Il est une figure majeure de laNouvelle Vague et l’auteur de vingt et unlongs métrages qui ont contribué à révolutionner lanarration cinématographique.
En, Jeannine de Montferrand épouse Roland Truffaut[note 1] qui avaitreconnu l'enfant le 24 du mois précédent. L’enfant est en conséquence légitimé « Truffaut » le jour du mariage, en l’occurrence le[5]. Roland Truffaut — que Jeannine avait rencontré auClub alpin, association dontM. Montferrand père est vice-président — est dessinateur[7] dans un cabinet d'architecte-décorateur. Au printemps, moins de neuf mois après le mariage, Jeannine met au monde un petit René, qui ne survit pas plus de huit semaines. Le deuil de l'enfant légitime inscrit définitivement le petit François dans la position d'enfant rejeté[8].
En 1939, le jeune François Truffaut, qui a pris goût à la lecture auprès de sa grand-mère maternelle, fréquente les cinémas, le soir et souvent pendant les heures de classe. Il collectionne près de trois cents dossiers — constitués d'articles de journaux découpés et de photographies volées dans les cinémas[7] — sur des cinéastes, commeRenoir,Gance,Cocteau,Vigo,Clair,Allégret,Clouzot,Autant-Lara. Quandla guerre éclate, celui qu'il croit être son père est mobilisé et il reste un an avec ses grands-parents à la maisonTy-Rosen, que chaque été ceux-ci louent àBinic, une station balnéaire du département desCôtes-du-Nord.
En 1942, Geneviève de Montferrand, sa grand-mère, meurt detuberculose. Il retrouve le deux-pièces de ses parents, au 33rue de Navarin. Cinquante mètres plus haut dans la rue, au 22, dans un restaurant — qui en sert de cache àMélinée Manouchian — habite un jeune homme nomméCharles Aznavour : dix-huit ans plus tard, ce dernier sera la vedette du film de Truffaut,Tirez sur le pianiste. Le jeudi, les Truffaut soupent avec Robert Vincendon, qui est l'amant de la mère de François. Le père de famille, Roland Truffaut, devenu membre du comité de direction du Club alpin en 1939, est vice-président de la section Paris-Chamonix. Il consacre ainsi tous ses loisirs à l'alpinisme, en particulier à la revue duGroupe de haute montagne,La Montagne et Alpinisme, et à l'intendance desrefuges, raison pour laquelle il s'absente souvent.
Décrochage scolaire et école buissonnière (1943-1945)
Le vendredi soir ou le samedi, les parents de François Truffaut partent àbicyclette s'entraîner à l'escalade sur les rochers de laforêt de Fontainebleau, sans lui[13] désormais. La mère deClaude Véga, autre camarade, l'héberge le temps du week-end[14]. Lelivret de famille au début de l'année 1944, un de ces jours devarappe, lui apprend qu'il n'est pas le fils biologique de Roland Truffaut[7], mais il ne découvre l'identité de son père biologique qu'en 1968[15].Fugueur, il se précipite sans payer dans les salles de cinéma dePigalle ou de laNouvelle Athènes avec Robert Lachenay dès que ses parents s'absentent[16].
À la fin du mois de, il est embauché par un grainetier[7] grossiste, 16avenue de l'Opéra. Magasinier et homme à tout faire, il circule dansParis entre les dépôts. Il reverse à ses parents les deux tiers de son salaire tout en habitant le plus souvent dans lachambre de bonne où Robert Lachenay s'est installé quand le père de celui-ci, secrétaire duJockey Club poursuivi pour avoir participé durant l'Occupation à des activités demarché noir, a divorcé. C'est alors[19], à16 ans, qu'il connaît son premier amour, une certaine Geneviève S.[20]. Chaque fin de mois est difficile mais, plutôt que de solliciter leurs parents, les deux jeunes gens (Truffaut et Lachenay), privés de gaz et d'électricité, préfèrent jeûner jusqu'à trois jours durant. Ils se prêtent mutuellement leurs vêtements présentables pour aller travailler à tour de rôle[21].
En, François Truffaut déménage ses dossiers cinématographiques dans le grand appartement de la mère de Robert Lachenay, auno 10 de larue de Douai. C'est leur bibliothèque cinématographique. Ensemble, ils découvrent lecinéma américain et fréquentent lesciné-clubs, dont le « Ciné Art » auno 33 de l’avenue Pierre-Ier-de Serbie[22]. Ouvert par l’association « La Plaque tournante », fondée en[23] parArmand Jean Cauliez, le Ciné Art — qui qualifie sa revue homonyme de« mensuel de combat et d'initiation cinématographique »[24] — est, dans une démarche bien particulière, consacré à des films tirés de la vie quotidienne[25].Gilbert Cohen-Séat, enseignant de l'IDHEC, etJean Epstein, théoricien de la transformation de la civilisation par le cinéma, viennent y faire des présentations[26].
En mai 1948, François Truffaut démissionne de son emploi, par lassitude ou à cause d'une prime de départ. Il travaille à la librairie papeterieLa Paix chez soi, à proximité de laComédie-Française. En octobre 1948, il ouvre lui-même, malgré les avertissements bienveillants d'Henri Langlois, un cinéclub,Le Cercle Cinémane[27]. Il dispose des douze mille francs de sonindemnité de licenciement. Avec Robert Lachenay, il loue à la séance la salle 71boulevard Saint-Germain[7], le Cluny-Palace[28]. Dès la seconde séance, Cinémane souffre de la concurrence du cinéclub voisin, oùAndré Bazin donne des conférences. André Bazin,chrétien de gauche proche despersonnalistes, anime unCentre d'initiation cinématographique dans le cadre du programme gouvernemental de diffusion du cinémaTravail et Culture, TEC[29]. En parallèle du programme deformation permanentePeuple et culture et avec l'appui de laCGT, ce sont des séances de cinéma, desachats groupés de billets et des créations decinéclubs visant le public des ouvriers. François Truffaut rencontre le critique à son bureau,rue des Beaux-Arts, pour lui demander de décaler ses conférences du dimanche matin. C'est leur première rencontre.
