William Dyce,Francesca da Rimini, huile sur toile, 1837, National Gallery of Scotland, Édimbourg.
Francesca da Rimini ouFrancesca da Polenta (née vers 1255 - morte vers 1285) est une jeune Italienne dont les amours tragiques ont été immortalisées parDante Alighieri dans laDivine Comédie.
En 1283 l'un des frères de Gianciotto,Paolo Malatesta (né vers 1246-1248 - mort vers 1285), rentre à Rimini après des affrontements contre lesgibelins et retrouve Francesca avec laquelle il entretient une liaison[1]. Lorsque Gianciotto découvre l’adultère, il tue, en les poignardant, sa femme et son frère (selon la légende dans les bras l’un de l’autre alors qu’ils échangeaient un baiser, voire un premier baiser) probablement au château deGradara entre 1283 et 1285. Toutefois, ce double homicide n’affecta guère les relations entre les deux familles (les archives ne font jamais état ni de l’adultère, ni du meurtre).
Les deux jeunes amants sont immortalisés dans le Chant V de l’Enfer de laDivine Comédie deDante, qui transforma cette tragédie en véritable mythe, croisant les thèmes populaires de l’amour interdit et de la damnation éternelle :
« Je parlerais à ces deux qui vont ensemble […] / Il n’est pire douleur que se souvenir / Du temps heureux dans la misère […] / Nous lisions un jour par plaisir / DeLancelot et comment amour le saisit : / Nous étions seuls et sans aucun soupçon. / Plus d’une fois nous fit lever les yeux cette lecture, / Et pâlir le visage : / Mais seul fut un point qui nous vainquit. / Quand nous lûmes le rire désiré / Être baisé par un tel amant, / Lui qui jamais de moi ne sera séparé, / Me baisa la bouche tout tremblant […]
Dante ajoute donc à l’histoire un détail singulier : les amants, avant d’être surpris parGianciotto Malatesta, lisaientLancelot, un roman d’amour courtois. Par ce post-scriptum, le poète ajoute au récit une mise en abyme : il évoque l’amour, tout aussi tragique, de Lancelot pour Guenièvre et établit un parallèle entre les deux histoires dramatiques. Il convient en effet de rappeler que Lancelot fut surpris dans la chambre de Guenièvre par Arthur, qui le fit ensuite arrêter. Si le chevalier parvint à s’échapper, Guenièvre fut condamnée au bûcher.
Dante condamne les âmes du cercle des Luxurieux à être perpétuellement emportées par un tourbillon les malmenant. Paolo et Francesca ont pour compagnons d'infortuneHélène de Troie ou encoreCléopâtre.
Felice Romani,Francesca da Rimini, livret d'opéra mis en musique notamment par Feliciano Strepponi (1823), Luigi Carlini (1825) etSaverio Mercadante (1828).
Avant de s’attarder sur les œuvres elles-mêmes, il convient de distinguer au préalable les deux formes de représentation qui sont privilégiées par les artistes. QuandDante évoque le couple, c’est lors de sa rencontre avec les deux âmes, dans un temps qui est donc présent. Lors de sa conversation avec les Luxurieux, le poète raconte leur histoire, dans un temps qui est passé, révolu. Les artistes vont tantôt reprendre le dialogue entre Dante et les réprouvés, tantôt représenter ce qui a conduit ces derniers à la damnation. Lorsque Paolo Malatesta et Francesca da Rimini sont représentés en train de s’embrasser à la lecture deLancelot, ou assassinés parGianciotto Malatesta, ils sont pécheurs ; lorsque c’est leur situation au sein du deuxième cercle de l’enfer qui est favorisée, ils sont damnés.
Toutefois certaines œuvres peuvent prêter à confusion, ou volontairement représenter les deux moments de la vie (ou de la mort) du couple.
LorsqueAuguste Rodin représenteLe Baiser (initialement intituléPaolo et Francesca), ce sont les pécheurs qui l’intéressent, et même davantage le péché de luxure[3]. Néanmoins, lorsqu’il intègre le couple àLa Porte de l'Enfer, la nature des amants paraît beaucoup moins évidente. La nudité interroge : représente-t-elle symboliquement l’impudeur liée à l’acte interdit des jeunes amants ou la condition des Luxurieux en enfer ? Rodin brouille ainsi volontairement les pistes (sa connaissance de laDivine Comédie n’est plus à prouver) : la nudité évoque la damnation mais le peintre refuse tout élément iconographique s’y rapportant et mieux encore, il représente un événement – le baiser – censé s’être déroulé alors que les deux protagonistes étaient encore vivants.
Le péché et la damnation se rejoignent également dans uneaquarelle deDante Gabriel Rossetti[4]. Sous forme de triptyque, deux panneaux encadrentDante etVirgile. Les scènes sont, au contraire de l’œuvre de Rodin, clairement identifiables grâce à une iconographie dégagée de toute ambigüité. À gauche, dans le château deGradara, Paolo et Francesca s’embrassent,Lancelot ouvert sur leurs genoux. À droite, tandis qu’une pluie de flammes s’abat sur eux, les amants sont emportés par un tourbillon incessant. La damnation apparaît alors comme la conséquence directe du péché.
Représentés souvent en pleine lecture, échangeant un baiser ou morts assassinés, les amants portent la majeure partie du temps des vêtements typiques du Moyen Âge et particulièrement de l'époque (connue ou fantasmée) de Dante. Voici une liste non exhaustive des œuvres représentant Paolo Malatesta et Francesca da Rimini en tant que pécheurs.
