Publius Aelius Hadrianus ditHadrien (Imperator Cæsar Traianus Hadrianus Augustus, enlatin), né le àItalica (près deSéville) et mort le àBaïes, est unempereur romain de la dynastie desAntonins. Il succède àTrajan en 117 et règne jusqu'à sa mort en 138.
Empereur lettré,poète etphilosophe, il rompt avec la politique expansionniste de son prédécesseur, s'attachant à pacifier et à structurer administrativement l'Empire romain tout en consolidant des frontières parfois poreuses. En122, il fait bâtir lemur d'Hadrien pour marquer la limite du nord de laBretagne romaine.
Au cours de son règne, il visite quasiment toutes les provinces de l'Empire, encourageant le développement de la culture et subventionnant personnellement plusieurs projets. ÀRome, il fait entièrement reconstruire lePanthéon et bâtit letemple de Vénus et de Rome. Fervent admirateur de laGrèce et cherchant à faire d'Athènes lacapitale culturelle de l'Empire, il y ordonne la construction de nombreux temples opulents. Sa relation avec le jeuneAntinoüs et la mort prématurée de celui-ci conduisent Hadrien à fonderAntinoupolis sur les rives duNil.
Les dernières années d'Hadrien sont marquées par la maladie. Il vit larévolte de Bar Kokhba comme l'échec de son idéalpanhellénique, et fait exécuter plusieurs sénateurs. Ne parvenant pas à avoir d'enfant avec son épouseSabine, il adopteAntonin le Pieux en138 et le nomme héritier de l'Empire. Hadrien meurt la même année àBaïes,Antonin le faisant postérieurement diviniser malgré l'opposition duSénat.
Les sources antiques le décrivent comme énigmatique et contradictoire, capable à la fois d'une grande générosité personnelle et d'une extrêmecruauté, poussé par une curiosité insatiable ainsi que par une ambition sans limites.
Sa mère est originaire deGadès (actuelleCadix)[5], la plus ancienne cité d'Espagne ; on peut conjecturer que sa famille, d'originepunique, a reçu la citoyenneté grâce à lagensDomitia[6]. La famille de son père est originaire d'Hadria[7] enPicénum. L'un de ses ancêtres fait partie des soldats blessés ou malades queP. Cornelius Scipio laisse enBétique (Espagne du Sud) en206 av. J.-C., à la fin de ladeuxième guerre punique, et qui fondent la colonie d'Italica[8]. Les Ælii sont l'une des principales familles romaines d'Espagne et ont compté dans leurs rangs un sénateur[7]. Le père d'Hadrien est par ailleurs, par sa mère, le cousin germain du futur empereurTrajan[7].
Son enfance est mal connue. Son père meurt à l'âge de40 ans[9], alors qu'Hadrien est âgé de10 ans[10]. L'enfant est confié à deux tuteurs : le cousin germain de son père,Trajan, qui n'avait pas d'enfant, et un chevalier romain,P. Acilius Attianus[10], futurpréfet du prétoire à la fin du règne de Trajan[11]. Il a peut-être pour pédagogue le grammairienQ. Terentius Scaurus[12]. En tout cas, il étudie les lettres grecques avec beaucoup de passion, s'attirant le surnomGræculus,« petit Grec »[13].
En 90, Hadrien effectue un bref séjour à Italica[14], sans doute pour inspecter les domaines familiaux après avoir assumé la toge virile[15]. L’Histoire Auguste indique qu'il« rejoint aussitôt le service »[16], mais compte tenu de son âge à l'époque,14 ans, il s'agit plus probablement d'une brigade (collegium) de jeunes gens de bonne famille (juvenes)[17]. À la même époque, il se prend de passion pour la chasse, au point que Trajan doit le faire rappeler[14]. Celui-ci est nommé la même année consul ordinaire, ce qui le place au deuxième rang derrière l'empereur ; l’Histoire Auguste précise qu'il considère alors Hadrien« comme son fils »[14]. Rentré à Rome, le jeune homme poursuit ses études de rhétorique[18].
