Ces guerres ont aussi compté parmi les éléments déclencheurs descroisades, entraîné la destruction de l’Empire byzantin, le successeur de l’Empire romain de l’Antiquité, et permis à l’Empire ottoman de devenir une des plus grandes puissances de l’époque.
Après 1261 et la reprise deConstantinople auxLatins par les Byzantins, les différents émirs turcs qui succèdent à l'État seldjoukide s'étendent aux dépens des territoires asiatiques de l'Empire byzantin et au début duXIVe siècle, la quasi-totalité de l'Anatolie est aux mains des Turcs malgré l'intervention de lacompagnie catalane. C'est l'émiratottoman qui tire le plus grand profit des difficultés byzantines ; il prend possession deNicée et deNicomédie vers 1330. Bientôt, les Ottomans traversent leBosphore et s'installent enEurope, où ils soumettent progressivement l'ensemble des États chrétiens de la péninsulebalkanique. Sous le règne deBayezidIer, à partir de 1389, Constantinople subit un blocus rarement mis en défaut par l'intervention de quelques aventuriers occidentaux. À cette date, l'Empire byzantin est réduit à la périphérie immédiate de Constantinople et audespotat de Morée. La défaite de Bayezid à labataille d'Ankara en 1402 contreTamerlan affaiblit l'Empire ottoman qui, pendant près d'une décennie, est en proie à une guerre civile et à la révolte d'émirats jadis soumis. Mais l'Empire byzantin ne profite guère de ce sursis et très vite, sa situation redevient semblable à celle de 1402. Après unpremier siège en 1422, les Ottomans, conduits parMehmedII, réussissent à s'emparer de la capitale byzantine en 1453. C'est la fin de ce qui subsistait encore de l'Empire romain.
Causes de la confrontation entre Seldjoukides et Byzantins
À l’origine, les Turcs sont originaires de régions d’Asie centrale correspondant aux actuelsKazakhstan,Ouzbékistan,Turkménistan,Kirghizistan etTadjikistan. Durant plusieurs siècles, ils sont frontaliers avec les terres ducalifatabbasside. Parmi ces peuples, il n’existe pas d’entités politiques communes, mais plutôt différentes tribus se partageant le territoire (Karlouks ouOghouzes). Certains d'entre eux sont peu à peu devenus musulmans, mais d'autres ont gardé des pratiques religieuses traditionnelles proches duchamanisme.
Les Turcs sont traditionnellement employés comme mercenaires par les musulmans de la dynastiesamanide. Certains en profitent pour accroître leur prestige et prendre le pouvoir dans certains territoires. C’est le cas deSubuktigîn, fondateur des Ghaznévides, qui agrandit son domaine tout en restant vassal des Samanides. Son successeurMahmoud de Ghazni règne de 998 à 1030. Il implante la capitale de son territoire àGhazni, lance des incursions en territoire indien à l'image de son prédécesseur[3] et se constitue en territoire autonome. Ses successeurs s’efforcent de consolider leur territoire, qui correspond à la zone située au sud de l’Amou-Daria de l’ancien pays samanide[4]. Néanmoins, ils subissent de nombreux assauts et doivent reconnaître le protectorat desSeldjoukides[5].
Cette autre tribu turque réussit à contrôler aux dépens des Samanides le bassin duTarim. S’alliant aux Ghaznévides, ils se partagent le territoire des Samanides vaincus avec ces derniers. Ils prennent alors le nom de Qarakhanides et occupent laTransoxiane[2]. Contrairement au domaine des Ghaznévides, la Transoxiane voit une forte immigration turque d’origineoghuz, qui aboutit à une sorte desyncrétisme entre traditions iraniennes et turques[6].
Les Seldjoukides tirent leur nom du chef oghouzSeldjouk, converti à l’islam. Avec ses fils, il entre au service des Qarakhanides à la fin duXe siècle. Cette tribu est cependant vaincue en 1025 parMahmoud de Ghazni, qui déporte une grande partie de ses membres (dirigés par Arslan-Isra`îl, un des fils de Seldjouk) auKhorassan. L’autre partie se réfugie sur les bords de lamer d'Aral. Arslan-Isra`îl, envoyé dans des campagnes à l’ouest par Mahmoud, en vient à se trouver aux frontières de l’Empire byzantin où il fait peser le début d'une menace[6].
Au sein du Khorasan, les fils d'Arslan-Mikha'îl (un des fils de Seldjouk),Toghrul-Beg et Cagri Beg (ou Tshagri Beg), commencent à envahir le territoire des Ghaznévides. À labataille de Dandanakan en 1040, ils réussissent à en prendre le contrôle.
Toghrul-Beg (1040-1063) devient alors le dirigeant de la partie occidentale du territoire des Ghaznévides[6],[N 2]. Confronté à la menace que pourraient représenter lesTurkmènes implantés du côté de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie, il préfère s'allier avec eux et participer à la prise de forteresses byzantines frontalières, sans pour autant menacer l’intégrité de l’Empire byzantin. En 1055, il entre dansBagdad et obtient le titre de Sultan[7] en récompense de son combat contre les émirsbouyides[8], devenant le protecteur ducalifat abbasside et augmentant la légitimité des Seldjoukides. Pendant ce temps, les Turkmènes réussissent à prendre le contrôle de l’Arménie, y compris la ville d'Ani, en 1064, puis à annexer les territoires géorgiens (1068)[9] ; ils s'enfoncent de plus en plus profondément en territoire byzantin à la recherche de butin[7]. Malgré la volonté de Toghrul-Beg et d'Alp Arslan de calmer les ardeurs turkmènes pour se concentrer sur la conquête de l'Égypte[9], les souverains seldjoukides sont progressivement engagés dans la conquête de l'Anatolie.
Situation de l'Empire byzantin à la veille des conquêtes seldjoukides
L’arrivée au pouvoir deConstantinIX Monomaque (1042-1055) en 1042 correspond sensiblement aux premières incursions des Turcs seldjoukides aux frontières orientales de l’Empire. Le règne deConstantinIX est désastreux pour Byzance, en particulier par la ruine du trésor en grande partie accumulé parBasileII. En fait, comme il l’avoue àPsellos[11], Constantin IX considère la dignité impériale comme une retraite dorée qui lui permet de s’amuser. Face à cette situation de déclin pour l’Empire, les Turcs se rapprochent progressivement. En outre, les conquêtes récentes (prise d’Édesse, invasion progressive de laGéorgie ou progression en Arménie dans la région d’Ani) ont détruit les États tampons qui séparent l’Empire byzantin de l’Empire musulman pour en faire des régions, certes byzantines, mais affaiblies par les guerres et par une administration défaillante[12]. Un exemple de cette carence administrative est fourni par une mesure deConstantinIX prévoyant de remplacer le service de protection des frontières caucasiennes — qui incombait auxIbères — par un nouvel impôt. Or, comme les aristocrates qui bénéficient d'immenses dotations dans la région résident le plus souvent à Constantinople, les défenseurs ne sont plus assez nombreux pour espérer stopper les invasions turques. À cela s'ajoute la désagrégation du système desstratiotes. Ces paysans soldats assurent un service militaire en l'échange de terres qu'ils exploitent et dont les ressources leur permettent l'achat du matériel militaire nécessaire. Mais peu à peu l'aristocratie foncière s'étend au détriment des stratiotes qui voient leurs terres rachetées et deviennent des serfs. La source de la puissance militaire byzantine dépérit peu à peu sous le règne des successeurs deBasileII qui ne cherchent plus à freiner la progression de l'aristocratie foncière[13]. Au contraire, méfiant envers l'armée, la noblesse civile qui gouverne l'empire soutient la réduction des effectifs militaires[14].
C'est en 1048 qu'a eu lieu la première expédition turque en territoire byzantin. Néanmoins, l'alliance entre les Byzantins et lesGéorgiens permet de repousser les Seldjoukides dirigés par Ibrahim Yinal à labataille de Kapetrou. La capture du prince géorgienLiparit aboutit à une trêve entre l'Empire byzantin etToghrul-Beg, qui accepte de libérer le Géorgien. Malgré ce succès et cet accord, la paix demeure précaire. Dès 1052, Toghrul profite de la guerre que mène Byzance contre lesPetchénègues pour mener une campagne dans les terres orientales de l'empire. En 1053 et 1054, il fait campagne dans leVaspourakan, mais il est une nouvelle fois vaincu et ne peut s'emparer de Manzikert[15].
Alp Arslan, neveu de Toghrul (1063-1072), poursuit l'avancée seldjoukide en prenant d'abord le contrôle de l'Arménie en 1064, avant de s'attaquer sans succès àÉdesse[16]. Il profite alors du certain désordre qui règne dans l'Empire byzantin, malgré la relative continuité du règne deConstantinX (1059-1067). Sa stratégie est d'annihiler progressivement les défenses frontalières byzantines par des assauts réitérés[17]. La défense byzantine réside en effet dans un réseau de forteresses conçues pour résister aux assauts de l'ennemi en attendant l'arrivée d'une armée de secours, stratégie victorieuse face aux anciens émirats musulmans comme celui desHamdanides[18]. Cependant, elle est inefficace contre la mobilité des troupes seldjoukides, par ailleurs parfaitement adaptées au combat dans les zones désertiques de l'est anatolien, dans des conditions proches de l'Asie centrale[19]. En 1067, Alp Arslan captureCésarée et ravage laCilicie[20]. La chute d'Ani a en effet laissé un vide dans le système de défense byzantin qui facilite les raids turcs[18]. Toutefois, cette pénétration de plus en plus profonde entraîne la réaction byzantine[21].
Le nouvel empereur,Romain Diogène (1067-1071), lève une grande armée composée de nombreux mercenaires pour mettre fin aux provocations turques. Dans un premier temps, il libère lePont des incursions et bat une armée turque àTephrik[22]. Se dirigeant vers la Syrie, il reprendHiérapolis, mais ne peut empêcher la chute d'Amorium[23]. Les Turcs entreprennent alors la conquête de laCappadoce (Iconium tombe en 1069) avant que Romain ne les fasse battre en retraite[24]. 1070 est une nouvelle année de guerre entre Seldjoukides et Byzantins. Alp Arslan échoue une nouvelle fois à prendre Édesse, tandis queManuel Comnène, qui dirige l'armée byzantine, est battu près deSébaste, fait prisonnier puis libéré par un rebelle seldjoukide[22]. En 1071, Romain Diogène décide d'en finir avec la menace turque. Le, les deux armées se rencontrent àManzikert, cependant, la bataille tourne à l'avantage des Turcs notamment à la suite de la trahison desDoukas (privés du pouvoir depuis que Romain est empereur). Manzikert se solde par un désastre pour les Byzantins et Romain Diogène, qui est capturé[25],[26].
Les domaines de Philarète. Les territoires en vert correspondent à ceux dominés par les Seldjoukides.Alp Arslan humiliant l'empereurRomainIV après sa défaite de Manzikert.
Romain Diogène est finalement libéré par Alp Arslan et parvient à négocier une paix relativement indulgente. En effet, Alp Arslan ne désire pas tant accroître son autorité sur l'Asie Mineure que conquérir l'Égyptefatimide. Ainsi, en échange du départ des Turcs, Romain Diogène cède plusieurs forteresses frontalières (Manzikert,Argish, etc.) et paie un lourd tribut en or[27]. Cependant, en l'absence de Romain, les Doukas ont repris le pouvoir. La lutte, qui oppose le plus souvent le gouvernement civil du Palais aux chefs de l'armée, reprend en 1071.RomainIV, discrédité par la défaite de Manzikert, est déposé parMichelVII Doukas, rendant caduc le traité signé avec Alp Arslan[28].
Les querelles intestines facilitent la progression des Turcs, qui se mettent au service des différentes factions byzantines. Ils progressent dans le centre de la péninsule anatolienne, dont la population autochtone est clairsemée[29]. Le système défensif byzantin déclinant depuis plusieurs décennies, est inapte à empêcher la progression turque. Les quelques villes qui tentent de résister sont isolées et doivent céder les unes après les autres : peu à peu, la majorité de l'Anatolie passe aux mains desSeldjoukides et les autochtones chrétiens y deviennent desdhimmis (« protégés », soumis à unecapitation supplémentaire, leharaç, ce qui pousse les pauvres, c'est-à-dire la majorité, à se convertir à l'islam)[30]. La mort d'Alp Arslan en 1072 n'arrête en rien ce processus puisqueMalikChahIer poursuit sa politique. La révolte deRoussel de Bailleul provoque l'intervention du Seldjoukide Artoukh, qui capture puis libère Roussel[31]. Bien que le chef normand soit finalement capturé parAlexis Comnène, les guerres civiles byzantines constituent l'une des causes parmi les plus importantes de la turcisation de l'Anatolie.
La situation se dégrade à nouveau lorsqu'en 1077, les armées d'Occident et d'Orient proclament chacune un empereur à la place deMichelVII.Nicéphore Bryenne, le prétendant de l'armée occidentale, entraîne certains éléments turcs jusqu'enEurope[32]. Il est vaincu, etNicéphore Botaniatès réussit à s'emparer du pouvoir, malgré une tentative turque. Son règne de trois ans (1078-1081) est une succession de révoltes militaires, à l'image de celle de Constantin Doukas. Ce fils deMichelVII est envoyé par Nicéphore pour combattre les Turcs, puis se révolte contre lui, sans succès. ÀAntioche, dont la région est devenue une enclave byzantine, le pouvoir revientde facto àPhilarète, qui assure de lui-même la défense duTaurus contre les Seldjoukides au nom dubasileus.
Cette anarchie permet aux Turcs de poursuivre leur progression. Certains servent de mercenaires dans l'armée deNicéphore Melissenos, qui tente de prendre le pouvoir tout en installant les Turcs dans les villes deNicée, deCyzique et autres, qui passent bientôt sous leur contrôle. Pour la première fois en effet, les Seldjoukides ne se contentent plus de raids, mais s'installent durablement en Anatolie[33]. C'est ainsi que depuis 1074 et la donation parMalik Chah de l'Asie mineure à son oncleSüleimanIer s'est constitué un embryon d'État seldjoukide qui se subsitue à l'Etat byzantin. Théoriquement, Süleiman est vassal de Malik Shah, mais peu à peu, il s'éloigne de son suzerain, plus occupé à s'emparer deDamas ouJérusalem. Ainsi, en 1077, Süleyman se déclare indépendant deRoum avec Nicée, récemment conquise, pour capitale. Malik Shah réclame l'aide de Byzance, à qui il demande la capture et l'envoi des fils deKutalmış, dont Süleyman. À Constantinople, cependant, on reste persuadé que l'adversaire principal reste Malik Shah, qui essuie donc un refus[32].
Conflit ouvert entre Seldjoukides et Byzantins (1081-1180)
Tandis que l'Empire byzantin perd progressivement la plupart de ses territoires asiatiques à l'exception de laMysie, de laBithynie, duPont et de la Syrie du Nord[34] au profit du nouveau sultanat de Roum,NicéphoreIII essaye de se maintenir sur le trône. Il est toutefois renversé en 1081 parAlexis Comnène (1081-1118), un ancien général notamment vainqueur des prétendants au trôneNicéphore Bryenne ouNicéphore Basilakios. Avec Alexis Comnène commence une nouvelle ère de stabilité pour l'Empire byzantin, fragilisé par plusieurs années de guerres civiles.
