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Legemmage vise à récolter l'oléorésine sur unpin vivant (enFrance principalementPinus pinaster, le pin maritime). L'oléorésine mêlée d'eau, provenant principalement des pluies, et d'impuretés solides, prend alors le nom de « gemme ». La gemme, après clarification, porte le nom detérébenthine[1].
Le professionnel qui effectue la saignée du pin est appelérésinier ougemmeur.
Le gemmage à mort vise à récupérer la totalité de la résine d'un pin destiné à être coupé.
Cet article s'attache à décrire la pratique ancienne du gemmage dans lesLandes de Gascogne.
La résine circule dans lescanaux résinifères, ou trachéides, qui se situent dans l'aubier. Elle participe au phénomène de compartimentation (CODIT), en bouchant physiquement les trachéides lors d'un dommage accidentel et au contact de l'air. Elle est composée à 70 % decolophane (ouarcanson engascon, dérivé du nom de la ville d’Arcachon[2]), 20 % d’essence de térébenthine, et 10 % d’eau.
L'invention du gemmage remonte à l'époque gallo-romaine, mais le procédé amorça en France sa phase industrielle auXVIIe siècle, pour se généraliser dans leslandes de Gascogne à partir du milieu duXIXe siècle avec la fin dusystème agro-pastoral et le boisement massif de la plaine sableuse des Landes.
On distingue couramment legemmage à vie, modéré et qui permet la croissance de l'arbre, dugemmage à mort qui l'épuise en quelques années avant son abattage.
Le gemmage est une activité très caractéristique de l'exploitation traditionnelle de laforêt de pin des Landes. On retrouve également la pratique du gemmage en Amérique, en Chine (premier pays producteur de résine), au Brésil et en Europe en Espagne, au Portugal, en Allemagne, etc.
L'origine du mot gemmage provient de la « gemme » : résine du pin maritime.
Depuis plus de 2000 ans, des îlots deforêt spontanée occupaient une grande partie de la région. On retrouvait ces forêts millénaires sur la côte, comme àLacanau,Le Porge,La Teste de Buch,Biscarrosse, et enMarensin. Les Romains y exploitaient déjà la résine, notamment pour lecalfatage des bateaux. La pratique connue la plus ancienne est celle du gemmage au« cròt » (trou enGascon).
Pour récolter la résine, les anciensgemmeurs creusaient un trou au pied du pin, en général entre les racines, qu’ils tapissaient demousse. Ils réalisaient ensuite une incision dans l’arbre appeléecare avec lehapchòt (hache engascon, ayant l’extrémité recourbée). De cette blessure coule la résine qui sera récoltée trois à quatre fois par an, c’estl’amassa.Il fallait régulièrement reprendre l’incision, car l’arbre cicatrise rapidement. Lacare pouvait ainsi s’élever jusqu'à 4 m. À cette hauteur, les résiniers utilisaient lepitèir, sorte d’échelle à un seul montant qui nécessitait un bon sens de l’équilibre !Vers la fin de la saison (au mois de novembre), on grattait lacare pour récupérer la résine cristallisée. Cette méthode n’était pas vraiment optimale car la résine obtenue contenait beaucoup d’impuretés (sable et brindilles) et l'essence detérébenthine s’évaporait lorsque la résine coulait le long de lacare.
Pierre Hugues, avocat et agriculteur bordelais breveta vers1840 un nouveau système pour récolter la résine qu'il mit au point àPessac. Une partie seulement de son procédé, quelque peu compliqué, sera reprise : l’utilisation d’unpot en terre cuite coincé entre une lamelle dezinc et un clou au bas de lacare pour récolter la résine. Ce pot était dit ascensionnel car il suivait chaque année la montée de lacare. Le principal avantage était que la résine récoltée contenait moins d’impuretés, et c’est ainsi que durant la deuxième moitié duXIXe siècle ce procédé se généralisa. Le hapchot aussi évolua, la lame devint plus étroite et son tranchant était orthogonal à l’axe du manche, par opposition à la hache traditionnelle, où le tranchant est parallèle.
