Georges Méliès, né Marie Georges Jean Méliès le àParis et mort le dans la même ville, est unréalisateur defilms français etillusionniste. Ayant choisi laprestidigitation comme profession, il profite d’une donation de son père, industriel de la chaussure, pour devenir propriétaire et directeur en1888 du théâtreRobert-Houdin, en sommeil depuis la mort du célèbre illusionniste.
Le, il découvre avec émerveillement les images photographiques animées lors de la première représentation publique à Paris duCinématographe par lesfrères Lumière et propose même de racheter le brevet de la machine[1]. Un refus poli mais narquois le pousse à se tourner vers un ami londonien, le premier réalisateur britannique,Robert W. Paul, qui lui fournit un mécanisme intermittent avec lequel il tourne son premier film en 1896,Une partie de cartes, réplique du même sujet réalisé par Louis Lumière.
La même année, avec l’Escamotage d’une dame au théâtre Robert Houdin, il utilise pour la première fois en Europe le principe de l’arrêt de caméra, découverte américaine, qui lui assure un franc succès dans son théâtre où il mélangespectacles vivants etprojections sur grand écran. Il fait alors de sestableaux, ainsi qu'il appelle sesfilms, un nouveau monde illusoire et féerique, mettant à profit les dons de dessinateur et peintre que chacun a pu remarquer dans son adolescence.
Georges Méliès est considéré comme l’un des principaux créateurs des premierstrucages du cinéma, entre autres les surimpressions, les fondus, les grossissements et rapetissements de personnages. Il a également été le premier cinéaste à utiliser desscénarimages[2]. Il a fait construire le premierstudio de cinéma créé enFrance dans la propriété deMontreuil dont son père l’avait également doté. Par sonfilm sur l’affaire Dreyfus, il est aussi considéré comme le premier réalisateur d’un film politique dans l’histoire du cinéma.
De cette union naquirent quatre garçons. Georges Méliès était le benjamin de la fratrie constituée également de : Henri (né en 1844 et mort en 1929), Eugène Louis (né en 1849 et mort en 1851) etGaston (né en 1852 et mort en 1915 enCorse)[5],[4].
Alors qu’il veut devenir peintre, il travaille un temps dans l’entreprise de son père (il y apprend notamment le métier de mécanicien, qui lui sera très utile par la suite dans sa carrière), qui l’envoie àLondres enAngleterre en 1883 pour y perfectionner sonanglais chez un de ses amis, propriétaire d’un grand magasin londonien de confection : il y est vendeur au rayon des fournitures pour corsets et en profite pour apprendre laprestidigitation, notamment à l’Egyptian Hall dirigé par John Nevil Maskelyne, où se produit le célèbre illusionniste David Devant qui l’initie à son art, Méliès lui réalisant des décors en échange.
De retour à Paris, il épouse, le matin du à lamairie du11e arrondissement, Eugénie Genin, amie de la famille de sa mère, pianiste accomplie, fille adultérine d’un négociant en chaussure néerlandais et de sa gouvernante native deGrenoble. La jeune fille, âgée de 17 ans et 10 mois, devenue orpheline à la suite du décès de son père survenu la même année, lui apporte une belledot. L’office religieux se déroule l’après-midi même à l’église deChoisy-le-Roi[4],[8].
Le jeune époux présente quelques numéros de magie dans des brasseries, à lagalerie Vivienne, et au cabinet fantastique dumusée Grévin, tout en étant journaliste et caricaturiste sous le pseudonyme « Géo Smile ». Il collabore en particulier au journalsatirique etantiboulangisteLa Griffe, dont son cousin Adolphe Méliès est le rédacteur en chef. Il vend ses parts dans l’entreprise familiale à l’un de ses frères pour 500 000 francs afin de racheter, en, au 8,boulevard des Italiens lethéâtre Robert-Houdin à la veuve d’Émile Robert-Houdin, théâtre dont il devient directeur. Pour 47 000 francs il rachète le matériel desSoirées Fantastiques, dont une dizaine d’automates construits par Robert-Houdin. Il crée des spectacles de prestidigitation et de « grandes illusions » qu’il présente avec plusieurs magiciens (Duperrey, Raynaly, Harmington, Jacobs, Okita, Henry’s, Arnould, Carmelli, Foletto, Albany (Coussinet), D’Alvarès, Legris, Maurier), et ses fidèles opérateurs de scène : Marius etJehanne d'Alcy. Ses spectacles, qui s'achèvent par la projection de photographies peintes sur verre, connaissent rapidement le succès grâce à son esprit inventif, son sens de la poésie et de l’esthétique. Sa collection d’automates, aux gestes plus vrais que nature, contribue à ce succès. En 1891, il crée l’Académie de Prestidigitation, qui devient en 1893 le Syndicat des Illusionnistes de France, puis en 1904, la Chambre syndicale de la prestidigitation. Il contribue ainsi à donner un statut aux magiciens ambulants que la police assimilait à desromanichels. Il en est le président pendant une trentaine d’années.
