Franz Liszt grandit dans un milieu familial plutôt mélomane. De 1804 à 1809, son père,Adam Liszt, sert comme deuxième violoncelle dans l'orchestre Esterházy. Chargé à partir de 1809 de l'administration du cheptel ovin deRaiding, Adam Liszt organise des soirées musicales avec quelques interprètes locaux.
De santé fragile, Franz Liszt manque à plusieurs reprises de succomber à des fièvres. À six ans, il chante de mémoire le thème duConcerto en ut dièse mineur deRies que son père a joué quelques heures plus tôt. Adam Liszt décide de lui enseigner le piano. En moins de deux ans, Liszt aborde l'essentiel de l'œuvre deJohann Sebastian Bach,Wolfgang Amadeus Mozart etLudwig van Beethoven. Conscient de ces progrès, Adam Liszt souhaite faire de son fils unenfant prodige, sur le modèle du jeune Mozart. Grâce au soutien financier de quelques nobles hongrois, la famille Liszt s'installe àVienne en 1822. Franz Liszt suit les cours de piano deCarl Czerny et les cours de composition d'Antonio Salieri. Ainsi préparé, il donne son premier concert public à laLandständischer Saal le. Organisé quelques mois plus tard, le concert de laRedoutensaal a inspiré une légende biographique populaire : Beethoven serait venu l'embrasser sur scène. En réalité, Beethoven n'a pas assisté à ce concert. Il semblerait néanmoins qu'il ait écouté Liszt chez Czerny et l'ait chaleureusement félicité pour la qualité de son jeu.
Devenu un pianiste reconnu, Liszt entreprend une tournée européenne en 1823. Elle est interrompue par un long séjour àParis. Échouant à intégrer l'École royale de musique et de déclamation du fait de son statut d'étranger, Liszt multiplie les concerts privés et publics. Le 7 mars 1824, il joue auThéâtre-Italien. Son interprétation séduit la presse parisienne. Il est désormais couramment connu sous le sobriquet depetit Litz. Liszt étudie parallèlement la composition avecAntoine Reicha etFerdinando Paër. Il écrit un opéra,Don Sanche ou le château d’amour, qui ne connaît qu'un succès mitigé. Il conçoit également une série de douze études, première esquisse des futuresÉtudes d'exécution transcendante.
De 1824 à 1827, Liszt effectue de nombreuses et fructueuses tournées enAngleterre et enFrance. Ainsi vers 1827, grâce au talent de son fils, Adam Liszt dispose-t-il d'un capital de 60 000 francs.
Au cours de l'été 1827, Liszt tombe malade et séjourne àBoulogne-sur-Mer une des villes pionnières de ce qui deviendra lathalassothérapie ; il s'y rétablit.
Au décès de son père disparait la réduction au modèle Mozart.
En 1833 commence sa liaison avec la comtesseMarie d'Agoult (connue sous son nom de plume Daniel Stern, dans son romanNélida notamment) qui lui donne trois enfants :
Blandine[2] (1835-1862), qui épousera en 1857Émile Ollivier, avocat et homme politique français. Ils auront un fils, Daniel ;
En 1836, Liszt entreprend une tournée à travers l'Europe (Suisse,Italie,Russie, etc.) et donne des concerts dans toutes les grandes villes. Outre ses propres œuvres — sesRhapsodies datent de cette époque — il joue des œuvres de Chopin et de la musique allemande. Il est adulé : on lui demande la permission de baiser ses doigts à la fin de ses concerts, on récolte le fond de ses tasses dans des fioles. Ce phénomène restera célèbre sous le nom de « lisztomanie ».
Comme en témoignent notamment ses correspondances, Liszt est un grand séducteur et connaît de nombreuses et célèbres femmes avant d'embrasser la carrière religieuse.
Après s'être séparé deMarie d'Agoult en 1844, il rencontre àKiev en 1847 la princesseCarolyne de Sayn-Wittgenstein qui lui conseille d'interrompre ses tournées de concert pour se consacrer à lacomposition. C'est en 1848 qu'il s'installe àWeimar en tant quemaître de chapelle où le grand-ducCharles-Alexandre l'avait nommé en 1842. C'est en 1850 que paraissent les deux ouvrages très personnels du compositeur aux éditions Leipzig, le compositeur s'adonnant par ailleurs à l'écriture, pour rendre hommage à son très regretté amiFrédéric Chopin ainsi qu'à la musique tzigane. Sa relation sentimentale avec la princesse, en qualité de correctrice sur certains détails de forme, fournit deux témoignages de très bonne facture sur son époque et ses inspirations d'artiste. Débute alors une nouvelle période pendant laquelle il compose sespoèmes symphoniques, avec l'aide de son secrétaire particulierJoseph Joachim Raff et d'un matériel unique : lepiano-melodium. Il se consacre également à la direction des œuvres de ses contemporains. Autour de lui se rassemblent de nombreux élèves — parmi lesquelsHans von Bülow, qui deviendra son gendre — auxquels il fait découvrirBerlioz,Wagner,Saint-Saëns. Toutefois, son talent et ses idées novatrices n'étant pas du goût de tout le monde, les conservateurs ne manquent pas de lui mener la vie dure, ce qui le conduit à démissionner de son poste le[5]. Jusqu'à cette date, Weimar est grâce à lui un centre exceptionnel de création et d'innovation.
Après avoir tenté sans succès d'obtenir auprès dupape la nullité de son mariage religieux, Carolyne se sépare de Liszt, qui reçoit lesordres mineurs en 1865. Il profite de son séjour àRome pour découvrir lamusique religieuse de laRenaissance.
Liszt se retire àRome en1861, et après avoir déjà rejoint leTiers-Ordre franciscain[6] en juin 1857, il reçoit en 1865 latonsure et les quatre ordres mineurs de l'Église catholique, lui donnant en France le qualificatif d'abbé. Il retourne à Pest où il doit diriger la création de son premier oratorio,Die Legende von der heiligen Elisabeth. Il se fait confectionner au couvent de Pest un habit franciscain dont il souhaite être revêtu au tombeau[7]. Sa mère,Anna, meurt le.
À partir de 1869 et jusqu'à sa mort, l'abbé Liszt partage son temps entre trois capitales :Budapest, Rome etWeimarqui correspondent à trois tendances : sa sentimentalitéhongroise, son mysticisme religieux et sa musique d'influence allemande[Selon qui ?]. À Budapest, pendant trois mois en hiver (source : Musée et Académie Ferenc Liszt, Budapest), il continue à recevoir des élèves gratuitement, y comprisAlexander Siloti. Il met alors de côté son activité de virtuose pour se consacrer essentiellement à lacomposition et à l'enseignement, notamment à l'Académie royale de musique de Budapest dont il est l'un des fondateurs en 1875 (et qui sera d'ailleurs rebaptisée plus tard« Académie de musique Franz-Liszt »).
Le dimanche, Liszt, à bout de forces, assiste à la représentation d'unopéra de son gendreRichard Wagner :Tristan und Isolde. Le lendemain, il est au plus mal et se voit privé par les médecins de soncognac quotidien. Le vendredi, les tremblements et le délire le frappent : il a pour ce jour la superstition des Italiens, or l'année 1886 commence un vendredi et son anniversaire tombe cette année-là un vendredi. Le samedi, vers deux heures du matin, après un sommeil anormalement agité, le compositeur hongrois se lève en hurlant, renverse son domestique accourant pour le recoucher, puis s'effondre[8]. Malgré les soins apportés par les docteurs Fleischer et Landgraf, qui restent à son chevet jusqu'au soir, Liszt passe la journée du 31 dans une quasi-inconscience et s'éteint à23 h des suites d'unepneumonie[9].
Il est enterré le 3 août 1886 à Bayreuth. Par de nombreuses tractations,Cosima Wagner parvient à s'assurer que la dépouille de son père, avant tout considéré comme le beau-père de Wagner, soit inhumée à Bayreuth dans l'ombre de ce dernier[10]. Le choix de ce lieu d'inhumation donna lieu à de nombreuses contestations et demandes de rapatriement, notamment à Weimar et Budapest[11].
Remis sur pied par larévolution de 1830, Franz Liszt connaît des aventures éphémères avec la comtesse Platen, muse deFrédéric Chopin, ainsi qu'avec la comtesse Adèle de La Prunarède. Puis, il rencontre en 1832Marie d'Agoult, née de Flavigny, dans le salon de la marquise de La Mothe Le Vayer. Il laisse tout de suite à celle-ci, pourtant froide d'apparence, une vive impression :« Madame de La Mothe Le Vayer parlait encore que la porte s'ouvrait et qu'une apparition étrange s'offrait à mes yeux. Je dis apparition, faute d'un autre mot pour rendre la sensation extraordinaire que me causa, tout d'abord, la personne la plus extraordinaire que j'eusse jamais vue »[16]. Leurs relations au cours de l'année qui va suivre sont difficiles, faites de ruptures et de réconciliations. La mort de la fille de Marie et du comte d'Agoult, Louise, met fin à ces tergiversations. En effet, lorsque Liszt, de retour de la Chênaie, vient la réconforter, Marie lui demande :« Qu'aviez-vous à me dire et qu'allez vous m'apprendre ? Vous partez ? », et Liszt de répondre :« Nous partons »[16]. Le couple s'enfuit alors enSuisse, où tous deux connaîtront deux mois de bonheur :« Personne ne savait notre nom. […] Presque partout à nous voir si semblables. […] On nous prenait pour frère et sœur ; nous en étions tout ravis. Une telle erreur ne témoignait-elle pas, mieux que tout le reste, des affinités secrètes qui nous avaient si fortement attirés l'un à l'autre ? »[16]. Mais Liszt commet ensuite une double erreur : faire venir son jeune protégéHermann Cohen, qui viole leur intimité, puis accepter, à la suite de l'insistance de son ami Pierre Wolloff, un concert àGenève, d'autant que la société genevoise est plutôt médisante à l'égard de Marie. En témoigne le journal de Valérie Boissier :« C'est une femme de 30 ans au moins, une blonde fade ! »[17]. Entre-temps, une fille, Blandine, est née, mais Liszt rêve d'aller àParis pour en découdre avec la nouvelle étoile montante,Sigismund Thalberg. Il y part pour trois jours, mais rentrera deux mois plus tard, le. À son retour, l'atmosphère genevoise commençant à devenir pesante, Marie et lui décident d'aller rejoindreGeorge Sand àChamonix. L'année suivante, Liszt retourne à Paris pour le duel final avec Thalberg tandis que Marie s'installe chez George Sand àNohant. Désireux de relancer leur couple, Liszt et Marie font une nouvelle échappée amoureuse enItalie. Le souvenir qu'ils en garderont l'un et l'autre sera assez différent. Pour Liszt :« Lorsque vous écrirez l'histoire de deux amants heureux, placez-les sur les bords du lac de Côme »[18] ; alors que Marie est plus circonspecte :« Je m'étonne quelquefois de le voir si constamment gai, si heureux dans la solitude absolue où nous vivons »[16].
