Eugène de Savoie-Carignan ouFrançois Eugène de Savoie, surtout connu commele prince Eugène (enallemand :Prinz Eugen, enitalien :Principe Eugenio), né le àParis et mort le[1] àVienne (Autriche), est un officier au service de la monarchie autrichienne, devenu commandant en chef desarmées duSaint-Empire romain germanique. Il est considéré comme un des plus grands généraux de son époque.
Élevé à la cour deLouis XIV et destiné à l'origine à une carrière ecclésiastique, il se décide à 19 ans à embrasser le métier des armes. Face au refus du roi de lui attribuer un poste dans l'armée royale, Eugène part pourVienne offrir ses services à la monarchie desHabsbourg. Pendant plus de cinquante ans, Eugène va servir trois empereurs :LéopoldIer,JosephIer etCharles VI.
À la fin desannées 1720, l'influence d'Eugène de Savoie et son habile diplomatie permettent à l'empereur de conserver ses alliés au cours des luttes contre lesBourbons de France et d'Espagne. Affaibli physiquement et moralement, il connaît cependant moins de succès comme commandant en chef de l'armée lors du dernier conflit auquel il prend part, laguerre de Succession de Pologne, de 1733 à 1735.
Malgré cela, sa réputation dans l'Empire demeure inégalée. Même s'il y a des divergences d'opinion sur sa personnalité, il n'y a pas contestation sur ses réalisations. Eugène a permis auSaint-Empire de limiter les conquêtes françaises ; il a fait reculer les Ottomans, libérant l'Europe centrale après un siècle et demi d'occupation turque ; il a aussi été un grandprotecteur des arts, dont l'héritage architectural peut encore être vu à Vienne de nos jours.
Le père du prince Eugène est originaire duduché de Savoie. Sa mère, native de Rome, est la sœur deMarie Mancini. Elle est venue à Paris à l'âge de10 ans, en compagnie de sa sœur, avec lecardinal Mazarin, leur oncle, en1647. Les sœurs Mancini sont élevées aupalais royal aux côtés dudauphin de France, futur Louis XIV, avec qui Olympe aura une liaison passagère. Elle se marie en1657 avec le prince Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, et lui donne cinq fils, dont Eugène est le cadet, et trois filles. Le père du jeune Eugène, colonel-général desSuisses etGrisons, gouverneur de Champagne, meurt prématurément à l'âge de trente-huit ans, en1673, alors que son fils cadet entre dans sa neuvième année[3].
De son côté,Olympe Mancini, attachée à la cour de France, semble rester éloignée de ses huit enfants. Elle est mêlée aux intrigues et aux complots de la cour deVersailles. Elle va encourir la disgrâce du roi lors de l'affaire des poisons et s'exiler en1680 enBrabant, en laissant ses enfants aux bons soins de leur grand-mère paternelle,Marie de Bourbon-Condé,comtesse de Soissons. Elle va poursuivre l'éducation de ses petits-enfants par intermittences auchâteau de Condé, enPicardie (actuel département de l'Aisne) et dans l'hôtel de Soissons à Paris.
Enfant, Eugène est orienté par son père vers une carrière ecclésiastique, puisque tel était le sort destiné aux cadets de la famille princière. Dès l'âge de huit ans, il est tonsuré et porte soutane. Il la portera jusqu'en1682[4]. Il est de constitution fragile et de port modeste. Son apparence physique n'est certainement pas impressionnante. La duchesse d'Orléans écrit à son sujet :« Il ne fut jamais beau… Il est vrai que ses yeux ne sont pas laids, mais son nez ruine son visage ; il a deux grandes dents qui sont visibles tout le temps[5]. » Le jeune prince, qui paraît si peu propre à pratiquer l'art de la guerre, démontrera par la suite qu'il est capable de supporter les plus rudes fatigues et qu'il est d'une endurance à toute épreuve.