Une autre technique fut introduite enFrance dans les années1950, celle du gemmage à l’activée qui consistait à pulvériser de l’acide sulfurique sur la care augmentant le rendement, mais attaquant le pin en profondeur. Cette technique fut mise au point enRussie et enAllemagne durant la Première Guerre mondiale. La saison chaude étant très courte, et la main-d'œuvre faisant défaut à cette époque, des recherches permettant d'augmenter les rendements et de diminuer le temps passé par les opérateurs sur les arbres furent développées, consistant à appliquer des activants sur les cares. Les Américains reprirent ces travaux et exportèrent le gemmage à l'acide sulfurique en France dans la seconde moitié duXXe siècle. L'acide sulfurique maintient les canaux conducteurs de résine ouverts et ralentit la cicatrisation. Le pin réagit à la blessure en produisant davantage de résine. Les piques peuvent être pratiquées à intervalles moins réguliers (15 jours au lieu de 7 au hapchot) pour une récolte plus rapide (15 jours au lieu d'un mois au hapchot). L'outil utilisé est une « rainette », incorporant à la fois une lame tranchante de 2 cm de large, servant à pratiquer une pique horizontale sur 10 cm, avant de pulvériser l'acide grâce à un bidon à embout aérosol fixé sur le manche de l'outil. Cette technique a coexisté avec le gemmage au hapchot dans l'ensemble du massif gascon, jusqu'à la disparition du gemmage en 1990.
Une campagne de gemmage commence début février. On dit qu'un pin est prêt à être résiné dès que l’on peut l’entourer de son bras sans apercevoir sa main.
Il faut alors préparer la futurecare, que l’on place à l’est car elle est à l’abri des intempéries. Pour cela on utilise lesarcle à peler, outil en acier, recourbé qui va permettre de racler l’écorce. Le pelage est une opération délicate car il faut laisser une fine épaisseur d’écorce en évitant de blesser le pin prématurément.
Vient ensuite le cramponnage, qui consiste à placer une lame de zinc incurvée dans le pin (lecrampon), grâce aupousse-crampon, pièce en métal présentant une extrémité convexe et tranchante, que l’on cogne avec un maillet. Lecrampon va retenir lepot et surtout guider la gemme à l’intérieur.Pour préparer le bassot (la première care que l’on ouvre au pied du pin) on place le zinc un peu au-dessus du sol pour pouvoir placer le pot juste en dessous.Pour les arbres dont lacare a déjà au moins un an, on place le crampon à environ 10 cm du haut de la care de l’année précédente, ainsi qu’une pointe un peu plus bas, pour retenir le pot que l’on coince entre le zinc et le clou.
Vers la mi-mars, on réalise la premièrepique à l’aide duhapchot. Pour les cares de première année, on entaille l’arbre juste au-dessus du crampon, pour celles de deuxième, troisième, quatrième année et plus, on poursuit l’entaille de l’année précédente.
La profondeur de lacare ne doit pas excéder 1 cm.
Afin que la résine coule régulièrement, il faut rafraîchir les cares toutes les semaines en progressant de quelques centimètres vers le haut à chaquepique. Les copeaux qui tombent sont appelés desgalips et sont gardés pour allumer le feu.
Lapique occupe lesgemmeurs durant la majorité de la campagne de gemmage, jusqu’au mois d’octobre. On progresse en général de 1 m par an, lescares qui ont plusieurs années peuvent atteindre jusqu'à 5 m. Le résinier montait alors sur son pitey pour pratiquer la pique. Lebéret Landais constituait lui aussi un outil de travail, puisqu’il protégeait les yeux du résinier des petits copeaux de bois.
À ce stade, la température et l’ensoleillement sont décisifs, plus il fait chaud, plus la résine coule.
Quand les pots étaient pleins, la femme du résinier les vidait grâce à une petite spatule (la palinette) dans desescouartes (récipients de 16 litres en bois ou en zinc), c’estl’ammasse. Lesescouartes seront à leur tour vidées dans des barriques en métal pour être enfin acheminées vers les distilleries de résine.
La campagne se termine au mois de novembre avec l’arrivée de l’hiver. La dernière étape est lebarrasquage. Le résinier entoure le pied du pin avec un drap et gratte la résine séchée sur lacare pendant toute l’année avec lebarrasquit. Lebarras (résine sèche tombée sur le drap) est ensuite ajouté à la résine molle dans la barrique.
Au fil des saisons, le résinier entamera de nouvellescares autour de l’arbre, ainsi un pin peut être gemmé pendant près de 80 ans. Un résinier devait en moyenne s’occuper de 4 000 pins, qui produisaient chacun environ 2,5 litres de résine par an en sachant qu’une care produit 1 à 1,5 litre par an.
