L'expansion bantoue est le nom donné à une longue série d'expansions géographiques, s'étendant sur plusieurs millénaires, des locuteurs duproto-bantou à l'intérieur du continent africain. Il s'agit du plus grand évènement démographique connu de la préhistoire africaine.
C'est une constatation linguistique qui est à l'origine de la théorie de l'expansion bantoue : les langues parlées en Afrique sub-équatoriale sont remarquablement proches (par leur vocabulaire et leur morphologie), ce qui permet de supposer qu'elles dérivent d'uneproto-langue commune.« Plus de quatre cents langues répandues sur un tiers de ce grand continent dérivent d’une seule langue ancestrale ».
Des études archéologiques sont venues conforter la thèse linguistique : on a pu associer à l'expansion bantoue la diffusion de l'agriculture, de lamétallurgie du fer et de la poterie vers l'Est et le Sud du continent. Enfin, des analyses génétiques l'ont confirmée : les populations bantoues sont relativement homogènes du point de vue génétique, ce qui les distingue des autres populations africaines. L'étude comparée des marqueurs génétiques des populations africaines bantouphones et non bantouphones accrédite donc l’hypothèse de l'expansion.
Les recherches ethno-linguistiques ont permis d'identifier la zone d'origine deslangues bantoues, branche de la famille deslangues nigéro-congolaises, dans une région située aux confins duNigeria et duCameroun, lesgrassfields. Depuis cette zone, l'expansion vers le sud aurait débuté aux alentours de Dans un deuxième temps, vers, un flux se dirige en direction de l'Afrique de l'Est et un autre, dans un mouvement nord-sud, le long des rives atlantiques des actuelsGabon,République démocratique du Congo etAngola, ainsi qu'en suivant les cours d'eau du système fluvial duCongo. L'expansion atteint l'Afrique australe probablement vers 300apr. J.-C.

Partant d'une base linguistique[4], la thèse de l'expansion bantoue est devenue pluridisciplinaire[5]. Après les premiers indices linguistiques[notes 1], l'hypothèse de l'expansion bantoue s’appuie sur des considérations archéologiques dont une des premières synthèses est effectuée parRoland Oliver[6], en 1966.
Les Bantous sont des agriculteurs semi-nomades. Le mouvement migratoire a probablement été déclenché par le développement de l'agriculture, entraînant une densification de population ; l'agriculture étant en outre essentiellementitinérante, le déplacement de population est la conséquence mécanique de cette densification[7],[8].
Pour ce qui concerne la métallurgie, les premières migrations sont antérieures à la maîtrise du fer. L'hypothèse initiale considérait que les proto-bantous maîtrisaient déjà le travail du fer, mais cette proposition a été abandonnée[7]. La thèse actuelle explique que, vers1000 av. J.-C., l'expansion bantoue atteint la région des grands lacs ; c'est probablement là et à ce moment que les bantous s'initient au travail du fer, qu'ils maîtrisent pleinement vers400 ap. J.-C. Cela permet de corréler l'expansion bantoue, l'expansion des « métallurgistes du fer »[5] et l'expansion géographique conjointe des techniques de céramique[notes 2],[7].
Plus récemment, le développement des études génétiques des populations a permis de confirmer la thèse de l'expansion bantoue, car« la zone linguistique bantou correspond à une population homogène, génétiquement distincte desPygmées et desBochimans[7] »[9],[10],[11]. Ces études génétiques montrent que ladiversité génétique des communautés de langue bantoue dans toute l’Afrique subsaharienne est toujours caractérisée par une composante ancestrale ouest-africaine dominante[12].
D'un point de vue démographique, l'expansion bantoue repousse ou assimile leschasseurs-cueilleursKhoïsans etPygmées, habitants d'origine du centre et du sud de l'Afrique[13]. En Afrique de l'Est et en Afrique australe, leslocuteurs bantous adoptent probablement les techniques d'élevage des peuples delangues couchitiques etnilotiques qu'ils rencontrent. Les techniques d'élevage existaient dans le sud du continent plusieurs siècles avant que les bantous n'y arrivent[7].
Il n'existe pas d'unité culturelle bantoue. Le terme a été forgé par un linguiste, il désigne unefamille de langues et, par extension, leurs locuteurs, mais il n'y a ni mode de vie, niorganisation sociale, ni système de pensée communs[14],[15].
