Harran (Carrhae en latin, ouCarrhes en français) est une ville et un district deTurquie, dans le sud-est de laTurquie actuelle, au croisement des routes deDamas, deKarkemich et deNinive. C'est également un site archéologique : on peut y voir les murailles de la cité antique, longues de cinq kilomètres, et d'importants vestiges médiévaux tels que le château et l'Ulu Camii, une grande mosquée duVIIIe siècle. De nos jours, subsistent seulement deux villages aux constructions typiques de pierre et d'argile crue surmontées de coupoles en formes de ruches, tandis qu'un habitat moderne se développe aux abords du site archéologique.
La ville, conjointement avec celle deSanliurfa, a été proposée en 2000 pour une inscription au patrimoine mondial. Elle figure sur la « liste indicative » de l’UNESCO dans la catégorie patrimoine culturel[2].
Les Grecs appelaient la villeΚάρραι, Karrhai, nom francisé en Carrhes. Sa situation géographique, dans la vallée du fleuve Balissos (aujourd'hui Balīkh) et au croisement de deux pistes caravanières, en a fait un point stratégique au cours de l'Histoire. L'une de ces pistes reliait la Syrie à la vallée duTigre, l'autre conduisait vers l'Euphrate et legolfe Persique à partir de la vallée duHalys[3]. Des inscriptions assyriennes la mentionnent vers 1100av. J.-C. sous le nom deHarranu, ce qui signifieraitroute, itinéraire enakkadien. Ce carrefour commercial était connu des Romains :Pline l'Ancien, auIer siècleapr. J.-C., mentionne le commerce de l'encens et des parfums sur le marché de Carrhes[4].
Harran a subi au cours des siècles la domination de plusieurs puissances : après lesAmorrites et le royaume deMitanni, la ville fut brûlée par lesHittites et elle passa ensuite sous dominationassyrienne. Des stèles gravées en caractèrescunéiformes font référence au roi babylonienNabonide (556-539av. J.-C.). Elle fut finalement intégrée à l'empire achéménide. Après les conquêtes d'Alexandre le Grand, elle fut gouvernée par les Macédoniens et par la dynastie desSéleucides. Ainsi se constitua une importante communauté delangue grecque qui y prospéra. Des ateliers royaux frappèrent à Carrhes destétradrachmes et même des octodrachmes en argent, monnaie du commerce[5]. Longtemps après l'arrivée desParthes, vers la fin duIIe siècle av. J.-C., une population grecque qui s'identifie encore comme telle vint au secours des soldats romains d'Afranius, en 65-64av. J.-C.
À partir de cette époque, elle appartient au royaume d'Adiabène, ou au royaume d'Osroène lorsqu'il existait deux royaumes distincts. Sauf lors de courtes périodes, ces deux royaumes furent gouvernés par la dynastieAbgar d'Édesse, ouMonobaze d'Adiabène, qui étaient toutes deux des Abgar. AuIer siècle, le roi d'Adiabène donna la seigneurie de Carrhes (Harran) au fils qu'il avait désigné pour lui succéder.
Les textes syriaques évoquent un évêquemonophysite,Siméon des Olivies, qui s'efforça vers 700 de convertir desmanichéens, des païens et des juifs de la région. Ils évoquent également desSabéens, ceux de la ville de Harran ayant joué un grand rôle dans la traduction enarabe des ouvrages issus de l'Empire byzantin[8]. Adorateurs des étoiles, les Sabéens semblent avoir formé une communauté de païens hellénisés, qui conservèrent l'enseignement astrologique des Babyloniens jusqu'auXe siècle. Adeptes de l'hermétisme, et de ce fait menacés physiquement, ils tentèrent en vain de faire admettre leur religion au nombre des cultes monothéistes officiels[9].
Le plus célèbre des sabéens de Harran estThābit ibn Qurra, un mathématicien, astronome et astrologue, qui traduisit en arabe de très nombreux textes scientifiques grecs[10]. Le théologien chrétienThéodore Abu Qurrah fut, de795 à812, évêqueorthodoxe de Harran. C'est également la ville natale de l'astronome, astrologue et mathématicienAl-Battani (env.855-923) et du théologien musulmanIbn Taymiyya (1263)[11].
Dans laBible,Terah, le père d'Abraham, s'installe à Haran après avoir quittéUr avec sa famille, et y meurt (Genèse 11, 31-32). Son arrière-petit-filsLaban, frère deRébecca et beau-père deJacob, y habite (Genèse 27, 43). Jacob lui-même séjourne chez Laban durant vingt ans, pendant lesquels il devient père de ses onze premiers fils et d'une fille. Ce sont les ancêtres des futurestribus d'Israël (Genèse 28-31).