Lancé parGeorge Maciunas qui en inventa également l'appellation, Fluxus participe aux questionnements soulevés par les formes d'arts qui voient le jour dans lesannées 1960 et1970 : statut de l'œuvre d'art, rôle de l'artiste, place de l'art dans la société, notamment[2]. L'humour et la dérision sont placés au centre de la démarche et participent à la définition de Fluxus comme un non-mouvement[3], produisant de l'anti-art[2] ou plutôt unart-distraction[4].
Entre 1958 et 1961[5], de jeunes artistes, influencés par le mouvementdada, par l'enseignement deJohn Cage — lui-même inspiré par la philosophiezen et lesready-made deMarcel Duchamp —, effectuèrent un minutieux travail de sape des catégories de l'art par un rejet systématique des institutions et une profonde remise en question de la notion d'œuvre d'art[6].
Aux côtés d'Allan Kaprow etRobert Watts, également élèves de John Cage,George Brecht proposa, en 1958 un projet visant à supprimer les frontières entre toutes les formes artistiques et la vie, mais aussi la science et les techniques[9]. Parallèlement, dans la lignée directe de John Cage[10],Allan Kaprow développe leshappenings tandis que George Brecht met en scène desevents[11].La Monte Young, lui, explore les dimensions musicales ouvertes par John Cage et poursuit son travail sur le silence : c'est à la New School for Social Research qu'il rencontreYoko Ono, dont l'atelier est un lieu permanent de manifestation aux croisement de la musique et de l'« action vivante »[12].
George Maciunas, inspiré par Yoko Ono, organise alors dans sagalerie AG des événements[13]. Davantage versé dans le graphisme, il en assure la promotion : c'est sur le programme de l'un d'eux que l'on peut lire pour la première fois, en 1961, le motFluxus. Sous l'impulsion de La Monte Young, il réalise en 1961 une publication qui regroupe des œuvres des artistes officiant chez Yoko Ono et à la galerie AG, mais aussiNam June Paik, continuateur de l'œuvre de John Cage. IntituléeAn Anthology, elle porte en sous-titre les concepts qui représentent la diversité du mouvement qui ne porte pas encore le nom de Fluxus[14].
En 1963,Charlotte Moorman organise le premierAnnual Avant Garde Festival of New York. Ce festival de musique expérimentale a lieu dans divers endroits de la ville de façon à favoriser les rencontres entre le public et les artistes. La dernière édition de ce festival a lieu en 1980[15].
En 1964, l'œuvreCut Piece réalisée parYoko Ono est également une œuvre majeure pour l'art de la performance et du happening pour ce mouvement[16][réf. à confirmer].
Avec le festivalFluxus Internationale Festspiele neuester Musik[17] donné àWiesbaden, enAllemagne, et organisé parGeorge Maciunas, avec l'aide deJoseph Beuys[1] le mouvement Fluxus est pour la première fois clairement identifié[18].
Suit alors une tournée Fluxus européenne, durant laquelle plusieurs artistes se lient au mouvement, dontRobert Filliou etBen Vautier, qui en représentent la branche française. On compte parmi les destinations FluxusCopenhague (Festum Fluxorum) etParis en1962,Düsseldorf,Amsterdam,La Haye et l'un des plus importants, leFluxus Festival of Total Art deNice, organisé parBen, en1963. Parmi les actions menées : « Gifler, sans l'avoir prévenue, une charcutière » ou « faire du vélo dans les airs en hurlant »[19].
BoîtesTactile Box etFinger Box de l'artiste japonaisAy-o.
L'argent manquant, le vaste programme de festivals qu'avait imaginésGeorge Maciunas s'interrompt. Il reprend alors l'édition d'une revue commencée parGeorge Brecht,V TRE, et en fait la revue Fluxus. Elle sera définie ironiquement par ses éditeurs comme « l'organe officiel de Fluxus »[20]. Six numéros sortiront entre 1964 et 1966, avant de s'espacer.