Lentement, la situation se dégrade[19], et Liszt saisit l'occasion des inondations dePest de 1838 pour faire une série de concerts bénéfices dans l'empire autrichien. Alerté par un de ses amis sur la santé de Marie qui s'est dégradée, il abrège son séjour et rentre àVenise. Finalement la séparationde facto a lieu en octobre 1839 : Liszt part pourVienne, tandis que Marie regagne Paris. Leur troisième enfant, Daniel, est encore tout jeune. Désormais, leur union n'aura plus qu'un caractère formel : Marie le rejoint lors de sa tournée àLondres, et tous deux, pendant trois ans, passent leurs vacances àNonnenwerth. La parution en 1846 deNélida, roman à clé où Marie peint, sous le pseudonyme de Daniel Stern, un bilan négatif de son union avec Liszt, est prétexte pour celui-ci à la rupture définitive. Le roman d'amour entre Liszt et Marie d'Agoult suscitera des jugements contrastés. Des lisztiens commeZsolt Harsányi imputent tous les torts à Marie d'Agoult, qui, il est vrai, prêtait le flanc à la critique en écrivant dansNélida :« Il [Liszt] sentit la supériorité morale que Nélida [Marie] prenait sur lui en cette circonstance. Cette supériorité devint chaque jour plus évidente, et aussi plus insupportable »[20].
Selon Sabine Cantacuzène, le couple aurait eu un quatrième enfant,Charles d'Avila (qui n'a jamais ni confirmé, ni nié ce fait)[21]. Selon Georges Brătescu[22], il n'y aurait pas de raison pour Liszt de ne pas reconnaître un dernier fils, même si son couple battait de l'aile ; il est plus probable que d'Avila, en supposant que sa mère soit Marie d'Agoult, soit né de la liaison de celle-ci avecLouis Tribert, riche propriétaire deChampdeniers[23].
Au début de l'année 1847, Liszt part pourKiev où il organise un concert caritatif au bénéfice des salles d'asiles. Le prix des places est fixé à cinq roubles. Or une mystérieuse bienfaitrice en offre cent roubles. Intrigué, Liszt apprend qu'il s'agit de laprincesse de Sayn-Wittgenstein, qui, vivant seule enPodolie, est venue à Kiev régler diverses affaires, et lui rend visite à Woronice (aujourd'huiVoronivtsi) en octobre après une série de concerts enRussie. Des liens forts, platoniques et artistiques, se mettent en place entre eux au cours de ce séjour : Liszt composeGlanes de Woronince qu'il dédie à sa nouvelle muse, tandis que Carolyne aurait pressenti, selon une légende non entièrement accréditée, que celui-ci serait le plus grand compositeur de son temps, en écoutant sonPater noster. Carolyne, vivant séparée de son mari, pense pouvoir obtenir aisément le divorce pour l'épouser. Ayant accepté les fonctions de maître de chapelle àWeimar, Liszt se rend début janvier dans la principauté où Carolyne doit le rejoindre, tandis que lesrévolutions font rage en Europe. Afin d'éviter les troubles enPologne, le tsar décrète la fermeture de la frontière : Carolyne et sa fille,Marie, passentin extremis. Par souci des convenances, Liszt s'installe à l'hôtel Erbprinz, et Carolyne au palais de l'Altenburg.
En 1849, tous deux se rendent àBad Eilsen où ils rédigent les principaux ouvrages de Liszt surChopin et la musique tzigane. Puis Liszt, las d'attendre un divorce qui ne vient pas, en dépit de l'influence de la grande-duchesse de Weimar sur le tsar, décide de s'installer avec Carolyne à l'Altenburg. Les conséquences ne s'en font pas attendre : la société conservatrice de Weimar puis la cour grande-ducale ferment leurs portes à la princesse. De la sorte, leur existence devient très précaire :« Nous étions réduits aux dix doigts de Liszt[réf. nécessaire]. » En 1854, Carolyne est bannie de Russie, et tous ses biens sont saisis. Dès lors, elle va accompagner le quotidien de Liszt pendant la décennie qui va suivre, exception faite de séjours de la princesse et de sa fille àParis en août 1855 pendant que Liszt reçoit ses trois enfants, et àZurich, chezWagner, en octobre 1856. Tandis que Liszt quitte Weimar dès 1858, date à laquelle il démissionne de ses fonctions de maître de chapelle, voyageant les deux années suivantes à travers les empireshabsbourgeois et français, la princesse ne part du grand-duché pourRome, afin de plaider pour son divorce, qu'en 1860. À la suite d'avancées encourageantes, Liszt la rejoint là-bas le. Dans la nuit du 21 au 22, un émissaire papal vient les avertir qu'à cause d'un revirement de dernière minute, leur union ne pourrait avoir lieu.
Prenant acte de cet échec, et quoique le décès du prince de Sayn-Wittgenstein en 1864 rende maintenant l'union possible, Liszt décide de se vouer à la prêtrise (il reçoit la tonsure et les ordres mineurs en 1865 et ne sera jamais prêtre), tandis que Carolyne se consacre à sa grande œuvre théologique en vingt-cinq volumes,Les Causes intérieures de la faiblesse extérieure de l'Église, bientôt mis à l'Index pour son manque d'orthodoxie. Tous deux conservent cependant des liens d'amitié forts. Dès 1863, Liszt fait pourtant la connaissance de la baronne Olga von Meyendorff ; leur liaison sera surtout platonique. En 1869, Liszt croiseOlga Janina (née en 1845), jeune comtesse, prétendument cosaque, qui s'était mise en tête de devenir sa maîtresse. Elle y parvient en s'introduisant (contre la consigne) dans lavilla d'Este àTivoli déguisée en homme, les bras chargés de fleurs pour retrouver son professeur adoré, qui avait fui la tentation provoquée par la brûlante élève. Liszt, las de ses excentricités, met un terme à leur relation. De retour d'un voyage en Amérique, elle pénètre dans la maison de l'abbé Liszt munie d'un revolver et de plusieurs flacons de poison : qu'elle ait voulu l'assassiner par dépit, ou bien, trop marquée parTristan et Isolde, qu'elle croie à la transfiguration de l'amour par la mort, toujours est-il qu'elle n'y parvient pas. De rage, elle aurait publié un pamphlet anti-Liszt,Les souvenirs d'une cosaque[24], sous le pseudonyme de Robert Franz, suivi bientôt de quatre autres[25]. Liszt revient alors à une vie sentimentale plus calme, notamment auprès de la baronne Olga von Meyendorff qui sera sa compagne quasiment jusqu'à la fin. Quasiment, car en 1879 Liszt fait la connaissance de Lina Schmalhausen, jeune femme qui éprouve une forte passion pour le septuagénaire. Cependant, l'entourage de Liszt et en particulierCosima cherchent à éviter que tous deux se voient trop, afin de ne pas trop le fatiguer. À la mort de Liszt, Lina héritera, de la main de Cosima, du livre de prière de ce dernier.
Liszt était sujet de l'empire d'Autriche, né àRaiding, dans une région à majorité germanophone ducomitat de Sopron enHongrie autrichienne, région qui forme de nos jours leBurgenland autrichien. Du côté paternel, son grand-père, Georg, était un Autrichien du nom de List, qui avait magyarisé son patronyme en Liszt ; et du côté maternel,Anna Liszt était uneAllemande de Bohême née Maria-Anna Lager le àKrems an der Donau en Autriche. Liszt ne parlait qu'imparfaitement lehongrois[26], mais n'a jamais cessé d'affirmer son attachement de cœur à la Hongrie :« Il n'y a rien qui puisse m'empêcher, en dépit de ma lamentable ignorance quant au langage hongrois, à m'affirmer depuis toujours magyar par le cœur et l'esprit[27]. » De ce fait, ses origines ont fait l'objet de multiples interprétations, parfois fantaisistes : on en a fait un Italien, un Slovaque[28], voire un Français[29]. Connaissant l'impact qu'a eu sur lui la culture germanique (notammentFaust), il semble aisé d'en faire un Allemand de Hongrie.
Deux explications ont été avancées pour expliquer que Liszt se réclame d'une nation dont il ne possède ni la langue ni les origines. La première, c'est qu'auXIXe siècle, les entités nationales sont encore floues, tandis qu'au sein de l'élite se maintient unidéal multiculturel et européen hérité duXVIIIe siècle[30], d'où les multiples influences culturelles sur la musique lisztienne (allemandes,françaises,italiennes,roumaines,slaves,tziganes), le fait qu'il se sente partout chez lui (enSuisse, à Paris, àRome, àWeimar, à Budapest, àVienne…), ainsi qu'une double descendance française (via Blandine, qui a épousé le premier ministre républicain deNapoléon III,Émile Ollivier) et allemande (viaCosima Wagner). La deuxième explication, avancée par Coby Lubliner, serait qu'Adam Liszt se serait inventé une nationalité hongroise afin que desaristocrates hongrois (comme lafamille Esterházy) lancent, par fierté nationale, la carrière de son fils, invention que Liszt aurait fini par croire :« Adam Liszt avait également une seconde raison pour réclamer une identité hongroise pour son fils et lui-même : c'était une manière de reconnaître sa dette à l'égard des nobles hongrois, qui avaient patronné la carrière de Franz depuis son premier concert à Pressburg »[31]. De fait, selon celui-ci, la nationalité réelle de Liszt ne serait ni hongroise, ni allemande, ni française, mais autrichienne, voire austro-hongroise avant la lettre.
L'engagement de Liszt prend naissance avec larévolution de juillet, un peu sous la forme d'un remède à la crise mystique qui couvait depuis 1828. Sous le coup de l'événement, lepianistehongrois conçoit uneSymphonie révolutionnaire qui deviendra plus tard l'Héroïde funèbre. Liszt s'attache d'autre part àÉmile Barrault, professeur de rhétorique qui va lui ouvrir les cerclessaint-simoniens. Il va ainsi notamment faire la connaissance deLamartine, deLamennais et deLa Fayette. Plus queSaint-Simon, c'est Lamennais qui laisse sur lui une trace durable : Liszt le connaît personnellement et devient son disciple jusqu'à la fin de ses jours. Toutes ces influences théoriques vont se traduire à la fois en écrits (De la situation des artistes et de leur condition dans la société, dans laGazette musicale de Paris du 3 et du) en musique (transcription deLa Marseillaise, pièceLyon sur larévolte des canuts intégrée à l'Album d'un voyageur) et en actes (concerts caritatifs). Avec le temps et des femmes, et sous le double impact de son travail decompositeur et d'interprète, cet engagement va progressivement disparaître. Ainsi, en1848, loin de devenir le chef de laHongrie révoltée comme le prêtait la rumeur, Liszt s'installe àWeimar tout en soutenant de loin ses compatriotes (composition deFunérailles). Si le Liszt de la maturité n'a plus la fougue de la jeunesse, celui de la vieillesse va abandonner tout engagement social pour se consacrer aux affaires religieuses.
La première crise mystique qui affecte Liszt date de 1827 et est le résultat de deux causes : la rupture de la liaison amoureuse avec son élève,Caroline de Saint-Cricq, provoquée par le père de celle-ci ; d'autre part l'exigence et l'autorité paternelles, par trop écrasantes. Le jeune Franz voudrait entrer dans les ordres, mais son père s'y oppose. La mort de ce dernier rendrait possible l'entreprise, mais l'intervention de sa mère y met fin, comme le montre une lettre datant de 1879 àCarolyne de Sayn-Wittgenstein :« Je suivais seulement en simplicité et droiture de cœur, l'ancien penchantcatholique de ma jeunesse. S'il n'avait été contrarié dans sa première ferveur par ma très bonne mère et mon confesseur, l'abbé Bardin, il m'eût conduit au séminaire en 1830 et plus tard à la prêtrise […] et l'abbé Bardin, assez amateur de musique, tint peut-être trop compte de ma petite célébrité précoce, en me conseillant de servir Dieu et l'Église dans ma profession d'artiste[32]. » Suivant à la lettre le conseil de l'abbé Bardin, le jeune Liszt va tenter d'unir sa profession musicale et son mysticisme :« Nous crions sans relâche qu'une grande œuvre, qu'une grande mission religieuse et sociale est imposée aux artistes »[33]. L'adultère commis avecMarie d'Agoult met fin à cette tentative.
