religieuse, Henri fait de nombreux dons aux groupes réformistes au sein de l'Église[354] : il est ainsi un fervent partisan de l'ordre de Cluny, probablement pour des raisons intellectuelles[355], et fait des dons aux abbayesde Cluny etde Reading[355], où il se fera inhumer. Il dote la seconde en terres riches et en privilèges étendus après le commencement de sa construction en 1121[356]. Henri s'efforce également de promouvoir la conversion des communautés de clercs en chanoinesaugustins, la fondation deléproseries, l'expansion des couvents et le développement des ordresde Savigny etde Tiron[357]. Enfin, il collectionne des reliques et envoie une ambassade àConstantinople en 1118 pour recueillir des objets byzantins, dont certains sont offerts à l'abbaye de Reading[348],[358].
L'interprétation de la personnalité d'Henri Ier par les historiens a évolué. Des historiens plus anciens, tels qu'Austin Poole et Southern, considèrent Henri comme un souverain cruel et draconien[315],[368],[369]. Des spécialistes plus récents, à l'instar d'Hollister et de Green, voient sa mise en œuvre de la justice avec beaucoup plus de sympathie[370], en particulier lorsqu'elle est confrontée aux normes de l'époque, même si Green note que Henri était « à bien des égards très désagréable » et tempère certaines thèses favorables au gouvernement d'Henri comme son rôle dans le progrès de l'administration et ses rapports avec l'aristocratie. Alan Cooper observe que de nombreux chroniqueurs contemporains avaient probablement trop peur de lui pour formuler beaucoup de critiques à son égard[315],[371],[372],[373]. Les historiens se sont également demandé si les réformes administratives d'Henri ont véritablement constitué une introduction à ce que Hollister et John Baldwin ont appelé une « royauté administrative » systématique, ou si sa conception restait fondamentalement traditionnelle.
↑La date de naissance d'Henri dépend de la comparaison des récits des chroniqueurs contemporains et des différents trajets entrepris par ses parents : ceux-ci ne donnent que des périodes limitées au cours desquelles Henri a pu être conçu. L'historien Warren Hollister préfère l'été 1068, tandis queJudith Green privilégie la fin de l'année 1068.
↑Le chroniqueurOrderic Vital décrit une violente querelle qui aurait opposé en 1077 àL'Aigle Robert Courteheuse à Guillaume le Roux et Henri. Alors que Guillaume le Conquérant et ses trois fils logent dans une maison, les deux plus jeunes s'amusent aux dés, font grand bruit et, de l'étage, déversent de l'eau sur Robert et ses amis. Furieux, Robert s'apprête à corriger ses frères mais leur père intervient pour freiner sa fureur. Le lendemain, Robert quitte en secret l'armée ducale et tente en vain de s'emparer duchâteau de Rouen, avant de s'exiler de Normandie avec quelques compagnons et de se rebeller contre son père jusqu'en 1080. Les historiens modernes, notamment Judith Green et Warren Hollister, sont enclins à douter de la véracité de cette anecdote.
↑Si Warren Hollister doute que Henri ait jamais été destiné à poursuivre une carrière dans les ordres, Judith Green en est moins certaine.
↑Plusieurs chroniqueurs ont également avancé un montant de2 000 livres.
↑La somme de5 000 livres correspond à 1,5 million de pennies d'argent : Henri aurait difficilement pu s'enfuir du duché de Normandie avec une telle somme sans être remarqué par les agents de Robert Courteheuse.
↑Cette région, initialement destinée à leur frère Richard, est convenablement éloignée de Rouen, la capitale du duché.
↑La durée du siège varie selon les chroniqueurs entre15 jours, privilégiée par Judith Green, et six semaines, soutenue par Warren Hollister.
↑La décision d'Henri de ne pas se joindre à la campagne de Guillaume le Roux est peut-être due au fait que les forces de Robert Courteheuse étaient suffisamment nombreuses pour l'empêcher de rejoindre Guillaume àEu.
↑Guillaume de Malmesbury et Orderic Vital décrivent les relations étroites au sein du couple.Eadmer affirme même que Henri et Mathilde sont sincèrement amoureux.
↑Anselme est par la suite critiqué par certains barons pour avoir autorisé ce mariage.
↑La plupart des chroniqueurs indique que cette somme s'élève à 3 000 marcs, soit l'équivalent de 2 000 livres sterling, mais Orderic Vital précise que le montant convenu est plus important et s'élève à 3 000 livres sterling.
↑La date du 28 septembre est celle retenue par les historiens, même si les chroniqueurs avancent également les dates du 27 ou du 29 septembre.
↑L'abbéSuger suggère que l'incident est embarrassant pour Henri, puisqu'il a refusé de livrer bataille, mais reconnaît qu'il s'agit d'une décision militaire judicieuse.
↑La date du début des hostilités est incertaine : Judith Green la situe fermement en 1116, tandis que Warren Hollister opte pour une période comprise entre 1116 et 1118.