Invité à une répétition privée de la première projection publique du Cinématographe desfrères Lumière la veille du, auSalon indien du Grand Café de l’hôtel Scribe[9], 14boulevard des Capucines àParis, Georges Méliès comprend tout de suite ce qu’il peut faire avec une telle machine et propose d’acheter les brevets des frères Lumière. Leur père,Antoine Lumière, ou l’un des frères, selon les versions et des souvenirs lointains recueillis le plus souvent auprès de vieillards, l’un des trois en tout cas tente de l’en dissuader :« Remerciez-moi, je vous évite la ruine, car cet appareil, simple curiosité scientifique, n’a aucun avenir commercial ! ». Cet avis pessimiste sur l’avenir du cinéma est néanmoins corroboré par les souvenirs plus proches de l’un des opérateurs Lumière,Félix Mesguich, qui raconte commentLouis Lumière lui présente son embauche en 1896« Je ne vous offre pas un emploi d’avenir, mais plutôt un travail de forain. Ça durera un an ou deux, peut-être plus, peut-être moins. Le cinéma n’a aucun avenir commercial »[10].
En repoussant l’offre de Georges Méliès, les frères Lumière veulent-ils simplement écarter un concurrent potentiel ? Pour leur part, ils vont envoyer des opérateurs dans toutes les parties du monde pour en rapporter des « vues photographiques animées », ainsi queLouis Lumière nomme ses films. Mais Georges Méliès est têtu : il achète le procédé de l’Isolatographe des frères Isola et le projecteur Theatograph commercialisé àLondres par son ami, l’opticien et premier réalisateur de films britannique,Robert William Paul. Il fonde sa propre société de production, laStar Film — sans imaginer l’impact universel que ces mots allaient provoquer — et, dès le, il projette dans son théâtre des films inspirés — et même tout simplement copiés, car c’est la coutume à l’époque — de ceux de Louis Lumière (scènes de villes et de champs)[11].
Afin de renouveler l’intérêt de son public, Méliès a l’idée de tourner non plus des scènes de la vie quotidienne, mais de courtes fictions, ainsi que les frères Lumière l’ont déjà fait avec leurArroseur arrosé. Un incident de prise de vues lui aurait fourni une idée nouvelle : alors qu’il filme unomnibus, la manivelle de sa machine se bloque. Le temps de réussir à la faire redémarrer, quelques instants se sont écoulés. Méliès visionne les résultats : l’omnibus se transforme subitement en corbillard. Anecdote véritable, ou belle histoire enjolivée d’un spécialiste du récit merveilleux ? Des collages« étaient toujours pratiqués dans le cas d’une substitution dite « pararrêt de caméra ». Il paraît donc exclu que l’effet ait pu être découvert à la projection de la bande qu’il aurait enregistré par hasard ! »[12].
En réalité, le mêmeeffet avait été obtenu auparavant, en 1895, par une équipe deThomas Edison pour une décapitation dansL'Exécution de Marie, reine des Écossais. Les films Edison étant largement diffusés au Royaume-Uni et en France, il est tout à fait possible que Méliès ait pu voir ce film et en comprendre le principe technique.
Georges Méliès décide dès lors d’exploiter le« cinéma dans sa voie théâtrale spectaculaire », et de faire de ce trucage, l’arrêt de caméra, son fonds de commerce et sa source principale d’inspiration, bientôt imité par beaucoup de cinéastes européens et américains. La première utilisation qu’il fait de ce procédé s’intituleEscamotage d'une dame au théâtre Robert-Houdin, et date de 1896.
Le premier studio de cinéma en France, à Montreuil.
