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Lafièvre récurrente mondiale (FRM) dite aussi cosmopolite est unemaladie infectieuse due à labactérieBorrelia recurrentis transmise par lepou de corps. Elle se manifeste par des accès périodiques (récurrences) de fièvre durant 3 à 6 jours, séparés par des intervalles libres (rémissions) de plusieurs jours.
Autrefois cosmopolite, cette maladieépidémique est devenue plus rare depuis le milieu duXXe siècle. On la trouve encore enAfrique de l'Est, et elle peut ressurgir dans toute population souffrant d'hygiène précaire (présence de poux de corps).
Lesfièvres récurrentes régionales dites aussi tropicales sont dues à d'autresBorrelia réparties selon des zones géographiques particulières (Espagne et Afrique du Nord, Afrique de l'Ouest, États-Unis...). Elles sont transmises par destiques molles (Argasidae) du genreornithodore. De caractèreendémique ou sporadique, elles se présentent comme desfièvres intermittentes, à récurrences plus nombreuses et moins régulières que la fièvre récurrente mondiale.
La gravité des fièvres récurrentes infectieuses est variable, dépendant des zones géographiques et de l'état préalable du sujet infecté. Le diagnostic est essentiellement clinique. Le traitementantibiotique est efficace, faisant passer la mortalité des formes graves de 40 % à moins de 5 %.
La fièvre récurrente à poux (FRP) serait apparue auNéolithique avec l'essor de l'élevage et le port devêtements enlaine. Cette habitude vestimentaire a favorisé l'infestation des poux de corpsPediculus humanus qui y trouvaient refuge.
L'étude dugénome de labactérieBorrelia recurrentis révèle que lepathogène, initialement transmis par les morsures detique, aurait divergé il y a 5 000 ans pour s'adapter au poux de corps, devenant à l'occasion plus mortelle. La maladie semble avoir été plus répandue par le passé. En l'absence de traitement, 10 à 40 % des cas peuvent être mortels[1].
L'analyse d'une vaste collection de génomes humains anciens provenant deGrande-Bretagne, a permis d'identifier quatre infections àB. recurrentis comprises entre 2 300 et 600 ans[2].
Des mentions éventuelles de fièvres récurrentes existeraient chezHippocrate (Épidémies, I et III) notamment lorsqu'il décrit la constitution épidémique de l'île deThasos[3]. De même parmi les maladies pouvant expliquer les épidémies desuette anglaise en 1485-1551, la fièvre récurrente à poux est un candidat possible[4]. Il est possible aussi que le terme « fièvre jaune », quand il est utilisé en Europe auXVIIe siècle, recouvre une forme hépato-biliaire de fièvre récurrente.
La première description valable de fièvre récurrente est faite par un médecin deDublin,John Rutty (en), en 1739. Ce type de fièvre est observé dans l'armée française durant lacampagne d'Égypte (1798-1799), sous le nom de « fièvres à rechutes » parLarrey.Souvent confondue avec letyphus, sous le terme de « typhus récurrent », la maladie s'observe par des épidémies successives en Grande-Bretagne (1841), durant lagrande famine d'Irlande (1846-1850), enPrusse (1846-1848), en Russie (1864-1865), en Finlande (1876-1877)[4] provoquant la mort de 2 à 40 % des patients infectés[5].
La fièvre récurrente est introduite aux États-Unis par les immigrants irlandais avec des épidémies àPhiladelphie (1844 et 1869) etNew-York (1847-1871).
Durant la première guerre mondiale, l'Europe centrale et la Russie subissent de grandes épidémies. Au cours duXXe siècle, on distingue un foyer endémique chinois, le long du fleuveYangtsé dans les années 1930. Son apparition en Corée à la fin de laguerre de Corée indiquerait que ce foyer chinois persiste[4].
Dans la deuxième moitié duXXe siècle, les foyers majeurs se situent en Afrique (Afrique du Nord proprement dite et Afrique tropicale nord), plus particulièrement enÉthiopie (2 000 à 10 000 cas annuels en 1970-1980) et surtout auSoudan avec 22 000 à 50 000 cas (1978-1981). Toutefois ces derniers chiffres sont discutés, car ce signalement inclurait des cas de typhus et depaludisme, et la crainte d'une escalade épidémique à cette époque s'est révélée infondée. Toutefois la fièvre récurrente reste bien présente sur un fond endémique[4].
