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Grande Peur

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Pour les articles homonymes, voirGrande Peur (homonymie).

Grande Peur
Description de cette image, également commentée ci-après
Insurrection paysanne, émigration des princes et des courtisans de leurs châteaux de campagne brulés en, dansTableaux des évènements de la Révolution française (1795-1799) par Philippe Joseph Maillart,musée Carnavalet.
Informations
Date
Localisationcampagnes françaises
Caractéristiques
Organisateurssans
Participantshabitants des campagnes, toutes classes confondues
Nombre de participantsPlusieurs dizaines de milliers
ActionsDiffusion de l’information ; création de milices ; destruction de symboles féodaux
Bilan humain
MortsIncertain

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LaGrande Peur est un mouvement depeur collective qui s'est répandu enFrance, essentiellement du au, et s'est prolongé au-delà. Les épisodes de peur sont parfois suivis de révoltes anti-seigneuriales et d’émeutes frumentaires en ville, mais les phénomènes sont disjoints. Ils aboutissent à la création de milices sur tout le territoire, qui, sous la direction de l’Assemblée nationale, évoluent engardes nationales et au mouvement des fédérations de ces mêmes gardes qui culmine lors de lafête de la Fédération le, moment de reprise en main du mouvement populaire.

La Grande Peur et les révoltes anti-seigneuriales simultanées apparaissent en même temps que s'effondre l'autorité de l'Ancien Régime, et elles engendrent un important mouvement d'émigration de la noblesse[1]. Elles provoquent aussi la surprise — et l'inquiétude — des nouvelles autorités politiques[1] et entraînent, en réponse à celles-ci, l'abolition des privilèges[1].

Historiographie

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Les historiens duXIXe siècle ont différentes façons de considérer la Grande Peur (qu’ils ne nomment pas ainsi). PourMichelet, ces paniques sont une réaction populaire légitime face à une menace et annoncent laGrande Armée.Thiers etLouis Blanc et les historiens contre-révolutionnaires considèrent que la diffusion de fausses nouvelles est un stratagème ; les premiers le jugeant favorablement (car il permet à la Révolution d’advenir) et les seconds le jugeant coupable ; pourTaine, c’est l’occasion d’exprimer son mépris du peuple et de ses réactions, peuple inconséquent qui durant la Grande Peur piétine ses maîtres protecteurs. Tous ces historiens mettent en scène des paysans naïfs, prêts à croire tout ce qu’on leur dit, passifs et aisément manipulables par des groupes plus ou moins occultes[2].

La Grande Peur n’est pas étudiée pour elle-même avant la fin duXIXe siècle. C’estAlphonse Aulard qui le premier nomme le phénomèneGrande Peur — ou Grand'Peur à la mode du centre de la France — et lance en 1896 un appel aux historiens à publier des sources dans leBulletin historique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques : « Il n’y a peut-être pas d’évènement plus important dans l’histoire de notre pays, car c’est lagrand-peur qui constitua toute la France en état de révolution et qui amena la chute de l’ancien régime. ». Son appel est suivi d’effets et de nombreuses études paraissent sur le sujet jusqu’à laGrande Guerre. C’est à ce moment que la Grande Peur commence à être considérée comme un moment incontournable de la Révolution, celui de la révolution paysanne, qui vient après celle des juristes le 17 juin et celle du peuple parisien à la mi-juillet. La Grande Peur est alors considérée comme une immensejacquerie, les masses paysannes passant à l’offensive après la première phase défensive. Bien que datant de 130 ans et erronées sur de multiples aspects, les synthèses sur le sujet présentées au grand public ou dans lesmanuels scolaires reprennent ses interprétations, même si elles citentGeorges Lefebvre qui propose du phénomène une explication différente[2].