François Truffaut publie sa premièrecritique dans la revueCités, queJacques Enfer[30] vient de fonder.
Cependant Cinémane, sans existence légale, a accumulé les dettes. Le 2 décembre 1948, le beau-père de François Truffaut, par un des prêteurs qui est de ses amis, découvre les dettes et que, pour y faire face, une machine à écrire lui a été volée. En échange d'une confession écrite humiliante, il les règle sur le champ, soit un peu plus d'un mois de son salaire qu'il avait économisé pour une expédition sur leKilimandjaro. Le samedi 4 décembre, François Truffaut et Robert Lachenay empruntent de nouveau des films pour leur séance du dimanche, s'engageant à payer cinq mille francs le lendemain. La recette est inférieure à deux mille francs. Roland Truffaut est aussitôt averti. Une violente dispute entre beau-père et beau-fils finit au poste, 7rue Ballu, où l'adolescent est détenu du 7 décembre au soir jusqu'à l'aube du 10. Le 12 décembre 1948, après deux jours de détention supplémentaires au dépôt de laPréfecture, lejuge pour enfants ordonne, en vertu de la« loi paternocratique », c'est-à-dire à la demande dututeur légal, de placer l'adolescent dans un établissement pour mineurs délinquants àVillejuif[7].
Le cinéaste transpose les épisodes de cette enfance, où la littérature est une évasion salutaire, dans son premier long métrageLes Quatre Cents Coups, à travers le personnageautobiographique d'Antoine Doinel. Quand celui-ci sèche son cours de gymnastique pour lireLa Recherche de l'absolu[33], c'est le jeune Truffaut, grand lecteur deBalzac, qui resurgit. De même dansBaisers volés, le héros nourrit un amour deroman pour le personnage de Fabienne Tabard, jusqu'à ce que celle-ci le rappelle à une réalité moins bourgeoise et plus subversive :« Moi aussi », dit-elle,« j’ai luLe Lys dans la vallée, mais je ne suis pasMadame de Mortsauf et vous n’êtes pasFélix de Vandenesse »[34].
Le jeudi, il se rend de nouveau à Paris, où il espère retrouver un travail. Ses relations avec sa mère,« certes pas une marâtre mais […] pas non plus une mère »[35], sont épouvantables, quand elles existent. Elle l'« accuse » d'entretenir une relation homosexuelle[36] avec Robert Lachenay. En fait, les deux amis fréquentent des prostituées ensemble, passent leur temps en concours decolles, par exemple :« quel est le troisième plan deLa Grande Illusion ? »[16]. Ils se lancent des records de séances à battre, cinquante films dans l'année 1948, puis cent, deux cents. L'aspirant critique revoit plusieurs fois les films, les analyse, scrute les moindres détails. Il compte les plans, regarde une image sans le son, puis écoute le son sans l'image.
Le 13 septembre 1949, François Truffaut est exclu du foyer Guynemer et rendu à sa famille, à cause d'une« influence néfaste » et d'un chahut, provoquant des dégâts matériels que son beau-père doit régler, soit, pension comprise, de nouveau l'équivalent d'un mois de salaire. Lejuge pour enfants a donné son accord parce qu'André Bazin accepte de l'embaucher au poste de secrétaire de la section cinématographique deTravail et Culture[10]. La moitié de son salaire paie la chambre que son beau-père, le 16 septembre, loue pour lui au cinquième étage d'un immeuble de larue des Martyrs, près deClaude Véga.
Quand, à Noël 1949,André Bazin se rend pour soigner unetuberculose dans unsanatorium desAlpes, Robert Lachenay trouve à son ami un poste d'apprenti soudeur àl'acétylène dans une usine[10] dePontault-Combault. Le samedi 19 janvier 1950, François Truffaut se rend à laCinémathèque, 7avenue de Messine. À la fin de la séance de seize heures, il aborde une lycéenne de son âge souvent présente. Liliane Litvin est celle qui devient le personnage deColette. Elle revoit François Truffaut. Dès lundi, il quitte l'usine. Il est reçu par les parents de la jeune fille, 24rue Dulong, comme d'autres. Elle ne montre que de l'indifférence. Il l'épie pendant des heures.
Le mardi 1950, il accompagne les parents de Liliane à un débat organisé par leClub du Faubourg auVilliers-Cinéma. Lors des séances suivantes, il prend la parole avec témérité, passion et assurance, et stupéfie les personnalités présentes. Le sénateurMarc Rucart,franc-maçon promoteur de l'abolition du bagne, est impressionné par la sauvagerie de son anticonformisme. Ses admiratricesLouise de Vilmorin, prototype du personnage deFabienne Tabart, etAimée Alexandre[39], une élève deGaston Bachelard, sont des soutiens fidèles.
Le, il estémancipé par son beau-père. À court d'argent, il rédige deux articles, les plus anciens qui ont été conservés, pour leBulletin du CCQL, le cinéclub duquartier latin d'Éric Rohmer. Il se brouille avecRobert Lachenay, pour une histoire d'argent. En, lors d'un concours d'éloquence organisé par leClub du Faubourg, il est remarqué parPierre-Jean Launay, directeur littéraire deElle. À partir de mai, le magazine lui achète des « photos-flash » sur des vedettes. Le reporter en vend aussi àCiné-Digest,Lettres du monde,France-Dimanche. Le, il emménage dans unhôtel meublé en face de chez Liliane Litvin, qui s'en amuse en faisant visiter la chambre par ses parents. Le, celle-ci reçoit pour ses dix-huit ans letout-Paris de la critique cinématographique. Elle connaît les infidélités de François Truffaut[20]. Présent, celui-ci se sent snobé. Le lendemain, elle le découvre dans sa chambre, inanimé, le poignet droit tailladé de vingt-cinq coups de rasoir.
C'est enenvoyé spécial deElle qu'il participe en àBiarritz au second Festival du film maudit, mais il est lassé de sa vie factice. Ses amours compulsives, entre femmes mariées, veuves, adolescentes etprostituées[40], ne le consolent pas de son échec auprès de Liliane Litvin.
