Il commence sa carrière commephilologue classique avant de se tourner vers laphilosophie. En 1869, à l'âge de 24 ans, il devient la plus jeune personnalité à occuper la chaire de philologie classique de l'université de Bâle. Il démissionne en 1879 en raison de problèmes de santé qui le tourmenteront presque toute sa vie, puis achève la plupart de ses écrits fondamentaux au cours de la décennie suivante. En 1889, à 44 ans, il est victime d'un effondrement et, par la suite, d'une perte totale de ses facultés mentales. Il vit ses dernières années sous la garde de sa mère, puis chez sa sœurElisabeth Förster-Nietzsche.
Friedrich Wilhelm Nietzsche naît àRöcken enprovince de Saxe le dans une famille pastorale luthérienne.Son père Karl-Ludwig, né en 1813 àEilenbourg, pasteur de l’Église luthérienne de Saxe[2], et son grand-père paternel, Friedrich August Ludwig, pasteur àWohlmirstedt, puis superintendant à Eilenbourg, ont tous deux enseigné lathéologie. Le père de Nietzsche, qui étudie la théologie àHalle avant de devenir précepteur de membres de la famille royale dePrusse, à la cour ducale d'Altenbourg, est un protégé deFrédéric-GuillaumeIV. Mais la maladie (de violents maux de tête) le contraint à demander une paroisse dans la région de sa famille, versNaumburg. Karl-Ludwig et une partie de sa famille s'installent àRöcken en 1842.
Il épouse Franziska Oehler (1826-1897), fille d'un pasteur, en 1843. Ils ont deux fils : Friedrich Wilhelm et Ludwig Joseph (1848-1850), et une fille,Elisabeth Nietzsche (1846-1935).
Franziska, la mère de Friedrich.
En, le père de Nietzsche fait une chute, sa tête heurte les marches de pierre d'un perron. Il meurt un an plus tard, l'esprit égaré, âgé de trente-cinq ans, le. Quelque temps plus tard, en, le frère de Nietzsche meurt à son tour à l'âge de deux ans :
« En ce temps-là, je rêvai que j'entendais l'orgue dans l'église résonner tristement, comme aux enterrements. Et comme je cherchais la cause de cela, une tombe s'ouvrit rapidement et mon père apparut marchant dans son linceul. Il traversa l'église et revint bientôt avec un petit enfant dans les bras. […] Dès le matin, je racontai ce rêve à ma mère bien-aimée. Peu après, mon petit frère Joseph tomba malade, il eut des attaques de nerfs et mourut en peu d'heures.[réf. souhaitée] »
Les spécialistes de Nietzsche le qualifient de manière écrasante de « philosophe allemand »[3],[4],[5][6]. D'autres cependant ne lui attribuent pas d'appartenance nationale[7],[8],[9]. L'Allemagne n'étant pas encore unifiée à l'époque de sa naissance, Nietzsche est né citoyen dePrusse, laquelle faisait principalement partie de laConfédération germanique[10]. Son lieu de naissance,Röcken, se trouve dans l'État allemand moderne deSaxe-Anhalt. Lorsqu'il a accepté son poste à Bâle, Nietzsche a demandé l'annulation de sa citoyenneté prussienne[11]. Le document officiel de révocation de sa citoyenneté date du[12], et, pour le restant de sa vie, Nietzsche est resté officiellementapatride.
Vers la fin de sa vie, si ce n'est même plus tôt (mais les sources manquent), Nietzsche croyait ferme que ses ancêtres étaientpolonais[13]. Il portait unechevalière arborant lesarmoiries Radwan(en), traçables jusqu'à lanoblesse polonaise du Moyen Âge[14], et le nom de familleNicki de la famille noble (szlachta) polonaise à qui appartenaient ces armoiries[15],[16]. Gotard Nietzsche, un membre de la famille Nicki, avait en effet quitté laPologne pour laPrusse. Ses descendants se sont ensuite installés dans l'Électorat de Saxe vers l'an 1700[17]. Nietzsche écrit, en 1888 : « Mes ancêtres étaient des nobles polonais (Nietzky) ; le type semble avoir été bien préservé malgré trois générations de mères allemandes »[18]. Plus tard, Nietzsche devient encore plus catégorique au sujet de son identité polonaise. « Je suis un noble polonais pur-sang, sans une seule goutte de mauvais sang, certainement pas de sang allemand »[19]. À une autre occasion, Nietzsche déclare : « L'Allemagne est une grande nation seulement parce que ses habitants ont tant de sang polonais dans leurs veines…. Je suis fier de mon ascendance polonaise »[20]. Nietzsche croyait que son nom aurait pu êtregermanisé, affirmant, dans une lettre, « On m'a appris à attribuer l'origine de mon sang et de mon nom à des nobles polonais appelés Niëtzky qui ont quitté leur foyer et leur noblesse il y a environ cent ans, cédant finalement à une suppression insupportable : ils étaientprotestants »[21].
La plupart des chercheurs contestent le récit de Nietzsche sur les origines de sa famille. Hans von Müller a démystifié la généalogie avancée par la sœur de Nietzsche en faveur d'une ascendance noble polonaise[22].Max Oehler(en), cousin de Nietzsche et conservateur desNietzsche-Archiv(de) àWeimar, a soutenu que tous les ancêtres de Nietzsche portaient des noms allemands, y compris les familles des épouses[18]. Oehler affirme que Nietzsche descendait d'une longue lignée de pasteursluthériens des deux côtés de sa famille, et les chercheurs modernes considèrent l'affirmation de l'ascendance polonaise de Nietzsche comme une « pure invention »[23]. Colli et Montinari, les éditeurs des lettres rassemblées de Nietzsche, qualifient les affirmations de Nietzsche de « croyance erronée » « sans fondement »[24],[25]. Le nom même deNietzsche n'est pas un nom polonais, mais un nom courant dans toute l'Allemagne centrale, sous cette forme et des formes apparentées (commeNitsche etNitzke). Le nom dérive du prénomNikolaus, abrégé enNick ; assimilé avec le slaveNitz ; il est d'abord devenuNitsche puisNietzsche[18].