Sa relation tumultueuse avec Marie d'Agoult, sa carrière de virtuose et son travail d'administrateur àWeimar font qu'il ne retrouve le zèle religieux de sa jeunesse qu'à partir de 1860. Il écrit à Carolyne de Sayn-Wittgenstein en 1877 :« Après m'être douloureusement privé pendant trente années, de 1830 à 1860, du sacrement de pénitence, c'est avec une pleine conviction qu'en y recourant de nouveau j'ai pu dire à mon confesseur, notre curé Hohmann de Weimar :« Ma vie n'a été qu'un long égarement du sentiment de l'amour ». J'ajoute : singulièrement mené par la musique — l'art divin et satanique à la fois — plus que tous les autres il nous induit en tentation. » Dès lors, Liszt, comprenant, ou croyant comprendre qu'il avait fait fausse route jusque-là, se réfugie àRome où il se fera membre duTiers-Ordre franciscain. Il se met au service de la hiérarchie catholique en composant des œuvres très mal perçues :La Messe de Gran, Sainte Élisabeth,Christus. Liszt tente à l'époque, sans succès, de révolutionner la musique religieuse. À la fin de sa vie, il poursuit encore cet idéal tout en recourant à des audaces techniques de plus en plus marquées telles que dansVia Crucis. Néanmoins, il compose aussi des œuvres profanes, comme les dernièresMéphisto-valses etEn rêve — nocturne.
Toutes les sources s'accordent pour faire de Liszt un des plus grandspianistes de son temps[34]. Cependant, il n'existe aucun enregistrement pour pouvoir en juger[35].
Néanmoins, plusieurs indications permettent de se faire une idée de ses capacités de virtuose. D'abord sur le plan purementtechnique, Liszt possède une main d'une taille peu commune qui lui permet d'atteindre ladouzième. Son professeur,Czerny, était, et demeure, le maître incontesté pour ce qui est de la vélocité et de l'agilité pianistique. C'est sur le plan intellectuel que la supériorité de Liszt est la plus visible. Il exécute ainsi quantité de prouesses telles que l'interprétation d'œuvres non encore déchiffrées (unesonate deMoscheles à dix ans, leconcerto pour piano de Grieg à soixante), ou l'improvisation sur des thèmes donnés par le public (concert de 1847 àKiev). Ensuite, nombre de ses œuvres requièrent de grandes facultés intellectuelles pour pouvoir être jouées correctement. En témoigne ce commentaire sur lestranscriptions de Schubert :« Dans ces lieder la difficulté n'est pas seulement digitale. Elle est aussi intellectuelle. Le chant, situé dans la partie médiane […] passe constamment d'une main à l'autre, et contraint le pianiste à une gymnastique mentale assez éprouvante, et dont sont incapables, plus simplement, la grande majorité des interprètes actuels »[36].
Une matinée chez Liszt à Paris en 1840, avec Liszt jouant devant un buste de Beethoven et entouré par Dumas père, Hugo, Paganini, Rossini, Sand et Marie d'Agoult (de dos, assise sur le plancher). Peinture deJosef Danhauser, commande dufacteur de pianosConrad Graf.Alte Nationalgalerie deBerlin.
Liszt a commencé la transmission de son art du piano dès la fin de sa dix-septième année dans le courant du mois de. Il occupait alors un appartement modeste de Paris auno 7 de larue de Montholon[38]. Cette période est celle qui a vu naître la première passion amoureuse de Liszt, pour une de ses élèves,Caroline de Saint-Cricq. Si l'activité de professeur du musicien bat son plein pendant cette période de bonheur, la séparation des deux amants plonge Franz dans un désespoir profond qui affecte son professorat. Après un arrêt total des leçons et une reprise douloureuse pour s'arracher à la pauvreté, le jeune homme enseignera le piano sans enthousiasme ; les lectures exprimant sa triste instruction coupent pendant des heures les périodes d'enseignement du piano. La guérison de ce mal lors de larévolution de 1830 relance le musicien dans toutes les activités relevant de son art.
Transmission de la vénération pour les grands de l'art
Après avoir assisté au concert dePaganini le, Liszt exprime l'idée ferme qu'il se forme, à ce stade de sa vie, concernant la musique :« Un moi monstrueux ne saurait être qu'un dieu solitaire et triste ». Liszt cherche alors inlassablement à faire parler son âme au piano et c'est ce qu'il enseigne à ses élèves.
Liszt écrit à cette époque à l'un de ses premiers élèves, Pierre Wolf :
« Mon esprit et mes doigts travaillent comme deux damnés ;Homère, laBible,Platon,Locke,Byron,Hugo,Lamartine,Chateaubriand,Beethoven,Bach,Hummel,Mozart,Weber, sont tous à l'entour de moi. Je les étudie, les médite, les dévore avec fureur ; de plus, je travaille quatre à cinq heures d'exercices (tierces, sixtes, octaves, trémolos, notes répétées, cadences, etc.). Ah ! pourvu que je ne devienne pas fou, tu retrouveras un artiste en moi. Oui, un artiste tel que tu les demandes, tel qu'il en faut aujourd'hui. « Et moi aussi je suis peintre », s'écriaMichel Ange la première fois qu'il vit un chef-d'œuvre… Quoique petit et pauvre, ton ami ne cesse de répéter les paroles du grand homme depuis le dernier concert dePaganini[39]. »
Liszt faisait étudier lesfugues de Bach à ses élèves, notamment à Valérie Boissier, qui venait accompagnée de sa mère Caroline. Celle-ci, grâce aux notes prises pendant les leçons, fournit un témoignage précieux sur les cours de piano que donnait Franz Liszt au début des années 1830. L'ensemble de ces écrits révèle, par l'attitude du professeur ainsi décrite, de nouveaux aspects de la personnalité du musicien. Tout d'abord, comme pour lui-même, il s'attache à l'expression de l'âme dans le jeu de ses élèves. Ainsi, les notes deMme Boissier mère décrivent par exemple Liszt lisant l'ode de Hugo à son élève avant de lui faire jouer une étude deMoscheles : il voulait lui faire comprendre par ce moyen l'esprit du morceau pour lequel il trouvait de l'analogie avec la poésie.
À l'éloignement de Paris avecMarie d'Agoult pourGenève est associé un déclin de l'intérêt de Franz pour l'enseignement du piano. Ses journées se succèdent de la façon suivante : deux pour le piano et une pour les travaux littéraires ; et le grand intérêt qu'il porte aux controverses, idées et autres soirées sur les thèmes de laphilosophie et de lareligion ont éloigné le musicien du rôle de professeur.
À partir de 1836, un double changement se produit dans la vie de professeur du jeune Liszt. D'une part, fort de sa générosité et de son implication dans l'accès et la reconnaissance de la musique, Liszt offre spontanément au tout jeuneconservatoire de Genève un cours de piano gratuit. D'autre part, pour s'assurer un revenu, le musicien reprend le vieux système des leçons particulières.
Un livre de classe tenu par Franz Liszt montre qu'il avait un sens de l'humour certain :
« 2 - Amélie Calame : jolis doigts, le travail est assidu et très soigné, presque trop. Capable d'enseigner » ;
« 5 - Marie Demellyer : méthode vicieuse (si méthode il y a), zèle extrême, dispositions médiocres. Grimaces, contorsions. Gloire à Dieu dans le ciel et paix aux hommes de bonne volonté » ;
« 8 - Julie Raffard : sentiment musical très remarquable. Très petites mains. Exécution brillante » ;
« 12 - Ida Milliquet : artiste genevoise ; flasque et médiocre. Assez bonne tenue au piano » ;
La période de retraite chezGeorge Sand et celle des tournées dans toute l'Europe qui suivit ne fut pas propice au professorat de Liszt. À son apogée, sa carrière de virtuose nécessitait de jouer ce rôle à plein temps et l'éloignait de tout souci d'argent. Pendant la première période« weimarienne » (1848-1860), le Maître de chapelle en service extraordinaire n'a pas non plus nécessité de donner des cours depiano. Ses journées sont malgré tout encore tournées vers le don de sa personne : lacomposition et la préparation des concerts.
Liszt n'assure pas lui-même l'enseignement pianistique des filles qu'il a eues avecMarie d'Agoult. Lorsque le compositeur se rapproche de ses filles à Paris il les trouve« plus avancées qu'il n'en pensait, bien qu'un peu rêvassières ». Il confie à son disciple et amiHans von Bülow de poursuivre leur enseignement du piano selon les idées qu'il prône. La correspondance laissée entre les deux hommes montre d'une part l'intérêt du père pour l'instruction de ses filles (il réclame des nouvelles des demoiselles Liszt dans ses courriers) et d'autre part l'utilisation par le professeur de la méthode de Liszt. En effet, les jeunes filles travaillent surtout les grands maîtres (Jean-Sébastien Bach etBeethoven essentiellement) mais aussi des arrangements à quatre mains (vraisemblablement de Liszt) d'œuvres instrumentales. Comme le remarquait Bülow dans sa correspondance avec Liszt à propos des œuvres instrumentales jouées à quatre mains :« Je leur en fais l'analyse et je mets plutôt trop de pédantisme que trop peu dans la surveillance de leurs études ».
Pendant toute cette période et surtout à sa fin (en décembre 1858), le cercle des élèves (et amis) du musicien comprend nombre d'interprètes qui deviendront marquants. Ainsi, ce cercle est surtout formé deRubinstein, Klindworth, Cornélius, Bronsart etTausig.
Les années suivantes puis celles àMonte Mario ne furent pas propices à l'enseignement. Ses différentes retraites et son rapprochement de plus en plus poussé vers l'Église dans la deuxième moitié des années 1860 montrent que le musicien s'occupe de moins en moins de sa célébrité.
À partir de 1869, Liszt, dépouillé de toutes les futilités de la vie, vit dans une petite maison de maître-jardinier où il donne de nombreux cours de piano. Moins concentré sur sa carrière que sur la piété de son existence, le musicien consacre tous ses après-midi à l'enseignement du piano, en général à plusieurs élèves rassemblés, quelquefois à tous en même temps (il eut dès la première saison plus d'une vingtaine d'élèves), s'amusant des maladresses des uns et luttant contre la propreté « conservatoire » des autres ; l'homme est aussi craint qu'admiré.
L'abbé Liszt donne toutes ses leçons gratuitement et s'intéresse à la progression de tous ses élèves (de nombreuses correspondances en témoignent). Comme il est toujours adoré des femmes, cette attention égalitaire entre les élèves a parfois déclenché les jalousies. Le sexagénaire rend encore ses élèves amoureuses comme en témoigne l'histoire de lacomtesse Janina qui s'est éprise follement de lui.
La vieillesse de Liszt à lavilla d'Este,Budapest puisWeimar, dans sa pauvreté joyeuse, est marquée par le vol d'élèves indignes profitant de l'âge et de l'insouciance du musicien. Sa méthode musicale d'alors est décrite par une lettre de Borodine :« Liszt ne donne jamais de morceaux à étudier, il laisse à ses élèves la liberté du choix. Cependant ils lui demandent généralement conseil, pour éviter d'être arrêtés aux premières notes par une observation […] Il donne peu d'attention à latechnique, au doigté, mais il s'occupe surtout du rendu, de l'expression »[42]. Il arrêtera très tard son activité de professeur (lorsque son état de santé ne la permettra plus dans les derniers mois de sa vie), comme il n'arrêtera jamais de vivre pour la musique.
