Gaston Doumergue est issu d'une famille d'agriculteursprotestante languedocienne relativement modeste. Son père, Pierre Doumergue, est propriétairevigneron àAigues-Vives. Sa mère, Françoise Pattus[i 1], l'élève dans la foi protestante[c 1] et l'admiration des idées républicaines[a 1],[1].
Élève brillant, il affirme avoir appartenu à la« génération de la revanche, animée d'une belle ardeur patriotique », après ladéfaite de 1870[i 2].
Rien ne le destine à la politique mais un de ses ancêtres était activement engagé dans les affaires communales. En 1836 son grand-père avait refusé sa nomination comme maire du village en raison de la modestie de sa fortune à cette époque où le suffrage était censitaire[i 3].
Après une licence et un doctorat de droit à lafaculté de droit de Paris, il s'inscrit en 1885 au barreau de Nîmes et participe au procès retentissant du député-maire socialiste de NîmesNuma Gilly[4],[a 2] (poursuivi pour avoir accusé de corruption - mais sans preuves tangibles - la majorité des membres de la commission du budget) avant d'entrer en 1890 dans la magistrature et être affecté en tant que substitut àHanoï, enIndochine[5].
En 1893, Gaston Doumergue revient dans son lieu de naissance àAigues-Vives. Encouragé par sa mère qui suit pas à pas sa carrière[i 4], il se porte candidat à une élection législative partielle en décembre 1893, destinée à pourvoir avant l'ouverture de la prochaine session parlementaire le siège d'Émile Jamais, ami de longue date, certes réélu enaoût 1893 mais mort subitement le.
Il assiste au banquet donné àLyon par le présidentSadi Carnot le lors duquel ce dernier est mortellement poignardé par l'anarchiste italienCaserio. Cet événement lui fait prendre conscience du sérieux et du danger de l'exercice du pouvoir[a 5].
Gaston Doumergue est réélu député le, au premier tour duscrutin, par 11 514 voix contre le conservateur Albert de Nesmes-Desmarets. Très impliqué dans la politique coloniale de la France, ses interventions à la tribune sont bien accueillies sur les bancs de gauche, car il reproche aux gouvernements successifs leurinterventionnisme militaire[c 1], notamment l'occupation deMadagascar[j 1]. Dès 1894, il avait dénoncé la« bienveillante indifférence et non la sympathie prononcée » de l'opinion publique vis-à-vis des dérapages de la politique coloniale, masquant selon lui des pillages dans les territoires conquis et une certaine violence de l'administration[j 2].
Ses convictions laïques et républicaines lui font prendre fait et cause pour lecapitaineAlfred Dreyfus. Ses mandats successifs sont aussi l'occasion pour lui de défendre les petits producteurs agricoles. Son influence au sein de la gauche grandit. Gaston Doumergue est élu député pour la troisième fois le, dès le premier tour.
Il sera ministre sans interruption de1906 à1910, d'abord au Commerce et à l'Industrie, où il crée la direction de la marine marchande, puis à l'Instruction publique et aux Beaux-Arts, à partir de 1908, en remplacement d'Aristide Briand. À ce titre, Gaston Doumergue prononce le un discours, au nom dugouvernement, lors dutransfert des cendres d'Émile Zola auPanthéon, louant l'« héroïsme » de l'écrivain[j 3], de même qu'il a, le précédent, défendu l'organisation de la cérémonie de translation à la tribune de l'Assemblée, contre lesanti-dreyfusards[9].
Fervent partisan de l'école laïque, il déclenche laguerre scolaire la plus violente de l'histoire de France en déposant en juin 1908 deux projets de« défense laïque » visant à punir les familles qui empêchent leurs enfants de suivre un enseignement, mêmeanticatholique. Il reçoit à cette occasion du polémisteÉdouard Drumont le surnom d'« échappé de laSaint-Barthélemy »[10]. Dans le domaine scolaire, Gaston Doumergue plaide en faveur de l'enseignement de l'arabe enAlgérie[11].
Gaston Doumergue devient par ailleurs vice-président de la Chambre des députés durant une année, de à, entre ses deux ministères. En 1910, il est élu sénateur du Gard[12], après le décès deFrédéric Desmons. Gaston Doumergue est réélu en 1912 et en 1921[13].