En attendant une occasion propice, Eugène, que Louis XIV et la cour de Versaillesappellent par dérision « le petit abbé », pratique tous les exercices destinés au métier militaire. Il fait de rapides progrès sous l'égide des meilleurs formateurs. Conduite des troupes, tactique, stratégie, équitation, maniement des armes, opérations d'attaque et de défense, y compris des places fortes : rien ne lui est épargné et il révèle de réels talents. Le jeune prince Eugène est blessé par la mise en disgrâce de sa mère exilée àBruxelles et par le mépris que le souverain et ses ministres affichent à son égard. Dans sesMémoires, publiés pour la première fois, tardivement, àWeimar en1809, il écrit à propos de Louis XIV : « Il n'y a pas dehuguenot chassé par larévocation de l'édit de Nantes qui lui ait conservé plus de haine. Aussi quandLouvois dit :Tant mieux, il ne retournera plus jamais dans ce pays-ci, je jurai bien de n'y rentrer que les armes à la main. J'ai tenu parole. »
Il part secrètement pour Vienne, afin d'offrir ses services à la cour auprès de l'empereurLéopoldIer. Il se propose de participer au combat contre les Turcs de l'Empire ottoman qui ont commencé à envahir leSaint-Empire par l'archiduché d'Autriche ainsi que leroyaume de Hongrie, possession de lamaison d'Autriche située hors du Saint-Empire. Ils assiègent la ville de Vienne lorsque, dans la nuit du, Eugène quitte Paris ; quelques membres de sa famille l'ont déjà précédé dans les rangs de l'armée impériale, dans laquelle il va se porter volontaire et affronter ses premiers combats[N 2].
En, les Ottomans menacent Vienne dont ils vont faire le siège. Le grandvizirKara Mustafa, encouragé par la rébellion d'Imre Thököly, avait envahi laHongrie avec 100 000 à200 000 hommes[7]. En deux mois, les troupes ottomanes sont arrivées devant la capitale des Habsbourg. L'EmpereurLéopold Ier se réfugie àPassau sur les bords duDanube, en confiant le commandement des troupes àCharles V, duc de Lorraine. Eugène arrive à la mi-août auprès de Léopold Ier ; il est immédiatement incorporé dans une unité de combat[8],[N 3]. Eugène n'a aucun doute sur la portée de sa nouvelle allégeance :« Je consacrerai toutes mes forces, tout mon courage et, si le besoin est, jusqu'à ma dernière goutte de sang au service de votre Majesté Impériale[11]. »
Eugène a immédiatement l'occasion de faire la preuve de sa loyauté. En septembre, lesforces impériales, commandées par le duc de Lorraine, sont prêtes à attaquer l'armée du Sultan en train d'investir Vienne. Elles reçoivent le renfort d'une puissante armée de secours, commandée par leroi de Pologne,Jean III Sobieski, avec l'appoint de troupes commandées par les électeurs de Bavière etde Saxe,MaximilienII Emmanuel de Bavière etJules-François de Saxe-Lauenbourg. Le au matin, les forces chrétiennes se mettent en ordre de bataille sur le versant sud-est du massif duWienerwald, dominant le camp où s'est massé l'ennemi. Après une journée de lutte, les Ottomans sont vaincus : ils abandonnent toute leur artillerie, leurs impedimenta et une grande quantité de chevaux. Labataille de Vienne met ainsi fin à60 jours de siège et conduit au départ des armées du Sultan. Placé sous les ordres duMargrave de Baden, Eugène s'est distingué lors de la bataille, gagnant une citation de la maison de Lorraine et de l'Empereur.
Le, le prince Eugène reçoit le commandement du régiment de dragons deKufstein, dont le commandant vient de mourir au combat. Il n'a que vingt ans et seulement quatre mois de service. Le décret de sa nomination au grade de colonel est signé par l'Empereur,« en appréciation et considération gracieuse des qualités excellentes, de l'adresse d'icelui qui Nous sont connues et de la bravoure dont il a fait preuve ». Son régiment de dragons va désormais s'appeler « dragons de Savoie[12] ».
