Ferhat Abbas est né le àOuadjana, faisant alors partie de lacommune mixte deTaher, dans lawilaya de Jijel[2]. Son père était lecaïd Saïd Ben Ahmed Abbas, qui futcommandeur de la légion d'honneur, et sa mère Maga Bint Ali. Sa famille, originaire deTizi N'Bechar dans le nord-est deSétif, a dû quitter la région après l'échec de la révolte menée en 1871 parMohamed El Mokrani. Le grand-père est alors chassé de ses terres par les autorités françaises et reconduit à la condition defellah. Condamné à êtreouvrier agricole, il descend des Hauts-plateaux pour se rendre sur la côte[3],[4],[5].
Entré à l’école française à dix ans[6], Ferhat Abbas fait ses études primaires àJijel et, bon élève, est envoyé à quinze ans avec une bourse pour poursuivre des études secondaires à Philippeville[6] (actuelleSkikda). De 1921 à 1924, il fait son service militaire[6] et, dès cette époque, écrit des articles pour différents journaux sous divers pseudonymes[6], dont « Kamel Abencérages »[7].
Étudiant enpharmacie à l’université d'Alger de 1924 à 1933[6], il est un membre actif de l’Amicale des étudiants musulmans d’Afrique du Nord (AEMAN), dont il est vice-président en 1926-1927[6] et président de 1927 à 1931[6], date à laquelle il transforme l’amicale en association. Il est également élu vice-président de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF) lors du congrès d’Alger en 1930[6],[8]
À la fin des années 1920, avant de se prendre d'admiration pourLéon Blum, Ferhat Abbas entretient une correspondance avecCharles Maurras. Il espérait que son nationalisme soit ainsi mieux compris par le penseur de l'Action française, qui condamnait la colonisation en vertu de sonnationalisme intégral opposé à l'expansionnisme[9],[10]. Il fonde d'ailleurs l'Action algérienne association et journal qui prônent la démocratie dans les instances locales en Algérie[11].
Dans le cadre de la colonisation de l'Algérie, Ferhat Abbas est d’abord favorable à la politique d’assimilation avec un maintien du statut personnel, il milite activement au Mouvement de la jeunesse algérienne, qui réclame l’égalité des droits dans le cadre de la souveraineté française et développe sa propre pensée[12].
En 1931, il publie le livreLe Jeune Algérien, regroupant notamment ses articles écrits dans lesannées 1920, et dont la thèse se rapporte à la lutte contre la colonisation, pour assurer l’entente entre les Français et musulmans. Il dénonce notamment« cent ans de colonisation française ». Dans ce livre, il est aussi question d’« algérianité », de convoitise descolons, d’État algérien et d’islam :« Nous sommes chez nous. Nous ne pouvons aller ailleurs. C’est cette terre qui a nourri nos ancêtres, c’est cette terre qui nourrira nos enfants. Libres ou esclaves, elle nous appartient, nous lui appartenons et elle ne voudra pas nous laisser périr. L’Algérie ne peut vivre sans nous. Nous ne pouvons vivre sans elle. Celui qui rêve à notre avenir comme à celui des Peaux-Rouges d’Amérique se trompe. Ce sont les Berbères qui ont fixé, il y a quatorze siècles, le destin de l’Algérie. Ce destin ne pourra pas demain s’accomplir sans eux[13]. »
Diplômé docteur en pharmacie en 1933, il s’établit àSétif, où il devient rapidement une importante figure politique en devenant conseiller général en 1934, conseiller municipal en 1935 puis membre des Délégations financières (qui tiennent lieu d’Assemblée algérienne, mais avec des compétences limitées)[14]. Il adhère à la Fédération des élus musulmans du département de Constantine et devient rédacteur de son organe de presse, l’hebdomadaireL’Entente franco-musulmane (communément appelé « L’Entente ») ; très vite remarqué par son président, ledocteur Bendjelloul, qui, en1937, le promeut rédacteur en chef du journal.
C’est là que, le, il publie un article intitulé« La France, c’est moi », dans lequel il brûle les idoles nationalistes de sa jeunesse et affirme que les destins algériens et français doivent demeurer liés :
« Si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste et je n’en rougirais pas comme d’un crime. Mais je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. J’ai interrogé l’histoire, j’ai interrogé les vivants et les morts, j’ai visité les cimetières, personne ne m’en a parlé. Sans doute ai-je trouvé l’Empire arabe, l’Empire musulman qui honorent l’islam et notre race, mais les Empires se sont éteints. On ne bâtit pas sur du vent. Nous avons donc écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays[15]. »
Plus radical dans son combat et dans ses revendications, dénonçant notamment le « code de l’indigénat », Mohammed Bendjelloul fonde son propre parti en 1938, l’Union populaire algérienne.L’Entente devient alors un moyen d’expression politique pour Ferhat Abbas[16].
La période de laSeconde Guerre mondiale joue un rôle important dans l’évolution de Ferhat Abbas, en mettant un terme à ses espoirs d’« égalité dans le cadre d’une souveraineté française », le convainquant que le colonialisme était « une entreprise raciale de domination et d’exploitation » dans laquelle même les élites républicaines françaises les plus éclairées étaient entièrement impliquées[17].
Le, il adresse aumaréchal Pétain, chef durégime de Vichy, un rapport intitulé« L’Algérie de demain », appelant son attention sur le sort des indigènes musulmans et réclamant prudemment des réformes : Pétain lui répond poliment, mais ne prend aucun engagement[19]. Après ledébarquement allié en Afrique du Nord, Abbas se tourne vers l’amiral Darlan, maintenu au pouvoir par les Alliés, mais ce dernier fait, pour le sort des musulmans comme pour celui des juifs d’Algérie, le choix de l’immobilisme[20].
