Guillaume le Conquérant (enanglais,William the Conqueror), appelé égalementGuillaume le Bâtard ou Guillaume de Normandie[note 1], est né àFalaise en 1027 ou 1028[note 2] et mort àRouen le. Il futduc de Normandie, sous le nom deGuillaume II, de 1035 à sa mort, etroi d'Angleterre, sous le nom deGuillaume Ier, de 1066 à sa mort.
À la mort sans enfant du roi d'AngleterreÉdouard le Confesseur, unecrise de succession éclate et, après sa victoire à labataille d'Hastings (1066), il s'empare de lacouronne d'Angleterre. Cetteconquête fait de lui l'un des plus puissants monarques de l'Europe occidentale et conduit à de très profonds changements dans la société anglaise, dont l'élite anglo-saxonne disparaît au profit des Normands.
Le duc Robert part en 1028 mener le siège d'Évreux. Après avoir mis en défense la cité, l'archevêqueRobert le Danois négocie auprès du roi de France,Robert le Pieux, son exil en France, d'où il lance l'anathème sur la Normandie. La sanction ecclésiastique fait sentir son effet : le duc rappelle l'archevêque et le rétablit dans ses charges comtales et archiépiscopales[3].
Guillaume naît en 1027 ou 1028 àFalaise, enNormandie, probablement en automne, non pas auchâteau de Falaise, mais au domicile de sa mère,Arlette, vraisemblablement dans le « bourg » de Falaise[b 1],[5][réf. incomplète],[6]. La date du, fréquemment rencontrée, est probablement fausse : on la doit àThomas Roscoe, qui l'indique dans la biographie de Guillaume qu'il écrit en 1846, à partir de la prétendue confession de Guillaume àOrderic Vital sur son lit de mort, la date et le mois étant copiés de ceux de labataille d'Hastings. La date de naissance exacte est l'objet d'écrits contradictoires : Orderic Vital affirme que Guillaume aurait indiqué avoir64 ans à sa mort, ce qui daterait sa naissance de l'année 1023. Mais le même auteur précise par ailleurs que Guillaume a huit ans quand, en 1035, son père part pourJérusalem, ce qui déplacerait son année de naissance à 1027. De son côté,Guillaume de Malmesbury affirme que Guillaume a sept ans au départ de son père ; il serait alors né en 1028. Enfin, dansDe obitu Willelmi(en), il est dit que Guillaume n'a que59 ans à sa mort, ce qui situerait sa naissance en 1027 ou 1028[d 3].
Comme beaucoup de nobles de son époque, Guillaume est formé au maniement des armes, à la pratique équestre et à lalangue diplomatique, alors que la formation littéraire reste rudimentaire, comme en témoigne lesignumautographe (la plus grande croix) qu'il appose sur les actes[note 3] sur l'accord de Winchester (1072).
Guillaume est le seul fils deRobert Ier de Normandie. Sa mère,Arlette, est la fille deFulbert de Falaise, un préparateur mortuaire[7] ou marchand de peaux[8] de la ville. La nature de la relation entre Arlette et le duc Robert est incertaine : simple concubinage ou unionmore danico[c 1]. À une date incertaine (avant 1035 ?), Arlette sera mariée avecHerluin de Conteville, avec qui elle aura deux fils :Odon de Bayeux etRobert de Mortain. Guillaume a une sœur,Adélaïde de Normandie, née en 1026, dont on ne sait avec exactitude si elle est la fille de Robert et/ou d'Arlette. Enfin, Arlette a deux frères, Osbern et Gautier ; ce dernier est l'un des protecteurs de Guillaume pendant son enfance[d 3].
En 1034, le duc décide de partir enpèlerinage àJérusalem, bien que ses partisans tentent de l'en dissuader, arguant qu'il n'a pas d'héritier en âge de régner. Avant son départ, Robert réunit alors un conseil des puissants normands pour leur faire jurer fidélité à Guillaume, son héritier. Robert meurt en àNicée, sur la route du retour[d 4]. Guillaume devient alorsduc de Normandie.
L'autorité du nouveau duc est d'autant plus fragile que Guillaume n'a que sept[d 5] ou huit[b 2] ans. Leduché de Normandie traverse en conséquence une décennie de troubles, alimentés par la mort de son grand-oncle, l'archevêqueRobert le Danois, son premier et puissant protecteur, en[d 6]. Des guerres éclatent entre les principales familles baronniales ; des châteaux se dressent dans le duché[9].
Des complots frappent jusqu'à l'entourage ducal et Guillaume perd plusieurs de ses tuteurs ou protecteurs par assassinat :Alain III de Bretagne, qui s'était proclamé protecteur de Guillaume, mais revendiquait le duché pour lui-même en tant que petit-fils du duc Richard Ier, meurt àVimoutiers en[10] ;Gilbert de Brionne, nommé par la suite tuteur de Guillaume, est assassiné quelques mois plus tard à l'instigation deRaoul de Gacé[11],[12] ; Turquetil de Neuf-Marché est assassiné vers fin 1040 - début 1041[13] ; enfin, le sénéchalOsbern de Crépon est tué dans la chambre même du duc par le fils deRoger Ier de Montgommery[14]. LesRichardides, descendants des anciens ducs, semblent impliqués dans ces meurtres. Walter, oncle de Guillaume par sa mère, doit parfois cacher le jeune duc chez des paysans[b 3]. Aux troubles de la minorité de Guillaume vient s'ajouter le fléau de la famine, qui pèse sept ans sur la Normandie. Elle est accompagnée d'une épidémie fort meurtrière[15].
Bien que de nombreux nobles normands soient engagés dans des querelles locales, commeHugues Ier de Montfort qui s'entretue avec Gauchelin (ou Vauquelin) deFerrières[16], les principaux seigneurs et l'Église restent fidèles au pouvoir ducal[d 7], ainsi que le roiHenri Ier de France[d 8].
Les proches amis de Guillaume, qui sont presque tous ses parents à des degrés divers, décident de le faire vivre dans la clandestinité et de le faire changer de gîte chaque nuit. En 1046, Guillaume a environ dix-neuf ans. Un complot vise cette fois sa personne, jusqu'alors épargnée. Une partie des seigneurs forment une coalition pour l'écarter du trône ducal, au profit deGui de Brionne (v. 1025-1069), un cousin de Guillaume, fils deRenaud Ier de Bourgogne et d'Adélaïde, fille deRichard II. Cette rébellion rassemble essentiellement de « vieux Normands » de l'Ouest (Bessin,Cotentin,Cinglais), traditionnellement indociles et hostiles à la politique d'assimilation menée par les ducs[note 4]. Participent notamment au complotHamon le Dentu, sire deCreully, les vicomtesNéel deSaint-Sauveur et Renouf deBessin, ditde Briquessart, Grimoult, seigneur duPlessis etRaoul Tesson, seigneur deThury-Harcourt, qui changera rapidement de camp[17]. Gollet, le fidèle bouffon de Guillaume, surprend les propos des conjurés, réunis à Bayeux, et prévient son maître, qui dort àValognes. Guillaume échappe ainsi de peu à une tentative d'assassinat par lesséides de Néel de Saint-Sauveur[18]. Il s'enfuit dans la nuit à travers labaie des Veys, puis il est accueilli parHubert de Ryes, qui le fait escorter en sécurité jusqu'àFalaise[d 9]. Cette fuite de Valognes, relatée par les chroniqueurs qui servent la propagande normande en usant de l'art rhétorique de l'amplification, comme une chevauchée seul et sans escorte, forge en partie le mythe de Guillaume, jeune homme courageux, bâtard et solitaire[18]. Avec l'aide du roi de FranceHenri Ier, le jeune duc part en campagne contre les rebelles normands, qu'il parvient à défaire à labataille de Val-ès-Dunes, près deCaen, en 1047[19], grâce, entre autres, au ralliement de toute dernière minute d'un des seigneurs rebelles, Raoul Tesson.
La victoire de Val-ès-Dunes en 1047 est le premier tournant du règne. Guillaume reprend solidement en main le duché. À l'occasion d'un concile tenu à Caen la même année, il impose de lui-même laPaix et laTrêve de Dieu[b 4].Gui de Brionne, réfugié dans son château de Brionne avec une importante troupe armée, en est délogé vers 1050. Il doit se séparer de sescomtés deBrionne et deVernon et s'exiler[d 10].
