Georg Wilhelm FriedrichHegel(de) naît àStuttgart le dans une familleprotestante. Son père Georg Ludwig Hegel (1733-1799) est fonctionnaire à la Cour des comptes du ducCharles II de Wurtemberg. Sa mère Maria Magdelena Fromm (1741-1783) est issue d'une famille cultivée de juristes et participe à la première formation intellectuelle de son fils avant de mourir prématurément. Sa sœur Christiane enseignera plus tard le français à Stuttgart et sera internée dans unasile psychiatrique. Son jeune frère Ludwig périra en tant que capitaine dans l'armée napoléonienne pendant lacampagne de Russie[1].
Georg Hegel fait ses études aulycée de sa ville natale, où il est un écolier modèle. Sa sœur rapporte qu'il savait sa première déclinaisonlatine dès l'âge de cinq ans et que son précepteur lui offrit une édition des drames deShakespeare pour ses huit ans. À l'âge de dix ans, son père lui fit apprendre lagéométrie et l'astronomie. L'étude destragédies grecques était sa matière favorite. Il s'intéressait également à labotanique et à laphysique[2]. Hegel lui-même se souvient avoir appris à l'âge de onze ans les définitions deChristian Wolff ainsi que les figures et règles dusyllogisme, soit les bases de lalogique[3]. Parmi les camarades de classe de Hegel à cette époque figurentJakob Friedrich Märklin(de) etGottlob Friedrich Steinkopf(de)[4].
Il s'inscrit ensuite à la faculté dethéologie et suit des cours sur l'histoire desapôtres, lespsaumes et lesÉpîtres, sur le philosophestoïcienCicéron, sur l'histoire de la philosophie, sur lamétaphysique et lathéologie naturelle et décide en outre de s'inscrire à des cours d'anatomie[7]. L'essentiel de l'enseignement consiste dans un apprentissage de ladogmatique chrétienne qui provoque chez Hegel un écœurement manifeste visible dans ses écrits postérieurs[8]. Une mauvaise santé le conduit à retourner assez souvent à Stuttgart pendant cette période.
Hegel est demeuré sa vie durant attaché au souvenir de laRévolution de 1789. Il dira, dans sescours de Berlin sur la philosophie de l'histoire, qu'elle fut un« magnifique lever de soleil » :« tous les êtres pensants ont célébré ensemble cette époque. Une émotion sublime a dominé en ce temps-là, un enthousiasme pour l'esprit a parcouru le monde comme si une réconciliation réelle avec le divin était advenue »[13][réf. incomplète] . Politiquement, Hegel était républicain dans sa jeunesse, ses écrits de Berne de 1795 le montrent notamment sans ambiguïté possible[14]. Plus tard, il s'est convaincu que l'unification politique de l'Allemagne ne pouvait passer que par la monarchie, et il a donc défendu le modèle de la monarchie constitutionnelle. Pour ce qui concerne son rapport à la Révolution française, s'il a été enthousiasmé par 1789, il désapprouvait en revanche laTerreur[15].
Hegel choisit de devenir non paspasteur, ce à quoi le disposait sa formation théologique, mais plutôtprécepteur. Il a en effet accepté une offre qui lui a été faite pour exercer ce métier venant deBerne à l'été1793.
Il achève ses études àTübingen en septembre en présentant un mémoire dethéologie neutre sur l'histoire de l'Église duWurtemberg. De cette année date pourtant un écrit sur la philosophie de la religion deKant, où Hegel critique aussi bien la position de la dogmatique chrétienne que celle desLumières, lesquelles« rendent plus intelligent mais non pas meilleur ». Le texte appelé « Fragment de Tübingen » pose la question d'une nouvelle « religion populaire » qui soit en même temps une religion rationnelle[16],[17].
LaJunkerngasse(de) àBerne (en 2005) où habitait la famille Steiger et où Hegel fut précepteur.
Hegel occupe une fonction deprécepteur enSuisse dans la famille du capitaine Karl Friedrich von Steiger (1754-1841), membre du Conseil souverain deBerne et représentant de l'aristocratie alors au pouvoir dans ce canton. L'hiver, la famille réside en ville (Junkerngasse 51) et l'été à la campagne, àTschugg, non loin ducanton de Vaud. Hegel est chargé de l'éducation de deux garçons de six et de huit ans. Il fait l'expérience de la servitude dans la mesure où sa position est celle d'unvalet[18]. Mais il lui reste du temps pour des lectures et des travaux d'autant que la famille Steiger possède une importante bibliothèque[19].
Hegel étudie les derniers développements que prend laphilosophie dans les publications deKant,Fichte,Schiller et deSchelling. Il en attend une révolution enAllemagne et il écrit en ce sens à Schelling :
« Je crois qu'aucun signe des temps n'est meilleur que celui-ci : c'est que l'humanité est représentée comme si digne d'estime en elle-même ; c'est une preuve que le nimbe qui entourait les têtes des oppresseurs et des dieux de la terre disparaît. Les philosophes démontrent cette dignité, les peuples apprendront à la sentir ; et ils ne se contenteront pas d'exiger leurs droits abaissés dans la poussière, mais ils les reprendront — ils se les approprieront[20]. »
Les manuscrits de Hegel rattachés à cette époque témoignent surtout d'une réflexion critique sur la religion chrétienne, qui est considérée comme contraire à l'autonomie morale[21] et comme une doctrine "triste"[22], opposée au plaisir de vivre, à la joie. Hegel réfléchit aussi néanmoins à ce que pourrait devenir la figure de Jésus dans une nouvelle religion qui serait à la fois populaire et rationnelle. Dans le texte qu'il intituleLa vie de Jésus, il réécrit l'histoire deJésus, qui est pour lui un simple maître de vertu, enseignant lavertu dans un sens assez proche du senskantien, abstraction faite de toutmiracle et de touterésurrection.
En, Hegel entreprend avec d'autres précepteurs de Berne un voyage dans lesAlpes bernoises et en fait la relation dans un journal. Il n'est pas ému par le spectacle de la nature sauvage et gigantesque qu'il rencontre si ce n'est par les chutes d'eau. Il oppose à la nature les activités des hommes.
Pendant la période passée enSuisse, il écrit se sentir isolé de ses amis et de la scène littéraire. Il continue néanmoins de correspondre avecHölderlin et celui-ci lui trouve un emploi de précepteur àFrancfort-sur-le-Main en 1796. Avant de rejoindre son ami, Hegel lui adresse un long poème intitulé « Eleusis ». Il passe la fin de l'année 1796 àStuttgart.
En1797, Hegel prend la charge de précepteur àFrancfort-sur-le-Main dans la famille du négociant en vin Johann Noë Gogel (sur leRoßmarkt(de)) tandis queHölderlin exerce la même fonction dans la famille Gontard. Le lien amical avec Hölderlin se renforce ; Hegel participe à son projet de tragédieSur la mort d'Empédocle et il est tenté lui-même par lapoésie[24]. Il est également en relation avec un ami commun, le philosophe poètefichtéen et révolutionnaireIsaac von Sinclair(de).
Friedrich Hölderlin.
De cette époque daterait le fragment anonyme connu sous le nom du « Plus ancien programme de système de l'idéalisme allemand » (Das älteste Systemprogramm des deutschen Idealismus) rédigé par Hegel mais que l'on a attribué également àSchelling, voire àHölderlin[N 2]. Un système commun est esquissé qui suppose la disparition de l'État et culmine dans l'idée de labeauté entendu dans un sensplatonicien, soit une première formulation du système sous formeesthétique[25].
Hegel développe une critique de la raison et de la philosophie qui est le ferment de ladialectique. Il semble traverser alors une « crise d'hypocondrie »[26] qui trouve son expression philosophique dans l'impossibilité de retrouver l'harmonie de la « belle totalité grecque » dans la civilisation européenne moderne[27]. La solution sera une « réconciliation avec le temps », soit avec le réel historique.
Hegel rédige en 1798 un ouvrage dédié aux patriotesSur la situation récente duWurtemberg, où il défend l'élection desmagistrats par lepeuple. Il suppose que« l'image de temps meilleurs est parvenue à l'âme des hommes » et que seul l'aveuglement peut laisser croire que puisse subsister des« institutions que l'esprit a abandonnées »[réf. nécessaire]. Latournure des événements politiques enFrance le dissuade de publier ce livre.