On ne sait pas pourquoi Nietzsche voulait être considéré comme descendant de la noblesse polonaise. Selon le biographeR. J. Hollingdale(en), la propagation par Nietzsche du mythe de l'ascendance polonaise pourrait avoir fait partie de sa « campagne contre l'Allemagne »[18]. Nicholas More affirme que les revendications de Nietzsche d'avoir une lignée illustre étaient une parodie des conventions autobiographiques, et soupçonneEcce Homo, avec ses titres auto-laudatifs, tels que « Pourquoi je suis si sage », d'être une œuvre de satire[26]. Il conclut que la généalogie polonaise supposée de Nietzsche était une plaisanterie — pas une auto-illusion[26].
En 1850, alors qu'il a six ans, ce qui reste de la famille vient s’installer àNaumbourg. Friedrich Nietzsche ressent ce départ de Röcken comme un abandon de son village natal :
« l'abandon du village natal ; l'entrée dans l'agitation urbaine, tout cela agit sur moi avec une telle force que chaque jour je la ressens en moi »
— Note d'octobre 1862.
Il souhaite à cette époque être pasteur comme son père. Il développe une conscience scrupuleuse, particulièrement portée à l'analyse et à la critique de soi, et fière, croyant à la noblesse de la famille Nietzsche (selon une tradition familiale transmise par sa grand-mère, les ancêtres des Nietzsche venaient dePologne et s'appelaient alors Nietzki). Son caractère est bien résumé par cette remarque qu'il fit à sa mère : « Un comte Nietzki ne doit pas mentir. »
Vers 1853, à l'âge de neuf ans, il se met au piano, compose des fantaisies et desmazurkas et écrit de la poésie. Il s'intéresse à l'architecture et même, pendant le siège deSébastopol, en 1854, à labalistique. Il crée également un théâtre des Arts, où il joue avec ses amis des tragédies qu'il écrit (Les dieux de l'Olympe,Orkadal).
Il entre au collège de Naumburg à l'âge de dix ans, en 1854. Élève brillant, sa supériorité fait que sa mère reçoit le conseil de l'envoyer àPforta. Elle accepte et obtient une bourse du roiFrédéric-GuillaumeIV. En 1858, avant de partir pourPforta, le jeune Nietzsche, 14 ans, s'interroge sur la nature de Dieu :
« À douze ans, j'ai vu Dieu dans sa toute-puissance. »
— Note de 1858.
Cherchant à expliquer le mal, il l'intègre à laTrinité : le Père, le Fils et le Diable. Nietzsche rédige alors un cahier où il consigne l'histoire de son enfance, et conclut :
« Il est si beau de faire repasser devant sa vue le cours de ses premières années et d'y suivre le développement de l'âme. J'ai raconté sincèrement toute la vérité, sans poésie, sans ornement littéraire… Puissé-je écrire encore beaucoup d'autres cahiers pareils à celui-ci ! »
En 1858, âgé de quatorze ans, il entre aucollège de Pforta, où passèrent égalementNovalis, les frèresSchlegel etFichte. Il y fait seshumanités, y rencontreCarl von Gersdorff (1844-1904)(de), avec qui il entretiendra une longue correspondance, etPaul Deussen (1845-1919), le futursanskritiste. Cette époque est marquée par les premières questions angoissées sur son avenir, par de profonds troubles religieux et philosophiques, et par les premiers symptômes violents de la maladie.
L'unique document dont nous disposons sur les premiers mois de la vie de Nietzsche dans ce collège raconte une anecdote qui exprime sa personnalité : il y avait une discussion à propos de l'histoire deMucius Scævola. Les camarades de Nietzsche la tenaient pour une légende, personne ne pouvant avoir le courage de plonger sa main dans le feu. Nietzsche, alors, se saisit d'un charbon brûlant dans un poêle allumé et le tint devant les yeux de ses camarades[27].
Dans leCrépuscule des idoles (« Ce que je dois aux Anciens ») Friedrich Nietzsche rend hommage au philologueWilhelm Paul Corssen pour la formation de son style littéraire :
« Mon sens du style, de l'épigramme comme un style, a été éveillé presque instantanément lorsque je suis entré en contact avecSalluste. Je n'ai pas oublié la surprise de mon honoré professeur Corssen, quand il eut à donner, à son plus mauvais élève de latin, la meilleure note – j'en avais fini avec un seul coup. »
— Friedrich Nietzsche,Le Crépuscule des idoles
Pendant les vacances d'été 1859, âgé de quinze ans, il visiteIéna etWeimar, écrit quelques récits philosophiques :
« C'est ma vie que je découvre. […] – Même en ce beau monde, il y a des malheureux. Mais qu'est-ce donc, le malheur ? »
À partir de la rentrée d', il rédige un journal, projette des plans d'études engéologie, astronomie, latin,hébreu, sciences militaires et enfin en religion. Dévoré d'un appétit de connaissances sans borne, il éprouve de grandes difficultés à se décider pour un domaine d'étude bien délimité :
« Je devrai détruire plusieurs de mes goûts, cela est clair, et, pareillement, en acquérir de nouveaux. Quels seront les malheureux que je jetterai par-dessus bord ? Peut-être mes plus chers enfants ! »
Les années passent dans la discipline sévère de Pforta et, à dix-sept ans, il litSchiller,Hölderlin (Hypérion etEmpédocle),Lord Byron où il trouve son inspiration. Il se passionne pourManfred. Une phrase le marque :
« Souffrir, c’est connaître : ceux qui savent le plus sont aussi ceux qui ont le plus à gémir sur la fatale vérité ; l’arbre de la science n’est pas l’arbre de vie. »
— Lord Byron, Manfred
Nietzsche aime improviser au piano, provoquant l'admiration deGersdorff et dePaul Deussen :
« De sept heures à sept heures et demie, nous nous rendions ensemble à la salle de musique. Je ne crois pas que les improvisations de Beethoven aient été plus poignantes que celles de Nietzsche, surtout lorsque l'orage couvait au ciel. »
— Lettre de Gersdorff à Peter Gast,.