C'est en pleine tourmenterévolutionnaire, alors que courent de nombreuses rumeurs, dont se fait écho laRevue et gazette musicale de Paris, que Liszt accepte le poste de maître de chapelle àWeimar. Il est rejoint quelques mois après (en juin 1848) par Carolyne qui tente alors d'obtenir le divorce. Dès son installation, son activité commence par la création le 11 novembre de l'ouverture duTannhäuser deRichard Wagner puis celle de l'opéra entier le. En août, il organise une célébration en l'honneur du centenaire de Gœthe où il crée des pièces composées pour l'occasion (Le Prométhée) ainsi que leLohengrin de Wagner. Peu à peu, sa vie s'organise avec l'engagement deJoachim Raff comme secrétaire musical, puis l'installation à l'Altenburg, entrecoupée de séjours à Bad Eilsen (fin 1849, Liszt y écrit, en collaboration avec Carolyne,Des bohémiens et de leur musique enHongrie), la participation à de nombreux organismes musicaux (laNeu Weimar Verein dont il est président), et enfin l'organisation de nombreux festivals musicaux àKarlsruhe, et àBallenstedt. De nombreux disciples le rejoignent :Hans von Bülow,Cornelius,Carl Tausig.
Rapidement, Liszt devient l'introducteur privilégié de la« musique de l'avenir ». Outre Richard Wagner, il fait beaucoup pourBerlioz avec deux« semaines Berlioz » (en 1852 et en 1854, où lecompositeur français dirige ses propres œuvres en alternance avec Liszt) ainsi que pour ses élèves (création en 1851 duRoi Alfred de Joachim Raff, et en 1857 duBarbier de Bagdad de Cornelius). Par ailleurs, il aide à la redécouverte de chefs-d'œuvre oubliés (création de l'opéra deSchubertAlphonse et Estrella), et crée ses propres œuvres (laSonate en si mineur par Hans von Bülow en 1857 et la plupart despoèmes symphoniques). Cependant, cette activité ne rencontre pas les succès espérés. Tout d'abord, Liszt manque de moyens et doit sans cesse demander au grand-duc des crédits supplémentaires. Or en 1857 le grand-ducCharles-Alexandre engage un nouvel intendant, Franz Dingelstedt, pour qui les priorités financières vont au théâtre, et qui lui voue par ailleurs une profonde jalousie. Ensuite, les réticences envers la« musique de l'avenir » sont de plus en plus marquées .
Déjà en 1849, la grande-duchesse avait dû acheter des billets et les distribuer à quelques-uns de ses amis afin d'éviter queLohengrin ne fût créé au sein d'une salle quasiment vide. Puis les contestations demeurent constantes, et connaissent une expression décisive en 1858 lors d'une cabale lancée à l'encontre duBarbier de Bagdad du protégé de LisztCornelius. En conséquence, Liszt renonce définitivement à ses fonctions dechef d'orchestre. Il y revient encore de manière intermittente à Weimar, mais le manifeste des tenants de la« Tradition » (Brahms, Joachim), publié en 1860, achève de le décourager.
Une étude reste à faire sur l'aide considérable que Berlioz a reçue de Liszt et la correspondance de Berlioz reste insuffisante pour le biographe : elle souffre d'un déséquilibre après que Berlioz a brûlé nombre de lettres reçues, à la suite du décès de son fils en 1867. Outre les transcriptions des œuvres de Berlioz, Liszt est également interprète dans des concerts dirigés par Berlioz qu'il qualifie d'« homme de génie, homme populaire qui cependant restera toujours supérieur à sa popularité ; Berlioz l'artiste nouveau par excellence, le musicien du canon de juillet et de la France ». L'amitié des deux compositeurs est célèbre, elle fut longue, tous les écrits de Liszt et de Berlioz l'attestent, jusqu'à la découverte des opéras de Wagner que Liszt va diriger. Il écrit alors :« Son prénom Hector, ne lui a pas porté bonheur — L'Achille Wagner étant survenu en dominateur du drame musical contemporain »[réf. nécessaire].
La première rencontre avecWagner a lieu en 1840 lorsque celui-ci, jeunecompositeur inconnu et misérable, demande de l'aide à Liszt, qui connaît déjà un succès considérable. Après quelques années d'une relation peu soutenue, la correspondance épistolaire se fait de plus en plus intense. Dans leurs lettres, Wagner réaffirme sans cesse son besoin pressant d'argent. Liszt tente de satisfaire comme il peut les désirs de son protégé, dont il commence à apprécier les œuvres : en 1849, il monteTannhäuser, qui est un succès phénoménal. En 1853, Liszt passe àParis et en profite pour revoir ses enfants et les présenter à Wagner. La fille cadette,Cosima, se mariera plus tard avec le compositeur allemand. Il organise par ailleurs àWeimar unesemaine Wagner à cette même date.
Revenu à Weimar, Liszt continue de diriger les œuvres de Wagner toujours avec le même succès, ce dont Wagner le remercie en ces termes :« Merci, ô mon Christ aimé. Je te considère comme le sauveur lui-même »[43]. La correspondance continue, s'amplifie même au cours des années, jusqu'en 1859 : alors que Wagner ne cesse de demander de l'argent à Liszt, ce dernier ne peut accéder à ses requêtes, car lui-même est en période de vaches maigres. Wagner s'en agace. La même année, surgit un autre sujet de friction : l'influence musicale de Liszt sur Wagner, influence que ce dernier a toujours refusé de reconnaître publiquement. En juin et août, peu après les premières auditions du prélude deTristan et Iseult, le musicologueRichard Pohl a fait paraître un panégyrique dans lequel il attribue directement à Liszt la substance harmonique de l'œuvre. Le, Wagner écrit àBülow :« Il y a nombre de sujets sur lesquels nous sommes tout à fait francs entre nous ; par exemple que je traite l'harmonie de manière tout à fait différente depuis que je me suis familiarisé avec les compositions de Liszt. Mais quand l'ami Pohl le révèle au monde entier, qui plus est en tête d'une notice sur mon prélude, c'est pour moi une indiscrétion ; ou dois-je penser que c'est une indiscrétion autorisée ? »[44]. Ces tensions amènent une rupture éphémère puisque dans la même année Wagner et Liszt renouent le contact.
Les deux compositeurs se brouillent de nouveau quelques années plus tard au sujet de Cosima, la fille de Liszt, alors que Wagner s'intéresse à elle depuis quelques années. Or, la jeune fille est déjà mariée avec Hans von Bülow, ancien élève de Liszt, et a vingt-cinq ans de moins que Wagner ; celui-ci et Cosima s'avouent néanmoins leur amour. En 1870, Liszt décide alors de couper les ponts avec le couple.
Wagner tente de regagner, sous un flot d'éloges épistolaires, l'estime de« son Christ », à la suite de quoi la correspondance reprend. Liszt pardonne aussi à sa fille. L'inauguration dupalais des festivals de Bayreuth par Wagner est l'occasion de démonstrations réciproques d'amitié. Liszt assiste en 1882 à la première représentation deParsifal, qui suscite chez lui un enthousiasme des plus puissants :« Mon point de vue reste fixe : l'admiration absolue, excessive si l'on veut », répond-il à laprincesse de Sayn-Wittgenstein, sa compagne en titre. Mais en 1883, Liszt apprend la mort de Wagner. Sa seule réaction est« Pourquoi pas ? », puis, quelques minutes après,« Lui aujourd'hui, moi demain »[45]. Liszt meurt trois ans plus tard.
Comme souvent dans la vie de Liszt, sa relation avec Verdi est à sens unique. Il rencontre l'art deVerdi assez tôt et entreprend une premièretranscription deErnani dès 1847, alors que lecompositeur italien n'avait pas encore produit de chefs-d'œuvre impérissables. Puis Liszt, très engagé àWeimar, n'a pas le temps d'approfondir cette relation. Une commande de 1859 pour une transcription deRigoletto et duTrovatore va lui en donner l'occasion. S'ensuit une transcription deDon Carlos (1867), puis une d'Aïda (1877) (en multipliant les dissonances dans cette dernière œuvre, il tente d'intégrer Verdi à l'avant-garde musicale, ce qui n'était plus vraiment le cas). Enfin, fortement impressionné par la représentation de la seconde version deSimon Boccanegra, il en donne une de ses ultimes transcriptions, très épurée, en 1881.
En revanche, Verdi ne montre guère d'intérêt envers Liszt, ne voyant en lui que le wagnérien partisan de la« musique de l'avenir ».
Liszt et Chopin, assez semblables par leur parcours de musiciens originaires d'Europe centrale et émigrés en France, nourrissent des relations ambiguës, un temps conflictuelles. Franz Liszt se lie avecFrédéric Chopin dans le contexte du milieu artistique etbohème du début des années 1830. Leur admiration réciproque de musiciens atteint très rapidement les plus hauts degrés. Par exemple, Liszt portait un amour certain pour les Études du Polonais, lui-même admiratif de la façon de les rendre de Liszt (il déclarait vouloir lui voler sa manière de les rendre), et décidant de les lui dédier ; par ailleurs, il y a dans l'appartement parisien de Chopin, peu meublé, une petite table près dupiano sur laquelle est seul posé le portrait de Franz Liszt.
Dans le cercle assez restreint des fréquentations de Chopin, la génération romantique parisienne de 1830 concernant tous les arts se retrouve.Henri Heine, Hiller,George Sand,Eugène Delacroix,Giacomo Meyerbeer ou le poèteAdam Mickiewicz sont les amis communs des deux musiciens. Franz est de ceux qui se seront permis d'appeler « Chopino » ou encore « Chopinissimo » le plus grandpianiste français duXIXe siècle.
Cependant, ils se brouilleront bien vite pour des raisons d'ordre privé (Liszt utilise l'appartement de Chopin en l'absence de celui-ci pour ses rencontres amoureuses) et artistiques, la critique et le public voyant en eux les représentants de deux écoles antagonistes : Liszt celle de la virtuosité transcendantale, et Chopin celle de« la plus exquise sensibilité »[46]. Par la suite, à cette double rivalité se greffe celle de George Sand et deMarie d'Agoult.
La maladie puis la mort de Chopin effacent toutes ces rancœurs : outre ses publications à laGazette musicale, c'est dans un manifeste intituléDe la situation des artistes que Liszt plaide sa conception des programmes musicaux en remplaçant parMozart,Beethoven etWeber mais aussi ses amis,Berlioz et Chopin, la plate musique jouée dans les concerts enEurope.
Le décès de Chopin est avec celui deLichnowsky (à la fin de l'année 1848) l'origine établie de l'Héroïde funèbre de Liszt.
La dette de Liszt vis-à-vis de Chopin est très claire. Dès 1830, ce dernier a en effet publié sa première série de douze études, adoptant tout de suite le style qui sera le sien jusqu'à la fin de ses jours. La formation de Liszt est beaucoup plus lente : il ne se trouvera vraiment lui-même qu'à la fin des années 1840, en écrivant des ouvrageschopinien : les deux ballades, les polonaises, la bénédiction de Dieu dans la solitude. Parallèlement à la musique, le trépas de son grand ami et partenaire de travail lui inspirera une succession de 17 articles à sa mémoire qui, par la suite, accoucheront d'un livre sobrement intituléChopin par Liszt.Théophile Gautier a qualifié l'ouvrage de« remarquable sous le rapport du style et de la fantaisie »[47].
