Harold Pinter naît dans une famillejuive du faubourg populaire deHackney àLondres. Il s'y familiarise avec la langue populaire et lecockney qu'il mettra plus tard à l'honneur dans ses pièces. Son père était tailleur pour dames. Durant sa jeunesse, l'auteur a été confronté auchômage, à la misère, auracisme et à l'antisémitisme qui sévissaient auRoyaume-Uni à l'aube de laSeconde Guerre mondiale. Selon ses dires, ce contexte troublé a largement nourri sa vocation future. Durant la Seconde Guerre mondiale, il quitte la capitale britannique à 9 ans et y revient trois ans plus tard. Il reconnaît plus tard que« l'expérience des bombardements ne l'a jamais lâché ».
De retour à Londres, il entre à la Hackney Downs Grammar School où il s'illustre notamment dans les rôles deMacbeth et deRoméo mis en scène par Joseph Brearly. Il intègre ensuite brièvement laRoyal Academy of Dramatic Art en1948 et publie, deux ans plus tard, ses premiers poèmes[4].
En1951, Pinter est admis à l'École centrale des arts de la scène. La même année, il est engagé dans la troupe théâtrale ambulante irlandaise d'Anew McMaster spécialisée dansShakespeare[4].
Entre1954 et1957, il entame une tournée en tant que comédien sous le nom David Baron. Sa première pièce,The Room (La Chambre) est interprétée en1957 par les étudiants de l’université de Bristol. Il dit être entré en dramaturgie« par surprise », étant issu de laclasse ouvrière[4].
The Birthday Party (L'Anniversaire,1958) n'intéresse pas le grand public, malgré une bonne critique publiée dans leSunday Times[4]. Mais à la suite du grand succès rencontré parThe Caretaker (Le Gardien) en1960, huis clos à trois personnages (un clochard, un fou échappé d'un asile et son frère), la pièce est rejouée et reçoit cette fois-ci un accueil triomphal[4]. Entre-temps, Pinter écrit plusieurs pièces radiophoniques qui obtiennent un certain succès. Les œuvres de cette période, telles queThe Homecoming (Le Retour) en1964, sont parfois étiquetées comme mettant en scène une « comédie de la menace »[4]. Avec une intrigue réduite au minimum, elles prennent souvent comme point de départ une situation en apparence anodine mais qui devient rapidement menaçante et absurde par le biais des acteurs dont les actions semblent inexplicables aux yeux du public et des autres personnages de la pièce[4]. L'auteur est alors rapproché de la génération desJeunes gens en colère, comme ses collèguesJohn Osborne,Arnold Wesker etEdward Bond. L’œuvre de Pinter est marquée, dès le début, par l’influence duthéâtre de l'absurde et deSamuel Beckett. Par la suite, les deux hommes deviennent amis.
Pinter a également publié plusieurs poèmes. On peut parler, dans sa production, d'une première phase consacrée à l'absurde (les « comédies de la menace ») et d'une seconde qualifiée de « réalisme psychologique » ou de « néo-naturalisme » dans la lignée des « drames de cuisine » deWesker[4]. Elles sont suivies d'une période plus lyrique avecLandscape (1967) etSilence (1968) puis d'un cycle consacré à la communication (ou la non-communication) que caractérise une parcimonie extrême des répliques avecNo Man's Land (1975) etBetrayal (Trahisons,1978)[4]. À cela, s'ajoute une cinquième phase politique avecOne for the Road (1984),Mountain Language (1988) etThe New World Order (1991)[4]. Cependant, cette classification simplifiée semble problématique aux yeux de la critique, chacune des époques débordant sur l'autre[4]. Elle oublie de surcroît certains des textes les plus forts de l'auteur commeAshes to Ashes (1996)[4].
Dans lesannées 1970, Pinter s'intéresse de plus en plus à la mise en scène et devient directeur associé duNational Theater en1973. Ses pièces récentes tendent à être plus courtes. Elles portent aussi sur des sujets plus politiques et sont souvent des allégories de l'oppression. Plusieurs de ses pièces sont traduites et adaptées en France parÉric Kahane.