Hadrien assume sa première magistrature en94[19] : il rejoint les décemvirs chargés des litiges mineurs (decemviri stlitibus judicandis)[20], qui forment un collège duvigintivirat. La charge, peu exigeante, constitue cependant une initiation à la vie publique, et le premier échelon de la carrière sénatoriale. La même année, Hadrien assume deux autres charges honorifiques : il est préfet desFéries latines etsevir turmæ equitum Romanorum, c'est-à-dire chargé de mener l'un des six escadrons (turmæ) lors de la cavalcade annuelle des chevaliers romains (transvectio equitum)[21].
L'année suivante, Hadrien effectue son service militaire en tant quetribun laticlave de lalégionII Adiutrix, stationnée à Aquincus (Budapest), dont le rôle est de protéger l'Empire contre lesSarmates[22]. En96, à l'issue de son année de service, il est de nouveau appointé comme tribun militaire, cette fois dans lalégionV Macedonica en Basse-Mésie[23]. Quelques semaines plus tard, l'empereurDomitien est assassiné ;Nerva lui succède immédiatement. Un an après, ce dernier adopte Trajan. Grâce à son lien de parenté, Hadrien est choisi pour porter au nouveauCésar, alors gouverneur deGermanie supérieure, les félicitations de l'armée de Basse-Mésie[24]. Arrivé en Germanie, Hadrien obtient un troisième tribunat, fait exceptionnel qui s'explique probablement par sa position particulière : il est le plus proche parent mâle de l'héritier du trône[25]. Il se retrouve sous l'autorité du mari de sa sœur,Julius Servianus, avec lequel il a de mauvaises relations[26].
Le, Nerva meurt. Trajan est déclaré empereur dès le lendemain. Hadrien est choisi pour apporter la nouvelle à son oncle, qui séjourne alors àCologne, et demeure à ses côtés[26]. Il accompagne ensuite la cour impériale à Rome. L’Histoire Auguste note qu'il entre alors en conflit avec les pédagogues des pages impériaux[27] ; sachant que Trajan est grand amateur de jeunes garçons[28], on ne peut qu'en déduire qu'Hadrien les a lui-même approchés d'un peu trop près[29]. Inquiet, Hadrien recourt aux « sorts virgiliens », consistant à tirer au hasard d'un récipient une des tablettes portant un ou des vers de l’Énéide[30]. Il tombe sur les vers 808-811 du sixième livre, évoquant le roiNuma Pompilius :
« Qui donc est celui-là, au loin, qui se distingue par ses rameaux d'olivier, et portant des objets sacrés ? Je reconnais les cheveux et la barbe blanche du roi romain qui fera de notre ville la première ville fondée sur des lois, lui, envoyé de l'humble Cures et d'une pauvre terre dans un vaste empire[31]. »
Selon l’Histoire Auguste, Hadrien avait déjà consulté lors de son tribunat en Mésie un astrologue (mathematicus), qui avait confirmé la prédiction de son grand-oncle selon lequel il deviendrait empereur[24]. À la même époque que les sorts virgiliens, il interroge l'oracle du temple de Zeus à Antioche, qui lui prédit de même un avenir impérial[32]. SelonAndré Chastagnol, ces tirages de sorts virgiliens sont une fabulation de l'auteur de l'Histoire Auguste, qui en mentionne dans diverses vies d'empereur[33].
Portrait d'Hadrien en vêtements grecs provenant du temple d'Apollon àCyrène, 117-125,British Museum.
Hadrien finit par regagner la faveur de Trajan. À l'instigation de l'impératricePlotine, il épouse la petite-nièce de ce dernier,Vibia Sabina[34]. Elle est alors âgée de14 ans environ ; lui-même en a 24. La même année, il devientquesteur[35]. À cette date, il est peut-être déjà membre de deux collèges sacerdotaux, lesseptemviri epulonum et lesSodales Augustales[36], dont les membres sont directement choisis par l'empereur, sur proposition des autres membres. En tant que questeur, Hadrien doit lire les discours de Trajan en son absence. L’Histoire Auguste rapporte à ce sujet que son« accent un peu provincial » excite les rires à l'assemblée[35], ce qui paraît un peu curieux attendu qu'Hadrien a passé relativement peu de temps en Espagne. Quoi qu'il en soit, le jeune homme redouble d'efforts dans l'étude du latin, mais aussi du grec ; il assiste notamment aux conférences d'Isée le sophiste, qui enchante Pline par sa connaissance de l'ionien-attique[37].