Il souhaite alors abandonner lathéologie pour devenir musicien, mais sa mère l'en dissuade : il doit continuer ses études. Sa foi est néanmoins de plus en plus faible ; les écrits de cette époque témoignent d'une inquiétude profonde face aux problèmes religieux et philosophiques qu'il rencontre. Il hésite à délaisser l'autorité de la tradition pour les enseignements positifs des sciences naturelles :
« Qu'est-ce que l'humanité ? Nous le savons à peine : un degré dans un ensemble, une période dans un devenir, une production arbitraire de Dieu ? L'homme est-il autre chose qu'une pierre évoluée à travers les modes intermédiaires des flores et des faunes ? Est-il dès à présent un être achevé ? que lui réserve l'histoire ? ce devenir éternel n'aura-t-il pas de fin ? […] Se risquer, sans guide ni compas, dans l'océan du doute, c'est perte et folie pour un jeune cerveau ; la plupart sont brisés par l'orage, petit est le nombre de ceux qui découvrent des régions nouvelles… »
Il commence alors à souffrir de violents maux de tête et de troubles visuels.
Il passe enfin les derniers examens et les réussit, de justesse à cause des mathématiques[28]. Il choisit comme sujet de mémoire de fin d'étudeThéognis de Mégare[29]. Malgré ses résultats en mathématiques, ses professeurs lui donnent son diplôme au vu de l'excellence dont il fait preuve dans les autres matières. En, il quitte Naumburg en compagnie de Paul Deussen et d'un cousin de ce dernier, et se rend à l'université deBonn.
En 1864, âgé de vingt ans, il entre à l'université de Bonn. Il participe à la vie étudiante, malgré son caractère réservé : promenades sur le fleuve, auberges et un duel qu'il fait avec un bon camarade, n'ayant pas d'ennemi. Il reçoit un coup d'épée au visage et en garde une cicatrice. Mais Nietzsche ne se sent pas à son aise dans ce milieu, et il passe seul, dans la tristesse, les fêtes de fin d'année. C'est le début d'une longue série de Noëls solitaires, passés à examiner sa vie, à se reprocher le temps perdu. Cherchant à remédier à la situation, il propose de réformer l'association d'étudiants, laBonner Burschenschaft Frankonia, mais il est mis à l'écart.
D'abord inscrit en théologie, il délaisse celle-ci pour des études dephilologie, une discipline en accord avec son intérêt pour l'Antiquité, notamment la tragédie antique. Mais sa passion de la connaissance rend difficile un choix qui lui soit véritablement agréable. Il travaille avec intensité, pour oublier sa solitude, et aussi grâce au soutien vigoureux deFriedrich Wilhelm Ritschl (1806-1876), un professeur latiniste auteur d'ouvrages importants surPlaute. Nietzsche écrit alors quelques mémoires. Il ne trouve aucun intérêt aux modes matérialistes et démocratiques de pensée de bien des étudiants de son âge, et se sent toujours tourmenté par la recherche de lavérité :
« Pour un véritable chercheur, le résultat de la recherche n'est-il pas indifférent ? Dans notre effort que cherchons-nous ? le repos, le bonheur ? Non, rien que la vérité, tout effrayante et mauvaise qu'elle puisse être. »
Au cours de ses études à l'université de Leipzig, la lecture deSchopenhauer (Le Monde comme volonté et comme représentation,1818) va constituer les prémices de sa vocation philosophique. Toutefois, l'importance de cette lecture, qui sera au fondement de sa relation avec Wagner, est contestée, car Nietzsche, à cette même époque, s'intéresse à des penseurs rationalistes, en particulierDémocrite[30]. En outre, il lit bien d'autres penseurs et scientifiques :Lange,von Hartmann,Emerson notamment. C'est à cette époque qu'il s'enthousiasme pour la musique deWagner, en 1868, àLeipzig[31].
Une anecdote bien connue, datant de, rapporte que Nietzsche qui s'est rendu àCologne pour assister à un festival de musique, est conduit dans une maison de tolérance où il se retrouve au milieu de femmes en tenue très légère : « J'allai droit à ce piano [dans le salon] comme au seul être qui, dans cette pièce, eût une âme. » Il fait une improvisation, se lève et s'enfuit.
Élève brillant, doué d'une solide éducation classique (milieu dominé par les femmes et imprégné depiétisme protestant), Nietzsche est nommé à 24 ans professeur dephilologie à l'université de Bâle, puis professeur honoraire l'année suivante[32]. Il développe pendant dix ans son acuité philosophique au contact de la pensée de l'Antiquité grecque dans laquelle il voit dès cette époque la possibilité d'une renaissance de la culture allemande[33] — avec une prédilection pour lesprésocratiques, en particulier pourHéraclite etEmpédocle, mais il s'intéresse également aux débats philosophiques etscientifiques de son temps. Pendant ses années d'enseignement, il se lie d'amitié avecJacob Burckhardt etRichard Wagner (qu'il revoit à partir de 1869) dont il serait un parent éloigné[34].
En 1870, il s'engage comme infirmier volontaire dans laguerre franco-allemande, mais l'expérience est de courte durée, car Nietzsche contracte ladiphtérie. Bien qu'il soit à cette époque patriote, Nietzsche commence à formuler quelques doutes à propos des conséquences de la victoire prussienne.
Richard Wagner, ami de Nietzsche à partir de 1868.
En 1872 paraîtLa Naissance de la tragédie, qui obtient un certain succès, mais qui le discrédite comme philologue et fait l'objet d'une vive querelle avec le philologueUlrich von Wilamowitz-Moellendorff[35].Erwin Rohde, philologue et ami de Nietzsche, etWagner qui considère ce texte comme l'expression de sa pensée, prennent sa défense. Nietzsche formera ensuite le projet d'écrire une dizaine d'essais, lesConsidérations Inactuelles, mais il n'en paraîtra finalement que quatre, et, mis à partRichard Wagner à Bayreuth, ces œuvres eurent très peu de succès.
Au premier semestre de l'été 1872, il donne des cours surEschyle,Les Choéphores, et sur les philosophes“préplatoniciens”[36]. Il fait également un séminaire surThéognis. Erwin Rohde publie un compte rendu deLa Naissance de la tragédie le et, à la fin du mois, parait lepamphlet de Willamowitz-Moellendorff contre ce premier ouvrage :
« Que M. Nietzsche tienne parole, qu'il prenne son thyrse, qu'il aille d'Inde en Grèce, mais qu'il descende de sa chaire, où il doit enseigner la science ; qu'il réunisse tigres et panthères à ses pieds, s'il le veut, mais non les jeunes philologues allemands. »
Sa sœur vient s'installer à Bâle le.