L'heure est à la politique de réarmement et de resserrement des alliances, que mènent à bien Poincaré et Doumergue[h 2]. Il ne perd pas pour autant de vue la situation internationale et les chancelleries sont continuellement tenues en alerte[a 9]. Leparti radical arrive largement en tête desélections législatives du printemps 1914 et cette majorité de gauche, élue sur le thème de la paix, occasionne au Président un grand embarras pour constituer un cabinet pouvant succéder à Doumergue[h 3]. Ce dernier profite de la fin de ses fonctions pour entreprendre un voyage en Haute-Autriche[a 10].
Le, le jour même de ladéclaration de guerre de l'Allemagne à la France, marquant le début de laPremière Guerre mondiale, le nouveau président du ConseilRené Viviani fait appel à lui pour le remplacer au ministère des Affaires étrangères, lors de la composition de son éphémèrepremier gouvernement. Puis, il est ministre des Colonies dans les gouvernements qui se succèdent du au (gouvernements Viviani II,Briand V etVI). Durant ce mandat, en pleine guerre, il assure la sécurité des possessions françaises et met en place avec le tsarNicolas II de Russie un traité de paix — qui devient cependant caduc à la suite de larévolution d'Octobre.
Ainsi, la gauche, qui a obligé Alexandre Millerand à démissionner, croit alors pouvoir porterPainlevé à la présidence, mais les modérés déjouent ses ambitions en se reportant massivement sur Gaston Doumergue, qui bénéficie déjà d'une partie des voix de gauche. Il obtient 515 voix sur 815 votants, contre 309 à Painlevé et 21 àCamélinat, premier candidatcommuniste à une élection présidentielle.
Sans surprise, il nomme lemaire de Lyon,Édouard Herriot, à la tête dugouvernement et le charge d'établir une politique de changement symbolique pour satisfaire l'électorat[h 6]. L'Étatcartelliste est installé, les présidences des commissions parlementaires étant majoritairement tenues par ses membres, de même que les grands postes de l'administration[h 7]. Le scandale des irrégularités de laBanque de France renverse le gouvernement et Doumergue se résout à nommerPaul Painlevé à laprésidence du Conseil afin de souder les voix radicales et socialistes[h 8], jouant habilement des désignations selon le balancier parlementaire.
Le septennat de Doumergue est marqué par la prospérité de la France d'entre-deux-guerres et lesannées folles, mais aussi par une forte instabilité ministérielle et des difficultés financières engendrées par la chute du franc. Appelé auministère des Finances en,Poincaré instaure une politique d'austérité en ramenant lefranc à sa valeur réelle par une forte dévaluation, ramène la confiance et parvient à doper une économie en berne. Cette politique néo-libérale engendre aussi une période de prospérité économique et financière, à l'heure où les États-Unis sont touchés de plein fouet par l'effondrement boursier de 1929. Les progrès de l'industrie technique, en particulier dans la sidérurgie et l'automobile, contribuent à la croissance du pays. La capacité de production augmente ainsi de 45 % sur la décennie 1920. Pour accompagner ce développement, Doumergue renforce une politique centriste et institue les assurances sociales ouvrières[réf. nécessaire].
En, il se rend dans lesdépartements d'Algérie, sur les terres qu'il a connues dans les premières années de sa carrière, pour les commémorations duCentenaire de l'Algérie française, accompagné d'une délégation de huit ministres et de plusieurs dizaines de députés[17]. L'année suivante, à quelques semaines de la fin de son mandat, il commémore enTunisie le cinquantenaire duprotectorat français.
Gaston Doumergue et le roi d'Afghanistan,Amanullah Khan (1928).
En politique extérieure, il se déclare partisan d'une politique de fermeté vis-à-vis de l'Allemagne face au nationalisme renaissant dans une partie de l'Europe, mais aussi en France. Il se heurte à des difficultés : lesAlliés ne parviennent pas à s'entendre sur l'Allemagne. Forcée d'évacuer laRuhr, laSarre et laRhénanie entre 1925 et 1930, la politique étrangère de son inamovible ministre des affaires étrangèresAristide Briand joue une complexe relation de conciliation avec le chancelier allemandStresemann, en particulier lors dupacte de sécurité collective de Locarno qui peut être perçu comme un recul du contrôle sur le vaincu.