Le second historien à publier une œuvre d’importance est justement Georges Lefebvre. Son ouvrageLa Grande Peur de 1789, publié en 1932, est salué par toute la critique, aussi bien au moment de sa publication[3],[4] que de ses rééditions[5]. Même si la recherche a repris sur le sujet depuis quelques décennies, son ouvrage est encore estimé actuellement[6]. L’ouvrage n’est ni critiqué nirévisé jusqu’auxannées 1980[6]. C’est lui qui établit que certaines régions restent à l’écart des courants de la Grande Peur, qu’elle n’est pas qu’une crainte des brigands, que le mouvement paysan de 1789 est plus large que la Grande Peur. C’est lui aussi qui prouve qu’il s’agit d’un mouvement spontané qui ne relève pas d’uncomplot. Enfin, alors que jusqu’alors on croyait que la Grande Peur s’était produite simultanément partout en France, il prouve que ce n’est pas le cas, établit une chronologie, et montre qu’il est possible de remonter des courants de la Grande Peur, peu nombreux (cinq), jusqu’à des paniques originelles. Ces courants qu’il cartographie et sa chronologie sont deux apports essentiels de Lefebvre à la connaissance de la Grande Peur encore conservés jusqu’à nos jours et qui ne sont pas remis en cause. Par contre, la croyance en un complot aristocratique comme facteur explicatif est aujourd’hui discutée[2],[7].

Des études complémentaires sont menées par Henri Dinet dans les années 1970 et 1980, qui étudie la Grande Peur dans leHurepoix où Lefebvre estimait que la Grande Peur ne s’était pas propagée[7], leBeauvaisis et leValois[8],[9]. De 1978 à 1988, Clay Ramsay élargit le spectre d’études et confirme les intuitions et les observations de Lefebvre en étudiant leSoissonnais qu’il conclut en publiantThe Ideology of the Great Fear : The Soissonnais in 1789[10].

Contexte

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Les révoltes font suite à un demi-siècle de soulèvements et de contestation antiseigneuriale accrue[11]. Lescahiers de doléances se sont fait l'écho des revendications des paysans, et ont levé en eux l'espoir de ne plus subir les droits et les redevances, qui à la suite des mauvaises récoltes de 1788, les accablent plus que jamais[12]. Cynthia Bouton relève qu’en 1789, la population est intensément politisée : lalutte entre les Parlements et la monarchie dans les années 1780, la convocation desÉtats généraux, la rédaction descahiers de doléance, les élections, et finalement la Grande Peur produisent une forte politisation de la population qui débat notamment durégime seigneurial[13]. Les comptes rendus des évènements de Paris, et notamment les récits de laprise de la Bastille, mal compris, s'accompagnent de rumeurs et de craintes d'une vengeance ou de complots aristocratiques[1].

L'inquiétude est d'autant plus vive que le mois de juillet voit arriver le moment de lasoudure, avec une hausse des prix prévisible et le soupçon que les nobles puissent accaparer les grains rares. Dans certains cas, la panique a été déclenchée par la rumeur que les aristocrates recrutaient des brigands pour couper lesblés verts des campagnes et anéantir ainsi la récolte[1]. Dans d'autres régions, les souvenirs anciens d'invasions étrangères (anglaises ou piémontaises) se sont réveillés. La peur s'est répandue rapidement deparoisse en paroisse, au son du tocsin et les paniques se sont déclenchées.

La panique se déclenche dans un climat d’anxiété extrême quant à l’approvisionnement en grains[14] et à un moment où la récolte est encore sur pied, le blé étant presque mûr donc sec[15].

La peur des mendiants et des vagabonds est souvent évoquée comme élément renforçant la panique : pour Ramsay, cela est à nuancer dans le cas de la paysannerie. Dans certains cas, un tiers des villages pouvaient dépendre de la mendicité (satisfaite par les aumônes du curé) et la redistribution organisée. La mendicité est encore considérée comme normale à la campagne, et il n’y a pas de méfiance radicale envers les pauvres[16]. La peur se répand d’autant plus vite que les alertes ne surprennent personne, elles sont plutôt attendues qu’inattendues ; dans ce climat où on s’est préparé à des alertes, un genre de procédure s’est mise en place à leur arrivée. Les étapes repérées sont la réception de l’alerte, la demande de confirmation, la réception de la confirmation, et l’appel au secours, ce qui relativise le discours sur le caractère irrationnel de la Grande Peur[17]. Par exemple, àBourgoin, une alerte signale une invasion des Piémontais. Les autorités vérifient l’information avant de distribuer armes et munitions[18]. Dans le Dauphiné, les transmissions des alertes ne se font pas au hasard : elles suivent les chemins vers les bourgs que chaque communauté fréquente le plus (pour la foire, le médecin, l’accoucheuse, etc.)[17].

