Laguerre de la Ligue d'Augsbourg, également appeléeguerre de Neuf Ans,guerre de la Succession palatine ouguerre de la Grande Alliance, a lieu de1688 à1697. D'anciens textes peuvent faire référence à laguerre de Succession d'Angleterre. EnAmérique du Nord, cette guerre engendre lapremière guerre intercoloniale (1688–1697), appelée par l'historiographie anglaise laguerre du roi Guillaume, « King William's War, Second Indian War, Father Baudoin's War, Castin's War ». Ces nombreuses dénominations reflètent les points de vue nationaux des historiens contemporains ou anciens sur ce conflit.
À la suite de laguerre de Hollande de 1678, Louis XIV, devenu le souverain le plus puissant d'Europe, avait agrandi le territoire du royaume, mais leRoi Soleil restait insatisfait. En usant d'une combinaison d'agressions, d'annexions et de moyens quasi légaux, dont le paroxysme fut la brèveguerre des Réunions (1683–1684) lui donnant entre autres la Franche-Comté, Louis XIV chercha immédiatement à étendre ses gains pour stabiliser et renforcer les frontières du royaume. Latrêve de Ratisbonne qui en résulta garantissait l'extension des frontières de la France pour20 ans. Toutefois les actions de Louis XIV, en particulier larévocation de l'édit de Nantes en 1685 et ses tentatives d'expansion au-delà du Rhin, entraînèrent une détérioration de sa domination militaire et politique. La décision royale de franchir leRhin et d'assiégerPhilippsbourg en était destinée à empêcher une attaque contre la France par l'empereur LéopoldIer et à forcer leSaint-Empire romain germanique à accepter les revendications françaises. Cependant, l'empereur et les princes allemands étaient déterminés à résister, et après que leParlement néerlandais etGuillaume III d'Orange-Nassau eurent déclaré la guerre à la France Louis XIV devait faire face à une puissante coalition résolue à contenir et restreindre ses ambitions.
Les combats principaux eurent lieu aux frontières françaises : dans lesPays-Bas espagnols, laRhénanie, leduché de Savoie et laCatalogne. Le conflit fut dominé par des batailles desiège comme àMons,Namur,Charleroi etBarcelone, tandis que les batailles rangées comme àFleurus ou àLa Marsaille furent plus rares. Ces engagements tournèrent souvent à l'avantage des armées françaises, mais à partir de 1696 la France dut faire face à une grave crise économique. Les puissances maritimes (Angleterre etProvinces-Unies) étaient également ruinées ; lorsque la Savoiequitta l'Alliance, toutes les parties furent d'accord pour trouver un compromis. D'après les termes dutraité de Ryswick (1697), Louis XIV conservait toute l'Alsace, mais devait rendre laLorraine et ses gains sur la rive droite duRhin, et reconnaissait Guillaume III d'Orange-Nassau comme le roi légitime du royaume d'Angleterre. Cependant, la mort prochaine du roiCharles II d'Espagne et la question de sa succession allaient entraîner la France et la Grande Alliance dans un nouveau conflit, laguerre de Succession d'Espagne.
Dans les années suivant laguerre de Hollande (1672–1678), le roiLouis XIV, alors au sommet de sa puissance, entreprit d'imposer une unité religieuse à la France et d'étendre ses frontières. Pour autant, il ne souhaitait plus mener une politique militariste flexible du type qu'il avait utilisé en 1672, et compta sur la réelle supériorité militaire française pour réaliser ses desseins politiques. Proclamé le « roi Soleil », Louis XIV, conscient qu'il n'avait pas réussi à réaliser ses objectifs stratégiques contre les Néerlandais, décida de privilégier les menaces à la guerre ouverte pour intimider ses voisins et parvenir à ses fins[2].
Sonsecrétaire d'État de la Guerre,Louvois, son ministre des Affaires étrangères,Colbert de Croissy, et son stratège militaireVauban développaient la politique défensive de la France[3]. Vauban avait prévu la mise en place d'un réseau de puissantes forteresses aux frontières permettant de bloquer les ennemis de Louis XIV. Pour mettre en place un système efficace, il fallait cependant conquérir une frontière linéaire. Cette rationalisation des frontières rendrait la France plus facilement défendable, tout en renforçant une véritable unité nationale. Néanmoins, l'usage de la force pour mener une telle politique défensive constituait le principal paradoxe de cette politique[3]. Il parvint à conquérir les territoires nécessaires à travers lapolitique des Réunions, combinant l'arrogance, les menaces et les moyens légaux[4].
Portrait équestre deLouis XIV (1638–1715). Le « Roi-Soleil » était alors le souverain le plus puissant d'Europe.L'empereurLéopoldIer (1640–1705) du Saint-Empire romain germanique par Benjamin Block.
Lestraités de Nimègue et deWestphalie fournissaient à Louis XIV une argumentaire juridique à sa politique des Réunions. Ces traités accordaient de nouveaux territoires à la France, mais leurs formulations ambigües les rendaient imprécis, contradictoires, ne spécifiant jamais précisément l'emplacement de la frontière entre le royaume de France et l'Empire. Cette imprécision mena à des interprétations multiples des traités, causes de querelles interminables dans les zones frontalières[3]. La machinerie nécessaire à la résolution de ces ambiguïtés territoriales existait déjà par l'intermédiaire desParlements deMetz (techniquement la seulechambre de réunion), deBesançon et une cour supérieure àBrisach, respectivement chargés de laLorraine, de laFranche-Comté et de l'Alsace[5]. Sans surprise, ces cours tranchaient souvent en faveur de Louis XIV[6]. En 1680 le disputécomté de Montbéliard avait été séparé duduché de Wurtemberg, et en août Louis XIV contrôlait toute l'Alsace à l'exception deStrasbourg. La chambre des réunions de Metz avait émis des revendications sur les terres autour desTrois-Évêchés de Metz,Toul etVerdun et sur une grande partie duduché de Luxembourg alors sous contrôle espagnol. La forteresse deLuxembourg était d'ailleurs mise sous blocus, et l'objectif était d'en faire un maillon du réseau défensif français[7].
Le les troupes françaises s'emparent de Strasbourg et de son avant-poste sur la rive droite du Rhin,Kehl, utilisée par les unités impériales lors des dernières phases de la guerre de Hollande. Le même jour, les unités françaises avancent surCasale Monferrato dans le Nord de l'Italie. Cette forteresse ne fut pas prise par le processus des Réunions mais avait été achetée auparavant parCharles III Ferdinand de Mantoue. Cette ville, avecPignerol (occupé depuis laguerre de Succession de Mantoue), permettait à la France de contrôler Victor-Amédée II, leduc de Savoie et de menacer leduché de Milan sous contrôle espagnol[8]. Toutes les revendications et les annexions des Réunions étaient d'importants points stratégiques de circulation entre la France et ses voisins, et ils furent tous immédiatement fortifiés par Vauban et incorporés dans son système de forteresses[9].
Ainsi, les Réunions découpaient des morceaux du territoire allemand, tandis que les annexions établissaient la puissance française en Italie. En cherchant à construire une frontière infranchissable, Louis XIV inquiétait tellement les autres nations européennes que la guerre qu'il souhaitait éviter devenait inévitable[10]. Seuls deux hommes d'État avaient assez de puissance pour pouvoir s'opposer à Louis XIV : Guillaume III d'Orange,stathouder des Provinces-Unies et chef naturel de l'oppositionprotestante, et l'empereurLéopoldIer du Saint-Empire romain germanique, chef évident des forces anti-françaises en Allemagne et descatholiques[11]. Mais si Guillaume et Léopold voulaient intervenir, toute réelle opposition conjointe en 1681 – 1682 était impossible : labourgeoisie d'Amsterdam refusait tout nouveau conflit avec la France. Ils étaient également pleinement conscients de la faiblesse actuelle, non seulement de l'Espagne mais également de l'Empire, dont un certain nombre de princes importants : deMayence, deTrèves, deCologne, deSaxe et deBavière, ainsi que l'influentFrédéric-GuillaumeIer de Brandebourg restaient favorables à la France[12].
