Graffiti encatalan àBarcelone de 2022 contre l'hétérosexualité obligatoire : « Toi aussi tu peux abandonner l'hétérosexualité ».
L'hétéronormativité, aussi appeléehétéronormalité,hétérosexisme,hétérocentrisme,contrainte à l'hétérosexualité,hétérosexualité forcée,hétérosexualité obligatoire oucomphet (en anglaisCompulsory heterosexuality), est le système normatif de comportements, de représentations et de discriminations favorisant et naturalisant l'hétérosexualité.
Adrienne Rich, créatrice du concept d'hétérosexualité forcée. Forger cette notion lui permet de critiquer leféminisme de l'époque et de provoquer une alternative, basée sur lelesbianisme.
Adrienne Rich forge le concept decompulsive heterosexuality, traduit parhétérosexualité forcée,hétérosexualité obligatoire oucomphet: pour elle, l'hétérosexualité est une institution politique qui doit être remise en question pour les femmes afin de rompre avec l'impuissance qui y est souvent associée. Elle se base pour ce point de vue sur le fait que la plupart de lalittérature féminine est encore sous l'effet de l'hétérosexualité forcée, ce qui constitue un problème majeur pour lacommunauté LGBT. En effet, soit les personnes LGBT sont entièrement absentes de cette littérature, soit les personnages LGBT sont présentés de manière péjorative, en particulier pour tout ce qui concerne leur écart à la norme hétérosexuelle.
Selon Adrienne Rich, les articles savants rédigés par les auteurs féministes souffrent du même travers d'hétérosexualité forcée : des institutions basées sur la sexualité hétérosexuelle, comme le mariage, et qui sont considérés normales, sont en réalité dessocialisations que nous avons intériorisées et reproduites dans nos communautés. Dans une sociétépatriarcale, les individus sont exposés à l'hétérosexualité forcée depuis leur naissance et donc, ceux qui appartiennent à uneminorité sexuelle doivent chercher dans leur connaissance de soi par rapport avec la société. L’être humain est souvent classé hétérosexuel jusqu'à preuve du contraire.
Le terme hétérosexisme date de 1971, sous la plume deCraig Rodwell[1].
Michael Warner a popularisé le termeheteronormativity, traduit en hétéronormalité ou hétéronormativité en 1991[2], dans l'une des premières œuvres majeures dela théorie queer. Le concept prend ses racines dans la notion du système « sexe/genre » deGayle Rubin et dans celle de l'hétérosexualité forcée d'Adrienne Rich[3].
Dans une série d'articles,Samuel A. Chambers encourage à comprendre l'hétéronormativité comme un concept qui révèle les attentes, les exigences et les contraintes qui apparaissent lorsque l'hétérosexualité est considérée comme une norme dans la société[4],[5]. Conçue à l'origine pour décrire les normes contre lesquelles lesnon-hétérosexuels luttent, l'hétéronormativité s'est très vite intégrée au débat sur legenre[6],[7] et latransidentité[8].
De nombreux critiques telles que Cathy J. Cohen, Michael Warner, et Lauren Berlant, qualifient les attitudes hétéronormales comme étantoppressives,stigmatisantes et induisant lamarginalisation des formes de sexualité et des genres perçus comme « déviants », rendant ainsi l'auto-expression plus difficile lorsque celle-ci ne se conforme pas à la norme[9],[10]. L'hétéronormativité décrit la façon dont les institutions sociales et politiques renforcent la présomption que les individus sont hétérosexuels et que le genre et le sexe sont naturellement binaires[11]. La culture hétéronormale « privilégie l'hétérosexualité comme normale et naturelle » et favorise un système dans lequel les personnesLGBT sont victimes de discrimination dans le mariage, les impôts, et dans l'emploi[10]. À la suite de Berlant et Warner, les universitaires Timothy Laurie et Hannah Stark font également valoir que la « sphère intime » familiale devient « le non-lieu incontesté qui ancre les débats publics hétéronormaux, particulièrement ceux concernant le mariage et les droits d'adoption »[12].
Il peut être argumenté que l'hétéronormativité agit de la même manière que leracisme dans la mesure où il favorise la domination d'un groupe sur un autre : tout comme le racisme suppose une supériorité d'une race par rapport à une autre, l'hétéronormativité suppose la supériorité des personnes et relations hétérosexuelles sur les non-hétérosexuelles[13]. Ainsi, l’hétérosexisme favorise des privilèges pour les personnes hétérosexuelles (en tant qu’individus ou en tant que couples) ou perçues comme telles.
L'hétérosexisme en tant qu'ensemble decroyances et d'attitudes repose sur la croyance selon laquelle l'hétérosexualité est la seulenorme et donc que l'homosexualité et labisexualité,pansexualité,asexualité, etc sont desdéviances ou desmaladies[14],[15]. Cette croyance est soutenue par des convictions religieuses et morales, des mythes et stéréotypes sur les homosexuels ou l'idée qu'un écart avec ce qui est établi comme « normal » par la culture dominante est mauvais[16]
Les agressions contre des personnes homosexuelles sont alors une forme decontrôle social envers les individus qui dévient de la norme degenre[17].