En 101, Trajan part en campagne contre lesDaces et emmène avec lui Hadrien comme membre de son état-major (comes Augusti)[21]. L'année suivante, Hadrien rentre à Rome où il devienttribun de la plèbe[38], ce qui témoigne du fait qu'il n'a pas été élevé au rang depatricien. Son tribunat, tenu pour la plus grande partin absentia du fait du conflit avec les Daces, ne se signale par aucun événement particulier. En 104, il est nommépréteur[39], plus d'un an avant l'âge minimal, fixé à30 ans. Là encore, sa préture ne donne lieu à aucune action d'éclat. La même année, Trajan repart en guerre contre les Daces et confie à Hadrien le commandement de lalégionI Minervia[40], stationnée non loin de Colonia Agrippinensis (Cologne).
Cette deuxième campagne s'achève par le succès et la création de laDacie commeprovince romaine. L’Histoire Auguste note qu'Hadrien s'est signalé par« un grand nombre d'actions d'éclat » ; il est effectivement décoré (dona militaria) par Trajan pour faits d'armes durant les deux expéditions[21], sans que l'on sache de quoi il s'agit exactement. À l'issue du conflit, la province dePannonie est divisée en deux,Pannonie supérieure etPannonie inférieure. Le 11 juin 106, Hadrien est nommé gouverneur de cette dernière, la plus petite[41], et occupe en même temps le poste de légat de lalégionII Adiutrix, dans laquelle il avait effectué son service militaire. À ce poste, il est chargé de contenir les ambitions desSarmates, ennemis récurrents de Rome. Il s'attache à maintenir la discipline militaire et, selon l’Histoire Auguste,« réprime les prétentions et l'audace desprocurateurs »[41], deux politiques qu'il poursuivra en tant qu'empereur[42].
En 108, conséquence logique de son poste de gouverneur, Hadrien est nomméconsul suffect à l'âge de32 ans, soit10 ans environ avant la plupart des plébéiens arrivant à cet office[43]. Il est également chargé par Trajan de composer les discours impériaux. Cette marque d'honneur et d'amitié en fait un véritable dauphin[44]. On sait peu de choses de ses occupations jusqu'en 112, année durant laquelle il voyage enGrèce et notamment àAthènes : il accepte la citoyenneté athénienne et est enrôlé dans ledème de Besa[45]. Il est également éluarchonte éponyme ; sa statue est érigée près duthéâtre de Dionysos, portant une inscription honorifique en grec et un rappel en latin de sa carrière[21].
En 113, Hadrien est nommé légat dans le cadre de laguerre contre les Parthes grâce à l'influence de l'impératricePlotine[46]. En 116, Trajan le fait légat enSyrie[47] et, toujours sous l'influence de Plotine, le fait nommer consul ordinaire pour l'année 118[48]. Hadrien semble alors le mieux placé pour être adopté par l'empereur. Ses ennemis font alors circuler des rumeurs selon lesquelles il profiterait de sa position à la cour pour séduire les jeunes favoris de l'empereur[49].
Hadrien apprend la mort deTrajan le 12 août 117[50]. Il est aussitôt acclamé par les troupes commeimperator. Pour autant, sa position est délicate : Trajan n'a pas voulu désigner officiellement de successeur, et il semble que son adoption soit une affirmation dePlotine[51]. Sa première décision est de retirer les armées des nouvelles provinces,Mésopotamie,Assyrie etGrande Arménie. Il retire également son gouvernement deJudée àLusius Quietus, à qui Trajan avait témoigné sa faveur sur ses dernières années. Le Sénat accepte l'avènement d'Hadrien et le date du 11 août 117. Les générauxCornelius Palma,Lusius Quietus,Publilius Celsus etAvidius Nigrinus, qui ont conduit Trajan à la victoire pendant son règne et qui pouvaient entrer en concurrence avec Hadrien, sont englobés dans un douteux complot « des quatre consulaires » et sommairement exécutés en 117 ou en 118 sur l'ordre du Sénat[52].
Hadrien se rend en Dacie que lesRoxolans viennent d'envahir et au début de l'année 118, il les bat et fait de leur roi un allié.