Parallèlement, six paniques ont éclaté enFranche-Comté à la suite d'une explosion accidentelle d'une réserve de poudre au château deQuincey, près deVesoul.

La nouvelle de laprise de la Bastille suscite de l’espoir, mais aussi de l’inquiétude[19].

Déroulement

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Alors que pendant 150 ans, les historiens ont cru à un déclenchement simultané dans toute la France, fomenté par la noblesse ou par les patriotes, selon les options politiques de l’auteur, les recherches de Lefebvre ont montré qu’il n’en est rien et que la Grande Peur n’est rien d’autre qu’une série de réactions en chaîne, provenant de 5 ou 6 sources seulement[20]. Au printemps 1789, il y avait déjà eu un grand nombre de paniques locales : Lefebvre a indiqué dans son livre qu’il estimait possible que la croyance en un complot aristocratique avait pu jouer un rôle multiplicateur, sans en être sûr par manque de preuves. Cette hypothèse de travail est retenue comme valable par la plupart des historiens à sa suite, de gauche comme de droite. Pourtant, les preuves en la croyance en un complot aristocratique dans les milieux ruraux en juillet 1789 ne sont pas convaincantes pour les historiens contemporains (années 2020) : cette croyance est forte à Paris, mais pas ailleurs en France. Les rumeurs de la Grande Peur évoquent toujours des brigands à l’intérieur du pays, des armées d’invasion à proximité des frontières[20]. Au contraire d’une croyance en complot aristocratique, les études sur la Grande Peur révèlent plutôt une solidarité verticale entre groupes sociaux, les paysans et habitants des bourgs recrutant souvent des nobles ayant été militaires pour diriger les milices[20]. Le multiplicateur serait alors la crainte de l’anarchie et de l’effondrement des forces de l’ordre[20].

Les paniques ont des points de départ souvent très simples : enChampagne, c’est la poussière soulevée par un troupeau de moutons qui est prise pour celle d'une troupe de soldats en marche ; dans leBeauvaisis, dans leMaine, dans la région deNantes et dans celle deRuffec, où des moines mendiants furent pris pour des brigands[21]. La peur des brigands est ce qui peut unir les élites locales et le peuple rural, alors que pour les élites, le terme brigands désigne le peuple en révolte ; comme le même mot a un sens différent dans le peuple, l’utilisation de ce mot par les élites permet à tous d’adhérer à la résistance à de supposés brigands[2]. L’auteuranarchisteKropotkine est le premier à avoir eu l’intuition que la Grande Peur n’est pas une peur de paysans, mais surtout une panique bourgeoise[22].

Le terme “brigand” a beaucoup de sens possibles : dans les écrits des élites, il désigne tout groupe menaçant, mais le terme peut désigner des paysans, des émeutiers cherchant du grain, des voleurs, des braconniers, des gens vivant en forêt, des gens protestant contre les impôts trop lourds. Le terme “peuple” s’applique souvent aux mêmes personnes, quand elles sont calmes et ne menacent pas l’ordre établi[23]. À l’inverse, dans le Soissonnais il n’y a pas de traces de désignation des aristocrates comme ennemis, la politisation comme la radicalisation est plus lente, le rapport entre seigneur et paysans étant moins central et les oppositions se faisant aussi entre gros fermiers et petits propriétaires et manouvriers[24].

