La stabilité du graphène est expliquée par unehybridation orbitale sp2 –une combinaison d'orbitales s, px et py t qui constituent laliaison σ. L'électron pz constitue laliaison π[5]. Les liaisons π s'hybrident ensemble pour former la bande π et les bandes π∗. Ces bandes sont responsables de la plupart des propriétés électroniques notables du graphène, via la bande à moitié remplie qui permet aux électrons de se déplacer librement[6].
Animation expliquant la courbe obtenue par l'équipe de A. Geim montrant les propriétés électriques du graphène dopé.
La première mention du graphène remonte à sa théorisation en 1947 par le physicien P.R. Wallace de l’université de McGill dans un article sur le graphite[7]. Par la suite, de nombreux groupes vont essayer d’obtenir des preuves de son existence qui avait longtemps été crue impossible bien qu’il constitue maintenant un « cas d'école » dans le calcul destructure de bandes électroniques. Il faudra attendre les progrès dans lamicroscopie électronique en transmission (1933, premier microscope MET qui dépasse les performances des microscopes optiques) pour que les premières images de graphène soient observées. En 1948, G. Ruess et F. Vogt ont fourni les premières images de graphènes de quelques couches grâce à un microscope MET[8]. La première isolation et caractérisation de graphène monocouche est attribuée à l'équipe d'Andre Geim et Konstantin Novoselov à l'université de Manchester enAngleterre en2004[9]. C’est d’ailleurs à Manchester qu'a été construit le National Graphene Institute fini en 2015.
Le graphène se trouve à l'état naturel dans les cristaux degraphite (défini comme un empilement de feuilles de graphène). Plusieurs techniques ayant pour but de rendre le graphène exploitable ont vu le jour ces dernières années. En fonction de ces méthodes, la structure et les caractéristiques du graphène changent.
En 2009, seulement les sociétésGraphene Industries etGraphene Works étaient capables de le produire. Depuis cette année, de nombreux projets publics et privés ont vu le jour avec pour objectif de diminuer le coût, jusqu'alors prohibitif, du matériau. Parmi ces programmes, on peut citer une première tentative de Ningbo Moxi Co. Ltd[10], qui se serait lancé en dans l'étude et la construction d'une ligne de production capable de fabriquer trente tonnes de graphène par an à un coût qui pourrait être inférieur à un dollar le gramme[11].
Le principe consiste à arracher une très fine couche de graphite du cristal à l'aide d'unruban adhésif, puis de renouveler l'opération une dizaine de fois sur les échantillons ainsi produits afin que ces derniers soient les plus fins possibles. Ils sont ensuite déposés sur une plaque dedioxyde de silicium où une identification optique permettra de sélectionner les échantillons constitués d'uneunique couche.
À ce jour, cette méthode permet d'obtenir les plus grandscristallites de graphène, d'un diamètre allant jusqu'à vingt micromètres[réf. souhaitée].
Il s'agit de synthétiser du graphène à partir decarbure de silicium. Un échantillon de ce dernier est chauffé sous vide à1 300 °C afin que les atomes desilicium des couches externes s'en évaporent. Aprèsun temps bien déterminé[Combien ?], les atomes de carbone restants se réorganisent en fines couches de graphène.
Le graphène est produit par la décomposition catalytique à haute température d'un gaz carboné (méthane,éthylène, etc.) sur un métal, en général, ducuivre, dunickel ou encore de l'iridium. La température optimale de réaction dépend du type de gaz et de métal. On distingue deux grandes familles de réaction :
sur des métaux comme lecuivre, la décomposition du gaz carboné produit des atomes de carbone qui restent en surface du fait de leur très faiblesolubilité dans le métal, et interagissent pour former une couche de graphène en surface ;
sur des métaux de typenickel, c'est la forte variation de solubilité du carbone dans le métal en fonction de la température qui permet, une fois que le carbone produit a diffusé dans le métal à haute température, de se retrouver expulsé en surface de celui-ci lorsque la température diminue. Cette technique produit en général quelques couches de graphène.
Les couches de graphène obtenues présentent généralement des défauts (grains, surcouche, froissement ou repli). Une étude concernant la réalisation de graphène à partir de précurseur d’éthylène sur des feuilles de Cu-Ni(111) monocristallines a permis d'éliminer la formation de replis lors du refroidissement en limitant la température de croissance du cristal sous1 030K (757 °C)[12],[13].
Le principe consiste àoxyder du graphite dans un milieuacide (par exempleacide sulfurique etpermanganate de potassium) puis utiliser de l'hydrazine comme solvantréducteur pour purifier le graphène. Ainsi, on peut produire de grandes quantités de graphène, mais de qualité médiocre.