Le,Wagner publie une lettre ouverte à Nietzsche dans laNorddeutsche Allgemeine Zeitung pour prendre sa défense. Dans une lettre du 25, Wagner lui écrit :
« À strictement parler, vous êtes, après ma femme, le seul gain que la vie m'ait apporté. »
Nietzsche se rend àMunich, où se trouve également l'intellectuelleMalwida von Meysenbug, du 28 au pour assister à une représentation deTristan et Isolde dirigée par Hans von Bülow. Le, Nietzsche envoie à ce dernier saManfred-Meditation qui est qualifiée d'épouvantable et de nuisible par le chef d'orchestre, et de « viol d'Euterpe. »Franz Liszt jugera bien moins sévèrement une autre œuvre de Nietzsche.
Il prépare une étude,La Joute chez Homère. En septembre et octobre, il se promène enSuisse. Au semestre d'hiver 1872-73, il donne un cours sur la rhétorique grecque et romaine. Les étudiants se font rares, il n'a que deux auditeurs. Rohde se retrouve également isolé et dans une situation difficile. Wagner fait lui-même l'objet d'attaques assez basses (il est jugé cliniquement fou par un professeur de l'université deMunich).
Nietzsche passe Noël 1872 avec sa mère et sa sœur ; il offre à Cosima Wagner, pour son anniversaire,Cinq préfaces à cinq livres qui n'ont pas été écrits. Le, il est àWeimar pour assister à une représentation deLohengrin. Il rencontre Ritschl à Leipzig qui le blâme de son manque de réussite en tant que professeur. L'incompréhension, ou peut-être l'amertume, du maître est extrême ; dans une lettre à Wilhelm Vischer datée du, il fait de Nietzsche ce portrait instructif :
« Mais notre Nietzsche ! – C'est vraiment un chapitre affligeant, comme vous l'exprimez vous-même dans votre lettre – en dépit de toute votre bienveillance pour l'homme remarquable qu'il est. Il est étonnant de constater comment dans cet être deux âmes cohabitent. D'une part, la méthode la plus rigoureuse dans la recherche scientifique et académique […] d'autre part, cet engouement wagnéro-schopenhauérien pour les mystères de la religion esthétique, cette exaltation délirante, ces excès d'un génie transcendant jusqu'à l'incompréhensible ! »
Du 6 au, Rohde et Nietzsche sont àBayreuth. Nietzsche lit à Cosima et à Wagner le manuscrit deLa Philosophie à l'époque tragique des Grecs. Il revient à Bâle le, où il commence sa premièreConsidération inactuelle surDavid Strauss.
Friedrich Nietzsche vers 1875.
Vers1875, Nietzsche tombe gravement malade, et, à la suite de plusieurs malaises, ses proches le croient à l'agonie. Presque aveugle, subissant des crises de paralysie, de violentes nausées, l'état d'esprit de Nietzsche se dégrade au point d'effrayer ses amis par uncynisme et une noirceur qu'ils ne lui connaissaient pas. Nietzsche commence à se détacher de Wagner qui le déçoit de plus en plus, et il considère le milieu wagnérien comme un rassemblement d'imbéciles n'entendant rien à l'art wagnérien[37]. Alors que Nietzsche rédigeRichard Wagner à Bayreuth, il écrit dans ses carnets une première critique de son ancien ami. Non seulement il ne se sent plus lié avec ce dernier par la philosophie de Schopenhauer, mais Wagner se révèle un ami indiscret, ce qui conduira Nietzsche à ressentir certains propos de Wagner comme des offenses mortelles. Wagner soupçonne en effet Nietzsche de quelques penchants « contre nature » censés expliquer son état maladif : « un effet de penchants contre nature préfigurant la pédérastie[38] ».
Nietzsche abandonne alors ses idées sur l'Allemagne dans lesquelles il ne voit plus que grossièreté et illusions. Il discute longuement avecPaul Rée, avec qui il partage ses idées et son cynisme sur l'hypocrisie de la morale[39], il commence à écrire un livre, d'abord intituléLe soc, puisHumain, trop humain. Quand Wagner reçoit ce dernier livre (envoi auquel il ne répondra pas),Cosima Wagner, l'épouse de Richard, écrit dans son journal : « Je sais qu'ici le mal a vaincu. » L'antisémitisme de Cosima semble également avoir joué un rôle dans la rupture entre son mari et Nietzsche[40].
En 1877, Marie Baumgartner traduit en françaisRichard Wagner à Bayreuth.
En 1878, il rompt avec Wagner.
En1879, Nietzsche obtient une pension car son état de santé l'oblige à quitter son poste de professeur[41]. Il commence alors une vie errante à la recherche d'un climat favorable aussi bien à sa santé qu'à sa pensée, àVenise,Gênes,Turin,Nice[42],Sils-Maria… :
« Nous ne sommes pas de ceux qui n'arrivent à former des pensées qu'au milieu des livres — notre habitude à nous est de penser en plein air, marchant, sautant, grimpant, dansant… »
À la fin du mois d', Nietzsche, àGênes, travaille à la correction des épreuves d'Aurore avec Peter Gast. Le travail est achevé à la mi-juin. En juillet, il est àSils-Maria et litHellwald (Histoire de la civilisation,La Terre et ses habitants) ainsi que le livre deKuno Fischer surSpinoza. Il voit en ce dernier l'un de ses précurseurs.
C'est au mois d'août que lui viennent ses pensées sur l'éternel retour.
En septembre, il étudie les sciences de la nature, il écrit à Overbeck () :
« Sum in puncto desperationis. Dolor vincit vitam voluntatemque. »
— Je suis désespéré. La douleur a vaincu la vie et la volonté.
Il retourne à Gênes à la fin du mois où, toujours en mauvaise santé, Nietzsche entend laSémiramide deRossini,Giulietta e Romeo etSonnambula deBellini. Il entend égalementCarmen, l'opéra de Bizet, qui le marquera à vie. À la mi-décembre, Nietzsche projette d'écrire une suite àAurore.