À la même période, Guillaume obtient son mariage avecMathilde de Flandre, fille deBaudouin V, comte deFlandre, et nièce du roi de FranceHenri Ier. L'union est arrangée dès 1049, mais le papeLéon IX l'interdit auconcile de Reims tenu en, en raison de leur degré de consanguinité[note 5]. Malgré cela, le mariage est prononcé au début des années 1050, avant 1053 certainement[d 11],[note 6], àEu.
L'hypothèse d'une sanction papale n'est pas certaine, même s'il faut attendre le pontificat deNicolas II pour que le couple soit définitivement absous, au prix d'une pénitence : celle de fonder quatre hôpitaux et deux monastères[21]. L'abbaye dite « aux Hommes », dédiée àsaint Étienne, et l'abbaye dite « aux Dames », dédiée à laSainte Trinité, sont ainsi élevées àCaen à partir de 1059[d 12]. Ces constructions créent de fait la ville. Le mariage soude une alliance entre les deux plus puissantes principautés du nord de la France : lecomté de Flandre est alors une principauté très puissante, en conflit avec leSaint-Empire romain germanique[b 5].
Le duc Guillaume doit alors faire face aux ambitions grandissantes deGeoffroy Martel,comte d'Anjou, auprès duquel Gui de Brionne s'est réfugié[d 13].
Après la mort deHugues IV du Maine en 1051, l'Angevin s'empare duMans, deDomfront et d'Alençon aux dépens duseigneur de Bellême qui les tenait du roi de France[d 13]. Allié avec le roiHenri Ier de France, Guillaume part en campagne contre lui[b 6]. Pendant que le roi menace les arrières de Geoffroy Martel, le duc Guillaume de Normandie assiège Domfront et prend Alençon dont il incendie laredoute[22]. La garnison de Domfront se rend avec la promesse d'être épargnée, tandis que celle d'Alençon est châtiée, l'épisode mentionné parOrderic rappelant la cruauté du duc, comme tous les seigneurs en guerre à cette époque[note 7]. Guillaume et le roi Henri parviennent à chasser Geoffroy du Maine, permettant ainsi de sécuriser le duché par le renforcement des positions d'Alençon et deDomfront[d 14].
Dans le même temps, le duc doit compter avec l'hostilité desRichardides[d 15], une partie de sa parentèle qui conteste ouvertement sa position et prend la tête d'un groupe de barons normands rebelles à Guillaume[d 16].
En 1053, le duc Guillaume doit livrer bataille à l'intérieur même de la Normandie pour asseoir son autorité[d 17], notamment auprès de ses oncles, l'archevêqueMauger de Rouen, qui a pris la succession deRobert le Danois en 1037[d 18], etGuillaume d'Arques, qu'il assiège dans sonchâteau à Arques et auprès duquel le roi de FranceHenri Ier envoie une armée en secours. Guillaume obtient finalement sa reddition à la fin de 1053. Battu,Guillaume d'Arques s'exile après l'échec de sa révolte contre le duc en 1054, ses fiefs étant confisqués et redistribués.
« Le duc de Normandie Guillaume le Bâtard vainquit les Français à labataille de Mortemer et envoya un messager au roiHenri de France vaincu. » Illustration desChroniques de Saint-Denis,XIVe siècle.
Labataille de Varaville (1057) constitue un tournant décisif pour l'avenir politique du duc Guillaume : le duché de Normandie échappe pour longtemps à l'influence de la France qui n'est plus une menace. Le roi ne tente plus dès lors d'interférer dans les affaires normandes, concluant même la paix avec Guillaume l'année suivante en lui cédant le château deTillières.
En 1059, le roi de France,Henri Ier, qui a seulement51 ans, mais sent sa mort approcher, fait couronner son filsPhilippe, âgé de seulement7 ans, puis décède l'année suivante, en 1060.Philippe étant trop jeune pour régner, la mère de Philippe,Anne de Kiev, assure larégence jusqu'à son remariage en 1063 avec lecomte de Valois,Raoul de Crépy. L'oncle de Philippe,Baudouin V de Flandre, assure la régence jusqu'aux14 ans de Philippe en 1066.
En 1060, le duc Guillaume lance la construction duchâteau de Caen, qui doit lui assurer une place forte à proximité du Cotentin, et fait de la ville sa capitale politique.
Après la mort d'Herbert II du Maine en 1062, Guillaume revendique lecomté du Maine. Malgré la résistance locale, Guillaume occupeLe Mans et intronise son fils en 1063. Ce dernier n'ayant alors qu'une douzaine d'années, le duc de Normandie est donc le véritable maître du Maine[29]. État tampon entre l'Anjou et laNormandie, le Maine (et plus particulièrement la région duPassais) sous domination normande garantit la protection du sud du duché[d 20].
Après avoir sécurisé la frontière avec l'Anjou, Guillaume s'inquiète de celle avec leduché de Bretagne. En 1064, son armée entre en Bretagne pour soutenir la rébellion deRiwallon de Dol contreConan II de Bretagne, alimentant ainsi l'instabilité du duché voisin et obligeant Conan à se focaliser sur ses problèmes internes. Il cherche cependant bientôt à profiter de l'affaiblissement temporaire des comtes d'Anjou pour renforcer sa frontière du côté duMaine.Le, le prince breton, après avoir conquisPouancé etSegré, meurt en prenantChâteau-Gontier. Il est empoisonné, dit-on, par un traître sur l'ordre de Guillaume, soupçonné d'avoir commandité cet assassinat[30].
Il semble qu'en 1051 ou 1052, le roi Édouard le Confesseur aurait encouragé les vues de Guillaume sur sa succession. Le manuscrit D de laChronique anglo-saxonne indique que Guillaume visite l'Angleterre à la fin de l'année 1051. Cette visite aurait pour but de sécuriser la succession d'Édouard le Confesseur[b 8], ou bien d'obtenir une assistance face aux troubles qu'il rencontre alors en Normandie[31]. Ce voyage aurait alors eu lieu pendant la brève période d'exil deGodwin de Wessex[32], dont la famille est alors la plus puissante d'Angleterre[b 8] et dont la filleÉdith est mariée à Édouard le Confesseur depuis 1043[33]. L'existence de ce voyage paraît cependant incertaine étant donné les affrontements en cours à cette époque avec le comte d'Anjou. Opposé à la nomination en 1051 du NormandRobert de Jumièges, un vieil ami du roi, commearchevêque de Cantorbéry (le plus haut poste du clergéprimat de toute l'Angleterre), Godwin obtient à son retour d'exil en 1052 son remplacement parStigand, l'évêque de Winchester[34]. À l'inverse, selonGuillaume de Jumièges etGuillaume de Poitiers, Édouard le Confesseur envoie Robert de Jumièges auprès du duc pour l'avertir qu'il en fait son héritier[35], mais cela n'est pas confirmé par les auteurs anglais[31]. Il semble enfin qu'Édouard le Confesseur, souverain affaibli, ait fait des promesses identiques à d'autres grands féodaux voisins, de manière à s'assurer de leur neutralité faute de pouvoir les contenir par la force[36].
Le sujet de la succession revient au premier plan quandHarold, partant d'Angleterre, se rend en Normandie en 1064. Les circonstances de cette visite restent incertaines. Latapisserie de Bayeux, dont on peut soupçonner la partialité, montre Harold prêter serment de fidélité à Guillaume et renoncer à la succession au trône anglais au profit du duc de Normandie. Guillaume aurait extorqué cette promesse à Harold alors que, jeté par une tempête sur la côte française au, il avait été fait prisonnier par le comteGuy Ier de Ponthieu, puis libéré sur la pression du duc. Lors de ce séjour en Normandie, Harold aurait participé aux côtés de Guillaume à la campagne menée contre le ducConan II de Bretagne, où il s'illustre par sa bravoure. De retour à Bayeux, Harold aurait prêté serment à Guillaume, se mettant ainsi officiellement au service du duc de Normandie. En gage d'amitié, Harold regagne l'Angleterre en emmenant avec lui son neveu Hakon, retenu en otage en Normandie depuis 1051[b 9]. Cependant, aucune source anglaise ne confirme ce voyage, qui pourrait avoir été inventé par les Normands pour justifier les prétentions de Guillaume[39].