Après la mort de son père, en, Hegel retourne àStuttgart et dispose d'unhéritage qui lui permet l'indépendance. Il décide de devenirprivat-dozent (assistant-professeur) dans une université. Il écrit à Schelling en 1800 que sa formation scientifique l'a conduit à donner à son idéal de jeunesse la forme réflexive d'un système, qu'il se pose désormais la question d'un retour à la vie humaine et se tourne vers lui pour cette raison[30].
Friedrich Wilhelm Schelling vers 1800.Représentation de Napoléon, « l'âme du monde », à Iéna, 1806.
Hegel commence sa carrière universitaire en devenantprivatdozent à l’université d'Iéna en1801. Il soutient sonhabilitation avec une thèse latine surLes orbites des planètes (Dissertatio philosophica de orbitis planetarum) le. Cette étude dusystème solaire doit illustrer la nouvellephysique spéculative (alors défendue parSchelling etGoethe) en rompant avec lamécanique deNewton[31]. Il y affirme notamment qu'il ne peut pas exister d’autres planètes dans le Système solaire que celles déjà connues, et ce juste avant la découverte deCérès, alors considérée comme telle, ce qui suscita des moqueries. Hegel, dans un contexte comique, pour l'appendice planétaire n'a pas d'intentions théoriques sérieuses, mais a plutôt essayé de se moquer de l'astrophysique a priori de son époque, en utilisant entre autres la définition de la plaisanterie deChristian Wolff à son profit[32].
Hegel se fait connaître également en écrivant laDifférence entre les systèmes deFichte et de Schelling, où il défend ce dernier. Assistant de Schelling à l'université d'Iéna, Hegel suit alors la pensée de son maître, dont il partage le logement. Ils fondent ensemble leJournal critique de philosophie (1802-1803) qui prend fin avec le départ de Schelling pourWurtzbourg en 1803. Mais l'époque de Iéna est aussi celle d'un tournant : Hegel se sépare progressivement des idées de Schelling, rupture consacrée par la préface de laPhénoménologie de l'esprit en1807.
Hegel délaisse à cette période la critique de la religion au profit d'une critique de la politique. Il écrit sur laconstitution de l'Allemagne à partir du constat que« l'Allemagne n'est plus un État ».
Ses cours sont intitulésLogique et métaphysique,Philosophie de la nature et de l'esprit,Le droit naturel,Système général de la philosophie,La science complète de la philosophie ouMathématique pure[33]. Hegel construit son système et s'efforce de le diviser de façon organique, mais il reporte le moment de sa publication.
En 1805, il devient professeur honoraire mais sans toucher de traitements. Il a épuisé son héritage et connaît une certaine détresse financière.Goethe intervient alors pour qu'il touche un salaire annuel. Une autre source de gêne est la naissance en 1807 d'unfils naturel, Ludwig, que Hegel a conçu avec la femme de son logeur, mais dont il prendra en charge soigneusement l'éducation.
« J'ai vu l’Empereur — cetteâme du monde — sortir de la ville pour aller en reconnaissance ; c'est effectivement une sensation merveilleuse de voir un pareil individu qui, concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le domine[34]. »
« Messieurs ! Nous sommes situés dans une époque importante, dans une fermentation, où l'Esprit a fait un bond en avant, a dépassé sa forme concrète antérieure et en acquiert une nouvelle[35]. »
L'arrivée deNapoléon àIéna interrompt les activités universitaires. Hegel accepte l'offre que lui fait son amiFriedrich Immanuel Niethammer, en, de prendre la direction d'un journal àBamberg (Bamberger Zeitung). Ses raisons sont aussi bien économiques que théoriques :
« L'affaire m'intéressera car, comme vous le savez, je suis avec intérêt les événements mondiaux... On peut considérer la plupart de nos journaux comme plus mal faits que les journaux français et il serait intéressant de se rapprocher du ton de ces derniers[36]. »
Il commence son activité de rédaction au mois de mars au moment même où paraît laPhénoménologie de l'esprit auquel il consacre d'ailleurs une annonce dans le journal. En ce qui concerne les articles, lacensure laisse peu de liberté. Les commentaires des nouvelles sont proscrits. Une certaine ligne politique émane néanmoins dans la distanciation à l'égard de laPrusse et dans l'intérêt manifeste pour la politiquenapoléonienne de réformes, de constitution et de tolérance : l'empereur apparaît comme le « fondateur de la paix en Europe ». Hegel confie néanmoins à ses proches que son penchant pour la politique est plutôt insatisfait par la « galère » du journalisme[37]. Il n'hésite donc pas dès que Niethammer, devenu conseiller ministériel àMunich, lui propose un poste d'enseignement au lycée deNuremberg. Au moment où il quitteBamberg, Hegel a commencé d'écrireLogique, ouvrage qu'il avait seulement esquissé àIéna.
En1808, il est recteur dugymnasium (lycée) deNuremberg (aujourd'huilycée Mélanchthon(de)). Les élèves ont entre huit et vingt ans répartis dans des classes primaires, de progymnase et de gymnase proprement dit[38]. Hegel est confronté au manque de moyen et d'hygiène et fait une expérience amère de l'administration. Dans ses nombreux discours, il parvient néanmoins à porter l'attention des adultes sur les problèmes depédagogie.
Il enseigne son système de la philosophie (Encyclopédie philosophique) dans les dernières classes sous la forme d'une propédeutique (une forme d'introduction). Son propos est difficile pour les élèves, mais il les stimule en leur apprenant à dialoguer librement entre eux et leur témoignant un grand respect.
Il donne une suite à laPhénoménologie de l'esprit en publiantLa Science de la logique en trois volumes (1812-1816). Ce n'est pas seulement unorganon, un instrument pour la pensée, auquel lascolastique réduisait la logique, mais un véritable traité demétaphysique :« La logique est à comprendre comme le système de la raison pure, l'empire de la pensée pure[39]. »
En 1811, il épouse Marie von Tucher, qui appartient à une famille patricienne de la ville. Ils ont deux fils :Karl Hegel[40](1813-1901), qui deviendra historien, et Immanuel Hegel (1814-1891). Parmi sa descendance, on relèveGudrun Ensslin (1940-1977), cofondatrice avec son compagnonAndreas Baader de laFraction armée rouge, organisation allemande d'extrême gauche, également connue sous les noms de « bande à Baader » ou « groupe Baader-Meinhof ».
En1816, il accepte la chaire de l'université de Heidelberg. Il est le premier philosophe à l'occuper depuis le refus deSpinoza en 1673. Dans son discours inaugural, il se félicite des premiers pas de l'unité allemandevia la formation de laConfédération germanique, ce qui lui donne l'espoir que la« science pure et le monde libre rationnel de l'esprit » pourra se développer à côté du réel de la vie politique et quotidienne[41].
Il publie en 1817 l'Encyclopédie des sciences philosophiques comme le manuel destiné à l'enseignement de son système de la philosophie (il en donnera deux autres éditions en 1827 et 1830).
Il participe à la rédaction desHeidelbergischen Jahrbücher der Litteratur (Annales littéraires de Heidelberg), une revue dirigée par les professeurs de l'université et consacrée à l'ensemble des disciplines académiques. Hegel suscite en 1817 une polémique avec sa recension d'un livre portant sur la nouvelleconstitution du royaume deWurtemberg. Il défend cette constitution contre les partisans des anciennes coutumes au nom du combat rationnel contre lesprivilèges menée par laRévolution[42].
En1818, il occupe la chaire deFichte àBerlin dans l'université nouvellement fondée parWilhelm von Humboldt qu'il salue comme le« centre de toute éducation et de toute science et vérité » et un« moment essentiel dans la vie de l'État »[44][réf. incomplète] . S'il n'attirait que peu d'étudiants à Heidelberg, la renommée de la chaire de Fichte à Berlin lui apporte un large public, comprenant juristes, philologues, théologiens et philosophes[45].
Bien que Hegel ne fût pas partisan de laPrusse[réf. nécessaire], il soutint contre les forces de la restauration la nouvelle politique deréformes alors engagée, qui accordait à l'université son autonomie.
Après lesdécrets de Carlsbad (1819), cette liberté académique se retrouve remise en cause et lacensure s'intensifie. Des élèves de Hegel sont interdits d'enseignement ou emprisonnés car ils sont suspectés de menées démocratiques[44].