Invité à Rome parMalwida von Meysenbug, en, Nietzsche fait la connaissance deLou Andreas Salomé dont il tombe éperdument amoureux. Puis Lou, Rée et Nietzsche se rendent enSuisse. Nietzsche corrige les épreuves desIdylles de Messine et met au propre une copie duGai Savoir.
Nietzsche passe les mois de novembre et, àRapallo. Ses relations avec Lou Andreas-Salomé et Paul Rée se dégradent. À la fin du mois de, il écrit au propre la première partie d'Ainsi parlait Zarathoustra.
Le,Wagner meurt. Nietzsche l'apprend le lendemain et écrit à Cosima.
Nietzsche est ensuite de nouveau àGênes à partir du. Il lit le livre de son amiPaul Deussen sur la doctrine desVédanta. Il rompt ses relations avec Rée et Lou, et déprime gravement :
« Je ne comprends plus du tout « à quoi bon » je devrais vivre, ne fût-ce que six mois de plus »
— Lettre à Overbeck, 24 mars.
Le jugement de Gast à propos deZarathoustra lui remonte le moral : « À ce livre il faut souhaiter la diffusion de la Bible, son prestige canonique, la série de ses commentaires, sur laquelle repose en partie ce prestige. » (Lettre à Nietzsche,). Vers la fin du mois, il renoue avec sa mère et se décide à rencontrer sa sœur àRome, où il loge chez le peintre Max Müller. Avec sa sœur, il voyage enSuisse et séjourne de nouveau à Sils-Maria. Il écrit la deuxième partie d'Ainsi parlait Zarathoustra au mois de juillet. Il se brouille définitivement avec Lou :
« Elle me manque, même avec ses défauts. […] Maintenant c'est comme si j'étais condamné au silence ou à une sorte d'hypocrisie humanitaire dans mes rapports avec tous les hommes. »
— Lettre à Overbeck, fin août.
Fin, il retrouve Overbeck à Schuls, et envisage de donner des cours à Leipzig. Le recteur de l'université, qui est un ami de Nietzsche, lui explique que sa candidature serait un échec à cause de ses idées sur lechristianisme. Il part alors pour Naumburg le. Sa sœur se fiance avec Bernard Förster, l'antisémite soi-disant admirateur de Nietzsche.
Il passe à Bâle début octobre, chez les Overbeck, puis à Gênes. Il tombe malade, ressent la solitude de plus en plus durement, et fait le bilan accablant des dernières années qu'il vient de passer. À la fin novembre, il passe àVillefranche, puis s'installe àNice pour l'hiver. Il rencontreJoseph Paneth, l'ami deFreud. Il est de plus en plus malade :Malade, malade, malade ! (Lettre à Overbeck,). Il écrit néanmoins la troisième partie d'Ainsi parlait Zarathoustra en, après notamment des promenades le long duchemin qui portera son nom àÈze. Enthousiasmé par Peter Gast, Nietzsche s'interroge avec inquiétude sur la portée de sa philosophie :
« Est-elle « vraie » ou plutôt sera-t-elle crue vraie — c'est ainsi que « tout » changera et se renversera et que « toutes » les valeurs traditionnelles seront dévaluées »
— Lettre à Overbeck,).
Il rompt de nouveau avec sa sœur :« Ce maudit antisémitisme est la cause d'une rupture radicale entre ma sœur et moi. » (Lettre à Overbeck,).
À la fin du mois d'avril, il se rend àVenise avec Peter Gast :
« je frémis à la pensée de tout l'injuste et l'inadéquat qui un jour ou l'autre se réclamera de mon autorité »
— Lettre à Mawilda von Meysenburg, juin 1884).
Puis il est de nouveau chez les Overbeck, à Bâle, de la mi-juin au. Il fait la connaissance de la militanteMeta von Salis à Zürich vers la mi-juillet : le philosophe est « fasciné par cette aristocrate éloquente, avec qui il passe beaucoup de temps[43] ».
Il séjourne pour la troisième fois à Sils-Maria de juillet à septembre. Du 26 au, il reçoitHeinrich von Stein(de).
À Nice, en, il écrit la quatrième partie d'Ainsi parlait Zarathoustra et la fait paraître à ses frais, vers la fin mars, en tirage limité à 40 exemplaires.
Le, Nietzsche, venant deVenise, arrive àTurin. Il s'installe à la pension de Genève :
« Dix ans de maladie, plus de dix ans ; et pas simplement une maladie pour laquelle il existe des médecins et des remèdes. Quelqu'un sait-il seulement ce qui m'a rendu malade ? Ce qui, des années durant m'a tenu au seuil de la mort, et appelant la mort ? Je n'en ai pas l'impression. […] Ces dix dernières années que j'ai derrière moi m'ont fait amplement apprécier ce que cela signifie d'être seul, isolé à ce point. […] Pour n'en retenir que le meilleur, cela m'a rendu plus indépendant ; mais aussi plus dur, et plus contempteur des hommes que je ne le souhaiterais moi-même. »
— Lettre à Overbeck, 12 novembre.
Il écrit beaucoup, avec le sentiment de la tâche accomplie ou sur le point de l'être :
« je sais ce qui est fait, et ce qui est définitivement réglé : c'est un trait qui est tiré sous toute mon existence jusqu'alors : — voilà le sens des dernières années. Sans doute, par cela même, l'existence que j'ai menée jusqu'ici a révélé ce qu'elle était réellement — une simple promesse. »
« Vous faites partie du petit nombre d'hommes avec qui j'aimerais causer. »
Vers la fin de l'année, Nietzsche retombe dans la dépression :
« le poids de mon existence pèse à nouveau plus lourd sur mes épaules ; presque pas un jour entièrement bon ; »
— Lettre à Overbeck, 28 décembre.
Néanmoins, dans les mois suivant, qu'il passe àNice, il travaille beaucoup et annonce à Gast, dans une lettre du, qu'il a terminé la mise au propre du premier livre de l'Essai d'une inversion des valeurs. (cf. Cahiers WII 1, WII 2, WII 3). Il litPlutarque,Baudelaire,Dostoïevski,Tolstoï,Renan,Benjamin Constant. Sa célébrité s'accroît :Carl Spitteler fait des comptes rendus des livres de Nietzsche dans le canton de Berne, etGeorg Brandes fait des conférences sur la pensée de Nietzsche àCopenhague.