En 1065, laNorthumbrie se révolte contreTostig, qui n'est pas soutenu par son frèreHarold. Il est remplacé parMorcar, frère d'Edwin,comte de Mercie, dont Harold cherche le soutien. Contraint à l'exil, Tostig part enFlandre, d'où est issue sa femme Judith, puis rejoint le duc Guillaume en Normandie, auquel il apporte à son tour son soutien.Édouard le Confesseur meurt finalement le. Selon laVita Ædwardi regis, écrite en 1067 sous la direction de sa femme Édith, il est entouré d'Édith, deStigand, deRobert FitzWimarc et d'Harold, que le roi nomme comme son successeur. Son couronnement, approuvé par leWitenagemot (ouWitan), se fait dès le[40].
Face aux protestations du duc de Normandie, Harold oppose qu'il a été trompé sur la valeur du serment de Bayeux, qui n'aurait été qu'une vague promesse sur un simple missel posé sur un coffre qui masquait les reliques d'un saint. Guillaume considère qu'il s'agit d'un crime de parjure et se prépare à une invasion du royaume anglo-saxon[41].
Arbre généalogique des principaux protagonistes à la succession d'Édouard le Confesseur
Apprenant que Harold est monté sur le trône, Guillaume convoque les principaux barons normands et les convainc de se lancer à la conquête du royaume, avec l'aide dupapeAlexandre II qui menace les rétifs d'excommunication et lui envoie un étendard pontifical[42]. En moins de dix mois, il rassemble dans l'estuaire de laDives une flotte d'invasion d'environ 600 navires et une armée estimée à 7 000 hommes. On trouve parmi eux principalement des Normands : Bertrand de Bricquebec, Robert de Brix, Roger de Carteret, Anquetil de Cherbourg, L'Estourmy de Valognes, Eudes au Capel de la Haye-du-Puits, le sire d'Orglandes, les frères de Pierrepont, le chevalier de Pirou, Raoul de Tourlaville, Pierre de Valognes, Guillaume de Vauville, Raoul de Vesly[43], etc. mais aussi desBretons, desFlamands, desManceaux, desBoulonnais[44]. Du fait de son soutien àRiwallon de Dol quelques années plus tôt, Guillaume le Conquérant n'a notamment aucun mal à attirer les vassaux de Bretagne dans son projet de conquête[d 21].
Les préparatifs comprennent également d'importantes négociations diplomatiques. Il s'agit de se trouver d'abord des alliés et d'éviter que les principautés voisines (Bretagne,Flandre,Anjou, etc.) ne profitent de la campagne pour s'emparer de laNormandie. Guillaume désigne de grands vassaux. Son épouse,Mathilde de Flandre, est régente du duché durant cette période, assistée deRoger de Beaumont etRoger II de Montgomery.
Passage dans laChronique anglo-saxonne enregistre l'inquiétude 'Que Guillaume le Bâtard vienne ici'
Beaucoup de soldats dans son armée sont des puînés auxquels le droit d'aînesse laisse peu de chance d'hériter d'un fief. Guillaume leur promet, s'ils se joignent à lui en apportant leur propre cheval, une armure et des armes, qu'il les récompensera avec des terres et des titres dans son nouveau royaume.
Après son départ de Normandie, des vents défavorables et des conditions météorologiques contraires contraignent l'armée normande à trouver refuge dans la baie deSaint-Valery-sur-Somme en attendant le moment propice pour réembarquer[45].
Cependant, le nord de l'Angleterre est envahi en septembre par le roi norvégienHarald Hardraada, qu'a rejointTostig. Harald trouve des alliés de circonstance (Morcar de Northumbrie, lesÉcossais, etc.) et conquiertYork le.Harold II d'Angleterre, dont les forces sont réunies à la va-vite, marche vers le nord et, le, surprend les Vikings àStamford Bridge. Labataille est sanglante, elle s'achève sur une victoire pour le roi anglo-saxon, le roi norvégien et Tostig sont tués avec la majorité de leur troupe. Cette défaite met fin à l'èreviking en Angleterre.
Poussée par un vent enfin favorable, l'armada normande débarque le dans la baie dePevensey, dans leSussex de l'Est, quelques jours à peine après la victoire d'Harold sur les Norvégiens. Cette conjonction s'avère cruciale : l'armée d'Harold, épuisée par les combats contre Harald, doit traverser à marche forcée toute l'Angleterre et se battre contre un ennemi reposé et qui a eu le temps de se retrancher[46]. Guillaume prend pour base la bourgade deHastings où il met sur pied unchâteau de terre et de bois. Le choix du Sussex comme lieu de débarquement est une provocation pour Harold dont cette région est le domaine personnel.
Le au matin, labataille d'Hastings s'engage : elle dure toute une journée, une durée exceptionnelle pour l'époque. Après un duel d'archers qui ne permet pas de départager les armées, des soldats normands partent à l'assaut à pied, suivis par la cavalerie. Les Saxons tiennent bon et les Normands doivent se replier. Alors que les Normands sont proches de la débandade et que la rumeur de la mort du duc se propage, Guillaume (dont le cheval avait été tué par un javelot) doit enlever son casque pour se faire reconnaître. À l'aile gauche, l'armée bretonne est submergée par une contre-attaque saxonne, qui nécessite le secours de la cavalerie de Guillaume. À la fin de ce premier assaut, les pertes sont grandes de part et d'autre et Harold a perdu ses deux frèresGyrth etLeofwine. Après un nouvel assaut infructueux, les Normands font mine de reculer : les Saxons qui quittent leurs rangs sont massacrés par la cavalerie normande. La manœuvre est répétée, sans faire faiblir les troupes d'élite saxonnes. Selon une tradition qui veut y voir une manifestation divine, un deuxième assaut des archers normands aurait touché notamment Harold à l'œil. Guillaume envoie alors la cavalerie. D'après le récit duCarmen de Hastingae Proelio, quatre hommes de confiance (Eustache II de Boulogne,Hugues II de Montfort, Hugues de Ponthieu, fils deHugues II de Ponthieu, etGautier Giffard) se détachent pour atteindre Harold, qui tombe sous leurs coups. Selon une autre tradition, c'est Guillaume qui achève lui-même le roi saxon. La cause réelle de la mort reste indéterminée. Quoi qu'il en soit, sans chef, l'armée anglo-saxonne est mise en déroute[c 2].
Malgré la défaite, les Anglais ne capitulent pas. Au contraire, le clergé et certains seigneurs nomment le jeuneEdgar Ætheling comme le nouveau roi. Guillaume doit poursuivre sa conquête armée ; il sécuriseDouvres et une partie du Kent, prendCantorbéry etWinchester, où se trouve le trésor royal. Ses arrières étant alors assurés, Guillaume part versSouthwark, rejoint laTamise fin novembre. Les Normands encerclentLondres par le sud et l'ouest, brûlant tout sur leur passage. Ils traversent la Tamise àWallingford début décembre, où l'archevêqueStigand se soumet, bientôt suivi par Edgar, Morcar, Edwin et l'archevêque Ealdred, alors que Guillaume prendBerkhamsted[47]. Sans résistance, il rentre dans Londres, où il lance immédiatement la construction d'un nouveau château (qui deviendra laTour de Londres), et reçoit la couronne anglo-saxonne le dans l'abbaye de Westminster[48],[49].