Aux États-Unis, de petites épidémies peuvent encore survenir chez des personnes passant la nuit dans descabanes en bois, infestées de tiques, en zone forestière : 11 cas parmi desscouts dans lesAppalaches en 1968, et 62 cas parmi des touristes de la rive nord duGrand Canyon en 1973[4].
Le terme de « relapsing fever » en anglais (fièvre récurrente en français) est utilisé pour la première fois parDavid Craigie (en), médecin d'Édimbourg en 1843. La fièvre récurrente à poux est distinguée du typhus et de latyphoïde (de façon clinique) parWilliam Jenner en 1849[4].
En1867, lors d'une épidémie à Berlin,Otto Obermeier (de) observe dans le sang de malades unmicro-organisme spiralé, d'abord appeléSpirocheta obermeieri, qui sera renomméBorrelia recurrentis. C'est le premier micro-organisme pathogène identifié chez l'homme, mais cette observation ne sera publiée qu'en 1873.
Le rôle du pou de corps comme vecteur est découvert par un médecin britannique aux Indes, F. P. Mackie en 1907.
L'épidémiologie des fièvres récurrentes à poux, et son cycle complet, est établie par des chercheurs de l'Institut Pasteur d'Alger :Charles Vialatte,Henry Foley etEdmond Sergent durant les années1923 -1925 ; et précisée parCharles Nicolle et ses collaborateurs à l'Institut Pasteur de Tunis jusqu'en 1932[4].
La fièvre récurrente à poux est devenue rare au début duXXIe siècle. Autrefois cosmopolite, elle semble ne plus sévir, de manière endémique ou lors d'épidémies, que dans des foyers localisés en Afrique de l'Est (Éthiopie,Soudan etRwanda[5]) ainsi que dans certaines zones des contreforts de laCordillère des Andes, populations rurales en Russie, ou précaires des pays développés[6].
Cependant, de nouvellesépidémies y compris en réémergence ne sont pas impossibles, dans des contextes de famine, guerres, catastrophes naturelles pouvant favoriser un manque d'hygiène[7].
En 2015, 3 cas ont été signalés chez des réfugiés enSicile, provenant de l'Érythrée[8], et 15 cas chez des réfugiés enBavière, provenant de laCorne de l'Afrique[9].
Les fièvres récurrentes à tiques (tique molle du genreOrnithodoros) sont endémiques dans de nombreuses régions du monde, touchant surtout les populations rurales exposées aux tiques[10]. Elles sont rares en France, mais on peut les trouver en Espagne, aux États-Unis ou en Afrique de l'Ouest, notamment auSénégal[11].
Son agent pathogène est une bactériespirochète appartenant au genreborrelia :Borrelia recurrentis. Elle est restée jusque dans les années 1980 mal connue, car on ne savait pas la cultiver, ce qui a freiné sa caractérisation. Puis on a réussi, au début des années 1990 à les cultiver[12], ce qui a permis de rapidement caractériser des dizaines de souches provenant de patients atteints de fièvre récurrente à poux.
La microscopie électronique montre des cellules spirochétales (spiralées) aux extrémités pointues, d'une longueur d'onde moyenne de 1,8pm, d'amplitude de 0,8 pm et à 8 à 10flagelles périplasmiques. Le ratio G+C était de 28,4 Mole%[5].
Les tests d'hybridation d'ADN faits au début des années 1990 ont montré une forte similitude entre les isolats de 18 souches cultivées deB. recurrentis mais non avec d'autres borrélies telles queBorrelia hermsii,Borrelia parkeri ouBorrelia turicatae, ni avec les borrélies associées à lamaladie de Lyme[5].
Les premiers séquencages génétiques des gènes codant la flagelline (utilisés pour l'étude des borrélies, dont de la maladie de Lyme[13]) et de l'ARN 16S ont révélé la proximité la plus grande avecBorrelia duttonii[5].
Des sous-groupes semblent exister ; l'analyse des profils d'électrophorèse sur gel a révélé quatre groupes distincts en fonction de la position d'une bande protéique majeure. L’électrophorèse en champ pulsé a révélé cinq modèles distincts.
Elles sont dues à de multiples espèces deBorrelia, au moins une quinzaine, ce sont les fièvres récurrentes à tiques. Elles sévissent sous forme sporadique ou endémique. Les principales sont :
Ancien Monde (Afrique et Moyen-Orient)
Nouveau Monde
B. recurrentis (fièvre récurrente cosmopolite) est transmis à l'être humain par les poux du corps (le rôle des poux de tête est discuté et non démontré), et les autresBorrelia (fièvres récurrentes régionales) par les tiques mollesOrnithodores. La transmission par le pou se fait par écrasement et par les tiques par piqûres.