Deux courants de la Grande Peur partent du Soissonnais, à chaque fois à la limite de la plaine céréalière et de la forêt[25] :

La panique se répand de plusieurs façons, relevant des différents modes de communication de la société d’Ancien Régime. La transmission des nouvelles en vigueur dans le monde rural s'étale sur de courtes distances mais convainc davantage, et a davantage d’impact émotionnel ; le mode officiel[Quoi ?] va plus vite et loin, et contrôle mieux les réactions aux nouvelles qu’il diffuse. Dans la diffusion de la Grande Peur, le mode rural a pu aller plus vite (entre leValois etMeaux) que l’officiel ; le long de la Marne, c’est le mode officiel qui a été le plus rapide. Les élites ont participé à la diffusion de la panique, en expédiant des messagers à cheval porteurs de dépêches officielles. Quand Soissons se met à diffuser la (fausse) nouvelle, le prestige attaché à son statut de chef-lieu accroit l’impact des messages[25].

Voici le récit du curé dePrayssas en Agenais, Barsalou, plus tardcuré constitutionnel :

« TERREUR PANIQUE : Le dernier du mois de jour de vendredi à dix heures du soir, il y eut dans la paroisse grande alerte occasionnée par la peur des Anglois avec lesquels nous étions en paix, et qu’on disoit être au nombre de dix mille hommes, tantôt au bois du Feuga, tantôt à St-Pastou, àClairac, àLacépède et ailleurs. On sonnoit letocsin de toutes parts depuis huit heures du soir. Les gens sages n’en crurent rien, et on ne sonna icy qu’au jour l’alarme fut grande jusqu’à onze heures avant midi. Sur l’envoy consécutif de trois émissaires de Lacépède qui demandoient du secours pour Clairac menacé - disoient-ils - par dix mille brigands, les nôtres y furent, armés de fusils, des faux et des broches. Arrivés à Lacépède ils apprirent que tous les bruits étaient sans fondement. L’alarme s’étoit répandue progressivement. à Bordeaux pendant la nuit de mercredi à jeudi, à Condom le vendredi à midi. À Agen le jeudi soir à 9 heures on sonna le tocsin dans toute la ville où s’étaient rendus de toutes parts quinze mille hommes en armes. Tout fut calme à Agen vers une heure après minuit. En 1690, même alarme dans l’Agenois le 20 aout jour de dimanche sous la dénomination de peur desHuguenots. »

Ramsay s’oppose à la vision des historiens de droite François Furet et Denis Richet qu’il juge « trop dépendants d’un prétendu primitivisme de la paysannerie »[26]. Des idées présentes dans la plupart des histoires du phénomène au XIXe et au XXe siècle, bien que non-exprimées, aient été que la Grande Peur fût synonyme de la révolution paysanne. Mais, les non-paysans y ont participé, et la Grande Peur issue de la rumeur, serait possible car les milieux ruraux sont analphabètes, deculture orale et irrationnels, exprimant ainsi lesstéréotypes des classes dominantes sur ce qu’elles considèrent comme une pathologie des masses (voir aussi Froissart : le concept de rumeur est chargé de présupposés, notamment contre ce qu’il appelle une pathologie populaire[27]. Mais de nombreux membres des élites (officiers municipaux, notables, notaires, prêtres, hommes de loi, seigneurs, marchands[2]) qui rapportent le phénomène (et qui sont nos sources) ne prennent sur le moment que peu ou pas de distance avec la rumeur, et participent à sa diffusion[28].

Dans le même registre, le rôle de l'ergot de seigle — présent en grande quantité dans la farine de l'époque et présentant des caractéristiques hallucinatoires — fait partie des hypothèses sur les causes de la Grande Peur[29].

Une révolte sociale ?