Guillaume reste en Angleterre après son couronnement afin d'asseoir son pouvoir et de s'assurer le soutien des locaux.Edwin de Mercie,Morcar de Northumbrie etWaltheof de Northumbrie conservent leurs terres et leur titre. Un mariage avec une fille de Guillaume est promis à Edwin. Des terres sont données également à Edgar Ætheling et le clergé n'est pas changé, y compris Stigand qui est pourtant en opposition avec le pape[50]. D'autres, qui ont combattu à Hastings, se voient confisquer leurs terres, notamment Harold et ses frères tués[51]. En mars, Guillaume peut retourner en Normandie, accompagné de Stigand, Morcar, Edwin, Edgar et Waltheof, en position d'otages. Il confie à son demi-frèreOdon de Bayeux, et àGuillaume Fitz Osbern, le fils de l'ancien protecteur du jeune ducOsbern de Crépon, la gestion du royaume[50]. Ces deux fidèles ont joué un rôle décisif dans la conquête du pays, aussi bien lors des préparatifs que lors des combats[52]. Guillaume Fitz Osbern reçoit en récompense de vastes territoires (île de Wight, les domaines royaux duHerefordshire et duGloucestershire et de nombreuses seigneuries à travers le pays[53]), ainsi que le titre de comte. Odon est lui faitcomte de Kent, nommé responsable deDouvres et de sonchâteau, et remplaceLéofwine Godwinson dans la plupart de ses possessions[54]. Ses vastes terres à travers l'Angleterre lui rapportent, d'après leDomesday Book en 1086, plus de 3 240 £ par an[55], ce qui en fait le plus riche desseigneurs (tenants-in-chief, « seigneurs concédants ») du royaume.
Le duc compte sur eux pour dominer une Angleterre rebelle à l'autorité des nouveaux occupants. Par leur refus de rendre justice aux Anglais opprimés par les officiers normands, ils incitent cependant à des révoltes difficiles à réprimer[56],[53]. Les premiers actes de résistance apparaissent en Angleterre :Eadric le Sauvage attaqueHereford et des révoltes éclatent àExeter, où se trouveGytha de Wessex, la mère d'Harold[57]. FitzOsbern et Odon peinent à contrôler la population et lancent en réaction un programme de construction dechâteaux-forts à travers le royaume, à partir desquels d'autres Normands pacifient la région environnante[53]. Par ailleurs,Eustache de Boulogne, allié de Guillaume lors de la bataille d'Hastings, tente de prendre lechâteau de Douvres mais est repoussé. Il doit alors abandonner ses terres anglaises avant de se réconcilier avec Guillaume quelque temps plus tard. Enfin les fils d'Harold lancent un raid depuis l'Irlande dans le sud-ouest du pays, près deBristol. Ils sont défaits finalement parEadnoth the Constable(en) en 1068.
Guillaume fait son retour en Angleterre en. Il marche surExeter, qu'il fait tomber après un siège. À Pâques, Guillaume est à Winchester, où il est rejoint parMathilde, à son tour couronnée reine en[57].
Les restes d'une motte castrale construite à York par Guillaume.
Après la soumission d'Edgar Ætheling et l'accession de Guillaume le Conquérant au trône en, la population du nord de l'Angleterre, traditionnellement rebelle à l'autorité du roi d'Angleterre[58], se trouve hors de contrôle et les adversaires anglo-saxons des Normands s'y réfugient.Edwin de Mercie, fâché de ne toujours pas avoir reçu en mariage la fille du roi promise et inquiet du pouvoir croissant deGuillaume Fitz Osbern dans leHerefordshire, s'enfuit de la cour au début de l'été 1068 et se réfugie dans le nord avec son frèreMorcar. L'arrivée des deux comtes permet le regroupement des rebelles à Guillaume :Bleddyn ap Cynfyn,roi de Gwynedd, etGospatrick de Northumbrie rallient leur camp. L'armée ainsi rassemblée lance une marche surYork puis prend le chemin du sud. Le mouvement se désintègre bientôt alors que le Conquérant prend la route du nord avec sonost. Les Normands élèvent partout desmottes castrales et y placent des garnisons. Après avoir lancé la construction deschâteaux de Warwick et deNottingham, il arrive sans opposition à York et reçoit la soumission d'Edwin et Morcar, ainsi que celle de l'évêqueÆthelwine de Durham et de nombreux barons du Yorkshire. Il fait construire une motte castrale pour protéger la ville, et négocie avecMalcolm III d'Écosse afin qu'il ne prête pas assistance à Egdar Ætheling, réfugié à sa cour avec Gospatrick. Puis il redescend vers le sud, faisant construire de nouveaux châteaux àLincoln,Huntingdon,Cambridge. Le déploiement de puissance a été impressionnant, mais peu a été fait pour diminuer la capacité de rébellion du nord. Guillaume rentre en Normandie fin 1068[57].
Charte royale du donnant la terre deDeerhurst dans le Gloucestershire à l'abbaye de Saint-Denis (Archives nationales).
Le Conquérant décide d'envoyerRobert de Comines pour prendre en charge lecomté de Northumbrie en remplacement de Gospatrick. Comines part avec une armée. À l'approche deDurham, l'évêque Æthelwine le fait prévenir qu'une armée anglo-saxonne s'est constituée, mais il ignore l'avertissement et entre dans la ville. Le, les fidèles d'Edgar Ætheling attaquent la ville, tuant les Normands et brûlant Comines. Ils partent ensuite à l'attaque deYork, la principale villeseptentrionale, qui est bientôt soumise. Lechâteau d'York tient cependant bon, et les occupants font prévenir le Conquérant qui arrive bientôt en renfort et fait fuir les rebelles. Il lance la construction d'un second château, sur la rive droite de l'Ouse, qu'il confie àGuillaume Fitz Osbern. Il retourne àWinchester assister aux fêtes dePâques, pendant que Fitz Osbern défait les Anglo-saxons.
Le nord reste calme pendant cinq mois : en, une flotte danoise débarque sur les côtes anglaises. Les leaders anglais ont proposé la couronne auroi de DanemarkSven Estridsen, le neveu deKnut le Grand qui a régné sur l'Angleterre de 1016 à 1035. Il envoie une flotte estimée à240 bateaux, composée de Danois et de Norvégiens, dirigée par trois de ses fils et son frère. Elle remonte les côtes anglaises duKent à laNorthumbrie, et débarque finalement dans leHumber, où elle joint ses forces à celles des Anglais autour d'Edgar Ætheling,Gospatrick etWaltheof, lecomte d'Huntingdon. Ils font alors route versYork. Fin septembre, les hommes en garnison dans les deux châteaux d'York tenus parGuillaume Malet mettent le feu à la ville avant l'arrivée des Anglais. Trop peu nombreux, ils sont massacrés - c'est la plus lourde défaite que les Normands auront à subir en Angleterre. L'attaque s'arrête cependant là : à la rumeur de l'approche du roi, qui doit composer à la même période avec l'attaque du Maine sur le continent, les alliés s'enfuient, évitant l'affrontement direct. Cependant l'arrivée des Danois engendre des soulèvements dans tout le pays :Devon,Cornouailles,Somerset etDorset. Dans leHerefordshire,Eadric le Sauvage, un baron anglo-saxon, s'allie avec des princes gallois et lance une grande révolte, qui se répand dans leCheshire au nord et auStaffordshire à l'est.
Les seigneurs normands n'étant pas capables de réprimer cette révolte, le Conquérant décide de se charger en personne de la répression. Pendant queRobert de Mortain et son cousin Robert d'Eu surveillent les Danois sur leHumber, il défait les insurgés concentrés àStafford et retourne vers leLindsey fin novembre. Informé que les Danois se préparent à attaquerYork, il tente de les rattraper en vain ; il isole la ville en faisant dévaster une large ceinture de territoire au nord et à l'ouest. Payés pour abandonner et rentrer, les Danois retournent à leurs bateaux.
Pour résoudre définitivement le problème posé par la Northumbrie et empêcher une nouvelle rébellion, Guillaume décide de poursuivre sa campagne de dévastation. Après les fêtes de Noël passées dans les ruines de York, il part en campagne, brûlant les villages, massacrant les habitants, détruisant les réserves de nourriture et les troupeaux : les survivants, affamés, succombent en masse[59]. En arrivant à laTees, il reçoit la soumission deWaltheof etGospatrick, qui conservent finalement leurs terres. Edgar a lui fui en Écosse[d 22]. Il fait enfin route à travers lesPennines vers leCheshire enMercie, où subsiste la dernière poche de résistance. Bien qu'épuisée, son armée écrase la révolte mercienne. Guillaume fait construire de nouveaux châteaux àChester etStafford, retourne àSalisbury peu avant la Pâques 1070, et libère ses hommes[60].