Alexis se retrouve face à un État turc qui a profité des errements de ses prédécesseurs : Süleyman a acquis plusieurs cités en échange de son soutien à diverses tentatives de coup d'État. De ce fait, les terres dirigées par Philarète se trouvent de plus en plus isolées de Constantinople, qui n'y exerce plus aucune autorité réelle[35]. Ainsi, en quelques années, la plus grande partie de l'Asie Mineure est passée entre les mains des Seldjoukides. Néanmoins, le Sultanat créé par Süleyman reste assez fragile[36] face aux bandes turques d'Anatolie qui conservent une indépendance relative, ainsi que face aux populations chrétiennes, grecques ou arméniennes[37]. De plus, la signature d'un traité entre Alexis et le Sultan permet à Constantinople d'éloigner toute menace de siège. Süleyman n'abandonne pourtant pas la conquête de nouvelles terres. En 1081, c'estSmyrne qui tombe aux mains des Turcs, suivie d'Antioche en 1084, mettant ainsi fin à l'éphémère principauté de l'Arménien Philarète[38]. La défaite de Süleyman lors d'une bataille près d'Alep en[39], puis sa mort l'année d'après, précipitent la chute de sa principauté qui subit une grande offensive en 1086 et disparaît l'année suivante. À cette date, le sultanat se divise en de multiples émirats. MaisAlexisIer, occupé par ses guerres contre les Normands et les Petchénègues, ne peut profiter de la situation, ne reprenant que Cyzique. Le sultanat de Roum est alors dirigé parAbul Qasim (1086-1092), qui s'allie avec Alexis pour contrer les visées de Malik Shah et préserver l'existence de son État.
La menace vient alors des émirs qui se sont rendus indépendants à la mort de Süleyman : Tangripermes, ou Tengribirmish, qui s'est taillé un territoire autour d'Éphèse[40], et surtoutZachas, l'émir deSmyrne, qui n'est pas tenu par le traité d'alliance entre Alexis et Abul Qasim. Zachas souhaite tout d'abord réunir les différents territoires qui se sont rendus indépendants, et il est conscient en tant qu'ancien prisonnier à Constantinople que la capitale byzantine ne peut être prise sans une flotte[41] : il en fait donc construire une dans le but de prendre Constantinople par mer. Il conquiert d'abord les îles deChios,Samos,Rhodes etLesbos, ainsi que les cités côtières deClazomènes et dePhocée. Après une première défaite, la nouvelle flotte byzantine reconstruite par Alexis et dirigée parConstantin Dalassène reprend l'île de Chios[42]. Zachas réagit en concluant une alliance avec les Petchenègues, et espère ainsi pouvoir assiéger la capitale de l'empire par terre et par mer[43]. Pour parer à la menace, Alexis fait appel auxCoumans, adversaire traditionnel des Petchenègues[43].
La victoire, le, d'Alexis sur les Petchenègues à labataille de la colline de Lebounion met un terme aux espoirs de Zachas. Celui-ci doit fuir face à une flotte dirigée parJean Doukas et Constantin Dalassène. En 1093, Zachas assiègeAbydos, mais l'alliance entre Kılıç Arslan, le nouveau sultan de Roum, et Alexis l'oblige à battre en retraite. Zachas meurt ensuite lors d'une rencontre avec Kılıç Arslan[44]. En effet, malgré le traité de paix, la situation a changé au sein du sultanat. Abul Qasim prépare une attaque contre Constantinople finalement repoussée. En fin de compte, Alexis s'allie avec le sultan de Roum contre Malik Shah qui s'apprête à lancer une offensive contre Nicée dans l'espoir de replacer la cité dans le giron de l'Empire seldjoukide. Le général byzantinTatikios réussit effectivement à faire lever le siège, mais sans pour autant reprendre la ville[45]. C'est à cette époque que Malik Shah propose une alliance à Alexis, qui prévoit le retour des villes de Bithynie (dont Nicée) et duPont à l'Empire byzantin avec, comme contrepartie, le mariage d'une des filles d'Alexis au fils aîné de Malik Shah. Ce dernier souhaite rétablir la lignée de Süleyman représentée par Kılıç Arslan à la tête du sultanat de Roum. La mort de Malik Shah, en 1092, met un terme au projet etKılıçArslanIer (1092-1107) devient le nouveau sultan de Roum la même année.
Godefroy de Bouillon et les barons reçus par l'empereur Alexis.
Vers 1090, la situation sur la frontière orientale semble se stabiliser. Alors que les Turcs paraissaient en mesure d’envahir complètement l’empire, la venue d’AlexisIer a changé la donne. Il a joué des divisions turques tout en éloignant les menaces les plus importantes. De plus, la mort de Malik Shah fragilise un empire seldjoukide qui se divise en de multiples factions, et le sultan Kılıç Arslan semble bien disposé envers l'Empire byzantin, d'autant plus qu'à l'est, lesDanichmendides (une autre peuplade turque) menacent le sultanat de Roum. Malgré quelques conquêtes, comme la reprise des villes deCyzique etApollonia[46], Alexis n’est cependant pas en position de force pour reprendre pied dans la majorité du territoire anatolien qu’il considère comme faisant partie intégrante de l’empire. Les frontières occidentales, malgré l'anéantissement presque total desPetchénègues, ne peuvent être dépouillées de troupes[47].
Face à une telle situation, les armées des puissances chrétiennes occidentales apparaissent à Alexis comme le seul recours possible s'il veut reconquérir l'Asie Mineure. Après des rapports conflictuels avec le papeGrégoireVII au début de son règne, l'avènement d'UrbainII marque le début d'une politique d'apaisement entre l'empereur et le pape. Urbain souhaite en effet l'alliance entre les deux Églises brisée en 1054 pour libérer les chrétiens d'Orient des Turcs[48]. Cette politique papale s'est trouvée exacerbée par la prise de Jérusalem en 1073 par les Turcs qui rend plus difficile le pèlerinage. Du côté byzantin, Alexis se sert duconcile de Plaisance comme d'une tribune où ses ambassadeurs auraient supplié l'aide des Chrétiens pour défendre l'empire selon Bernold de Constance[N 3].
Lors duconcile de Clermont le,UrbainII reprend les demandes byzantines et encourage les soldats chrétiens à intervenir en Orient. L'ampleur du mouvement qui se dessine alors provoque la surprise du pape et de l'empereur[49]. En effet, de nombreux chevaliers, en particulier francs, ne possèdent aucune terre et espèrent en trouver en Orient, même si la motivation religieuse reste primordiale. Pour Alexis, la surprise est grande, il s'attendait à trouver des troupes de mercenaires dont il se serait servi pour renforcer sa propre armée. À la place, ce sont des armées entières qui convergent vers Constantinople. En homme d'État, il est parfaitement conscient du danger que peuvent faire courir de telles troupes sur l'empire[50]. D'une part, Constantinople reste très riche et suscite les convoitises. D'autre part, il sait que ces chefs d'armée ne seraient pas forcément d'accord pour céder leurs conquêtes à l'Empire. Dès lors, les points de vue des deux partis divergent fortement. L'Empire byzantin souhaite se servir des croisés comme des auxiliaires, des mercenaires dont elle s'est souvent servie depuis sa création (Ghassanides,garde varangienne, etc.) pour récupérer ses terres ancestrales. L'idée même de croisade lui est inconnue[51]. Au contraire, les croisés n'entendent pas se faire dicter la loi par les empereurs byzantins et souhaitent pour certains se constituer leur propre État.
Coopération entre Byzantins et croisés, et reprise de Nicée
Lacroisade populaire dirigée parGautier Sans-Avoir etPierre l'Ermite est la première à arriver dans l'empire. Partie deCologne, elle est très hétéroclite avec des dizaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants. La première partie de cette croisade est menée par Gautier. Après quelques altercations enHongrie, elle atteint la ville deNiš dans l'Empire byzantin où elle est ravitaillée. La même cité est pillée par certains croisés ayant suivi Pierre l'Ermite suivant à quelques jours près les hommes de Gautier. Les Byzantins répriment alors ces pillages en massacrant les meneurs. Les 30 000 pèlerins de Pierre atteignent finalement Constantinople en. Malgré les quelques troubles ayant eu lieu,AlexisIer fait un très bon accueil à Pierre l'Ermite et lui fait franchir leBosphore avec ses hommes qui sont assignés à résidence àCivitot[52]. Alexis est en effet parfaitement conscient que cette troupe n'a aucune chance de vaincre les Turcs et les encourage à attendre l'autre croisade. Néanmoins, Gautier Sans-Avoir mène ses hommes en direction de Nicée, dans l'espoir d'en découdre avec les Turcs. Ceux-ci écrasent les 25 000 pèlerins dont peu survivent[53]. Ce relatif échec ne change pas grand chose. Alexis sait qu'une autre croisade, celle des barons, doit arriver sous peu à Constantinople. C'est sur celle-ci que les espoirs de la chrétienté reposent.
La prise de Nicée est la première reconquête d'importance de l'Empire byzantin en Asie Mineure.
Ces croisés arrivent en ordre dispersé à Constantinople de la fin 1096 à. En chemin, ils sont ravitaillés par les Byzantins.Godefroy de Bouillon, le premier arrivé à Constantinople, reçoit un accueil chaleureux d'Alexis, qui compte sur lui et ses hommes pour reconquérir l'Asie Mineure. Malgré des tensions dues au refus de certains chefs croisés de faire allégeance à Alexis mais aussi à certaines altercations entre les croisés et les troupes byzantines qui les escortent, les croisés acceptent finalement de céder les terres ayant appartenu aux Byzantins et qu'ils auraient conquises sur les Turcs. Les troupes croisées deviennent alors plus ou moins des mercenaires au service de l'Empire byzantin.
En, les croisés soutenus par l'armée byzantine viennent mettre le siège devant la capitale dusultanat de Roum,Nicée. Le traité entre les croisés et l'empereur stipulait en effet que Nicée serait la première ville reprise et cédée à l'Empire byzantin. Kılıç Arslan, après sa victoire sur la croisade populaire, est parti en guerre contre d'autres princes musulmans, espérant prendre le contrôle deMélitène. Lorsqu'il revient à Nicée le, le siège est déjà en place et il n'a pas les forces nécessaires pour le faire lever. Il bat alors en retraite tandis que le, les croisés achèvent l'encerclement de Nicée. Mais la ville est très bien défendue et se ravitaille en eau grâce à un lac proche. Finalement, les croisés demandent l'aide d'Alexis pour couper cette ligne de ravitaillement. C'est une flotte dirigée parManuel Boutoumitès qui s'en charge. La situation devient désespérée pour les Turcs qui acceptent de se rendre, mais uniquement à Alexis. Finalement, le, l'étendard byzantin flotte sur Nicée occupée par l'armée byzantine[54], à la stupeur des croisés. Les seigneurs s'inclinent devant le fait accompli, tandis que les soldats s'insurgent de cet acte qui les prive de tout butin[55] (ce que voulait d'ailleurs Alexis). Finalement, même si aucune dispute n'éclate entre Byzantins et croisés, un certain ressentiment se fait sentir entre les deux partis.
Reconquête partielle de l'Asie Mineure avec l'aide des croisés
La victoire des croisés à Dorylée ouvre la voie àAlexisIer dans sa reconquête de l'Asie Mineure.
L'ensemble des chefs croisés ayant renouvelé son serment d'allégeance à Alexis, la croisade reprend le, avec en soutien un contingent byzantin dirigé parTatikios, qui assure le ravitaillement des croisés tout en s'assurant que les villes reprises reviennent dans le giron de l'empire. La prise de Nicée a fortement fragilisé les Turcs seldjoukides ; ils s'allient avec lesDanichmendides qui, après la mort de Süleyman, se sont forgé un territoire indépendant de fait au nord-est de l'Anatolie. Ces derniers tendent une embuscade aux croisés à proximité de Dorylée le. C'est un échec et les Turcs doivent battre en retraite. Cette nouvelle victoire provoque l'affaiblissement des territoires turcs.
Profitant de la situation, Alexis envoie son beau-frèreJean Doukas conquérir par mer et par terre des territoires aux dépens des Seldjoukides[56]. Le basileus craint en effet que malgré leur fragilité, les Turcs ne s'unissent. Jean Doukas envahit l'Ionie et laPhrygie, ainsi que le territoire de l'ancien émirat de Smyrne, et défait Tengribirmish devant Ephèse, reconquise et confiée au duc Petzeas[57],[58]. Certaines îles de la mer Égée conquises par Zachas sont récupérées par l'amiral byzantinKaspax, tandis que les byzantins imposent à nouveau leur contrôle sur laLydie et laPhrygie.
En outre, la progression des croisés au sein du territoire turc permet àAlexisIer d'espérer reprendre la ville d'Antioche, perdue une quinzaine d'années plus tôt. En attendant de se joindre lui-même à la croisade, Alexis envoie le général Tatikios et un corps de troupes en soutien des croisés[59],[56]. Antioche est bientôt assiégée, mais le départ de Tatikios[N 4] pourChypre entraîne de la part de Bohémond un rejet des engagements qu'il a pris à l'égard de l'Empire byzantin. Cependant, la ville d'Antioche tenue par le Turc Yaghi Siyan, un vassal de l'émir d'AlepRidwan (1095-1113), résiste au siège des croisés. Malgré tout, le, la ville finit par être prise grâce à la trahison de certains de ses habitants[60].
De son côté, Alexis souhaite venir en aide aux croisés, mais alors qu'il traverse l'Asie mineure, il rencontreÉtienneII de Blois qui a déserté le peu avant que la cité ne soit assiégée parKerbogha. Étienne l'informe alors que la situation des croisés est sans espoir[56]. Alexis décide en conséquence de rebrousser chemin, considérant que ses forces ne sont pas suffisantes pour vaincre les Turcs. Pour éviter toute nouvelle invasion de l'Asie mineure par ces derniers, il ravage le pays qu'il traverse pour détruire toute source de ravitaillement pour les Turcs[56],[61].
Cette campagne a toutefois permis à Alexis de consolider ses positions en Asie mineure. Finalement, le, Kerbogha doit se replier, vaincu par les croisés[62]. Néanmoins, ces derniers refusent de rendre la ville àAlexisIer malgré le fait qu'elle ait été, quinze ans auparavant, encore aux mains des Byzantins. En effet, Godefroy considère que le repli d'Alexis se traduit par l'abandon de ses droits sur la ville. Cet échec, entre autres[63], sonne le glas des ambitions byzantines pour la récupération des territoires syriens de l'empire perdus lors de l'invasion seldjoukide à la suite de labataille de Manzikert.
Fin du règne d'AlexisIer et retour des conflits frontaliers
La première croisade a été indéniablement un succès pour l'Empire byzantin qui rétablit sa souveraineté sur les parties occidentales et méridionales de l'Anatolie. Malgré l'échec subi à Antioche et la persistance du sultanat de Roum qui a fixé sa capitale àIconium, Constantinople n'est plus directement menacée. L'Empire byzantin qui semblait au bord de la destruction se rétablit. Du côté turc, la priorité n'est plus la prise de Constantinople mais bien la lutte contre lesÉtats latins d'Orient. De plus, la mort en 1092 deMalikChahIer, le sultan de l'Empire Seldjoukide, entraîne une guerre civile qui fragilise profondément l'Empire seldjoukide[64]. Au contraire, lesultanat de Roum gagne en cohésion. Cette cohésion est renforcée par l'alliance de Kılıç Arslan avec lesDanichmendites à la suite de la Première croisade.