La Sainte-Ligue de 1684 à 1688 : sièges de Buda et de Belgrade
En, l'empereurLéopold Ier forme laSainte-Ligue avec laPologne etVenise afin de contrer la menace ottomane. Au mois d', le prince Eugène se distingue à la tête de son régiment des dragons de Savoie ausiège de la place forte de Buda défendue par les Ottomans. Il est blessé au bras d'un coup de mousquet, sans gravité. Durant les deux années suivantes, Eugène continue à se distinguer lors de la campagne contre les Ottomans et il est reconnu comme un militaire dévoué et compétent. À la fin de l'année, alors qu'il n'a que22 ans, il est nommémaréchal de camp[13]. Le margrave de Bade est impressionné par les qualités d'Eugène : « Ce jeune homme occupera, avec le temps, une place parmi ceux que le monde considère comme de grands chefs d'armées[14]. »
En, leduc de Lorraine entreprend pour la deuxième fois lesiège de Buda qui avait été abandonné en 1684. Lors d'un combat contre 3 000 Ottomans qui tentaient une sortie du fort de Buda le, le prince Eugène a un cheval tué sous lui. Le lendemain, au cours d'un assaut, le prince est légèrement blessé. Le centre de commandement des forces d'occupation ottomane enHongrie et la ville de Buda vont tomber après une résistance de78 jour, le. L'armée ottomane s'effondre dans toute la Hongrie, jusqu'enTransylvanie et enSerbie. Après la chute de Buda, le princeLouis-Guillaume de Bade-Bade et le prince Eugène, à la tête d'un détachement de l'armée, font le siège de la ville deCinq-Églises que les Ottomans vont évacuer en y mettant le feu, pour se réfugier dans la citadelle. Après un duel d'artillerie, les3 000 soldats Ottomans se rendent en abandonnant18 pièces de canon, un gros stock de munitions et de nombreux chevaux[15].
Au début de l'hiver 1686, le prince Eugène part en permission pour assister aucarnaval de Venise. Un nouveau succès s'ensuit en quand, à la tête d'une brigade de cavalerie, il est un acteur important de lavictoire de Mohács le. La défaite est si grave pour les Ottomans que leur armée se mutine. Cette révolte s'étend jusqu'àConstantinople où le grand vizir est exécuté et le sultanMehmed IV déposé. Une nouvelle fois, le courage du prince Eugène lui vaut la reconnaissance de ses supérieurs, qui lui accordent l'honneur de porter la nouvelle de la victoire à l'Empereur à Vienne[16]. Pour ses états de services, le prince Eugène est promulieutenant général en. Enfin, le, au cours dusiège de Belgrade, en partant à l'assaut avec l'Électeur de Bavière, le prince Eugène crie aux soldats : « Mes enfants, suivez-nous. Il faut vaincre ou périr[17]. » Premier sur la brèche, suivi des volontaires, il reçoit une blessure d'un coup de sabre qui fend son casque. Le janissaire qui lui a porté le coup est bientôt puni : le prince Eugène lui enfonce son épée au travers du corps et le fait tomber mort à ses pieds[N 4].
1688-1697 : intermède en Occident - guerre de la Ligue d'Augsbourg
Le prince Eugène de Savoie est envoyé en mission diplomatique àTurin, à la fin du mois d', par l'empereurLéopold Ier, auprès de son cousin, le duc de SavoieVictor-Amédée II. L'objectif de l'empereur Léopold Ier est de détacher le duc de Savoie de l'influence de son puissant et encombrant voisin français et de faire adhérer le duc au pacte d'alliance de laLigue d'Augsbourg. Le prince Eugène révèle tous ses talents diplomatiques et persuade le duc des avantages liés à un renversement d'alliance, en lui faisant valoir notamment qu'en cas d'attaque du roi de France il serait le premier à venir au secours de son cousin… Le duc de Savoie, convaincu par des arguments si habilement déployés, décide de se rendre en hiver 1689 au carnaval de Venise — pour échapper à la curiosité des Français attachés à la cour de Turin — et ratifie un traité d'alliance à la Ligue d'Augsbourg[N 5]. Le prince Eugène est assuré de percevoir à partir de 1689 les revenus des deux abbayes deSan Michele della Chiusa et deSanta Maria di Casanova enPiémont : il sera désormais à l'abri des graves difficultés financières qu'il a connues dans le passé[20]. Le prince Eugène parvient à Vienne, à la fin de l'automne 1689, pour rendre compte de sa mission à l'empereur Léopold Ier. Les chroniqueurs[Qui ?] indiquent qu'il fut charmé de la façon dont son ambassadeur s'était acquitté de sa mission. Eugène est promu général de cavalerie.