La rencontre entre Liszt etAlexandre Borodine a lieu àWeimar dans la petite maison de Liszt du parc grand-ducal en 1877. La discussion des deux musiciens, qui tourne autour de l'œuvre de Borodine, exprime à merveille le tempérament de Liszt sur la musique de son temps. Alors que Franz félicite lecompositeur russe pour l'andante de sasymphonie, se met au piano et accable Borodine de questions, Alexandre s'accuse d'inexpérience (son activité de compositeur ayant été précédée d'une profession de médecin) et s'autocritique à propos de ses modulations qu'il juge excessives. La réaction du vieillard ne se fait pas attendre ; Franz garde sévèrement le Russe de toucher à sa symphonie et admettant qu'il est en effet allé très loin, il l'assure que c'est précisément cela son mérite. Finalement, outre le conseil de ne jamais craindre d'être original, il le gronde de ne pas avoir fait éditer ses partitions et le félicite de n'avoir jamais fréquenté de conservatoire.
Le lendemain de leur discussion, lors d'une répétition d'un concert que Liszt doit donner le soir-même dans la cathédrale, Borodine, dont le témoignage est resté dans une lettre écrite à sa femme à cette époque, appréhende enfin le jeu de Franz.
« Quand ce fut le tour de Liszt, il gagna le fond du chœur et bientôt sa tête grise apparut derrière l'instrument. Les sons puissants et nourris du piano roulaient comme des ondes sous les voûtes gothiques du vieux temple. C'était divin. Quelle sonorité, quelle puissance, quelle plénitude ! Quel pianissimo et quel morendo. Nous étions transportés. Quand arriva la marche funèbre deChopin, il parut évident que le morceau n'était pas arrangé. Liszt improvisait au piano, tandis que l'orgue et le violoncelle jouaient les parties écrites. Chaque fois que le thème revenait, c'était autre chose, mais il est difficile de concevoir ce qu'il sut en faire. L'orgue traînait pianissimo les accords en tierce de basse. Le piano, avec la pédale, donnait pianissimo les accords pleins. Le violoncelle chantait le thème. C'était comme le bruit lointain des glas funèbres qui sonnent encore, alors que la vibration précédente n'est pas éteinte. Nulle part je n'ai rien entendu de semblable. […] Nous étions au septième ciel[48]. »
Lorsque Borodine revient à Weimar, un rapport identique se noue avec Liszt. Alors que les deux pianistes jouent à quatre mains les récentes compositions du Russe, Borodine supprime certains éléments de son œuvre :« Pourquoi, s'écriait Liszt, ne faites-vous pas cela ? c'est si beau »[49]. Insistant sur le fait que les modulations de Borodine étaient complètement nouvelles (elles ne se trouvaient ni chezBach ni chezBeethoven), il soutient toutefois qu'elles n'étaient pas exemptes de tout reproche.
« Vous avez peu le goût de l'orgue — le « pape des instruments », cependant si vous entendiez Saint-Saëns sur un orgue digne de sa virtuosité extraordinaire je suis persuadé que vous seriez émue et émerveillée. Nul orchestre ne peut produire semblable impression : C'est l'individu en communion avec les sonorités de la terre au ciel » (). Grand admirateur et ami du compositeur, Liszt exhorte Saint-Saëns à composer et terminer son opéraSamson et Dalila (neuf années sont nécessaires) qu'il crée à Weimar en allemand le. Liszt fournit cette aide sans avoir écouté une seule note de l'œuvre.
Liszt parle en ces termes de son instrument de prédilection, lepiano, dans la troisièmeLettre d'un bachelier ès musique :
« Dans l'espace de sept octaves, il embrasse l'étendue d'unorchestre ; et les dix doigts d'un seul homme suffisent à rendre lesharmonies produites par le concours de cent instruments concertants. »
Cela permet de comprendre comment Liszt a tenté toute sa vie de développer au maximum les capacités expressives du piano, instrument avec lequel il a entretenu un rapport très intime, ce dont témoigne cette phrase célèbre du maître :
« Mon piano, c'est pour moi ce qu'est au marin sa frégate, c'est ce qu'est à l'Arabe son coursier […], c'est ma parole, c'est ma vie[50]. »
Cette conception d'une musique centrée sur le piano sera très critiquée à partir desannées cinquante, et de la redécouverte de modes d'expressions musicales jusqu'alors tombés en désuétude. Liszt lui-même en doutera par la suite, comme le démontre l'extension de son champ d'horizon à l'orgue (Messe de Gran) et à l'orchestre (lesTreize Poèmes symphoniques). Aussi n'y a-t-il pas vraiment de« lisztéisme », comme on parlerait de wagnérisme : son œuvre très diverse ne peut se réduire à un simple concept, serait-ce celui de« musique à programme ». Aussi Liszt est-il avant tout uncompositeur qui a élargi, par le biais d'innovations diverses, sa palette sonore.
Jusqu'en 1830, Liszt n'a pas vraiment de style. L'élève deCzerny se consacre entièrement à l'aspect purementtechnique de la musique, seul prompt (étant donné son jeune âge) à impressionner le public. Les quelques rares œuvres qu'il a laissées de cette époque — l'esquisse de ce qui sera lesDouze études transcendantes et son uniqueopéra — sont, à cet égard, révélatrices : elles n'ont d'intérêt qu'en égard au jeune âge ducompositeur.
Un double changement va se produire à partir de 1830. Sur la forme, il commence à se tourner vers les techniques nouvelles élaborées par des compositeurs de sa génération, notamment celles deThalberg. La plus connue est celle qui consiste à jouer la mélodie avec les pouces de chaque main tandis que les huit doigts restants font de l'accompagnement sous forme d'arpège (il va l'utiliser dansUn Sospiro). Sur le fond, ses œuvres cessent d'être de simples exercices de vélocité et acquièrent, progressivement, une dimension poétique (visible dans les premières esquisses desAnnées de pèlerinage, lesApparitions…). Or, en s'affirmant aussi bien virtuose que poète, Liszt va être la cible des critiques d'une part des partisans de Thalberg, et des puristes (Chopin) et dans les deux cas du professeurFétis qui fait preuve d'une profonde erreur de jugement :
« Vous êtes l'homme transcendant de l'école qui finit et qui n'a plus rien à faire, mais vous n'êtes pas celui d'une école nouvelle. Thalberg est cet homme : voilà toute la différence entre vous deux[51]. »
La fuite enSuisse puis enItalie va être pour lui l'occasion d'approfondir son art et de développer de nouvelles potentialités. Ainsi, tandis que Thalberg en est resté à sa technique de mélodie aux pouces et d'accompagnement avec les huit doigts restants, Liszt élargit profondément son champ d'horizon et intègre nombre d'innovations :trémolos, notes répétées, accords de quinzièmearpégés… Aussi est-il mûr pour la confrontation avec Thalberg. Celle-ci ne va pourtant pas lui donner dans l'instant de victoire franche — on en tirera l'ambiguë conclusion que« Thalberg est le premier des pianistes, mais Liszt est le seul[52] » —, mais sa supériorité sera de plus en plus reconnue par la suite, la pièce maîtresse de ce répertoire virtuose étant latranscription duRobert le Diable deMeyerbeer qui lui attire les élans passionnés du public. Il possède alors une telle maîtrise de son art, qu'il va jusqu'à inscrire, dans un programme d'une représentation àKiev, que le morceau final du concert sera une improvisation sur des thèmes choisis par le public. Sur le versant poétique, en jouant sonAu bord d'une source àVienne, il démontre qu'il n'est pas que virtuose. Pour autant, il ne peut encore se comparer à Chopin.
L'année 1848 voit l'avènement de la maturité de son style. La poussée révolutionnaire enEurope, la liaison avec la princesseCarolyne de Sayn-Wittgenstein et l'installation àWeimar vont l'amener à cesser son activité de virtuose pour se consacrer à lacomposition. La période qui suit constitue lefloruit lisztien (c'est-à-dire l'apogée de son œuvre). Au cours de celle-ci les ouvrages les plus notables se caractérisent par des structures savantes, parfois au mépris du détail (c'est notamment le cas dans laFugue sur le nom de BACH). La virtuosité cesse d'exister par elle-même et se soumet à la cohérence d'ensemble (d'où le fait que certaines pièces de l'après 1848 soient techniquement plus faciles). Par ailleurs Liszt poursuit ses innovations et investigations avec l'usage systématique d'un leitmotiv qui ne porte pas encore son nom dans laSonate en si mineur et laFaust-Symphonie. Sur le plan plus purement musical, Liszt expérimente lagamme pentatonique dans leSposalozio (intégré dans lesAnnées de pèlerinage) et le Sospiro (troisième desétudes de concerts). D'une manière générale, Liszt achève à Weimar ce qu'il a ébauché auparavant : lesDouze études transcendantes, lesAnnées de pèlerinage…
Signature de Liszt
Le départ de Weimar, en 1858, à la suite d'une cabale, puis l'installation àRome et l'intégration à l'ordre des franciscains (1862) mènent Liszt vers d'autres voies. L'usage d'une technique virtuose faite de plus en plus rare (les quatreMéphisto-valses), et, peu à peu, Liszt va mettre la sonorité au centre de ses préoccupations. D'où de nombreuses expérimentations, de plus en plus poussées qui confinent à l'impressionnisme musical d'unClaude Debussy(Nuages gris) voire à l'atonalité d'unArnold Schoenberg(Bagatelle sans tonalité). AinsiVincent d'Indy, encore marqué par l'élan révolutionnaire duHongrois, a-t-il noté : « À Weimar en1873, il nous fit cette étrange déclaration qu'il aspirait à laSuppression de la tonalité[53] ». D'une manière générale, les œuvres que Liszt compose au cours de cette période sont rares et exigeantes (notamment son oratorioChristus qu'il tenait pour sa meilleure pièce).
Anonyme, Galop chromatique exécuté par le diable de l'harmonie, 1843 (BnF, bibliothèque-musée de l'Opéra, Musée 382).
L'influence de Liszt sur les formes musicales est plus grande qu'on a coutume de le croire[54] bien que certains manuels tendent à vouloir réduire son rôle[55]. Elle a été considérable dans le poème symphonique, la sonate, la transcription et la rhapsodie.
Bien qu'on en attribue souvent la création àBerlioz avec laSymphonie fantastique voire àBeethoven avec l'ouverture d'Egmont, c'est Liszt qui l'a théorisé et en a fait une forme musicale quasi indépendante. La principale caractéristique dupoème symphonique, particulièrement apparente dans l'œuvre de Liszt est qu'il est conçu comme une« musique à programme », ancêtre de la musique de film cinématographique, c'est-à-dire qu'il cherche à suggérer musicalement quelque chose. Il peut s'agir d'un tableau (La Bataille des Huns), d'une pièce de théâtre (Hamlet,Tasso), d'un poème (Ce qu'on entend sur la montagne,Mazeppa,Héroïde funèbre,Les Idéaux), d'une figure mythologique (Orphée,Prométhée) d'une ambiance de la vie courante (Bruits de fêtes), voire d'une vie (Du berceau à la tombe). Il ne s'agit cependant là que d'une suggestion : on restitue l'esprit et non la lettre, comme dans unLied ou dans lessymphonies de Berlioz, de la chose décrite ce qui laisse une grande liberté de ton aucompositeur. Cette liberté, Liszt en use plus ou moins selon le thème qu'il s'est choisi, comme le montre la typologie de Claude Rostand[56] : dansLa Bataille des Huns, etMazeppa, qui suit les inflexions du poème de Hugo dont il est tiré, nous sommes au plus près du descriptif,Prométhée etHamlet dérivent déjà vers l'analyse psychologique, quandLes Préludes,Les Idéaux etbruits de fêtes sont des œuvres symboliques et contemplatives. Par là, en tout cas, Liszt se maintient à mi-chemin entre la musique à programme stricto sensu de type Berlioz dans laSymphonie fantastique et la musique pure de type Beethoven[57]. Le poème symphonique est relativement court — une vingtaine de minutes — et renoue avec les dimensions des symphonies deMozart, par opposition auxFaust-Symphonie etDante Symphonie, qui durent environ une heure. Enfin, le poème symphonique, tout en possédant une structure interne solide, ne présente pas de coupure et est joué d'un trait, ce qui le rapproche de l'esthétique desopéras deWagner : un véritable cri en trois actes.