La destruction des terres entre leHumber et laTees, dans leYorkshire notamment, est totale et très cruelle. Dans leDomesday Book, rédigé dix-sept ans plus tard, une grande partie des terres est toujours à l'abandon. Déjà pauvre et dépeuplé avant la révolte, le nord s'enfonce dans une situation économique difficile qui perdure jusqu'à la fin du Moyen Âge.
Arrivé àWinchester pour laPâques 1070, Guillaume reçoit troislégats du papeAlexandre II, qui le couronnent officiellement en tant que roi d'Angleterre, donnant ainsi le sceau d'approbation papal[b 10]. Les légats et le roi organisent ensuite une série de conciles dédiés à la réforme et à la réorganisation du clergé anglais.Stigand et son frère Æthelmær, évêque deElmham, sont déposés sous le prétexte desimonie, comme d'autres abbés natifs.
Le roi d'Angleterre et duc de Normandie passe un accord avec la papauté. À partir de 1066, il s'engage à favoriser laréforme grégorienne. En échange, il obtient du papeGrégoire VII de procéder, contrairement au droit canon, aux nominations desprélats (investiture laïque des abbés, des archevêques)[c 3].
En 1070, Guillaume fonde l'abbaye de Battle, un nouveau monastère situé à proximité du site de labataille d'Hastings, comme lieu de pénitence et de mémoire[53].
Ces réformes religieuses dynamisent le clergé, comme en témoignent l'ouverture de 48 nouveaux monastères bénédictins et la réouverture de 13 autres entre 1066 et 1200[61].
En 1066, Guillaume le Conquérant a bénéficié d'une heureuse conjoncture politique et diplomatique qui lui a permis de conquérir l'Angleterre sans être menacé ou attaqué sur ses arrières. Cette situation exceptionnelle change après son retour enNormandie en. Durant les vingt dernières années de son règne, Guillaume doit faire face à plusieurs révoltes intérieures et au réveil des principautés voisines. Ses difficultés sont augmentées du fait de l'extension de son territoire : il ne peut pas intervenir partout, directement et rapidement.
D'abord, l'Angleterre ne se soumet pas facilement : malgré larépression sévère consécutive aux révoltes de 1067 et 1069, Guillaume doit intervenir à nouveau dès 1070 au nord du royaume pour faire face aux raids danois et à de nouvelles rébellions. Alors queSven II de Danemark avait promis à Guillaume de quitter l'île, il revient au, s'allie avecHereward l'Exilé et mène des raids contre leHumber et l'Est-Anglie depuis l'Isle of Eley, dont la situation stratégique confère un rôle de refuge aux rebelles anglais[62]. L'armée d'Hereward attaque notamment lacathédrale de Peterborough qui est saccagée. Guillaume parvient cependant à s'assurer le départ de Sweyn sans avoir à l'affronter[d 23].
Sur le continent, Guillaume subit plusieurs échecs : la Flandre plonge dans une crise de succession après la mort du comteBaudouin VI en et, malgré une intervention militaire, le duc de Normandie ne parvient pas à imposer le parti de la veuve,Richilde, sa belle-sœur[note 8] face à celui deRobert, le frère de Baudoin.Guillaume Fitz Osbern, revenu début 1071 en Normandie pour assister la reineMathilde, est tué en à labataille de Cassel, alors qu'il mène une petite force pour aiderArnoul III, l'héritier mineur ducomté de Flandre, aux côtés de l'armée française contre son oncle Robert[53]. Guillaume le Conquérant perd l'un de ses meilleurs barons mais aussi, selon l'historien François Neveux, son plus fidèle et loyal collaborateur[53]. SelonGuillaume de Malmesbury, un mariage est alors planifié entre ce dernier etRichilde de Hainaut. La victoire deRobert à Cassel renverse les rapports de domination dans le nord de la France[d 24].
En 1071, Guillaume écrase une rébellion au nord de l'Angleterre : le comte Edwin est trahi par ses propres hommes et tué, tandis que l'île est prise par Guillaume après un combat acharné[63]. Hereward parvient à s'échapper maisMorcar est capturé et destitué. L'année suivante, Guillaume envahit l'Écosse, en réaction à l'attaque deMalcolm III sur le nord du royaume. Les deux hommes signent la paix avec le traité d'Abernethy, le fils aîné de MalcolmDuncan II rejoignant la cour de Guillaume comme garantie. Edgar Ætheling doit également quitter la cour de Malcolm[b 11], mais ce dernier trouve refuge à la cour du nouveau comte de Flandre…
Guillaume peut traiter les affaires du duché. Bien que nominalement possédé par le fils du Conquérant, leMaine se détache en effet de l'influence normande. Menés parHubert de Sainte-Suzanne, les habitants duMans se révoltent en 1069. Si après une brève campagne militaire Guillaume réoccupe la région à son retour en 1073, la situation ne se calme que temporairement. Derrière les difficultés du duc-roi dans le Maine et en Bretagne, se cachent les agissements de ses deux principaux ennemis, à savoir lecomte d'AnjouFoulque le Réchin et le roi de FrancePhilippe Ier. Ils soutiennent tous les révoltés contre le Normand. Tout un symbole, Robert de Flandres marie sa demi-sœurBerthe au roi de France en 1072[d 25].
Guillaume doit passer toute sonannée 1074 en Normandie, et confie l'Angleterre, qu'il considère comme pacifiée, à quelques fidèles, parmi lesquelsRichard Fitz Gilbert (ou Richard de Bienfaite),Guillaume Ier de Warenne[b 12] etLanfranc[d 26]. Edgar Ætheling en profite pour faire son retour en Écosse, d'où il répond à la proposition du roi de FrancePhilippe Ier de se voir confier le château du port deMontreuil, d'où il pourrait profiter d'une position menaçante sur le territoire de Guillaume. Las, sa flotte est projetée sur les côtes anglaises par une tempête : ses hommes sont en grande partie capturés mais il parvient à retrouver l'Écosse. Il se convainc alors d'abandonner ses ambitions sur le trône d'Angleterre et de faire la paix avec Guillaume, dont il intègre la cour[d 27],[b 12].
Ralph se replie versNorwich, les forces royales à ses trousses. Laissant sa femme défendre le château de Norwich, il retourne en Bretagne. La comtesse est assiégée dans son château jusqu'à obtenir un sauf-conduit pour elle et ses partisans. Leurs terres sont confisquées, et il leur est laissé40 jours pour quitter le royaume.Ralph de Gaël est dépouillé de ses terres anglaises et de son titre de comte. Roger de Breteuil est arrêté à son tour, dépossédé, et condamné à la prison à vie.Waltheof, revenu en Angleterre avec Guillaume, est finalement arrêté et bientôt condamné à mort, malgré l'opposition de Lanfranc et d'autres (Waltheof n'aurait été qu'un comparse involontaire, qui de plus avait révélé l'intrigue). Le roi ne change pas d'avis, probablement encouragé par sa nièceJudith, qui a témoigné contre son mari : Waltheof est décapité le, près deWinchester. Il est le dernier comte anglo-saxon d'Angleterre[64].
Rentré en Bretagne et allié à Geoffroy Granon, Ralph de Gaël continue sa rébellion depuis son fief de Gaël, à la fois contre le Conquérant et contreHoël II, leduc de Bretagne. En, Guillaume l'assiège dans le château deDol, à proximité du duché de Normandie, en vain. Leroi de FrancePhilippe Ier, voyant là une opportunité à saisir pour affaiblir Guillaume, vient à la rescousse de Dol avec succès. Le Conquérant doit lever le siège et s'enfuir rapidement, ses pertes en hommes et en matériel sont très lourdes[d 27].