Malgré tout, des tensions persistent en Asie Mineure où Alexis tente de réorganiser les territoires récemment repris. L'Anatolie byzantine comprend à cette date le duché de Trébizonde, une partie duthème desArméniaques, la partie occidentale de l'Anatolie limitée à l'est par une ligne allant deSinope à Philomélion et la côte méridionale avec le port d'Attalie[65]. Les Turcs reprennent l'offensive en 1113 en direction de Nicée, sans succès. En 1115, c'estMalikChahIer[66], le nouveau sultan de Roum, qui tente de récupérer les provinces septentrionales de la péninsule anatolienne. Mais en 1117, lors de labataille de Philomélion, les Byzantins remportent une victoire[67], qui procure un traité de paix avantageux à l'Empire. Ce traité n'est cependant pas une assurance contre les assauts turcs qui reprennent rapidement, etLaodicée de Phrygie est récupérée par les Seldjoukides tandis qu'Antalya est isolée du reste du territoire byzantin. Telle est la situation de l'Empire à la mort d'Alexis en 1118.
JeanII et la poursuite des progrès byzantins (1118-1143)
JeanII Comnène continue la politique de son père en reprenant une partie de l'Asie Mineure aux Turcs.L'émirat des Danichmendides à sa création à la fin duXIe siècle.
Le nouvel empereur byzantinJeanII Comnène (1118-1143) n'entend pas abandonner la lutte contre les Turcs alors que son père avait prévu une offensive de grande envergure en Anatolie peu avant sa mort[68]. Ainsi, dès 1119, il reconquiert la ville de Laodicée de Phrygie après un long siège pour en faire une forteresse[69]. Progressivement, l'ensemble de la vallée du Méandre est reconquise. La prise de Sozopolis permet en outre de rétablir les liens terrestres avec Antalya[70] ; seule l'offensive dirigée par le duc deTrébizondeConstantin Gabras contre lesDanichmendides se solde par un échec. Ces progrès substantiels sont surtout obtenus grâce à l'anarchie croissante en Anatolie turque[71]. En effet, le successeur de MalikShâhIer, le sultan de RoumMas`ûdIer (1116-1155), doit lutter contre des émirs aux prétentions autonomistes voire indépendantistes. C'est ainsi qu'en 1024, il prendMélitène à l'émir Toghroul qui doit se réfugier à Constantinople[72]. En 1126, c'est le propre frère de Mas`ûd, 'Arab, qui manque de le renverser. En effet, après avoir prisAnkara etKastamonu, 'Arab réussit à chasser Mas`ûd qui s'exile à Constantinople. Au milieu de cette situation de plus en plus confuse,Gumuchtegin (1104-1135), l'émir danichmendide, se renforce. Il soutient Mas`ûd contre 'Arab et lui permet de récupérer son trône[N 5] et prend la côte dePaphlagonie, livrée par le gouverneur byzantin Kasanios[73],[74] ainsi que les villes d'Ancyra (Ankara) ou de Kastra Komneni (Kastamonu) qui avaient été annexées par l'Empire byzantin après la lutte entreMas`ûdIer et 'Arab.
Dès lors, le principal adversaire pour Constantinople devient l'émir danichmendide qui contrôle la majeure partie de l'Anatolie[75]. À partir de 1130 ou 1132, l'Empire byzantin lance une série d'offensives contre Gumuchtegin, Kastamonu passant d'une main à l'autre plusieurs fois avant d'être définitivement conquise par les Byzantins[71]. En 1134, la mort de Gumuchtegin[76] facilite la tâche des Byzantins, les Turcs plongeant dans une nouvelle guerre civile qui permet àJeanII de prendre la ville deGangra enGalatie, où il laisse une garnison de 2 000 hommes[77] avant de signer un traité de paix avecMas`ûdIer, sultan de Roum. Cette campagne prive les Turcs de la plupart de leurs débouchés maritimes, la côte bordant lamer Noire redevenant byzantine jusqu'au fleuve Tchorok à l'est de Trébizonde. Ces conquêtes permettent à l'Empire byzantin de redevenir une puissance maritime importante[71], puissance affermie par la soumission duroyaume arménien de Cilicie. En 1139,JeanII lance une dernière campagne en Asie mineure contre l'émir danichmendide MehmedGaziIII (1134-1142) allié au duc de Trébizonde Constantin Gabras qui, à l'image de Philarète, cherche à échapper à l'autorité impériale. L'émir turc prend d'abord la forteresse deVakha mais Jean l'empêche d'envahir laBithynie et laPaphlagonie. L'empereur byzantin échoue cependant à prendre possession de la ville deNéocésarée après un siège de six mois[78],[79]. La mort de l'émir danichmendide signe la fin du conflit en 1142.
Alliance entre Amaury et Manuel. Les Croisés devantPéluse.La bataille de Myrioképhalon
Dès le début de son règne,ManuelIer Comnène (1143-1180), le successeur deJeanII Comnène, reprend l'offensive en Asie mineure. Il s'allie avec l'émir danichmendide pour combattre le sultanMas`ûdIer. En effet, le retrait byzantin à la suite du siège de Néocésarée a permis aux Turcs de s'avancer jusqu'à Antalya[80], d'autant plus que la mort de Gumuchtegin provoque une lutte intestine au sein de l'émirat danichmendide qui avantage les Seldjoukides. La populationturkmène du sultanat s'infiltre alors en direction de la vallée duMéandre et de la Gediz. Manuel réplique à ses incursions et dirige deux expéditions contre Mas`ûd de 1144 à 1146. Il repousse les Turcs et les vainc àAkşehir avant de ravager les faubourgs d'Iconium[81]. La capitale du sultanat est sauvée par l'intervention de Mas`ûd avant que l'imminence d'une nouvelle croisade incite les deux souverains à faire la paix[80],[81],[82]. Les années qui suivent sont relativement calmes en Asie Mineure. Manuel se concentre plutôt sur ses conquêtes enItalie et sur ses relations avec les croisés alors même que ladeuxième croisade traverse son territoire. Cependant, vers 1150, la situation devient explosive en Anatolie, les Arméniens deCilicie se révoltent contre l'autorité byzantine[83], les croisés se détachent de l'influence byzantine.
Par ailleurs,Nur ad-Din (1146-1174), l'émirzengide d'Alep s'allie avec Mas`ûd. Nur ad-Din, dont l'émirat se situe près d'Antioche, entre l'Asie mineure et l'Égypte, amène ainsiManuelIer à faire des projets concernant une région très éloignée de Constinantinople, car l'alliance avec Mas`ûd fait peser sur les États latins d'Orient une grave menace. D'une part lecomté d'Édesse est détruit, y compris la portion cédée par Béatrice d'Édesse aux Byzantins. En effet, la ville de Turbessel acquise par l'empire est prise le par un lieutenant de Nur ad-Din[84]. C'est en 1158 que Manuel peut intervenir après avoir rétabli la situation en Cilicie et reçu la soumission deRenaud de Châtillon[85]. Une alliance est alors signée entreBaudouinIII (1143-1162) etManuelIer pour l'attaque d'Alep mais ce projet est interrompu par la signature d'une trêve entre l'Empire byzantin et l'émir d'Alep[86],[87] avec la restitution de milliers de prisonniers par Nur ad-Din[88]. Lors de son retour à Constantinople,ManuelIer doit affronterKılıçArslanII (1155-1192), le nouveau sultan de Roum qui tente de vaincre l'armée byzantine près d'Iconium. Mais, en 1161, ce dernier est vaincu par les Byzantins et doit signer un traité où il reconnaît être devenu le vassal de l'empire[89],[N 6]. Ce traité prévoit l'envoi par Kılıç Arslan de troupes auxiliaires en soutien à l'armée byzantine ainsi que la rétrocession de plusieurs villes[90]. Cependant, cette paix reste précaire. En 1164, Nur ad-Din lance de nouvelles offensives contre Antioche alors qu'AmauryIer de Jérusalem (1163-1174) tente de prendre le contrôle de l'Égypte. La ville n'est sauvée que par une intervention byzantine[91] mais Amaury comprend que pour espérer conquérir l'Égypte, il doit s'allier avec Manuel qui pourrait alors empêcher laprincipauté d'Antioche d'être envahie.
L'Empire byzantin et le sultanat de Roum en 1170.
Manuel profite de cette occasion et accepte l'alliance proposée par Amaury. Il espère ainsi renforcer sa position auprès des États latins, apparaissant d'une certaine manière comme un protecteur. De surcroît, le traité prévoit un partage de l'Égypte, ce qui permettrait à l'Empire byzantin de remettre la main sur une partie de cette région perdue aux profits desArabes au milieu duVIIe siècle. Toutefois, Amaury n'attend pas les troupes byzantines et passe à l'attaque dès 1168. Face au danger,Al-Adid (1160-1171), le calife fatimide d'Égypte, demande l'aide de Nur ad-Din en échange d'un tiers de l'Égypte. L'envoi deShirkuh et deSaladin conduit à la défaite des Francs[92]. L'Égypte devient une province turque dirigée par Nur ad-Din. Malgré cet échec, Manuel refuse d'abandonner la partie et envoie le mégaducAndronic Kontostéphanos avec une flotte et une armée très importantes (près de 200 vaisseaux)[93]. Cette armée participe avec les troupes d'Amaury au siège deDamiette (septembre-). La mésentente entre Andronic et le roi de Jérusalem aboutit à un échec et les troupes byzantines rembarquent. En 1170, Saladin s'émancipe de la tutelle turque en Égypte tandis que Nur ad-Din continue ses offensives contre les États croisés. Ce dernier meurt en 1174 et l'État turc d'Alep disparaît, tombant aux mains de Saladin. Peu après, Manuel abandonne définitivement tout projet d'invasion de l'Égypte.
Carte de l’Empire byzantin en 1180 à la mort de Manuel.
Alors que l'Empire byzantin se projette dans des conquêtes lointaines et coûteuses tant en hommes qu'en argent, les Seldjoukides se renforcent, profitant de l'accalmie qui règne en Anatolie. KılıçArslanII élimine d'abord son principal rival, l'émir danichmendide[94]. Il tente même de s'allier avec Nur ad-Din, mais doit renoncer à son projet face aux inquiétudes de l'Empire byzantin. Le traité de 1162 est renouvelé en 1173, mais rapidement, il apparaît que KılıçArslanII refuse de payer le tribut en or ainsi que de rendre à l'Empire byzantin certaines villes frontalières[95] commeSébaste.
Ces provocations déclenchent une campagne punitive de Manuel vers la capitale du sultanat, Iconium. Les Turcs lui proposent alors la paix, ce qu'il refuse malgré les avis contraires de certains de ses généraux[96]. Il divise alors son armée en deux colonnes ; la première, dirigée par Andronic Vatatzès, se dirige versAmasya, mais tombe dans une embuscade où Andronic perd la vie. De même, l'armée de Manuel, qui continue de marcher vers Iconium, doit se déplacer au travers de défilés souvent boisés. C'est ainsi que l'armée byzantine tombe dans une embuscade près de la forteresse de Myrioképhalon le[97]. C'est surtout l'aile droite qui souffre des assauts ennemis avant que Manuel ne réussisse à chasser les archers turcs. Les pertes sont nombreuses des deux côtés mais surtout, l'armée byzantine perd dans la bataille ses machines de siège, ce qui rend désormais impossible la prise d'Iconium. Malgré tout, la paix signée à l'instigation de Kılıç Arslan est relativement avantageuse pour les Byzantins[94], et seules les forteresses de Dorylée et Soublaion sont démantelées[94].
Pour les Turcs, cette victoire leur permet de consolider leur position et ils deviennent une puissance importante[98] : d'une part, ils ne forment plus qu'un seul État, et d'autre part ils prouvent leur capacité à résister aux assauts byzantins. Ces derniers ont pourtant progressivement regagné du terrain en Asie Mineure depuis l'avènement des Comnène, et bien que cette défaite ne remette pas en cause ces gains territoriaux, elle affaiblit la position de l'Empire byzantin, contraint de cohabiter avec un État occupant certains de ses territoires les plus anciens.
La défaite de Myrioképhalon n'est pas suivie d'une invasion turque. En effet, en 1177, une attaque turque est repoussée àHyelion et Leimocheir, et certains territoires sont gagnés par les Byzantins. Pourtant, à la mort de Manuel en 1180, les frontières de l'empire sont plus fragiles qu'à son avènement[99]. À l'est, les Seldjoukides sortent renforcés de la bataille de Myrioképhalon, l'Empire byzantin ayant montré son incapacité à reprendre l'ensemble de l'Asie mineure. Bien au contraire, après Myrioképhalon, les Seldjoukides sortent de la vassalité dans laquelle ils étaient durant la plus grande partie du règne de Manuel.
À l'image de la bataille de Manzikert, ce n'est pas tant la défaite de Myrioképhalon qui est désastreuse pour l'Empire byzantin, mais ce qui s'ensuit. En effet, la mort deManuelIer entraîne une nouvelle période d'instabilité pour l'Empire byzantin. Dès 1182, le jeuneAlexisII Comnène (1180-1182) est renversé parAndronicIer Comnène, lui-même déposé parIsaacII Ange (1185-1195) en 1185. KılıçArslanII tire profit de la situation pour contrôler les côtes méridionales de l'Anatolie[N 7] etprend possession deCotyaeum et de Sozopolis avant de faire la paix avecIsaacII.
Mais la situation se dégrade aussi pour le sultanat de Roum. À la fin de son règne, Kılıç Arslan procède à la division de son territoire entre ses dix fils. De plus, latroisième croisade menée parFrédéric Barberousse, après avoir causé des dommages au sein de l'Empire byzantin, entre en territoire seldjoukide. La ville d'Iconium est prise et Kılıç Arslan est contraint d'accepter le passage de Frédéric Barberousse sur son territoire, même si cette exigence est remise en cause par les fils de Kılıç Arslan, après la mort de celui-ci en 1192. Cette période de troubles suit le déclin général des Seldjoukides. En effet, l'empire irakien des grands Seldjoukides disparaît en 1194. Au sein du sultanat, l'avènement deKayKhusrawIer[N 8] (1192-1197) ne change rien à la situation et les querelles entre frères continuent.
Du côté byzantin, l'arrivée au pouvoir d'Isaac Ange n'enraye pas le déclin de l'empire, bien au contraire. LaBulgarie se révolte et se constitue en État indépendant, tandis queThéodore Mancaphas réussit à se rendre maître d'un territoire enLydie. Finalement vaincu parBasile Vatatzès, il se réfugie auprès du sultan d'Iconium, qui lui fournit des troupes pour ravager les terres byzantines avant qu'il ne soit fait prisonnier[100]. La fin duXIIe siècle voit le pouvoir changer de main dans les deux camps :AlexisIII Ange (1195-1203) renverse son propre frère et prend la direction de l'Empire byzantin en 1195 tandis que KayKhusrawIer est renversé parSüleymanII Shah (1197-1204) en 1197, et doit se réfugier d'abord àDamas, puis à Constantinople[98].
Malgré des difficultés chez les deux adversaires, les Turcs réussissent à grignoter des territoires aux dépens des Byzantins. C'est ainsi qu'en 1197, Maçoud[N 9], l'émir d'Angora (Ankara) prend possession de plusieurs cités paphlagoniennes où les populations grecques sont contraintes à la fuite et remplacées par des Turcs[101]. En 1198, c'est l'interception par le sultan de Roum de deux chevaux, envoyés par Saladin à l'Empire byzantin, qui met le feu aux poudres.AlexisIII réplique en arrêtant tous les marchands ayant commercé avec Iconium. En représailles, la vallée du Méandre est ravagée impunément par le sultan[102].