Accompagné de son ami le prince de Commercy, Eugène arrive précipitamment enchaise de poste depuis Vienne pour assister son cousin. Il tente, en vain, de le dissuader d'engager le combat avec des troupes peu aguerries, et lui conseille fortement d'attendre l'arrivée des 7 000 hommes de cavalerie et d'infanterie qui sont en route et dont il doit prendre le commandement[N 6]. Rien n'y fait et le duc de Savoie engage ses troupes dans un combat désastreux qui se solde par ladéfaite de Staffarda, survenue le. Le prince Eugène, ayant pris la tête de troupes de cavalerie, de gendarmes et de gardes du corps de Savoie à l'aile gauche, tente désespérément de limiter la catastrophe. Il réussit à sauver les restes de l'armée savoyarde et sauve son cousin du désastre[22], mais il est blessé légèrement d'une balle molle. Le duc de Savoie perd dans la bataille 3 400 tués, 1 500 blessés et plus de 2 000 prisonniers.
Eugène est peu impressionné par les hommes et leurs officiers durant la guerre en Italie :« L'ennemi aurait été battu il y a longtemps si tout le monde avait fait son devoir[23] », rapporte-t-il à Vienne. Il a tellement de mépris pour le commandant impérial, le comteAntonio Caraffa, qu'il menace de quitter l'armée impériale[24]. À Vienne, l'attitude d'Eugène est perçue comme l'arrogance d'un jeune parvenu et n'est pas prise en considération ; mais l'Empereur est impressionné par sa passion pour la cause impériale.
1691-1692 : retour en Savoie, invasion du Dauphiné et de la Provence
En conseil de guerre, le duc de Savoie propose, avec l'assentiment de ses généraux, d'attaquer le maréchal de Catinat à Pignerol. Le prince Eugène s'y oppose, en lui faisant valoir que cette opération ne présente pas d'intérêt stratégique. Il estime, en revanche, que la meilleure façon d'obtenir l'évacuation des Français est d'envahir leDauphiné et laProvence. Le duc de Savoie y ayant consenti, les troupes impériales simulent une attaque surSuse pour obliger Catinat à déplacer ses troupes qui vont s'y enfermer pour organiser la défense. Pendant ce temps, l'armée impériale, dirigée par le prince Eugène sous l'autorité nominale de son cousin, envahit le territoire français et obtient de nombreux succès dans la prise des places dauphinoises et provençales. Mais survient un obstacle imprévu : le duc de Savoie est soudain atteint de la petite vérole à Gap et l'on craint pour sa vie. Transporté àSisteron, il est soigné par les Jésuites et se prépare à la mort. Mais, revenu à la santé, il décide de rentrer en Savoie et rapatrie toute l'armée impériale qui repasse par les monts à la fin du mois de, sans avoir obtenu le moindre bénéfice de l'action engagée.
Arrivé à Turin, le prince Eugène reçoit le collier de l'ordre de la Toison d'or que lui envoie leroi d'Espagne[25]. Puis il rentre à Vienne où l'Empereur lui fait part de sa satisfaction de son action et lui propose de lui accorder la dignité defeld-maréchal dès la prochaine promotion.
La défaite de La Marsaille incite le duc Victor-Amédée II à négocier une trêve, suivie d'un accord de paix, avec Louis XIV. Dès 1694, le marquis savoyard Caron de Saint-Thomas et lemaréchal de Tessé se rencontrent secrètement àLorette. Ils projettent les bases d'un accord qui sera en grande partie suivi d'effet : neutralité de la Savoie et état apparent d'hostilité. Le secret est bien gardé jusqu'auTraité secret de Pignerol, signé le, confirmant la neutralité de la Savoie. Eugène n'aura plus confiance en son cousin, mais il continuera à se montrer révérencieux envers lui en sa qualité de chef de sa propre famille. Leurs relations resteront tendues. Les honneurs de la guerre en Italie reviennent sans aucun doute au commandant français, le maréchalCatinat, mais Eugène, le seul général de l'Alliance, joue un rôle déterminant par ses actions et ses résultats décisifs et réussit à renforcer sa réputation au sortir de la guerre de la Ligue d'Augsbourg. Le traité de Pignerol n'est rendu public que le. Il sera confirmé par letraité de Turin. Dès le, les troupes françaises évacuent leduché de Savoie. Et le est signé letraité de Ryswick, mettant fin à la guerre de laLigue d'Augsbourg. Laforteresse de Montmélian est rendue auxSavoyards après la signature de la paix.