À l'automne 1950, François Truffaut découvre leJournal du voleur etL'Enfant criminel de l'ex-légionnaireJean Genet. Il en tire deuxcritiques, qui sont refusées par la revueLettres du monde.
Le, il entreprend les démarches pour devancerl'appel. Le 19 décembre, il adresse ses deux critiques àJean Genet. Le, il signe un engagement de trois ans dans l'idée de se faire tuer enIndochine[7]. Les deux mois depeloton d’élèves-gradés passés au8e bataillon du32e régiment d'artillerie, àWittlich, lui révèlent ses incapacités physiques ne serait-ce qu'à remonter un fusil. Les manœuvres dans la boue, les gardes sous la neige, les marches forcées avec un paquetage de trente kilogrammes le guérissent de son enthousiasme initial, mais il conserve son admiration pour l'armée, sespolytechniciens, sa technique[41]. Le bruit du canon lui cause une perte auditive définitive de l'oreille droite. Il se réconforte en découvrantÀ la recherche du temps perdu, qui l'émerveille et qu'il relit.
Parce qu'il est volontaire pour mourir enIndochine, il reçoit des témoignages d'estime de la part des officiers, mais le, plutôttire-au-flanc, il termine sa formation très mal classé. Désormaisbrigadier, il est affecté le à un poste de secrétariat qui lui laisse le loisir de correspondre avecJean Genet, dont il a enfin reçu ce même mois une réponse inespérée. Lors d'une mission de transport de fusils, le camion verse et le chef de convoi Truffaut est puni pour négligence. Les premiers jours d'arrêt se passent à l'hôpital d'Idar-Oberstein pour soigner ses côtes cassées.
De la mi-mai à la mi-juillet 1951, il est le plus souvent en permission àParis, où il est hébergé par Geneviève S. Il a de longues conversations avecJean Genet, qui lui apprend à analyser ses lectures un crayon à la main[42]. Il se voitromancier plutôt quecritique[43]. Petite vengeance[44], il suscite la jalousie de Liliane Litvin en l'accompagnant au cinéma. Elle l'invite à la campagne et lui demande de rompre avec Geneviève[20].
Du 3 août au 3 septembre 1951, François Truffaut est enfermé à l'hôpital militaire Villemin pour être soigné d'un nouvel accès desyphilis. C'est là queJean Genet lui fait découvrir laSérie noire, qui lui inspirera plusieurs films.
ÀParis du1er[45] au 18 juin[44] 1951, François Truffaut emploie son séjour à préparer sadésertion, s'équiper en vêtements civils, trouver un emploi et des amis pour le cacher[45]. Certains lui offrent de garder durant la basse saison leur villa àCannes[45].
Entouré par celle-ci,André et Janine Bazin, il se rend à la prévôté desInvalides le soir du samedi 28 juillet. Comme il n'a pas été absent plus de quinze jours révolus, il n'est pas encore considéré commedéserteur. Il attend quatre heures de plus, jusqu'à minuit, pour se présenter de nouveau et jouir d'être tenu pour un véritable insoumis[46]. Il est incarcéré à la prison militaire duquartierDupleix. Submergé par l'humiliation, il obtient, seule consolation, que lesmenottes soient desserrées pour qu'il puisse lire lesCahiers du cinéma[47].
Le 1951, François Truffaut est extrait de la prison militaire duquartierDupleix et transféré en fourgon cellulaire àKehl puis en train àWittlich, où il est mis au cachot pour douze jours, mais le 15, il est admis à l'hôpital André Curillet(de), àAndernach, pour traiter sasyphilis. Le 25, il est incarcéré àCoblence, où sont désormais regroupés les différents bataillons du32e RA. Unique détenu d'une sinistre prison militaire gardée par gendarmes détachés d'unescadronprévôtal, il litBlaise Pascal[48]. Le 29 septembre, il s'enivre avec ses geôliers. Le lendemain matin, on le découvre le visage balafré par un rasoir qu'en infraction avec le règlement il lui a été complaisamment laissé[42].
Il simule la folie dans l'espoir d'être réformé[49] mais il éprouve une réelle souffrance morale, qui est une remise en cause personnelle[50]. Un mois plus tard, il est interné dans le service deneuropsychiatrie de l'hôpital militaire[51] d'Andernach parmi une dizaine de patients souffrant depsychoses graves[50] à une époque où le traitementneuroleptique n'existe pas. Les infirmiers, desappelés, sont brutaux[52]. Les médecins ne sont pas dupes d'un simulateur de plus[53].
De retour le à lacaserne Jeanne d'Arc(de), àCoblence, il est affecté au service de la cantine, où il a une aventure passionnée avec une jeune employée allemande, Laura. Alerté parAndré Bazin, qui multiplie les démarches, le sénateurMarc Rucart, qui a cerné le personnage Truffaut et deviné des souffrances remontant à l'enfance[54], obtient que celui-ci, servi par le dossier rédigé deux ans et demi plus tôt parRassa Rikkers, soitréformé pour« instabilité caractérielle » doublée de« tendance perverse à la délinquance ». Il estdégradé.
Dès sa libération, le 20 février 1952, François Truffaut est hébergé par les Bazin, àBry-sur-Marne, dans une mansarde du trois pièces cuisine que ceux-ci occupent avec leur fils de deux ans et de nombreux animaux au deuxième étage d'une maison entourée d'un parc. Ponctuées de moments de bonheur familial partagé[55], les disputes interminables entreAndré Bazin et son hôte, qui refuse un cinéma réaliste, engagé mais conçoit l'art comme une critique subversive voire une reconstruction imaginaire[56], sont si violentes que Janine Bazin ne se sent plus chez elle[57].
François Truffaut se remet difficilement. Il songe de nouveau au suicide mais avec calme et s'interroge sur son caractère[58]. Le samedi 3 mai, il invite Liliane Litvin à dormir àBry. Elle passe la nuit dans ses bras, chastement. C'est pour lui annoncer qu'elle est enceinte et qu'elle va épouser le père de son enfant.