Le début duXIIIe siècle est marqué par laquatrième croisade et laprise de Constantinople par les croisés, que ne peuvent empêcher niAlexisIII niAlexisV. En 1203,AlexisIII préfère fuir devant l'assaut des troupes croisées sur Constantinople, qui placentAlexisIV (1203-1204) etIsaacII (1203-1204) sur le trône. Toutefois, c'est en 1204, après l'usurpation du trône impérial parAlexisV, que Constantinople est prise par les Croisés. Cet événement a d'énormes conséquences pour l'Empire byzantin. Constantinople devient la capitale de l'empire latin de Constantinople[N 10].
La prise de la ville par les croisés entraîne l'éclatement de l'Empire byzantin : celui-ci se divise en trois territoires. À l'ouest, ledespotat d'Épire est dirigé parMichel Doukas ; dans la région de l'ancienroyaume du Pont, l'empire de Trébizonde est fondé parAlexis (1204-1222) etDavid Comnène (1204-1214), deux petits-fils d'Andronic Comnène. À l'ouest de l'Anatolie, l'empire de Nicée, fondé parThéodore Lascaris (1204-1222) avec le soutien du sultan d'Iconium, est ce qui reste de l'Empire byzantin[N 11].
Lutte entre Turcs et États grecs de Nicée et de Trébizonde (1204-1261)
La situation de l'Empire byzantin en 1204 (les frontières sont approximatives).MichelVIII Paléologue, le restaurateur de l'Empire byzantin est le dernier empereur à régner sur un Empire byzantin autant asiatique qu'européen.
La prise de Constantinople a des conséquences capitales dans la lutte entre l'Empire byzantin et les Turcs. Désormais, les Byzantins sont divisés en trois États différents dont deux sont exclusivement situés en Anatolie. Quant au sultanat de Roum, il voit le retour en 1205 de KayKhusrawIer (1205-1211) qui dépose le jeuneKılıçArslanIII (1204-1205). Les relations entre Grecs et Turcs deviennent alors plus complexes, car les Seldjoukides combattent non plus un mais deux adversaires qui se combattent parfois eux-mêmes.
À partir de1210, les rapports pacifiques qui existent entre Nicée et Iconium se dégradent. Déjà, en 1207, les Seldjoukides ont repris Laodicée de Phrygie[103]. Kay Khusraw s'allie à l'empereur latin en 1209[104],[105] et prévoit d'attaquer l'empire de Nicée, prétextant sa volonté de rétablirAlexisIII sur le trône[106]. Cependant, il subit une défaite lors de labataille d'Antioche du Méandre en 1211 et périt des mains de Théodore durant la bataille[107].
Cette victoire permet à Théodore de consolider sa frontière orientale et c'est la dernière grande confrontation entre les Byzantins et les Seldjoukides. En effet, la succession de Kay Khusraw suscite des animosités entre ses fils.KayKâwusIer (1211-1220) réussit à prendre le dessus et signe la paix avec l'empire de Nicée[108]. Théodore profite d'ailleurs des conflits internes des Seldjoukides pour procéder à des conquêtes enCarie, enCappadoce ainsi qu'enGalatie, sur les bords de la mer Noire[109]. L'empire de Trébizonde ne profite pas autant des problèmes des Turcs, bien au contraire :AlexisIer est capturé par Kay Kâwus lors d'une partie de chasse en 1214. Bien qu'il soit finalement libéré, l'empire de Trébizonde est contraint de céder la ville deSinope et l'empereur subit la tutelle du sultan. Cette acquisition, couplée avec la prise d'Antalya en 1207, permet aux Seldjoukides de devenir un important carrefour commercial dans la région[110]. De plus, les deux empires grecs d'Anatolie sont définitivement séparés.
Les années qui suivent ne sont agitées par aucun trouble marquant entre les Seldjoukides et l'empire de Nicée.JeanIII Vatatzès (1222-1254) a même renforcé les liens commerciaux avec les Seldjoukides tout en instaurant un système de fiefs militaires pour défendre la frontière[111]. C'est l'empire de Trébizonde qui subit les velléités offensives des Turcs. AinsiKayQubadhIer (1220-1237), le successeur de Kay Kâwus, doit mener une offensive contre Trébizonde dont l'empereur,AndronicIer Gidos (1222-1235), cherche à se défaire de son lien de vassalité avec le sultan. Il tente de reprendre la ville de Sinope et attaqueSamsun. La flotte seldjoukide réplique en attaquant une partie de la côte de l'empire, tandis queTrébizonde est assiégée. Le siège est finalement levé, mais après avoir soutenu sans réussite les adversaires des Seldjoukides, Andronic n'a pas d'autre choix que de renouveler le traité de vassalité et de payer un tribut au sultanat[112]. Toutefois, le sultanat seldjoukide voit ses frontières orientales menacées par l'avancée desMongols dirigés parGengis Khan (1206-1227) puisÖgedeï (1229-1241), avec qui il signe un traité de paix.
Malgré cette précaution,KayKhusrawII (1237-1246), le successeur de Kay Qubadh, affronte une armée mongole en 1243. Son armée comprend d'ailleurs un contingent provenant de Trébizonde. L'empereurManuelIer (1238-1263) honore ainsi son titre de vassal. Malgré sa supériorité, Kay Khusraw est écrasé lors de labataille de Köse Dağ le. Cette bataille marque le début du déclin du sultanat seldjoukide alors même qu'il était encore au faîte de sa puissance à la mort de Kay Qubadh en 1237. Un tel événement change la situation des empires grecs. Les Mongols sont alors la puissance majeure en Asie mineure etJeanIII Doukas Vatatzès, le nouvel empereur de Nicée, signe un traité d'alliance avec le sultan de Roum[113] tandis que l'empereur de Trébizonde devient vassal des Mongols, de même que son ancien suzerain KayKhusrawII[114].
Jusqu'en juillet 1261 et la reprise de Constantinople parMichelVIII Paléologue, le sultanat de Roum n'est plus une menace pour l'empire de Nicée. La mort de Kay Khusraw en 1246 est à l'origine d'une nouvelle crise de succession qui se termine par la mise en place d'une sorte de triumvirat à la tête du sultanat[N 12]. Une telle division profite aux Mongols qui s'immiscent progressivement dans les affaires intérieures turques. Du côté byzantin, les frontières orientales n'intéressent guère les empereurs de Nicée qui se concentrent sur la reprise de terres européennes, avec comme objectif la reprise de Constantinople. Les relations entre les deux États sont donc relativement pacifiques, y compris lorsque Michel Paléologue (le futur empereurMichelVIII) trouve refuge à Iconium alors qu'il est accusé de conspiration parThéodoreII Lascaris (1254-1258). Il devient une sorte de mercenaire et le sultan d'Iconium lui fournit des troupes pour combattre les Mongols[115]. Malgré cette aide, le sultanat est ravagé par une expédition turque et le sultan d'Iconium demande à Théodore de lui fournir des troupes conformément au traité signé entreJeanII et Kay Khusraw. En échange, le sultan offre à l'empereur les villes deLaodicée et deChônai[116]. Malgré cela,ThéodoreII n'envoie qu'un petit contingent[117], sa lutte contre le despotat d'Épire ne lui permettant pas d'envoyer de nombreux soldats dans des campagnes hasardeuses.
Cette situation de calme perdure jusqu'à la reprise de Constantinople parMichelVIII (1261-1282) en 1261. À cette date, l'Empire byzantin semble être paradoxalement en position de force par rapport aux Turcs. Sa relâche et sa division ne l'empêchent pas de survivre alors que le sultanat de Roum connaît sous le règne de KayQubadhIer son apogée. Mais dès la mort de celui-ci, les invasions mongoles ont en fait quasiment détruit l'hégémonie seldjoukide au sein de la communauté turque qui se désagrège très vite, ce qui permet à l'Empire byzantin de garder ses territoires asiatiques malgré les nombreuses guerres qu'il mène enEurope.
Constitution de l'Empire ottoman et déclin de l'Empire byzantin (1261-1402)
AndronicII échoue dans ses tentatives de préserver les derniers territoires asiatiques de l'Empire byzantin.L’Empire byzantin sousMichelVIII en 1265.
SousMichelVIII Paléologue, la situation asiatique de l'Empire byzantin n'a pas vraiment changé par rapport à 1204. La plus grande perte est probablement l'indépendance de l'empire de Trébizonde qui prive l'Empire byzantin d'une importante place commerciale. À l'image de ses prédécesseurs, Michel continue de mener une politique offensive en Europe en cherchant à réintégrer le despotat d'Épire dans l'empire et à éviter une nouvelle croisade contre lui. Dès lors, il n'a plus les moyens pour mener une politique d'envergure en Asie mineure, malgré la désagrégation du sultanat de Roum. Bien au contraire, il signe la paix avec le MongolHoulagou Khan, qui règne dans la région ; amitié destinée à servir de bouclier contre d'éventuelles intentions offensives du sultanat de Roum[118]. En fait, il ne négocie presque plus avec les Turcs, qui ne sont plus qu'une puissance secondaire, mais plutôt avec les Mongols ou les Musulmans telsBaybars (1260-1277).
Les Seldjoukides, conduits depuis 1265 parPervane (1265-1277), le régent deKayKhusrawIII (1265-1284), ambitionnent de chasser les Mongols d'Anatolie. C'est dans ce but qu'est signée une alliance secrète avec Baybars[119]. Les Mongols sont ainsi défaits par Baybars à labataille d'Elbistan et en représailles, les Mongols exercent une lourde répression sur les Seldjoukides, coupables d'avoir fui durant la bataille.
Dans ce contexte, les Turcs seldjoukides ne peuvent plus espérer de conquêtes sur l'Empire byzantin. La mort de Pervane en 1277 met un terme de fait au sultanat de Roum. Son sultan, Kay Khusraw, est soumis aux volontés mongoles et les tribus turkmènes, traditionnels soutien des Seldjoukides, constituent desbeylicats, toujours plus hardis et de moins en moins enclins à reconnaître l'autorité des Seldjoukides.
Parmi ces principautés, celle desKaramanides s'empare de Konya le[120]. Les autres principaux beylicats sont ceux desGermiyanides, desSaruhanides, desAydinides qui prennent leur indépendance à la fin duXIIIe siècle. De même, la tribuKayı, qui donne naissance plus tard auxOttomans, s'établit à la frontière entre les territoires turcs et byzantins.Söğüt, prise aux Byzantins en 1265, devient la première capitale du beylicat ottoman[121].
En outre, la reprise de Constantinople en 1261, suivie par la disparition de l'Empire latin de Constantinople, déplace le centre de gravité de l'empire en dehors des territoires asiatiques[124]. Les frontières sont alors libérées de toute contrainte pour les émirats turcs qui multiplient leurs incursions dans la vallée du Méandre et enCarie[N 13]. Face au danger, Michel envoie son frèreJean Paléologue, qui réussit à mettre la région en état de défense et à y mettre fin aux incursions turques. Restauration éphémère : son départ est suivi de nombreux raids turcs, qui aboutissent à la prise de Tralles[125],[126]. En réaction,AndronicII, le fils de Michel, est envoyé contre les Turcs en 1281. Il reprend la ville deTralles, renommée Andronicopolis. Mais les défenses insuffisamment reconstruites, ainsi que le manque d'approvisionnement, entraînent la chute de la ville, prise par les Turcs[127]. Le traité qui s'ensuit livre la ville aux Turcs ; ils y installent un émirat qui menace de plus en plus les possessions asiatiques de l'Empire byzantin[128]. En fait, c'est l'ensemble de ces possessions qui sont progressivement traversées par des bandes turques qui, à l'image de ce qui s'était passé à la fin duXIe siècle, exercent un contrôle de plus en plus important sur ces territoires. Si les villes arrivent parfois à résister, il n'en est pas de même des campagnes traversées par les bandes turques[129].MichelVIII réussit cependant à repousser les Turcs de laBithynie lors d'une campagne en 1281 et fortifie les rives du fleuveSangarios[130].
OsmanIer accompagné de guerriers Ghazis. Ces derniers très combatifs fournissent les meilleures troupes à l'armée ottomane naissante.
Néanmoins, le mouvement d'invasion s'accélère après la mort deMichelVIII en 1282. De plus, certains habitants des territoires asiatiques de l'Empire byzantin se considèrent abandonnés par le pouvoir central, ce qui donne lieu à une rancœur tenace qui s'exprime notamment par une adhésion à la doctrinearsénite. Ce mouvement apparaît à la suite de la destitution du patriarcheArsène Autorianos parMichelVIII. Les arsénites contestent cette destitution et refusent de reconnaître l'autorité des patriarches succédant à Arsène. Au-delà de cette querelle religieuse se cache une question politique. Les arsénites sont bien souvent les partisans de l'ancienne famille régnante des Lascaris remplacée par les Paléologue. Pendant ce temps, les Ottomans, encore secondaires par rapport à d'autres émirats, s'étendent pourtant de plus en plus et occupent laBithynie[131].
Durant sept années, le nouveaubasileus ne se préoccupe pas des affaires asiatiques et ne mène pas de campagne contre les Turcs, contrairement aux volontés de son père[132]. Cependant, à partir de 1290,AndronicII commence à s'intéresser à ses possessions asiatiques, qu'il tient à ne pas perdre. Il y construit des forts et entraîne son armée en préparation à des campagnes contre les émirats turcs[133]. Il transporte aussi sa cour en Anatolie pour mieux superviser les opérations. Il tente même de reconstituer le système desakritoi ou des colons supprimés parMichelVIII le long de la frontière avec les Turcs, mais sans succès[134]. Ensuite, il ordonne au généralAlexis Philanthropénos de repousser les Turcs. Ce dernier, après une campagne victorieuse dans la vallée du Méandre et en Carie, tente de se rebeller, mais il est vaincu[135], malgré le soutien des populations libérées[N 14]. Cet événement conduit à l'abandon de la campagne en décembre 1296.Jean Tarchaniotès est alors nommé général dans la région la même année. Malgré de nombreux succès, il est contraint d'abandonner son poste devant l'opposition du patriarche et celle de ses officiers, qui lui reprochent de ne pas les laisser se servir dans la solde des soldats[136]. Les généraux qui viennent ensuite n'arrivent pas, quant à eux, à obtenir les succès de leurs prédécesseurs, et tolèrent les dévoiements financiers de leurs officiers[137].
De leur côté, les émirats de Saroukan, Kermian et Karaman occupent les provinces maritimes et s'étendent à l'intérieur des terres aux dépens des Byzantins[138]. Or, malgré les dires de Théodore Métochitès[N 15], le règne d'Andronic se caractérise par une suite de défaites pour l'Empire byzantin. Ainsi, en 1302, à labataille de Bapheus, l'armée byzantine dirigée parMichelIX Paléologue est vaincue par les troupes ottomanes d'OsmanIer (1281-1326)[N 16], qui capturent plusieurs forts situés entre Nicée etNicomédie[133]. Deux ans après, c'estProgonos Sgouros, le commandant des arbalétriers byzantins qui est vaincu dans la région de Kaitokia[139]. Les villes deBithynie tentent tant bien que mal de résister aux assauts turcs. La défense dePhiladelphie est prise en main par l'évêque, Magnésie est dirigée de manière quasi indépendante par Attaliotès etMichelIX réussit à tenirPergame quelques mois avant de se replier à Constantinople[140].