Laguerre des Réunions fut brève et dévastatrice. Avec la chute deCourtrai au début du mois de suivie par celle deDixmude en décembre et la reddition de Luxembourg en, Charles II fut forcé d'accepter la proposition de paix de Louis XIV[17]. Latrêve de Ratisbonne, signée le par la France d'un côté et par l'Espagne et l'empereur de l'autre, marquait la cession de Strasbourg, de Luxembourg et des gains des Réunions à la France (Courtrai et Dixmude étaient rendus à l'Espagne). Ce n'était pas une paix définitive mais une trêve de20 ans. Cependant Louis XIV avait des raisons d'être satisfait : l'empereur et les princes allemands étaient occupés en Hongrie, tandis que dans les Provinces-Unies Guillaume d'Orange restait isolé et impuissant, particulièrement à cause du sentiment pro-français à Amsterdam[18].
À Ratisbonne en 1684, la France était en position d'imposer sa volonté à ses voisins. Cependant, après 1685 sa position diplomatique et militaire commença à se détériorer. L'une des principales causes de cet affaiblissement fut larévocation de l'édit de Nantes et la dispersion de la communautéprotestante de France[19]. Plus de 200 000 huguenots se réfugièrent en Angleterre, dans les Provinces-Unies, enSuisse et en Allemagne, rapportant les histoires depersécutions commises par le monarque deVersailles. Les conséquences sur la France de la perte de cette communauté sont discutables, mais sa fuite aida à la destruction du sentiment pro-français dans les Provinces-Unies, non seulement du fait de leur protestantisme mais parce que la fuite des marchands huguenots et le harcèlement des marchands néerlandais vivant en France affectait grandement le commerce franco-néerlandais[20]. Les persécutions eurent un autre effet sur l'opinion publique néerlandaise : la conduite du roi catholique de France les rendaient inquiets quant à l'attitude deJacques II, le nouveau roi catholique d'Angleterre. Beaucoup àLa Haye considéraient que Jacques II était plus proche de son cousin Louis XIV que de son neveu Guillaume, et cela engendra de la suspicion qui se transforma en hostilité entre les deux États[21]. Les revendications apparemment sans fin de Louis XIV associées aux persécutions contre les protestants permirent à Guillaume d'Orange et à son parti de prendre l'ascendant dans la République néerlandaise, pour finalement l'autoriser à mettre en place son projet de longue date d'alliance contre la France[22].
Bien que Jacques II ait permis aux huguenots de s'implanter en Angleterre, il conservait des relations amicales avec son coreligionnaire Louis XIV, réalisant l'importance de cette amitié pour la mise en place de ses mesures pro-catholiques en dépit des inquiétudes de la majorité protestante[23]. Cependant la présence des huguenots donna un coup d'accélérateur au discours anti-français, et ils rejoignirent les éléments hostiles à Jacques II[24]. De plus, la rivalité des ambitions commerciales françaises et anglaises en Amérique du Nord avait causé de fortes tensions entre les deux pays. L'antagonisme français se concentrait sur laCompagnie de la Baie d'Hudson et les colonies deNouvelle-Angleterre, tandis que les Anglais considéraient que les prétentions françaises enNouvelle-France empiétaient sur leurs propres possessions. Cette rivalité s'étendit de l'autre côté du monde où lesCompagnie des Indes orientales françaises etanglaises étaient déjà embarquées dans les hostilités[25].
La persécution des huguenots eut un impact très négatif en Allemagne sur les princes protestants, qui considéraient que Louis XIV était leur allié contre les pratiques intolérantes des Habsbourg catholiques[26]. L'électeur du Brandebourg répondit à la révocation de l'édit de Nantes par l'édit de Potsdam invitant tous les huguenots à s'installer dans leBrandebourg-Prusse. Les motivations religieuses ne furent pas les seules à le détourner de l'allégeance à la France. Louis XIV avait des prétentions sur lepalatinat du Rhin au nom de sa belle-sœurÉlisabeth-Charlotte, présageant d'autres acquisitions en Rhénanie[27]. Par conséquent, Frédéric-Guillaume refusa les subventions françaises avec mépris et signa des accords avec Guillaume d'Orange, l'empereur et le roiCharles XI de Suède avec lequel il avait un différend enPoméranie[20].
La révocation de l'édit de Nantes eut également des conséquences dans lePiémont. À partir de leur citadelle de Pignerol, les Français pouvaient exercer une forte pression sur le duc de Savoie pour le forcer à persécuter sa propre communauté protestante, l'Église évangélique vaudoise. Cette menace permanente d'interférence et d'intrusion dans ses affaires intérieures inquiétait Victor-Amédée, et à partir de 1687 la politique du duc devint de plus en plus anti-française. Les critiques du régime de Louis XIV se répandirent dans toute l'Europe[28]. La trêve de Ratisbonne, puis la révocation de l'édit de Nantes, étaient une source d'inquiétude sur les véritables intentions du roi de France, et beaucoup s'inquiétaient d'une éventuelle volonté hégémonique : l'union des couronnes d'Espagne et d'Allemagne avec celle de France. En conséquence, les représentants de l'empereur, des princes du Sud de l'Allemagne, de l'Espagne (motivée par l'attaque de 1683 et la trêve imposée de 1684) et de la Suède (en tant queprinces d'Empire) se rencontrèrent àAugsbourg pour former une union défensive en. Le papeInnocent XI, irrité par le soutien français aux Ottomans, donna un soutien secret à cette alliance[29].
Laligue d'Augsbourg n'avait pas de grands moyens militaires ; l'Empire et ses alliés au sein de laSainte Ligue continuaient le combat contre les Ottomans, et beaucoup de princes allemands n'étaient pas enclins à rompre avec les Français. Néanmoins, Louis XIV observait avec appréhension les avancées de LéopoldIer contre les Turcs. Les victoires des Habsbourg le long duDanube en et labataille de Mohács un an plus tard convainquirent les Français que l'empereur, formant alliance avec l'Espagne et Guillaume d'Orange, se retournerait bientôt contre Louis XIV pour reprendre les territoires récemment perdus[30]. En réponse, Louis XIV songea à garantir ses gains territoriaux des Réunions en forçant ses voisins allemands à transformer la trêve de Ratisbonne en traité définitif. Cependant, un ultimatum français lancé en 1687 ne permit pas de convaincre l'empereur, que ses récentes victoires à l'est rendaient moins enclin au compromis à l'ouest[31].
Un autre point d'achoppement concernait l'archevêqueMaximilien-Henri, favorable aux Français, et la question de sa succession dans l'électorat de Cologne. Les territoires de l'archevêque s'étendaient sur la rive gauche du Rhin et incluaient trois forteresses le long du fleuve :Bonn,Rheinberg etKaiserswerth en plus deCologne. De plus, l'archevêque était également prince-évêque deLiège, un petit État stratégiquement positionné sur laMeuse. Lorsque l'électeur mourut le, Louis XIV pressa l'évêque de StrasbourgGuillaume-Egon de Furstenberg de lui succéder. L'empereur était cependant en faveur deJoseph-Clément de Bavière, frère de l'électeur de Bavière[32]. Comme aucun des candidats ne put rassembler les deux tiers des votes nécessaires parmi leschanoines ducollège des clercs, la question fut transmise auVatican. Il y avait peu d'espoir que le papeInnocent XI, déjà en conflit avec Louis XIV, se prononce en faveur du candidat français, et le il accorda le poste à Joseph-Clément[33].
Le les forces de LéopoldIer sous le commandement de l'électeur de Bavière capturèrentBelgrade pour l'Empire. Avec les Ottomans au bord de l'effondrement, les ministres de Louis XIV Louvois et Colbert cherchèrent une solution rapide le long de la frontière allemande, avant que l'empereur ne puisse former une coalition contre la France[34]. Le Louis XIV publia son manifesteMémoire de raisons dans lequel il liste ses griefs : la transformation de la trêve de Ratisbonne en un traité définitif et la nomination deFürstenburg en tant qu'électeur de Cologne. Il propose également d'occuper les territoires qu'il juge comme appartenant à sa belle-sœur dans la question de la succession palatine. L'empereur, les princes allemands, le pape et Guillaume d'Orange étaient peu enclins à satisfaire ces exigences. Pour les Néerlandais en particulier, le contrôle français de Cologne serait stratégiquement inacceptable, car le territoire tampon des Pays-Bas espagnols serait contourné. Le jour de la publication du manifeste, donc avant que ses ennemis n'aient pu connaître ses détails, l'armée française franchit le Rhin pour investirPhilippsburg, le point clé entre Luxembourg (annexé en 1684) et Strasbourg (conquis en 1681) et d'autres villes de Rhénanie[35]. Cette attaque préventive était destinée à intimider les États allemands pour les forcer à accepter les conditions françaises, tandis que les Ottomans continuaient leur propre lutte avec l'empereur à l'est[36].