Le pou se contamine en piquant un malade en phase fébrile. L'homme est le seul réservoir connu[6]. LesBorrelia qu'il a ingéré se multiplient dans la cavité générale du pou, dans l'hémocœle contenant l'hémolymphe. La piqûre et les déjections du pou ne sont pas contaminantes.
La contamination se fait au niveau d'excoriations cutanées (peau écorchée) ou au niveauconjonctival lors de l'écrasement d'un pou, l'opération libérant leliquide cœlomique, riche enBorrelia.
On ignore commentB. recurrentis peut persister ou survivre entre les épidémies[15].
Les tiques molles constituent le réservoir des autresBorrelia provoquant des fièvres récurrentes. Elles restent contaminées toute leur vie et transmettent l'infection à leur descendance (transmission trans-ovarienne). En tant que vecteurs, elles transmettent l'infection à des mammifères (rongeurs, animaux domestiques...) et à l'homme au moment de la piqûre, plus rarement par leurs déjections[10]. Résistantes à la chaleur et à la sècheresse, elles se trouvent dans les terriers ou dans les murs en terre des habitations rurales[14].
Les tiques dures commeIxodes peuvent transmettre différentes espèces deBorrelia commeB. miyamotoi,B. lonestari,B. theileri, susceptibles de donner des fièvres récurrentes, mais ceci reste encore mal connu et du domaine de la recherche[16].B. miyamotoi est présente en régions tempérées d'Europe et d'Asie, les premiers cas ont été rapportés en Russie en 2011, il s'agit d'un pathogène émergent en Europe[14].
Les périodes fébriles correspondent à la dissémination des bactéries dans le sang oubactériémies (passage ou présence sans multiplication). Les bactéries sont éliminées du sang, mais elles peuvent survivre en résistant à l'opsonisation.
Les rémissions ou périodes d'apyrexie correspondent aux phases de« séquestration » de la bactérie dans les organes profonds. Comme les autres borrélies, cette bactérie dispose de stratégies, comme latranscytose (passage à travers des cellules intactes) pour déjouer les barrières anatomiques, ou la « variation antigénique » (modification de structure de ses protéines de surface) pour contourner le système immunitaire humain (inné et adaptatif)[17],[18].
Les périodes de rechute fébrile sont liées à l'émergence de nouveaux variants qui échappent aux premiers anticorps, et repassent alors dans le sang[18].
Dans la fièvre récurrente mondiale à poux, il existe le plus souvent deux récurrences régulières, dans les fièvres récurrentes à tiques les récurrences sont plus nombreuses et moins régulières.
Lapériode d'incubation dure en moyenne 7 jours (de 3 à 20 jours)[14]. Le tableau qui suit est la forme classique (fièvre récurrente mondiale, à poux, parB. recurrentis), telle qu'on la décrivait avant l'ère des antibiotiques[19].
Le plus souvent, le début est extrêmement brutal avec frissons suivis aussitôt d'une fièvre qui grimpe rapidement à40-41 °C, avec algies diffuses. Le début peut être si soudain que le patient « frappé en plein travail, se couche là où il se trouve ».
L'examen montre une congestion de la face, et une injection (dilatation des vaisseaux) desconjonctives. Le pouls est rapide, en rapport avec la température ; la respiration est accélérée et superficielle.
La fièvrerécurrente à poux donne une courbe thermique très régulière. La première période fébrile dure une semaine avec fièvre en plateau à40 °C avec de légères rémissions matinales.
Les algies, surtout des maux de tête, persistent. Le faciès reste congestif mais la langue a gardé sa mobilité ; elle est humide et « soufrée ». Il existe unehépatomégalie et unesplénomégalie, molles, en « éponge ». On peut observer un légerexanthème ou despétéchies, localisé au cou, au tronc et aux membres supérieurs.
Une bronchite est présente dans 40 à 60 % des cas, et unictère franc dans 20 à 60 % des cas[4].
Il existe parfois unsyndrome méningé typique : le malade est couché en chien de fusil, tourné vers le mur à cause d'unephotophobie, maux de tête violents, vomissements... Malgré cet abattement, il n'y a jamais detuphos (distinction avec letyphus et lafièvre typhoïde).