« L'expérience de l’infamie »[59] que François Truffaut vient de vivre change définitivement son jugement sur le cinéma qu'il a admiré durant sa jeunesse. Les drames sociaux qui y sont dénoncés, dénonciations qui lui plaisaient tant, lui paraissent faux, les personnages, desallégories abstraites, sans rapport avec l'expérience vécue de leurs créateurs[60], leur psychologie, caricaturale[61], les scénarios, théâtraux.
François Truffaut, fort de son expérience chezElle, envisage une carrière dejournaliste. Au début de l'année 1953,André Bazin lui trouve un poste au service cinématographique duministère de l'Agriculture. Le contrat de quelques mois n'est pas renouvelé[10].
À partir de mars,André Bazin fait publier descritiques rédigées par François Truffaut dans lesCahiers du cinéma[10]. De plus en plus nombreuses, certaines sous pseudonymes, elles louent lecinéma américain et le tournage en décors naturels, si absents du cinéma français. À la fin de l'année 1953, François Truffaut est embauché par la revue au poste de rédacteur. Le numéro de janvier publie un article de lui, exceptionnellement long, préparé depuis plus d'un an. « Une certaine tendance du cinéma français » est un texte pamphlétaire contre les cinéastes de « qualité française » et le « cinéma de papa » empêtré dans les lourdeurs du trio producteur-scénariste-réalisateur[62]. L'article vise les scénaristesJean Aurenche etPierre Bost, et le réalisateurClaude Autant-Lara[63],[64]. Il est soutenu parClaude Mauriac mais divise la rédaction et cause un scandale tant parmi les réalisateurs que dans le lectorat.
Au sein de la revue, François Truffaut forme avec les autres rédacteurs,Claude Chabrol,Jacques Rivette,Jacques Demy,Éric Rohmer,Jean-Luc Godard, la jeune garde autour d'unAndré Bazin habitué à plus d’aménité et dépassé[65]. Le plus assassin est François Truffaut, qui manie l'insulte personnelle[66]. Il défend lecinéma d'auteur contre le cinéma de consommation[67] avec un dogmatisme de jeunesse qu'en 1984 il regrette[68]. Dans les vingt mètres carrés du 146Champs-Élysées, l'ambiance est libre mais avec le temps François Truffaut régente de plus en plus le travail de ses collègues.
André Bazin présente son protégé àMaurice Bessy, qui dirigeCinémonde, revue plus rémunératrice que lesCahiers du cinéma. François Truffaut est peu assidu et sa collaboration avec Michel Aubrian n'est pas prolongée au delà de deuxpiges. Il consacre son temps disponible à réaliser unbout d'essai,Une visite, son premier film. Il conçoit un scénario, qu'il renonce à réaliser et qui devientÀ bout de souffle.Jacques Laurent remarque son style et lui ouvre les seize pages de son hebdomadaireArts-Lettres-Spectacles, vitrine des « Hussards ». Lespiges y sont payées cinq fois plus qu'auxCahiers du cinéma et mettent François Truffaut à l'abri des privations.
À la fin de l'année 1954, il rencontreRoberto Rossellini. AvecÉric Rohmer, il l'invite au cinéma et s'en fait l'ami. Le cinéaste italien est en décalage avec le public habitué à un cinéma de divertissement et ne connait que des échecs commerciaux. L'année suivante, en 1955, François Truffaut réalise ses premières interviews d'Alfred Hitchcock, qui sont aussi parmi les premiers entretiens enregistrés de cinéastes amenés à s'exprimer.
Après avoir été récusé par un producteur,Ralph Baum, pour assister son amiMax Ophuls, François Truffaut est embauché en 1956 comme assistant du réalisateurRoberto Rossellini, « l'homme le plus intelligent que j'ai connu », pour trois films[10] qui n'aboutissent pas[7].
De son côté, l'exDada, proche dessurréalistes, est à la recherche d'un héritier spirituel. Le romancier a commencé de tirer un scénario de sonJules et Jim et projette d'en faire autant de sesDeux Anglaises et le continent. Il cherche son cinéaste et incite le jeune homme à réaliser des films d'après ses deux romans. Truffaut s'y emploie après la mort de l'écrivain, à partir des archives manuscrites prêtées par la veuve[72],[note 2].
Les deux hommes, à une génération d'écart, partagent une expérience adolescente d'une amitié gémellaire fondée sur l'échange des femmes[73], avec Jo Samarin pour Roché, Robert Lachenay pour Truffaut. Pour l'un et l'autre, cetteéducation sentimentale a donné lieu à un travail d'écriture[73]. L'un et l'autre ont été brièvement jetés en prison par l'armée. Une amitié exceptionnelle naît entre eux autour de l'expérience de l'enfance, des relations sexuelles avec les femmes, de l'écriture. Elle finit trois ans plus tard par la mort de l'écrivain.
Cette rencontre conforte l'apprenti cinéaste dans la position qu'il défend avec violence contre le cinéma français de l'époque, dans lesCahiers du cinéma, celle qui prône lecinéma d'auteur et, dans la lignée des idées d'André Bazin[7], lanarration subjective qui jette un regard objectif, en usant de laprofondeur de champ et duplan séquence, tout en respectant la continuité du cours de la vie. Truffaut trouve dans l'écriture impressionniste deRoché l'idéal littéraire dont il fera son propre procédé cinématographique, celui de l'ellipse jusqu'au vif essentiel tel qu'il saura l'exprimer en 1973 dans sonart poétique qu'estLa Nuit américaine :
« Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse. Il n'y a pas d'embouteillages dans les films, il n'y a pas de temps morts. Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. »
Cette conception de l’œuvre d'art comme unesublimation de la vie privée, un raccommodage voire unremontage, est plus qu'uneesthétique, celle de laNouvelle Vague[74], partagée avec Roché qui dès avril 1917 promouvait au côté deMarcel Duchamp leready-made. Elle est une morale surgie des déchirements de la vie et des ratages du désir. À la suite du« Ce n'est pas l'amour qui dérange la vie mais l'incertitude d'amour »[75] dufreudienRoché, Truffaut fera dire, comme un prolongement naturel, à un de ses personnages dans la même réplique« La vie est faite de morceaux qui ne se joignent pas »[76].Jules et Jim, roman de larévolution sexuelle, restera son livre de chevet, relu au moins deux fois par an.