Un des effets principaux de l’hétéronormativité est lamarginalisation ou l'exclusion sociale des personnesLGBT. Comme l'homophobie, lalesbophobie ou l'homophobie internalisée, l’hétéronormativité fait partie des réalités sociales qui poussent les personnes à cacher leur orientation sexuelle. L'hétéronormativité et ses préjugés peuvent être source de discrimination, harcèlement et violences envers les personnesLGBT[18], mais également envers les femmes et les hommes indépendamment de leur sexualité, comme l'explique la psychologue Karen Franklin :
« Dans le système hétérosexiste, tout homme qui refuse d'accepter les codes culturels dominants du comportement masculin correct est rapidement étiqueté comme une « chochotte » ou un « pédé » et est sujet à duharcèlement. De la même façon, toute femme qui s'oppose à la domination et au contrôle masculins peut être étiquetée comme lesbienne et attaquée. La possibilité d'êtreostracisé en tant qu'homosexuel, indépendamment des attractions et comportements sexuels réels, est une pression sur l'ensemble des gens à se conformer au code étroit du comportement degenre, maintenant et renforçant ainsi la structure hiérarchisée genrée de notre société[17],[note 1]. »
Selon l'anthropologue culturelleGayle Rubin, l'hétéronormativité dans la société courante crée une « hiérarchie sexuelle » qui classe les pratiques sexuelles de « bon sexe » à « mauvais sexe ». La hiérarchie place lesexemonogame entre hétérosexuels comme « bon » et place n'importe quels autres actes sexuels et individus qui n'entrent pas dans ces critères de plus en plus bas jusqu'à atteindre le « mauvais sexe ». Plus précisément, cela place les couples homosexuels engagés dans une relation à long terme et les homosexuels plus versatiles entre les deux pôles[19]. Pour Patrick McCreery, maître de conférences à l'université de New York, cette hiérarchie explique la stigmatisation des homosexuels pour leurs pratiques sexuelles « déviantes » qui sont souvent pratiquées aussi par les hétérosexuels, comme la consommation de pornographie ou les relations sexuelles dans des lieux publics[10].
McCreery indique que cette hétéronormativité se répercute dans le lieu de travail où lesgays,lesbiennes etbisexuels sont discriminés, notamment par des pratiques d'embauche anti-homosexuelles ou via une discrimination qui laisse souvent les individus au "plus bas de la hiérarchie", comme les personnes transgenres, vulnérables à la plus manifeste des discriminations et à l'impossibilité de trouver du travail[10].
Les candidats à un emploi et les employés peuvent être légalement rejetés ou renvoyés pour être non-hétérosexuels ouperçus comme non-hétérosexuels dans de nombreux pays. Ce fut le cas de la chaîne de restaurantCracker Barrel, qui a attiré l'attention nationale en 1991 après avoir renvoyé une employée pour être ouvertement lesbienne, invoquant leur politique selon laquelle « les employés avec des préférences sexuelles ne parvenant pas à montrer des valeurs hétérosexuelles normales étaient incompatibles avec les valeurs Américaines traditionnelles. » Les travailleurs tels que cette employée et d'autres, comme les serveurs efféminés (qui auraient été décrits comme étant les vraies cibles), ont été légalement licenciés pour « transgression » d'une culture hétéronormale[10].
En analysant les liens entre l'hétéronormativité et la discrimination à l'emploi, l'universitaire Mustafa Bilgehan Ozturk a retracé l'impact des pratiques et des institutions patriarcales sur les expériences au travail des employés non-hétérosexuels dans différents contextes en Turquie. Il a démontré de manière plus poussée l'histoire spécifique et lagouvernementalité qui a donné naissance auxpréjudices physiques, professionnels etpsycho-affectifs contre lesminorités sexuelles[20].
En plus d'attitudes individuelles, l'hétérosexisme peut également se manifester à travers uneinstitution par des règles ou l'application de règles différentes pour des personnes ou couples hétérosexuels et non-hétérosexuels. Un hôpital, par exemple, peut limiter les visites des patients à la famille proche et exclure de fait le partenaire de même sexe[21] ou une école refuser d’inclure lesfamilles homoparentales dans les événements de la vie de l'établissement ou une bibliothèque refuser ou retirer les livres, films et affiches mentionnant lesLGBT.
L'hétérosexisme affecte également la famille. Par exemple, l'interdiction pour les couples homosexuels de semarier peut avoir pour conséquence leur exclusion d'un certain nombre de dispositifs ouverts aux hétérosexuels, comme l'adoption ou la garde d'enfants, certaines allocations sociales, des pouvoirs deprocuration, etc.[22]
Ces discriminations atteignent parfois un caractère juridique, par exemple :
En érigeant une dichotomie des sexes ennorme, l'hétérosexisme rend l'homosexualité culturellement invisible : c'est seulement lorsque des individus adoptent des comportements homosexuels ou perçus comme homosexuels qu'ils deviennent visibles et sont l'objet d'attaques par la société[24].