Avec le temps, des bourrelets se forment sur les côtés de lacare, l’arbre cicatrise. Mais cette cicatrisation est rarement complète, et certains pins gemmés à mort (sur tout le tour de l’arbre) ont été tellement sollicités, qu’en cicatrisant ils s’évasent dans leur partie inférieure. On les appelle des pins-bouteilles.
Afin de satisfaire des industries chimiques qui reposaient sur la distillation de la résine de pin, il fallait récolter des quantités considérables de ce produit.
Les barriques remplies de résine, sont acheminées vers lesdistilleries. De tout temps, la résine issue des forêts du littoral était de meilleure qualité, les pins étant plus vigoureux et le climat plus clément. Par exemple, les résines deLa Teste de Buch se vendaient plus cher et étaient d'excellente qualité : on pouvait en extraire jusqu'à 22,1 % detérébenthine contre 19,9 % àDax et 19,5 % àMont-de-Marsan.
Après la réception des barriques, il fallait épurer la résine, qui contenait souvent de l'eau et quelques débris végétaux. Vient alors la distillation proprement dite. De l'eau pure est ajoutée à la gemme, le tout est chauffé à une température inférieure à185 °C. À100 °C, les vapeurs d'eau entraînent la térébenthine qui passent dans le serpentin où elles se liquéfient, et sont ensuite récupérées. Quand la température atteint180 °C, on filtre le résidu obtenu au fond de la cuve. On obtient alors un produit appelébrai ou colophane selon sa teinte : les plus foncés étaient les brais, redivisés en trois catégories, et les plus clairs, les colophanes, elles aussi redivisées en trois catégories. Les meilleures colophanes étaient exposées au soleil et prenaient une teinte jaune pâle, elles étaient très recherchées. On les produisait principalement à La Teste, et étaient appelées les « colophanes du soleil ».
Les brais et colophanes quant à eux servaient dans la fabrication de l'encre noire d'imprimerie, desavons, delinoléums, plastifiants, colles, huiles et graisses industrielles, etc. On s'en servait également pour frotter les crins d'archet desviolons. Les plus belles colophanes étaient même gardées pour le glaçage des papiers.En soumettant divers déchets imprégnés de résine à une forte chaleur, on pouvait de plus extraire certainsgoudrons qui étaient gardés pour le calfatage des bateaux.
L'exploitation de la résine fournissait du travail à un grand nombre d'artisans, dupotier auforgeron pour les outils, en passant par les employés de l'usine de distillation, et les gemmeurs bien entendu, sans oublier non pluschimistes ettonneliers.
En fin de mois, depuis le début de la pique jusqu'au début du barras (résine durcie sur la care), se fait l'amasse, c'est-à-dire la collecte de la gemme. Les pots sont vidés dans des fûts qui seront acheminés vers la distillerie.
Quelques termes liés au gemmage :
Le gemmage a décliné progressivement après les années 1960, et a totalement disparu en forêt de Gascogne en 1990. L'industrie chimique (essence de térébenthine et autres dérivésterpéniques, par exemple) a trouvé d'autres sources plus économiques pour ses produits de base en important de la gemme étrangère à faible coût de main-d'œuvre.
Aujourd'hui encore, l'exploitation touristique et publicitaire de la forêt donne lieu à la vente de petits pots de terre très semblables à ceux qui étaient utilisés à l'époque. Cette activité qui a longtemps été la seule activité industrielle de la région landaise est devenue une caractéristique, une icône des Landes (au même titre que leséchassiers landais).Cette icône se retrouve sur de nombreuses cartes postales destinées au tourisme et on la retrouve aussi dans le cadre de l'écomusée deMarquèze et de quelques sentiers de présentation du gemmage.
Plusieurs projets de relance sont en cours, utilisant le système de collecte de la résine en vase clos. Depuis 2012, des expérimentations ont lieu dans le Médoc (auPorge) sur lebassin d'Arcachon et àBiscarrosse. Plus de 25 ans après la fin de la récolte de résine en France, un investisseur indépendant en était, en 2013, à sa troisième campagne de gemmage[3],[4].
Théophile Gautier évoque la pratique du gemmage dans son poèmeLe Pin des Landes. Dans une lettre du[5], il écrit :
« Ne sachant à quoi m'occuper l'esprit pendant cette route interminable, je m'amusai à composer la petite pièce en vers suivante, inspirée par ces pins mélancoliques »
Un extrait :
Car, pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
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