Le 4 septembre 1896, il fait dépôt d’un brevet avec comme associés Lucien Korsten et Lucien Reulos d’un appareil destiné à prendre et projeter les images animées, en partenariat avec la société Matray Litzelman et Cie (31 boulevard Henri-IV, Paris)[13].
En 1897, il crée dans sa propriété deMontreuil, au1 rue François-Debergue, le premierstudio de cinéma en France, un studio de 17 × 66 mètres, sa toiture vitrée à6 mètres du sol dominant la scène, la fosse et la machinerie théâtrale[14],[15]. Il y filme les acteurs devant des décors peints, inspirés par les spectacles de magie de son théâtre, ce qui lui vaut le surnom de« mage de Montreuil ». Les acteurs sont aussi bien des amateurs recrutés dans la rue, des artistes de music-hall, des danseuses du Châtelet ou desFolies Bergère, que des membres de son entourage. Il joue lui-même souvent dans ses films. Méliès filme également, faute de pouvoir aller sur place, des « actualités reconstituées » en studio. Son chef-d,œuvre étant leSacre du roiÉdouardVII, film qui sera présenté à la cour du Royaume-Uni en. Il développe aussi un atelier decoloriage manuel de ses films, procédé largement inspiré de ce qui se fait déjà pour la colorisation de photos en noir et blanc. Il se fait ainsi tour à tourproducteur,réalisateur,scénariste,décorateur,machiniste et acteur.
Le contenu féerique ou fantastique d’une grande partie des films de Georges Méliès a contribué à donner à la couleur une place importante dans l’œuvre du maître. Bien que partisan des décors encamaïeux de noir et de blanc, qu’il exécute lui-même en exploitant ses talents de dessinateur, Georges Méliès conçoit ses films autour du procédé de colorisation qui naît très tôt au cinéma, notamment en avec les films produits par Thomas Edison,Danse du papillon etDanse serpentine[16]. Sa mise en scène prévoit ces effets en amont du tournage[17]. Le procédé est long et minutieux, il se fait directement sur lapelliculenoir et blanc, sur des copies dunégatif original, d’abord photogramme parphotogramme à raison de16 à18 images par seconde[18]. Pour satisfaire à la demande toujours grandissante d’achat de copies colorisées, le procédé est ensuite industrialisé et mécanisé par le biais depochoirs que l’on utilise déjà en photographie (cartes postales, réclamant cependant un nombre important de « petites mains »). C’est dans un atelier extérieur au studio de Méliès que sont colorisés les films de sa sociétéStar Film, sous la direction deMme Thuillier[19]. Dans une entrevue donnée à François Mazeline pour le journalL’ami du peuple (du soir),Élisabeth Thuillier(en) parle de son travail :« J’ai colorié tous les films de M. Méliès. Ce coloriage était entièrement fait à la main. J’occupais deux cent vingt ouvrières dans mon atelier. Je passais mes nuits à sélectionner et échantillonner les couleurs. Pendant le jour, les ouvrières posaient la couleur, suivant mes instructions. Chaque ouvrière spécialisée ne posait qu’une couleur. Celles-ci, souvent, dépassaient le nombre de vingt »[20].
Les ateliers d’Élisabeth Thuillier.Coloristes et leurs pochoirs automatiques du Laboratoire Pathé à Paris.
La substance était de la couleur à l’aniline, dissoute dans de l’eau et dans l’alcool avant d’être appliquée[21]. À l’époque, le procédé de colorisation sur pellicule était également employé par les entreprises deLéon Gaumont et desfrères Pathé où des ouvrières qualifiées effectuaient le travail[22].