Ferhat Abbas publie, le, un manifeste demandant un nouveau statut pour l’Algérie, qui va beaucoup plus loin que ses précédentes requêtes : le « Manifeste du peuple algérien »[21], suivi d’un additif en mai, un « Projet de réformes faisant suite au Manifeste du Peuple algérien » faisant notamment allusion à une « nation algérienne ». Le projet est alors soumis à la Commission des réformes économiques et sociales musulmanes tout juste créée par le gouverneur généralPeyrouton. Mais son successeur, le généralGeorges Catroux, bloque le projet et rejette les initiatives prises par Ferhat Abbas qui est, de septembre à décembre, assigné à résidence àIn Salah par legénéral de Gaulle, chef duComité français de libération nationale[22].
De Gaulle répond par la suite en partie aux réclamations des musulmans : par l'ordonnance du, il permet l’accession de dizaines de milliers de musulmans à la citoyenneté française, sans pour autant toucher au statut coranique, et constitue des assemblées locales, comptant deux cinquièmes d’élus indigènes. Abbas et ses amis jugent cependant ces concessions insuffisantes[19]. Le, Abbas crée l’association desAmis du manifeste et de la liberté (AML) soutenu par lecheikhMohamed Bachir El Ibrahimi de l’Association des oulémas et parMessali Hadj duParti du peuple algérien (PPA). En septembre 1944, il crée l’hebdomadaireÉgalité (avec pour sous-titreÉgalité des hommes - Égalité des races - Égalité des peuples)[23]. Au lendemain desémeutes de Sétif de mai 1945, tenu pour responsable avec Mohammed Bachir etChérif Saâdane, il est arrêté et l’association des AML est dissoute. Libéré en 1946, Ferhat Abbas et son compagnon de cellule Ahmed Chérif Saâdane fondent l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA). Outre Saâdane, il est alors entouré de militants plus jeunes, commeAhmed Boumendjel,Ahmed Francis ouKaddour Sator[24]. En juin, le parti obtient onze des treize sièges du deuxième collège à la seconde Assemblée constituante et Ferhat Abbas est élu député de Sétif.
Après le refus à deux reprises de son projet sur le statut de l’Algérie, il démissionne de l’Assemblée en 1947. Il durcit alors ses positions, l’hebdomadaire l’Égalité devient, en février 1948,Égalité - République algérienne puisRépublique algérienne en juin de la même année[23]. Alors qu’il y annonce dès 1953 une rupture imminente et définitive[25], leFront de libération nationale (FLN) lance le les premières actions armées[26] et marque le début de la « Révolution algérienne ».
Il quitte ses fonctions le à la suite de son profond désaccord avec la politique de « soviétisation » de l’Algérie parAhmed Ben Bella, en dénonçant « son aventurisme et songauchisme effréné »[30]. Cette prise de position le fait exclure duFLN et lui vaut d'être emprisonné àAdrar, dans leSahara, la même année. Il est libéré en mai1965, à la veille ducoup d’État du 19 juin parHouari Boumédiène.
Retiré de la vie politique, mais toujours militant et ferventdémocrate, il rédige avec Benyoucef Benkhedda,Hocine Lahouel, ex-secrétaire général duPPA-MTLD, et Mohamed Kheireddine, ex-membre duCNRA, en mars1976, un « Appel au peuple algérien »[31], réclamant des mesures urgentes dedémocratisation et dénonçant « le pouvoir personnel » et la Charte nationale élaborée par Boumédiène. Il est alors une nouvelle fois assigné à résidence jusqu’au 13 juin1978. En1980, il publie ses mémoires,Autopsie d’une guerre, puis se livre, en1984, dansL’Indépendance confisquée, à une virulente dénonciation de lacorruption et de labureaucratie qui régnaient en Algérie, engendrées par les régimes successifs de Ben Bella et Boumédiène[22]. Le 30 octobre1984, dans sa villa du quartier de Kouba, il est décoré au nom du président alors en exercice,Chadli Bendjedid, de la médaille du résistant.
Ferhat Abbas est mort àAlger le. Il est enterré au carré des martyrs ducimetière d'El Alia à Alger.
Le Jeune Algérien, La Jeune Parque, Paris, 1931 [réédition Garnier, 1981.Le Jeune Algérien : 1930. De la colonie vers la province. (suivie de) Rapport au maréchal Pétain : avril 1941,(ISBN2-7050-0358-4).
J’accuse l’Europe, Libération, Alger, 1944.
Guerre et révolution I : La nuit coloniale,éditions Julliard, Paris, 1962.
De plus, des mémoriaux ont été érigés à l’aéroport de Jijel[32] à Bouafroune, localité de sa naissance (projet[33]). Un enjeu de mémoire existe au sujet de sa maison natale, actuellement utilisée comme bâtiment agricole[34].
↑GerbertRambaud,La France et l'islam au fil de l'histoire: Quinze siècles de relations tumultueuses, Editions du Rocher,(ISBN978-2-268-09768-8,lire en ligne)
↑MahfoudKaddache,Histoire du nationalisme algérien: question nationale et politique algérienne, 1919-1951, Société nationale d'édition et de diffusion,(lire en ligne)
↑Extrait deL’indépendance confisquée (Éditions Flammarion, 1984) :« J’ai démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale constituante dès le jour où la Constitution du pays fut discutée et adoptée en dehors de l’Assemblée que je présidais et des députés élus pour le faire. La discussion et l’adoption eurent pour cadre une salle de cinéma de la ville, Le Majestic. Là fut institutionnalisé le parti unique, à l’instar des démocraties populaires. ».