Louis XIV et ses ministres avaient espéré une résolution rapide du conflit comme celle obtenue lors de la guerre des Réunions, mais en 1688 la situation était totalement différente. À l'est, l'armée impériale, maintenant constituée de vétérans, avait dispersé les armées ottomanes et écrasé la révolte d'Imre Thököly en Hongrie, tandis qu'à l'ouest et au nord Guillaume d'Orange était devenu le chef d'une coalition d'États protestants impatients de rejoindre l'empereur et l'Espagne pour mettre fin à l'hégémonie française[19]. La courte guerre défensive voulue par Louis XIV venait de se transformer en une longue guerre d'usure[37].
Campagne du Rhin 1688-1689. Les forces françaises franchissent le Rhin à Strasbourg et s'emparent dePhilippsburg – la clé du Rhin intermédiaire – le 30 octobre 1688.La prise de Mannheim le 10 novembre 1688.
Louis XIV est maintenant maître du Rhin du sud de Mayence à la frontière suisse, mais bien que les attaques aient décidé les Ottomans à reprendre le combat à l'est, l'impact sur LéopoldIer et les États allemands eut l'effet opposé à celui attendu[39]. La ligue d'Augsbourg n'était pas encore assez forte pour pouvoir faire face à la menace, mais le les puissants princes allemands dontFrédéricIer de Prusse,Jean-Georges III de Saxe,Ernest-Auguste de Hanovre etCharlesIer de Hesse-Cassel arrivent à un accord àMagdebourg permettant de mobiliser les forces armées du Nord de l'Allemagne. Dans le même temps l'empereur rappelle les troupes de Bavière, deSouabe et deFranconie pour défendre le Sud de l'Allemagne. Les Français n'étaient pas préparés pour une telle éventualité. Réalisant que la guerre en Allemagne n'allait pas être aussi courte et glorieuse que la guerre-éclair en Rhénanie l'avait laissé présager, Louis XIV et Louvois décidèrent de mener unepolitique de la terre brûlée dans le Palatinat, leBade et leWurtemberg pour ralentir les troupes ennemies et les empêcher d'envahir le territoire français[40]. Le Louvois avait sélectionné toutes les villes, villages et châteaux devant être détruits. Le lecomte de Tessé incendie Heidelberg, et leMontclar rase Mannheim. Oppenheim, Worms, Spire et Bingen sont détruits avant le mois de juin. En tout, les Français réduisent en cendres 20 villes importantes et de nombreux villages[41].
Les Allemands s'étaient préparés pour récupérer ce qu'ils avaient perdus, et en 1689 ils alignaient trois armées le long du Rhin. La plus petite d'entre elles, initialement sous le commandement de l'électeur de Bavière, protégeait le Rhin supérieur entre les lignes au nord de Strasbourg et laForêt-Noire. La plus grande armée se tenait sur le Rhin intermédiaire avec le meilleur général impérial et commandant en chef,Charles V de Lorraine. Charles V élimina la menace française surFrancfort et mit en place des tranchées autour de Mayence le. Le 8 septembre, après deux mois d'un siège sanglant, lemarquis de Huxelles, commandant de la place, doit capituler[42]. Dans le même temps, sur le Rhin inférieur l'armée de l'électeur de Brandebourg, aidée par le célèbre ingénieur hollandaisMenno van Coehoorn, mène lesiège de Kaiserswerth. La ville tombe le, et l'électeur et son armée avancent sur Bonn, qui capitule le après un important bombardement[43]. L'invasion de la Rhénanie avait unifié les princes allemands dans leur unité contre Louis XIV. La campagne permit également de détourner les forces françaises pour permettre à Guillaume d'Orange d'envahir l'Angleterre[40].
Îles Britanniques : Guillaume d'Orange détrône Jacques II
Jacques II d'Angleterre (1633–1701) vers 1690. Artiste inconnu.Campagne irlandaise de 1689–1691. Principales batailles du soulèvement jacobite en Écosse et en Irlande.
Les tentatives maladroites deJacques II pour imposer le catholicisme à l'armée, au gouvernement et aux autres institutions le rendirent de plus en plus impopulaire parmi ses sujets protestants. Son catholicisme assumé et ses liens avec la France catholique tendirent les relations de l'Angleterre avec les Provinces-Unies, mais comme sa femme Marie était l'héritière protestante du trône d'Angleterre Guillaume d'Orange était réticent à agir contre Jacques II[44]. Cependant Jacques II pouvait s'allier à Louis XIV pour lancer une attaque contre la Hollande, comme en 1672, afin de détourner l'attention de ses sujets. Par conséquent, Guillaume d'Orange commença ses préparatifs d'invasion en 1688[45]. Comme les troupes françaises étaient toujours trop occupées à construire un « cordon sanitaire » dans lePalatinat pour pouvoir envisager sérieusement une intervention dans les Pays-Bas espagnols ou pour attaquer les provinces hollandaises au sud-est le long du Rhin, leStaten-Generaal donna à Guillaume son plein soutien en sachant que le renversement de Jacques II était dans l'intérêt de leur propre État[46].
Louis XIV considéra l'invasion de Guillaume comme une déclaration de guerre entre la France et les Provinces-Unies (officiellement déclarée le) ; mais il ne fit pas grand-chose pour s'y opposer, son principal problème étant la Rhénanie. De plus, les diplomates français avaient prédit que l'attaque de Guillaume plongerait l'Angleterre dans une guerre civile prolongée qui soit absorberait les ressources hollandaises, soit rapprocherait l'Angleterre de la France. Malgré tout, après le débarquement de ses troupes àTorbay le, de nombreux Anglais accueillirent Guillaume avec enthousiasme, et la rapide révolution qui suivit, communément appelée laGlorieuse Révolution, mit fin au règne de Jacques II. Le Guillaume d'Orange devient le roi Guillaume III d'Angleterre, régnant avec sa femmeMarie en unissant les destins anglais et néerlandais. Pourtant, peu d'Anglais avaient soupçonné que Guillaume avait convoité la couronne pour lui-même, avec l'objectif d'emmener l'Angleterre dans une guerre contre la France du côté hollandais. LeParlement d'Angleterre ne vit pas que l'offre de monarchie conjointe était assortie d'une déclaration de guerre, mais les dernières actions du roi déchu poussèrent le Parlement derrière Guillaume III[47].
Jacques II avait fui en France où l'attendait Louis XIV. En, soutenu par l'argent, les troupes et les généraux français, il quitte son exil deSaint-Germain pour rallier ses partisans catholiques en Irlande. Le roi de France soutenait Jacques II pour deux raisons : premièrement, Louis XIV croyait fermement dans son droit divin au trône, et deuxièmement il souhaitait maintenir les forces de Guillaume à l'écart des Pays-Bas[48]. L'objectif initial de Jacques II, et de son bras droit leduc de Tyrconnell, était de détruire les places fortes protestantes du Nord. Cependant, son armée de 40 000 hommes mal équipés ne put faire plus qu'assiégerLondonderry. Après une défense acharnée de la ville durant105 jours, il doit lever son siège à la fin du mois de juillet. Dans le même temps, le premier engagement naval majeur de la guerre a lieu lors de labataille de la baie de Bantry le, avant la déclaration de guerre anglaise, qui se termine en une petite victoire française :Châteaurenault parvient à livrer du ravitaillement pour la campagne de Jacques II. De leur côté, les forces loyales à Guillaume reçoivent du soutien par le nord, et en août leduc de Schomberg arrive avec 15 000 renforts danois, néerlandais, huguenots et anglais. Après la prise deCarrickfergus, son avancée est toutefois ralentie devantDundalk par l'hiver, les maladies et les désertions[49].