La défaite de Guillaume à Dol est le premier revers sérieux qu'il subit sur le continent : elle écorne sa réputation, et ses adversaires se voient donner l'opportunité de pousser plus loin leur avantage. Ralph de Gaël reste un seigneur puissant et bien établi. Fin 1076, Jean de la Flèche, l'un des plus fervents soutiens de Guillaume le Conquérant dans leMaine est attaqué parFoulquele Réchin, lecomte d'Anjou. Guillaume doit venir à son secours. En 1077,Simon de Crépy,comte d'Amiens,de Vexin etde Valois, se retire aumonastère de Condat. Philippe Ier consolide sa position dans leVexin français sans sérieuse opposition, en face du duché. Guillaume et le roiPhilippe Ier ratifient la paix entre eux, l'Epte étant rappelée comme frontière entre la France et la Normandie. De même, une paix est signée avec Foulques d'Anjou avant début 1078[b 13].
Guillaume voit son fils aînéRobert, ditCourteheuse, entrer à son tour en rébellion. Intronisécomte du Maine par son père en 1063, alors qu'il n'a qu'une douzaine d'années, et reconnu officiellement par Guillaume comme son héritier, Robert n'a cependant pas de pouvoir. Quand Guillaume reconquiert le Maine en 1073, Robert ne fait pas partie de l'expédition. Le chroniqueurOrderic Vital décrit une dispute opposant Robert à ses deux frères plus jeunesGuillaume le Roux etHenri, qui aurait décidé l'aîné de quitter la Normandie en secret dès le lendemain[65]. Il semble que Robert ne supportait plus que son père ne lui confiât aucun territoire, l'empêchant ainsi de subvenir lui-même à ses besoins financiers. Guillaume ne voulait pas partager son autorité et avait probablement peu confiance dans les qualités de gouvernement de son fils aîné. Par ailleurs, la révolte de Courteheuse peut s'analyser comme un « classique conflit de génération » entre un père représentant d'une époque austère et un fils fastueux, témoin d'une jeunesse bouillonnante[66].
Robert et ses fidèles (parmi lesquels plusieurs fils des soutiens de Guillaume :Robert II de Bellême, Guillaume de Breteuil etRoger Fitz Richard) trouvent refuge auprès de Hugues Ier deChâteauneuf, seigneur duThymerais[67], et s'installent dans son château de Rémalard[b 14]. Guillaume le Conquérant, assisté deRotrou II du Perche, assiège et s'empare du château[67]. Robert trouve refuge chez son oncleRobert le Frison puis à la cour du roiPhilippe Ier de France, deux des principaux ennemis du duc de Normandie. Ce dernier aide Robert à lever une puissante armée en 1078 et lui confie la forteresse deGerberoy face à la frontière normande, où les rejoignent de nouveaux rebelles.
Guillaume le Conquérant assiège le château en, mais Robert tient son père en échec. Les troupes assiégées sortent du château par surprise et attaquent les assaillants : Robert ferait même tomber son père de cheval en combat singulier selon une chronique[68]. L'armée de Guillaume doit battre en retraite à Rouen. Finalement les deux hommes finissent par signer le, Guillaume confirmant Robert comme son héritier[d 28]. Robert reçoit des responsabilités en Angleterre aux côtés de son oncleOdon de Bayeux.
Cette nouvelle défaite militaire incite les adversaires de Guillaume à attaquer ses terres. En août et, le roi d'ÉcosseMalcolm III attaque le nord de l'Angleterre. Il pille leNorthumberland pendant trois semaines sans opposition, et rentre au pays avec un lourd butin et de nombreux esclaves[69]. Le manque de résistance armée choque les habitants deNorthumbrie, qui se rebellent à leur tour au printemps 1080 contreGuillaume Walcher,évêque de Durham, devenucomte de Northumbrie en 1075. Le meurtre du comte Ligulf de Lumley, un Northumbrien, par l'archidiacre Leobwin sert d'étincelle[53] : Walcher et plusieurs de ses hommes, venus à la rencontre des habitants, sont tués[70]. Guillaume envoie son demi-frèreOdon de Bayeux mater la révolte[d 29] : la majeure partie de la noblesse autochtone doit s'exiler et le pouvoir de la noblesse anglo-saxonne en Northumbrie est brisé[71].
Guillaume quitte la Normandie en, et en automne son fils Robert est envoyé en campagne contre les Écossais. Robert prendLothian, forçant Malcolm à négocier, et fait construire un nouveau château àNewcastle-on-Tyne sur la route du retour[d 29]. Le roi est à Gloucester à Noël et à Winchester pourPentecôte en 1081 ; il visite également lepays de Galles, où il amène dans lacathédrale de St David's les reliques de saintDavid de Ménevie. Une ambassade papale est accueillie à cette époque, venue demander la fidélité de l'Angleterre au Pape, ce que Guillaume refuse[b 15].
Fin 1081, Guillaume est de retour sur le continent, pour intervenir de nouveau dans le Maine. Son expédition s'achève sur un accord négocié par l'intermédiaire d'un légat du pape[b 16]. Guillaume ordonne l'arrestation de son demi-frèreOdon en 1082, pour des raisons qui ne sont pas certaines :Orderic Vital l'explique par les ambitions d'Odon de devenir pape et par son projet d'envahir le sud de l'Italie avec l'aide de certains vassaux de Guillaume, ce qu'il aurait caché au duc-roi. Odon est emprisonné mais ses terres lui sont conservées. Peu après, son fils Robert se révolte de nouveau et rejoint le roi de FrancePhilippe Ier.
Enfin, lareine Mathilde, avec laquelle Guillaume forme un couple solide et fidèle, tombe malade à l'. Reine active et régente du duché pendant les séjours de Guillaume hors de Normandie[53], elle meurt le[d 30]. Ses nombreuses terres en Angleterre sont léguées à son benjaminHenri, tandis que sa couronne et son sceptre vont aux nonnes de la Sainte-Trinité. Selon sa volonté, elle est inhumée dans l'église de laSainte-Trinité de Caen[53]. Sa tombe subsiste encore de nos jours, mais a été pillée par les protestants en 1562[53].
Guillaume semble gérer son duché ces années-là sans intervenir militairement[b 17]. La situation au Maine ne se pacifie pas,Hubert de Beaumont-au-Maine étant assiégé à partir de 1083 dans sonchâteau de Sainte-Suzanne, en vain, pendant environ trois ans. Les troupes normandes, basées auCamp de Beugy et commandées un premier temps parAlain le Roux, sont plusieurs fois défaites. Guillaume, découragé par la mort de nombreux chevaliers, signe finalement la paix avec Hubert qui est rétabli dans ses terres.
Dans le nord de l'Angleterre, l'armée normande se prépare à une invasion du roiKnut IV de Danemark. Alors qu'auxPâques 1084 il est en Normandie, Guillaume part un temps en Angleterre superviser le maintien de ses troupes en alerte et la collecte dudanegeld, un impôt établi pour solder les troupes. Il lance pendant son séjour la rédaction duDomesday Book,inventaire de toutes les possessions dans son royaume, probablement dans un but de récolter plus d'argent de ses impôts. L'invasion danoise ne vient finalement pas, le roi Knut mourant en[b 18].
Guillaume retourne en Normandie à l'. Il marie sa filleConstance àAlan Fergant,duc de Bretagne, dans le but de renforcer ses alliances face au roi de FrancePhilippe Ier. Confronté aux velléités de ce dernier, Guillaume lance une expédition sur le Vexin français en. Il conduit son armée jusqu'àMantes, qu'il brûle. La tradition a gardé que ce fut dans la rue de la Chaussetterie, à Mantes, près duparvis Notre-Dame que le vainqueur trouva la mort dans son triomphe[72]. Alors que le duc-roi est handicapé à la fin de sa vie par uneobésité[73], une blessure ou une maladie le contraint, selonOrderic Vital, à retourner dans sa capitale,Rouen[note 9],[b 19].
Guillaume agonise quelques jours, en toute lucidité, auprieuré de Saint-Gervais, aux portes de la ville[53]. Avant de mourir, le[74], le duc-roi règle sa succession : il confie à son fils aîné,Robert Courteheuse, le duché de Normandie, tandis que son deuxième fils,Guillaume le Roux, reçoit la couronne d'Angleterre. Son troisième fils, Henri, reçoit de l'argent. Enfin, il demande que tous les prisonniers qui promettent de ne pas troubler l'ordre public soient relâchés[75], ce qui sera notamment le cas de son demi-frèreOdon[b 19].
