Lefilm noir est ungenre ou un style cinématographique faisant partie en France de la catégorie dufilm policier (qui se confond avec le genre dufilm criminel, terme davantage utilisé dans les pays anglo-saxons et au Québec). Il prend son inspiration de lalittérature policièrehard boiled (roman noir) et d'auteurs commeDashiell Hammett (considéré comme le fondateur du genre en littérature),Raymond Chandler ouJames M. Cain. Tournant autour de thématiques résolument pessimistes et tragiques, comme lafatalité, l'angoisse, latrahison ou la machination, le film noir est soumis à des codes formels et narratifs qui le caractérisent, comme l'usage dususpense, duflashback, de lavoix off ; l'emploi de personnages devenus ensuite des stéréotypes comme lafemme fatale, ledétective, leweak guy (le pauvre type ou l'homme ordinaire), le tueur psychopathe, ou encore le couple en cavale ; dans des lieux généralement urbains et souvent filmés en décors naturels et en noir et blanc.
Son esthétique est influencée par lecinéma expressionniste allemand, dont certains réalisateurs commeFritz Lang ouRobert Siodmak, furent par la suite des représentants notables du film noir, ainsi que par leréalisme poétique français des années 1930. La période qui voit son développement et son essor est généralement délimitée entre le début des années 1940 et la fin des années 1950. Même si, pour certains auteurs commePatrick Brion ou Gabriele Lucci, le genre loin de se conclure à la fin des années 1950, se poursuit bien après, il est généralement délimité en période commençant par le proto-film noir pour désigner des films précurseurs du genre (du muet jusqu'à la fin des années 1930) ; le film noir « classique » de 1940 à 1960 ; le film post-noir (des années 1960 jusqu'au milieu des années 1970) et les films néo-noirs (à partir de 1975).
Mais certains critiques récusent le vocable "noir", trop imprécis selon eux, et préfèrent lui substituer celui de "criminel". D'autres considèrent que le film noir recouvre une période historique de quinze ans et reste une expérience isolée dans le cinéma américain. La présence d'un crime ne suffit pas à rendre un film "noir", il faut également du réalisme. Un film noir serait donc un film réaliste et criminel, que ce soit une simple combine ou une série de meurtres[4].
Le film noir met généralement en scène un personnage emprisonné dans des situations qui ne sont pas de son fait et acculé à des décisions désespérées. Lemeurtre ou lecrime, l'infidélité, latrahison, lajalousie et lefatalisme sont des thèmes privilégiés.
Le film noir est tragique par essence[5],[6]. L'archétype du protagoniste du film noir est un détective privé de second ordre, cynique et blasé, embauché pour une enquête dont les véritables implications lui sont cachées par son commanditaire. Son enquête l'amène le plus souvent à rencontrer unefemme fatale qui le manipule par avidité, causant ainsi leur perte.La Griffe du passé deJacques Tourneur est un des films représentatifs dans cette thématique.
La Soif du mal, tourné en1958 parOrson Welles est généralement considéré comme le film qui termine la période du film noir «classique». D'autres films reprenant les canons du film noir, tournés après cette date, sont généralement qualifiés de post-noirs.
Les critiques françaisRaymond Borde et Étienne Chaumeton ont écrit un livre sur le film noir en 1955,Panorama du film noir américain 1941–1953[7]. Ils ont souligné qu'il était très difficile de définir le film noir, étant donné que le style comprenait plusieurs sous-types : "C'est la présence du crime qui donne au film "noir" sa marque la plus constante"[4].
Florissant pendant lesannées 1940 et1950, ce genre n'a souvent bénéficié que de budgets réduits (série B). Il existait en effet à l'époque le double programme dans une séance de cinéma : un ticket donnait le droit de voir deux films longs métrages, précédés decartoons, de courts métrages et d'actualités. Les deux longs métrages n'étaient pas de même qualité ; l'un appartenait à la série A et répondait aux canons esthétiques et moraux de l'époque, une débauche de stars, des décors luxueux et une lumière flatteuse, et donc un budget important. C'était également ce film qui attirait le spectateur. L'autre film, la série B, dont le principe avait été mis en place au début des années 1940, n'avait qu'un budget réduit, recourait à des acteurs débutants, disposait de peu d'effets spéciaux et de peu de décors.