Dans la même période, Pinter commence à prendre parti sur des problèmes politiques, s'affichant distinctement à gauche. Il mène un combat continu pour porter à la connaissance du public les violations desdroits de l'homme et la répression. Ses courriers sont souvent publiés dans les journaux britanniques, commeThe Guardian ouThe Independent.
En1985, Pinter voyage enTurquie en compagnie du dramaturge américainArthur Miller et rencontre de nombreuses victimes de l'oppression politique. Lors d'une réception à l'ambassade desÉtats-Unis d'Ankara, donnée en l'honneur de Miller, Pinter, au lieu de plaisanter et de se livrer aux mondanités habituelles, raconte des histoires de personnes torturées avec du courant électrique, appliqué à leurs parties génitales. Choquant l'assistance, il est renvoyé de la réception et Miller le suit par solidarité. L'expérience de Pinter, sur la répression en Turquie et la suppression de la languekurde, lui inspirent sa pièce de théâtre de1988 intituléeMountain Language.
En1999, Pinter critique ouvertement lebombardement du Kosovo par l'OTAN. Il prend position contre l'embargo déclaré par les États-Unis contreCuba. Il s'oppose aussi à l'invasion par les États-Unis de l'Afghanistan en2001, ainsi qu'à l'intervention militaire en Irak deux ans plus tard. En2005, il annonce qu'il n'écrira plus de pièces de théâtre afin de se consacrer à la politique. Il exprime par ailleurs régulièrement son soutien à lacause palestinienne.
« [dans ses œuvres,] il découvre l'abîme sous les bavardages et se force un passage dans les pièces closes de l'oppression[7]. »
Débutdécembre 2005, il enregistre sur vidéo une déclaration pour la remise du prix Nobel, ne pouvant se rendre àStockholm car uncancer de l'œsophage à un stade avancé l'en empêche. Son discours concerne beaucoup plus la politique que la littérature. Il y déclare :
« L'invasion de l'Irak était un acte de banditisme, un acte de terrorisme d'État flagrant, la preuve d'un mépris absolu pour ledroit international. […] Combien de personnes faut-il tuer avant de mériter d'être décrit comme un massacreur et un criminel de guerre ? Cent mille ? […] Nous avons amené la torture, les bombes à fragmentation, l'uranium appauvri, d'innombrables assassinats commis au hasard, la misère, la dégradation et la mort au peuple irakien, et on appelle ça apporter la liberté et la démocratie au Proche-Orient. […] »
Il y prend position contre les États-Unis d'Amérique, qui ont« exercé une manipulation très clinique du pouvoir dans le monde entier, tout en se faisant passer pour une force prônant le bien universel. C'est un geste d'hypnotisme brillant, voire plein d'esprit, et très réussi. »
En1977, Harold Pinter provoque un scandale public en quittant sa femme, l'actriceVivien Merchant, avec laquelle il était marié depuis1956, pour s'établir avec LadyAntonia Fraser qu'il épouse en1980, après que son divorce a été prononcé.
Sa pièceBetrayal (Trahisons,1978) a la réputation d'être une description de cette liaison. En réalité, elle se base sur la longue relation amoureuse qu'entretint l'auteur avec la présentatrice de télévisionJoan Bakewell.
Pinter a aussi eu une dispute publique avec le metteur en scène Peter Hall portant sur sa description dans lesHall's Diaries, publiés en1983, où il était dépeint comme abusant de l'alcool. Néanmoins, les deux hommes se sont réconciliés par la suite.
Les créations de Pinter sont appréciées pour leurs recherches stylistiques, leur mélange de bouffonnerie et de noirceur et leur précision presque maladive. Elles renvoient généralement le théâtre à sa base élémentaire avec des dialogues qui basculent de manière inattendue et des pièces closes où les êtres sont livrés les uns aux autres. Le masque des convenances sociales tombe[4]. La vacuité de la société bourgeoise est vite notifiée. Les personnages, fondamentalement imprévisibles, révèlent sans spectaculaire une faille ou une étrangeté dans leur identité, due à leur passé insaisissable qu'ils tentent vainement de reconstituer à travers des récits flous et contradictoires. Les êtres sont sans contour clairement dessiné. Ils semblent coupés de tout ancrage sociologique même s'il peut exister entre eux des liens sociaux ou familiaux ou qu'ils exercent parfois une profession permettant de les rattacher à un certain milieu. Cependant, ces éléments ne suffisent jamais à les caractériser entièrement[4].