Liszt n'a écrit qu'unesonate mais elle suffit à faire de lui un des plus grands représentants de cette forme musicale. LaSonate en si mineur S.178 se caractérise surtout par sa structure éclatée : elle combine de manière libre laforme sonate (exposition/développement/ré-exposition) — en conservant la dialectique des thèmes A et B — et le genre sonate (premier mouvement / mouvement lent / scherzo / final). Dans la littérature spécialisée, on retrouve les termesdouble function form ettwo-dimensional sonata form pour désigner ce type de construction[58]. Pour renforcer l'unité de sacomposition, Liszt utilise la technique de transformation thématique. Son organisation n'est donc pas anarchique, comme l'affirment certains critiques qui n'y voient qu'une fantaisie déguisée[59], mais inscrite en profondeur. Comme dans lepoème symphonique, c'est l'esprit qui prévaut et non la lettre. Le débat existe toujours quant à savoir si laSonate en si mineur ne serait pas uneFaust-Symphonie pour piano, mais il est douteux que Liszt se soit simplement contenté de reproduire pianistiquement le schéma du poème symphonique[60]. Par la suite, Liszt voulut la transcrire pour deux pianos mais n'en aura jamais le temps. C'estCamille Saint-Saëns qui réalisera ce vœu en 1914.
Sur les 700 numéros d'opus de Liszt, 350 sont destranscriptions, et certaines d'entre elles sont généralement tenues pour les meilleures jamais écrites[61]. Pour autant, elles n'ont été redécouvertes que récemment tant elles ont souffert du discrédit dans lequel on jetait le genre.
Les transcriptions de Liszt sont de deux types : les premières visent à une restitution intégrale des œuvres transcrites et font appel à tous les moyens pianistiques possibles :
transcription deLa Symphonie Fantastique et d'Harold en Italie de Berlioz ;
Paraphrase de concert sur l'Ouverture deTannhäuser.
D'autres, au contraire, laissent le transcripteur libre de varier, de transformer, voire de s'approprier le thème ducompositeur de manière à leur donner un éclairage différent : transcriptions d'opéras italiens, français ou deMozart. Les transcriptions du premier type ont surtout un intérêt technique ; celles du deuxième type sont considérées comme les plus intéressantes car on y retrouve directement la marque de Liszt. De nombreuses transcriptions se situent entre le premier et le second type, comme de nombreuses transcriptions d'opéras deVerdi, où la ligne mélodique est respectée mais l'accompagnement diffère.
Liszt a composé dix-neufrhapsodies, et toutes pour la même raison : faire connaître la musique tzigane de Hongrie. Il explique dans son ouvrage publié en 1859,Des Bohémiens et de leur musique en Hongrie, qu'il a voulu désigner par ce mot, faisant référence à la récitation d'épopées chez les Grecs anciens,« l'élément fantastiquement épique » de cette musique qui« peint parfaitement l'âme et les sentiments intimes » du peuple tzigane. La caractéristique fondamentale de la rhapsodie en tant que genre est l'impression qu'elle laisse d'une improvisation. S'y ajoutent des éléments constitutifs de latranscription, visant à restituer les instruments de la musique tzigane (violon,accordéon…). Selon Haraszti, Liszt n'aurait fait qu'assimiler les techniques tziganes dans ces œuvres, qui ne seraient alors en rien une transcription du folklore bohémien[62].
On sait que Franz Liszt utilisait des pianosBoisselot lors de sa tournée au Portugal[63], puis plus tard, en 1847, lors d'une tournée àKiev etOdessa. Liszt conservait son Boisselot dans sa résidence de laVilla Altenburg à Weimar[64]. Liszt a exprimé sa dévotion à cet instrument dans une lettre à Xavier Boisselot en 1862 :« Bien que les touches soient presque usées par les combats que leur a livrés la musique du passé, du présent et de l'avenir, je ne consentirai jamais à le changer, et j'ai résolu de le garder jusqu'à la fin de mes jours, comme associé privilégié à mon travail[64],[65] ». Ce piano figure parmi les collections de la Klassik Stiftung Weimar[66]. Un constructeur moderne,Paul McNulty, a réalisé une copie de ce piano Boisselot, qui est maintenant exposé à côté de l'instrument de Liszt[67].
Ne sont mentionnées en détail ci-dessous que les œuvres les plus notables de Franz Liszt. Pour avoir une liste exhaustive de ses œuvres l'on doit se référer aux deux articles suivants :
Étant un despianistes les plus réputés de son temps (avec notammentChopin), Liszt fut aussi un grandcompositeur pour lepiano. Son succès remarquable pour l'époque[68] a retardé la reconnaissance de son œuvre decomposition. Liszt a aussi écrit beaucoup detranscriptions. Son œuvre pour le piano est considérable et aura un impact sur les générations suivantes de compositeurs[69] (en 1914 son ami Saint-Saëns transcrit, selon le vœu de son auteur, mais jamais réalisé de son vivant la célèbre Sonate en si mineur S.178 pour deux pianos). Ses pièces couvrent toute l'étendue et la potentialité des huitoctaves du clavier et figurent toujours, auXXIe siècle, parmi les sommets du répertoire pianistique mondial.
C'est à l'âge de 15 ans que Lisztcompose et publie sonÉtude en douze exercices, op.6. Liszt réécrira plus tard ces pièces et, en 1838, paraissent lesDouze grandes études. Liszt y développe de nouvelles possibilités d'expression pour le piano et des difficultés d'exécution extrêmes, injouable selon certains pianistes de l'époque. En 1851, la version définitive (et simplifiée) de ces études est publiée sous le nom d'Études d'exécution transcendante. Encore aujourd'hui, elles sont considérées par toutpianiste comme ce qu'il y a de plus exigeant en termes d'aisance, souplesse, technique de mouvements à la fois rapides et complexes (sauts, doubles sons, traits rapides, écarts…).
Certaines sont particulièrement difficiles et redoutées jusque dans les concours internationaux.
Mazeppa, la quatrièmeétude, est une œuvre orchestrale écrite en partie sur trois portées. C'est un drame littéraire qui se joue : une chevauchée grandiose et magnifique jusqu'à ce que…« Il tombe enfin ! et se relève Roi ! »[70] (Victor Hugo). La pièce commence par une cadence annonciatrice. Écrit sur trois portées, le thème est annoncé avec de grands accords dans les aigus et les graves soutenus alternativement par des tierces rapides réparties entre les deux mains. La cinquième étude,Feux-follets, est redoutable. C'est une pièce d'impressionnisme très rapide (10 pages jouées en trois à quatre minutes) en doubles sons avec des sauts grands et rapides. L'écriture développée dans cette pièce sera en partie reprise parRavel dansOndine etScarbo (Gaspard de la Nuit), pièces françaises d'une grande littérature. L'ensemble des études représente quelque60 à 70 minutes, selon que l'interprète, nécessairement virtuose, privilégie la rapidité, telEvgueni Kissin, ou la poésie, telJorge Bolet.
LesSix Études d'après Paganini constituent le second bloc d'études, composées par Liszt en 1838, et révisées en 1851. Elles répondent à des préoccupations différentes de celles desÉtudes d'exécution transcendante : il s'agit ici de transposer pour lepiano les difficultés dontPaganini a émaillé ses œuvres pour violon, et plus particulièrement ses24 Caprices. Hormis la troisième, chaque étude reprend l'un desCaprices pour le transformer en un exercice virtuose des plus compliqués. Parmi les sixétudes que Liszt a composées dans ce recueil, seule la troisième n'est pas fondée sur unCaprice, mais sur leDeuxième Concerto ducompositeur italien. Il s'agit de laCampanella, œuvre parmi les plus célèbres du compositeurhongrois, dont le motif original a également inspiré nombre d'autres compositeurs, dontBrahms.
Cette grandesonate est écrite d'un bloc d'environ une demi-heure. Ce sera la seule de Liszt. Elle est dédiée àRobert Schumann. La sonate développe ses thèmes par la transformation thématique. C'est une pièce maîtresse. Cette nouvelle forme de sonate est reprise plus tard. Si lesdifficultés techniques sont moins éclatantes que dans les études, les difficultés d'intégration mentale et psychologique pour l'interprétation de la pièce par le pianiste sont immenses. C'est une œuvre de la maturité, qui a été pressentie par lafantasia quasi-sonata, après une lecture du Dante, une des pièces desAnnées de pèlerinage. Son premier enregistrement notable est l'interprétation deCortot (1929). Celles d'Argerich,Zimerman,Pogorelich,Simon Barere (1947), la première d'Horowitz (1932) et la première d'Arrau (1970) font également référence.
Ce cycle, durant quelque trois heures, se compose de trois années : la première enSuisse, les deux autres enItalie. Toutes sont particulièrement profondes et littéraires. Les premiersjeux d'eau pour piano y sont ;Ravel etDebussy suivront.
Les Jeux d'eaux à la Villa d'Este sont un chef-d'œuvre littéraire, d'impressionnisme, et pianistique. Les difficultés sonores pour lepianiste sont plus fortes que celles — plus apparentes — des doubles sons : tierces staccato en arpèges et gammes, sauts, traits parallèles rapides, trémolos et trilles à deux mains. LesJeux d'eau de Ravel en descendent directement[71]. Parmi les interprétations les plus notables on peut citer celles deCziffra etLazar Berman. Nombre de ces pièces sont souvent jouées séparément, en dehors du cycle, comme des pièces indépendantes. C'est le cas notable desJeux d'eau à la villa d'Este, des troisSonnets dePétrarque, de laChapelle de Guillaume Tell, de laVallée d'Obermann et de la sonateAprès une lecture du Dante dontClaudio Arrau fut un grand interprète.
LaPremière année (environ 48 minutes) se compose des pièces suivantes :Chapelle de Guillaume Tell, Aulac de Wallenstadt, Pastorale, Au bord d'une source, Orage, Vallée d'Obermann, Églogue, Le Mal du pays etLes Cloches de Genève ;
laTroisième année (environ 56 minutes) se compose des pièces suivantes :Angelus, Aux cyprès de la Villa d'Este (I & II), Les Jeux d'eau à la villa d'Este, Sunt Lacrymae rerum, Marche funèbre etSursum corda.
L'Album d'un voyageur (S.156) est un recueil de dix-neuf pièces que Liszt composa entre 1837 et 1838, dont la durée d'exécution est d'environ 115 minutes[72].Il est composé de trois livres à la manière des troisAnnées de Pèlerinage qui en reprend d'ailleurs plusieurs pièces.
Le premier livre,Impressions et Poésies, contient dans l'ordre les piècesLyon (composée lors d'un passage à Lyon en l'honneur de la révolte des Canuts de 1831),Le Lac de Wallenstadt,Au bord d'une source,Les cloches de Genève,Vallée d'Obermann,La Chapelle de Guilaume Tell etPsaume (de l'église à Genève).
Le second livre,Fleurs mélodiques des Alpes, contient neuf variations pianistiques.
Le troisième livre,Paraphrases, comporte les piècesRanz de vaches (Montée aux Alpes: Improvisata),Un soir dans les montagnes (Nocturne pastoral) etRanz de chèvres de F. Huber (Allegro finale).