Le film noir classique disparaît à la fin des années 1950 sous l'effet conjugué de plusieurs causes, notamment :
la suppression progressive de la double séance et donc des films de série B ;
la concurrence de la télévision, qui traita souvent des mêmes sujets ; dans ce registre, le feuilletonLes Incorruptibles (1959 - 1962, en anglaisThe Untouchables), rassemble tout ce que le film noir a développé.
Par proto-film noir, ou proto-noir, les historiens désignent des films dont certaines caractéristiques (thématiques, techniques ou stylistiques), se combinent pour aboutir au film noir classique tel qu'il apparait en 1941[8].Cœur d'apache deD. W. Griffith considéré comme le premierfilm de gangsters tourné aux États-Unis en 1912, est précurseur du genre par son climat sombre[9]. Dans les années 1920 l'expressionnisme allemand devient l'une des principales sources d'inspiration du film noir, par l’atmosphère désespérée des films appartenant à ce style et son usage contrasté du noir et blanc. Sont cités,Le Cabinet du docteur Caligari,La Rue sans joie,M le maudit,le Docteur Mabuse,Le Dernier des hommes[9],[10].
Le film noir possède une véritable identité visuelle qui a été largement imitée par la suite. Les éclairages expressionnistes sont fortement contrastés, laissent de larges plans de l'écran dans l'obscurité. Le décor est souvent urbain, et les espaces sont alors restreints (pas d'échappée sur une place ou une grande avenue). La campagne ou la petite ville est idéalisée, représentant l'Amérique des origines. En ville, on retrouve souvent le trottoir humide, comme après une pluie, les scènes nocturnes y sont nombreuses.
Les films noirs mettent souvent en scène des personnages principaux complexes et ambigus, dont le passé est souvent peu reluisant, et des seconds rôles riches et autonomes, en rupture avec les poncifs traditionnels. Des techniques inhabituelles, telles que lavoix-off ou lacaméra subjective, affirment le stylenoir dont l'influence commence progressivement à se faire sentir sur les grandes productions.
Le film noir apparaît dans la lignée des films de gangsters américains desannées 1930, mais des apports stylistiques européens lui ont déjà donné une identité visuelle propre. L'esthétique du film noir doit beaucoup à l'expressionnismeallemand et aux réalisateurs émigrés, tels queFritz Lang, qui fuyaient la montée du nazisme. Ils apportèrent en particulier les techniques qu'ils avaient développées comme l'éclairage dramatique et la prise de vue subjective, psychologique. L'autre influence principale provient dunéoréalismeitalien. Après 1945, les films noirs adoptèrent un aspect néoréaliste, filmant dans des extérieurs urbains (plutôt qu'en studio). Une bonne illustration de cette évolution estAssurance sur la mort (Double Indemnity - 1944) qui est souvent considéré comme l'archétype du film noir.
LaNouvelle Vague française a été en connexion directe avec le genre du film noir. Amateurs et défenseurs (dans lesCahiers du cinéma) d'un cinéma plus créatif aux États-Unis qu'en Europe, les acteurs de la Nouvelle Vague se sont imprégnés du film noir. On peut citerBande à part ouTirez sur le pianiste.
PatrickBrion,Le Film noir : l'âge d'or du film criminel américain, d'Alfred Hitchcock à Nicholas Ray, Paris, Éditions de la Martinière,, 451 p.(ISBN2-7324-3144-3).
Patric Brion,Encyclopédie du film noir, vol. 1,USA : 1912-1960, Télémaque, 2018, 700 p.(ISBN9782753303546)
DelphineLetort,Du film noir au néo-noir : mythes et stéréotypes de l'Amérique (1941-2008), Paris, L'Harmattan,, 328 p.(ISBN978-2-296-11055-7,lire en ligne).
ThomasPillard,Le Film noir français face aux bouleversements de la France d'après-guerre (1946-1960), Paris, Éditions Joseph K,(ISBN978-2-910686-68-0 et2-910686-68-X).