En parallèle sont lancées les boîtes Fluxus, boîtes distrayantes initiées par George Brecht et qui matérialisent certains de sesevents. Par exemple, citons la boîteSwim puzzle, dans laquelle on trouve un coquillage et le texte : « Arrangez les billes de sorte que le mot "C.U.A.L" n'apparaisse jamais ». Notons que, George Maciunas étantdaltonien, la plupart des boîtes Fluxus sont en noir et blanc[21]. Comme il voulait chaque boîte Fluxus libre de toutcopyright et appartenant audomaine public, il se chargea lui-même des impressions et éditions de chacune[22]. Mais le but de ces boîtes Fluxus est quand même mercantile, tout du moins dans l'idée de rentabiliser la production et surtout de diffuser les travaux des artistes estampillés "Fluxus" par Maciunas, et ceci dans un esprit diamétralement opposé à celui du marché de l'art traditionnel. Mais, malgré tout ses efforts, cette diffusion reste finalement un échec commercial[23].
Pendant l'Originale deKarlheinz Stockhausen, donnée pour la première fois en1961, des artistes sont invités à s'exprimer librement pendant des temps de silences. En1964,George Maciunas etHenry Flynt manifestent contreStockhausen pendant une interprétation de sonOriginale àNew York, à laquelle participent, entre autres,Nam June Paik,Jackson Mac Low etDick Higgins. Plutôt révolutionnaires,Maciunas etFlynt accusaientStockhausen d'avoir qualifié lejazz de musique primitive[24]. Ils s'élevèrent alors « contre la culture sérieuse»,Maciunas politisant le mouvement, voulant « purger le monde de la maladie bourgeoise, de la culture « intellectuelle », professionnelle et commercialisée »[25]. C'est là l'un des grands conflits qui agita Fluxus et conduisit plusieurs de ses membres, commeNam June Paik ouJackson Mac Low, à se dissocier du groupe.
Fluxus se caractérise par la difficulté qu'il existe à le définir. On compte peu de textes théoriques le concernant, l'un des seuls étant le manifeste deGeorge Maciunas, qui ne représente en fait qu'une partie des concepts relatifs au mouvement[26].George Brecht a également tenté de résumer les aspirations de Fluxus : « Avec Fluxus, il n'y a jamais eu aucune tentative d'accord sur des buts ou des méthodes ; des individus avec quelque chose d'indescriptible en commun se sont simplement et naturellement réunis pour publier et jouer leurs œuvres »[27].Nam June Paik, lui, définissait Fluxus comme« de nombreuses personnes qui sont toutes libres, [...] autant de personnes qui sont restées amies aussi longtemps, sans discipline et sans dispute[28]. » Même si la définition du mouvement est presque impossible à faire, il est toujours possible de dégager deux traits communs entre les œuvres : la provocation néo-dada et des références fondatrices aux expériences musicales de John Cage.
Le but avoué de ce mouvement artistique était de supprimer toutes frontières entre l'art et la vie : tout est art. Les œuvres Fluxus ne sont pas formelles, ni esthétisées, et ne sont pas même considérées comme des œuvres[29]. L'accent est également mis sur la mise en scène du banal, du quotidien, de tout ce qui ne serait pas de l'art : on ne crée pas un « art beau » mais on met en œuvre un style de vie[30].
En intégrant le public à la performance artistique, les artistes Fluxus veulent supprimer l'idée d'un art qui se donne à voir et mettent plutôt en avant l'idée d'un art qui s'expérimente, se vit. Fluxus a une réelle volonté de « transférer des responsabilités »[29] sur le public. Les artistes Fluxus insistent également beaucoup sur le côté éphémère de leur art, ainsi,Ben Vautier affirme que « toute rétrospective de Fluxus est une fossilisation de Fluxus »[29].
L'Allemagne a joué un rôle important dans le développement de Fluxus en accueillant, notamment, les premiersFluxFest. C'est auStädtische Museum deWiesbaden deHaro Lauhaus qu'est présentée la première manifestation officielle du mouvement Fluxus :FLUXUS, le Festival international de nouvelles musiques, du1er au.
Dès 1962 et jusqu'en 1970 les activités de Fluxus se concentrent àNice à la boutique deBen Vautier, rue Tonduti de l'Escarène[31], et au Théâtre de l'Artistique. Outre Ben, le groupe comprend des artistes commeRobert Bozzi,George Brecht,Robert Filliou,Marcel Alocco,Robert Erebo etSerge Oldenbourg (dit Serge III)[32]. L'expression Art Total désigne souvent les activités de ce groupe. En, avec la venue à Nice de George Maciunas, a lieu la première manifestation niçoise sous le nom de Fluxus, autour de Ben Vautier qui anime le Théâtre Total. De 1963 à 1965 sont jouées sur lapromenade des Anglais et en salles des compositions des Fluxmen, de Ben et de George Brecht,George Maciunas ouRobert Watts. De 1965 à 1969 George Brecht et Robert Filliou, installés àVillefranche-sur-Mer, animent « La Cédille qui sourit » et participent aux activités Fluxus à Nice (notamment Galerie A, et « Le Hall des remises en question »). Plusieurs artistes de FluxusNew York comme Dick Higgins ou George Maciunas sont alors invités à Nice sous l'impulsion de Ben Vautier.