Seul un secours extérieur paraît alors pouvoir sauver les dernières possessions asiatiques de l'Empire byzantin. Andronic demande d'abord l'aide deMahmoud Ghazan Khan, le khan mongol de Perse, mais celui-ci meurt en 1304. Il tente de faire une offre comparable à son successeur en 1305 et même si les Mongols promettent d'envoyer 40 000 hommes contre les Turcs selon Georges Pachymérès, le seul résultat de ces contacts consiste en la prise d'une forteresse byzantine par les Ottomans, pour sanctionner ces agissements. Cette nouvelle perte contribue à supprimer les communications entre Nicée et Nicomédie[141]. Cependant, entre-temps,AndronicII reçoit le soutien d'une compagnie deCatalans qui se met au service de l'empire contre les Turcs.
OsmanIer, le fondateur de l'émirat ottoman contribue à la perte des territoires asiatiques de l'Empire byzantin.
Cette compagnie, dirigée parRoger de Flor, est levée parFrédéricII de Sicile pour combattreCharlesII d'Anjou. Lorsque la paix intervient entre les deux souverains, elle se trouve libre. Roger de Flor offre alors ses services à Andronic en échange du titre de mégaduc, de la main d'une princesse byzantine, ainsi qu'une solde pour l'ensemble de ses soldats deux fois supérieure à celle que l'on donne aux mercenaires habituels[142]. Cette troupe plutôt indisciplinée est envoyée en Asie parAndronicII alors même que les Turcs envahissent les dernières terres byzantines de l'Anatolie laissées à l'abandon.
En, les 6 000 Catalans sont à Cyzique et obligent les Turcs à lever le siège[143]. En avril, ils se lancent dans la conquête de l'Asie mineure et écrasent les Turcs qui assiègentPhiladelphie[144]. L'ensemble des troupes turques qui s'opposent à leur progression est vaincu et bientôt Roger de Flor et ses hommes sont dans leTaurus. C'est dans cette région qu'ils battent une armée turque aux Portes de Fer[145]. Mais ces conquêtes sont réduites à néant par la mésentente croissante entre les Catalans et les habitants de l'Anatolie. Ainsi, à Magnésie, les habitants pillent le butin accumulé par Roger de Flor et lorsque ce dernier revient, il met le siège devant la cité[144]. Finalement, il ne peut continuer sa campagne contre les Turcs car Andronic le rappelle en Europe où il est en guerre contre les Bulgares[146].
Cependant, les relations se dégradent entre les Catalans installés depuis leur retour à Gallipoli[N 17] parBerenguer d'Entença et les Byzantins. La situation est désastreuse pour l'Empire byzantin, les Catalans se sont forgé un territoire indépendant au sein même de l'empire tandis que les Turcs reprennent les territoires perdus et assiègentPhiladelphie. Andronic réussit pourtant à convaincre Roger de Flor de combattre les Turcs et celui-ci s'apprête à s'acquitter de sa tâche avec 3 000 hommes[147] avant d'être assassiné sur les ordres deMichelIX ()[N 18].
La réaction catalane ne se fait pas attendre. Ils pillent impunément une grande partie des terres européennes pendant près de deux ans, entraînant avec eux des soldats de diverses nationalités, y compris des Turcs[148]. Finalement, après s'être divisés, les Catalans fondent leduché de Néopatrie. Ces troubles profitent bien sûr aux Turcs qui, à l'exception de la Bithynie et de quelques autres villes, ont pris toutes les villes anatoliennes de l'Empire byzantin. Ainsi, la cité d'Éphèse est prise par Sasa Bey, un lieutenant du clan deMenteşe, le, après avoir pris le contrôle de la vallée duCaystre, etMagnésie tombe aux mains des Saruhanides en 1313. Il en est ainsi pour de nombreuses cités byzantines.
Désagrégation de l'Empire byzantin et naissance de la puissance ottomane
Alors même que les Byzantins perdent leurs dernières places fortes asiatiques, les Turcs commencent leurs incursions européennes. Celles-ci ont commencé en parallèle avec les pillages menés par la compagnie catalane enThrace. Mais le départ de celle-ci pourAthènes ne signifie pas le retour à la paix pour la péninsule de Gallipoli et ses alentours. De nombreux Turcs prennent le relais des Catalans et pillent la Thrace.MichelIX est une première fois vaincu par les Turcs dirigés par Halil en 1311. Il faut attendre 1314 pour qu'une nouvelle armée soutenue par les Serbes n'arrive à encercler et à vaincre les 1 800 Turcs présents dans la péninsule de Gallipoli[149]. Dans le même temps, les Ottomans prennent le contrôle de l'île d'İmralı située enmer de Marmara grâce à l'action de l'amiral Emir Ali. C'est la première des îles de cette mer à être occupée par les Turcs et ces derniers y installent une base navale leur permettant de couper les communications entreBrousse et le reste de l'Empire.
De surcroît, l'année 1321 marque le début d'une nouvelle guerre civile désastreuse pour l'Empire byzantin. Elle opposeAndronicII à son petit-filsAndronicIII qu'il déshérite au profit d'un bâtard de son second fils Constantin. Cette guerre civile qui dure jusqu'en 1328 achève de désorganiser l'empire qui ne peut défendre les quelques places fortes qu'il garde encore en Anatolie. La plus grande perte est celle de la ville deBrousse, réduite par la famine le[150]. Les Ottomans qui en sont les nouveaux maîtres en font leur capitale à partir du règne d'Orkhan (1326-1360), le successeur d'OsmanIer. Cependant,AndronicII réussit de nouveau à sauver Philadelphie en rappelant le général Philanthropénos, qui, malgré sa cécité et son âge avancé, réussit à repousser les Turcs[151]. Malgré, tout, à cette date, les Ottomans, alors qu'ils ne sont qu'un petit émirat parmi d'autres, font déjà figure d'adversaire principal pour l'Empire byzantin.
La victoire d'AndronicIII (1328-1341) en 1328 met provisoirement fin à la guerre civile. Le nouvel empereur souhaite restaurer la grandeur de l'empire mais celui-ci ne peut assurer une guerre sur deux fronts, à la fois contre les Serbes et les Bulgares et contre les Turcs. Andronic se concentre plutôt dans la lutte contre les premiers et essaie de sauvegarder ses derniers territoires asiatiques en signant en 1329 un traité avec l'émir de Phrygie (Saroukhan)[152], le plus puissant des émirs turcs qui réside àKütahya et Umur Bey, l'émir de Smyrne. Mais il ne peut empêcher les Ottomans de poursuivre leurs incursions. En 1328, ils mettent le siège devant Nicée. Andronic tente de faire lever celui-ci en envoyant une armée de 2 000 hommes en Asie Mineure, qu'il dirige avecJean Cantacuzène[153]. Celle-ci est battue le àPélékanon[154],[155].
Après cette défaite, le gouverneur de Nicée comprend qu'il n'a plus aucune chance d'être secouru et livre la ville aux Turcs le[156]. C'est ensuite la ville deNicomédie qui est prise d'assaut. En 1333,AndronicIII vient pourtant traiter directement avec Orkhan à qui il donne 12 000 hyperpères d'or en échange de la sauvegarde des dernières terres byzantines de l'Asie Mineure[157]. Pourtant, la cité de Nicomédie tombe en 1337[158] et seules des villes commePhiladelphie ouHéraclée du Pont sont encore byzantines en Asie.
AndronicIII, entre alliances et belligérance avec les Turcs
À cette date, l'émirat ottoman devient une force de plus en plus importante qui se lance à l'assaut de ses voisins. En fait, les Ottomans profitent de leur proximité d'avec les territoires byzantins pour gagner en puissance. En effet, les autres émirats turcs, en atteignant les rivages de lamer Égée, peinent à trouver des territoires pouvant satisfaire leurs ambitions[159]. Au contraire, les Ottomans, obligés de faire face à la résistance byzantine réussissent à entretenir une ferveur guerrière et une forte combativité, attirant des troupes parfois indisciplinées (lesghazis) mais qui, installées aux frontières de l'Empire byzantin, peuvent ravager celui-ci[160]. En définitive, Osman se retrouve très tôt avec une très forte population au sein de son territoire qu'il réussit cependant à discipliner pour que son émirat ne perde pas en cohésion[161],[N 19].
Les autres émirats turcs n'en sont pas moins de dangereux adversaires pour l'empire, notamment ceux qui — au contraire de Constantinople — disposent d'une force maritime importante. Ainsi, plusieurs flottes de corsaires turcs mettent à mal les communications byzantines enmer Égée. La principale est au service de Saroukhan,émir de Magnésie ;Umur Bey,émir d'Aïdin à Smyrne et Khidr beg, émir d'Éphèse, entretiennent également chacun une flotte menaçante pour les Byzantins[162]. Les îles de la mer Égée contrôlées soit par les latins, soit par les byzantins, soit par lesHospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem), une défense coordonnée est difficile. Les Hospitaliers arrivent avec succès à défendre leurs possessions contre les émirs turcs mais cela ne suffit pas à les arrêter.
En 1333, les côtes de la Thrace sont ravagées par un raid maritime de Saroukhan, émir de Phrygie, dont les troupes débarquent ensuite. L'armée d'Andronic a cependant un effet dissuasif face aux violations répétées du traité de 1329 par Saroukhan. Andronic est même obligé de diriger une expédition pour chasser les Turcs deRodosto[163]. À partir de 1332, Andronic fait partie de la ligue des puissances chrétiennes, une ligue navale composée des Byzantins, des Vénitiens, des Hospitaliers et des Francs deChypre. Le but de cette dernière estSmyrne d'où partent les expéditions d'Umur bey. La ville n'est cependant pas attaquée et la ligue doit se contenter de quelques victoires sur l'émir de Karasi avant que la mort du papeJeanXXII, l'initiateur du mouvement, ne mette un terme aux activités de la ligue[164].
Les Turcs commencent même à assaillir l'Europe et Andronic doit une nouvelle fois les repousser près deThessalonique puis dans les environs de Constantinople. Pour faire face à ces multiples attaques, Andronic permet à Benoît etMartin Zaccaria de devenir souverain de l'île deChios. Ces derniers remportent plusieurs succès contre les corsaires turcs. Grisé par ces victoires, Martin s'éloigne de la tutelle byzantine et prend seul la direction de l'île. Face au danger d'une nouvelle puissance concurrente, Andronic envoie une centaine de navires qui reprennent l'île en 1329. Paradoxalement, c'est avec l'aide de Saroukhan et d'Umur bey qu'Andronic peut reprendre le contrôle de l'île deLesbos et de la ville dePhocée aux Italiens en 1335[162]. Ainsi, Saroukhan lui envoie des hommes et ravitaille l'armée impériale durant son siège de Phocée. Umur bey quant à lui signe un traité qui instaure une alliance défensive entre les deux États contre les Ottomans et les Italiens[165] tandis qu'Umur bey voit son État reconnu par Andronic qui lui fournit en outre, une somme de 100 000 hyperpères[166]. Ces alliances avec les émirs turcs peuvent apparaître étonnantes mais à cette date, l'Empire byzantin craint surtout les multiples seigneurs italiens implantés en mer Égée et qui menacent les possessions de l'empire, d'autant plus que la papauté se refuse à admettre l'entrée des Byzantins dans une éventuelle croisade[167]. Saroukhan ou Umur bey apparaissent alors comme des alliés possibles pour Constantinople.
Vue satellite de la péninsule de Gallipoli, qui devient en 1354 le premier territoire européen conquis de manière durable par les Turcs.L'Empire ottoman en 1359
La mort d'AndronicIII en 1341 est à l'origine d'une nouvelle guerre civile désastreuse pour l'empire[N 20]. Celle-ci éclate entre Jean Cantacuzène, nommé régent deJeanV Paléologue (1341-1376) etAnne de Savoie, la femme d'AndronicIII, lorsque celle-ci, sous l'influence du patriarche Jean Calecas, démetJean Cantacuzène de toutes ses fonctions[168]. En réaction, il se proclame empereur le sans toutefois remettre en cause la place sur le trône deJeanV[169]. Pour parvenir à ses fins, Jean Cantacuzène fait appel à Umur bey mais l'armée de celui-ci échoue à prendre Thessalonique[170] et il doit retourner àDidymotique en[171],[172]. Jean Cantacuzène est alors acculé par les troupes serbes et bulgares qui soutiennent Anne de Savoie. Mais les soldats d'Umur bey, toujours présents en Thrace, les repoussent. Devant les défaites d'Umur bey face à la croisade de l'Archipel[N 21], Jean Cantacuzène demande l'aide d'Orkhan[173] à la fin de l'année 1344 et lui donne sa fille Théodora en mariage[174]. En échange, Orkhan lui fournit 6 000 hommes alors qu'il vient de les refuser à Anne de Savoie[175]. Cette dernière réussit alors à obtenir de Saroukhan l'envoi de 6 000 hommes destinés à combattre Jean Cantacuzène, mais qui préfèrent piller les alentours de Constantinople et s'attaquer à la Bulgarie plus riche[176]. Finalement, en 1347, Jean Cantacuzène pénètre à Constantinople. À la même époque, les Ottomans prennent le contrôle du beylicat desKaresioğulları. En Europe, les troupes turques qui soutiennent Jean Cantacuzène — couronné entre-temps sous le nom deJeanVI (1347-1354) — menacent l'intégrité de l'Empire byzantin.JeanVI etJeanV Paléologue, les deux empereurs, sont obligés de les combattre en 1348 alors qu'ils reviennent vers Constantinople[177].
Les Ottomans sont cependant les meilleurs alliés deJeanVI dans ses diverses campagnes. Ainsi, lorsqueJeanV, qui possède le territoire desRhodopes, etMathieu Cantacuzène qui a dû céder celui-ci à la place des territoires environnants Andrinople se livrent à une véritable guerre, c'estJeanVI qui intervient avec l'aide des Ottomans dirigés par Soliman, le fils d'Orkhan pour rétablir Mathieu dans ses droits. Mais les territoires de Mathieu sont pourtant pillés par les Ottomans[178] qui réussissent toutefois à repousser une armée serbo-bulgare venue soutenirJeanV[179]. En 1350, lorsque la rébellion zélote menace de séparer Thessalonique du reste de l'empire,JeanVI obtient dans un premier temps l'aide de 20 000 cavaliers turcs pour reprendre le contrôle de la cité. Même si cette troupe repart en Asie Mineure avant l'opération, Jean réussit à obtenir l'aide de 22 bateaux pirates turcs, qui lui permettent de ramener Thessalonique dans le giron de l'empire[180]. En 1350,JeanVI utilise des navires turcs qui remontent le fleuve pour reprendreBéroia, tombée aux mains des Serbes quelques années auparavant[181]. De même, lorsque les Serbes acquis à la cause deJeanV attaquent l'Empire byzantin, ce sont 10 000 Ottomans[182] (Nicéphore Grégoras parle de 12 000[183]) qui viennent au secours deJeanVI et repoussent les Serbes en 1352. De nouveau, les territoires byzantins sont pillés[184]. Les Turcs en profitent pour s'installer en Thrace et occuper la forteresse de Tzimpé près deGallipoli[185]. Jean Cantacuzène demande sans succès aux Ottomans de rendre cette place aux Byzantins en échange de 10 000 hyperpères d'or[186] et s'apprête à demander l'arbitrage d'Orkhan, le père de Soliman[187],[N 22]. Cependant, le, un tremblement de terre dévaste la cité de Gallipoli et les Turcs profitent de la situation pour s'en emparer et en faire une tête de pont pour leurs conquêtes européennes[188]. Les rançons et les multiples demandes deJeanVI demandant à Orkhan d'abandonner la cité sont inutiles[189]. Dès lors, l'alliance byzantino-ottomane est rompue etJeanVI ne peut plus espérer conserver son trône. La population considère que son alliance avec les Turcs est la source des problèmes de l'empire[190] et la prise de Gallipoli crée un mouvement de panique dans la population qui craint que Constantinople ne soit menacée. À la fin de l'année 1355,JeanV prend la tête de l'empire etJeanVI se retire dans un monastère[191].