En2016, en injectant une solution de « graphènure » dans de l'eau dégazée, des chercheurs du Centre de recherche Paul-Pascal (CNRS/université de Bordeaux) et du Laboratoire Charles-Coulomb (CNRS/université de Montpellier) ont obtenu une « eau de graphène » dans laquelle des ionsOH− s'adsorbent à la surface des feuillets de graphène ; cette dispersion aqueuse est la premièreformulation de graphène encouche unique[14].
Elle permet de produire en quelques secondes et à moindre coût une quantité moyenne de graphène de bonne qualité et constitue de plus un excellent moyen de réduire la pollution par le plastique[15].
Le graphène est un matériau présenté dans les programmes de recherche, la communication institutionnelle et les politiques industrielles comme prometteur dans les domaines de l’électronique, de la technologie ou bien de l’optique ayant des propriétés uniques offrant des perspectives commerciales très fortes. Aujourd’hui, nous assistons à une course au graphène.
En effet, en 2013, la Chine crée l’Alliance de l’innovation de l’industrie du graphène de Chine (China Innovation Alliance of the Graphène Industry ou CGIA) et a établi cinq parcs industriels (à Changzhou, Wuxi, Ningbo, Qingdao et Chongqing) pour accélérer le développement des recherches sur ce matériau[16].
Du côté de l’Europe, l’Union européenne a retenu le graphène comme sujet d’unFET Flagship doté d’un milliard d’euros[17] avec pour objectif d’accélérer la mise au point et la commercialisation d’applications de ce matériau prometteur. Ce projet est leGraphene Flagship[18].
De son côté, l’université de Manchester a lancé le National Graphene Institute. Il fédère plus de trois cents chercheurs qui se spécialisent dans la recherche empirique et dans le transfert de technologies vers les entreprises nationales et internationales partenaires. L’institut a établi des partenariats avec plus de cent entreprises pour développer des applications utilisant le graphène.
Les attentes des scientifiques liées au graphène dans divers domaines tels que l’électronique, la santé et l’aéronautique[19] sont grandes et les acteurs participant à cette course sont nombreux. Des observateurs s’en étonnent en raison de l’absence de succès commercial et du faible nombre d'applications mises en oeuvre. Plusieurs explications sont avancées à cet écart.
D’après des chercheurs en nanosciences, le passage à l’échelle industrielle serait difficile, car le coût d’obtention de plaquettes de graphène reste trop élevé — il représenterait des centaines d’euros par kilogramme. En fait, la fourchette de prix est assez large puisque plusieurs facteurs entrent en compte, tels que la qualité du graphène produit (économie d’échelle), la taille des plaquettes et la technique de production[20].
Ainsi, les produits à base de graphène constituent une niche de marché qui n'a pas vraiment réussi à décoller dans les années 2010. En 2019, la taille du marché du graphène était estimée à79 millions de dollars, alors que le marché des nanotubes de carbone, par exemple, était estimé à2,6 milliards de dollars[20],[21]. L'industrie du graphène est encore perçue par les investisseurs potentiels comme un marché immature en raison d'un manque de normalisation et de fiabilité des propriétés du produit vendu. Les acteurs de la normalisation du graphène tels que ISO/TC 229 Nanotechnologies et EC/TC 113 Nanotechnology for electrotechnical products and systems[22] — étant le comité technique principal — essayant de normaliser le graphène au plus vite. Cette vision par les bailleurs de fonds du marché du graphène reste le principal frein à l'expansion et au développement de ce marché spécifique.
Néanmoins, différentes entreprises telles queSamsung ouNokia ont commencé à investir dans le graphène et bon nombre de brevets sont également déposés.
Quelques applications du graphène d’origine chinoise ont vu le jour : l’ampoule à graphène commercialisée en mai 2016 par la société anglaise BGT Materials[25], le papier électronique commercialisé en 2014 par l’entreprise chinoise Guangzhou OED[26] ainsi que lesupercondensateur à base de carbone poreux. Ce matériau pourrait potentiellement être produit à plus grande échelle et introduit dans les supercondensateurs mais pour l’instant il reste un prototype[27].