François Truffaut se marie le 29 octobre 1957 avec Madeleine, fille d'Ignace Morgenstern, propriétaire de la société de distribution cinématographiqueCocinor[10]. Il l'a rencontrée treize mois plus tôt à laMostra de Venise. Il a deux filles avec elle, Laura, née le, qui enseigne le français àBerkeley, etÉva, née le, qui est actrice et photographe. Avec les fonds de son beau-père, il se lance dans la réalisation et fonde une société de production,Les Films du Carrosse.
Comme par un renoncement à la carrière d'écrivain, François Truffaut adapte une nouvelle d'un autre collègue de larevueLa Parisienne, le jeuneMaurice Pons.Les Mistons[10],court métrage narrant l'errance d'une bande d'adolescents qui regardent et tracassent un couple d'amoureux[77], sort en 1958.
Comme la plupart de ses camarades de la Nouvelle Vague, c'est sans expérience professionnelle que Truffaut se lance dans laréalisation[68]. Sa conception du métier est moins celle d'un technicien ducinématographe que celle d'un auteur, à l'instar deCocteau, s'exprimant par images et scènes dialoguées. Selon lui, il est possible d'apprendre plus en regardant des milliers de films et en rédigeant des critiques à leur propos qu'en étant assistant d'un réalisateur. Il prétend surtout faire des films personnels et sincères[68].
En 1958, il est interdit defestival de Cannes, sans doute à cause des critiques virulentes qu'il a publiées.
En1959, Truffaut tourneLes Quatre Cents Coups. Le film avait d'abord été imaginé comme un court métrage d'une vingtaine de minutes qui se serait intituléLa Fugue d'Antoine. L'intrigue était alors centrée sur l'épisode où Antoine, après avoir fait l'école buissonnière, raconte à son instituteur que sa mère est morte et prend la fuite après que ses parents ont découvert son mensonge. Pour le scénario du long métrage, Truffaut collabore avecMarcel Moussy[68]. Il recruteJean-Pierre Léaud dans le rôle d'Antoine Doinel après avoir passé une annonce dans le quotidienFrance-Soir[68].
Le film remporte leprix de la mise en scène auFestival de Cannes la même année et reçoit la reconnaissance de la critique. L'événement ouvre la porte au mouvement de laNouvelle Vague et à sa carrière mondiale. Avec trois millions six cent mille entrées, le film connaît un immense succès auprès du public[78].
Le personnage d'Antoine Doinel réapparaît en1962 avecAntoine et Colette, court métrage réalisé dans le cadre du film collectifL'Amour à vingt ans. Le film montre Antoine Doinel en adolescent timide, qui aime maladroitement une jeune fille, Colette, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive qu'elle en aime un autre[79].
DansBaisers volés, sorti en1968, Antoine Doinel, toujours joué parJean-Pierre Léaud, a une vingtaine d'années. AvecClaude de Givray etBernard Revon, François Truffaut imagine la vie du jeune homme qui rentre du service militaire, se cherche un métier, tombe romantiquement amoureux d'une jeune fille de son âge, Christine, personnage que joueClaude Jade, mais est fasciné par une femme mariée, Fabienne Tabard, jouée parDelphine Seyrig[68].
DansDomicile conjugal, sorti en1970, Truffaut raconte la vie conjugale du couple Antoine et Christine Doinel.
Truffaut réalise le dernier épisode de la saga « Antoine Doinel »,l'Amour en fuite en1979. Le film, qui raconte la séparation d'Antoine et Christine, contient en flashback des scènes issues des films précédents. Truffaut exploite ici le privilège d'avoir le même acteur à différents âges de la vie[68]. L'accueil par le public est mitigé.
François Truffaut est vivement opposé à la politique culturelle du régime gaulliste, ce qu'il exprime dans une lettre adressée à son amieHelen Scott à la veille duréférendum de 1962[81]. En 1967, il refuse la Légion d'honneur[81].
AprèsLes Quatre Cents Coups, Truffaut filmeCharles Aznavour etMarie Dubois dansTirez sur le pianiste, adaptation d'un roman noir deDavid Goodis. Il y fait le portrait d'un pianiste raté et ravagé par le doute[82]. Pour la musique, il s'adresse au compositeurGeorges Delerue. Entre eux naît une grande complicité, qui s'entend à l'écran et se traduit par une collaboration renouvelée.
Comme souvent dans sa carrière, Truffaut réalise un nouveau film en réaction à son film précédent. Alors queLes Quatre Cents Coups était un film très « français »,Tirez sur le pianiste est influencé par lecinéma américain. Le film est aussi fait en réaction à sa nouvelle notoriété. Truffaut, qui vient de passer brutalement de l'ombre à la lumière avec le succès fulgurant desQuatre Cents Coups, raconte l'histoire d'un homme qui passe de la célébrité à l'anonymat[68]. Le succès de son précédent film a paradoxalement déçu Truffaut qui voit son film apprécié par des gens qui n'aiment pas vraiment le cinéma. En réaction, il souhaite faire un film pour cinéphiles[83]. Le résultat est un échec commercial et Truffaut cesse de soutenir« les copains »[73]. La rupture et les insultes l'affectent profondément[73].
Son troisième film,Jules et Jim, adapté du roman homonyme d'Henri-Pierre Roché, raconte pudiquement l'histoire d'un amour à trois[84]. Le film est un succès. À partir de là, ses films sont vendus à l'étranger parAlain Vannier. Avec ses trois premiers longs métrages, François Truffaut s'est déjà imposé comme un grand réalisateur[85]. En 1963,Les Films du Carrosse coproduisentMata Hari, agent H 21, et Truffaut participe à la rédaction des dialogues et du scénario[10].