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Les insurgés se firent peur mutuellement et firent peur aux « aristocrates » et aux tenants de l'autorité monarchique, provoquant généralement la fuite de la noblesse et des intendants ; il y eut très peu de résistance militaire[30].Georges Lefebvre décrit cinq courants dans son livreLa Grande peur de 1789[31]. Il semble n'y avoir eu aucune concertation entre ces divers foyers d'insurrection qui furent pourtant animés par des causes et des buts communs. En brûlant les châteaux et en détruisant les terriers, les paysans exprimaient le souhait de la suppression de laféodalité. C'est ainsi tout du moins que l'assemblée nationale le comprit ; elle décréta pour mettre fin aux désordres l'abolition des privilèges le.

Georges Lefebvre est loin de réduire le phénomène de la « Grande Peur » à un complot « aristocratique », voire à une émotion collective de « peur des brigands ». Il titre un de ses développements :La révolte paysanne[32]. Il relie les troubles de l'été 1789 aux révoltes antérieures, comme enFranche-Comté (1788). Il note aussi la présence parmi les insurgés duMâconnais de nombreux paysans, mais encore de nombreux artisans locaux qui donnent à la révolte une connotation sociale qui dépasse les troubles frumentaires, anti-seigneuriaux, voire les troubles hallucinatoires de la farine française[33]. Pour le seulMâconnais, on arrêta[33]« Des domestiques, des vignerons à gages, des grangers ou métayers, des artisans et des boutiquiers; les laboureurs, fermiers, meuniers, brandeviniers. Plusieurs sont propriétaires. Parmi les gens compromis on trouve un maître d'école, des huissiers, des gardes seigneuriaux, etc. »

Plus loin[34], il note l'avis du lieutenant criminel du bailliage deChalon, où la révolte s'était étendue« Tous (24 pour Chalon) s'étaient attroupés comme d'un commun accord dans l'intention de dévaster les châteaux et maisons, et de s'affranchir des redevances en brûlant les Terriers ; l'on pourrait même ajouter qu'ils étaient encore excités par la haine qu'ont toujours eue les pauvres contre les riches. (…) Mais aucun ne nous a paru avoir été dirigé par cette impulsion secrète qui est en ce moment l'objet des recherches de laRespectable Assemblée ».

Révoltes paysannes de l’été

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Concomitamment à la Grande Peur, des révoltes antiseigneuriales se produisent à plusieurs endroits en France (Mâconnais, Basse-Normandie), qui suivent un certain nombre de révoltes qui ont eu lieu au printemps. Une simplification courante assimile les deux phénomènes[28]. Lefebvre relève que là où il y a eu une révolte paysanne, au printemps ou pendant l’été, il n’y a pas eu de Grande Peur. Cela se vérifie aussi dans le Soissonnais ; cela conduit Ramsay à conclure que pour qu’une région soit touchée par la Grande Peur, il faut qu’il y ait eu un minimum de paix sociale ; les régions où elle s’était déjà dégradée au point que la paysannerie se révolte n’ont pas connu la Grande Peur[35]. Par contre la levée de milices entraîne une politisation, contre la volonté des élites[35],[20]: si la Grande Peur a une apparence de réaction conservatrice, elle est le point de départ de politisation et de radicalisation dans le Soissonnais (ce qui n’est pas toujours vrai ailleurs)[36].

Ainsi, le Soissonnais est divisé en deux : au nord se trouve leCambrésis, où une révolte paysanne a eu lieu au printemps. La Grande Peur se diffuse dans tout le Soissonnais, sauf dans cette région. De même, dans le Sud, à proximité deNoyon, quelques villages ont attaqué un château ; ils se trouvent au cœur de la partie du Soissonnais qui a connu la Grande Peur, mais eux n’ont pas été touchés[26].