Le dramaturge situe presque toujours ses pièces dans des intérieurs très fournis, minutieusement décrits, mais saturés d'éléments disparates dont l'inutilité n'a de cesse d'être soulignée, comme dansLe Gardien[11]. Très vite le décor chaleureux et rassurant d'un foyer, comme celui deThe Collection (1961), produit un climat d'insécurité et laisse place à d'étranges intrusions, avec un retour de pulsions refoulées[11].
Les conversations les plus banales se révèlent être l'espace privilégié de stratégies de domination physique, psychologique et sexuelle. Des rapports de forces brutaux resurgissent dans le glissement progressif des répliques[11]. Les dialogues de Pinter mélangent un certain naturel d'expression (courtes répliques, formules simples, notations grivoises, utilisation de l'argot) à un dérapage verbal à la limite de l'onirisme, empli de saturations et de répétitions (monologues, suspensions, coupes, ellipses, silences)[11]. L'idée de communication est ainsi mise à mal dans un univers où le faux et le véridique se télescopent sans pouvoir être démêlés.
Le rapport à l'autre ne fait que renforcer le sentiment de solitude et de violence. En ce sens, Pinter se veut le commentateur de l'absurdité et de l'horreur cachée du monde moderne tel qu'il apparaît après laSeconde Guerre mondiale. À partir desannées 1980 et1990, l'auteur trouve un nouveau souffle grâce à la contestation politique, se livrant à de virulentes critiques de l'èreThatcher, de l'invasion de l'Afghanistan, dulibéralisme, de laguerre du Golfe, de la dictature dePinochet et plus tard dublairisme.
Pinter jouit aujourd'hui d'une posture de « classique moderne »[4]. Il est considéré comme la figure la plus illustre du théâtre anglais de la seconde moitié duXXe siècle[4]. Ses pièces sont depuis longtemps devenues des monuments incontournables pour les études de théâtre et d'art dramatique. Le style inimitable de l'auteur, empli de perturbations langagières absurdes d'où sourd un certain humour, a même donné naissance à un adjectif couramment utilisé dans le domaine artistique : « pinteresque »[4]. On peut aussi parler de « pinteresquerie » pour définir une pièce de théâtre à l'atmosphère oppressante ou située dans un milieu particulier[4].
En anglais, ce mot a rencontré un tel succès qu'il a intégré le dictionnaire en1966 : « Pinterian » désigne« un univers absurde dans lequel les personnes s’expriment comme si leurs conversations devaient être surprises. »
Il a également écrit le scénario du remake deSleuth (Le Limier) deJoseph L. Mankiewicz, tiré de la pièce d'Anthony Shaffer et réalisé en1972 avecLaurence Olivier etMichael Caine. Ce remake a été mis en scène parKenneth Branagh, avec Michael Caine (reprenant le rôle de Laurence Olivier dans le film original, etJude Law, reprenant celui tenu par Caine à l'origine). Pinter fait d'ailleurs une courte apparition dans le film.
En 1967, Pinter interprète le rôle d'un producteur de télévision dansAccident, film dans lequel joue également sa femme de l'époqueVivien Merchant. Il joue, en 1996, dans le filmBreaking the codede Herbert Wise, qui retrace la vie d'Alan Turing.
Il interprète le rôle de Sir Bertram dansMansfield Park dePatricia Rozema, sorti sur les écrans canadiens en1999 et britanniques en 2001.
↑abc etdArticle d'Anouchka Vasak,Le Nouveau Dictionnaire des auteurs de tous les temps et de tous les pays, édition Laffont-Bompiani, 1994, Paris, p. 2519.
(en)Faits saillants sur le site de lafondation Nobel (le bandeau sur la page comprend plusieurs liens relatifs à la remise du prix, dont un document rédigé par la personne lauréate — leNobel Lecture — qui détaille ses apports)