Il quitte Nice le, et se rend en pèlerinage àGênes le 4, avant de parvenir àTurin, ville « pour les pieds comme pour les yeux, un lieu classique ! » (Lettre à Gast,). Il rédige leCas Wagner et travaille toujours autant (cf. Cahiers WII 5, WII 6). Son humeur est particulièrement joyeuse :
« il souffle ici un air délicieux, léger, espiègle, qui donne des ailes aux pensées trop lourdes… »
À Sils-Maria depuis le début du mois de juin, sa santé se dégrade de nouveau. Il se diagnostique un épuisement nerveux général incurable en partie héréditaire (Lettre à Overbeck,). Il s'occupe de l'impression duCas Wagner et élabore un dernier plan de laVolonté de puissance. Essai d'une inversion de toutes les valeurs, daté du. Il lit laVie de Richard Wagner par Ludwig Nohl, etRome, Naples et Florence deStendhal qu'il admire. Il passe quelques semaines avec son amieMeta von Salis. Richard Meyer, un étudiant d'origine juive, lui offre anonymement 2 000 marks. Nietzsche emploie alors toutes les ressources dont il dispose pour faire imprimer ses livres et se plaint despratiques douteuses[précision nécessaire] de certains éditeurs :
« Mais je suis en guerre : je comprends que l'on soit en guerre avec moi. »
— Lettre à Spitteler, 25 juillet.
Il reste à Sils-Maria jusqu'au.
Après un voyage difficile, Nietzsche arrive de nuit àTurin. LeCas Wagner paraît alors, tandis qu'il travaille avec Gast à l'impression duCrépuscule des Idoles et que le manuscrit deL'Antéchrist est prêt pour l'impression, le.
Nietzsche s'effondre, le, àTurin. Croisant une voiture dont le cocher fouette violemment le cheval, il s'approche de l'animal, enlace son encolure, éclate en sanglots, et interdit à quiconque d'approcher le cheval. Comme le commentera Derrida :« [I]l fut assez fou pour pleurer auprès d'un animal, sous le regard ou contre la joue d'un cheval. Parfois je crois le voir prendre ce cheval pour témoin, et d'abord, pour le prendre à témoin de sa compassion, prendre sa tête dans ses mains »[44].
Son amiFranz Overbeck, alerté pardes lettres délirantes de Nietzsche, accourt le, àTurin. Nietzsche chante et hurle sans cesse depuis plusieurs jours, prétendant être le successeur de Napoléon pour refonder l'Europe, créer la « grande politique ». Vu l'état d'agitation extrême de Nietzsche, Overbeck se fait aider par un dentiste bâlois de passage à Turin, qui, pour le calmer, lui fait croire qu'à Bâle on prépare des festivités et des cérémonies en son honneur. Au départ de la gare de Turin, Nietzsche veut haranguer la foule ; on lui fait comprendre que ce n'est pas digne d'un homme de son rang.
Arrivé à Bâle, on le conduit dans une clinique d'aliénés dont le directeur s'est entretenu avec Nietzsche sept ans plus tôt. Nietzsche se rappelle en détail cette rencontre, mais ne se rend pas compte qu'il est dans un asile d'aliénés — il remercie pour le bon accueil qui lui est fait[45].
Au début de cette folie, Nietzsche semble s'identifier aux figures deDionysos et duChrist, pour lui symboles de la souffrance et de ses deux expressions les plus opposées. Il parle constamment et chante beaucoup, se rappelant encore ses compositions musicales et ses poèmes. Selon le témoignage de son ami Overbeck, il est alors encore capable d'improviser au piano de bouleversantes mélodies ; pendant quelque temps, il sera encore capable de tenir des conversations, mais celles-ci, selon son ami Overbeck, sont stéréotypées et Nietzsche ne semble capable que d'évoquer certains souvenirs. Il prononce encore quelques phrases, comme ce jour où, sur une terrasse ensoleillée, il s'adresse à sa sœur : « N'ai-je pas écrit de beaux livres ? » ; il note encore quelques phrases plus ou moins cohérentes comme celle-ci : « Maman, je n'ai pas tué Jésus, c'était déjà fait. » Sa mère est en effet très pieuse, et les différends de Nietzsche avec elle en matière de religion remontent à l'adolescence.
Puis, au bout de quelques années, il sombre dans un silence presque complet, jusqu'à sa mort. Quand Overbeck le revoit pour la dernière fois, en 1892, il trouve Nietzsche dans unétat végétatif.
Sa mère, puis sa sœur revenue d'Amérique du Sud, le soignent jusqu'à sa mort, le.
On s'est beaucoup interrogé sur les causes de sa maladie et l'image même d'un penseur devenu fou a conduit à diverses appropriations, du vivant même de Nietzsche[46]. Certaines théories à ce sujet ont eu pour but de réduire la pensée de Nietzsche à sa folie. Une explication qui fut couramment acceptée, est relative à lasyphilis que Nietzsche aurait contractée, comme nombre d'artistes et écrivains célèbres de son temps, et qui dans sa phase tertiaire, dite de « neurosyphilis » peut mimer toutes sortes de pathologies psychiatriques. Nietzsche, au début de sa folie (« folie » qui ne l'empêchait pas dans les premiers temps de discuter presque normalement), déclara avoir été infecté en 1866. Il semble, d'après les travaux d'Otto Binswanger, qui s'est occupé de lui lors de son internement, que Nietzsche ait présenté une démence vasculaire :maladie de Binswanger comparable à laleucoaraiose, ce qui va dans le sens des propos deFranz Overbeck, qui, quand il le revoit pour la dernière fois, en 1892, trouve Nietzsche dans un étatvégétatif.