Liszt a composé une vingtaine deRhapsodies, pièces folkloriques et courtes, de trois à quatorze minutes. Les plus célèbres sont les dix-neufRhapsodies hongroises, écrites sur des airs traditionnelstziganes, dont les plus remarquables sont la mélodieuse cinquième (Héroïde-Élégiaque), la virulente sixième, la neuvième (Le Carnaval de Pest). Ladeuxième et la quinzième (diteMarche de Rákóczy) sont sans doute les deux plus célèbres.On connaît également uneRhapsodie espagnole et uneRhapsodie roumaine (qui est en fait une version antérieure de la douzièmeRhapsodie Hongroise, parue dans lesMagyar Rapszodiak, 1846).
Liszt a également composé une dizaine deMagyar Dallok, courtes pièces apparentées, durant entre deux et dix minutes, et inspirées du folklorehongrois.
L'ensemble de ces pièces a été édité en 1986 dans un coffret de trois CDLe Chant du monde, sous l'interprétation deSetrak.
Liszt fut un très grandtranscripteur. À une époque où l'accès à la musique se faisait souvent dans les salons, Liszt a su accroître la diffusion des œuvres orchestrales, notamment lessymphonies deBeethoven, à travers des transcriptions pour un ou deuxpianos. Il a également transcrit beaucoup d'airs d'opéras et même deslieder de Schubert.
Fantaisie sur des thèmes de l'opéra « Guitarero » (1841), d'après l'opéra de Halévy
Réminiscences de « Robert le Diable » (1841), d'après l'opéra de Meyerbeer
Réminiscences de Don Juan (1841), d'après l'opéra deMozart
Réminiscences de « Norma » (1841), d'après l'opéra de Bellini
Fantaisie sur des thèmes de Figaro et Don Giovanni (1842), d'aprèsLe nozze di Figaro etDon Giovanni de Mozart, inachevé, complété et publié seulement en 1912 parFerrucio Busoni, puis en 1998 par Leslie Howard
Paraphrase de concert sur « Dom Sebastien » (1843-44), d'après l'opéra deTheodor Kullak
Ouvertüre zur Webers Opern “Oberon” und “Der Freischütz” (1846), d'après les opéras de Weber
Tarantelle di bravura d'après la tarantelle de « La Muette de Portici » (1846-69), d'après l'opéra de Auber
Paraphrase de concert sur Ernani (1847), d'après l'opéra de Verdi
Réminiscences de « Lucrezia Borgia » (1848), d'après l'opéra de Donizetti
Illustrations du Prophète (1849-50), d'après l'opéra de Meyerbeer
Valse de bravoure, version révisée de laValse de bravoure, opus 6.
Valse mélancolique, révision de la version de 1840.
Valse de concert sur deux motifs deLucia etParisina d'aprèsGaetano Donizetti, version révisée de laValse et capriccio sur deux motifs de Lucia et Parisina de Gaetano Donizetti (1841).
Liszt ayant été ordonné, il s'est naturellement penché sur lacomposition d'œuvres religieuses. La plus connue est la septième pièce du recueilHarmonies poétiques et religieuses, intituléeFunérailles (1849).
Parmi les pièces de moindre proportion, citonsNuages Gris (1881),La Lugubre Gondole (1882),Csardas Macabre (1884),La Notte etLes Morts. Les plus célèbres de ces œuvres sont sans doute laValse-impromptu, laMephisto-Valse et lesLiebesträume, plus connus sous le titre deRêves d'amour, qui sont en fait une transcription pour piano delieder sur Freilingrath.
Ils sont nombreux,quoique[non neutre] de qualité inférieure au reste descompositions lisztiennes. Leur intérêt est surtout de mettre en évidence un certain nombre d'influences que Liszt a reçues (le bel canto italien, Paganini). La plupart ne peuvent être trouvées que dans l'édition intégrale de Liszt effectuée parLeslie Howard. Il y a deux classements en opus :
Opus 1 :Grande fantaisie sur la tyrolienne de l'opéra « La Fiancée » deAuber : première version de 1829, création par Liszt le àParis ; seconde version de 1835, créée le àGenève.
Opus 2 :Grande fantaisie de bravoure sur « La Clochette » dePaganini composée entre 1832 et 1834 et créée par Liszt le. La création fut un total échec.
Opus 3 et 4 : inutilisés
Opus 5 : Trois morceaux de salon composés en 1835 et révisés en 1838.
Fantaisie romantique sur deux airs suisses.
Rondeau fantastique sur un thème espagnol (El contrabandista) (1836), d'aprèsEl poeta calculista deManuel Garcia, créé le à Paris.
Divertissement sur la cavatine « I tuoi frequenti palpiti » de la « Niobe » dePacini, créé le àGenève.
Opus 6 :Valse de bravoure (1835), créée le à Paris.
Opus 7 :Réminiscences des Puritains (1835-36), créée le àLyon et révisée pour l'édition anglaise de 1840
Opus 8 : Deux fantaisies sur les motifs desSoirées musicales de Rossini, créées entre 1835 et 1836 et révisées en 1840.
La Serenata e l'Orgia créée le, Paris.
La Pastorella dell'Alpi e li marinari
Opus 9 :Réminiscences de « La Juive » deHalévy, composées en 1835 et créées le 18 mai 1836, à Paris.
Opus 10 :Trois airs suisses entre 1835 et 1836
Opus 11 :Réminiscences desHuguenots op.11, composés en 1836 révisés en 1842, et créées le à Paris.
Opus 12 :Grand galop chromatique composé en 1837. C'était la plus populaire des pièces virtuoses que Liszt jouait lors de ses tournées européennes. Liszt la créa au cours d'une soirée privée donnée le à Venise par la Baronne de Thaltzar, mère deThalberg puis joua la version à quatre mains avecClara Wieck (future madameSchumann) au cours d'une soirée donnée par Haslinger àVienne. La création publique eut finalement lieu lors d'un concert donné à Vienne le.
Opus 13 :Réminiscences deLucia di Lammermoor (1839). La première partie (Andante finale) fut publiée au début de 1840, et créée par le compositeur le àTrieste. La seconde partie fut publiée sans numéro d'opus sous le titre deMarche et Cavatine en 1841 et créée le à Vienne.
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Parmi le catalogue des pièces pour orgue composées par Franz Liszt, d'une grande importance, on retiendra surtout la monumentaleFantasie et Fugue sur le choral « Ad nos, ad salutarem undam » composée en1849. Il s'agit d'un véritable poème symphonique pour orgue, d'une durée approximative de trente minutes, illustrant admirablement le style du compositeur et dévoilant des sonorités de l'orgue jusqu'alors insoupçonnées, devenant aussi expressif que dans les compositions orchestrales ou pianistiques de Liszt, voire au-delà de ce qu'elles peuvent exprimer. Cette fantaisie est basée sur l'adaptation d'un cantique hollandais duXVIIe siècle utilisé parGiacomo Meyerbeer dans sonProphète.
Lesconcertos pourpiano et laFantaisie hongroise (adaptée de la quatorzième rhapsodie) sont des œuvres parmi les plus expressives de Liszt. Elles sont également parmi les plus originales, puisqu'elle ne respectent pas les conventions associées à lacomposition de concertos : normalement en trois mouvements rapide-lent-rapide, ils se constituent chez Liszt d'un seul mouvement, séparés en quatre tempos différents pour le Premier enmi bémol, et en six pour le Second enla majeur. Chaque concerto dure environ 20 minutes[74].
LaTotentanz pour piano etorchestre, série de variations sur le thème grégorien duDies iræ, est une pièce tour à tour rêveuse et explosive, d'une grande virtuosité.
Liszt a écrit 13poèmes symphoniques, genre dont il est le créateur et repris notamment parRichard Strauss etSaint-Saëns. Parmi ces poèmes, sont notables :Ce qu'on entend sur la montagne,Mazeppa (dont il existe une version pourpiano dans lesÉtudes d'exécution transcendantes),Du Berceau jusqu'au tombeau,Prométhée etLes Préludes. L'ensemble dure environ quatre heures et comprend :
Quoiqu'il s'agisse là d'une part assez méconnue de son œuvre[75], Liszt a composé un nombre assez considérable de chants et lieder pour voix et piano : quatre-vingt-deux. Au sein de cet ensemble règne une totale diversité linguistique : aux 57 lieder allemands s'ajoutent 15 mélodies françaises, 5 italiennes, 3 hongroises et 1 russe[76]. Les lieder les plus notables étantDie Lorelei, « chef-d'œuvre mélodique »[77] issu d'un poème d'Henri Heine et lesTrois sonnets de Pétrarque dont la version pour piano seul sera intégrée à la seconde partie desAnnées de pèlerinage, ainsi que le célèbre « O Lieb » sur un texte de Freiligstrath dont a été tiré plus tard un nocturne pour piano (Liebestraumno 3). Il a aussi composé deux groupes delieder : le premier, qui en comprend six, sur des poèmes de Gœthe, et le second, qui en comprend huit, sur des poèmes de Hugo. Les ouvrages portant sur cette production sont peu nombreux et on ne peut guère que citer Edouard Reuss[78].
Dans son ouvrage,L'Impressionnisme et la Musique, Michel Fleury note que« Liszt fut […] l'un des grands précurseurs de l'impressionnisme en musique »[79], et ceci à plusieurs points de vue. Tout d'abord sur le plan des sonorités, Liszt constitue, avecFrédéric Chopin, l'un des créateurs du timbre pianistique moderne, c'est-à-dire d'une écriture qui exploite totalement les capacités sonores du piano. Et ce en utilisant les différences d'intensité et de toucher pour mettre en évidence une multiplicité de voix, comme c'est le cas dans l'Étudeno 1 op. 25 de Chopin, et dans la transcription duLiebestod deTristan et Isolde chez Liszt. Ensuite, avant mêmeBaudelaire, Liszt pressent dans un ouvrage sur leLohengrin deWagner[80] l'existence de correspondances entre couleurs et musique :« éclat éblouissant de coloris »,« transparente valeur de nuées »[81].
Cela explique que vers la fin de sa vie, le style de Liszt se tourne nettement vers l'impressionnisme. D'abord avec lesJeux d'eaux à la Villa d'Este, ancêtre de tous les jeux d'eaux, deClaude Debussy àMaurice Ravel. Puis, surtout avec lesNuages Gris, pièce totalement impressionniste en ce que l'impératif de la beauté harmonique prime ici sur celui de tout ordonnancement thématique.
Dans ses critiques signées sous le pseudonyme de « M. Croche »,Claude Debussy témoignera d'une certaine bienveillance envers Liszt. Ainsi, à la suite d'une représentation deMazeppa, poème symphonique souvent critiqué pour ses insuffisances, il écrira :« On peut prendre des airs dégoûtés à la sortie parce que ça fait du bien… Pure hypocrisie, croyez-le bien. La beauté indéniable de l'œuvre de Liszt tient, je crois, à ce qu'il aimait la musique à l'exclusion de tout autre sentiment […] La fièvre et le débraillé atteignant souvent au génie de Liszt, c'est préférable à la perfection, même en gants blancs »[82]. Il y a peut-être quelque chose d'intéressé à une telle bienveillance, en ce qu'elle est souvent un moyen d'attaquer Wagner :« Sans parler de Liszt, qu'il pilla consciencieusement, à quoi ce dernier n'opposa jamais que l'acquiesçante bonté d'un sourire »[83].