Le la marine française remporte la victoire àBeachy Head dans laManche lorsque l'amiralTourville bat la flotte anglo-hollandaise inférieure en nombre de l'amiral Torrington. Cependant, la décision de Louis XIV de ne pas utiliser sa flotte principale pour soutenir la campagne irlandaise permet à Guillaume III de débarquer en Irlande plus tôt en juin avec 15 000 hommes. Avec ces renforts, Guillaume remporte une bataille décisive lors de labataille de la Boyne le et force Jacques II à retourner en France. Après la capture des ports deCork et deKinsale par lecomte de Marlborough, les troupes françaises et jacobites doivent se retirer vers l'ouest du pays. Guillaume III se sent alors suffisamment fort pour retourner sur le continent en 1691 et commander l'armée coalisée dans les Pays-Bas, laissant lebaron de Ginkell commander ses troupes en Irlande. Après la victoire de Ginkell sur lemarquis de Saint-Ruth lors de labataille d'Aughrim le, les dernières places fortes jacobites tombent rapidement. Sans espoir de soutien français,Limerick capitule(en), scellant la victoire de Guillaume III et de ses partisans en Irlande. Après la signature dutraité de Limerick le les troupes anglaises débarquent dans les Provinces-Unies[50].
Sébastien Le Prestre de Vauban (1633–1707). Le meilleur ingénieur militaire de Louis XIV et l'un de ses conseillers les plus respectés.Charles V duc de Lorraine.
Le succès de l'invasion de l'Angleterre par Guillaume mena rapidement à la coalition qu'il avait longtemps attendue. Le, les Néerlandais et l'empereur signent un accord offensif à Vienne. L'objectif de la Grande Alliance était de ramener la France dans ses frontières telles qu'elles étaient à la fin de laguerre de Trente Ans (1648) et de laguerre franco-espagnole (1659), privant ainsi Louis XIV de toutes ses conquêtes depuis le début de son règne[51]. L'empereur et les princes allemands devaient donc reprendre la Lorraine, Strasbourg, des parties de l'Alsace et plusieurs forteresses de Rhénanie. LéopoldIer avait essayé de mettre fin à la guerre avec les Ottomans pour pouvoir se retourner vers la lutte à venir, mais l'invasion française de la Rhénanie encouragea les Turcs qui durcirent leurs conditions pour la paix à un niveau inacceptable[52]. La décision impériale de rejoindre la coalition (contre l'avis de la plupart de ses conseillers) était donc un moyen d'intervenir à l'ouest tout en continuant le combat contre les Ottomans dans les Balkans. Même si la Rhénanie était le principal problème de l'empereur, les parties les plus importantes du traité étaient des articles secrets demandant à l'Angleterre et aux Provinces-Unies de l'assister lors de la succession d'Espagne, si Charles II venait à mourir sans héritier, et d'user de leur influence pour sécuriser l'élection deson fils Joseph sur le trône duroi des Romains[52].
Le duc de Lorraine rejoignit la ligue en même temps que l'Angleterre, tandis que le roi d'Espagne (qui était en guerre contre la France depuis) et le duc de Savoie ne le firent qu'en. Les Alliés firent de grandes concessions à Victor-Amédée II, dont la rétrocession de Casale àMantoue (qu'il espérait obtenir après la mort duduc de Mantoue sans héritier) et Pignerol pour lui-même. Son adhésion à l'Alliance faciliterait l'invasion de la France par leDauphiné et laProvence où se trouvait l'importante base navale deToulon[55]. Par opposition, Louis XIV s'était lancé dans une politique claire d'intimidation militaire pour conserver la Savoie dans l'orbite française et il envisageait l'occupation militaire de parties du Piémont (dont la citadelle de Turin) pour garantir les communications entre Pignerol et Casale[56]. Les demandes françaises à Victor-Amédée II n'étaient rien de moins qu'une attaque sur l'indépendance savoyarde[57] et finirent de convaincre le duc qu'il devait se dresser contre l'agression française[56].
L'électeur de Bavière accepta de rejoindre la Grande Alliance le, tandis que l'électeur de Brandebourg le fit le[58]. Cependant les puissances mineures étaient plus concernées par leurs propres intérêts que par la cause commune, et certains n'hésitaient pas à exiger un prix élevé pour continuer leur soutien[59]. Possédant des territoires dans l'Empire,Charles XI de Suède envoya 6 000 hommes et12 navires[60] tandis qu'en,Christian V de Danemark accepta de fournir 7 000 hommes à Guillaume III en échange d'un soutien financier[58]. Cependant en, la Suède et la Danemark mirent de côté leur rivalité et signèrent un accord de neutralité armée pour assurer la protection de leur commerce et empêcher l'extension de la guerre au nord de l'Europe. Les Suédois se préoccupaient davantage d'exploiter la guerre pour augmenter leur propre commerce maritime que de participer aux opérations militaires, ce qui irritait les puissances maritimes comme les Provinces-Unies ou l'Angleterre[61]. Néanmoins, Louis XIV devait faire face à une puissante coalition déterminée à forcer la France à reconnaître les droits et les intérêts des autres puissances européennes[51].
Les Pays-Bas vers 1700 : le principal théâtre militaire de la guerre.Lesiège de Mons en 1691. S'il ne commanda jamais une bataille rangée, Louis XIV participa à de nombreux sièges jusqu'à un âge avancé.Montmélian en ruine après sa prise par les Français en 1691.Campagne d'Italie du Nord (1690–1696). Les territoires du duc de Savoie, Victor-Amédée II comprenaient le comté de Nice, le duché de Savoie et la principauté du Piémont où se trouvait la capitale Turin.
Les combats principaux de la guerre de la ligue d'Augsbourg eurent lieu près des frontières françaises : dans lesPays-Bas espagnols, enRhénanie, enCatalogne et dans lePiémont-Savoie. L'importance des Pays-Bas espagnols résidait dans leur emplacement géographique entre la France et les Provinces-Unies. Initialement, leduc d'Humières commandait les forces françaises sur ce théâtre d'opération, mais en 1689 celles-ci ne lancèrent pas de grandes offensives car l'attention était focalisée sur la Rhénanie. L'engagement le plus significatif eut lieu lorsque le commandant en second de Guillaume III, leprince de Waldeck, battit les Français àWalcourt le. Cependant, en 1690, les Pays-Bas espagnols étaient devenus la zone clé de la guerre et les Français y concentrèrent deux armées : les forces deLouis François de Boufflers le long de laMoselle, et une force plus importante commandée par le successeur du malheureux duc d'Humières et meilleur officier de Louis XIV,François-Henri de Montmorency, duc et maréchal de Luxembourg. Le, ce dernier remporte une victoire éclatante sur les forces de Waldeck lors de labataille de Fleurus, mais l'armée française ne put pas exploiter ce succès car Louis XIV se préoccupait davantage du front allemand (commandé par lemaréchal de Lorges). Le siège de Namur et de Charleroi ne fut donc pas mis en place[56]. Pour l'empereur et les princes allemands, la menace la plus importante en 1690 restait encore celle des Ottomans qui venaient de remporter une victoire sur le Danube. L'électeur de Bavière, maintenant commandant en chef des forces impériales après la mort deCharles V de Lorraine, dut envoyer des renforts dans les Balkans et son armée sur le front ouest fut forcée de se mettre sur la défensive[62].
Le plus petit front de la guerre fut celui de Catalogne. En 1689, leduc de Noailles et les troupes françaises avaient accru la pression sur l'Espagne en soutenant un soulèvement populaire contre Charles II, qui avait commencé en 1687. Exploitant la situation, le duc de Noailles captureCamprodon le, mais une puissante armée espagnole menée par leduc de Villahermosa le force à se replier dans leRoussillon français[63]. La campagne de Catalogne se calme en 1690 mais le nouveau front du Piémont-Savoie se durcit. La haine desSavoyards envers les Français et les animosités religieuses engendrèrent un théâtre caractérisé par des massacres et des atrocités : les attaques constantes de guérilla menées par des civils étaient réprimées dans le sang[64]. En 1690, lemarquis de Saint-Ruth s'empare de la majeure partie du duché de Savoie, et force l'armée savoyarde à se replier dans la grande forteresse deMontmélian restée entre les mains ducales. Au sud, dans le Piémont,Nicolas de Catinat mène 12 000 hommes et écrase les troupes de Victor-Amédée II à labataille de Staffarda le. Catinat s'empare immédiatement deSaluces,Savillan,Fossano, etSuse mais le manque de troupes et les épidémies le forcent à repasser lesAlpes pour l'hiver[65].