Il a avec l'actriceLiliane David une liaison, dont il s'inspire en 1964 pour le filmLa Peau douce même si le rôle principal féminin est confié àFrançoise Dorléac. Il divorce la même année de Madeleine Morgenstern. Séducteur compulsif dès le soir tombé, comme il s'est trouvé décrit dans le journal d'Henri-Pierre Roché qui lui inspirera l'idée deL'Homme qui aimait les femmes[note 3], Truffaut est en effet amoureux de ses vedettes féminines[note 4] :
« Le travail du metteur en scène consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes[86]. »
La célébrité redoublée parJules et Jim lui vaut, en1965, d'être le sujet exclusif d'une émission de télévision,Cinéastes de notre temps[10]. L'année suivante, il réalise enAngleterreFahrenheit 451, film descience-fiction et apologie de la littérature adapté du célèbreroman deRay Bradbury[87] qu'il a découvert en août 1960.
En avril 1967, la radio lui offre dix heures d'antenne pour un sujet de son choix. C'est lamaltraitance des enfants, sujet tabou et seule cause pour laquelle il est prêt à s'engager. Il incrimine la même logique sociale concentrationnaire qui, avec le soutien du peuple, a conduit en temps de guerre vers descamps d'extermination des individus rendus vulnérables et se retourne en temps de paix au sein même des familles contre les enfants.
Carte d'un adhérent du Comité de défense de laCinémathèque française signée par le trésorier, F. Truffaut.
En février 1968, Truffaut prend la défense d'Henri Langlois, que les autorités veulent démettre de ses fonctions de directeur de lacinémathèque française[88],[10]. Il se retrouve à la tête du Comité de défense de la Cinémathèque[88].
Truffaut demande au patron de l'agence Dubly, Albert Duchenne, de retrouver son père biologique[88]. L'enquête d'un détective privé lui apprend qu'il s'agit de Roland Lévy, un dentiste né àBayonne en 1910 de Gaston Lévy et de Berthe Kahn[4]. C'est un descendant, du côté paternel, d'une familleséfarade portugaise réfugiée à Bayonne dès leXVIIe siècle, lesLévi Alvarès. Durant l'entre deux guerres, Roland Lévy poursuit des études àParis, où il habiterue de la Tour-d'Auvergne. C'est là qu'il fréquente Janine de Montferrand, qui met au monde leur fils hors mariage. À l'arrivée des troupes allemandes, il part pourTroyes et échappe auxdécrets contre les juifs. Il épouse Andrée Blum en juillet 1949. En1954, il ouvre un cabinet dentaire dans le centre-ville deBelfort, boulevard Carnot[4],[89]. En 1959, le couple se sépare après avoir eu deux enfants[90].
Au moment où il découvre ses origines, au printemps de cette même année 1968, Truffaut fait une demande en mariage à la famille de son actrice préférée et sa cadette de seize ans (et encorematrimonialement mineure),Claude Jade, qui a tourné dansBaisers volés. Il prend tardivement conscience de la différence d'âge et renonce peu de temps avant la cérémonie, prévue pour juin, fuyant un second mariage dans ses activités professionnelles et politiques liées à l'affaire Langlois[91].
La question de l'engagement politique du cinéaste lors demai 68 est l'occasion d'une scission entre les anciens amis de laNouvelle Vague. François Truffaut défend la position modeste d'un homme accomplissant sans hypocrisie son métier à l'adresse du spectateur plutôt qu'au service d'une cause que celui-ci n'a pas achetée avec son billet. Il soutient en revanche l'annulation du festival de Cannes en solidarité avec les manifestations étudiantes et les ouvriers en grève[81].
Baisers volés reçoit des récompenses nationales et internationales.
La mort de sa mère, le 22 août 1968, le plonge dans ses souvenirs. Il récupère les documents liés à son enfance, l'école, les lettres, la maison de redressement, et retourne à ses journaux intimes. À la fin de l'année, à la demande deJean-Paul Sartre[92], il met sa notoriété au service du journalla Cause du peuple en butte à lacensurepompidolienne parce qu'il considère qu'il est du devoir d'un artiste de défendre laliberté d'opinion[93]. Il reconnaît en Sartre un modèle de cohérence politique, « un homme à l'engagement quotidien et placide »[81].
Il s'engage sur l'enfance maltraitée. Il réclame plus de sévérité pour les parents violents. Il est également membre des comités de parrainage duSecours populaire et des bienfaiteurs deSOS Villages d'enfants[81].
En 1969, il réaliseLa Sirène du Mississipi avecCatherine Deneuve etJean-Paul Belmondo. Le public est au rendez-vous. À partir de ce tournage, le cinéaste entretient avec sa vedette féminine, qu'il appelle Kathe, comme la blonde héroïne deJules et Jim, une vie de couple discrète. Il réalise ensuiteL'Enfant sauvage,« le plus anthropologique de ses films »[94].
À la suite de la censure de l'une des émissions de télévision deJanine Bazin etAndré Labarthe,Vive le cinéma, François Truffautboycotte lesDossiers de l'écran du 5 juillet, au cours desquels il devait participer à un débat sur la liberté de penser illustré par son filmFahrenheit 451. En septembre sortUne belle fille comme moi. Il y raconte l'histoire d'un sociologue, incarné parAndré Dussollier, qui est fasciné par son objet d'étude, la criminelle Camille Bliss, jouée parBernadette Lafont. À l'encontre de toute morale, Camille Bliss, pour échapper à la prison, fait accuser du meurtre de son compagnon le sociologue, qui est condamné à sa place.
AvecLa Nuit américaine, François Truffaut montre un film en train de se faire et incarne lui-même le rôle du réalisateur tandis queJean-Pierre Léaud incarne l'acteur principal du film. En 1973, à l'occasion de la sortie du film, il se brouille définitivement avecJean-Luc Godard par lettres interposées[96],[97],[98].
En 1975, il réaliseL'Histoire d'Adèle H. avecIsabelle Adjani dans le rôle-titre. Il est fasciné par la comédienne de dix-sept ans qu'il a vue à la télévision jouerL'École des femmes et a obtenu de laComédie-Française qu'elle démissionne pour son seul plaisirvoyeuriste de l'admirer à travers l’œil de sa caméra, au point de créer une situation ambigüe et embarrassante[99].