Parallèlement, il efface la dette fiscale des Romains et va jusqu'à faire brûler les registres des impôts[réf. nécessaire]. Mais il s'agit en fait de s'attirer la sympathie de la population afin d'asseoir son pouvoir.
Quand Hadrien devient empereur, l'Empire romain se trouve à son apogée territorial. Il s'étend de l'Écosse auSahara, desCarpates à laCyrénaïque, de lamer Noire auSoudan. Hadrien, peu soucieux de gloire militaire, met fin à la politique d'expansion de son prédécesseur. Il renonce à l'Arménie, à laMésopotamie et à l'Assyrie et fait la paix avec lesParthes. La nouvelle frontière orientale de l'Empire devient l'Euphrate, consolidé par lelimes[53].
Hadrien s'attache à pacifier et à organiser l'Empire tout en consolidant les frontières — il est le premier empereur à organiser fixement lelimes, et à appliquer une politique strictement défensive. Durant l'été 122, il visite laBretagne. Les légions romaines avaient subi de lourdes défaites lors d'une révolte au début du règne d'Hadrien. L'empereur adopte une solution radicale. Il fait construire une muraille de défense, lemur d'Hadrien, au nord de la Bretagne, pour séparer les Romains des barbares. Celle-ci mesure 120 km de long et relie l'embouchure de laTyne auSolway[53]. Elle est flanquée de 300 tours et protégée par dix-sept camps retranchés. EnGermanie, leschamps Décumates sont garantis aussi par unlimes qui court deMayence àRatisbonne. Les ruines de ce gigantesque ouvrage s'appellent lemur du Diable,Teufelsmauer. Tout le long duDanube s'élèvent des forteresses et des retranchements[54]. Pour défendre l'Empire, le recrutement régional devient la règle pour les légions, tandis que les contingents detroupes auxiliaires sont souvent constituées d'effectifs barbares combattant avec leurs armes et sous les ordres de leurs chefs (archers palmyréens, cavaliers maures,numeri bretons ou germains)[55].
Aureus à l'effigie d'Hadrien. Date : 123. Description revers : Æquitas ou Moneta (l’Équité ou la Monnaie) drapée debout à gauche, tenant une balance de la main droite et une corne d’abondance de la gauche.
Hadrien souhaite réorganiser l'Empire. Pour cela, il sillonne pendant plus de dix ans les provinces de l'Empire. Il se comporte en despote éclairé et gouverne de manière autoritaire. Il accélère le processus d'intégration des provinces à l'Empire. Il intègre le statut demunicipe romain aux cités. Les habitants des cités accèdent ainsi à la citoyenneté romaine. Les élites provinciales accèdent auSénat et à l'ordre équestre[53].
Hadrien parcourt presque tout l'Empire pendant des années. La chronologie de ces voyages est difficile à établir, car elle n'apparaît pas dans l'Histoire Auguste. Les fragments de Dion Cassius, d'Arrien, les inscriptions et des monnaies apportent des indications complémentaires[56]. Les principaux déplacements ont lieu de 121 à 125, en 128 en Sicile et enAfrique romaine et de 129 à 133[57].
De 121 à 125, Hadrien visite les frontières du Rhin, séjourne àLugdunum (Lyon) durant l'hiver 121-122, passe enBretagne jusqu'aumur d'Hadrien. Il revient à Nîmes et hiverne àTarragone. Il est ensuite dans les provinces d'Asie, puis à Athènes[57]. On lui a attribué à Lyon la construction de l'aqueduc du Gier et la restauration duthéâtre et de l'amphithéâtre, paternités toutefois remises en cause par l'archéologie lyonnaise[58],[59]. ÀNîmes, il fait construire une basilique en l'honneur de l'impératricePlotine qui l'avait aidé à accéder au trône[60].
De 129 à 133, Hadrien repart à Athènes et en Asie, et descend au sud jusqu'en Égypte. Il fait retour par la Syrie, hiverne à Athènes en 131-132 et dirige la guerre en Judée de 133 à 134. Il revient à Rome fin 134 par le front danubien[57]. À Athènes, cité dont il estarchonte, il embellit l'agora et labibliothèque et achève l'édification de l'Olympiéion. Il fait d'Athènes le centre intellectuel des élites d'Orient[61]. En Égypte, il accorde aux Romains installés dans le pays le droit d'épouser des indigènes et fait venir des colons dePtolémaïs, une autre cité grecque d'Égypte. Il fait construire une nouvelle route pour traverser le désert de l'Est, d'Antinoupolis àBéréniké[62].