Les succès français de 1690 avaient tenu en échec les Alliés sur la plupart des fronts continentaux mais ils n'avaient pas permis de briser la Grande Alliance. Dans l'espoir de déstabiliser la coalition, les commandants français préparèrent une double attaque au début de l'année 1691 : lacapture de Mons dans les Pays-Bas espagnols et deNice dans le Nord de l'Italie. Le duc de Boufflers encercle Mons le avec 46 000 hommes tandis que le duc de Luxembourg se tient en réserve avec une force similaire. Après l'un des plus intenses combats de la guerre, la ville capitule le[66]. Le duc de Luxembourg s'empare deHal à la fin du mois de mai tandis queBoufflers bombarde Liège ; cependant ces actes n'entraînent pas de conséquences stratégiques ou politiques[67]. La dernière action importante de l'année dans les Pays-Bas eut lieu le lorsque la cavalerie du duc de Luxembourg prend par surprise l'arrière-garde des forces alliées près deLeuze. La défense des Pays-Bas espagnols reposait alors presque entièrement sur les Néerlandais, et Guillaume III insista pour remplacer le gouverneur espagnol, lemarquis de Gastañaga, par l'électeur de Bavière, ce qui permettait de plus d'éviter le délai entre les décisions prises à Madrid et les actions sur le terrain[68].
En 1691, il n'y a pas de combats significatifs sur les fronts de Rhénanie et de Catalogne. Par contre, le front italien est très actif.Villefranche tombe aux mains des forces françaises le, suivi parNice le, ce qui permet d'éviter toute tentative d'invasion de la France par la mer. Au nord, dans le duché de Savoie, lemarquis de La Hoguette prend Montmélian (la dernière place forte de la région) le. La campagne dans la plaine piémontaise est au contraire loin d'être couronnée de succès. Bien queCarmagnole soit tombée en juin, lemarquis de Feuquières, apprenant l'approche de l'armée de secours duPrince Eugène de Savoie abandonne précipitamment lesiège de Coni et perd800 hommes et tous ses canons lourds. Comme Louis XIV se concentre sur les fronts d'Alsace et des Pays-Bas, Catinat est forcé de se mettre sur la défensive. L'initiative passe donc du côté des alliés qui, en août, alignent 45 000 hommes et reprennent Carmagnole en octobre. Louis XIV propose une trêve en décembre mais Victor-Amédée refuse les négociations car il anticipe une supériorité militaire pour les prochaines campagnes[56].
Les navires français en feu lors de labataille de la Hougue (1692). Peinture d'Adriaen van Diest.Campagne de Catalogne 1689–1697. Le front catalan fut le plus petit de la guerre.
Après la mort soudaine deLouvois en, Louis XIV assuma un rôle plus actif dans la direction de la guerre, aidé en cela par ses conseillers,Vauban etBolé de Chamlay[69]. La mort de Louvois provoqua également des changements dans la politique avec l'arrivée duduc de Beauvilliers et dumarquis de Pomponne aux postes de ministres. Louis XIV et le marquis de Pomponne poursuivirent les efforts pour essayer de disloquer la Grande Alliance avec des discussions secrètes avec l'empereurLéopoldIer et à partir d'août, avec l'Espagne. Les ouvertures faites à l'Espagne n'aboutirent pas, mais les puissances maritimes étaient aussi en faveur de la paix. Les discussions étaient cependant entravées par le refus de Louis XIV d'abandonner ses gains les plus récents (du moinsceux des Réunions) et, par respect à la royauté de droit divin, son refus de reconnaitreGuillaume III en tant que roi d'Angleterre. Pour sa part, Guillaume III se méfiait profondément de Louis XIV et de son projet supposé d'hégémonie universelle[70].
Au cours de l'hiver 1691–1692, les Français réfléchirent à un plan pour prendre l'ascendant sur leurs adversaires : d'une part une invasion de l'Angleterre pour permettre àJacques II de recouvrer son trône, et simultanément un assaut surNamur dans les Pays-Bas espagnols. Les Français espéraient que la prise de Namur forcerait les Hollandais à négocier et dans le cas contraire, sa capture serait un atout lors de futures négociations de paix[71]. Avec 60 000 hommes (et autant en réserve sous le commandement dumaréchal de Luxembourg), le maréchal de Vaubanassiège la place forte le. La ville tombe rapidement mais la citadelle, défendue parMenno van Coehoorn, ne se rendra que le. Dans une tentative pour renverser la situation dans les Pays-Bas espagnols, Guillaume III surprend l'armée du maréchal de Luxembourg près du village deSteinkerque le. Les Alliés remportent quelques succès mais l'arrivée des renforts français bloque l'avance de Guillaume III. Les Alliés se retirent du champ de bataille en bon ordre et les deux camps revendiquent la victoire : les Français car ils ont repoussé l'assaut, et les Alliés car ils ont empêché Liège de connaître le même destin que Namur. Cependant, du fait de lanature de la guerre à la fin duXVIIe siècle, comme Fleurus auparavant, la bataille n'a pas de grandes conséquences sur la poursuite de la guerre[72].
Si l'attaque de Namur avait été un succès, l'invasion de l'Angleterre fut un échec. Jacques II croyait qu'il bénéficierait d'un important soutien une fois qu'il aurait débarqué sur le sol anglais, mais une série de contretemps et des ordres contradictoires entraînèrent une bataille navale très inégale dans la Manche[71]. L'engagement eut lieu à l'extrémité de lapéninsule du Cotentin et dura six jours. Le, au large deBarfleur,44 navires français sous le commandement de l'amiralTourville opposèrent une vaillante résistance aux82 navires anglais et hollandais des amirauxRussell etRooke[73]. Néanmoins, la flotte française dut se retirer et15 navires qui cherchaient refuge à Cherbourg ou à la Hougue furent détruits par les marins et lesbrûlots anglais les 2 et[74]. La domination des Alliés dans la Manche rendaient l'invasion de l'Angleterre impossible. Si la bataille en elle-même ne fut pas fatale à la marine française, le manque de moyens et les erreurs commises parPhélypeaux, ainsi que le manque d'intérêt de Louis XIV pour la question furent déterminants dans la perte de la suprématie navale française au profit de l'Angleterre et des Provinces-Unies[75].
Dans le même temps, les 29 000 hommes duduc de Savoie (largement supérieurs en nombre aux troupes deCatinat dont une partie avait été envoyée dans les Pays-Bas)envahissent le Dauphiné et assiègentEmbrun (qui capitule le), avant de piller la ville désertée deGap[76]. Cependant, avec leur commandant malade de lavariole et l'impossibilité de défendre Embrun, les Alliés abandonnent le Dauphiné à la mi-septembre, laissant derrière eux 70 châteaux et villages brûlés et pillés[77]. L'attaque du Dauphiné obligea leduc de Noailles à détacher des forces sur ce front pour soutenir Catinat, ce qui le força à une campagne défensive en Catalogne. Sur le front rhénan, les Français prennent l'avantage et lemaréchal de Lorges répand la terreur jusqu'en Souabe et en Franconie[76]. En octobre, le commandant français lève le siège d'Ebernburg avant de rejoindre sesquartiers d'hiver[72].
En 1693 l'armée française comptait théoriquement 400 000 hommes, mais Louis XIV devait faire face à une crise économique[78]. Les mauvaises récoltes en France et Italie du Nord et les hivers très rigoureux provoquèrent uneterrible famine qui, à la fin 1694, avait coûté la vie à près de deux millions de personnes[79]. Malgré tout, afin d'offrir une paix à son avantage à la Grande Alliance, Louis XIV décide de reprendre l'offensive : Luxembourg attaquerait dans les Flandres, Catinat en Italie du Nord et Lorges en Allemagne avec l'offensive surHeidelberg. La ville tombe le, mais la solide défense du nouveau commandant impérial sur le Rhin,Louis-Guillaume de Bade-Bade, empêche les Français de progresser davantage. Le maréchal de Luxembourg est plus chanceux dans les Flandres. Après avoir prisHuy le, le commandant français déjoue les plans de Guillaume III et l'attaque par surprise entre les villages deNeerwinden et deLanden. Labataille du fut courte et coûteuse, mais les forces françaises, dont la cavalerie montra une fois de plus sa supériorité, l'emportèrent[80]. Luxembourg et Vauban prennent Charleroi le, qui avec les prises antérieures de Mons, Namur et Huy, fournit aux Français une nouvelle et solide ligne de défense[81].