Après 5 à 7 jours, la fièvre tombe brutalement vers37 °C, selon une crise d'une heure ou deux, faite d'une débâcle urinaire, sudorale et diarrhéique qui vient clore ce premier épisode fébrile.
Dans la semaine qui suit (de 5 à 10 jours), la température est normale, les autres signes ont disparu à l'exception d'une fatigue, et de quelques douleurs.

Après cette période de rémission, c'est-à-dire en moyenne le14e jour (7-20 jours) après le début de la maladie, la récurrence (rechute) surgit. Letableau clinique est pratiquement celui de la première crise.
L'évolution peut se faire alors selon diverses modalités :
Ce pronostic est, de nos jours, complètement transformé par l'antibiothérapie très efficace contreBorrelia recurrentis. Le taux de mortalité reste de 2 à 5 %, plus élevé chez l'enfant et la femme enceinte où les risques de fausses couches, d'infection congénitale grave du nouveau-né sont fréquents[14].
Lediagnostic est clinique mais n'apporte que des éléments de présomptions.
On éliminera :
Depuis l'avènement des antibiotiques, on peut se trouver devant une fièvre d'allure intermittente mais moins caractéristique, à la suite d'une prise en charge inadaptée. Le problème rejoint alors celui des fièvres prolongées ou persistantes (définies comme durant plus de 21 jours)[11].
La prise de sang en période fébrile montreneutrophilie,anémie etcytolyse hépatique. Le diagnostic est alors certain si la bactérie est vue au microscope à fond noir dans le sang frais, ou après coloration à l'encre de Chine ou autres colorations. La découverte deBorrelia dans le liquide cérébro-spinal ou les urines est plus rare[10].
Des tests PCR mixtes pour détecter à la fois le typhus ou la fièvre récurrente à pou ont été mis au point[20].
Les complications peuvent être neurologiques (méningite lymphocytaire, paralysie desnerfs crâniens,hémiplégie,paraplégie...) ou psychiques (agitation,confusion, hallucination, délire...) ; oculaires, cardiaques ou hémorragiques.
Les formes les plus graves sont les complications hépatiques et rénales (hépatonéphrite), associant une double défaillance du foie et des reins, rare mais mortelle.
La gravité varie selon le terrain : chez l'enfant la maladie est en principe moins grave que chez l'adulte. Chez la femme enceinte les avortements spontanés sont fréquents. Chez les personnes âgées, les déshydratés et les dénutris la maladie est beaucoup plus grave.
La gravité (fréquence des complications neurologiques) varie aussi selon les régions, elle est la plus forte en Afrique centrale et de l'Est (parB. duttoni), relativement bénigne en Afrique de l'Ouest (parB. crocidurae) et du Nord[19]. De même la fièvre récurrente asiatique ou de Perse (parB. persica) est plus grave que l'hispano-marocaine (B. hispanica), et la nord-américaine (parB. turicatæ) que la sud-américaine (parB. venezuelensis)[16].
La fièvre récurrente à tique peut être masquée en s'associant à d'autres infections, notamment au paludisme en Afrique Noire. Le diagnostic et le traitement peuvent être retardés favorisant la survenue de complications tardives.
Sans traitement, la mortalité peut atteindre 40 % (30 à 70 % selon les contextes et sources).
L'antibiothérapie a permis de réduire la mortalité des formes graves de 40 % à moins de 5 % :tétracycline,érythromycine oubéta-lactamine oumacrolide, durant 5 à 10 jours. Pour les cyclines, des auteurs ont montré qu'une prise unique pouvait être efficace[10].
Au début du traitement, uneréaction de Jarisch-Herxheimer peut survenir[21]. Le traitement n'empêche pas toujours les complications oculaires :iridocyclite,névrite optique, surtout avecB. duttoni .
Laquarantaine d'autrefois n'est plus de rigueur. Cependant, il faut isoler le patient pendant la1re semaine et l'épouiller par savonnage etinsecticide sur le corps et les vêtements.
Les mesures collectives de prévention sont difficiles sur le terrain (destruction ou contrôle des rongeurs et de leurs parasites vecteurs). En pratique, on conseille les mesures de protection individuelle contre les vecteurs (vêtements longs et clairs, chaussettes recouvrant le bas du pantalon, révulsifs cutanés ou sur les vêtements)[14] et le nettoyage de l'habitat[10],[19] à l'aide d'insecticides[17].