Hegel publie dans ce contexte sesPrincipes de la philosophie du droit (1821), « véritable succès de librairie » selonJ.-L. Vieillard-Baron, qui expose pour la première fois au public cultivé sa pensée politique développée depuis la Révolution[46]. Il y développe sa philosophie pratique et particulièrement sa théorie des rapports de la société civile et de l'État. Lorsqu'il écrit :« ce qui est rationnel est réel, et ce qui est réel est rationnel » cela semble légitimer la situation de fait et témoigner publiquement d'une attitude de servilité à l'égard du pouvoir. On a accusé Hegel dequiétisme.Karl Marx, en particulier, écrira en 1844, dans lesAnnales franco-allemandes(de), à propos de cet ouvrage :
« Hegel va presque jusqu'à la servilité. On le voit totalement contaminé par la misérable arrogance du fonctionnarisme prussien, qui, dans son étroit esprit bureaucratique, regarde la confiance en soi-même de l'opinion (subjective) du peuple. Partout ici l'État s'identifie pour Hegel avec le « gouvernement »[47]. »
L'œuvre suscite en effet lapolémique, certains accusant Hegel d'avoir renoncé à ses idéaux de jeunesse, tandis que d'autres considèrent au contraire qu'il s'oppose au conservatisme et audroit divin[48]. Mais dans ses cours, il explique que« laphilosophie du droit sait que le domaine du droit ne peut naître que par un développement progressif » et que« seul ce qui est rationnel peut advenir, quand bien même les phénomènes extérieurs singuliers semblent la contredire »[49][réf. incomplète].
Le bâtiment de l'université de Berlin où enseigna Hegel entre 1818 et 1831 (photographie de 1900).
Pendant ses périodes de vacances ou à des fins d'étude, Hegel entreprend des voyages : en 1819, à l'île deRügen, àDresde et enSuisse ; en 1822, auxPays-Bas (il rencontre le généralCarnot alors exilé en passant parMagdeburg) ; en 1824 àVienne ; en 1827 àParis; en 1829, àCarlsbad et àPrague en passant parWeimar etIéna (où il retrouveGoethe). Hegel s'intéresse particulièrement à l'art (« L’art est pour nous quelque chose du passé »)[50]. Il est passionnément épris demusique[51].
C'est sur l'invitation de son disciple françaisVictor Cousin que Hegel se rend àParis (qu'il appelle la « capitale du monde civilisé »). Lorsque Cousin est arrêté àDresde, en 1824, Hegel intervient auprès de la policeSaxonne pour qu'il soit libéré[52]. Il fournit également des cahiers concernant ses cours sur laphilosophie de l'histoire et l'esthétique dont le philosophe français saura s'inspirer[53].
Avec son élèveEduard Gans et d'autres professeurs, Hegel fonde en 1826 lesJahrbücher für wissenschaftliche Kritik (Annales de critique scientifique) sur le modèle duJournal des savants[54]. Il rédige lui-même des recensions sur les écrits deWilhelm von Humboldt (sur la philosophie indienne), deSolger(de) (sur la question de l'ironie) et deJohann Georg Hamann.
En 1829, Hegel devient recteur de l'université de Berlin. Il tient en cette qualité un discours en 1830 pour le trois-centième anniversaire de laconfession d'Augsbourg.
En 1830, il polémique avecEduard Gans et d'autres de ses disciples concernant la signification de laRévolution de Juillet. Hegel semble se ranger alors du côté des conservateurs bien qu'il reconnaisse la nécessité de cette révolution. Il pense que laFrance en tant que payscatholique possède un degré de conscience politique plus élevé que son degré de conscience religieuse : elle voudrait faire la révolution de l'État sans faire la réforme de l'Église mais retombe de ce fait dans la réaction. S'il ne désapprouvait pas« en principe » larévolution de Juillet, elle lui semblait« très dangereuse, en ce qu'elle ébranlait trop la base sur laquelle repose la liberté[55] », étant lui-même favorable à une monarchie constitutionnelle.
Hegel prend ouvertement parti, en revanche, pour laréforme politique enAngleterre dans un article publié en 1831 (et partiellement censuré) où il dénonce non seulement un système politique fondé sur l'arbitraire et dépourvu de constitution, mais également la violence des propriétaires et l'oppression subie par le peuple[56].
En1831, Hegel travaille à une nouvelle édition de laPhénoménologie de l'esprit (dont il ne pourra corriger que la moitié de la préface) lorsqu'uneépidémie de choléra décime l'Europe. Hegel meurt de cette maladie (ou bien d'une maladie d'estomac) le à cinq heures et quart dans son appartement du Kupfergraben à Berlin[57]. Il est enterré deux jours plus tard au cimetière de Dorotheenstadt. Le théologien Philipp Marheineke et le critique Friedrich Förster prononcèrent des discours pour ses obsèques. Hegel fut comparé par ce dernier à un « cèdre du Liban » et à « l'étoile du système solaire de l'esprit mondial ».Jacques D'Hondt interprète cela comme une allusion à lafranc-maçonnerie[58], à laquelle Hegel aurait appartenu commeFichte, à côté duquel il fut enseveli, suivant ses propres vœux.
Le, un journal deStuttgart publie les derniers mots du dernier cours prononcé par Hegel (sur laphilosophie du droit) :« rendre le monde extérieur partout conforme au concept de laliberté une fois reconnu, telle est la tâche des temps nouveaux[59]. »
Laphilosophie de Georg Hegel est une philosophie systématique et encyclopédique qui se développe à partir del'idée logique. Son déploiementdialectique constitue laréalité et son devenir, et son retour à soi dans la forme de la pensée, la seule qui soit vraiment adéquate à son contenu. Cette dialectique a pu être considérée comme unethéologie de l'histoire, mais elle a également donné lieu à de nombreuses interprétations contradictoires du fait de sa difficulté.
Hegel s'est expliqué lui-même sur cette difficulté, par exemple dans l'Introduction à l'Encyclopédie des sciences philosophiques[réf. à confirmer]. Le sens commun ne peut pas trouver dans la philosophie ce qu'il en attend, car la philosophie est en soi un dépassement de ce sens commun et de ses fausses évidences. C'est que la philosophie, comme science, ne se contente pas de classer diverses représentations du réel. Il ne suffit pas non plus que ces représentations renvoient à des déterminations de pensée, comme celles qu'on trouve dans un droit encore non-philosophique, qui définit lecontrat, levol, lapropriété, etc. La philosophie doit montrer comment, selon quelle nécessité rationnelle,l'esprit, en se réfléchissant lui-même, se détermine dans une série de moments nécessaires, où il ne s'aliène pas, puisqu'il demeure le mouvement, la vie, lelogos, qui les anime et les engendre de l'intérieur. La pensée qui demeure à la certitude du sensible, de même que la philosophie classique d'entendement, peineront donc à comprendre la philosophie absolue.
Cette philosophie est essentiellement déterminée par la notion dedialectique, qui est tout à la fois unconcept, un principe d'intelligibilité, et un moyen d'appréhender le mouvement réel qui gouverne les choses dumonde.
Lapensée hégélienne est donc la compréhension de l'histoire de ce qu'il appellel'Idée, Idée qui, après s'être extériorisée dans lanature, revient en elle-même en niant cette altérité pour s'intérioriser, s'approfondir et se réaliser dans des formes culturelles (suivant une hiérarchie formelle d'un contenu identique : art, religion et philosophie). D'un point de vue très général, c'est donc une pensée qui veut concilier les opposés qui apparaissent, par la conciliation des philosophies de l'Être et des philosophies du devenir. En effet, avec la dialectique, ces oppositions cessent d'être figées puisque le mouvement d'une chose est d'être posée, puis de passer dans son contraire, et ensuite de réconcilier ces deux états. Ainsi, l'être n'est-il pas le contraire du néant ; l'être passe dans le néant, le néant dans l'être, et le devenir en est le résultat:Le néant, en tant que ce néant immédiat, égal à soi-même, est de même, inversement, la même chose que l'être. La vérité de l'être, ainsi que du néant, est par suite l'unité des deux ; cette unité est le devenir. (La Science de la logique[réf. à confirmer]).
Le concept de « dialectique » est pris en deux sens par Hegel selon que l'on parle « du » dialectique ou de « la » dialectique.Le dialectique désigne un moment intermédiaire entre l'abstrait et le spéculatif, qui correspond en gros auscepticisme (l'art de dissoudre les opinions dans le néant), tandis quela dialectique désigne le mouvement de dissolution du fini lui-même. Hegel distingue en effet trois moments dans la connaissance. Tout d'abord (mais il s'agit d'une priorité logique et non temporelle), la connaissance est abstraite, l'entendement établit l'empirique en objet de connaissance, et à cette fin il en constitue le sujet de prédicats qui ne doivent pas se contredire. Mais (deuxième moment) laraison découvre que les concepts dans lesquels l'entendement croyait pouvoir connaître le concret ont un défaut : ils réifient l'objet de la pensée en le faisant passer pour une chose en soi, ce qu'il n'est pas du tout.« La pensée en tant qu'entendement s'en tient à la déterminité fixe et à son caractère différentiel par rapport à d'autres, et un tel abstrait borné vaut pour elle-même comme subsistant et étant pour lui-même » (Encyclopédie, §14[réf. à confirmer]).