L'invisibilisation hétéronormative peut prendre les aspects suivant :
la croyance que les personnes non hétérosexuelles devraient garder leurs orientations sexuelles privées;
lacensure des thèmes, des réalités et des personnages LGBT dans les œuvres[25] ;
la fausse représentation de célébrités, artistes et sportifs, figures historiques ou politiques comme des hétérosexuels ou l'occultation de leur homosexualité ou bisexualité[26] ;
à l’école ou au travail, les homosexuels ou bisexuels sont contraints de ne pas dévoiler leur orientation sexuelle par mention de leur statut civil, relation ou vie de famille tandis que les personnes hétérosexuelles peuvent en parler librement[27],[15].
Une croyance hétéronormative qui affirme qu'il existe uniquement deux genres : homme et femme et qu'ils sont potentiellement complémentaires[28]. « L'hétérosexisme n'est pas seulement un système de valeur personnel, c'est un outil du maintien de la dichotomie des sexes »[note 2],[17].
Un sous-ensemble de l'hétéronormativité est le concept de temporalité hétéronormale. Cette idéologie établit que l'ultime but de la vie en société est le mariage hétérosexuel. Les facteurs sociaux influencent les adultes à rechercher un partenaire du sexe opposé pour s'engager dans une union hétérosexuelle, avec pour but d'avoir des enfants par le biais d'une structure familiale nucléaire traditionnelle. Selon la professeure en sociologie Amy T. Schalet, il semble que la majeure partie de l'éducation sexuelle entre parents et enfants aux États-Unis s'articule autour de pratiques d'abstinence seulement, bien que cela diffère dans d'autres parties du monde[29]. De même,Abby Wilkerson, professeure à l'université George Washington, discute de la façon dont les soins de santé et l'industrie pharmaceutique renforcent la vision du mariage hétérosexuel pour promouvoir la temporalité hétéronormale.
Le concept de temporalité hétéronormale s'étend au-delà de mariage hétérosexuel pour inclure un vaste système où l'hétérosexualité est considérée comme une norme, et rien en dehors de ce royaume n'est toléré. Wilkerson explique qu'il dicte les aspects de la vie quotidienne tels que la santé nutritionnelle, le statut socio-économique, les croyances personnelles, et les rôles de genre traditionnels[30].
DansNo More Secrets, No More Lies: African American History and Compulsory Heterosexuality[note 3],Mattie Udora Richardson expose les autres complexités que les femmes noires rencontrent par rapport à leur identité sexuelle. Selon elle,« toute déviation des normes sociales du mariage, de la domesticité et de lafamille nucléaire ont apporté de sérieuses accusations de pathologie, sauvagerie et délinquance pour la population noire[36] » ; de ce fait, les femmes noires, un groupe qui est déjà stigmatisé de plusieurs façons, font face à d'autres pressions exercées par les communautés noires et blanches cherchant hétéronormativité[36].
↑Traduit de l'anglais :« [T]hrough heterosexism, any male who refuses to accept the dominant culture's assignment of appropriate masculine behavior is labeled early on as a "sissy" or "fag" and then subjected to bullying. Similarly, any woman who opposes male dominance and control can be labeled a lesbian and attacked. The potential of being ostracized as homosexual, regardless of actual sexual attractions and behaviors, puts pressure on all people to conform to a narrow standard of appropriate gender behavior, thereby maintaining and reinforcing our society's hierarchical gender structure. ».
↑Traduit de l'anglais :« heterosexism is not just a personal value system, [rather] it is a tool in the maintenance of gender dichotomy. ».
↑Traduction :Plus de secrets, plus de mensonges : l'histoire afro-américaine et l'hétérosexualité forcée.
↑Rodwell, Craig. "The Tarnished Golden Rule" pg. 5,QQ Magazine, Queen's Quarterly Publishing, New York. (janvier/février 1971, Vol. 3, No. 1) consulté le 21 juillet 2011.
↑Michael Warner (1991), "Introduction: Fear of a Queer Planet".Social Text; 9 (4 [29]): 3–17.
↑Adrienne Rich, "Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence"Signs: Journal of Women in Culture and Society, 5:631-60, 1980.
↑Samuel A. Chambers, "Telepistemology of the Closet; Or, the Queer Politics ofSix Feet Under".Journal of American Culture 26.1: 24–41, 2003
↑Samuel A. Chambers, "Revisiting the Closet: Reading Sexuality inSix Feet Under, inReading Six Feet Under. McCabe and Akass, eds. IB Taurus, 2005.
↑Vulca Fidolini,La production de l’hétéronormativité, Toulouse, Presses universitaires du Midi,, 238 p.(ISBN978-2-8107-0565-8).
↑Rubin, Gayle.Thinking Sex: Notes for a Radical Theory of the Politics of Sexuality, in Vance, Carole.Pleasure and Danger: Exploring Female Sexuality (1993).
↑Ozturk, Mustafa Bilgehan. "Sexual Orientation Discrimination: Exploring the Experiences of Lesbian, Gay and Bisexual Employees in Turkey, Human Relations, August 2011, 64(8), 1099-1118.