De 1896 à 1914, Georges Méliès réalise près de six cents « Voyages à travers l’impossible »[23], autant de petits films enchanteurs, mystérieux, naïfs, à la beauté poétique, aujourd’hui parfois surannée. Films d’une durée d’une à quelques minutes, projetés dans des foires et vus comme une simple évolution de lalanterne magique. Son premier film important,L’Affaire Dreyfus (1899)— peut-être le premier film politique jamais réalisé[24],[25] —, est une reconstitution de dix minutes qui témoigne de son intérêt pour le réalisme politique. SonVoyage dans la Lune (1902), chef-d'œuvre d’illusions photographiques et d’innovations techniques, d’une longueur exceptionnelle de16 minutes, remporte un franc succès au point d’être recherché pour une diffusion aux États-Unis. L’historien américain Charles Musser affirme :« Le cinéaste majeur des toutes premières années du nouveau siècle (ndlr :XXe siècle) est sans conteste le Parisien Georges Méliès, dont les films ont tous été piratés par les plus grandes sociétés de production américaines »[26]. L’installation de son frèreGaston à New York dès 1903, ouvrant une succursale de la Star Film, destinée à organiser et contrôler la diffusion, fait apparaître que le piratage, non seulement des films de Méliès, mais aussi de ceux de ses amis anglais, est généralisé à tous les niveaux. Toujours selon Musser, laBiograph Company, l’une des plus puissantes sociétés de production de New York, a acheté et payé à Méliès tout un lot de copies de la Star Film, mais elle en a aussitôt tiré des duplicatas hors contrat, qu’elle a revendus à son profit. L’Edison Manufacturing Company, a elle acheté des copies dont elle a négligé de contrôler l’origine, mais qui s’avèrent toutes des copies piratées. Gaston fait paraître un avis dans la presse américaine, un texte signé Georges Méliès :« Nous sommes prêts et déterminés à poursuivre énergiquement tout contrefacteur ou pirate. Nous ne préviendrons pas, nous agirons sans délai »[26].
Mais de son côté, Edison, depuis déjà plusieurs années, mène des actions judiciaires contre les encore plus nombreux contrefacteurs à la fois de ses propres films, et de ses inventions. Son appareil de visionnement, leKinétoscope, a été piraté dans le monde entier, Edison n’ayant breveté l’appareil que sur le territoire américain, ce qu’il se reprochera amèrement plus tard[27]. En revanche, il a protégé par des brevets internationaux le type deperforations rectangulaires, à raison de deux jeux de quatre perforations (sprockets en anglais) par photogramme, qui constituent à quelques détails près le film35 mm tel que nous le connaissons encore aujourd'hui. L’historien français Georges Sadoul note que« Edison fit accomplir au cinéma une étape décisive en créant le film moderne de35 mm, à quatre paires de perforations par image »[28]. Les frères Lumière, en industriels avisés, pour éviter la contrefaçon, ont doté leur pellicule d’une seule paire de perforations rondes par photogramme, configuration totalement différente de la pellicule Edison, ainsi que l’on peut le constater sur le site de l’Institut Lumière[29].
Georges Méliès perfore lui-même ses films avant tournage, en contrefaisant les perforations rectangulaires aux brevets déposés par Edison.
Or, Georges Méliès, lui, n’a guère le sens du commerce, selon son aveu même :« En ce qui me concerne, ne croyez pas que je me considère rabaissé en m’entendant traité dédaigneusement d’artiste, car si vous, commerçants (et rien d’autres, donc incapables de produire des vues de composition), vous n’aviez pas des artistes pour les faire, je me demande ce que vous pourriez vendre[30]. ». Il commet l’imprudence de perforer ses films selon le standard Edison. Il agit ainsi car les films piratés de l’Edison Manufacturing Company, qui accompagnent le piratage des kinétoscopes en Europe, sont bien entendu piratés selon ce standard ; Méliès souhaite que ses propres films puissent être vus sur les kinétoscopes de contrebande. Ce faisant, il commet une contrefaçon délictueuse[31]. Son bureau de New York l’ayant mis à portée d’Edison, celui-ci comprend qu’il peut espérer compenser son préjudice financier global au détriment du seul Européen facile à poursuivre : Georges Méliès et sa filiale américaine. Commence alors une interminable suite de procès, procès qu’Edison mène aussi contre un nouvel arrivant français :Pathé. Les parties adverses préfèrent finalement passer un accord qui met fin aux poursuites en stipulant que les copies contrefaites seront exploitées par Edison en compensation de son préjudice financier[32]. C’est ainsi qu’Edison obtient l’exploitation de plusieurs centaines de copies duVoyage dans la lune, un manque à gagner important pour la Star Film.