Tombe de Guillaume le Conquérant, à l'abbaye aux Hommes deCaen.Inscription latine sur la tombe de Guillaume le Conquérant.
Son corps est ensuite transporté par mer jusqu'àCaen, pour être inhumé en l'abbatiale Saint-Étienne. En contant la triste fin de Guillaume, le chroniqueurOrderic Vital explique que lors de l'inhumation, il fallut forcer son corps pour pouvoir l'introduire dans le sarcophage, si bien que la peau de bœuf dans laquelle il était enveloppé se déchira, faisant éclater son ventre qui exhala une insupportable odeur de putréfaction[b 20]. Ce point semble en contradiction avec un paragraphe précédent où le moine évoque « les embaumeurs et les croque-morts » qui préparèrent le corps[76] mais les techniques d'embaumement égyptiennes étaient perdues à cette époque et les moyens empiriques utilisés ne garantissaient pas la préservation des corps[77].
Sa tombe est visitée plusieurs fois depuis son inhumation. En 1522, le mausolée est ouvert une première fois sur ordre papal. En 1562, pendant lesguerres de religion, lesprotestants profanent son tombeau. Sa dépouille est exhumée, mise en pièces, et ses os dispersés ; seul son fémur gauche aurait été sauvé par le poèteCharles Toustain de La Mazurie. La relique est placée dans un nouveau tombeau en 1642, qui est remplacé auXVIIIe siècle par un monument plus élaboré, lequel est détruit en 1793, pendant laRévolution française[d 31]. Le coffret contenant le fémur est replacé sous une dalle de marbre blanc posée en 1801[c 4]. L'épitaphe latine indique :« Hic sepultus est invictissimus Guillelmus Conquestor, Normanniæ Dux, et Angliæ Rex, hujus ce Domus, CONDITOR, qui obiit anno M . LXXXVII [millesimo octagesimo septimo] »[78].
L'ouverture du caveau maçonné se trouvant dans le chœur de l'abbatiale, le, permet d'étudier le fémur attribué au duc : l'analyse de l'os[79] révèle qu'il s'agit de celui d'un cavalier d'habitude[note 10], de grande stature (1,73 m[note 11])[c 4].
La conquête de 1066 ne fonde pas un unique royaume anglo-normand. Normandie et Angleterre gardent leurs spécificités à travers leur administration ou leurs coutumes[80]. En effet, ce sont deux couronnes, une ducale et une royale, détenues par un même titulaire, le duc de Normandie, dans le cadre d'une union personnelle.
Durant le règne de Guillaume le Conquérant, « l'organisation de la société normande est féodale »[81]. On retrouve en effet dans le duché les fiefs, les tenures paysannes, le service militaire et la justice confiée aux feudataires. Le gouvernement du duché diffère peu de celui des règnes précédents : laféodalité est tempérée par un pouvoir central fort[b 21], matérialisé par un duc traversant constamment ses terres, visitant les seigneurs et collectant l'argent des impôts[b 22]. Il détient le monopole de frappe monétaire et est capable de collecter une part considérable de ses revenus en argent. L'administration s'appuie sur des officiers publics, lesvicomtes.
Les barons, laïques mais aussi ecclésiastiques, doivent fournir au duc un contingent militaire lorsqu'il en a besoin. En Normandie, on ne peut construire dechâteaux que par autorisation du duc et ils peuvent lui être remis sur sa simple demande. Les guerres privées sont restreintes et les justices privées sont limitées par les cas réservés au duc et par le maintien d'une administration locale publique.
Le duc garde le contrôle sur l'Église, nommant les évêques et certains abbés et dirigeant les conciles de la province ecclésiastique de Normandie. Guillaume nourrit des relations proches avec le clergé, prenant part aux conseils et rencontrant régulièrement l'épiscopat, notammentMaurille qui remplace Mauger commearchevêque de Rouen à partir de 1055, etLanfranc de Pavie, prieur de l'abbaye Notre-Dame du Bec, nommé abbé deSaint-Étienne de Caen en 1063. Au-delà de la fondation des deux monastères de Caen, Guillaume se montre globalement généreux avec l'Église[b 23]. De 1035 à 1066, une vingtaine de nouveaux monastères sont fondés à travers le duché, représentant un développement remarquable de sa vie religieuse[d 32].
Dans son nouveau royaume, Guillaume introduit de profonds changements, parmi lesquels une intégration de la loi normande au système légalanglo-saxon. En 1085, il commande ce qu'on peut appeler unrecensement au sens moderne, le « Livre du Jugement Dernier » ouDomesday Book, inventaire des hommes et richesses du royaume. Il fait aussi construire de nombreux bâtiments et châteaux, notamment latour de Londres.
Afin de sécuriser son royaume, Guillaume ordonne la construction de nombreuxchâteaux forts,donjons et autresmottes à travers l'Angleterre. La plus emblématique de ces constructions est laTour de Londres, et son donjon laTour Blanche, bâtie enpierre de Caen et bientôt vue en symbole de l'oppression infligée àLondres par la classe dirigeante normande. Ces fortifications permettent aux Normands de s'assurer un lieu de retraite en cas de révolte des Saxons, et fournissent aux troupes des bases pour occuper et défendre le territoire. D'abord faites debois et de terre, ces constructions sont progressivement remplacées par des structures en pierre[b 24].
Outre ces châteaux, Guillaume entreprend la réorganisation militaire du royaume : le nouveau roi redistribue à ses compagnons d'arme les terres confisquées aux seigneurs anglo-saxons tués lors de la conquête de l'Angleterre. L'organisationféodale de la société incite les nouveaux barons normands à « sous-inféoder » leurs terres aux chevaliers : eux-mêmesvassaux et donc inféodés au roi, ils répliquent cette relation de hiérarchie au niveau local. Guillaume exige des vassaux leur contribution en termes de quotas de chevaliers dédiés aux campagnes militaires et à la garde des châteaux. Ce mode d'organisation des forces militaires s'appuie sur le découpage en unités territoriales, leshides[b 25].
À la mort de Guillaume, la majorité de l'aristocratie anglo-saxonne a été décimée à la suite des différentes rébellions écrasées par le duc-roi, et remplacée par des seigneurs venus du continent, normands et bretons notamment, dont Guillaume a ainsi récompensé la fidélité. Tous les compagnons de Guillaume à Hastings n'ont pas obtenu de terre : certains semblent avoir notamment hésité à accepter des terres dans un pays qui ne semblait pas tout à fait pacifié. Par conséquent, si les plus grands seigneurs normands en Angleterre sont des proches de Guillaume (Odon de Bayeux,Robert de Mortain, etc.), les autres sont parfois issus de lignées relativement humbles[b 26].
Enfin, Guillaume, dont le loisir préféré est la chasse, établit en 1079 une large zone de terre (couvrant 36 paroisses) comme lieu de chasse royale, baptiséNew Forest. Les habitants, relativement rares dans cette zone, doivent abandonner leurs terres[83]. Guillaume imagine également laForest law, qui légifère ce qui peut être fait ou non dans les forêts, notamment en ce qui concerne la chasse[b 27].
Alors qu'en Normandie, Guillaume, duc de Normandie, vassal du roi de France (Henri Ier (1031-1060) puisPhilippe Ier (1060-1108)), lui doit fidélité, a contrario, en Angleterre, le roi Guillaume, ne lui doit aucun hommage. En raison de la place différente qu'il occupe dans la pyramide vassalique en France et en Angleterre, Guillaume ne tente pas de fusionner l'administration et les lois de ses territoires[b 28].
Le gouvernement du royaume d'Angleterre est de fait plus complexe que celui du duché de Normandie : l'Angleterre est divisée enshires, eux-mêmes composés d'hundreds (ouwapentakes, terme venant duvieux norroisvápnatak)[note 12]. Chaqueshire est régi par unshire-reeve (qui deviendrashérif), un officier royal au statut comparable à celui desvicomtes en Normandie, qui répond aux besoins d'ordre administratif, militaire et judiciaire d'après lacommon law[84]. Le shérif est également chargé de la collecte des impôts royaux[b 29].