Les paysans qui s'en prirent aux châteaux, réclamèrent, pour les brûler, les vieilles chartes sur lesquelles étaient inscrits lesdroits féodaux dont ils avaient demandé la suppression dans lescahiers de doléances : les « terriers » (pour « livre terrier »), cette dernière circonstance indiquant pour les historiens contemporains[1],[11] une conscience politique et sociale neuve, quoiqu'éventuellement confuse puisque certains émeutiers étaient persuadés d'exprimer la volonté du roi contre les seigneurs locaux. Ils allèrent parfois jusqu'à incendier les vieilles demeures seigneuriales. « La flamme était si grande entre une et deux heures de la nuit que j’aurais pu lire à ma fenêtre à la lueur du feu. Dans vingt-quatre heures ce château bien meublé fut tout pillé et brûlé ; on ne vit plus que des cheminées en l’air et des murs calcinés par le feu ou noircis par la fumée ; il n’y resta rien, pas même desgonds » a consigné dans ses registres le curé de la paroisse deBissy-la-Mâconnaise, témoin de l'incendie duchâteau de Lugny enMâconnais.

Mémoire de la « Peur », révolte sociale en Mâconnais

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Plaque commémorative de la révolte de 1789 àIgé.

Lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution française, une région au moins entreprend un travail d'exhumation des archives. C'est enMâconnais. La commémoration des événements mêle spectacles rétrospectifs, participation festive de la population et recherches historiques collectives[30]. Par dérision, les livres reprennent le terme de « brigands » dans leur titre, qui est le nom que les nobles attaqués donnent aux paysans révoltés.

Un premier ouvrage[37] se concentre sur lecanton de Lugny dont les seize communes participent à la révolte de. Sur les 264 « brigands » du canton qui sont arrêtés, on relève 53 vignerons, 51 manouvriers domestiques, 26 « laboureurs », 19 « grangers-fermiers ». Il y a aussi dix tixiers (tisseurs), dix charpentiers, onze tailleurs de pierre, dix tonneliers, trois meuniers, etc.[38]. C'est le peuple du vignoble qui se révolte et non pas des bandits. C'est la Révolution à la campagne, telle que notée parGeorges Lefebvre. Lanuit du 4 août 1789, les députés désamorcent dans l'urgence une « prise de la Bastille » des campagnes françaises.

Un second ouvrage[39] publié l'année suivante va dans le même sens. Selon le préfacier (Pierre Goujon) et les auteurs, ce n'est que « pour rétablir la vérité historique occultée depuis l'événement même par une historiographie partisane ou conformiste ». Ces « brigands mâconnais » ce sont les paysans en révolte dans une terre « d'inégalités et de tensions sociales avivées par la crise économique »[40]. L'ouvrage n'oublie pas la répression « sauvage » par les milices bourgeoises apeurées :20 paysans tués dans les affrontements, sans compter d'autres devant le château deCormatin,250 prisonniers,32 pendaisons sur le terroir restreint deTournus,Mâcon,Cluny. La justice continue le travail en août : deux autres pendaisons, une condamnation aux galères. Il faut attendre une amnistie des faits relatifs à, à la suite d'une démarche de25 communes duMâconnais, votée seulement le par l'Assemblée constituante[41].

La révolte dans le Vivarais

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À partir de la mi-, les rumeurs se mêlent aux réalités : 10 000 Piémontais auraient envahi le Dauphiné, la France serait envahie par des brigands, des libelles courent selon lesquels « le roi fait brûler tous les châteaux, il n'en veut pas d'autres que le sien ». À partir du, des désordres se produisent à Rochemaure puis à Meysse. Le, les magistrats de la sénéchaussée de Villeneuve-de-Berg en appellent au roi pour faire cesser les événements et énumèrent les châteaux brûlés, des monastères pillés les nobles molestés ou assassinés. Une figure émerge parmi ces brigands, celle de Degout-Lachamp[42], déjà condamné par contumace en 1783 à la suite de larévolte des Masques armés[43].

De nombreuses propriétés de seigneurs comme lesBernis, lesVogüé, lesd'Antraigues sont saccagées.