Georges Méliès ne parvient cependant pas à rivaliser avec les sociétés à production élevée, ce qui lui fait dire avec amertume :« Laissons les profits au capitaliste acheteur et marchand soit, mais laissons au réalisateur sa gloire, ce n’est pas trop demander, en bonne justice ». En 1911, Pathé devient le distributeur exclusif de la Star Film et prend progressivement le contrôle éditorial sur les films. Voici comment sa petite fille, Madeleine Malthête-Méliès, relate en 1961 cette période :« Méliès cessa toute activité cinématographique en 1913. C’est en mai de cette même année qu’il perdit sa femme et resta seul avec ses deux enfants,Georgette, née en 1888, dont je suis la fille, et André, né en 1901[4]. Il ne pouvait disposer de ses fonds comme il le voulait à cause de son fils mineur dans la succession. Il se trouvait donc dans une situation financière extrêmement embrouillée lorsque la guerre de 1914 éclata. Le théâtre Robert-Houdin qui était devenu un cinéma avec séance de prestidigitation le dimanche seulement fut fermé dès le début des hostilités par ordre de la police. »
De 1915 à 1923, Méliès monte, avec l’aide de sa famille, de nombreux spectacles dans l’un de ses deux studios cinématographiques, transformé pour l’occasion en théâtre. En 1923, poursuivi par un créancier, il doit revendre àPathé sa propriété transformée en cabaret d’opérette et quitter Montreuil. « Toutes les caisses contenant les films furent vendues à des marchands forains et disparurent. Méliès lui-même, dans un moment de colère, brûla son stock de Montreuil » selon Madeleine Malthête-Méliès. Ses films sont alors en majorité détruits (notamment fondus pour en extraire l’argent) ou vendus (récupérés au poids et transformés en celluloïd pour les talonnettes de chaussures destinées auxPoilus).
Ce sont les copies piratées ou confisquées de ses films, retrouvées plus tard quand enfin les chercheurs se sont intéressés à l’histoire du cinéma, qui ont permis de sauver la plus grande partie de l’œuvre du maître.
En 1925, Méliès retrouve une de ses principales actrices,Jehanne d'Alcy (de son vrai nom Charlotte Faës, dite Fanny). Elle vend jouets et sucreries dans une boutique installée dans lagare Montparnasse. Ils se marient et s’occupent ensemble de la boutique[33]. C’est là qu’en 1929 Léon Druhot, rédacteur en chef deCiné-Journal (revue de cinéma qui cessa de paraître en 1938), le retrouve et le fait sortir de l’oubli. Lessurréalistes découvrent alors son œuvre. Dans ses Mémoires,Claude Autant-Lara[34] décrit la vie de Méliès alors qu’il était devenu simple vendeur de bonbons.Bernard Natan envoyait des chèques à Méliès. Cette période de sa vie a inspiré à l’écrivain américainBrian Selznick le livreL'Invention de Hugo Cabret, adaptéen film parMartin Scorsese en 2011.
Après la mort de sa fille aînéeGeorgette, comédienne, décédée en 1930 à la suite d’une maladie contractée enAlgérie pendant une tournée théâtrale, Méliès recueille sa petite-fille Madeleine Fontaine âgée d’environ sept ans, avant qu’elle ne soit élevée par sa grand-mère paternelle[35].
En 1932, Méliès est accueilli auchâteau Guérin àOrly, maison de retraite de la Mutuelle du cinéma[36] (depuis, le château du Parc abrite l’école Georges-Méliès), où sa vie s’achève en compagnie de sa seconde épouse.
Méliès l’adapte au cinéma : après une première prise de vues, il rembobine la pellicule et impressionne de nouvelles images sur les premières. Méliès privilégie cette technique pour les songes et les cauchemars, et pour les scènes fantastiques.« C’est ainsi qu’en 1901, dansBarbe-Bleue, Méliès fait apparaître en surimpression un songe de la septième épouse qui voit les cadavres des six premières femmes assassinées pendues à des crochets de boucher dans la chambre interdite, puis Barbe-Bleue en personne qui la menace de son épée, et enfin une danse de clés géantes, qui illustre sa terreur puisqu’elle a utilisé la clé défendue[40] ». Cette technique permet aussi de donner à un personnage fantomatique une consistance diaphane à travers laquelle le décor où il évolue est visible, ou pour le faire apparaître ne touchant pas le sol, comme dans La Sirène (film, 1904), où le personnage de la dame aquatique semble flotter dans l’air, comme en lévitation, le présentateur (Georges Méliès) passant sous elle à quatre pattes pour bien montrer qu’aucun artifice mécanique ne la soutient.