La péninsule balkanique à la veille de l'invasion ottomane.
À l'avènement deJeanV, la situation de l'Empire byzantin est désastreuse. Ses finances sont vides, ses guerres intestines l'ont ruiné et il apparaît de plus en plus divisé. Ainsi,Mathieu Cantacuzène, coempereur avec son père à partir de 1352 possède toujours le domaine d'Andrinople après l'arrivée au pouvoir deJeanV jusqu'en 1357. EnMorée, l'autre fils deJeanVI, Manuel, est despote deMistra. Presque indépendant de Constantinople, il y mène une lutte acharnée contre les pirates turcs[192]. L'émirat ottoman, lui, n'est pas le plus puissant de tous les États turcs, il ne contrôle que le nord-ouest de l'Anatolie. Mais la prise de Gallipoli lui offre un formidable tremplin pour des conquêtes européennes et l'Empire byzantin ne peut lui opposer aucune résistance. Ainsi, Orkhan accuseJeanV d'être coupable de la capture de son fils par des pirates phocéens. Jean est obligé de payer une rançon et doit reconnaître la tutelle ottomane sur les villes de Thrace dont Orkhan s'est emparé[193]. Dans cette deuxième moitié duXIVe siècle, l'Empire byzantin apparaît à la dérive et incapable de résister aux Ottomans qui enserrent de plus en plus Constantinople. De plus, en 1352, Orkhan s'est rendu maître deChalcédoine situé en face de Constantinople, sur la rive asiatique duBosphore. Dans cette situation, les Vénitiens ont même l'idée de prendre possession de Constantinople pour l'empêcher de tomber aux mains des Turcs[194].
En transférant sa capitale à Andrinople,MouradIer affirme le caractère européen de l'État ottoman.
De Gallipoli, les Ottomans menés par Soliman, le fils d'Orkhan se rapprochent peu à peu d'Andrinople après avoir sans succès soutenu Mathieu contreJeanV[195]. En 1359, les Ottomans se présentent devant Constantinople mais n'essaient pas d'en prendre possession[196]. En 1361, ils s'emparentDidymotique[197],[198] qui à l'image des villes deTchorlou etKirk Kilissé est plusieurs fois reprise par les Byzantins. Ces conquêtes ainsi qu'une victoire ottomane près deLulle Bourgas ouvrent la voie d'Andrinople aux Ottomans qui en prennent possession, provisoirement en 1361[193], définitivement en 1369[199],[N 23].MouradIer (1360-1389), le successeur d'Orkhan continue cette politique d'expansion européenne en obligeantJeanV à reconnaître sa souveraineté sur la Thrace. Les Ottomans, grâce au concours des différentes bandes turques présentes en Europe depuis plusieurs années prennent la ville dePhilippopolis en 1363[200]. Pour renforcer leur emprise sur les territoires nouvellement conquis, les Ottomans installent des colons turcs à la place des populations indigènes réduites en esclavage[201].
Face au danger,JeanV tente d'en appeler aux princes occidentaux pour qu'ils mettent en place une croisade contre les Turcs. Il essaie de renouer le dialogue avec l'autorité pontificale en promettant àInnocentVI qu'un légat permanent pourrait résider à Constantinople et intervenir dans les nominations ecclésiastiques. En échange, une croisade dirigée parJeanV serait lancée[202]. C'est le projet d'union qui ressurgit. Une nouvelle foisJeanV s'oppose au clergé byzantin, hostile à tout projet d'union sous l'égide pontificale. Ainsi, l'expédition du légat Pierre Thomas n'aboutit qu'à la reconquête provisoire deLampsaque. En 1366, c'estAmédéeVI de Savoie, cousin deJeanV, qui intervient à Constantinople.JeanV après un voyage en Europe pour mander l'aide des États chrétiens est détenu prisonnier par les Bulgares.AmédéeVI réussit à bloquer l'avance des Turcs en prenant d'assautGallipoli, dégageant l'accès maritime à Constantinople[202]. Après avoir contraint les Bulgares à libérerJeanV, Amédée chasse les Turcs de plusieurs forteresses de l'Hellespont avant de repartir enSavoie[203]. Cette expédition victorieuse ne permet cependant pas à l'Empire byzantin de reprendre possession de la Thrace alors que les Turcs présents eu Europe sont pourtant isolés du territoire ottoman[204]. De plus,LouisIer de Hongrie se refuse à intervenir contre les possessions européennes des Ottomans. Devant l'échec d'une croisade des États catholiques, certains dignitaires ecclésiastiques de Constantinople se tournent vers l'idée d'une croisadeorthodoxe.JeanV ne désespère pourtant pas d'obtenir le soutien de la papauté.
L'Empire byzantin à la recherche de soutiens extérieurs (1370-1389)
En 1369, le Basileus entreprend un nouveau voyage et lors de sa rencontre avecUrbainV il renonce à tous les dogmes contraires au rite catholique[205]. Cela est cependant insuffisant. D'une part, l'abjuration n'est pas le fait du clergé grec et d'autre part aucune croisade ne survient. SeuleVenise est intéressée par l'idée d'une croisade pour empêcher Constantinople de devenir turque.JeanV fait alors de lourdes concessions, il cède l'île deTénédos mais le refus de son fils Andronic qui assure la régence bloque l'accord. Finalement, un accord est trouvé etJeanV obtient un prêt de 30 000 ducats[206]. Cette intervention vénitienne est d'autant plus pressante que Mourad reprend ses offensives européennes. Très vite,Ivan Aleksandre Asen devient vassal des Ottomans et ces derniers atteignent les rives duDanube. Face à la pression turque,JeanV obtient même le commandement d'une petite flottille offerte par Venise pour lui permettre de rejoindre Constantinople[207]. Pendant ce temps, les efforts d'union des États orthodoxes au sein d'une croisade sont réduits à néant par les conquêtes ottomanes. Les Bulgares n'ont plus de marge de manœuvre, les Serbes sont écrasés à labataille de la Maritsa et les Byzantins profitent de cette défaite pour reprendreSerres[208] que les Ottomans tentent de leur reprendre en 1372 sans succès comme ils tentent de s'emparer de Thessalonique[209].
Ainsi, dès 1372, la Bulgarie et la Serbie deviennent des vassaux de l'Empire ottoman[210], mettant un terme à tout espoir de croisade orthodoxe. Les derniers voyages deJeanV en Europe, l'envoi d'ambassadeurs jusqu'au roi de FranceCharlesV restent lettre morte. Par conséquent,JeanV est contraint de signer un traité humiliant en 1374, se reconnaissant le vassal du sultanMouradIer[211] et peu après, il déshérite son filsAndronic de la succession au profit de son autre fils Manuel. C'est le début d'un nouvel affrontement fratricide au sein de l'Empire byzantin dont Mourad se sert à ses propres fins. Dans un premier, Andronic tente de se révolter et obtient le soutien deSaoudj, le fils du sultan. Ce complot est mis au jour et Saoudj est aveuglé par son père[212]. Sommé de faire de même avec Andronic,JeanV ne fait que le rendre borgne. Cela n'arrête pas Andronic qui profite de l'aide de Gênes pour s'évader. Il s'assure ensuite du soutien de Mourad au prix d'un lourd tribut[213]. En 1376, Andronic parvient à prendre le contrôle du trône byzantin et devient le nouveau basileus sous le nom d'AndronicIV (1376-1379). Une de ses premières mesures est de rendre Gallipoli aux Turcs[214],[N 24]. En 1379, ce sontJeanV et Manuel qui reprennent le pouvoir grâce au soutien de la marine vénitienne et de l'armée ottomane en renouvelant leurs engagements de vassalité auprès deMouradII[215] grâce à la promesse d'un tribut plus important que celui payé parAndronicIV et d'un engagement possible à céder de la ville de Philadelphie[216]. Au moment oùJeanV reprend le pouvoir effectif, en 1379, Constantinople ne semble pas pouvoir résister très longtemps[N 25].
Carte du Moyen-Orient vers 1389. L'Empire byzantin (en marron) se réduit à quelques territoires autour de Constantinople. À la suite de l'occupation de Gallipoli, les Ottomans (vert foncé) étendent rapidement leur suprématie sur la péninsule balkanique en soumettant la Serbie, ce qui leur donne un grand avantage sur les autres émirats turcs rivaux en Anatolie (en vert).
La bataille de Kosovo Polje confirme l'hégémonie turque sur la péninsule balkanique malgré l'union des États chrétiens.
L'Empire byzantin possède encore quelques territoires aux alentours de Thessalonique, dirigés par Manuel, le fils deJeanV qui s'est enfui de Constantinople pour mener lui-même la résistance. Ces territoires sont très vite convoités par Mourad. Après avoir prisSerrès le[217], Hayr-ad-Din, un général ottoman, assiège Thessalonique mais l'inexistence de marine ottomane fait durer le siège jusqu'en 1387, date à laquelle la cité cède[218],[219]. Les Ottomans quant à eux, continuent leur progression au sein de la péninsule balkanique notamment contre les chefsalbanais. En1386, ils prennent possession deSofia et s'ouvrent la voie du Danube. Toutefois, la lourde défaite des Ottomans à labataille de Pločnik marque le début d'une période de soulèvements dans les Balkans menée par des princes bulgares, serbes et valaques. Finalement, après avoir soumis la Bulgarie,MouradIer périt lors de labataille de Kosovo Polje en1389 qui se termine sur un succès ottoman et la soumission définitive de la Serbie[220].
C'est son filsBayezidIer (1389-1403) qui lui succède. Lorsque celui-ci accède au pouvoir, l'Empire ottoman reste très européen. Les émirats turcs de l'Asie Mineure sont loin d'être soumis. La politique deBayezidIer s'oriente donc dans trois directions. Renforcer l'emprise ottomane sur ses vassaux européens, soumettre les autres émirs turcs et enfin prendre Constantinople. L'Empire byzantin est alors soumis à une tutelle très étroite. Bayezid aide ainsiJeanVII Paléologue (-), le fils d'AndronicIV à prendre le trône qu'il garde quelques mois en 1390. Lorsqu'il est déposé parManuelII etJeanVII, il réussit à obtenir du sultan le territoire deSelymbria. C'est la même année que la dernière possession byzantine en Asie mineure tombe aux mains des Ottomans. La ville dePhiladelphie qui a pu garder son indépendance en échange d'un lourd tributtombe en1390[221] aux mains de Bayezid soutenu dans cette entreprise par un petit contingent byzantin mené parManuelII etJeanV[N 26].JeanV est ensuite sommé de détruire une forteresse qu'il vient de construire à proximité de laCorne d'Or[222]. Sa mort en 1391 ne change en rien la situation. Mais, son successeur Manuel (1391-1425), s'est échappé de Brousse pour ceindre la couronne impériale ce qui n'est pas du tout du goût de Bayezid. Ce dernier réagit en mettant en place leblocus de Constantinople avant de l'abandonner en 1392[223].
Pendant ce temps, l'un des derniers territoires encore sous souveraineté byzantine, laMorée, est en pleine guerre. LePéloponnèse est en effet partagé entre les Grecs et les Francs de laprincipauté d'Achaïe. Bayezid demande alors à l'ensemble de ses vassaux de venir à Serrès[224]. Là, il donne tort aux Grecs et condamne les Paléologue à mort, y-comprisManuelII[222]. Le sultan commue la sentence et seuls des conseillers du basileus sont exécutés tandis que plusieurs forteresses de Morée sont contraintes d'accepter des garnisons turques[225]. Théodore Paléologue, le despote de Morée tente d'obtenir l'assistance vénitienne sans résultat et Bayezid se contente d'une expédition punitive. Il vainc ainsi l'armée du despotat près deCorinthe et prend possession des forteresses de Léontation et d'Akova (début1395)[226]. Quant à Constantinople, elle subit à partir de 1394 unblocus de huit ans après le refus exprimé parManuelII de payer tribut au sultan[222]. Pendant ce temps, Bayezid réduit la résistance des autres émirs turcs, notamment les émirs maritimes (Saruhanides, Aydinides, etc.) et l'émir Karamanide en1392[227]. En Europe, Bayezid achève de conquérir la péninsule balkanique en prenant laBosnie et laValachie.
La victoire ottomane à Nicopolis symbolise l'échec des États chrétiens occidentaux pour sauver Constantinople. Miniature deJean Colombe tirée desPassages d'outremer, vers 1474. BNF Fr.5594 f.263v.
Cependant, la situation désespérée de Constantinople provoque le lancement d'une nouvelle croisade pour défaire le blocus de la ville. Elle est dirigée parSigismond,roi de Hongrie et comprend un contingent de 10 000 soldats français ainsi que des Allemands, des Valaques, des chevaliers teutoniques et les bulgares du royome d'Ivan Stratzimir. Malgré cette mobilisation, les croisés sont lourdement vaincus à labataille de Nicopolis. Bayezid se retourne alors contre Constantinople et prend la ville de Selymbria, l'une des dernières possessions byzantines[228]. De même, la Morée subit un raid qui la ravage,Argos voit sa population de 30 000 habitants déportée en Asie mineure[229] et l'armée du despotat est vaincue le près de Léontarion[228] tandis qu'Athènes est provisoirement occupée. L'armée turque se retire ensuite enThessalie[230].
Pendant ce temps, leblocus de Constantinople se resserre au point de ressembler à un siège en règle. Il apparaît que la ville est le prochain objectif de Bayezid. L'un des ambassadeurs envoyés parManuelII en Occident réussit à obtenir deCharlesVI de France l'envoi de 1 200 hommes dirigés par le maréchalBoucicaut[231]. Celui-ci ne peut procéder qu'à des coups de main contre les Turcs[232], qui sont chassés des rives du Bosphore et de la mer de Marmara. Après ces opérations, Boucicaut débarque à Constantinople, qui voit son blocus provisoirement rompu. Manuel se joint alors à Boucicaut quand celui-ci repart enFrance avec pour objectif de lever une nouvelle croisade, tandis qu'un petit corps de Francs reste à Constantinople et réussit à obtenir quelques succès contre les Turcs[233]. Ce voyage de l'empereur byzantin est avant tout une succession de réceptions fastueuses, mais couronnées de bien peu de résultats. Cependant, lorsque Manuel rentre à Constantinople en 1403, il connaît déjà la lourde défaite de Bayezid lors de labataille d'Ankara en 1402 contre les forces mongoles deTamerlan. Cette défaite, qui provoque la dislocation de l'Empire ottoman, est une chance inespérée pour Constantinople, qui peut de nouveau espérer survivre.
De la bataille d'Ankara à la chute de Constantinople (1402-1453)
MouradII tente sans succès de s'emparer de Constantinople en 1422.L'Empire byzantin en 1403.