Il réorganise l'exploitation des mines pour en augmenter les revenus.
Il tente une réforme juridique de l’Italie, avec l’instauration des quatre juges consulaires chargé chacun d'un secteur géographique[63],[64]. Peu appréciés des cités italiennes qui y voient un assujettissement, ils sont supprimés parAntonin le Pieux qui les remplace par lesjuridici[65].
Hadrien réforme l'administration et ledroit romain. Lors de ses voyages, il rend la justice sur place, réforme la fiscalité, épure l'administration et confie aux chevaliers les « bureaux »[66], naguère tenus par les affranchis qui sont maintenant cantonnés dans les postes subalternes[44]. Vers131, il réorganise aussi le conseil privé qui assistait l'empereur, leconsilium principis, en le composant surtout dejurisconsultes[54]. Il renforce ainsi l’administration centrale, dont les postes sont confiés à des chevaliers selon une hiérarchie très stricte. LeSénat est écarté des affaires. Hadrien revient à la politique monarchiste et centralisatrice deClaude et deDomitien. L’ordre équestre, doté d’un statut complet, est érigé définitivement en second ordre de l’État. L’Italie est divisée en districts judiciaires administrés par des consulaires, coup porté aux privilèges traditionnels du Sénat. La création par Hadrien d’emplois subalternes recrutés parmi l’ordre équestre dans tous les services dirigés par de hauts dignitaires sénatoriaux permet un contrôle rigoureux des recettes fiscales (fonctionnaires chargés de contrôler le recensement). Auparavant, c’étaient les hauts fonctionnaires eux-mêmes qui désignaient leurs subordonnés. Désormais, ils dépendent directement de l’empereur. Hadrien crée aussi un véritable "cursus" équestre. De nombreux provinciaux peuvent accéder à des postes importants et les fonctionnaires équestres les plus compétents se voient ouvrir la carrière sénatoriale (Pertinax, homme de basse naissance, accède à l’Empire à la mort deCommode après une brillante carrière).
En 131, l'édit perpétuel deSalvius Julianus codifie et met à jour le droit romain pour les fonctionnaires et les juges. Les colons des domaines impériaux sont protégés. Des mesures incitatives sont prises pour favoriser l'exploitation des terres incultes. L'empereur cherche à créer une classe de petitspossessores, aux droits et aux devoirs bien définis, qui seraient protégés des abus desprocurateurs et des gérants[67].
En tant que garant de l'ordre de l'Empire, il n'hésite pas à réprimer avec dureté les révoltes de ses sujets, enBretagne, enMaurétanie et en Judée entre 132 et 135, avec larévolte deBar-Kokhba[68]. Selon une brève mention de l'Histoire Auguste, elle aurait pour cause l'interdiction de lacirconcision[69], édit dont la réalité est confirmée par son abrogation par son successeur,Antonin le Pieux[70]. SelonDion Cassius, elle est provoquée par la décision d'Hadrien, alors qu'il séjournait dans la région entre 128 et 132, de fonder la colonieÆlia Capitolina sur une partie du site de la ville et de rebâtir sur l'emplacement duTemple de Jérusalem un temple dédié à Jupiter[71]. Ceci provoque la fureur des Juifs. Les pertes romaines sont si importantes que l'empereur renonce au triomphe après la victoire[72]. Cependant, malgré les pertes, Hadrien finit par détruire la ville fortifiée deBétar qui est le refuge de Bar-Kokhba et massacre sa population juive. Par la suite, lesJuifs sont dispersés et interdits de séjour à Jérusalem, mesure qu'Antonin adoucit en autorisant les visites individuelles[73]. La Judée est réunie à laprovince romaine deSyrie pour former celle deSyrie-Palestine[74], avec deux légions à demeure, dont une séjournant à Jérusalem[73]. Les responsables du judaïsme se regroupent enGalilée.