Couramment employé en projection de lanterne magique, lefondu était obtenu en activant un volet qui ouvrait ou obturait progressivement le faisceau de projection afin de ménager les yeux de l’assistance. Les fondus enchaînés nécessitaient au moins deux lanternes. Le volet de chaque lanterne était combiné avec l’autre et quand on activait un volet dans un sens, l’autre volet fonctionnait dans l’autre sens. Les projections de dessins ou de photographies pouvaient ainsi se dérouler harmonieusement dans le cadre de ce que nous appelons aujourd’hui undiaporama.
Méliès l’adapte au cinéma par un ingénieux et pourtant simple procédé : il bouche progressivement l’objectif avec une soie ou un feutre noirs, rembobine sur quelques dizaines de photogrammes, redémarre la caméra dont l’objectif est obturé par la soie, enlève progressivement la soie, débouchant ainsi l’objectif ; les prises de vues se succèdent après un bref mélange des deux. Méliès utilise cet effet avec le suivant (l’arrêt de caméra), mais il s’en sert également pour ne pas passer brutalement d’un plan à un autre dès lors qu’il tourne plusieurs plans (plusieurs « tableaux »). Contrairement à ses amis britanniques de l’École de Brighton, il rechigne à faire se succéder un plan à un autre. Le fondu enchaîné lui semble un bon procédé pour éviter ce qui est en fait le propre du cinéma, mais ce dont il n’aura jamais conscience. Le fondu enchaîné« sert de liant. Il efface le caractère heurté ducut, élimine l’idée de collure. Il feint de supprimer le montage puisque le fondu suggère qu’une image se change, se métamorphose, en une autre à partir d’elle-même[41]. ».
En 1895, deux cinéastes de l’équipe deThomas Edison,William Heise et Alfred Clark, inventent untrucage pour "décapiter" la reineMarie Stuart dansL'Exécution de Marie, reine des Écossais[42]. Pour effectuer le remplacement du corps du personnage avant son exécution par un mannequin décapité, ils arrêtent laprise de vues au moment où la hache s'abat sur la royale nuque. Les figurants sont priés de ne pas bouger pendant que l’on substitue à la comédienne (en fait, un comédien[43]) un mannequin vêtu à l’identique. La prise de vues peut reprendre, la tête roule dans la poussière et le bourreau la brandit fièrement. Après développement, on coupe les photogrammes surexposés qui révèlent l’arrêt et le redémarrage de la caméra, et on soude les deux parties avec de l’acétone[44].
La légende veut que Georges Méliès soit le découvreur de ce procédé. Cependant, il faut considérer qu’à l’époque, les films circulaient d’un pays à l’autre et que notamment les films Edison étaient connus à Londres, puisqu’ils étaient exportés pour alimenter le parc européen de kinétoscopes exploités sous licence Edison[45]. Georges Méliès fréquentait Londres et entretenait des liens d’amitié avecRobert W. Paul, le premier réalisateur anglais, qui lui avait déjà fourni le mécanisme de sa première caméra. Méliès a-t-il visionnéL’Exécution de Mary, reine des Écossais ? C’est probable, mais il est possible aussi qu’il ait redécouvert ce truquage à l’occasion de la fameuse panne qui a interrompu sa prise de vues place de la Madeleine. Toujours est-il qu’il systématise cet effet en le portant à une complexité inégalée à l’époque, comme dansLe Déshabillage impossible, quand un voyageur tente en vain de se déshabiller pour se mettre au lit, au cours duquel24 arrêts de caméra sont exécutés.« À la projection, le malheureux homme virevolte dans tous les sens, assailli par de nouveaux vêtements qui toujours surgissent comme par miracle, son lit lui aussi s’envole, on comprend que la nuit ne lui sera pas douce… pour le plus grand plaisir des spectateurs ! En 1904,Walter R. Booth en fera une version anglaise produite par Robert William Paul,Le Déshabillage mystérieux, avec seulement quatorze arrêts de caméra, moins époustouflante que le film de Méliès[46] ».
Il ne s’agit pas d’’attribuer la paternité dutrompe-l'œil à Georges Méliès, mais de rappeler qu’il possédait depuis l’enfance ce qu’on appelle un solide coup de crayon. Au cinéma, il met ainsi son talent de dessinateur au service des décors de ses films, qu’il peint lui-même, et notamment en exécutant d’habiles trompe-l’œil, donnant l’illusion de la réalité sur trois dimensions à des surfaces peintes à plat.