Il réalise ensuite un film sur la mort,La Chambre verte, adapté du romanL'Autel des morts de l'écrivain américainHenry James. Il y incarne un personnage étrange et hanté par la mort, qui préfère la compagnie de ses amis morts à celle des vivants. Le film déroute le public.
En 1977, François Truffaut joue dansRencontres du troisième type le rôle du scientifique français Lacombe, qui est un personnage inspiré par l'ufologueJacques Vallée. Spielberg est un grand passionné de la filmographie de Truffaut. Comme Truffaut n'est pas parfaitement bilingue, Spielberg accepte qu'il parle en français et que les répliques soient traduites par un collègue dans la version originale.
Truffaut écrit avecSuzanne SchiffmanLe Dernier Métro (1980), film qui inscrit une histoire d'amour dans leParis de l'Occupation tel que le réalisateur a pu l’observer lorsqu’il était jeune adolescent. Le film est notamment inspiré parMargaret Kelly (la danseuse Miss Bluebell), qui avait caché pendant des mois son mari Marcel Leibovici durantla guerre. Truffaut est en proie à un doute permanent sur le film[15] dans lequel jouentDepardieu etDeneuve. C'est un immense succès populaire : il fait 3 300 000 entrées[100] et est salué par dixCésar, dont ceux du meilleur scénario, du meilleur film, du meilleur réalisateur.
DansLa Femme d'à côté, inspiré d'un fait divers comme l'avait étéLe Rouge et le Noir, Truffaut revient à une histoire intime, une relation de couple d’apparence banale, avec un parti pris de recul et de neutralité. Le personnage de Bernard montre un homme apparemment monolithique, sûr de lui, responsable, avec une vie de famille et un métier. L’apparition de Mathilde ressuscite en lui une passion ancienne dont la puissance possessive va inexorablement l'entraîner jusqu’à remettre en cause tous ses masques, familiaux, sociaux, professionnels, et en faire la victime, peut-être consentante, d'un désir absolu et impossible.
L'actrice principale,Fanny Ardant, avec qui il aura une fille, sera le dernier amour de Truffaut[101].
Au début desannées 1980, il a le projet d'adapter avec son scénaristeJean Gruault le roman dePaul Léautaud,Le Petit Ami, récit de la tentation incestueuse entre un fils et sa mère. Le projet est finalement abandonné, mais le travail avec Jean Gruault se prolonge dans l'écriture d'une saga, laBelle Époque[102], Cette période heureuse, déjà évoquée dans les deux adaptations deRoché, est représentée à travers le parcours de personnages de la France du début duXXe siècle. Le film sera réalisé parGavin Millar en 1995 pour la télévision sous la forme d'unemini-série[note 5].
Peu auparavant, en juillet, le cinéaste loue la maison que possède en bordure de la ville d'Honfleur, enNormandie,Michel Berger, lui-même en pleine composition de la bande originale du filmRive droite, rive gauche dePhilippe Labro (1984). Il doit y passer tout l'été avec Fanny Ardant, enceinte de lui, et travailler sur ses scénarios, notammentLa Petite Voleuse etBelle Époque, mais il est pris d'une attaque violente qui le conduit aux urgences : il vient d'avoir la première manifestation duglioblastome dont il est atteint, un type agressif detumeur cérébrale[103],[106].
En avril 1984, il apparaît, marqué par la maladie, dans l'émissionApostrophes queBernard Pivot lui consacre à l'occasion de la réédition, sous le titreHitchcock/Truffaut, du livre qu'il avait publié sur son maître dix-huit ans plus tôt, en 1966.
En octobre 2014, laCinémathèque française dédie à François Truffaut une importante exposition rétrospective pour le trentième anniversaire de sa mort. À cette occasion,Axelle Ropert réalise un triptyque composé de trois courts métrages[109] (Acteurs,Actrices,Couples) dans lesquels la cinéaste invite de jeunes comédiens entre 20 et 40 ans à passer un casting en répondant à un questionnaire « truffaldien »[110].
François Truffaut tourne en 1963 dans un décor naturel.
Comme la plupart des cinéastes de la Nouvelle Vague, François Truffaut n'aime pas les studios et a préféré tourner ses films en décors réels, à l'exception deFahrenheit 451, son film de science-fiction[68].
François Truffaut n'est pas seulement un cinéphile ; il est aussi un lecteur. Les personnages de ses films lisent souvent, comme Antoine Doinel plongé dans la lecture duLys dans la Vallée, dansBaisers volés.
Dans son attaque contre le cinéma de « qualité à la française » publiée dans lesCahiers du cinéma en 1954, François Truffaut s'en prend à la manière dont les scénaristesJean Aurenche etPierre Bost adaptent les grandes œuvres de la littérature française au cinéma[83].
En tant que metteur en scène, il a lui-même adapté de nombreux romans au cinéma (Tirez sur le pianiste,Jules et Jim,La Mariée était en noir,Les Deux Anglaises et le continent,La Sirène du Mississipi,Une belle fille comme moi, etc.). À l'exception des deux romans d'Henri-Pierre Roché que Truffaut considérait comme un écrivain supérieur àJean Cocteau, qu'il admirait aussi, Truffaut n'a jamais porté à l'écran de grands classiques de la littérature française. Au contraire, la majorité de ses adaptations sont issues de la littérature anglo-saxonne, plus particulièrement, duroman noir[83].
Pour son deuxième film,Tirez sur le pianiste, Truffaut s'inspire deDown there deDavid Goodis. À la différence des scénaristes qu'il critiquait, il adapte un roman appartenant à un genre considéré comme mineur plutôt qu'un chef-d'œuvre de la littérature[83].
Concernant les films réalisés à partir de l'œuvre de Roché, il ne les considère pas comme des« adaptations cinématographiques d'œuvres littéraires » mais comme des « hommages filmés » à un écrivain qu'il admire[83].