Un médecin, le docteur Leonard Sax, directeur du Montgomery Centre for Research in Child Development, a émis l'hypothèse que Nietzsche avait en réalité une tumeur cérébrale[47]. L'autopsie du père de Nietzsche avait déjà montré la présence d'unetumeur au cerveau. Les témoignages rassemblés par Curt Paul Janz, grand biographe de Nietzsche, montrent que plusieurs proches de Nietzsche étaient des « originaux », et quelques-uns malades des nerfs. On peut donc également évoquer une affection psychiatrique ou une pathologie neurologique au travers de ces antécédents. Nietzsche a également rapporté le témoignage de sa tante Rosalie, selon laquelle le père de Nietzsche fut soudain atteint de troubles mentaux, qu'il devint incapable de parler, avant de mourir quelques mois plus tard.[réf. nécessaire]
Curt Paul Janz (tome I, page 172, 173) conclut formellement à une syphilis, contractée à Leipzig, classiquement et pudiquement diagnostiquée, à l'époque, comme « paralysie générale » (c.à.d. une neurosyphilis) lorsqu'elle entre en phase finale : « Si le moment de la contamination demeure donc incertain, nous ne saurions, pour le reste, mettre en doute le témoignage d'un psychiatre aussi sérieux que Lange-Eichbaum. D'après l'état actuel des recherches médicales, nous pouvons ainsi considérer comme établi que la paralysie ultérieure de Nietzsche ne put être causéeque par la syphilis, et que celui-ci fut donc, comme l'affirme Lange-Eichbaum, soigné de cette maladie à Leipzig ». Les conséquences physiques, neurologiques et psychiatriques de la neurosyphilis sont désormais bien connues. Nietzsche se savait contaminé, les conséquences d'ordre biographiques ne pouvaient être que considérables, notamment quant à ses rapports aux femmes, déjà problématiques avant cette contamination. Idéalement, l'exhumation et un examen médico-légal mettraient un terme aux controverses à ce sujet.
Nietzsche devenu aliéné, c'est sa sœur,Elisabeth, qui gère la publication des œuvres et des carnets de son frère. Elle fonde dans ce but leNietzsche-Archiv et met toute son énergie à faire connaître les œuvres de son frère[52]. Sœur dévouée que Nietzsche aimait profondément jusqu'à ce qu'elle se marie avec unantisémite virulent,Bernhard Förster[53], elle a été une fervente admiratrice deGuillaumeII et adhérera ensuite à certaines idées nazies[54], rencontrantHitler (qu'elle soutiendra comme elle soutiendra égalementMussolini). Elle fait publier les dernières œuvres de Nietzsche, mais manipule certains textes de son frère. Elle compose ainsiLa Volonté de puissance, livre dont Nietzsche a élaboré plusieurs plans sans jamais l'achever, préférant en tirer plusieurs livres distincts. Elle écrit également plusieurs livres sur son frère, qui ont été remis en cause en raison de leur caractèrehagiographique. La critique historique a même établi qu'Elisabeth avait falsifié des œuvres de jeunesse, des lettres et des fragments posthumes de son frère[55].
Malgré les opinions nazies et les manipulations avérées de la sœur de Nietzsche, ces falsifications et l'enrôlement par le nazisme sont deux aspects de la réception du texte nietzschéen qui restent nettement distincts[56],[57]. Si Elisabeth a cherché activement à associer le nom de Nietzsche à ceux d'Hitler et de Mussolini[58], elle a eu également l'occasion d'écrire à plusieurs reprises combien son frère était opposé à l'antisémitisme, et a expliqué les propos anti-juifs de Nietzsche dans les années1870 par une influence du milieu wagnérien dont il s'était par la suite libéré. Il est donc difficile de voir dans la sœur de Nietzsche une instigatrice de la récupération des textes nietzschéens[59].
Publications. —Les années indiquées sont celles de première parution. Les abréviations suivantes sont utilisées :A = Aurore. — AC = L’Antéchrist. — CI = Le Crépuscule des idoles. — CW = Le Cas Wagner. — DD = Dithyrambes de Dionysos. — EH = Ecce homo. — GM = La Généalogie de la morale. — GS = Le gai Savoir. — HTH = Humain, trop humain. — Inact = Considérations inactuelles. — NT = La Naissance de la tragédie. — NW = Nietzsche contre Wagner. — OS = Opinions et sentences mêlées. — PBM = Par delà bien et mal. — VO = Le Voyageur et son ombre. — [VP] = La Volonté de puissance (compilation arbitraire de notes de N., publiée parsa sœur). —Za = Ainsi parlait Zarathoustra.
82 : <Lou Salomé> (Saint-Pierre de Rome, avril ; N. demande Lou en mariage — via Paul Rée —, refus ;Monte sacro d’Orta, ; photo à Lucerne avec Paul Rée, ; demande en mariage — directe — et nouveau refus de Lou ; passage à Tribschen ;Tautenburg, trois semaines en août)
↑Ulla-KarinWarberg,« Nietzsche's ring »[archive du], surauktionsverket.com, Östermalm, Stockholm,Salle des ventes de Stockholm(de) :« L'anneau de Nietzsche … il a été porté par Friedrich Nietzsche et il représente les anciennes armoiries Radwan, qui peuvent être retracées jusqu'à la noblesse polonaise du Moyen Âge. »
↑Ulla-KarinWarberg,« Nietzsche's ring »[archive du], surauktionsverket.com, Östermalm, Stockholm,Salle des ventes de Stockholm(de) :« En 1905, l'écrivain polonais Bernhard Scharlitt a écrit un article dans l'esprit du patriotisme polonais sur la famille Nietzsche. Dans Herbarz Polski, une généalogie de la noblesse polonaise, il avait trouvé une note sur une famille nommée 'Nicki,' qui pouvait être retracée jusqu'à Radwan. Un membre de cette famille nommé Gotard Nietzsche avait quitté la Pologne pour la Prusse, et ses descendants s'étaient finalement installés en Saxe vers l'an 1700. »
↑Paolo D'Iorio estime que l'on se méprend en donnant une telle importance à Schopenhauer et à la période wagnérienne de Nietzsche, qui n'est pour lui qu'une parenthèse. VoirSystème, phases, chemins, strates, inNietzsche, Philosophie de l'esprit libre, éditions Ens, 2004.
↑Keith Ansell Pearson, « Friedrich Nietzsche: An Introduction to his Thought, Life, and Work », inA Companion to Nietzsche, Blackwell, 2006,p. 3 :
↑Cette nomination n'est pas le résultat du choix exclusif deFriedrich Ritschl, commeUlrich von Wilamowitz-Moellendorff l'a prétendu (c'est pourtant cette version de l'histoire qui est la plus répandue) ; le conseiller éducatif de la ville de Bâle devait choisir un jeune philologue pour une place vacante. Il demanda l'avis de six professeurs, dont deux évoquèrent le nom de Nietzsche : Ritschl, déjà cité, etHermann Usener. Ensuite, le choix définitif fut voté par le conseil de la ville. On ne peut donc parler de « népotisme », comme l'a fait Wilamowitz, sans doute pour se venger de l'affaire de laNaissance de la tragédie dans laquelle il s'était opposé à Nietzsche de manière virulente. (Source : Mazzino Montinari,Friedrich Nietzsche).