Conséquences

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Quand les communautés locales réalisent qu’elles sont vulnérables et qu’il n’y a pas de système de secours mutuel, elles organisent des milices, qui deviennent lesgardes nationales, recrutées sur la base du volontariat[44],[20] : initialement destinées à la protection despropriétés des bourgeois, elles sont légitimées par le discours sur les brigands[2]. Alors que ce système d’autodéfense a toujours été considéré comme une contrainte pénible, ce n’est apparemment plus le cas en 1789. Les villages se fédèrent pour assurer une assistance mutuelle. La première fédération a lieu àLuynes, en Touraine, dès le 2 août. Dans le sud-est, elles se forment à la fin du mois d’août. Bientôt, ces fédérations, de système d’entraide horizontale entre communautés égales et locales, se multiplient, avant que d’autres fédérations soient mobilisées sur un mode vertical, entre une ville importante et une vaste zone autour d’elle[44]. Le pouvoir central est inquiet de l’érosion de son pouvoir qu’il subit ; l’Assemblée nationale est elle aussi méfiante[45]. Elle s'efforce de neutraliser ce mouvement et ce qui fait sa force : sa spontanéité et son influence ; d’où la demande à la mairie de Paris d’organiser lafête de la Fédération le 14 juillet 1790, qui se produit en même temps avec 250 autres dans toute la France, exactement synchronisées : la coopération horizontale est remplacée par une participation verticale[46].

Les élites profitent de la Grande Peur pour créer des milices, et tenir un discours légitime sur le maintien de l’ordre[28].

Le point d’aboutissement de la Grande Peur est donc l’armement de la population[14] et le décret de l’Assemblée du 18 septembre qui enjoint à la police, aux tribunaux et aux municipalités de requérir les milices bourgeoises, les maréchaussées et même la troupe pour le maintien de l’ordre : les pouvoirs locaux sont donc ratifiés par l’État et peuvent donc rassembler sous leur commandement l’ensemble des forces armées[47]. En tout cas, à l’Assemblée nationale, certains députés, apprenant que leur château a brûlé, amalgament les phénomènes de panique et les révoltes agraires (alors que les premiers sont dix fois plus importants que les secondes) et concluent à un soulèvement contre le système seigneurial[20].

Le vote de laloi martiale du 21 octobre est une réponse au climat créé par la Grande Peur, la révolte anti-seigneuriale et les émeutes frumentaires : mais les autorités locales hésitent à en faire usage, ayant des doutes sur la pertinence de la liberté du commerce des grains, et une certaine solidarité avec la population se manifeste à certains moments[48].