Surimpression permettant la modification de taille des personnages.
À la charnière du théâtre et du cinéma, l’importance capitale de Georges Méliès dans le cinéma en tant que divertissement populaire, est reconnue aujourd’hui dans le monde entier.
D. W. Griffith dit de Méliès :« Je lui dois tout. » etCharles Chaplin rajoutera« C'était l’alchimiste de la lumière. »
Georges Méliès est décoré par Louis Lumière de laLégion d’honneur en 1931.
Depuis 1946, leprix Méliès couronne chaque année le meilleur film français ou de coproduction française
Le, la Poste française émet un timbre d’une valeur de50 centimes à l’effigie de Georges Méliès. Il est retiré de la vente le après avoir été tiré à 5 270 000 exemplaires[47].
Le documentaire américainGeorges Méliès,cinema magician, de Luciano Martinengo et Patrick Montgomery,21 minutes, rend hommage au cinéaste en 1978
Les recherches deSerge Bromberg aboutissent en 2010 à l’édition d’un coffret de DVD avec200 films restaurés de Georges Méliès
Le documentaireLe voyage extraordinaire deSerge Bromberg etÉric Lange rétablit en 2011 une copie en couleur duVoyage dans la Lune
Le clip desSmashing Pumpkins :Tonight, Tonight lui rend hommage, on y voit notamment un navire appelé leSS Méliès
Georges Méliès apparaît comme protagoniste dans le romanLa Mécanique du cœur (ainsi que dans le film qui en est adapté, sorti en 2013) deMathias Malzieu en incarnant une figure de mentor par rapport au personnage principal, Jack
Film deGeorges Franju :Le Grand Méliès (1952 - 30 min) retraçant la vie de Méliès. Le rôle de Méliès est tenu par son fils André, Madame Georges MélièsJehanne d'Alcy tient le sien, le commentaire étant dit par Marie-Georges Méliès
La réalisatrice australienne Jennifer Kent cite Georges Méliès parmi les influences qui lui ont permis d’élaborer l’esthétique de son filmMister Babadook
Henri Langlois, créateur de laCinémathèque française, a contribué à la postérité du cinéaste en sauvant, peu avant sa mort, une partie de ses films (aussi bien issus de sauvegardes effectuées directement à partir des négatifs d’origine que, pour l’essentiel de son œuvre, de copies illégales), dont il a supervisé la restauration. La petite-fille de Georges Méliès, Madeleine Malthête-Méliès, devient à20 ans la secrétaire d’Henri Langlois dans la toute nouvelleCinémathèque française. Celui-ci« l’incite à rechercher ses films dont il ne restait rien : seulement huit sur plus de 500 »[50]. Madame Malthête-Méliès voyage alors sur tous les continents pour leur recherche et leur identification. Elle rédige une biographie de son grand-père :Georges Méliès, l’enchanteur, parue en 1973 et enrichie en 2011[51]. Sa famille fonde en 1961 l’associationCinémathèque Méliès - Les Amis de Georges Méliès, participe àL’année Méliès en 2011 et contribue à la réalisation d’un livre collector contenant3 DVD de films de sa collection[52].La diffusion des films du Maître est entreprise par d’autres admirateurs. Ainsi, un coffret de DVD contenant la quasi-totalité des films retrouvés est distribué parLobster Films et édité sous le titreGeorges Méliès, le premier magicien du cinéma.Le Voyage dans la Lune (1902) est proposé en noir et blanc, mais aussi dans sa version originale en couleur (peinte à la main, image par image). Cette version coloriée fit le tour du monde, puis fut longtemps considérée comme perdue. Une copie est miraculeusement retrouvée en 1993 àBarcelone, en très mauvais état, les spires de pellicule étant « jointives », c’est-à-dire collées[53]. À partir de 1999, Lobster Films commence des travaux extrêmement délicats pour décoller et numériser les images. La restauration du film est soutenue par la Fondation Groupama Gan pour le cinéma et laFondation Technicolor pour le patrimoine du cinéma en collaboration avec Lobster Films. Les images manquantes (perdues ou trop dégradées), sont reprises de la meilleure version noir et blanc du film, prêtée par Madeleine Malthète-Méliès etrecoloriées. La restauration engagée permet au public de redécouvrir cette œuvre importante du cinéma mondial[53]. Un siècle après la réalisation du film, les outils numériques actuels sont utilisés pour réassembler les fragments de 13 375 images du film et les restaurer une par une[53], ces nouveaux outils soulevant de nouvelles questions quant à la restauration des films[54].