↑Initialement, Eustache et Julienne réclament la cession du château d'Ivry-la-Bataille en échange de leur loyauté. Henri promet alors au couple de leur céder la forteresse et réclame un échange d'otages : Eustache et Julienne reçoivent le fils du connétable d'Ivry-la-Bataille, tandis que Henri reçoit la garde des filles du couple. D'après Orderic Vital, Eustache aurait ordonné l'aveuglement de son otage et, en représailles, Henri aurait autorisé l'aveuglement et la mutilation de ses propres petites-filles, ce qui provoque la fureur de Julienne à l'égard de son père et la pousse à tenter de l'assassiner.
↑Il s'agit probablement du rocher de Quillebœuf, à mi-chemin entre la sortie du port de Barfleur et lapointe de Barfleur.
↑La rapidité de ce second mariage laisse penser que Henri avait déjà l'intention de se remarier avant le naufrage de laBlanche-Nef.
↑On ignore les raisons de la rébellion de Galéran, mais il est possible qu'il ait considéré Guillaume Cliton comme l'héritier légitime du duché de Normandie ou qu'il ait simplement pensé qu'il bénéficierait davantage sous son règne que sous celui d'Henri.
↑L'Église interdit théoriquement les mariages entre parents en deçà du septième degré de consanguinité. Dans la pratique, toutefois, les souverains et seigneurs se marient alors entre proches parents, mais cette raison pouvait cependant être invoquée pour annuler une union, comme celle de Guillaume Cliton et de Sibylle d'Anjou.
↑On ignore qui visaient véritablement ces rumeurs et lequel des deux conjoints ne pouvait alors engendrer de descendance. En effet, Henri a eu au moins deux enfants de son premier mariage et plus d'une vingtaine d'enfants illégitimes, tandis qu'Adélaïde de Louvain donnera plusieurs enfants à son second épouxGuillaume d'Aubigny.
↑Le contenu de ce serment est sujet à controverse et varie énormément en fonction des récits. Guillaume de Malmesbury prétend que les barons assemblés reconnaissent Mathilde comme l'héritière légitime du trône en raison de son ascendance royale.Jean de Worcester affirme quant à lui que ce serment est conditionné au fait que Mathilde ait un héritier mâle. Une chronique anglo-saxonne mentionne simplement le serment sans préciser son contenu. Quant à Orderic Vital etHenri de Huntingdon, ils ne mentionnent même pas cet évènement. Certains de ces récits peuvent aussi avoir été influencés par l'avènement d'Étienne de Blois en 1135 et les évènements ultérieurs de l'Anarchie.
↑Dans sonHistoria regum Britanniae,Geoffroy de Monmouth donne à Henri le surnom de « Lion de Justice » pour son amélioration des rouages rudimentaires de l'administration et de l'appareil législatif du pays, que l'on trouve dans une section où il relate les prophéties deMerlin. Bien que Henri ne soit pas nommé dans le document lui-même, les historiens pensent qu'il s'agit de lui. La comparaison en elle-même a plusieurs interprétations : Judith Green affirme que la description était positive, alors qu'Alan Cooper est beaucoup plus prudent et souligne que les lions sont considérés à cette époque comme forts mais aussi brutaux et cruels, et que le contexte dans la section n'est certainement pas flatteur à propos du personnage traité par l'auteur.
↑En 1124, Henri reçoit plusieurs rapports de son armée qui l'informe que certains soldats ont été payés avec des pennies d'argent de qualité inférieure. Il charge alors Roger de Salisbury d'enquêter et ordonne que tous les monnayeurs reconnus coupables se fassent couper la main droite et les organes génitaux. La sentence royale, approuvée par les chroniqueurs contemporains pour sa fermeté, est exécutée àSalisbury par l'évêque.
↑L'historien David Crouch remarque que plusieurs conseillers et fonctionnaires d'Henri ont par la suite regretté leurs actions au nom du roi, et en conclut que « la vie à la cour du roi Henri avait tendance à peser sur la conscience de ses détenus ».
↑Dans une métaphore représentant le gouvernement comme une charrue tirée par deux bœufs, Anselme cherche à démontrer que le roi et l'archevêque gouvernent respectivement le royaume en vertu du droit temporel et du droit religieux.
↑Il est difficile d'évaluer l'attitude personnelle d'Henri envers la religion pendant la fin de sa vie. L'historien Richard W. Southern soutient que les deux évènements constituent un changement décisif, bien que Martin Brett penche davantage pour 1129. Judith Green est plus prudente et observe que la norme chez les chroniqueurs médiévaux est de concentrer leurs écrits sur la fin de vie d'un personnage sur les thèmes du repentir et de la confession, ce qui a peut-être donné une fausse impression de changement dans la pensée religieuse d'Henri. Henry Mayr-Harting doute également de l'étendue des preuves quant à un changement de pensée et s'intéresse davantage à sa piété antérieure, en suggérant que Henri a toujours été plus enclin à la religion qu'on ne l'a estimé.