↑Les livres de sa première période,La Naissance de la Tragédie et lesConsidérations Inactuelles, sont entièrement centrés sur la question de la régénérescence de l'esprit allemand, ce que Nietzsche regrettera amèrement par la suite. Voir l'Essai d'auto-critique : « Mais il y a dans ce livre quelque chose de pire encore, et que je regrette beaucoup plus que d’avoir obscurci et défiguré par des formules schopenhaueriennes mes visions dionysiennes : c’est de m’être, en un mot, gâté le grandiose problème grec, tel qu’il s’était révélé à moi, par l’intrusion des choses modernes ! de m’être attaché à des espérances, là où il n’y avait rien à espérer, où tout indiquait trop clairement une fin ! d’avoir, à propos de la plus récente musique allemande, commencé à divaguer sur « l’âme allemande », comme si elle était justement sur le point de se découvrir et de se retrouver ».
↑« Upon its publication Nietzsche’s book met with vehement rejection by the philological community, and after being rejected by his mentor, Ritschl, Nietzsche had to admit that he had fallen from grace and was now ostracized from the guild of philologists. » Keith Ansell Pearson, « Friedrich Nietzsche: An Introduction to his Thought, Life, and Work »,p. 4, inA Companion to Nietzsche, Blackwell, 2006.
↑Lettre de Richard Wagner à Hans von Wolzogen, du mardi. Wagner, inquiet de la santé de Nietzsche, s'enquiert auprès du médecin de son ami des causes de sa maladie. Celui-ci violant à cette occasion le secret médical, affirme en effet à Wagner que la maladie de Nietzsche peut être la conséquence d'une vie de célibataire. Et Wagner ébruite que Nietzsche souffre des conséquences pathologiques que l'on attribue, selon le préjugé de l'époque, à la pédérastie mais aussi à lamasturbation. Voir la préface de É. Blondel auCas Wagner, éditions Flammarion.
↑Nietzsche lit le livre de Rée :Ursprung der moralischen Empfindungen (Origine des sentiments moraux, 1877).
↑« In early 1879 deteriorating health forced Nietzsche to resign from his position at Basel University, which granted him an annual pension. » Keith Ansell Pearson, « Friedrich Nietzsche: An Introduction to his Thought, Life, and Work »,p. 7, inA Companion to Nietzsche, p. Blackwell, 2006.
↑où il sera en même temps queGuyau sans le savoir vers1888
↑En France, l'un des premiers à écrire sur la folie de Nietzsche a étéTéodor de Wyzewa, dont l'articleFrédéric Nietzsche, le dernier métaphysicien, paru en 1891, a été critiqué parDaniel Halévy qui l'a jugé de mauvais goût, ce que l'on pourrait rapprocher aujourd'hui de la pressepeople. Extrait :
« C'est dans un asile d'aliénés qu'il m'aurait fallu aller voir, hurlant sous la douche, étirant ses longs bras, écarquillant ses énormes yeux ronds, et plus pareil encore à un chat de gouttière que lorsque je l'ai rencontré il y a trois ans, l'étonnant Frédéric Nietsche, philosophe, poète et compositeur de musique […] »
↑Bernhard Förster appela à l'élimination enAllemagne de la « juiverie ». Il fut arrêté après avoir provoqué une bagarre contre desJuifs. Désespérant finalement de l'Allemagne, il partit avec Elisabeth fonder une communautéaryenne auParaguay,Nueva Germania. Source :Nietzsche et sa sœur Elisabeth, H.F. Peters.
↑Sur ce point, Mazzino Montinari : « Notons qu’on a fini également par “faire porter la faute” à Elisabeth Förster-Nietzsche pour ce qui concerne tous les abus liés au nom de Nietzsche, en tant que “philosophe du national-socialisme” ; mais c’est une simplification inadmissible et une nouvelle légende. Les Bäumler (mais aussi les Lukács) et tous ceux qui ont maltraité “idéologiquement” Nietzsche, ont fait ceci pour leur propre compte, et n’avaient certainement pas besoin “d’être menés par le bout du nez” par une sœur plus qu’octogénaire. Comprendre la pensée de Nietzsche et l’interpréter sans déformations idéologiques, était possible, même sous l’“empire” de la Förster-Nietzsche à Weimar. »
Michel Onfray (Scénario) / Maximilien Le Roy (Dessin, Couleurs), Nietzsche tome 1 - Se créer liberté, Le Lombard, SIGNE, 2010
Dominique Lacout,Nietzsche l'Intempestif, Le Flâneur des Deux Rives, 2019.
Pierre Girier-Timsit,Nietzsche en schémas, Ellipses, 2024
Marc Sautet,Nietzsche pour débutants, La Découverte, 1986.
Marc Sautet,Nietzsche et La Commune, Sycomore, 1981.
Arno Münster,Nietzsche et le nazisme, éditions Kimé, Paris, 1995.
Arno Münster,Nietzsche et Stirner, éditions Kimé, Paris, 1997.
Paolo D'Iorio,Le voyage de Nietzsche à Sorrente. Genèse de la philosophie de l'esprit libre, Paris,CNRS Éditions, 2012
Stefan Zweig,Le Combat avec le démon : Kleist, Hölderlin, Nietzsche, éditions Stock, traduction de l'allemand parAlzir Hella, Paris, 1948. (Der Kampf mit dem Dämon : Hölderlin, Heinrich von Kleist, Friedrich Nietzsche [Die Baumeister der Welt. Versuch einer Typologie des Geistes,volume 2],1925), tr. fr. 1937.
(de)Bernd Oei(de), 4 Bände:Nietzsche unter französischen Philosophen,Nietzsche unter französischen Literaten,Nietzsche unter deutschen Philosophen,Nietzsche unter deutschen Literaten, Dt. Wiss.-Verlag, Baden-Baden 2008.