De formation intellectuelle romaine, Hadrien est un homme raffiné attiré par les lettres grecques. Il est même surnommégræculus (le petit Grec). Amoureux dumonde hellénique, il tente de restaurer lareligion grecque en restreignant les cultes orientaux. Hadrien reçoit l'initiation auxmystères d'Éleusis en 124. Il offre àAthènes une véritable renaissance grâce à un programme prestigieux de constructions comme l'achèvement de l'Olympiéion, la construction d'une « ville d'Hadrien » qu'un arc sépare de la « ville de Thésée », nouveaux édifices (portiques de l'Agora romaine, bibliothèque) et de nombreux dons[74]. Il crée lePanhellénion, une ligue qui réunit les cités de la Grèce d'autrefois et qui a son siège à Athènes.
En Égypte, l'empereur essaie de faire revivre l'héritage hellénistique plus que les traditions proprement égyptiennes. Il rend officiellement un culte à lastatue chantante de Memnon, qui se dresse encore sur la rive gauche duNil mais en fait une manifestation de la culture grecque et de la souveraineté romaine. Cette statue porte des poèmes célébrant l'empereur et l'impératrice Sabine. Hadrien construit une ville nouvelle,Antinooupolis (Antinoé), fondée au bord du Nil où s'est noyé son cherAntinoos, et il lui donne une constitution à l'imitation de celle deNaucratis. Il fréquente labibliothèque d'Alexandrie, restaure les collections et visite le musée[62].
Ses voyages lui permettent d'observer une grande variété de formes architecturales, surtout en Orient, dont il s'inspire pour ses projets. Il lance de grands travaux, d'abord en collaboration avec le grand architecteApollodore de Damas, avant de se brouiller avec lui, de l'exiler et de le faire exécuter, selonDion Cassius. Parmi ses réalisations, citons à Rome même, letemple de Vénus et de Rome, commencé en 121, selon un modèle hellénistique, lePanthéon en 125, qu'il fait entièrement reconstruire, grande innovation architecturale, lemausolée, sur le modèle de celui d'Auguste, aujourd'hui lechâteau Saint-Ange, et lavilla d'Hadrien dont le plan est en partie dû à l'empereur.
Selon l'Histoire Auguste, Hadrien manifeste un fort penchant pour les jeunes hommes. Il entretient d'ailleurs unerelation pédérastique : son amour pourAntinoüs (ou Antinoos), un jeune homme originaire deBithynie, est célèbre. Mais en130, Antinoüs se noie dans leNil dans des conditions mystérieuses[74]. Hadrien le fait représenter de nombreuses fois en statues, dont certaines nous sont parvenues et nous permettent de donner un visage au célèbre Bithynien. En 130, il fonde aussi, en son honneur, la cité d'Antinoé enÉgypte. Cette relation a servi d'argument à ses ennemis. L'historien SextusAurelius Victor (mort après 390) écrit dans sonLivre des Césars,chapitreXIV, près de250 ans après, alors que les relations entre hommes etéphèbes sont tombées en disgrâce :« On le (Hadrien) vit enfin rechercher, avec une scrupuleuse sollicitude, tous les raffinements du luxe et de la volupté. Dès lors mille bruits coururent à sa honte : on l'accusa d'avoir flétri l'honneur de jeunes garçons, d'avoir brûlé pour Antinoüs d'une passion contre nature : c'était là, disait-on, le seul motif pour lequel il avait donné le nom de cet adolescent à une ville qu'il avait fondée ; c'était pour cette raison qu'il avait élevé des statues à ce favori ».
Les biographes ne mentionnent plus de voyages au-delà de 134, Hadrien séjourne dans son immensevilla de Tibur. Sa santé se dégrade pendant les trois dernières années de sa vie. Il souffre d'hémorragies nasales et d'hydropisie, les épanchements de liquide enflent son corps[75], causés par l'athérosclérose. Les douleurs qu'il éprouve sont si intenses qu'il demande à plusieurs reprises à son entourage qu'on mette fin à ses jours, en vain[76]. La souffrance le rend hypocondriaque et cruel[61].