Dès lors, la pensée doit se mettre en quête du véritable concret en commençant par dissoudre cette absolutisation des concepts finis. Ce moment est celuidu dialectique proprement dit. Mais le point capital est de comprendre que la dissolution des concepts abstraits n'est pas seulement l'œuvre de notre réflexion, mais est immanente au fini lui-même, ce pourquoila dialectique est objective (§15). Enfin, la pensée sort du scepticisme en concevant le concret comme totalité des déterminations, moment que Hegel appelle spéculatif. « Spéculatif » est le mot que Hegel emploie le plus souvent pour caractériser sa philosophie. C'est donc proprement une mécompréhension de son œuvre que de la réduire à une dialectique.« La Logique est essentiellement philosophie spéculative » (§17[réf. à confirmer]).
La dialectique n'est pas une méthode extérieure imposant une forme immuable comme la triplicité, c'est le développement de laréalité, de la chose elle-même. En fait, Hegel dit qu'il ne faut pas « compter » les moments du processus logique (SL,III,383). On présente souvent de façon superficielle la dialectique hégélienne sous la formethèse-antithèse-synthèse, termes que Hegel n'utilise jamais et qu'il récuse et renvoie à lasophistique, c'est-à-dire à l'art de produire des apparences trompeuses par des moyens pseudo-rationnels.On peut récuser l'idée qu'il y aurait une doctrine hégélienne, car il s'agit en fait de dégager ce qu'il y a d'intelligible dans la réalité, et non d'en produire une nouvelle interprétation. La philosophie décrit la réalité et la reflète.
Dans le domaine de l'esprit, ladialectique est l'histoire des contradictions de la pensée qu'elle surmonte en passant de l'affirmation à la négation et de cette négation à la négation de la négation. C'est le mot allemandaufheben qui désigne ce mouvement d'aliénation (négation) et de conservation de la chose supprimée (négation de la négation). La négation est toujours partielle. Ce qui est sublimé est alorsmédié et constitue un moment déterminé intégré au processus dialectique dans sa totalité. Cette conception de la contradiction ne nie pas le principe de contradiction, mais suppose qu'il existe toujours des relations entre les opposés : ce qui exclut doit aussi inclure en tant qu'opposé.
Or, la thèse fondamentale de Hegel est que cette dialectique n'est pas seulement constitutive du devenir de la pensée, mais aussi de la réalité ; être et pensée sont donc identiques. Tout se développe selon lui dans l'unité des contraires, et ce mouvement est la vie du tout. Toutes les réalités se développent donc par ce processus qui est un déploiement de l'Esprit absolu dans lareligion, dans l'art, laphilosophie et l'histoire. Comprendre ce devenir, c'est le saisir conceptuellement de l'intérieur. Ainsi tout ce qui est rationnel est réel, et tout ce qui est « réellement réel » est rationnel. Pour autant, tout ne peut pas être produit nécessairement par l'Esprit. En effet, Hegel distingue dans le donné ce qui répond à une exigence nécessaire de l'esprit absolu, et ce qui n'est qu'expression contingente de cette nécessité. Napoléon est à la fois l'incarnation d'un moment nécessaire de l'Idée et un individu particulier, privé, dont un simple valet de chambre pourrait raconter l'histoire… mais ce ne serait que l'histoire du point de vue de ce valet, et non l'histoire du point de vue de sa signification en soi et pour soi, l'histoire philosophique. Mais cette compréhension de la réalité ne peut venir qu'une fois les oppositions synthétisées et résolues, et c'est pourquoi la philosophie est la compréhension de l'histoire passée : « lachouette de Minerve ne prend son envol qu'au crépuscule[61]. » Par exemple,Napoléon achève laRévolution française et Hegel le comprend.
Hegel développe unethéorie de l'histoire universelle. L'histoire trouve sa réalisation objective dans l'État, où l'Idée s'accomplit dans une organisation juridique capable de réaliser laliberté qui est sonessence, i.e. : ce qu'elle était déjà en germe. L'État est ainsi l'Idée qui se concrétise dans une société humaine, dans un peuple dont l'Idée est l'esprit, et qui est menée à son terme par le grand homme. C'est l'art, la religion et la philosophie qui réalisent pleinement la liberté : parvenu au savoir absolu, à la liberté du concept, la philosophie reprend en effet la totalité du savoir, i.e. : l'ensemble des moments du processus, et se constitue par ce moyen commescience, comme savoir absolu de l'être.
L'hégélianisme interprète la longue histoire de l'humanité comme ayant un sens : c'est la liberté de l'homme progressant étape par étape.
On voit donc que, pour Hegel, l'histoire s'achève avec son époque : tout ce développement dialectique, réalisé dans l'État, dans l'art, la religion, la philosophie, dans l'ensemble des institutions humaines qui expriment le travail du concept, trouverait savérité et son accomplissement à l'époque de Hegel. Cette volonté de clôture de l'histoire a engendré des critiques, en particulier pour Karl Marx,qui y voyait plutôt l'accomplissement de l'État bourgeois.[réf. nécessaire]
Étant donné cettedialectique de la totalité, c'est-à-dire le fait que la philosophie comprend la totalité du réel, Hegel reprend en un système le savoir de son temps, système où tous les concepts sont liés dans un ensemble organique. L'œuvre capitale de Hegel est de ce point de vue l'Encyclopédie des sciences philosophiques, dont le plan est l'architecture du système de la philosophie. Il est composé de trois parties :
La Science de la logique, science de l'idée en soi et pour soi dans l'élément abstrait de la pensée ;
LaPhénoménologie de l'esprit est une première présentation du même système sous une forme introductive (du point de vue de la conscience et non du point de vue de l'idée).
Puisque tous les aspects de laréalité sont selon Hegel l'expression d'un mouvementdialectique, on ne doit pas séparer les domaines d'études : l'ensemble des chapitres de cet article n'est pas un découpage qui appartient à la pensée de Hegel, mais une présentation successive de quelques aspects que l'on doit comprendreensemble :histoire,morale,droit,art,religion,philosophie.
Hegel définit laphilosophie commescience qui rend compte d'elle-même, du sujet qui l'énonce, du processus historique où il prend place et, finalement, de l'unité sujet-objet autant que de leur division. Pour les matérialistes, il n'y a pas de projet transformateur de l'homme dans la philosophie hégélienne, elle ne se fait que par constats. Mais du point de vue idéaliste, la véritable transformation et la potentialité révolutionnaire consiste dans le travail sur les représentations humaines qu'opère la philosophie alors même qu'elle se présente comme une science du réel. Lorsque Hegel dit :« tout ce qui est réel est rationnel », il veut dire :« tout ce qui est réel doit être rationnel » (comme il l'a dit en privé à son étudiant le poèteHeinrich Heine[62]). Il y a une dimension normative de la raison théorique. La philosophie encyclopédique participe encore chez Hegel du projet d'émancipation desLumières propre au mouvement encyclopédique français.
Si on peut dire que chez Hegel la philosophie a une fin, ce n'est pas une fin qu'il lui attribue, mais qu'il constate à travers l'Histoire: c'est-à-dire la conscience de soi, mais de soi comme communauté historique (politique et religieuse) d'individus actifs qui transforment le monde, progrès dans la conscience de la liberté (c'est-à-dire progrès dans la connaissance de soi, tout comme dans la liberté de conscience ainsi que dans le droit et dans l'État comme liberté objective). C'est une philosophie de l'histoire, de l'action et d'une liberté en progrès avec ses contradictions, sa négativité, sa dialectique : passage de l'histoire subie à l'histoire conçue où laPhénoménologie de l'esprit s'achève après être passée de la conscience de soi à la conscience morale puis à la conscience politique et religieuse dans leur historicité.
La phénoménologie décrit l'évolution progressive et dialectique de laconscience vers la science (i.e. par le jeu des négations successives, la conscience commençant par nier ce qui se manifeste immédiatement à elle), depuis la première opposition immédiate entre elle et l'objet, puis la conscience de soi, la raison, l'esprit, la religion, jusqu'au savoir absolu dans lequel « le concept correspond à l'objet et l'objet au concept ». Ce dernier savoir est selon Hegel savoir de l'être dans sa totalité, intériorisation de l'objet, ou identité de l'objet de la pensée et de l'activité de connaissance dont le résultat est l'objet lui-même.