En Italie, Catinat progresse versRivoli (avec des renforts des fronts du Rhin et de Catalogne), forçant le duc de Savoie à abandonner le siège et le bombardement de Pignerol (–) afin de se retirer pour protéger ses arrières. Labataille de La Marsaille du fut une importante victoire française. Turin était alors sans défense, mais de nouveaux problèmes de ravitaillement empêchèrent Catinat d'exploiter son succès et tout ce qu'avaient gagné finalement les Français était de l'espace supplémentaire pour défendre Pignerol[56]. En Espagne, le duc de Noailles prend le port deRoses en Catalogne le avant de se retirer dans le Roussillon. Lorsque son adversaire Medina-Sidonia abandonna le siège deBellver de Cerdanya, les deux camps se retirèrent dans leurs quartiers d'hiver[82]. Dans le même temps, la marine française remporta une victoire dans sa dernière action de la guerre. Le, les flottes combinées deBrest et deToulonattaquent par surprise un important convoi allié de200 navires marchands naviguant sous escorte vers laMéditerranée près ducap Saint-Vincent. Les Alliés perdent90 navires marchands pour un total de30 millions de livres[83].
Lesiège de Namur (1695) par Jan van Huchtenburg.LaGrand-Place de Bruxelles en feu pendant la nuit du 13 au (anonyme, musée de la Ville de Bruxelles).Le duc de Noailles (1650–1708). Du fait sa maladie, il fut remplacé par le duc de Vendôme au poste de commandant des troupes françaises en Catalogne en 1695.
Les armées françaises avaient remporté de grands succès à Heidelberg, Rosas, Huy, Neerwinden, Charleroi et La Marsaille, mais les difficultés financières de 1693 s'aggravèrent en 1694 et firent que la France ne put fournir la même énergie dans les campagnes suivantes. La crise fit évoluer la stratégie française et força les commandants à modifier leurs plans pour faire face aux pénuries financières[84]. Les agents français poursuivaient leurs tentatives pour briser la coalition mais l'empereur, qui avait sécurisé ses « droits » sur le trône d'Espagne auprès de ses alliés au cas où Charles II mourrait durant le conflit, ne désirait pas une paix qui ne lui apportait pas d'avantages personnels. La Grande Alliance resterait unie tant que l'argent serait disponible et que l'espoir que les forces combinées des armées coalisées pourrait surpasser celle de la France continuerait d'exister[85].
Dans les Pays-Bas espagnols, le duc de Luxembourg possédait encore 100 000 hommes mais il était tout de même en infériorité numérique[86]. Ne disposant pas des ressources suffisantes pour monter une attaque, le duc ne fut pas capable d'empêcher les Alliés de reprendre Dixmude et Huy le, un point stratégique pour lareconquête de Namur[87] (capitulation au). En Allemagne, de Lorges avança enBade mais la campagne s'enlisa et il dut se retirer en octobre sans avoir remporté de grands succès. En Italie, les problèmes persistants dans la chaîne de ravitaillement et le manque de moyens financiers empêchent Catinat de poursuivre sa progression dans le Piémont[56]. Cependant les combats en Catalogne se révélèrent plus mouvementés. Le, le maréchal de Noailles, soutenu par les navires de guerre français, écrase les troupes espagnoles duduc d'Escalona à labataille de la rivière Ter sur les rives de la rivièreTer. Cette victoire permet aux Français de prendrePalamós le,Gérone le etHostalric, ouvrant la route de Barcelone. Avec le roi d'Espagne menaçant de conclure une paix séparée avec la France à moins d'un soutien des alliés,Guillaume III prépara une flotte anglo-néerlandaise pour lui venir en aide. La partie de la flotte sous le commandement de l'amiralBerkeley restait dans le Nord et lança le désastreuxdébarquement de Brest le avant de bombarder les défenses côtières àDieppe,Saint-Malo,Le Havre etCalais. Le reste de la flotte commandée par l'amiralEdward Russell fut envoyée en Méditerranée où elle incorpora les navires espagnols basés àCadix. La présence navale alliée obligea la flotte française à se réfugier à Toulon (Port militaire de Toulon), ce qui en retour força le duc de Noailles, harcelé par lesmiquelets dugénéral Trinxería, à se retirer derrière le Ter[88]. En protégeant Barcelone, les Alliés conservaient l'Espagne dans l'Alliance pour deux ans de plus[89].
En 1695, les armées françaises connurent deux graves revers : le premier fut la mort le du meilleur général français de la période, le duc de Luxembourg (qui fut remplacé par leduc de Villeroi) ; le second fut laperte de Namur. Le siège fut une répétition inversée du siège de 1692, avec Coehoorn menant la bataille sous le commandement de Guillaume III et des électeurs de Bavière et de Brandebourg. Les Français avaient tenté des diversions enbombardant Bruxelles mais en dépit de la forte défense de Boufflers à Namur, la ville tombe le[90]. Le siège fut très coûteux en hommes et en ressources pour les Alliés, et il avait immobilisé l'armée de Guillaume III durant tout l'été, mais la reconquête de Namur associée à la reprise antérieure de Huy avait restauré les positions alliées sur laMeuse, et sécurisé les communications entre leurs armées dans les Pays-Bas espagnols et celles en Moselle et sur le Rhin[91].
Dans le même temps, la récente crise financière avait entraîné une transformation de la stratégie navale française, et les puissances maritimes surpassaient la France dans le domaine de la construction navale et de l'armement, en disposant d'une supériorité numérique croissante[92]. Vauban suggéra l'abandon de la guerre navale classique, laguerre d'escadre au profit de l'attaque des navires de commerce, laguerre de course menée par descorsaires. Vauban avançait que cette stratégie priverait l'ennemi de sa base économique sans nécessiter autant d'argent, qui était bien plus nécessaire aux armées terrestres. Les corsaires opéraient seuls ou en groupe à partir deDunkerque,Saint-Malo et d'autres ports plus petits et connurent de grands succès. En 1695, les sept navires de ligne dumarquis de Nesmond capturèrent les navires de laCompagnie anglaise des Indes orientales pour une valeur de 10 millions de livres. En,Jean Bart franchit le blocus de Dunkerque etattaque un convoi hollandais dans lamer du Nord détruisant 45 (2?) navires. En, lebaron de Pointis s'empare deCarthagène avec une escadre de corsaires et rapporte un butin de10 millions de livres partagés entre le roi et lui[93]. Pour leur part, les flottes alliées bombardèrent les villes corsaires de Saint-Malo,Granville, Calais et Dunkerque pour détruire cette menace.
ÀPalamós enCatalogne, le roi Charles II nomma le marquis de Gastañaga au poste de gouverneur-général. Les Alliés envoyèrent des renforts autrichiens et allemands sous le commandement du princeGeorges de Hesse-Darmstadt, un cousin de la reine d'Espagne, tandis que les Français remplacèrent le duc de Noailles, souffrant, par leduc de Vendôme, qui deviendra l'un des meilleurs officiers de Louis XIV. Cependant, l'équilibre des forces tournait de plus en plus dangereusement en défaveur des Français. En Espagne, en Rhénanie et dans les Pays-Bas, les troupes de Louis XIV ne tenaient leurs positions qu'avec de grandes difficultés ; le bombardement des ports de laManche, les menaces d'invasion et la perte de Namur étaient d'autres causes d'inquiétudes pour le monarque de Versailles[94].