La ville deBlois (Loir-et-Cher) a ouvert unefondation consacrée à Fluxus avec une partie des œuvres de Benjamin Vautier et ses contemporains[33].
À partir de 1969, sous l'impulsion deJohn Armleder, Patrick Lucchini et Claude Rychner, qui fondent le groupeEcart, Fluxus trouve à Genève un lieu d'exposition, d'organisation de happenings, et surtout de diffusion de publications. Si le collectif s'est dissout en 1982, son histoire et ses œuvres se retrouvent encore aujourd'hui auMAMCO deGenève[34].
Considérant l'affirmation deGeorge Brecht selon laquelle Fluxus rassemble des personnes ayant des préoccupations artistiques ou existentielles en commun, et que Fluxus désignerait davantage l'expression d'un sentiment d'identification à ce groupe, plus qu'un mouvement bien défini, on compte parmi les artistes dits Fluxus :
↑a etbPhilippe Dagen, « L'histoire de Fluxus racontée à la va-vite »,Le Monde n° 21 089, 8 novembre 2012
↑a etbNicolasFeuillie,FLUXUS DIXIT, Une anthologie, Vol. I, Dijon,Les Presses du réel,, 283 p.
(texte réunis et présentés par Nicolas Feuillie)
↑Robert Filliou a affirmé : "Fluxus n'a jamais existé, d'une certaine façon",in Chantal Gaudreau, « Robert Filliou : une galerie dans une casquette »,Cahier de l'École Sociologique Interrogative n°1, mars 1980, p. 10
↑« L'Art-distration Fluxus doit être simple, amusant, sans prétention, traitant de choses insignifiantes, ne requérant aucune habileté ou répétition sans fin, n'ayant aucune valeur commerciale ou institutionnelle »,Manifeste Fluxus, 1965
↑Nicolas Feuillie (éd.),Fluxus Dixit. Une anthologie,Les Presses du réel, coll. L'écart absolu, Dijon, 2002, p. 7
↑« Sans John Cage, Marcel Duchamp et Dada, Fluxus n'existerait pas », Ben Vautier,inArt press n°13, septembre-octobre 1974
↑Project in Multiples Dimensions, Robert Watts Studio Archive, 1958, p. 113
↑John Cage organise son premierhappening en 1952, au Back Mountain College
↑"Le mot 'événement' me semblait plus adéquat qu'aucun autre pour définir l'expérience totale et multi-sensorielle qui m'intéressait",in Georges BRECHT, L'origine desevents, août 1970
↑« opérations de hasard, art concept, anti-art, indéterminé, improvisations, œuvre sans signification, désastres naturels, plans d'actions, histoires, diagrammes, musique, poésie, essais, compositions de danse et composition mathématique »,inFluxus Dixit. Une anthologie, p. 10
↑Festival international Fluxus de musique la plus nouvelle
↑« Les concerts créèrent un grand scandale et beaucoup d'intérêt sérieux, et ainsi à l'automne 1962, Fluxus devint FLUXUS, et la presse décida de nous appelerFluxus-Leute (le groupe Fluxus) », Dick Higgins,In a Minesweeper around the World, in1962 Wiesbaden Fluxus, 1982, p. 130
↑« Something about Fluxus»inFluxus CC fiVe TReE,V TRE n°4, juin 1964.
↑Nam June Paik,Capito? Messe, ja?!, entretien avec Nam June Paik le 6 octobre 1960, Verlag der Buchhandlung Walther König, Cologne, 2007, p. 62in Fiat flux : la nébuleuse Fluxus, 1962-1978, Musée d'art moderne Saint-Étienne métropole, Silvana Editoriale, Milan, 2012.
↑« [...] de nombreuses performances Fluxus montrent bien que le banal est beau », Nam June Paik, 1983inFiat flux : la nébuleuse Fluxus, 1962-1978, p. 27.