La phénoménologie commence donc par la description de la conscience en général, comme opposée à un objet. Mais cette description adopte aussi le point de vue de la conscience telle qu'elle s'apparaît à elle-même. Un moment de la dialectique de la conscience peut donc être vrai pour la conscience elle-même, et faux pour celui qui rassemble la totalité des moments en une seule totalité. Ou, autrement dit, toute conscience commence par l'erreur, et est dans l'erreur, mais se hisse à la vérité dans la totalité de son histoire. Cette histoire est une suite de prises de conscience (expériences vécues) et de créations actives (transformation du réel).
Le but de la phénoménologie est donc de décrire en totalité l'essence intégrale de l'homme, i.e. : ses possibilités cognitives et affectives. C'est en ce sens uneanthropologie, bien que dans l'ensemble de son système, Hegel considère la phénoménologie de la conscience au sein de la totalité de l'histoire de l'esprit, donc au-delà de l'être humain.
La phénoménologie est divisée en huit chapitres. Les chapitres I à V se regroupent en trois parties : la conscience, la conscience de soi, et la raison qui est la conscience intégrale unissant les deux premiers. Le chapitre VI est consacré à l'esprit, le chapitre VII à la religion et le chapitre VIII au savoir absolu.
Hegel a publié son système sous plusieurs formes :
La Science de la logique dite « Grande Logique » expose la partie logique en trois volumes (1812-1816)
L'Encyclopédie des sciences philosophiques est la présentation totale du système (logique, philosophie de la nature, philosophie de l'esprit) publiée en abrégé comme manuel de cours (1817, 1827 puis 1830)
Les cours (publiés de façon posthumes) développent les parties du système de façon cyclique tout au long de la carrière académique de Hegel entre 1801 et 1831 (voir bibliographie). Lors de chaque semestre d'enseignement, Hegel donne deux séries de cours.
Hegel dans sa chambre de travail, lithographie dédiée à Goethe, en 1828, avec une citation deLa Science de la logique :« La véritable réfutation doit aller à la force de l'adversaire et se positionner dans l'entourage de sa force, l'attaquer en dehors d'elle et conserver là un droit, la chose ne l'exige pas. »
La logique est la première partie du système de la philosophie. Elle est exposée sous trois formes différentes, mais le contenu plus ou moins développé ne varie pas:
L'être :« L'être pur constitue le commencement, parce qu'il est aussi bien pensée pure que l'immédiat simple ; mais le premier commencement ne peut rien être de déterminé et de davantage déterminé. La définition véritablement première de l'absolu est par suite qu'il est l'être pur »[64] ;
Leconcept :« Le concept est ce qui est libre, en tant qu'il est la pure négativité de la réflexion de l'essence en elle-même ou la puissance de la substance, — et, en tant qu'il est la totalité de cette négativité, ce qui est en et pour soi déterminé »[65].
La philosophie de la nature est la deuxième partie du système de la philosophie. C'est aussi la partie la plus controversée au point de vue scientifique. Elle est publiée sous deux formes :
Les cours faits par Hegel sur l'anthropologie, le droit naturel, la philosophie de l'histoire, l'esthétique, la philosophie de la religion, l'histoire de la philosophie.
La philosophie de l'esprit se divise en trois moments :
La philosophie de l'esprit subjectif se divise en trois parties dans l'Encyclopédie :
Anthropologie
Phénoménologie
Psychologie
Le cycle de cours correspondant est intituléAnthropologie et Psychologie.
L'anthropologie est l'étude de l'âme, c'est-à-dire de l'esprit en tant qu'il ne s'est pas encore élevé à la conscience. L'anthropologie se déploie trois moments :
La différence entre les deux textes n'est pas absolue, car la « petite » phénoménologie de l'esprit reprend le plan d'une partie de la « grande ». Mais elle en ôte aussi une part importante. Ainsi, si les trois moments que sont laconscience, laconscience de soi et laraison sont conservés, toute la partie qui concerne l'esprit (esprit, religion et savoir absolu) a disparu (elle est développée dans les chapitres sur l'esprit objectif et sur l'esprit absolu).
Lapsychologie est l'étude de l'esprit.Elle traverse les étapes suivantes :
La sphère de l'esprit objectif est le domaine du droit, de la morale, de la politique et de l'histoire. Hegel a traité à diverses reprises de ces parties de la philosophie y compris dans les écrits de jeunesse. Dans le système de la maturité, il en traite :
Ici, les différentes étapes de laSittlichkeit ouvie éthique. Par exemple : l'individu, quand il naît et jusqu'à son adolescence, est dans le moment de la famille. Il ne se différencie pas de sa famille, son univers est clos. À partir de l'adolescence, le jeune homme devient contestataire vis-à-vis de sa famille et entre dans la société civile, c'est le deuxième moment constitutif de la négation du premier moment ou de sa différenciation vis-à-vis de la famille. Enfin, à partir du moment où le jeune homme se réconcilie avec le monde, et cesse d'être dans la différenciation, mais peut s'appuyer sur le monde pour s'affirmer, tout en reconnaissant autrui aussi bien que lui-même, ou alors quand il peut gérer par lui-même ses propres différences, c'est le moment de la réconciliation, le troisième moment, celui de la citoyenneté, dans l'État.
L'histoire du monde constitue le troisième et dernier moment dans la théorie hégélienne de l'État desPrincipes de la philosophie du droit (§§ 341-360). Hegel développe par ailleurs ce point de façon autonome et détaillée dans ses cours sur laphilosophie de l'histoire.
L'histoire du monde prend la forme d'un « tribunal » où les sociétés et les peuples particuliers comparaissent dans le mouvement général de « l'esprit » qui se réalise et prend connaissance de soi.
Le processus historique n'est pas déterminé par un « destin aveugle », mais l'histoire est la réalisation progressive du concept deliberté, soit« le développement nécessaire des moments de laraison » sous la forme de la « conscience de soi » (§ 342). L'idée est que la raison gouverne le monde.
Les États, les peuples particuliers et les individus sont des instruments ou des organes de « l'esprit du monde » (Weltgeist). Le principe est qu'un peuple domine ainsi à chaque période qui obtient son « droit absolu » du fait qu'il accomplit un stade dans le développement de la conscience de soi de l'Humanité ; les autres peuples alors ne comptent pas du point de vue de l'histoire.
Des individus (les « grands hommes ») sont à la pointe des actions historiques; ils ne trouvent pas nécessairement le bonheur ni la reconnaissance de la part de leurs contemporains (§ 348).
L'État est une image et forme de réalisation de la raison, mais la conscience de soi se retrouve plus librement dans la « religion » et surtout dans la « science » (§ 360). Les peuples ne se donnent pas spontanément la forme d'un État avec des lois : le passage de la famille, horde, multitude à l'État est le passage à la réalisation de l'idée. Les « héros » sont conduits à fonder des États (§ 350). Les « nations civilisées » traitent comme « barbares » les nations qui leur sont inférieures au point de vue de la conscience du droit et de la réalisation de l'État (§ 351).
Hegel distingue quatre étapes dans le mouvement de libération de l'esprit du monde qui correspondent à quatre empires historiques (§§ 352-358) :
Le monde oriental : régime patriarcal et gouvernement théocratique, où l'individu n'a pas de droit, où les coutumes ne se distinguent pas des lois ;
Le monde grec : apparition du principe de l'individualité, mais les peuples restent particuliers et la liberté suppose l'esclavage ;
Le monde romain : séparation entre l'universel et la conscience de soi personnelle et privée, mais opposition de l'aristocratie et de la démocratie, les droits restent formels, l'universel est abstrait ;
Le monde germanique : perte du monde, l'esprit est refoulé en lui-même, mais réconciliation à l'intérieur de la conscience de soi de la vérité et de la liberté, un royaume intellectuel s'oppose au royaume temporel.
Excluant le continent africain de la totalité historique, l'oeuvre de Hegel est considérée comme une des principales sources européennes desstéréotypes sur l'histoire de l'Afrique.
L'art exprime l'Idée sous une forme sensible, c'est l'absolu donné à l'intuition : leBeau est la manifestation sensible de l'Idée, mais sans en être une forme achevée.