Et c’est ainsi que le, des films de Méliès, dont leVoyage dans la Lune, sont présentés lors de la soirée de lancement de la« Liste des œuvres représentatives du cinéma mondial » par l’UNESCO[55]. Contrairement à une confusion parfois rencontrée[56], leVoyage dans la Lune n’est pas classé aupatrimoine mondial de l’UNESCO[57].
En, lesArchives françaises du film annoncent avoir retrouvéMatch de prestidigitation, un film de deux minutes réalisé par Méliès, réputé perdu depuis des années[58].
La même année, 80 négatifs originaux sont retrouvés par la société Lobster Films au sein de laBibliothèque du Congrès aux États-Unis, notamment le négatif original duJuif errant[59]. La restauration de ces négatifs est immédiatement engagée.
On estime qu’en dix-sept ans d’activité Georges Méliès a réalisé près de600 films de 1 à 40 minutes, en privilégiant trois genres : la féerie et le fantastique, la science-fiction et la reconstitution historique. Selon la législation en vigueur concernant lesdroits d’auteur, l’ensemble des réalisations de Georges Méliès est passé dans ledomaine public au, l’année suivant le soixante-dixième anniversaire de sa mort[60]. Cependant, le droit moral appartenant à la famille de Georges Méliès, ainsi que le droit de reproduction appartenant aux propriétaires des copies originales des films de Méliès s’applique toujours dans une certaine mesure[61].Parmi les plus connus, on peut citer :
↑Félix Mesguich,Tours de manivelle, mémoires d'un chasseur d’images, Bernard Grasset, Paris, 1933. Amazon Standard Identification Number ASIN B0000DY4JG
↑JacquesMalthête, « Les bandes cinématographiques en couleurs artificielles. Un exemple : les films de Georges Méliès coloriés à la main »,1895 Mille huit cent quatre-vingt-quinze,vol. 2,no 1,,p. 3-10(ISSN0769-0959,DOI10.3406/1895.1987.880).
↑Roland Cosandey et Jacques Malthête, « Le Voyage dans la Lune (Lobster Films / Georges Méliès, 2011) : Ce que restaurer veut dire »,Journal of Film Preservation,no 87,,p. 7-9(ISSN1609-2694,lire en ligne).
Jacques Malthête etMichel Marie,Georges Méliès, l'illusionniste fin de siècle ?, Presses Sorbonne Nouvelle,, 456 p.(lire en ligne).
MadeleineMalthête-Méliès,Méliès l'enchanteur, Ramsay,, 443 p.
Madeleine Malthête-Méliès est la petite-fille de Georges Méliès.
Réédition de Paris : Hachette, Littérature, [1973][1983][1995]. ; réédition : La Tour Verte, 2012. D'autres éditions sont disponibles en Suisse, au Japon et en Espagne.
Jacques Malthête,« Un nitrate composite en couleurs :Le voyage dans la lune de Georges Méliès, reconstitué en 1929 », dans Priska Morissey et Céline Ruivoet (dirs.),Le Cinéma en couleurs : Usages et procédés avant la fin des années 1950, 1895, revue de l’association française de l’ histoire du cinéma, numéro 71,(ISBN978-2-37029-071-7,lire en ligne),p. 163 à 181.
Jacques Malthête, « Le second studio de Georges Méliès à Montreuil-sous-Bois »,1895, revue d'histoire du cinéma,no 7,,p. 67-72(lire en ligne).
Laurent Mannoni,Méliès, la magie du cinéma, La Cinémathèque française / Flammarion, 2020.
Musée Méliès, La Magie du cinéma, Flammarion, 2021.
George MélièsLe Voyage dans la luneA la conquête du pôleLe diable au couventCendrillonLa Lune à un mètreLe Royaume des féesAu pays des jouetsLe Raid Paris–Monte-Carlo en deux heuresLe Tonneau des DanaïdesLe Chaudron infernalLa lanterne magiqueLe Dirigeable fantastiqueLe Rosier miraculeuxLa danse du feu