Sa production reste problématique et très onéreuse : six cents milliards d'euros par mètre carré selonLa Recherche (2008)[28] (chiffre relativisé par le physicien Jean-Noël Fuchs, qui déclare :
« On lit parfois que la production d'un mètre carré de graphène reviendrait à600 milliards d'euros. Il s'agit d'un calcul qui avait été fait il y a quelques années en tenant compte du fait qu'un très petit nombre de groupes étaient capables d'en produire, en très petite quantité, de l'ordre du millimètre carré. En réalité, le matériau de base n'est rien d'autre que du carbone, ce qui ne coûte pas très cher[29] ! »
En2009, on a réussi à transformer, en une opération réversible, du graphène (conducteur électrique) engraphane (forme hydrogénée, isolante du graphène)[31]. D'autres applications concernant la fabrication d'écrans souples(en) sont également envisagées[32].
En 2010, il est proposé pour produire desélectrodes transparentes[33].
Début 2014, des chercheurs britanniques ont montré dans la revueScientific qu'une couche de graphène peut absorber 90 % de l’énergie électromagnétique sur certaines bandes de fréquence. Une fine couche pourrait donc bloquer la propagation d'unréseau sans fil, par exemple pour sécuriser ou confiner la propagation radio duWi-Fi[34].
En, des chercheurs de la faculté de médecine et de chirurgie de l’université catholique du Sacré-Cœur de Milan et de l’ISC-CNR de Rome en proposent une application médicale pour lutter contre les champignons et les bactéries des hôpitaux[35].
Fin 2016, une équipe de chercheurs de l’université de l'Arkansas, menée par le physicien américain Paul Thibado, a effectué des recherches sur les mouvements de ce matériau avant de publier ses conclusions dans la revuePhysical Review Letters. Ces chercheurs ont réussi à créer un circuit capable de capter le mouvement thermique du graphène et de le transformer encourant électrique. Cela ouvrirait alors la voie vers uneénergie propre et réutilisable à l'infini[36].
L'une de ses propriétés spectaculaires est de posséder desélectrons auniveau de Fermi dont la masse apparente est nulle ; ainsi, il constitue le seul système physique faisant apparaître desfermions de masse nulle, ce qui est d'un très grand intérêt pour laphysique fondamentale. L'un des effets les plus frappants est l'apparition sous unchamp magnétique d'uneffet Hall quantique à température ambiante.
Les électrons se déplacent sur le graphène, cristal bidimensionnel, à la vitesse de1 000km/s, soit presque150 fois la vitesse des électrons dans lesilicium (7km/s)[40]. Grâce encore à ses propriétés de cristal bidimensionnel et à une capacité récemment découverte d'auto-refroidissement très rapide, untransistor de graphène ne s'échauffe que très peu.
Le graphène bicouche se trouve généralement soit dans des configurations décalées où les deux couches sont désalignées l'une par rapport à l'autre, soit dans des configurations avec un empilement dit de typeBernal où la moitié des atomes d'une couche se trouve au-dessus de la moitié des atomes de l'autre comme pour le graphite.
Les deux couches du graphène bicouche peuvent résister à une différence de contrainte mécanique importante[45] qui doit culminer avec leur exfoliation.
Le graphène pourrait être la clef de l'électrification desautomobiles. En effet, ses caractéristiques exceptionnelles en font un support idéal pour lesélectrodes desbatteries.
Sa grande résistance mécanique et chimique laisse augurer une bonne durée de vie et une faible perte de capacité après de multiples cycles de charges/décharges.
La finesse des feuilles de graphène assure une grandesurface d'échange ; or c'est cette capacité à échanger desions qui induit les performances des batteries, aussi bien en capacité énergétique qu'en vitesse pour les opérations de charge et de décharge.
Sa très bonneconductivité réduit les risques d'échauffement, autorisant des charges plus rapides.
Des feuilles de graphène perforées et dopées ausilicium ont été testées pour remplacer lesanodes traditionnelles en graphite, permettant de tripler la capacité des batteries[46]. La sociétéSiNode Systems a réussi une levée de fonds de1,5 million de dollars pour un projet debatterie lithium-ion graphène qui pourrait avoir une durée de vie équivalente à dix fois celle d'une batterie classique[47]. Pour ce faire, les chercheurs ont combiné le graphène avec des particules de silicium, ce qui permet de multiplier par dix la capacité destockage d'énergie[48] : 3 200 mAh/g contre 300 mAh/g pour lesbatteries lithium-ion classiques.
L'autre voie d'utilisation pour l'énergie est la conception de super-condensateurs au graphène[49]. Ces composants électriques ont une capacité de stockage d'énergie modeste, mais peuvent être chargés plus rapidement que les composants « traditionnels ». La structure du graphène est très efficace et permet d'atteindre des quantités d'énergie hors de portée des autres matériaux[50].