Les désaccords avec son ministre des Affaires étrangères ne font qu'aggraver les crises coloniales enSyrie et auRif. Après l'échec des tentatives de concertation menées par le préfet en place auMaroc, Doumergue décide d'y envoyer lemaréchal Pétain, qui remporte rapidement laguerre du Rif. Au même moment, il participe à l'inauguration de lamosquée de Paris, avec le sultan marocainMoulay Youssef, en visite officielle en France. À cette occasion, il devient le premier président français à citer unhadith :« Le meilleur musulman, c'est celui dont les croyants n'ont à redouter ni la main, ni la langue[18]. » EnIndochine, lesnationalistes vietnamiens duVNQDD entretiennent dans les années 1920 une agitationindépendantiste (assassinat de Bazin,mutinerie de Yên Bái, etc.) que les autorités coloniales répriment à coups de fusil et en faisant un fréquent usage de laguillotine.
Au sein d'un monde politique aussi instable, Doumergue s'évertue à soutenir la gestion des affaires publiques en proclamant des valeurs de gauche et en soutenant une ligne directrice conservatrice. Homme affable et courtois, il séduit depuis le début de sa carrière politique par sa bonhomie et son accent[i 5]. Après son élection à la présidence de la République, sa simplicité continue de lui valoir dans l'opinion publique une popularité qui se traduit notamment par le surnom familier de « Gastounet »[20].
Par ailleurs, l'accession de Gaston Doumergue à la présidence de la République fait de lui le seul chef de l'Étatprotestant qu'ait connu la France depuis l'abjuration d'Henri IV, le[21].
Il est aussi, aprèsLouis-Napoléon Bonaparte, le deuxième président de la République françaisecélibataire au moment de son entrée en fonction[22]. Bien que« vieux garçon », il n'en est pas moins, selonAdrien Dansette,« sensible au charme féminin »[i 6] mais ses fréquentes liaisons passagères ne sont que les« mœurs parisiennes d'hommes politiques »[i 7]. Il entretient une liaison de longue durée avecJeanne-Marie Gaussal, veuve Graves, agrégée de l'Université. Durant son mandat présidentiel, il va tous les matins prendre son petit déjeuner avec elle à son ancien domicile du 73 bisavenue de Wagram, où il se rend à pied depuis l'Élysée[23]. Le, douze jours avant la fin de son mandat, il épouse sa compagne devant le maire du8e arrondissement, Gaston Drucker, venu spécialement à l'Élysée ; le secrétaire général de la présidence,Jules Michel, est son témoin. Gaston Doumergue devient ainsi le premier président de la République à se marier au cours de son mandat[24],[25],[26].
Son mandat présidentiel s'achève le et il se retire de la vie politique dans la demeure de son épouse àTournefeuille, dans laHaute-Garonne[27].
Toujours populaire, il est rappelé commeprésident du Conseil, après les événements sanglants du6 février 1934, pour former un gouvernement d'union nationale où se côtoientAndré Tardieu etÉdouard Herriot. Après s'être positionné au centre gauche de l'échiquier politique pendant son premier mandat, il se rapproche progressivement des radicaux indépendants de centre droit au cours de sa présidence.
Le but était de réformer les institutions pour diminuer l'instabilité ministérielle. Cette tentative ne réussit pas : en mauvaise santé, il lui est difficile d'arbitrer à l'intérieur d'un de ces cabinets dans lesquels on met généralement les plus grands espoirs parce qu'ils symbolisent l'unité de la nation, mais qui sont en réalité composés de ministres venus de tous les bords de l'échiquier politique et qui ne s'entendent pas. Il y a cependant un redressement des finances publiques, qui permet au cours des emprunts d'État de gagner dix à douze points entre mars et juin[28]. Il est par ailleurs affaibli par l'assassinat deLouis Barthou, le, et préfère démissionner peu après, le.
René Viviani, mort en 1925, disait de lui : « Dans une démocratie bien organisée, Doumergue serait juge de paix en province[29]. ».
Un buste de Gaston Doumergue est exposé dans la salle des présidents de la République dumusée de la Révolution française, rappelant qu'il a été le premier président accueilli dans cette ancienne résidence d'été présidentielle[31]. En 2023, 23 rues, places (etc.) portent le nom de Gaston Doumergue[32].
↑Yves Déloye,École et citoyenneté : l'individualisme républicain de Jules Ferry à Vichy : controverses, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques,(ISBN2-7246-0655-8)
Jean Rives,Gaston Doumergue : du modèle républicain au sauveur suprême, Toulouse, Presses de l'Institut d'études politiques,(ISBN2-903847-46-6 (édité erroné),BNF35539059).