La défaite de 1402 a de graves conséquences pour l'Empire ottoman[234] qui semble complètement détruit. Les émirs turcs reprennent leur indépendance tout comme les vassaux européens, et les fils de Bayezid (mort en 1403) se disputent sa succession. Manuel profite de cet événement inespéré pour reprendre des territoires aux Ottomans. Il récupère Thessalonique, une partie de l'actuelle côte bulgare et quelques territoires proches de Constantinople[235],[236]. De plus,Soliman, à la tête de la partie européenne de l'Empire ottoman, devient vassal de l'Empire byzantin[237]. Mais ce dernier n'a pas les ressources pour regagner ses anciens territoires et les États occidentaux déchirés par les guerres ne peuvent profiter de la désagrégation de la puissance ottomane. La guerre civile ottomane oppose surtout Soliman à son frère Mousa. Après près de huit ans de guerre, Soliman meurt au cours d'une bataille en 1411, et l'Empire ottoman est divisé en une partie européenne dirigée par Mousa et en une partie asiatique dirigée parMehmed. Mousa s'oppose alors à Constantinople où il vient faire une démonstration de force en, avant d'essayer sans succès de récupérer Selymbria et Thessalonique[238]. Peu après, c'est Mehmed (1413-1421) qui empêche Mousa de mettre le siège devant Constantinople[239].
Finalement, en juillet 1413, Mousa est tué lors d'une bataille qui l'oppose à Mehmed, ce qui fait de ce dernier l'unique survivant des fils de Bayezid. Dès l'année suivante, les émirs turcs de l'Anatolie sont de nouveau soumis à l'autorité de Mehmed. Manuel profite de ses rapports pacifiques avec le nouveau sultan[240],[N 27] pour confirmer la souveraineté byzantine sur les territoires cédés par Soliman[241]. Il réussit notamment à réaffirmer la souveraineté byzantine sur l'ensemble de la Morée, et le Péloponnèse redevient une province byzantine. Ainsi, le jeuneJeanVIII, fils de Manuel y est envoyé pour soutenir le despoteThéodoreII[242]. Pendant ce temps, les Ottomans réaffirment leur hégémonie sur les Balkans. L'opposition entreVenise et laHongrie ruine tout espoir de croisade. Manuel réussit à calmer les relations entre les deux États[243], mais cela ne suffit pas à susciter le déclenchement d'une nouvelle croisade, pas plus que ses voyages en Occident. D'autant plus que Venise, à la suite de sa victoire sur la marine ottomane en 1419, n'a plus de raisons de s'opposer au Sultan. Malgré ses bonnes relations avec le Sultan, l'Empereur byzantin n'hésite pas à consolider les défenses des quelques territoires qui lui restent. Ainsi, il remet en état l'Hexamilion qui barre l'isthme de Corinthe en 1415[244], ce qui montre que les bonnes relations turco-byzantines restent précaires[245]. Mais sans soutien extérieur,ManuelII ne peut pas espérer améliorer la situation de l'Empire byzantin. Il tente alors de soutenir Mustapha, un prétendu fils de Bayezid, qui souhaite renverser Mehmed[243]. Mustapha se rend ainsi à Constantinople puis à Thessalonique. L'échec de Mustapha en 1416 ne provoque pourtant pas de réactions de vengeance de la part deMehmedIer contre l'Empire byzantin.ManuelII refuse de livrer Mustapha à Mehmed, mais accepte de le garder prisonnier si Mehmed paie la pension de Mustapha[246]. À la mort du Sultan en 1421, les relations entre les deux empires sont très pacifiques, mais Manuel ne peut plus espérer bénéficier de la fragilité ottomane consécutive à la défaite de 1402 pour reconstruire l'Empire byzantin.
Les restes de l'Hexamilion, plusieurs fois reconstruit par les Byzantins, plusieurs fois détruit par les Ottomans.
Le nouveau sultanMouradII (1421-1451) propose alors de renouveler la paix qui régnait entre son père etManuelII. Il veut à tout prix raffermir la position ottomane en Europe et propose même de céder Gallipoli à l'Empire byzantin[247]. Face à lui, Manuel doit composer avec son filsJeanVIII (1425-1448), qui préfère soutenir Mustapha, enfermé dans une prison de l'Empire byzantin et toujours désireux de devenir sultan ottoman. Manuel choisit alors de faire confiance à Mustapha, qui l'assure de toute sa bienveillance envers l'Empire byzantin s'il devenait sultan. Ainsi, il lui promet de lui rendre Gallipoli, toutes les villes côtières de la mer Noire jusqu'à la frontière valaque ainsi que d'autres cités de la Thrace[248]. Mustapha est alors libéré et assiège Gallipoli conjointement avec l'armée byzantine avant que celle-ci ne l'assure elle-même sous le commandement de Démétrios[249]. Il bat une première fois Mourad ; mais lorsque Gallipoli tombe, Mustapha empêche les Byzantins d'y pénétrer, contrairement à l'accord qui avait été conclu[N 28],[250]. Manuel échoue alors à s'allier avec Mourad et ne peut rien lorsque Mustapha, victime de la défection d'une partie de ses troupes, est capturé et tué[251].
Dès lors, Mourad décide de punir l'Empire byzantin pour avoir soutenu Mustapha. Mouradassiège alors Constantinople ; mais des effectifs insuffisants, l'absence de siège maritime et la détermination des défenseurs l'oblige à lever le siège en[252]. En outre, Mourad doit faire face à une nouvelle rébellion, celle deKüçük Mustafa, elle aussi encouragée par les Byzantins. Après avoir maté cette révolte, les Ottomans pillent la Morée, après avoir détruit l'Hexamilion reconstruit par Manuel pour châtier les Byzantins[253], sans pour autant prendre Mistra ; ils repartent, en laissant le prince d'Achaïe dans sa guerre contre le despote de Morée. C'est la ville deThessalonique qui devient alors la nouvelle cible des Ottomans. La ville, reprise une vingtaine d'années auparavant, est assiégée en 1422, et, en 1423, les Byzantins préfèrent céder la cité aux Vénitiens, ainsi que les régions alentour. Les Turcs laissent des troupes devant la ville, qu'ils neprennent qu'en 1430. En effet, Mourad préfère consolider ses positions en Asie mineure, notamment contre les Karamanides et contre l'émir de Kastamouni, qu'il soumet vers 1425[254]. La même année, au mois de juin,ManuelII abandonne son titre d'empereur pour devenir moine, avant de mourir deux mois plus tard. C'est son filsJeanVIII Paléologue qui lui succède.
Dernières tentatives de résistance de Byzance (1425-1448)
Le despotat de Morée en 1450 tente de devenir le réduit de la résistance byzantine.L’Empire byzantin en 1450
Depuis le siège de Constantinople,JeanVIII apparaît comme le vrai dirigeant de l'Empire byzantin et c'est lui qui envoie une ambassade pour signer un traité avec Mourad le[255]. L'Empire byzantin est le vassal de l'Empire ottoman et perd la quasi-totalité de ses ports de la mer Noire à l'exception deMesembria et Derkos. De plus, Constantinople doit payer un tribut annuel de 300 000 pièces d'argent au sultan[256].JeanVIII tente alors de défendre ses derniers territoires et notamment la Morée. Avec les invasions ottomanes, la Morée est devenue la dernière province encore sous domination byzantine à l'exception de Constantinople. Cette situation amène l'hellénisation de l'empire, qui — outre Constantinople elle-même — se réduit donc désormais en pratique à ses seules possessions grecques[N 29]. Séparée des Turcs par plusieurs États tampons, la Morée réussit à garder son indépendance. L'Empire byzantin, privé de ses terres traditionnelles, se replie dans l'hellénisme. Le terme d'« Hellène » ne sert plus seulement à désigner la langue parlée dans l'Empire mais aussi ses habitants. Le terme de « Romaioi » utilisé par les habitants de l'Empire pour parler d'eux-mêmes disparaît[257]. C'est le caractère romain de l'Empire qui commence à disparaître[257] alors que jusqu'au début duXVe siècle, les Byzantins s'affirment encore comme Romains.
Le despote de Morée, Théodore (1407-1443), réussit à défaire une armée du despotat d'Épire et en 1427,Constantin Dragasès dirige une partie de la province de Morée avecThéodoreII. En outre, la victoire deThomas Paléologue, (devenu codespote en 1430), sur le dernier prince franc d'Achaïe permet à l'Empire byzantin de contrôler l'ensemble du Péloponnèse à l'exception de quatre places fortes vénitiennes[258], la Morée étant dirigée par trois despotes : Théodore, Thomas et Constantin[N 30]. À la suite du traité, Mourad laisse l'Empire byzantin en paix et soumet les Karamanides[259]. De plus, la Serbie, la Valachie et leComté palatin de Céphalonie et Zante deviennent des vassaux de l'Empire ottoman. La Hongrie, quant à elle, perd ses territoires méridionaux.JeanVIII est conscient que, malgré le traité qu'il a signé avec le Sultan ottoman, la situation de Constantinople est des plus précaires. Il tente de nouveau de faire appel à une croisade. Ainsi, lors duconcile de Florence (1437-1439), l'union des deux Églises est signée. Mais une nouvelle fois, le basileus doit s'opposer à la colère populaire, et de nombreux dignitaires ecclésiastiques tels queMarc d'Éphèse refusent l'idée d'une union avec le clergé latin[260], d'autant plus que les autorités ecclésiastiques des provinces occupées s'intéressent de moins en moins au sort de l'Empire byzantin[261].
La situation de l'Empire byzantin s'aggrave lorsqu'il retombe dans une guerre civile opposantDémétrios Paléologue, adversaire de l'union religieuse, et le basileus, ainsi que Constantin Dragasès. Démétrios, qui possède la côte byzantine de la mer Noire, se voit privé d'une partie de son territoire parJeanVIII ; lorsque Constantin lui propose d'échanger leurs possessions respectives, Démétrios demande le soutien du sultan, qui lui envoie des troupes pour assiéger Constantinople d'avril à juillet 1442. Constantin tente alors de secourirJeanVIII, mais est arrêté par une flotte turque[262]. Finalement, Mourad dissuade Démétrios de s'emparer du trône. Ce dernier, après avoir de nouveau comploté contreJeanVIII, est arrêté, puis, après s'être évadé, reçoit la possession de plusieurs îles. Pendant ce temps, les États chrétiens continuent leur lutte contre les Turcs. Ces derniers réduisent les ultimes résistances serbes sans pour autant s'emparer deBelgrade, puis envahissent laTransylvanie. Ils sont alors stoppés parJean Hunyadi alors qu'ils s'apprêtent à pénétrer en Hongrie. Jean Hunyade remporte deux victoires sur les Ottomans. Ces succès relancent l'idée de croisade contre les Turcs, y compris dans le camp vénitien.Philippe le Bon envoie quelques galères à Constantinople, mais sans résultat[263]. La situation de Mourad devient complexe, d'autant plus que les Karamanides se révoltent contre la tutelle ottomane[264].
La bataille de Varna et Constantinople abandonnée à son destin
À la fin de l'année 1443, Jean Hunyade lance une offensive dans les Balkans qui bouscule les Turcs, mais il ne peut progresser jusqu'en Thrace et de là vers Constantinople du fait de l'hiver. En 1444, une nouvelle croisade s'organise qui réunit les Hongrois, lesValaques, la flotte vénitienne et quelques navires envoyés parAlphonseII de Naples. En, l'armée des croisés se dirige versVarna où elle espère s'embarquer pour Constantinople. Mais le retard de le flotte chrétienne oblige les croisés à combattre les troupes de Mourad revenues d'Anatolie le. Labataille de Varna est un désastre pour les croisés dont les survivants sont contraints à battre en retraite. La flotte chrétienne partant de Constantinople dévaste en vain plusieurs places fortes turques, mais cela est insuffisant pour compenser l'échec de cette nouvelle tentative pour sauverConstantinople.JeanVIII tente encore de susciter l'aide des États chrétiens, et la Morée cherche à se poser comme le centre de la résistance byzantine. Constantin Paléologue prend possession de divers territoires grecs et fait reconstruire l'Hexamilion[265],[266]. Il veut essayer de mener une croisade avecLadislasIII Jagellon. Mais la réplique ottomane détruit tous ses espoirs. Mourad rassemble ses forces à Sérès tandis que Constantin et Thomas se retranchent derrière l'Hexamilion. Chalcondylès d'Athènes est envoyé en tant qu'ambassadeur au Sultan et lui demande de quitter les terres byzantines[267]. Mourad refuse et retient prisonnier Chalcondylès[268]. L'armée ottomane, qui compte 60 000 hommes selon Joseph von Hammer-Purgstall, bombarde durant trois jours l'Hexamilion qui est franchi, et la Morée est une nouvelle fois ravagée.Corinthe est ainsi incendiée parTourakhan, un général turc, et l'Hexamilion est complètement rasé[269],[270].Patras est aussi ravagée à l'exception de sa citadelle, et Mistra est semble-t-il sauvée par les conditions météorologiques qui empêchent les Turcs de franchir les montagnes du Péloponnèse[271] ; cependant, les despotes sont contraints de payer un tribut au sultan[272] et 60 000 prisonniers sont emmenés hors du Péloponnèse par Mourad[273]. En, une dernière tentative de Jean Hunyade menée conjointement avecGeorges Skanderbeg, un chef albanais, pour porter secours à Constantinople, échoue[274]. La même année,JeanVIII meurt et laisse un empire presque condamné àConstantinXI Paléologue.
ConstantinXI et la chute de Constantinople (1448-1453)
Les Turcs sous les murailles de ConstantinopleEnluminure deJean Le Tavernier dépeignant le siège.
L'arrivée au pouvoir deConstantinXI est officialisée par l'accord deMouradII que Phrantzès s'est chargé d'obtenir[275]. Le nouveau basileus signe alors un nouveau traité après avoir envoyé une ambassade à Mourad. Ce dernier est toujours le suzerain de l'empereur byzantin et il n'hésite pas à soutenir Démétrios lorsque celui-ci lutte contre Thomas Paléologue pour la souveraineté de la Morée[276].ConstantinXI réussit à obtenir un accord entre les deux frères mais ils reprennent leur lutte en 1451 et les Turcs soutiennent de nouveau Démétrios qui réussit à mettre en difficulté son frère et à obtenir un échange de territoires[277]. Ces conflits internes ne facilitent pas la situation de Constantinople qui ne compte plus que sur la résistance deSkanderbeg enAlbanie pour retarder la chute de l'Empire byzantin. À cette époque, les Grecs sont conscients qu'ils sont au bord de l'anéantissement[N 31]. La mort du sultanMouradII en 1451 et l'arrivée au pouvoir deMehmedII ajoutent encore à la détresse byzantine. Mehmed reçoit une ambassade byzantine à qui il assure la paix et accepte de payer la pension d'Orkhan, le petit-fils deSoliman détenu à Constantinople[278]. De même, il assure son soutien à Démétrios comme l'avait fait Mourad[279]. Le nouveau sultan, comme Bayezid avant lui, se fixe comme objectif de prendre Constantinople[280]. Tranquille sur le front européen où une trêve est signée avec Jean Hunyade[281], il doit faire face à une nouvelle révolte des Karamanides[282]. Cependant, ces derniers se soumettent dès l'arrivée du sultan[283]. À la même époque, le conflit religieux relatif à l'union continue de faire rage à Constantinople. Malgré une forte opposition,ConstantinXI souhaite faire aboutir l'union. Il envoie de nouvelles ambassades àRome et le, l'union est proclamée au sein de labasilique Sainte-Sophie[284],[285]. Mais la date est trop tardive pour espérer un quelconque soutien d'importance.MehmedII après avoir soumis les Karamanides prépare soigneusement sa conquête de Constantinople pour éviter un échec tel que celui deMouradII en 1422.