John Flaxman,La Divine Comédie, dessins gravés par Tommaso Piroli, v. 1793, Division of Rare and Manuscript Collections, Cornell University Library, New York City, Chant V,Paolo et Francesca.
Le couple ne garde ici que peu de traces de la période médiévale, la nudité (même pudique) faisant partie intégrante de la condition du damné. Les artistes conservent parfois l'iconographie du châtiment (le tourbillon dantesque) et représentent souvent le dialogue que Dante entame avec Francesca tandis que Paolo, éploré, écoute le tragique récit en maintenant contre lui sa maîtresse. Voici une liste non exhaustive des œuvres représentant Paolo Malatesta et Francesca da Rimini en tant que damnés.
Manuscrit enluminé de laDivine Comédie de Dante en provenance de Milan, Italie, fol. 67, v. 1440, BNF, Département des Manuscrits, Division occidentale, Paris (Italien 2017).
Manuscrit enluminé de laDivine Comédie de Dante en provenance de Toscane, Italie, fol. 10,l’Enfer est illustré par Priamo della Quercia, 1444 - 1450, British Library, Londres (Yates Thompson 36).
Giovanni Stradano,La Divine Comédie de Dante, dessins aquarellés extraits d'un manuscrit, 1587, Biblioteca Medicea Laurenziana, Florence, (Med.Pal.75), Chant V.
Felice Giani,Dante et Virgile devant les ombres de Paolo et Francesca, 1805.
Album de photographies des œuvres achetées par l'État intitulé :Direction des Beaux-Arts. Ouvrages commandés ou acquis par le Service des Beaux-Arts. Salon de 1883 et exposition triennale. Photographié par G. Michelez.
Album de photographies des œuvres achetées par l'État intitulé :Direction des Beaux-Arts. Ouvrages commandés ou acquis par le Service des Beaux-Arts. Salon de 1890. Photographié par G. Michelez.
Tirage photographique de 13,5 x 17,5 cm sur papier albuminé représentant le tableau n° 1961 de Pierre Louis Marius Poujol -Dans la Tourmente des Voluptueux, Dante aperçoit Paolo et Francesca da Rimini, Fonds Cartes et Plans,Albums des salons duXIXe siècle ; salon de 1890, Cote : F/21/7659.
Liste non exhaustive des œuvres représentant le cercle desLuxurieux.
Giovanni Britto (attribué à), série de 87 gravures illustrant un manuscrit de laDivine Comédie de Dante publié en 1544, University of Otago Library, Dunedin, « cercle des Luxurieux ».
Jean François Marie Garnier,L'Enfer des Luxurieux, plat en bronze fondu et ciselé, patine brune, H. 0.03 ; ø. 0.53, entre 1859 et 1864, musée d’Orsay, Paris.
↑Voir à ce sujet l’ouvrage de D'Arco Silvio Avalle,Analyse du récit de Paolo et Francesca : Dante Alighieri, Enfer, V, Krefeld : Scherpe, 1975.
↑traduit par L. Portier, Paris : Editions du Cerf, 1987 (1re éd. 1472).
↑Auguste Rodin, « Le Baiser de Paolo et Francesca »,La Porte de l'Enfer, versions en bronze et en plâtre, 529 × 396 × 119 cm, (1880 - 1917),musée Rodin etmusée d’Orsay, Paris.
↑Dante Gabriel Rossetti,Paolo et Francesca da Rimini, aquarelle sur papier, 25,5 × 44,9 cm, 1855,Tate Gallery, London, NO3056.
Jacob Marius de Groot, Jan Jaap Heij et Leonardus Joseph Ignatius Ewals,Ary Scheffer : 1795-1858, dessins, aquarelles, esquisses à l'huile, catalogue d'exposition, Paris, Institut néerlandais, -, Paris : Institut néerlandais, 1980.
Leonardus Joseph Ignatius Ewals,Ary Scheffer : sa vie et son œuvre..., Nijmegen : [s.n.], 1987.
Hans Haug,Gustave Doré, catalogue des œuvres originales et de l'œuvre gravé conservés au Musée des beaux-arts de Strasbourg, Strasbourg : Édition des Musées de la ville, 1954.
Claudie Judrin,Dante et Virgile aux Enfers, catalogue d'exposition [Paris, musée Rodin,-], Paris : Musée Rodin, 1983.
Claudie Judrin,Rodin, l'enfer et le paradis : un dessin de sculpteur, Paris : Musée Rodin, 2002.
Per Kirkeby,Rodin : la Porte de l'enfer, traduit par Jean Renaud, Caen ; Paris : l'Échoppe, 1992.
Marthe Kolb,Ary Scheffer et son temps, Paris : Boivin, 1937.
Charles Yriarte,Françoise de Rimini dans la légende et dans l'histoire. Avec vignettes et dessins inédits d'Ingres et d'Ary Scheffer, Paris : J. Rothschild, 1883.
Articles
Marie-Nicolas Bouillet et Alexis Chassang, « Malatesta », dansDictionnaire universel d'histoire et de géographie, Paris : Librairie Hachelle et Cie, 1878.
Marie Antoinette Grunewald, « Paul Chenavard », dansDictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, sous la direction de Xavier de Montclos, Paris : Beauchesne, 1994, Volume 6,p. 116.
Paul Mantz, « Artistes contemporains. Ary Scheffer » dansL'Artiste,,p. 17-20.
Émile Montegut, « Interprétation pittoresque de Dante - l’Enfer, avec les dessins de M. Doré » dansRevue des Deux Mondes,2e période, T.36,,p. 433-466.