Les personnages masculins de François Truffaut sont souvent isolés et renfermés sur eux-mêmes. Charlie Kohler, dansTirez sur le pianiste, finit seul à son piano. Montag, dansFahrenheit 451, est isolé du reste de la société. Pierre Lachenay dansLa Peau douce, se retrouve aussi abandonné, par sa maîtresse comme par sa femme, laquelle ne le retrouve que pour l'assassiner. Antoine Doinel est un inadapté. C'est aussi le cas d'Alphonse dansLa Nuit américaine ou de Claude dansLes Deux Anglaises et le Continent, qui se retrouve isolé à la fin du film, et de Julien Davenne dansLa Chambre verte[114].
Jean-Pierre Léaud est l'acteur fétiche de Truffaut. Il incarne notamment Antoine Doinel dansLes Quatre Cents Coups,Antoine et Colette,Baisers Volés,Domicile conjugal etL'Amour en fuite.
Bernadette Lafont débute au cinéma dansLes Mistons (1957). Elle retrouve François Truffaut pourUne belle fille comme moi (1971).
Cinéaste très attentif aux acteurs et à leurs personnages[115], François Truffaut a offert à plusieurs comédiens des rôles qui ont fait date dans leurs carrières :
Claude Jade fut révélée par François Truffaut et fut « Christine Darbon » dansBaisers volés,Domicile conjugal etL'Amour en fuite ; Truffaut la demanda en mariage en 1968, mais renonça au dernier moment. Ils restèrent amis et il l’appelait « ma troisième fille ».
Marie-France Pisier débuta à 17 ans dansAntoine et Colette (court métrage) et fit une très courte apparition dansBaisers volés et reprit son rôle de Colette dansL'Amour en fuite, dont elle contribue aussi au scénario.
Certaines actrices ne tournèrent qu'une seule fois avec Truffaut :
Françoise Dorléac, sœur de Catherine Deneuve, interpréta le premier rôle féminin deLa Peau douce. Truffaut lui apprit à calmer son jeu et à dire son texte plus lentement. C'est notamment grâce à ce rôle qu'elle accéda au rang d'actrice de talent et de star incontestée du cinéma français à cette époque.
Truffaut a une sensibilité particulière pour les enfants. Trois de ses longs métrages sont centrés sur des personnages enfants,Les Quatre Cents Coups,L'Enfant sauvage etL'Argent de poche[116]. Les trois évoquent lamaltraitance, la cruauté des adultes mais aussi la bienveillance de ceux qui savent s'adresser à l'enfant comme à eux-mêmes. CommeRoché, Truffaut plaide pour une morale éducative.
C'est àAlfred Hitchcock qu'il emprunte le procédé dramatique d'une intrigue nouée autour d'une figure féminine qui fascine autant la caméra que le héros.
Il revendique également l'influence deRoberto Rossellini. Il admire notamment chez Rossellini la manière de filmer les enfants[68].
François Truffaut dit que ces films sont à environ vingt pour cent autobiographiques, à vingt pour cent pris dans les journaux, à vingt pour cent pris dans la vie des gens de son entourage et à vingt pour cent de fiction pure[16].
Il dit à ce propos : « Je ne peux pas faire une chose qui soit très loin de moi, c’est vrai. J’ai besoin de m’identifier, de me dire : « j’ai été dans des circonstances comme ça ou je pourrais être dans des circonstances comme ça », j’ai besoin de ce critère tout le temps pour travailler ».
Toutefois, il interprète un des personnages principaux dans le filmRencontres du troisième type deSteven Spielberg à la demande de ce dernier qui lui voue une grande admiration.
Innocents (The Dreamers) deBernardo Bertolucci (2003) contient des images d'archives qui montrent Truffaut prenant la parole lors de la manifestation des réalisateurs devant la Cinémathèque Française en 1968.
François Truffaut, Bernard Bastide (éd.),Correspondance avec des écrivains : 1948-1984, Gallimard, Paris, 2022.
François Truffaut, Bernard Bastide (éd.), "Lettres de et à François Truffaut, chroniqueur d'Arts-spectacles",1895 : revue d'histoire du cinéma n°96, printemps 2022, pp. 208-243 ; n°97, été 2022, pp. 198-232.
François Truffaut etHelen Scott,Mon petit Truffe, ma grande Scottie. Correspondance, 1960-1965, édition établie et commentée parSerge Toubiana, Denoël, 2023.
François Truffaut, Bernard Bastide (éd.),Correspondance avec des cinéastes : 1954-1984, Gallimard, Paris, 2025[134].
Éva Truffaut, la seconde fille de Truffaut, déclare avoir retrouvé, en 2003, les bobines du dernier film de son père. Avec Élisabeth Butterfly[135], elle produit pour l'Atelier de Création Radiophonique deFrance Culture un canular radiophonique en forme d'hommage,Le Journal d'Alphonse, qui serait l'ultime épisode du cycleDoinel, avec les personnages de Christine Doinel jouée parClaude Jade et de son fils Alphonse interprété parStanislas Merhar[136]. C'est le texte de ce pseudojournal qui est publié en 2004 parGallimard.
↑René Apellaniz & Rassa Apellaniz-Rikkers, « Étude de l’entretien clinique. A propos de l’examen psychologique des jeunes délinquants », inRééducation. Revue française de l'Enfance Délinquante, déficiente et en danger moral,no 142-143,p. 11-62,Ministère de la justice, Paris, octobre 1962.
↑J. Bazin, Lettre à François Truffaut, février 1965, citée inR. Lachenay,Le Roman de François Truffaut,p. 24-25,Cahiers du cinéma, Paris, décembre 1984.
↑Vanessa Schneider, « François Truffaut par Fanny Ardant : « Comme moi, il mettait l’amour au-dessus de tout » »,Le Monde,(lire en ligne, consulté le)
C. de Givray & F. Truffaut,Le Scénario de ma vie, début juillet 1984.
Projet d'unlivre autobiographique suggéré en 1977 par Charles Ronsac pourRobert Laffont, finalement réduit à deux après midi d'entretiens enregistrés au magnétophone. La transcription de ces entretiens est consultable dans le Fonds Truffaut des archives de laCinémathèque française.