L'art est une objectivation de laconscience par laquelle elle se manifeste à elle-même. Il constitue donc un moment important de sonhistoire. La réflexion sur l'art implique la fin de l'art, au sens où cette fin est un dépassement de l'élément sensible vers lapensée pure et libre. Ce dépassement doit se réaliser dans lareligion et laphilosophie. Pour Hegel la plus mauvaise des productions de l'homme sera toujours supérieure au plus beau des paysages, car l'œuvre d'art est le moyen privilégié par lequel l'esprit humain se réalise[66].
L'histoire de l'art se divise en trois, suivant la forme et le contenu de l'art :
art symbolique, oriental, baroque, où la forme excède le contenu ;
art classique, grec, classique, qui est l'équilibre de la forme et du contenu ;
art romantique, chrétien, romantique, où le contenu absorbe la forme.
Le savoir absolu ne décrit pas la totalité du réel, ce qui serait délirant malgré ce queKojève a pu laisser croire[réf. nécessaire], c'est un savoir sur le savoir, la conscience de soi du savoir comme savoir d'un sujet. C'est l'unité du subjectif et de l'objectif[68], passage à la logique qui est bien une vérité définitive, un savoir absolu bien que formel et sans contenu encore. On peut même dire que la conscience du caractère subjectif du savoir est aussi le savoir de l'insuffisance du savoir (rejoignant l'ignorance docte), savoir du négatif et savoir qu'on ne peut dépasser son temps !
En effet, la philosophie, pour Hegel, doit être scientifique ; elle doit donc être nécessaire et circulaire. L'absolu est circulaire, cela signifie que le système revient à son point de départ ; mais la différence avec les sciences, c'est que la philosophie rend compte du sujet qui l'énonce et de son inscription dans une histoire. Le système encyclopédique des sciences est l'histoire des interactions du sujet avec son objet, qui ne sont jamais données d'avance mais qui se succèdent en s'opposant malgré tout selon une logique dialectique implacable.
Ainsi le savoir absolu succède dans la phénoménologie à la religion et se comprend comme négation de l'être-étranger, de la projection dans un Dieu du sujet qui s'assume comme divisé et comme intériorisation de l'extériorité.
« C'est seulement après avoir abandonné l'espérance de supprimer l'être-étranger d'une façon extérieure que cette conscience se consacre à soi-même. Elle se consacre à son propre monde et à la présence, elle découvre le monde comme sa propriété et a fait ainsi le premier pas pour descendre du monde intellectuel[69]. »
Le savoir absolu est la conscience de soi de l'histoire, passage de l'histoire subie à l'histoire conçue, du passif à l'actif, de l'abstrait au concret.
On trouve le concept de Savoir absolu comme savoir sur le savoir chezFichte (1802)[70].
LesPrincipes de la philosophie du droit, couramment nommé « Philosophie du droit », ont été publiés en 1821[71]. Le texte commence par la présentation d'un sujet singulier doté de volonté et porteur de « droits abstraits ». Toutefois, à la différence d'autres philosophies politiques modernes, telle celle deJohn Locke, ce sujet n'est pas l'atome de base de la société. En effet, si Hegel part d'un sujet singulier porteur de droit c'est pour mieux démontrer que ce sujet est déterminé par la place« qu'il trouve pour lui-même dans une structure ou un process social plus large et en dernier ressort historique »[71]. En conséquence, pour Hegel l'échange contractuel n'est pas vu comme impliquant deux personnes dotées d'une rationalité calculatrice mais plutôt comme un système d'interactions qui doit être vu de façon holiste comme une forme de vie sociale culturellement déterminée[72]. Pour Hegel, dans l'échange, chacun donne à l'autre ce qu'il veut, et par là même se reconnaissent propriétaires, ou, pour parler de façon plus hégélienne, comme porteurs de la valeur inaliénable attaché à la chose. Cette façon d'envisager l'échange aboutit à une conception de la volonté commune différente de celle de Jean-Jacques Rousseau. En effet, alors que chez le philosophe de Genève, la volonté est obtenue malgré les différences entre les différentes volontés, pour Hegel, elle est atteinte grâce à elles[71].
Hegel exerça une profonde influence sur les milieux intellectuels, littéraires, scientifiques, religieux et politiques non seulement en Allemagne mais dans toute l'Europe.
LesHégéliens de droite sont les conservateurs du système de Hegel, qui se faisaient appeler également « vieux hégéliens ». Ils défendent lespiritualisme (Carl Friedrich Göschel, Georg Andreas Gabler, Erdmann, Schaller, Leopold von Henning,Eduard Zeller,Kuno Fischer)
La religion constitue en effet la ligne de fracture entre les tenants duthéisme, à droite, et de l'athéisme, à gauche[75]. Cette fracture est effective après la publication deLa Vie de Jésus de Strauss en 1835[76].
L'hégélianisme de gauche tend à se détacher de la pensée de Hegel lui-même et se cristallise ensuite dans lemarxisme. Devant les attaques qu'il subit après sa mort de la part de la pensée conservatrice, à commencer parSchelling, puis, plus tard, parBüchner,Lange,Dühring,Fechner, etc., Marx entend défendre néanmoins l'héritage de celui que l'on traite comme un« chien crevé »[77].
EnFrance, Georg Hegel eut surtoutVictor Cousin pour disciple et interlocuteur, lequel fit connaître sa philosophie en la reprenant parfois à son compte (laphilosophie de l'histoire) ou en exprimant ses réserves ou son incompréhension (la logique), malgré toute l'admiration et l'amitié qu'il exprimait aussi envers Hegel. Cousin initia les premières traductions de l'Esthétique et de l'Encyclopédie confiées àCharles Magloire Bénard etAugusto Véra.Joseph Willm écrit unEssai sur la philosophie hégélienne en 1836.Étienne Vacherot voit dans Hegel celui qui ouvre la voie de lamétaphysique auXIXe siècle[78].
Søren Kierkegaard a été fortement influencé par la philosophie de Hegel, qu'il combattra ensuite, notamment dans lePost-scriptum aux Miettes philosophiques.
Michel Bakounine,Vissarion Belinski etAlexandre Herzen ont d'abord adhéré à la philosophie hégélienne avant de la renier[80]. Bakounine retient que l'hégélianisme est une doctrine révolutionnaire, qui consiste dans la négation du présent au profit de l'avenir, toute conciliation n'étant qu'une manœuvre pour entraver ladialectique de l'histoire[81]. Herzen dit avant1848 que la philosophie de Hegel est « l'algèbre de la révolution »[82].
Monument Hegel, à Berlin-Est, près de l'université. Photo prise en 1970, l'année du bicentenaire, à l'occasion du congrès Hegel international. Hegel est alors considéré comme un précurseur deMarx etEngels.
Otto Pöggeler fonde en 1958 leHegel-Archiv (Archives Hegel), rattaché à l'université deBochum, qui est officiellement chargé de l'édition critique des œuvres de Hegel et de la revueHegel-Studien[87].
En 1962,Gadamer fonde l'Internationale Hegel-Vereinigung (Association Hegel internationale) pour l'interprétation et la discussion de l'œuvre de Hegel dans la tradition de l'herméneutique. Celle-ci est aujourd'hui présidée parAxel Honneth, qui s'est fondé sur une lecture libre de la « dialectique du maître et de l'esclave », l'interprétant à la lumière de lasociologie, pour fonder unethéorie de la reconnaissance. Celle-ci a renouvelé le champ contemporain de la philosophie politique[88].
En 1969,Jacques D'Hondt réalise le projet d'Hyppolite d'associer hégélianisme etmarxisme, en fondant leCentre de recherche et de documentation sur Hegel et sur Marx àPoitiers, qui devient par la suite le CRHIA, dirigé en 2008 parBernard Mabille[89].
Après lachute du mur de Berlin, en 1990, en s'inspirant explicitement deKojève, le néo-conservateur américainFrancis Fukuyama a décrit dansLa Fin de l'histoire et le Dernier Homme (1992) la nouvelle période comme celle de la « fin de l'histoire », faisant de ladémocratie libérale l'idéal indépassable et triomphant de nos temps. Cette thèse est sévèrement critiquée, certains dénonçant un contre-sens absolu sur ce concept (Franck Fischbach,Bernard Bourgeois).Derrida se moque alors gentiment« du type « lecteurs-consommateurs de Fukuyama » ou du type « Fukuyama » lui-même », rappelant dansSpectres de Marx (1993) que« les thèmeseschatologiques de la « fin de l'histoire », de la « fin du marxisme », de la « fin de la philosophie », des « fins de l'homme », du « dernier homme », etc., étaient, dans les années 1950, il y a 40 ans, notre pain quotidien[90] » ;« Cet ouvrage, écrit-il encore, ressemble souvent, il est vrai, au sous-produit consternant et tardif d'une « footnote » :Nota bene pour un certain Kojève qui méritait mieux[91]. » L'hégélianisme tend alors à se détacher un peu partout dumarxisme[réf. nécessaire].