Marié à Sabine, il n'en eut pas d'enfant et adopta en décembre 136 Lucius Ceionius Commodus, qui reçut alors le nom deLucius Ælius Verus avec le titre deCésar. Ce fut un choix de successeur curieux : Lucius avait35 ans et, avec une carrière uniquement civile et une santé délicate, ne semblait pas être le plus capable. L'historienJérôme Carcopino émit même l'hypothèse que Lucius était un fils naturel d'Hadrien[77]. Pour imposer Lucius, Hadrien distribue plus de trois cents millions de sesterces aux soldats et au peuple et fait exécuter son propre petit-neveuCnæus Pedanius Fuscus, qui aurait fait un successeur plus légitime. Mais Lucius, maladif, meurt subitement le1er janvier 138[61].
L'adopté final fut doncAurelius Antoninus (plus connu sous le nom d'Antonin le Pieux), qu'Hadrien avait remarqué en 130 pour sa sage administration de laprovince d'Asie. Il fut à son tour forcé d'adopter le futurMarc Aurèle et le fils du défuntLucius Ælius :Lucius Aurelius Verus. Hadrien prépara donc deux générations d'empereurs. Des oppositions se formèrent, contre lesquelles Hadrien réagit brutalement, faisant exécuter plusieurs sénateurs, dont le vieuxServianus[78].
Hadrien meurt le à62 ans, dans la station thermale deBaïes. Ses cendres furent placées dans lemausolée qu'il s'était fait bâtir à Rome. Son successeur Antonin le Pieux dut négocier pendant six mois avec le Sénat pour obtenir qu'Hadrien reçoive l'apothéose, tant ses rapports avec les sénateurs étaient devenus exécrables[78]. Antonin lui fit dédierun temple sur leChamp de Mars[79] et créa un groupe de prêtres, lesHadrianales, pour son culte[80]. Comme hommage supplémentaire, il lui fit décerner unbouclier honorifique[81].
L’Abrégé d'Eutrope présente Hadrien comme« très éloquent en latin, très érudit en grec »[82], ce que détaille l'Histoire Auguste : Hadrien aurait rédigé son autobiographie, dont il ne reste pas trace, donnait des avis sur les auteurs anciens et contemporains de tous ordres, dictait lui-même ses discours et aimait déclamer les exercices rhétoriques[83].
De la poésie d'Hadrien, ne nous sont parvenus que quelques vers, en grec et en latin, parmi lesquelssa propre épitaphe, citée par l'Histoire Auguste[84] :
« Animula vagula blandula Hospes comesque corporis Quæ nunc abibis in loca Pallidula rigida nudula Nec ut soles dabis iocos »
Qui peuvent être traduits ainsi :
« Âmelette vaguelette, calinette, Hôtesse et compagne de mon corps, Qui maintenant t'en vas vers des lieux Livides, glacés et dénudés, Tu ne lanceras plus tes habituelles plaisanteries. »
Comme ses prédécesseurs, Hadrien rejette les honneurs excessifs. À son avènement, il porte les titres d'IMPERATOR•CÆSAR•TRAIANVS•HADRIANVS•AVGVSTVS.
Comme tous lesAntonins, Hadrien honoreJupiter Capitolin comme dieu suprême. Mais Athènes l'appelle officiellementZeusolympios, ou, en pays grec,panhellenios accompagné de laTyché (la Fortune) protectrice[86]. Pendant son règne, la divinisation de l'empereur vivant progresse encore en Orient. Sabine, l'épouse d'Hadrien, qui meurt avant lui, est elle aussi divinisée. L'idéologie impériale revêt des aspects plus philosophiques. L'empereur doit sa réussite à son mérite (virtus) et à la protection divine[80].
L'opéraAdrien d'Étienne Nicolas Méhul, composé en 1791-1792, n'est finalement créé qu'en 1799 à l'Opéra de Paris après qu'on en a jugé le livret en désaccord avec les idées révolutionnaires.
↑DjamilaFellague, « La difficulté de datation des monuments : à propos des monuments de Lugudunum, en particulier ceux considérés comme hadrianiques »,Revue archéologique de l’Est,t. 65,no 188,,p. 187–214(ISSN1266-7706,lire en ligne, consulté le)
↑Armand Desbat, « Note sur l'apparition des constructions à arases de briques dans la région lyonnaise »,Gallia,t. 49, 1992,p. 45-50[1].
Margarita Torrione,El militar y la hiedra. Adriano bajo el signo de Dioniso, Madrid, Guillermo Escolar Editor, 2024, 240 p., iconographie.(ISBN978-84-19782-502).