Alors que l'on pensait généralement que la distribution actuelle des langues bantoues reflète les premières étapes de l'expansion bantoue, une étude publiée portant sur un ensemble de datations au radiocarbone et de sites à travers la forêt tropicale du Congo et les zones adjacentes, avance que ce n'est pas le cas[12].
Avant la migration des bantous, agriculteurs et éleveurs (pasteurs), le sud du continent est peuplé dechasseurs-cueilleurs.
LesPygmées d'Afrique centrale et les Bantous forment deux branches issues d'une population ancestrale commune il y a plus de 70 000 ans[16]. La plupart des groupes de PygméesBatwa parlent une langue bantoue ; cependant, une part considérable de leur vocabulaire n'est pas d'origine bantoue. Ce lexique non bantou a trait à la botanique (la collecte du miel par exemple) ; c'est, plus largement, un vocabulaire spécialisé relatif à la forêt et il est commun aux groupes Batwa de l'ouest. Il s'agit probablement de la survivance d'une « langue Batwa de l'ouest »[17].
Les locuteurs dukhoisan ont une descendance actuelle : des chasseurs-cueilleurs qui occupent les régions arides des alentours dudésert du Kalahari, dans le Sud-Est de l'Afrique.
Les locuteurs deslangues khoïsanhadza etsandawe, enTanzanie, composent l'autre groupe de chasseurs-cueilleurs subsistant en Afrique.
Une partie de ce qui est maintenant leKenya et laTanzanie est, à l'origine, occupée par despasteurs, locuteurs delangues chamito-sémitiques venus de lacorne de l'Afrique ; ils sont suivis d'une vague ultérieure d'éleveurs, locuteurs delangues nilo-sahariennes[18],[19],[20],[21].

Il y aurait eu une première phase d'expansion, depuis la zone d'origine desgrassfields[5],[22], vers le nord-ouest de l'actuelle zone bantoue puis une deuxième phase de migration vers le sud.
C'est la première phase et donc la période la plus éloignée et, de ce fait, la moins bien connue de l’histoire bantoue. Il n'existe pas de preuves directes de la migration, la datation de l'expansion de la famille des langues bantoues se fondant essentiellement, quoique pas uniquement[23], sur laglottochronologie[24].« La dispersion des langues bantoues à partir de cette région [les grassfields] aurait commencé il y a au moins cinq millénaires. […] Des recherches archéologiques dans la région desgrassfields indiquent, à partir de 5 000 à 4 000 ans avant notre ère, l'introduction progressive de nouvelles technologies, comme les outils microlithiques et la poterie. Il semble que ce phénomène soit dû à des communautés migrantes venues du nord sans doute à cause de la détérioration climatique qui s'était produite au Sahel à cette même époque[25] ».
L'expansion bantoue est également facilitée par l’introduction de plantes exogènes comme labanane plantain, le taro et l'igname aquatique, apportées en Afrique par lesAustronésiens dès 3000 avant notre ère. Ces plantes, adaptées aux régions tropicales, permettent aux Bantous de cultiver dans les forêts équatoriales denses, rendant ces territoires plus accessibles pour l'agriculture. Le plantain fournit une source stable de glucides, soutenant la croissance démographique nécessaire à l’expansion. L'adoption de ces cultures a laissé des traces dans les langues bantoues, où des termes communs commekondo désignant le plantain montrent leur intégration dans les cultures locales[26].
Les déplacements de population vers le sud auraient été facilités par le fait que la forêt équatoriale était, à cette époque, en régression, ce qui aurait permis de la traverser plus aisément qu'auparavant[27],[28].