Le ressort fondamental de la critiqueschopenhauerienne de Hegel réside notamment dans un désaccord sur la nature de la raison et sur le refus argumenté d'en faire le substitut nouveau d'un Dieu, définitivement exclu de toute conception métaphysique de l'essence intime de l'être et du Monde. Schopenhauer détestait Hegel, comme en témoignent ces quelques lignes issues deContre la philosophie universitaire (1851) :
« Avant tout, l'éloge d'un homme aussi dénué de valeur et aussi dangereux que Hegel, qu'on vient nous donner comme le premier philosophe de ce temps-ci et de tous les temps, a été certainement, pendant les trente dernières années, la cause de l'entière dégradation de la philosophie et, par conséquent, du déclin de la haute littérature en général. Malheur à l'époque où, en philosophie, l'effronterie et l'absurdité se substituent à la réflexion et à l'intelligence ! »
Ou encore :
« Les partisans de Hegel ont donc complétement raison quand ils affirment que l'influence de leur maître sur ses contemporains a été énorme. Avoir paralysé totalement l'esprit de toute une génération de lettrés, avoir rendu celle-ci incapable de toute pensée, l'avoir menée jusqu'à lui faire prendre pour de la philosophie le jeu le plus pervers et le plus déplacé à l'aide de mots et d'idées, façonnées par le verbiage le plus vide sur les thèmes traditionnels de la philosophie avec des affirmations sans fondement ou absolument dépourvues de sens, ou encore par des propositions reposant sur des contradictions - c'est en cela qu'a consisté l'influence tant vantée de Hegel. »
Bertrand Russell considère Hegel comme l'auteur le plus difficile à lire de l'histoire de la philosophie occidentale et lui reproche son obscurité.
Karl Popper, notamment dans le chapitre 12 deLa Société ouverte et ses ennemis, critique l'historicisme hégélien, son style obscur et son opportunisme intellectuel. Il citeSchopenhauer :« Hegel met les mots, le lecteur doit trouver le sens » ou encore, à propos de sa philosophie« encore un rêve de dément, issu de la langue et non de la tête ». Popper considère que sa philosophie de l'histoire est un des fondements dutotalitarisme.
Stirner : Stirner centre sa pensée sur le moi, l'unique, qui a sa valeur en lui-même.Dans cette perspective, le système hégélien est une aliénation du particulier : Stirner refuse donc l'identification de l'individu à l'universel. Remarquons que ce point de vue individualiste avait déjà fait l'objet d'une critique de la part de Hegel : le particulier ne peut se réaliser seul. En un sens, d'un point de vue historique, le livre de Stirner montre que la dialectique hégélienne a épuisé ses possibilités[réf. nécessaire].
Kierkegaard : Kierkegaard reproche à Hegel sa « Quantifizierung », de n'avoir pas su faire le « saut » (Sprung) qualitatif nécessaire à la compréhension de l'intériorité.Il reproche globalement à Hegel d'avoir une pensée abstraite et artificielle, à l'opposé de l'expérience morale individuelle et concrète. Dans son Journal, il écrit :« Hegel n'est pas un penseur, mais un professeur. »[réf. nécessaire]
Karl Marx :Marx critique Hegel comme un philosophe idéaliste qui se contente de décrire le monde au lieu de s'efforcer à le changer "les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde, ce qui importe, c'est de le transformer" (thèses sur Feuerbach, 1845). Il a le tort d'admettre comme Nature un état historique du monde. Marx considère comme mystificatrice la dialectique de Hegel dans son fondement idéaliste. Il la rétabli alors sur une base matérialiste (matérialisme dialectique).[réf. nécessaire]
Nietzsche :[réf. nécessaire]DansAinsi Parlait Zarathoustra, Nietzsche dénonce l'État comme une "nouvelle idole" : l'État n'est pas l'incarnation d'un quelconque « intérêt général », mais un « monstre froid » au service d'intérêts égoïstes. Nietzsche se montre également très critique envers toute forme de pensée organisée en système, en tant qu'un système est clos sur lui-même et n'offre par conséquent aucune prise à la critique. Au paragraphe 26 duCrépuscule des idoles, il s'en prend notamment à l'esprit de système comme un "manque de loyauté"[92].
Georges Bataille : Au contraire de la totalité hégélienne, Bataille base sa vision de la totalité sur l'universalité et la particularité, sur le système et l'érotisme. Donc ceci contraint l'être, lors de la réalisation d'une totalité, à être en cette dernière, mais à également la dépasser et à excéder cette totalité. Les fondements même de cette vision proposent que l'être, dans sa communion totalitaire, s'expose à son extériorité et se consume.Bataille critique ainsi le panlogisme hégélien et les racines de la totalité bataillienne s'ouvrent donc sur quelque chose entre l'infini et la finitude, qui se dérobe à toutes universalisations.[réf. nécessaire]
Hegel a traduit du grec leBanquet de Platon (ci-dessus) et l’Antigone de Sophocle.
La langue philosophique de Hegel est difficile. Hegel n'emploie cependant que des mots empruntés à la langue commune et ils sont relativement peu nombreux. C'est surtout la syntaxe conceptuelle de sa pensée qui est complexe.
Hegel considère que la langue allemande ordinaire est naturellement spéculative. Elle est en elle-même philosophique et dialectique. Par exemple, le mot allemandAufhebung unifie les significations contradictoires de « suppression » et de « conservation » et c'est pourquoi il est employé pour décrire le processus dialectique. Mais cette signification du mot n'est pas évidente et elle ne trouve pas d'équivalent simple en français : on a proposé le mot de « relève » pour conserver ce sens spéculatif mais au prix d'un artifice. On a forgé également le néologisme « sursomption » mais cela entre en contradiction avec le principe que la philosophie s'exprime dans la langue commune. Le terme « suppression » est adopté dans la plupart des occurrences car le mot « Aufhebung » est employé généralement dans son sens purement négatif. Mais la traduction de ce terme est en soi un problème philosophique concernant les rapports de la pensée et de la langue (et de la traduction).
Hegel donne en tous les cas une connotation philosophique spécifique aux termes qu'il emploie lorsqu'il les utilise comme des concepts ou des catégories. Suit une liste de mots ou concepts simples dont la définition et la traduction sont néanmoins aussi difficiles qu'essentielles. Ils peuvent être diversement rendus suivant les traducteurs. Les choix deJean Hyppolite puis deBernard Bourgeois ont longtemps servi de référence[93].
Concret: est concret un discours qui systématise, qui s'ancre dans le réel pour le définir et l'expliquer selon ses raisons, ses causes, son processus. C'est le discours philosophique.
Entendement ouintellect (Verstand) par opposition à « raison »
Esprit ouintelligence(Geist): l'esprit est une forme d'activité, cette activité consiste à s'affirmer dans l'altérité. C'est une activité qui s'investit dans chaque moment particulier. L'esprit consiste en un savoir et un vouloir, c'est son activité. On dit que l'esprit se constitue quand il acquiert un savoir.
Ethicité,mœurs,morale ouvie éthique (Sittlichkeit) : par opposition à « moralité » (Moralität)
Sur le fronton de lagare centrale de Stuttgart est inscrite en signes lumineux parJoseph Kosuth cette citation de laPhénoménologie :« […]daß diese Furcht zu irren schon der Irrtum selbst ist. » (« [...] que cette peur de commettre une erreur est déjà l'erreur même »).
« Le vrai est le tout, mais le tout est seulement l'essence s'accomplissant et s'achevant moyennant son développement. De l'absolu, il faut dire qu'il est essentiellement résultat, c'est-à-dire qu'il est au terme ce qu'il est dans sa vérité; en ceci consiste sa nature d'être ce qui est effectif, sujet ou devenir de soi-même[94]. »
« Ce qui est rationnel est effectif, ce qui est effectif est rationnel[95]. »
« Le travail théorique produit plus d'effet dans le monde que le travail pratique ; lorsque le royaume de la représentation est révolutionné, alors la réalité ne tient plus. »
« Lorsque la philosophie peint son gris en gris, c'est qu'une figure de la vie est devenue vieille, et avec du gris en gris elle ne se laisse pas rajeunir mais seulement connaître ; la chouette de Minerve ne prend son envol qu'au crépuscule qui commence[95]. »
« En ce qui concerne l'individu, chacun est le fils de son temps ; la philosophie est ainsi son temps saisi dans la pensée. »
« L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté[96]. »
« Heureux est celui qui a conformé son existence à son caractère particulier, à son vouloir et à son arbitre et a ainsi jouie de lui-même durant son existence. L'histoire du monde n'est pas le terrain du bonheur. Les périodes du bonheur sont des pages vierges en elle car elles sont les périodes de concorde où l'opposition fait défaut. »
« La philosophie doit se garder de vouloir être édifiante[94]. »
« C'est par la révolte que l'on s'engage dans une lutte pour la liberté. »
« Ecoutez la forêt qui pousse plutôt que l’arbre qui tombe ! »
« Ce qui est bien connu est justement parce quebien connu nonreconnu ».