Notes et références

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  1. abcde etfJean-Clément Martin,Violence et révolution, Seuil,,p. 67-70.
  2. abcde etfHenriVignolles, « La dimension répressive de la Grande Peur : l’ambiguïté des mesures défensives contre les brigands »,La Révolution française,no 18,‎(ISSN 2105-2557,DOI 10.4000/lrf.3952,lire en ligne, consulté le)
  3. A. de Saint-Léger, « La Grande Peur de 1789, 1932 »,Revue du Nord, 1932,no 72,p. 331-333.
  4. « c’est sans hésiter que nous rangeons cette œuvre parmi les plus importantes qui aient paru ces derniers temps sur la période révolutionnaire » : A. Hennebert, « Lefebvre (Georges).La Grande peur de 1789 »,Revue belge de philologie et d’histoire, 1933,no 12-4,p. 1211-1215.
  5. « Ce livre n’a nullement vieilli » : Jean-Pierre Poussou, « Une grande réédition : Lefebvre (Georges),La Grande Peur de 1789, Paris, Armand Colin, 1970, nouvelle édition »,Annales du Midi, 1971,no 83-103,p. 355.
  6. a etb« joyau d’histoire sociale », « qualités extraordinaires », « intègre les monographies tout en respectant les différences régionales », « Son livre […] offre presque un modèle d’explication qui prend en compte des causes multiples » :Ramsay 1995,p. 13.
  7. a etbHenri Dinet,La grande peur en Hurepoix. Juillet 1789, tiré à part desMémoires de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, t. 18-19, 1968, Paris : 1970
  8. Henri Dinet, « Les peurs de 1789 dans la Région parisienne »,Annales historiques de la Révolution française, 1978,no 231.
  9. Ramsay 1995,p. 14.
  10. , Baltimore, Londres, 1992, Johns Hopkins University Press.
  11. a etbEmmanuel Leroy-Ladurie, « Révoltes et contestations rurales en France de 1675 à 1788 »,Annales,‎(lire en ligne).
  12. F. Furet et M. Ozouf,Dictionnaire critique de la révolution française : Évènements,Flammarion,,p. 193-204.
  13. Cynthia Bouton, « Les mouvements de subsistance et le problème de l’économie morale sous l’Ancien Régime et la Révolution française »,AHRF,no 319,‎,p. 86(lire en ligne).
  14. a etbRamsay 1995,p. 16.
  15. Ramsay 1995,p. 18.
  16. Ramsay 1995,p. 20-21.
  17. a etbYoichi Uriu, « Espace et Révolution : enquête, grande peur et fédérations »,Annales historiques de la Révolution française,no 280,‎,p. 155(lire en ligne).
  18. Uriu 1990,p. 156.
  19. Uriu 1990.
  20. abcdef etgTimothyTackett, « La Grande Peur et le complot aristocratique sous la Révolution française »,Annales historiques de la Révolution française,no 335,‎1er mars 2004,p. 1–17(ISSN 0003-4436,DOI 10.4000/ahrf.1298,lire en ligne, consulté le)
  21. Georges Lefebvre,La Grande Peur de 1789, Armand Colin,.
  22. Pierre Kropotkine,La grande révolution : 1789-1793, Paris : P.-V. Stock, 1909, cité par H. Vignolles.
  23. Ramsay 1995,p. 24.
  24. Ramsay 1995,p. 25.
  25. a etbRamsay 1995,p. 21-22.
  26. a etbRamsay 1995,p. 15.
  27. Cité par Vignolles : ’'La rumeur : histoire et fantasmes, Belin 2010.
  28. ab etcHenri Vignolles,« La Grande Peur de 1789 : réflexions autour de l’identification de la panique à la révolution paysanne », dans Philippe Bourdin,Faux bruits, rumeurs et fake news, « Actes des congrès nationaux des sociétés historiques et scientifiques », Paris, Édition du comité des travaux historiques et scientifiques,(ISBN 978-2-7355-0928-7,lire en ligne).
  29. (en) Mary Kilbourne Matossian,Poisons of the Past : Molds Epidemics & History (Paper), New Haven,Yale University Press, (1re éd. 1989), 206 p.(ISBN 0-300-05121-2 et978-0300051216).
  30. a etbAux Archives départementales de Saône-et-Loire et dans les archives communales. Les AD du 71 publient également un dossier surLa Grande Peur en Saône-et-Loire.
  31. Lefebvre 2014.
  32. Lefebvre 2014,p. 118.
  33. a etbLefebvre 2014,p. 140.
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  35. a etbRamsay 1995,p. 28.
  36. Ramsay 1995,p. 31.
  37. Claude Mazauric,1789. La ronde des brigands en Haut Mâconnais 1989, Vive 89,.
  38. Mazauric 1990,p. 26.
  39. Pautet et Bouillot 1990.
  40. Pautet et Bouillot 1990, Introduction,p. 3.
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  42. Arsène Nègre, « Jean-François Degout-Lachamp, leMandrin des Cévennes : dans cahier intitulé Violences en Vivarais - Cévennes Boutières, Plateau... ici l'on tue aussi facilement un homme qu'une perdrix »,Cahier de Mémoire d'Ardèche et Temps Présent,no 46,‎
  43. (en) « La Jacquerie dans le Vivarais de 1789 a 1793. : Simon Brugal : Free Download, Borrow, and Streaming : Internet Archive », surInternet Archive(consulté le).
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  45. Uriu 1990,p. 159.
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  47. Ramsay 1995,p. 26.
  48. Bouton 2000,p. 89.

Annexes

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Bibliographie

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Article connexe

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  • Lagrande peur liée à l'an mil.
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