Quoique né en 1864,Richard Strauss ne rencontrera jamais Liszt. Et ce à cause de son père, le plus grand corniste allemand de l'époque, qui était partisan de la musique pure, contre la musique « moderne », représentée par Liszt et Wagner. De telle sorte qu'il ne découvrira les œuvres du compositeur hongrois, qu'une fois sa carrière de chef d'orchestre amorcée en1883, lorsqu'il est appelé à diriger l'orchestre deMeiningen, au sein duquel il se lie d'amitié avec le premier violonAlexander Ritter(en), un familier des cercles lisztiens.
Liszt va avoir sur la musique russe une influence décisive. Le chef dugroupe des Cinq,Mili Balakirev, voyait en lui le dernier des grands compositeurs, et toute son œuvre va se ressentir de cette influence. Ainsi le fameuxIslamey ne va pas sans rappeler les œuvres virtuoses du Liszt des années 1840, tel que leGrand galop chromatique. Sur le plan formel, le poème symphonique, conçu par Liszt, va s'avérer l'une des formes d'expression orchestrale privilégiée des compositeurs russes (Une nuit sur le mont Chauve deMoussorgski).
En 1950, le compositeur britanniqueHumphrey Searle s'entoure de personnalités connues commeWilliam Walton,Constant Lambert etSacheverell Sitwell, pour former laLiszt Society, qui a permis la publication de plusieurs pièces inédites et est la plus ancienne société Liszt toujours active[84],[85].
En 1964 a lieu la fondation de l'American Liszt Society par David Kushner, Fernando Laires et Charles Lee ; elle organise un festival Liszt chaque année[86].
Cyril Huvé.Franz Liszt, Album d'un voyageur. Impression et poésie. Sur piano Johann Wilhelm Brachoss 1835 du musée Suisse duChâteau de Gruyères (janvier 1996, Euterpe 06111-2)
Claire Chevallier.Fever : La lugubre gondola, Funérailles, Saint-François de Paule marchant sur les flots, etc. Piano Érard 1876 (février 2011, La Dolce volta)(OCLC887457777)
Riko Fukuda, Tomias Koch.Grand duo Œuvres pour duo de pianofortes. PianoforteConrad Graf 1830 et 1845 — avec Chopin, Mendelssohn, Moscheles, Hiller et Liszt (octobre 2013, Ars Produktion)(OCLC947785273)
↑Blandine Ollivier, née Blandine-Rachel Liszt le àGenève et morte le àSaint-Tropez, est la fille aînée de Franz Liszt et deMarie d'Agoult. Elle est la première femme de l'homme politique françaisÉmile Ollivier (1825-1913), qu'elle épouse le àFlorence. Elle meurt à vingt-six ans des suites de l'accouchement de son fils Daniel, deux mois après lui avoir donné naissance.
↑Cosima Wagner, née Cosima Francesca Gaëtana Liszt le àCôme, est la deuxième fille de Franz Liszt. Elle épouseHans von Bülow le ; elle divorce le pour devenir l'épouse deRichard Wagner le. Elle meurt le àBayreuth, à 92 ans.
↑Daniel Heinrich Liszt naît le. Élève du lycée Bonaparte, il obtient en 1856 le grand prix d'honneur de toutes les écoles de paris. Il commence ses études de droit en 1857 à l'université de Vienne. Phtisique, il meurt à vingt ans, le.
↑Certains contestent cette appartenance et en font un simpleconfrater :Nicolas Dufetel, « Franz Liszt, franciscain "du berceau jusqu’à la tombe" »,Études franciscaines,vol. 2,no 2,,p. 303–339(lire en ligne) :
« Mais la nature de sa situation « canonique », quant à elle, est sujette à polémique. Maints auteurs font de Liszt un membre du Tiers-Ordre, notamment à la suite de ses propres déclarations ; pourtant, en 1964, Vševlad Jozef Gajdoš (1907-1978), ofm, a affirmé qu'il était seulement « confrater », sans aucun lien avec le Tiers-Ordre […]. »
↑Georges Brătescu,La Jeunesse de Charles d'Avila, éd. Albatros, Bucarest, 1979.
↑Yves-Jean Saint-Martin,Félix Dubois (1862-1945) : Grand reporter et explorateur de Panama à Tamanrasset, éd. L'Harmattan, 2000(ISBN9782296404168).
↑Olga deJanina,Souvenirs d'une Cosaque, A. Lacroix et Cie.,(lire en ligne).
↑Les analystes lisztiens sont partagés sur l'attribution de tous ces opuscules à la seuleOlga Janina :Émile Haraszti n'en a aucun doute, quand Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper sont plus circonspects.
↑Lors de son concert àBudapest, Liszt déclare« je suishongrois » en français.
↑Emile Haraszti, projetant sur Liszt son propre cas de hongrois exilé en France, déclare ainsi :« L'art de Liszt offre un double aspect, français et hongrois. » Cf. Roland-Manuel (dir.), « Franz Liszt »,Histoire de la musique, tome II, éd. de la Pléiade,p. 547.
↑« De la situation sociale des artistes »,Gazette musicale, 1835.
↑Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper intitulent ainsi « L'irrésistible ascension du plus grand des virtuoses » la partie de leur anthologieLiszt en son temps sur les années 1830-1847.
↑Franz Liszt, Lettre à Adolphe Pictet, septembre 1837, dans Lettres d'un bachelier ès musique, 1835-1841.
↑Gazette musicale du in Pierre-Antoine Huré et Claude Knepper,Liszt en son temps avec le commentaire suivant : « Faire de Thalberg le champion de la musique de l'avenir et de Liszt l'apôtre du passé, jette quelques doutes sur les facultés divinatoires du professeur Fétis » (p.212).
↑A priori, le mot serait de la princesse Belgioso, mais une lettre de Liszt àMarie d'Agoult datée du laisse entendre qu'elle en serait l'auteur :« On a cité votre mot sur Thalberg et moi : lui étant le premier et moi le seulpianiste » (cité par P-A Huré et C. KnepperIbid)
↑Cours de composition musicale, Livre II, seconde partie,p. 318.
↑Émile Haraszti va même jusqu'à affirmer que« Tous les compositeurs modernes, polyharmonistes, dodécaphonistes, descendent en droit ligne de Liszt ». Cf. « Liszt » dans Roland-Manuel (dir.),Histoire de la musique, tome II, édition de la Pléiade,p. 567.
↑« L'histoire des formes et styles musicaux »,Que sais-je, PUF.
↑Cf.Le nouveau dictionnaire des œuvres (éd. Bouquins) qui affirme à l'articlePoèmes symphoniques de Liszt qu'« entre ces deux conceptions extrêmes : la musique pure et la musique descriptive, celle de Liszt peut donc être considérée comme le tenant d'un juste milieu ».
↑Steven Vande Moortele,Two-Dimensional Sonata Form. Form and Cycle in Single-Movement Instrumental Works by Liszt, Strauss, Schoenberg, and Zemlinsky, Leuven University Press 2009,p. 11-31.
↑Clara Schumann affirmera ainsi« Plus aucune pensée saine, tout est embrouillé ». De tels affirmations étant notamment repris par leQue sais-je surL'histoire des formes et des styles musicaux qui verra dans la sonate lisztienne, une tentative avortée que seul César Franck saura mener à bien.
↑Haraszti la définit en effet comme un « poème symphonique sans programme ». Cf.Histoire de la musique, tome II, éd. de la Pléiade,p. 543.
↑C'est notamment l'avis de Jacques Drillon dansLiszt transcripteur, éd. Actes Sud.
↑Marcel Carrières “Franz Liszt en Provence et en Languedoc en 1844” (Beziers, 1981), et Alan Walker,Franz Liszt: The virtuoso years, 1811-1847,p. 286. Cornell University Press, 1987
↑a etbAlan Walker,Franz Liszt: The Weimar years, 1848-1861,p.75. Cornell University Press, 1987
↑Adrian Williams. Franz Liszt: Selected letters. Oxford University Press. p.572. From a letter to Xavier Boisselot. January 3, 1862.
↑Cf. par exemple l'enregistrement deMichel Dalberto,Un piano à l'opéra (RCA), regroupant six transcriptions d'airs d'opéras (Diapason d'or).
↑19 min pour le premier et 22 min pour le second, dans l'interprétation de Lazar Berman (DG, 1976.
↑Telle est du moins l'opinion d'Émile Haraszti qui, dans l'articleLiszt de l'histoire de la musique éditée dans la Pléiade, écrit :« Seslieders sont la partie la moins connue de son œuvre ».
↑« Liszt » dans Brigitte François-Sappey et Gilles Cantagrel (dir.),Guide de la mélodie et du lied,p. 346.
↑Brigitte François-Sappey et Gilles Cantagrel (dir.),Guide de la mélodie et du lied,p. 355.
Lohengrin et Tannhaüser de Richard Wagner, Leipzig, F.A. Brockhaus, 1851 ; rééd. Adef-Albatros, préface de Jacques Bourgeois, Paris, 1980 ;texte sur wikisource
Avec la princesse de Belgiojoso : Daniel Ollivier,Franz Liszt et la princesse de Belgiojoso. Lettres, article inRevue des deux Mondes,,
AvecRichard Wagner :Correspondance de Richard Wagner et de Franz Liszt, 1841-1882, coll. les Classiques allemands, traduit par L. Schmidt et J. Lacant, avant-propos de G. Samazeuilh, Gallimard, Paris, 1943 ; rééd. 1975.
Avec Charles Alexandre, grand-duc de Saxe :Correspondance entre Franz Liszt et Charles Alexandre, grand-duc de Saxe, publiée par La Mara, Leipzig, Breitkopf & Härtel, 1909 ;texte en ligne sur IA.
Alain Galliari,Franz Liszt et l'Espérance du Bon Larron, Fayard, 2011
Vladimir Jankélévitch,Liszt et la rhapsodie, Plon 2019
Christoph Weyer:Franz Liszt und der Orient. Die Konstantinopelreise und der Sultans-Marsch. In:Archiv für Musikwissenschaft 82 (2025), Heft 3, S. 244–263.
La Lyre maçonne : Haydn, Mozart, Spohr, Liszt,Philippe Autexier,Détrad, 1991
Liszt pédagogue, leçons de piano données à Valérie Boissier (édité par Auguste Boissier)
Divers articles d'Emil Haraszti dans laRevue de Musicologie (Les origines de l'orchestration chez Liszt, 1953), laRevue Musicale (Liszt à Paris, choix de textes inédits, 1936) et laRevue d'histoire diplomatique (Deux agents secrets de deux causes ennemies : Franz Liszt et Richard Wagner 1953)
Franz Liszt - Musique, médiation, interculturalité, Damien Ehrhardt (éd.) 63/3, 2008
Franz Liszt, compositeur slovaque,Miroslav Demko,L'Âge d'Homme, 2003
Un Liszt méconnu, la Revue Musicale, Éditions Richard Masse, numéros 342 à 346.
Aux sources littéraires de Franz Liszt, la Revue Musicale, Éditions Richard Masse, numéros 292-193.
En plus des portraits reproduits ici, il existe une sculpture deJean-Pierre Dantan, datée de 1836 (Paris, Musée de la musique, numéro d'inventaire E.986.1.9 — déposée par lemusée Carnavalet). Ceportrait charge représente Liszt de dos au piano, avec des doigts immenses et largement écartés. Il existe deux versions de cette sculpture une sans sabre et une avec sabre. Lors d'une tournée en Hongrie, en décembre 1839, la ville dePest décerna à Liszt un sabre d'honneur. Jean-Pierre Dantan ajouta donc vers 1840 un sabre à ce portrait charge.
La version du 22 août 2007 de cet article a été reconnue comme « bon article », c'est-à-dire qu'elle répond à des critères de qualité concernant le style, la clarté, la pertinence, la citation des sources et l'illustration.