L'expansion attestée des locuteurs bantous depuis l'Afrique de l'Ouest commence aux alentours de1500 à 1000 av. J.-C. Bien que les premières hypothèses supposaient que ces premiers locuteurs travaillaient le fer, l'archéologie montre qu'ils n'ont pas utilisé le fer avant400 ap. J.-C.[29] La branche occidentale suit, vers le sud, la côte atlantique et les cours d'eau du système fluvial duCongo, atteignant le centre de l'actuelAngola vers500 av. J.-C.[30]
À cette époque, il y a des populations dans la région, dont les Pygmées sont les descendants. Cependant, les recherches sur legénome mitochondrial, menées dans la province deCabinda, suggèrent que seul l'haplogroupe originaire d'Afrique de l'Ouest y est aujourd'hui présent ; l'haplogroupe L0, marqueur des populations pré-bantoues, est manquant, ce qui indique un remplacement massif de population, (l'ADN mitochondrial se transmettant uniquement par la mère, cela prouve donc que de nombreuses femmes ont fait partie de l'expansion). EnAfrique du Sud, un brassage plus complexe a eu lieu[31].
Plus à l'est, les communautés bantouphones atteignent la grande forêt équatoriale et, vers500 av. J.-C., des groupes pionniers émergent dans lessavanes du sud, à l'emplacement des actuelsRépublique démocratique du Congo,Angola etZambie.
Un autre flux d'expansion vers l'est, vers, crée un nouveau foyer majeur de peuplement près desgrands lacs dans l'Est africain, où un environnement favorable permet de supporter une fortedensité de population. Les déplacements par petits groupes depuis les grands lacs vers le sud sont plus rapides que la colonisation initiale. Celle-ci avait débouché sur des implantations largement dispersées, situées près des côtes et des cours d'eau en raison de conditions d'exploitation plus difficiles dans les zones éloignées des points d'eau. Les pionniers atteignent la province duKwaZulu-Natal, enAfrique du Sud, le long de la côte, vers300 ap. J.-C. ; ils atteignent la province duLimpopo[notes 3] aux alentours de500 ap. J.-C.[32],[33]

La période qui commence aux débuts de notre ère est celle de la consolidation et de la diversification des organisations politiques issues de l'expansion bantoue.
Il semblerait que les phases d'expansion bantoue aient été séparées par un effondrement généralisé de la population entre 400 et 600 de notre ère. Coïncidant avec des conditions climatiques plus humides, l'effondrement a peut-être été favorisé par une épidémie prolongée[12]. Cet écroulement démographique est suivi par une réinstallation majeure des siècles plus tard[12].
La différenciation linguistique s'amplifie, en lien avec la spécialisation agricole : les bananeraies se développent autour dulac Victoria, la culture des céréales et lepastoralisme s'implantent dans les zones de savane. Ces spécialisations laissent des traces dans le lexique[notes 4],[34].
Entre leXIIIe et le XVIIe siècle, des États bantouphones dépassant le stade de lachefferie commencent à émerger dans la région des grands lacs, dans les savanes au sud de la grande forêt tropicale et sur les rives duZambèze. À cet endroit, entre le Zambèze et leLimpopo[35], les rois duMonomotapa bâtissent le complexe duGrand Zimbabwe. Ce processus de formation d'État s'accélère auxvie siècle. Cela est probablement dû à la densification de la population qui engendre unedivision du travail plus poussée, y compris dans le domaine militaire, ce qui rend le phénomène migratoire plus difficile. D'autres facteurs jouent, tels le développement du commerce entre Africains et Européens ainsi qu'avec les marchands arabes de la côte, ou bien encore la ritualisation du pouvoir royal, considéré comme source de la puissance et de la santé de la nation[32].
Des points de vue opposés persistent quant à savoir si l'expansion bantoue a été facilitée par le repli des forêts induit par le climat ou a plutôt favorisé la déforestation par l'agriculture sur brûlis[12].
La famille deslangues nigéro-congolaises comprend un large groupe de langues présentes dans toute l'Afrique subsaharienne. La branchebénoué-congolaise englobe les langues bantoues, qu'on trouve en Afrique centrale, australe et de l'Est.
La plupart des langues nigéro-congolaises, langues bantoues comprises, sont deslangues à tons. Elles n'utilisent généralement pas ladésinence casuelle. Le système caractéristique est celui dugenre grammatical utilisant desclasses nominales, quelques langues en ayant jusqu'à deux douzaines[36]. La racine du verbe tend à rester inchangée, avec des particules adverbiales ou des verbes auxiliaires permettant d'exprimer le temps et le mode[37]. Ainsi, dans un certain nombre de langues, l'infinitif est l’auxiliaire permettant d'indiquer le futur[38].
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