Pour superviser son territoire, Guillaume doit s'y déplacer en permanence. Après la conquête, il réside d'abord essentiellement en Angleterre, mais à partir de 1072 il passe la majeure partie de son temps sur le continent[85]. Les allers-retours sont cependant nombreux puisqu'il traverse la Manche au moins 19 fois entre 1067 et sa mort. Le fait de se trouver de l'autre côté de la mer ne l'empêche pas d'être tenu au courant et de prendre des décisions, qui sont transmises par lettres d'un bout à l'autre de ses possessions. Guillaume se fait par ailleurs seconder par des personnes de confiance : sa femme Mathilde, son demi-frèreOdon de Bayeux ou encoreLanfranc[b 30].
En Angleterre, Guillaume perpétue la collecte dudanegeld (littéralement « tribut aux Danois »), un tribut foncier versé par les populations menacées par lesVikings afin d'acheter leur départ ou solder les troupes destinées à les repousser. À l'époque, l'Angleterre est le seul pays d'Europe de l'Ouest où ce type de taxe est collecté de façon universelle. Basé sur la valeur des terres, ledanegeld se monte classiquement à deux shillings parhide mais a pu monter jusqu'à six shillings en temps de crise[b 31].
Outre les taxes, les possessions du roi sont augmentées des grandes propriétés qu'il possède dans toute l'Angleterre. En tant qu'héritier duroi Édouard, il contrôle l'ensemble des domaines royaux et y ajoute une grande partie des terres deHarold et sa famille, ce qui fait de loin le plus grand propriétaire du royaume : à la fin de son règne, ses terres en Angleterre sont quatre fois plus importantes que celles de son demi-frère Odon, le propriétaire le plus important après lui, et sept fois plus que celles deRoger de Montgommery[b 32]. Une étude récente fait de Guillaume le7e homme le plus riche ayant jamais vécu[86], sa fortune étant estimée à 229,5 milliards de dollars ou 167,6 milliards d'euros actuels[87].
À Noël 1085, Guillaume ordonne lerecensement des propriétés foncières du royaume, que ce soient les siennes et celles de ses vassaux, comté par comté. Cette œuvre, connue aujourd'hui comme leDomesday Book, le « livre du jugement dernier », est réalisée en grande partie en quelques mois seulement. Le livre recense pour tous les comtés se trouvant au sud de laTees et de laRibble les propriétés existantes, leurs propriétaires respectifs et ceux d'avant la conquête, la valeur du terrain et le montant de taxe correspondant, ainsi que le nombre de paysans, de charrues et d'autres ressources de valeur.
Le, Guillaume rassemble ses vassaux àSalisbury dans le cadre d'une assemblée, où, sur la base du recensement juste achevé, ces derniers doivent jurer fidélité au roi sous réserve qu'ils ne soient pas lésés[b 33].
Les objectifs recherchés par Guillaume ne sont pas certains, mais il semble que la nécessité d'augmenter les impôts - du fait des nombreuses campagnes militaires et de la chute de l'économie du royaume, due notamment à ladévastation du nord de l'Angleterre quinze ans auparavant - ait poussé le roi à vouloir établir avec précision la répartition des richesses dans le royaume. Leserment de Salisbury(de) permet de rappeler en sus à ses vassaux leurs obligations de fidélité et leur allégeance directe au roi[53].
Il n'existe pas de portrait authentique de Guillaume, ses représentations sur latapisserie de Bayeux ou sur les pièces étant mises en scène pour affirmer son autorité[b 34]. Cependant, les descriptions connues de son apparence dessinent un personnage de forte carrure, robuste, à la voix gutturale. Comme tous les Normands de son époque, il porte lacoupe au bol[89], il jouit d'une santé excellente jusqu'à un âge avancé, même s'il semble l'objet desurpoids à la fin de sa vie[d 33]. Il est particulièrement fort, capable de tirer à l'arc mieux que beaucoup d'autres et a une bonne endurance. L'examen de sonfémur, le seul os à avoir survécu à la destruction de ses restes, indique qu'il mesurait environ 1,73 m, soit 10 cm de plus que la moyenne des hommes de son temps[b 34].
S'il semble avoir été éduqué par deux tuteurs à la fin des années 1030 et au début des années 1040, on connaît peu de choses de l'éducation littéraire de Guillaume, sinon qu'il ne semble pas avoir été incité particulièrement à une quelconque forme d'érudition, son principal loisir étant lachasse. Il contribue cependant au développement du clergé pendant son règne, et aux monastères qui, eux, sont des centres d'érudition et de savoir. Si sa piété est louée par les chroniqueurs médiévaux, certains critiquent son avidité et sa cruauté[53]. Il est capable à la fois de discernement et d'emportement colérique.
Son mariage avec Mathilde forme une union affectueuse et confiante ; on ne lui connaît ni maîtresse ni enfant illégitime, et aucun élément n'indique qu'il lui ait été infidèle, ce qui n'était pas courant pour un souverain à cette époque[53].
Il est cité en tant que personnage emblématique de la ville de Caen par le rappeurOrelsan dans son morceauCasseurs Flowters Infinity puis de façon humoristique dans17h04 - Prends des pièces (Casseurs Flowters).
↑En 1066-1067, il appose son sceau au bas de la charte de fondation duprieuré de Saint-Hymer, où il est nomméWillelmus princeps Northmannorum (« Guillaume duc des Normands »)[1].
↑Lasouscription non autographe (consignation des noms, titres et qualités du signataire) accompagne lesignum, seing manuel à l'aspect fruste et tremblé, qui affecte la forme d'unecroix latinepattée, sauf à la branche du bas.
↑DepuisGuillaume Longue-Épée (933-942), on ne parlait déjà plusnorrois à la cour, et le duc devait envoyer son fils l’apprendre à Bayeux où la francisation était moins avancée.
↑Le pape prend le prétexte juridique qu'ils descendent l'un et l'autre deRollon (descendance de Rollon) et sont cousins au cinquième degré mais, pour des raisons d'équilibre politique dans la chrétienté, il veut en fait éviter cette alliance entre Baudouin et Guillaume dont des mercenaires du duché de Normandie conquièrent des principautés en Italie méridionale, aux portes de Rome[20].
↑Aucun historien normand n'a jugé à propos d'indiquer l'année du mariage du duc.
↑Du haut des fortifications, les assiégés tapent sur des peaux humides tendues (protection contre l'incendie) et crient « la pel, la pel al parmentier » (« la peau, la peau du tanneur ») pour rappeler au duc l'origine sociale de son grand-père, pelletier. Une fois la ville prise d'assaut, il ordonne qu'on lui amène 32 défenseurs des remparts et leur fait couper les mains et les pieds avant de les renvoyer. Cependant,« l'acte de sauvagerie d'Alençon a pu être motivé par la dévotion et l'affection filiale plus que par les allusions désobligeantes sur sa naissance »[b 7].
↑La forte convexité antérieure du fémur, associée à une musculature très développée, est corrélée à une pratique équestre intensive (pour la chasse et la guerre).
↑Taille supérieure de 10 cm à la moyenne de la population masculine normande à l'époque.
↑Quand le terme fut introduit par lesSaxons entre 613 et 1017, un hundred avait une taille suffisante pour nourrir environ100 familles, avec, à leur tête, unhundred-man ouhundred eolder. Celui-ci était chargé de l'administration, de la justice, de la levée de troupes et de leur commandement.
↑L’inscription sur la tombe de Gundrade indique qu’elle est l’épouse de Guillaume de Warrene et fille de Guillaume le Conquérant. D’aprèsThe Invincible Magazine,vol. 1,no 5,p. 26.
↑Annales de Vendôme, citées parJean-Christophe Cassard, « Houel Huuel, comte de Cornouaille puis duc de Bretagne (circa 1030-1084) », dansBulletin de la Société Archéologique du Finistère,vol. 117, 1988p. 102.
↑Ce qui signifie :« Ici a été enterré Guillaume le Conquérant jamais vaincu, Duc de Normandie et Roi d'Angleterre, et FONDATEUR de cette Abbaye, qui mourut en l'an 1087 ».
↑Jean Dastugue, « Le fémur de Guillaume le Conquérant. Étude anthropologique »,Annales de Normandie,vol. 37,,p. 5-10(lire en ligne).