Le sultan isole Constantinople diplomatiquement en signant des traités avec Venise et Jean Hunyade. La Morée est ravagée par un raid turc et Skanderbeg, malgré ses nouveaux succès, n'a pas les moyens d'assister Constantinople[286]. Aux alentours de Constantinople, sur le Bosphore, la forteresse deRumeli Hisarı est bâtie pour empêcher tout secours maritime en direction de Constantinople[287],[288]. Les relations entre les deux empires se dégradent lorsque les Byzantins reprochent à Mehmed de ne pas payer la pension d'Orkhan et menacent de libérer celui-ci[289]. Le massacre de paysans de la banlieue de Constantinople ne fait qu'ajouter au climat délétère qui règne à cette époque.ConstantinXI manifeste sa désapprobation envers cet acte et en réponse,MehmedII déclare la guerre à l'Empire byzantin[290]. Constantin essaie une dernière fois de demander le soutien des États occidentaux mais sans succès. Seul le GénoisGiovanni Giustiniani se rend à Constantinople avec 700 hommes[291]. Le siège débute au début du mois d' après que, au début de l'année, les Ottomans ont pris possession des dernières cités byzantines proches de Constantinople comme Epibatai près de lamer de Marmara ou Anchialos et Mesembrya sur la mer Noire[292]. Les effectifs byzantins sont très faibles. Phrantzès parle de 4 973 hommes soutenus par près de 2 000 ou 3 000 étrangers[293]. On aboutit donc au total le plus communément admis de 7 000 hommes. Moins d'une dizaine de navires défendent la Corne d'Or barrée par une chaîne dressée par Constantin le. En face, les Ottomans disposent d'effectifs variables selon les sources. Ils approchent souvent les 200 000 hommes[294] mais seuls quelque 80 000 hommes sont de véritables soldats[295]. Le cardinalIsidore de Kiev parle de 300 000 hommes[296] et Nicolò Barboro de 160 000[297]. Cette supériorité numérique se retrouve dans la flotte. L'artillerie est aussi très présente au sein des troupes turques qui possèdent plusieurs canons de très gros calibre ; l'un d'entre eux, fabriqué par le Hongrois Orban, peut tirer des boulets d'1,86 m de circonférence. Malgré cette supériorité, les assauts turcs sont constamment repoussés et ce fameux canon finit par exploser. De même, la tentative deMehmedII de faire passer ses navires dans la Corne d'Or selon une vieille technique russe ne réussit pas à forcer la décision. Par ailleurs, quatre navires chrétiens réussissent à forcer le blocus et à approvisionner Constantinople à la stupeur du sultan[298]. Cette longue résistance porte atteinte au moral des troupes turques mais les assiégés sont de plus en plus affaiblis par le siège. Et le, jour de l'assaut général, les troupes turques réussissent à pénétrer dans la ville grâce à une petite poterne et à la panique dans les rangs des défenseurs causée par la blessure et le départ de Giustiniani[299]. Cette intrusion au sein même de Constantinople surprend les défenseurs qui sont submergés, y comprisConstantinXI qui meurt au cours des derniers combats. LorsqueMehmedII pénètre dans la ville, il vient de signer la fin d'une guerre longue de quatre siècles et la chute définitive de l'héritier de l'Empire romain qu'était l'Empire byzantin.
La chute de Constantinople précède de quelques années la destruction dudespotat de Morée et de l'Empire de Trébizonde. La Morée est le dernier territoire de l'Empire byzantin encore libre de la tutelle turque après la chute de Constantinople ; mais ce refuge est instable depuis l'invasion turque de 1452, et la population cherche avant tout à se débarrasser desdespotes de la famille Paléologue[300]. Un soulèvement albanais provoque l'intervention du général turc Umur Pasha en. En 1454, Thomas et Démétrios demandent l'intervention de Turahan Beg, le père d'Umur Pasha, pour rétablir l'ordre[300]. Les deux despotes, vassaux du sultan, profitent de la bienveillance deMehmedII pour conserver leurs territoires. Cependant, ils cherchent aussi à susciter une croisade en Occident, ce qui provoque l'intervention du sultan en 1458[301], alors qu'Athènes est déjà tombée aux mains des Ottomans deux ans auparavant[302].
MehmedII part d'Andrinople et laisse une partie de son armée assiégerCorinthe. Il entreprend de ravager le territoire de la Morée, et même la citadelle dePatras est contrainte de capituler[301]. En, Corinthe cède et la partie nord-ouest de la Morée devient turque[301]. Thomas et Démétrios sont contraints de se partager le reste du territoire et de verser un tribut annuel au sultan. Toutefois, les deux despotes se querellent dès le départ deMehmedII : Thomas cherche l'appui du pape, tandis que Démétrios espère bénéficier de l'aide ottomane. La Morée byzantine est alors dans un état de chaos qui décideMehmedII à la conquérir. En, il part d'Andrinople et obtient le la soumission de Démétrios ainsi que de la ville deMistra[303]. Thomas s'enfuit en Italie, et ses terres sont envahies par les Ottomans[302]. Seul un certain Constantin Graitzas réussit à tenir en échec les troupes turques jusqu'en, date à laquelle sa forteresse deSalmenikon, près de Patras, finit par se rendre[304].
La date de la chute de Constantinople, en 1453, est l'une de celles qui symbolise traditionnellement le passage duMoyen Âge à laRenaissance. C'est en effet la fin d'un monde, la fin du dernier reste de l'Empire romain, puisque l'Empire byzantin n'est autre que l'Empire romain d'Orient.
La chute de l'Empire byzantin constitue un choc majeur pour le monde chrétien en général même si celui-ci, plongé dans d'autres préoccupations, l'oublie assez vite[311]. L'Empire byzantin ayant été durant près d'un millénaire un des États majeurs de la chrétienté, la papauté tente sans succès d'appeler à une croisade pour libérer Constantinople. C'est ce que faitPieII en 1464, mais sa mort met un terme au lancement d'une croisade dont les membres ne vont pas plus loin que le port d'Ancône[312]. De même, le tsarIvanIII de Russie, époux deSophie, la fille deThomas Paléologue, tente de reprendre l'héritage antique en faisant deMoscou, nouveau centre de l'orthodoxie, latroisième Rome[313].
Toutefois, les conséquences de la défaite byzantine sont plus profondes. Malgré les divisions qui existent entrecatholiques etorthodoxes, la perte de Constantinople constitue un grave échec pour la chrétienté qui ne peut que constater l'avancée inexorable des Ottomans. Cependant, le déclin de l'Empire byzantin entraîne d'autres conséquences pour l'Europe : le regain intellectuel sous la dynastie Paléologue ne s'achève pas en 1453, et les érudits byzantins se réfugient enItalie où ils contribuent de manière primordiale à la Renaissance. Ils apportent en effet leurs connaissances des mondes grecs et latins de l'Antiquité, en particulier par les livres qu'ils apportent avec eux. Par ailleurs, la chute de Constantinople marque aussi la fin de la domination chrétienne sur l'une des villes les plus importantes d'un point de vue commercial puisqu'elle constitue le lien entre l'Europe et l'Asie[314].
↑Cagri Beg obtient le Khurasan et ses dépendances orientales.
↑L'idée qui prédomine aujourd'hui étant qu'effectivement Alexis a demandé l'aide de l'Occident sans pour autant chercher à lancer une croisade, concept qui lui est inconnu. C'est la thèse développée par Chalandon dans son livre surAlexisIer et qui a été reprise par Ostrogorsky ou encore Steven Runciman.
↑Selon Anne Comnène, Bohémond aurait informé Tatikios que certains chefs croisés le soupçonnaient de travailler avec les Turcs et voulaient de ce fait le tuer. Cela aurait provoqué le départ de Tatikios.
↑En1162, le sultan de Roum est reçu triomphalement à Constantinople par l'empereur byzantin.
↑À partir de cette date, Trébizonde et les territoires alentour sont presque définitivement coupés de l'Empire byzantin ce qui explique son évolution aboutissant à son indépendance en1204 bien que le mouvement commence dès les tentatives d'émancipation deConstantin Gabras.
↑KayKhusrawIer ne contrôle que les territoires entourant Iconium. De fait, sa capitale correspondant à celle du sultanat de Roum, c'est lui qui succède à son père en tant que sultan mais le reste du sultanat est aux mains de ses neuf autres frères.
↑Masoud est l'un des dix fils de KılıçArslanII et reçoit le domaine d'Angora à la mort de son père. Il est assassiné parSüleymanII Shah en 1204.
↑Les trois États prétendent être les successeurs de l'Empire byzantin. Ainsi, les empereurs de Trébizonde prennent le titre de basileus et autocrator des Romains Grand Comnène tandis que les despotes d'Épire ont le titre de basileus jusqu'à ce queJeanIII Vatatzès obligeThéodoreIer à y renoncer vers 1240. Cependant, les despotes d'Épire continuent à revendiquer l'héritage impérial au moins jusqu'en 1261.
↑Voici ce qu'en ditGeorges Pachymère : « On affaiblit de la sorte la région orientale tandis que les « Perses » (les Turcs) devenaient de plus en plus entreprenants et envahissaient des pays privés de toute défense. ».
↑Voici la réaction des régions libérées selon Georges Pachymérès : « Dans les nombreux monastères de cette contrée, le nom de l'empereur cessa d'être commémoré et fut remplacé par celui de Philanthropénos. ».
↑Théodore Métochitès présente Andronic en pourfendeur des Turcs, reprenant la Bithynie, la Phrygie et la Mysie tout en consolidant les villes et les frontières.
↑Selon Bartusis dans son livreThe Last Byzantine Army, l'armée byzantine compte 2 000 hommes dont la moitié d'Alains opposés à près de 5 000 Ottomans.
↑Face au risque d'une mutinerie dans ses propres rangs, Andronic n'envoie pas les Catalans se battre aux côtés de l'armée byzantine contre les Bulgares.
↑Roger de Flor va volontairement saluerMichelIX dont il connaît l'inimitié à son égard et lorsqu'il dîne avec lui, il est assassiné.
↑La phrase suivante illustre bien les talents de meneur d'hommes d'Osman : « Sultan, fils du sultan desghazis,ghazi, fils deghazis, Margrave des horizons, héros du monde. » Cette inscription se trouve dans la mosquée de Brousse. En contrôlant, lesghazis, soldats en quête continuelle de pillages depuis l'époque des Seldjoukides, Osman renforce considérablement sa puissance militaire.
↑Au sujet de cette guerre, voici ce qu'en dit Jean Cantacuzène dans ses mémoires : « la pire des guerres civiles dont les Romains eussent fait l'expérience, un conflit qui détruisit pratiquement tout, condamnant le grand Empire romain à n'être plus que l'ombre de lui-même. ».
↑Cette croisade lancée à l'instigation du papeClémentVI est composée deVenise,Rhodes etChypre. Elle parvient à prendre Smyrne en 1343 ou 1344 et Umur bey meurt en 1348 alors qu'il tente de la reprendre.
↑Selon Louis Bréhier dans son livreVie et mort de Byzance, un accord serait intervenu entreJeanVI et les Turcs stipulant que la forteresse devenait possession turque. Il s'appuie sur le livre de GibbonsThe Foundation of the Ottoman Empire de 1916. Ostrogorsky quant à lui indique simplement que les Turcs se sont implantés dans la forteresse de Tzimpé sans indiquer l'existence d'un quelconque accord avec les Byzantins relatif à la possession de la ville.
↑Il est difficile de dater réellement la prise d'Andrinople. Pour Inalcïk, elle est prise en 1361 mais les Byzantins la contrôlent encore en 1366. Il est donc probable que la cité a été prise et reprise plusieurs fois avant de tomber définitivement aux mains des Ottomans vers 1368 ou 1369.
↑Voici le jugement de Démétrius Cydonès sur les progrès ottomans : « Les Turcs sont les maîtres en toute chose et nous devons nous soumettre à eux ou payer le prix de notre désobéissance. À quel sommet de puissance ne sont-ils pas parvenus ! À quelle profondeur de servitude ne sommes-nous pas tombés ! ».
↑Démétrius Cydonès écrit ainsi que : tous ceux qui sont hors des murs de la ville (Constantinople) sont asservis aux Turcs et ceux qui sont à l'intérieur succombent sous le poids de la misère et des révoltes.
↑À cette date, la souveraineté byzantine sur Philadelphie est très formelle.
↑La réponse de Mehmed aux ambassadeurs de Manuel illustre cette sympathie entre les deux empereurs : « Allez dire à mon père, l'empereur des Romains qu'avec le secours de Dieu et la coopération de mon père l'empereur, j'ai pu reprendre ce que mes ancêtres m'avaient légué. À partir de ce jour, je suis et je serai son sujet, comme un fils à l'égard de son père. Car il ne me trouvera jamais indifférent ni ingrat. Qu'il me donne ses ordres et j'exécuterai tous ses désirs avec le plus grand plaisir, comme un serviteur.
↑Voici ce que dit Mustapha à Démétrios : « Ce n'est pas au profit de l'empereur Manuel que j'ai pris les armes et gagné une victoire, j'ai fait vœu de reconquérir les villes de l'islamisme, et, si le Prophète m'entend, j'accomplirai ce vœu. J'observerai du reste fidèlement le traité qui me lie à ton maître ; il peut se fier à mon serment. Quant à tes troupes, je n'en ai pas besoin, tu es libre de repartir. ».
↑Cet extrait d'un texte deGémiste Pléthon témoigne de cette émergence de l'hellénisme : « Il n'y a pas de pays qui soit plus intimement associé aux Grecs que le Péloponnèse… C'est un pays que la même race grecque a toujours habité, aussi loin que la mémoire puisse remonter, aucun autre peuple ne s'y était établi auparavant, aucun autre venu de l'extérieur ne l'a occupé par la suite… Au contraire, les Grecs l'ont toujours occupé comme le leur, et même si, pour cause de surpeuplement, ils ont émigré et occupé d'autres territoires d'un grand intérêt, ils ne l'ont jamais abandonné. ».
↑Théodore, despote depuis 1407 reste le seul à posséder le titre de despote de Morée mais Constantin arrivé en 1427 et Thomas arrivé en 1430 ont aussi le titre de despote. Théodore garde comme capitale la ville de Mistra qui est aussi celle du despotat de Morée. Constantin réside àGlarentza et dirige laMessénie, leMagne et la ville deVostitsa. Enfin, Thomas a pour capitaleKalávryta.
↑Gennade II Scholarios dit ainsi à Démétrios peu après sa lutte contre Thomas Paléologue : « Tu ne combats pas seulement pour tes droits, mais pour le reste des Hellènes qui périront au milieu de nos discordes. Puisses-tu prendre de meilleures résolutions dans l'intérêt de ce qui reste de notre race infortunée, exposée à s'évanouir au moindre souffle ou à être dévorée par nos ennemis. ».
↑Georges Phrantzès,Chronicon majus, texte grec reporté dans Classicorum auctorum e Vaticanis codicibus editorum,t. IX, Rome 1837,p. 1–10.
↑Louis Bréhier,Vie et mort de Byzance, éditions Albin Michel,p. 422.
↑Epistola reverendissimi patris domini Isidori cardinalis Ruteni scripta ad reverendissimum dominum Bisarionem episcopum Tusculanum ac cardinalem Nicenum Bononiaeque legatum (lettre du cardinal Isidore au cardinal Johannes Bessarion), daté du 6 juillet 1453.
↑Nicolò Barboro,Giornale dell'Assedio di Costantinopoli, 1453.
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La version du 13 novembre 2009 de cet article a été reconnue comme « article de qualité », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.