Le, un brevet, déposé par le fabricant sud-coréenSamsung, a été accepté aux États-Unis et en Corée du Sud pour une batterie au graphène qui offrirait une autonomie deux fois supérieure à celle dessmartphones actuels, sans échauffement et avec un temps de rechargement estimé à quinze minutes[51],[52].
Le graphène périodiquement empilé et son isomorphe isolant fournissent un élément structurel fascinant dans la mise en œuvre de super-réseaux hautement fonctionnels à l'échelle atomique, ce qui offre des possibilités dans la conception de dispositifs nanoélectroniques et photoniques. Différents types de super-réseaux peuvent être obtenus en empilant le graphène et ses formes apparentées[56]. La bande d'énergie dans les super-réseaux à couches superposées s'avère plus sensible à la largeur de la barrière que celle des super-réseaux àsemi-conducteursIII –V conventionnels. Lors de l'ajout de plus d'une couche atomique à la barrière à chaque période, le couplage des fonctions d'onde électroniques dans lespuits de potentiel voisins peut être considérablement réduit, ce qui conduit à la dégénérescence des sous-bandes continues en niveaux d'énergie quantifiés. En faisant varier la largeur du puits, les niveaux d'énergie dans les puits potentiels le long de la direction L-M se comportent distinctement de ceux le long de la direction K-H.
Un super-réseau correspond à un agencement périodique ou quasi périodique de différents matériaux, et peut être décrit par une période de super-réseau qui confère une nouvelle symétrie de translation au système, impactant leurs dispersions de phonons et par la suite leurs propriétés de transport thermique. Récemment, des structures uniformes de graphène-hBN monocouches ont été synthétisées avec succès par lithographie couplée à un dépôt chimique en phase vapeur (CVD)[57]. De plus, les super-réseaux de graphène-hBN sont des systèmes modèles idéaux pour la réalisation et la compréhension du transport thermique des phonons cohérent (en forme d'onde) et incohérent (en forme de particule)[58],[59].
Les effets biocides du graphènes sont un sujet à débat qui divise encore en 2023 les scientifiques[60].
En 2013, une équipe de l'université Brown étudie des « flocons » de graphène constitués de quelques couches de 10 micromètres. Mises en solution, ces nanostructures se montrent capables de transpercer les membranes cellulaires, initialement par leurs pointes (coins), permettant au graphène d'être ensuite « internalisé » dans la cellule. Les conséquences physiologiques de ce phénomène sont alors encore inconnues[61],[62].
En 2016, unerevue d'études, produite par Lalwaniet al. fait le point sur les mécanismes connus de la toxicité du graphène[64]. La même année, une autre revue d'études porte sur les nanomatériaux de la famille du graphène (GFN), citant plusieurs mécanismes toxiques typiques tels que les dégâts physiques à la cellule, lestress oxydatif, les dommages à l'ADN, laréponse inflammatoire, l'apoptose, l'autophagie et lanécrose cellulaire[65]. Une autre revue d'étude, australienne, porte sur la toxicité des points quantiques de graphène (GQD pourgraphene quantum dots), y compris les GQD bruts, les GQD dopés chimiquement et les GQD chimiquement fonctionnalisés, et résume les résultats des tests existants sur la toxicitéin vivo etin vitro du graphène. Ce travail attire notamment l'attention sur les mécanismes d'absorption du graphène par les cellules, et les paramètres régissant la toxicité des GQD (ex. : taux, méthode de synthèse, taille des particules, chimie de surface et dopage chimique)[66].
En 2020, une étude a montré que la toxicité du graphène varie beaucoup selon plusieurs facteurs : forme, taille et/ou pureté de la molécule ; étapes de traitement post-production, état oxydatif, groupes fonctionnels, état de dispersion, méthodes de synthèse, mais aussi voie et dose d'administration, et temps d'exposition[67].
En 2023, une étude explique que les études sur la toxicité du graphène ont donné des résultats contradictoires. Ces incohérences seraient dues aux types de cellules évaluées, leur bagage génétique, les techniques utilisées, les paramètres expérimentaux, les conditions de culture pour les expériencesin vitro, les dérivés et formes de graphène utilisés et leurs propriétés physicochimiques. L'étude conclut sur le fait qu'il manque encore des études pour savoir la réelle toxicité du graphène[60].
Dans le cadre de la lutte contre lapandémie, des masques contenant du graphène, matériau réputé pour ses propriétés présuméesvirucides[68], ont été retirés du marchécanadien au cas où ils s’avéreraient toxiques[69]. Ils ont été remis sur le marché le, après une étude concluant à l'absence de risque[70].
↑Yvonne Tran,La révolution du graphène, ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, France Diplomatie, 5 décembre 2016 (consulté le 26 juillet 2023).