Cependant, une percée diplomatique fut réalisée en Italie. Depuis deux ans, le ministre des Finances du duc de Savoie, le comte de Gropello, et le second de Catinat, lecomte de Tessé, négociaient secrètement un accord en vue de mettre fin à la guerre en Italie. Les discussions tournaient autour des deux forteresses françaises qui encerclaient le territoire du Duc,Pignerol etCasale, la dernière étant complètement privée du soutien français[56]. Victor-Amédée II commençait à plus s'inquiéter de l'influence militaire et politique du Saint-Empire que de celle de la France et de la menace qu'elle posait à l'indépendance savoyarde. Sachant de plus que les troupes impériales planifiaient la mise en place dusiège de Casale, le ducproposa la reddition de la garnison française, après un baroud d'honneur et la destruction de la forteresse avant sa cession àMantoue[95]. Louis XIV était obligé d'accepter et après une parodie de siège et une résistance formelle, Casale se rend àVictor-Amédée le et à la mi-septembre, la citadelle avait été complètement rasée (voir aussitraité de Turin du 29 août 1696).
La plupart des fronts furent relativement calmes en 1696. En Flandres, le long du Rhin et en Catalogne, les attaques et les contre-attaques n'eurent pas de grands succès. Les réticences de Louis XIV à lancer des offensives (en dépit de la volonté de ses généraux) peuvent s'expliquer par sa connaissances des échanges secrets qui avaient commencé un an auparavant entre le françaisFrançois de Callières et les hollandaisJacob Boreel(en) etEverhard van Weede Dijkvelt(en)[96]. Au printemps 1696, les discussions concernaient un large éventail de problèmes s'opposant à la paix. Les plus sensibles d'entre eux étaient la question de la reconnaissance de Guillaume d'Orange en tant que roi d'Angleterre et le statut de Jacques II en France. Les Hollandais demandaient entre autres la mise en place de barrières contre une future agression française, une reconsidération des taxes françaises sur le commerce hollandais, et les territoires conquis en Lorraine après les Réunions et particulièrement la ville stratégique de Strasbourg étaient encore contestés[96]. Louis XIV avait réussi à établir le principe selon lequel le nouveau traité devait s'inscrire dans la ligne des ancienstraités de Westphalie, deNimègue et deRatisbonne, mais les demandes impériales concernant Strasbourg et l'insistance de Guillaume III d'être reconnu roi d'Angleterreavant la fin des hostilités ne rendaient pas opportun la tenue d'une conférence de paix[97].
En Italie, les négociations secrètes se révélèrent plus productives et la question de la possession de Pignerol par les Français se trouvait au cœur des débats. Lorsque Victor-Amédée II menaça d'assiéger Pignerol, les Français, concluant que sa défense était impossible, acceptèrent de céder la place forte à la condition que ses fortifications soient détruites. Les termes furent formalisés dans le traité de Turin du, et Louis XIV dut rendre, intactes,Montmélian,Nice,Villefranche,Suse et d'autres plus petites villes[98]. Parmi les autres concessions, Louis XIV promettait de ne pas interférer dans la politique religieuse savoyarde concernant les vaudois. En retour, Victor-Amédée II abandonnait la Grande Alliance et se joignait à la France pour sécuriser le Nord de l'Italie. L'empereur, diplomatiquement dépassé, dut signer letraité de Vigevano(de), rapidement accepté par la France, qui mit fin à la guerre dans la région. La Savoie émergea comme un royaume souverain et une puissance moyenne importante ; les Alpes, et non pas lePô, devinrent la frontière française du Sud-Est[56].
Letraité de Turin était la première étape d'une course pour la paix. La constante perturbation du commerce fit que les bourgeoisies commerçantes d'Angleterre et les Provinces-Unies étaient désireuses de faire la paix. La France devait faire face à un épuisement économique mais par-dessus tout, Louis XIV était convaincu de la mort imminente de Charles II d'Espagne et avait besoin de la disparition de la Grande Alliance pour pouvoir profiter de la bataille dynastique à venir[99]. Les parties en présence acceptèrent de se rencontrer àRyswick en vue de mettre fin au conflit. Mais comme les négociations durèrent tout au long de l'année 1697, les combats continuèrent également. Le principal objectif français de l'année dans les Pays-Bas espagnols étaitAth. Vauban et Catinat (renforcés par des unités du front d'Italie) encerclèrent la ville le, protégés par les maréchaux Boufflers et Villeroi, et la cité se rendit le. Le théâtre rhénan fut encore une fois assez calme : le commandant français, lemaréchal Choiseul (qui avait remplacé de Lorges, malade, l'année précédente), se contentait de rester derrière ses lignes défensives. Même si le duc de Bade avait repris Ebernberg le, l'annonce de l'imminence de la paix mit fin à l'offensive et les deux camps retournèrent sur leurs positions. En Catalogne, cependant, les forces françaises (renforcées par des troupes du front italien) remportèrent un grand succès lorsque le duc de Vendôme et son armée de 32 000 hommesassiégea et s'empara de Barcelone[100]. La garnison, commandée par le princeGeorges de Hesse-Darmstadt, capitula le. La bataille fut cependant coûteuse avec 9 000 morts, blessés ou disparus chez les Français et 12 000 chez les Espagnols[101].
La guerre en Europe entraîna un conflit enAmérique du Nord où il est connu sous le nom depremière guerre intercoloniale (King William's War pour les Anglo-Saxons), même si le théâtre nord-américain fut très différent du point de vue de l'échelle ou des enjeux. Les Français étaient déterminés à conserver le territoire duCanada (Nouvelle-France) le long duSaint-Laurent et à étendre leur pouvoir dans le vaste bassin duMississippi[102]. De plus, labaie d'Hudson était au centre d'une dispute entre les colons catholiques français et les protestants anglais qui revendiquaient une part de son occupation et de son commerce. Bien qu'important pour les colonies américaines, le théâtre américain de la guerre de la Ligue d'Augsbourg fut de faible importance pour les dirigeants européens. En dépit de leur supériorité, les colons anglais subirent de nombreuses défaites face aux troupes françaises bien organisées deNouvelle-France et leurs alliés autochtones (notamment lesAlgonquins et lesAbénaquis) qui ravagèrent les implantations anglaises[103]. Presque toutes les ressources envoyées d'Europe furent utilisées pour défendre lesIndes occidentales, jugées bien plus précieuses.
La guerre se poursuivit durant plusieurs années avec des attaques épisodiques et des massacres frontaliers : ni les dirigeants français ni les anglais ne voulaient affaiblir leurs positions en Europe pour obtenir une victoire en Amérique du Nord[105]. D'après le traité de Ryswick, les frontières entre la Nouvelle-Angleterre et la Nouvelle-France restaient inchangées. ÀTerre-Neuve et dans labaie d'Hudson, l'influence française se renforçait, mais Guillaume III, qui avait utilisé les intérêts de la compagnie de la baie d'Hudson comme raison pour entrer en guerre en Amérique, ne voulait pas risquer sa position en Europe pour une nouvelle guerre. LesIroquois, abandonnés par leurs alliés anglais durent mener des négociations séparées et, d'après lagrande paix de Montréal de 1701, acceptèrent de rester neutres dans tout nouveau conflit entre la France et l'Angleterre[106].
Lorsque les nouvelles de la guerre européenne atteignirent l'Asie, les gouverneurs et les marchands anglais, français et hollandais se lancèrent rapidement dans la lutte. En, l'amiral français Duquesne bombarda la flotte anglo-néerlandaise àMadras. C'était une attaque téméraire mais elle initia la guerre enExtrême-Orient[60]. En 1693, les Hollandais lancèrent une expédition contre leurs rivaux commerciaux français àPondichéry dans le Sud-Est de l'Inde. La garnison française commandée parFrançois Martin est submergée, et la ville tombe le[107]. Ailleurs, dans lesCaraïbes,Saint-Christophe changea de mains deux fois ; laJamaïque, laMartinique etHispaniola ne furent pas touchés par les combats. Les Alliés possédaient la supériorité navale dans ces zones isolées mais ne purent jamais empêcher les Français de ravitailler leurs unités coloniales[60].