« C'est une connaissance de la philosophie spéculative que la liberté est uniquement ce qu'il y a de vrai dans l'esprit[97]. »
« On peut dire de l'histoire universelle qu'elle est la représentation de l'esprit dans son effort pour acquérir le savoir de ce qu'il est ; et comme le germe porte en soi la nature entière de l'arbre, le goût, la forme des fruits, de même les premières traces de l'esprit contiennent déjà aussi virtuellement toute l'histoire[97]. »
« Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion[98]. »
« Une chaussette reprisée vaut mieux qu'une déchirée; contrairement à la conscience-de-soi[99]. »
« C'est beaucoup demander de réunir deux pensées là où il n'y en a même pas une seule. »
« Ce que j'ai dit en général sur la distinction du savoir et de la liberté, d'abord sous la seule forme que les Orientaux ont connue, qu'un seul est libre, alors que les Grecs et les Romains, eux, ont su que quelques-uns sont libres, et que nous savons, nous, que tous les hommes en soi, c'est-à-dire l'homme en tant qu'homme, sont libres. »
« Le tableau coloré du monde est devant moi, je me tiens en face de lui et par ce comportement, je dépasse cette opposition, je fais mien ce contenu. Le moi est chez lui dans le monde, quand il le connaît, encore mieux, quand il l'a compris. »
« Le résultat n'est rien sans son devenir. »
« Tu ne pourras pas être mieux que ton temps, mais, au mieux, tu seras ton temps. »
« Le travail, au contraire, est désir réfréné, disparition retardée : le travail forme. Le rapport négatif à l'objet forme de cet objet même, il devient quelque chose de permanent, puisque justement, à l'égard du travailleur l'objet a une indépendance. »
« Hegel est mort (gestorben), certes, mais il n'a pas disparu (ausgestorben) » (David Friedrich Strauss)[74].
Dissertatio philosophica de Orbitis Planetarum, Iéna, 1801 (Les orbites des planètes)
Différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et Schelling,Iéna,1801
Journal critique de la philosophie (avecSchelling), 2 vol.,Tübingen,1802 :Sur l'essence de la critique philosophique,Comment le bon sens vulgaire prend la philosophie,Rapport du scepticisme à la philosophie,Foi et savoir,Sur les manières scientifiques de traiter du droit naturel
La Science de la logique, 3 vol.,Bamberg,1812-1816. T. I :Doctrine de l'Être (1812) ; t. II :Doctrine de l'Essence (1813) ; t. III :Doctrine du Concept (1816)
Écrits politiques, trad. M. Jacob, Champ Libre, 1977
Les Orbites des planètes: dissertation de 1801, trad. François De Gandt, Vrin, 1979
Essai sur la Bhaqavad-Gîtâ, dansMichel Hulin,Hegel et l'Orient, Vrin, 1979
Logique et métaphysique (1804-1805), trad. Denise Souche-Dagues, Gallimard, 1980
Les écrits de Hamann, trad. Jacques Colette, Flammarion, 1981
La Philosophie de l'esprit de la 'Realphilosophie' 1805, trad. Guy Planty-Bonjour, PUF, 1982
La Positivité de la religion chrétienne, PUF, 1983
La différence entre les systèmes philosophiques de Fichte et de Schelling; De la relation entre la philosophie de la nature et la philosophie en général, trad. Bernard Gilson, Vrin, 1986
Fragments de la période de Berne 1793-1796, trad. Robert Legros et F. Verstraeten, Vrin, 1987
Encyclopédie des sciences philosophiques, tome III :Philosophie de l'Esprit, trad.Bernard Bourgeois, Vrin, 1988
Foi et savoir : Kant, Jacobi, Fichte, trad.Alexis Philonenko, Vrin, 1988
Journal d'un voyage dans les Alpes bernoises : du 25 au, trad.Robert Legros et F. Verstraeten, éditions Jérôme Millon, 1988
Leçons sur la logique : d'après l'« Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé » : semestre d'été 1831 à Berlin, trad. Jean-Michel Buée et David Wittmann, Vrin, 2007
La Philosophie de l'histoire, trad. Myriam Bienenstock (dir.), Paris, LGF, 2009(ISBN978-2-2530-8852-3)
La Vie de Jésus : précédé de Dissertations et Fragments de l'époque de Stuttgart et de Tübingen, trad. Ari Simhon, Vrin, 2009
Introduction à la philosophie de l'histoire, traduction, présentation, notes et index Myriam Bienenstock etNorbert Waszek, Paris, LGF, Collection: Les classiques de la Philosophie, 2011(ISBN978-2-2530-8874-5), 351 pages
↑ Ce savoir constitue pourJacques Derrida un argument dans les polémiques concernant l'âge approprié pour un enseignement philosophique.Jacques Derrida, « L'âge de Hegel », dansDu droit à la philosophie, Galilée, 1990,p. 181.
↑Klaus Vieweg(de) : « Hegel. Der Philosoph der Freiheit » (Hegel, le philosophe de la liberté). C.H.Beck, Munich 2020, p. 38
↑Marion Kreis :Karl von Hegel. Geschichtswissenschaftliche Bedeutung und wissenschaftsgeschichtlicher Standort (=Schriftenreihe der Historischen Kommission bei der Bayerischen Akademie der Wissenschaften. Bd. 84). Vandenhoeck & Ruprecht, Göttingen u.a. 2012,(ISBN978-3-525-36077-4). (E-Book)
↑On peut se référer au livre deGwendoline Jarczyk etPierre-Jean Labarrière,De Kojève à Hegel, dont la conclusion s'intitule : « Le savoir absolu n'est pas l'absolu du savoir. »référence, citation ou lien
« il me rappelleMoses Mendelssohn ; ce prototype du bavard écrivit un jour àLessing pour lui demander comment il pouvait lui venir à l'idée de prendre au sérieux ce « chien crevé deSpinoza ! » Monsieur Lange s'étonne de même qu'Engels, moi, etc., nous prenions ce chien crevé de Hegel au sérieux, alors que, n'est‑ce pas, depuis longtemps, les Büchner, Lange, le docteur Dühring, Fechner, etc. ‑poor deer [pauvres bêtes], s'accordent à dire qu'ils l'ont depuis longtemps enterré. Lange a la naïveté d'affirmer que je me « meus avec une liberté extrêmement rare » dans la matière empirique. Il ne soupçonne pas que cette « liberté de mouvement dans le sujet » n'est rien d'autre qu'une paraphrase pour la méthode, la manière de traiter le sujet, c'est‑à‑dire la méthode dialectique. »
↑Kojève interprète laPhénoménologie de l'esprit de Hegel comme une « anthropologie philosophique » et une description phénoménologique « au senshusserlien du terme » d'attitudes existentielles. Voir :Alexandre Kojève,Introduction à la lecture de Hegel, Gallimard, 1971,pp. 38-39
Recension de cette biographie (ainsi que de celle de Horst Althaus, 1999) publiée en 2000 par Jean-Luc Gouin dans la revueNuit blanche. Version révisée et enrichie dans sonHegel. De la Logophonie comme chant du signe. Paris et Milan,[2], 2023, 375 pages.
Horst Althaus,Hegel, naissance d'une philosophie, Paris, Le Seuil, 1999
(mul)Hegel.net - Site mettant en images et en interaction le système dialectique.
Hegel en débat : Monodialogue transatlantique en trois temps (2010), en compagnie de Jean-Luc Gouin (Québec) et de Michel Onfray (France) - ChaireUNESCO (Analyse en miroir où se voient examinées les principales objections - notamment sur le plan politique, mais point seulement - retenues de nos jours à l'encontre de la pensée hégélienne). Version révisée ultérieurement, et considérablement enrichie, dansHegel. De la Logophonie comme chant du signe. Paris et Milan, Mimésis, 2023, 375 pages.