Selon les termes dutraité de Ryswick, Louis XIV conservait la totalité de l'Alsace, dont Strasbourg. La Lorraine était rendue à son duc même si la France conservait un droit de passage pour son armée, et les Français abandonnaient tous leurs gains sur la rive droite du Rhin :Philipsburg,Breisach,Fribourg-en-Brisgau etKehl. De plus, les forteresses françaises de La Pile, Mont Royal et Port Louis devaient être démolies. Pour obtenir les faveurs de Madrid sur la question de la succession d'Espagne, Louis XIV évacua la Catalogne en dépit des désastres militaires espagnols et renditLuxembourg,Chimay,Mons,Courtrai,Charleroi etAth aux Pays-Bas espagnols[109]. Les puissances maritimes ne firent aucune revendication territoriale, mais les Hollandais reçurent un accord commercial favorable dont le terme le plus important était le retour auxdroits de douane français de 1664. Même si Louis XIV continuait d'accueillir Jacques II, il reconnaissait Guillaume III comme le légitime roi de l'Angleterre protestante et ne soutiendrait pas les revendications royales du fils de Jacques II[110]. De plus, la France voyait reconnaître sa possession de la moitié occidentale de l'ile d'Hispaniola.
La guerre avait permis à Guillaume III de détruire lejacobitisme et rapprocha l'Irlande et l'Écosse du pouvoir royal. L'Angleterre émergea comme une grande puissance navale et économique et un acteur de premier plan dans les affaires européennes[108]. Guillaume III continua de faire de la défense des Provinces-Unies sa priorité, et en 1698, les Hollandais mirent en place une série de forteresses dans les Pays-Bas espagnols pour se prémunir d'une attaque française[113]. En revanche, la question de la succession d'Espagne ne fut pas abordée à Ryswick et restait la question la plus brûlante de la politique européenne. Trois ans plus tard, la mort de Charles II d'Espagne allait mener à une nouvelle guerre entre Louis XIV et la Grande Alliance, laguerre de Succession d'Espagne.
Siège de Mayence, 1689. La plupart des grandes villes fortifiées possédaient descitadelles. Une fois que la ville était tombée, la garnison pouvait se retirer dans la citadelle qui devait être réduite à son tour.
Les opérations s'étendaient typiquement de mai à octobre, du fait de manque de ressources lors des mois d'hiver. Cependant, les Français avaient pour habitude de stocker de grandes réserves de nourriture dans des entrepôts, ce qui leur permettaient d'attaquer plusieurs semaines avant leurs ennemis[114]. Néanmoins les opérations militaires durant la guerre de la Ligue d'Augsbourg ne produisirent pas de résultats décisifs. La guerre fut dominée par laguerre de siège : la construction, la défense et l'attaque desforteresses et des lignes de tranchées. En effet, les forteresses contrôlaient les points stratégiques, les routes de ravitaillement et servaient d'entrepôts pour le ravitaillement. Cependant, elles empêchaient l'exploitation d'une victoire militaire, les troupes vaincues pouvant se replier dans une forteresse alliée et se reconstituer[115]. Beaucoup de commandants inexpérimentés appréciaient ces opérations relativement prévisibles pour masquer leur manque de capacité militaire[116]. CommeDaniel Defoe l'observa en 1697,« il est maintenant courant de voir des armées de 50 000 hommes de chaque côté qui passent toute la campagne à s'éviter, ou en termes plus distingués, à s'observer mutuellement avant de se replier dans leurs quartiers d'hiver »[116]. Durant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les armées sur le terrain pouvaient atteindre 100 000 hommes en 1695, ce qui plongea les belligérants dans une crise économique[117]. Il existait des commandants désireux de se battre, comme Guillaume III ou les ducs de Boufflers et de Luxembourg, mais leurs tactiques étaient handicapées par le nombre de soldats et les difficultés de communication et de ravitaillement[117]. Les commandants français étaient également ralentis par Louis XIV et Louvois qui préféraient la prise des forteresses à la guerre de mouvement[118].
Un autre facteur qui contribua au manque d'actions décisives était la nécessité de combattre pour sécuriser les ressources. Les armées devaient se soutenir elles-mêmes en taxant les populations locales d'un territoire neutre ou hostile. Soumettre une zone à l'impôt était jugé plus important que la poursuite d'une armée en déroute pour la détruire. Il s'agissait principalement de préoccupations économiques et financières qui dessinaient le rythme des campagnes militaires, car les armées combattaient pour durer plus longtemps que leur adversaire dans uneguerre d'attrition[119]. La seule bataille réellement décisive de la guerre fut labataille de la Boyne lorsque Guillaume III écrase les forces de Jacques II et remporte le contrôle des îles Britanniques. À la différence de l'Irlande, les guerres continentales de Louis XIV servaient de base à des négociations politiques et ne dictaient pas une solution[120].
L'introduction du fusil àsilex fut l'une des grandes avancées militaires de la fin duXVIIe siècle. La platine à silex offrait une plus grande cadence de tir et une précision accrue par rapport aux encombrants mousquets àmèche. Mais l'adoption du fusil ne fut pas universelle. Jusqu'en 1697, seuls trois soldats de l'Alliance sur cinq en possédaient[121] ; les troupes françaises de deuxième ligne utilisèrent la platine à mèche jusqu'en 1703[122]. Ces armes furent encore améliorées avec le développement de labaïonnette à tenon. Son ancêtre, la baïonnette-bouchon, fixée dans le canon de l'arme, empêchait de tirer et était longue à mettre en place et encore plus longue à retirer. La baïonnette à tenon se plaçait sous l'affut de l'arme avec un simple tenon et transformait le fusil en une courtepique pouvant néanmoins tirer[123]. Les inconvénients de la pique devinrent évidents : à la bataille de Fleurus en 1690, les bataillons allemands, uniquement équipés de mousquets, repoussèrent les attaques de la cavalerie française plus efficacement que les unités équipées de la traditionnelle pique. De la même manière, Catinat abandonna ses piques avant d'entamer sa campagne en Savoie[122].
En 1688 les plus puissantes marines de guerre étaient les marines française, anglaise et hollandaise ; les flottes espagnole et portugaise avaient connu un sérieux déclin au cours duXVIIe siècle[124]. Les plus grands navires français étaient leSoleil Royal et leRoyal Louis. Ces deux navires emportaient chacun 104 canons mais étaient difficiles à utiliser. Le premier fut coulé lors de labataille de la Hougue et le second dépérit dans un port avant d'être vendu en 1694. Les navires français étaient au moins aussi bien conçus que leurs homologues hollandais et anglais[125]. Cependant, laRoyal Navy commença à introduire labarre à roue sur ses navires, ce qui améliorait considérablement leurs performances, particulièrement par gros temps. La marine française n'adopta pas la barre avant les années 1710[126].
Lors des batailles navales les navires enligne de bataille s'échangeaient des bordées de canons ; desbrûlots étaient également utilisés mais étaient plus efficaces contre des cibles immobiles, tandis que les nouvellesbombardes permettaient de bombarder les côtes. Comme sur terre, les batailles étaient rarement décisives et il était quasiment impossible d'infliger suffisamment de dommages à la flotte adverse pour remporter une victoire définitive. Les succès ne dépendaient pas seulement de l'habileté tactique mais aussi du strict poids du nombre[127]. La France était donc désavantagée, car comme sa flotte de commerce n'était pas aussi développée que celle des Anglais et des Hollandais, elle ne pouvait donc pas compter sur un grand nombre de marins expérimentés en cas de conflit. De plus, Louis XIV devait concentrer ses ressources sur l'armée aux dépens de la flotte, ce qui permit aux Hollandais et surtout aux Anglais de surpasser le rythme de construction français. Pour Louis XIV, la flotte était une extension de son armée dont le rôle le plus important était de protéger les côtes françaises d'une invasion ennemie. Il utilisait sa marine pour soutenir les opérations terrestres et amphibies ou pour bombarder les cibles côtières, ce qui détournait les ressources adverses et facilitait ses opérations sur le continent[128].
Une fois que les Alliés eurent obtenu la supériorité navale, les Français jugèrent plus prudent de ne pas chercher à s'y opposer. Au début de la guerre la flotte française comprenait 118navires classés sur un total de 295 navires de tout type. À la fin de la guerre, elle possédait 137 navires classés. Par comparaison, la flotte anglaise commença la guerre avec 173 navires de tout type et la termina avec 323. Entre 1694 et 1697 la France construisit 19 navires de guerre contre 58 pour les Anglais et 22 pour les Hollandais. Par conséquent, les puissances maritimes construisaient quatre fois plus de navires que la France[129].
↑Les prétentions dynastiques du duc de Savoie incluaient de sérieuses revendications sur le trône d'Espagne qui fournissaient une alternative aux revendications rivales du Dauphin et des Habsbourg.