1697 : la bataille de Zenta en Hongrie, contre les Ottomans
Pendant que l'armée impériale est occupée en Piémont, face aux troupes de Louis XIV, les Ottomans peuvent reprendreBelgrade et reconquérir laHongrie. En, les troupes impériales commandées parLouis-Guillaume de Bade-Bade ont repris l'avantage en battant sévèrement les Turcs à labataille de Slankamen sur le Danube, sécurisant les possessions des Habsbourg enHongrie et enTransylvanie[26]. En 1697, sur la recommandation du président du Conseil de guerre impérial,Ernst Rüdiger von Starhemberg, on accorde au prince Eugène le commandement suprême des forces impériales pour faire face à la menace des troupes du nouveau sultan,Mustafa II[27]. C'est son premier commandement autonome — désormais, il n'a plus à supporter l'extrême prudence de Caprara et de Caraffa ou à être contrarié par les revirements de Victor-Amédée. Cependant, lorsqu'il rejoint son armée, il la trouve dans un état de« misère indescriptible[28] ». Confiant et très sûr de lui, le prince Eugène, assisté de manière compétente par Commercy etGuido Starhemberg, se met à rétablir l'ordre et la discipline[29].
Jan van Huchtenburgh,Le Prince Eugène de Savoie vainqueur de la bataille de Zenta en 1697, 1708,Musée de Cambrai.
L'empereur LéopoldIer a demandé d'agir précautionneusement. Mais quand il apprend que les troupes du sultanMustafa II marchent sur la Transylvanie, le prince Eugène abandonne toute idée de campagne défensive et décide d'intercepter les Ottomans lors de la traversée de la rivièreTisza àZenta. Le, les forces impériales arrivent devant l'ennemi, tard dans la journée. Eugène a assuré la grande mobilité de son armée, selon un précepte utilisé ensuite par Napoléon, en obligeant chaque cavalier à prendre un fantassin en croupe lors de l'approche de la Tisza. La cavalerie ottomane a déjà traversé la rivière, aussi le prince Eugène décide-t-il d'attaquer immédiatement[30] en disposant ses hommes en demi-cercle[31]. La vigueur de l'assaut sème terreur et confusion au sein de l'armée ennemie. À la fin du combat, l'armée impériale a perdu 2 000 hommes tués ou blessés, mais on compte trente mille victimes parmi les Ottomans, dont le grand vizir,Elmas Mehmed Pacha. Le prince Eugène a révélé ses compétences tactiques, sa capacité à prendre des décisions audacieuses et à inspirer à ses hommes courage et force de se surpasser au combat face à un ennemi dangereux[32].
La bataille de Zenta se révèle être une victoire décisive dans la longue guerre contre les Ottomans, mais les intérêts de l'empereur LéopoldIer sont maintenant tournés vers l'Espagne où le décès imminent deCharles II pose le problème de sa succession. L'Empereur met fin au conflit avec les Ottomans par la signature dutraité de Karlowitz le[33]. Après un bref assaut chez les Ottomans enBosnie culminant avec le sac deSarajevo, le prince Eugène revient à Vienne en novembre. Il y reçoit un accueil triomphal. Grâce à la bataille de Zenta, Eugène est devenu un héros européen et on le récompense pour sa victoire. Les terres que lui cède l'Empereur en Hongrie lui procurent de bons revenus, lui permettant ainsi de se consacrer à ses nouveaux goûts pour les arts et l'architecture.
Le prince Eugène traverse lesAlpes avec environ32 000 hommes en mai et. Après une série de brillantes manœuvres à la tête de l'armée impériale, renforcée par des troupes allemandes, il est victorieux dumaréchal de Catinat lors de labataille de Carpi, le[N 8]. Le, le prince Eugène est de nouveau victorieux face aumaréchal de Villeroy au cours de labataille de Chiari, lors d'un affrontement meurtrier[37]. Comme souvent au cours de sa carrière, le prince doit mener la guerre sur deux fronts, l'ennemi sur le terrain et le gouvernement de Vienne[38].
Lors de labataille de Crémone, dans la nuit du au, le prince Eugène capture le maréchal de Villeroy. Toutefois, Crémone demeure aux mains des Français et lemaréchal de Vendôme, son cousin germain, successeur de Villeroy, devient le nouveau commandant de la place. Le prince Eugène n'obtient pas les renforts indispensables pour faire face aux troupes françaises plus nombreuses. Labataille de Luzzara du se révèle peu concluante, même si les troupes du prince Eugène ont fait deux fois plus de blessés dans le camp adverse[39]. Eugène retourne à Vienne en[40].
Des réformes sont immédiatement entreprises pour améliorer l'efficacité de l'armée : des encouragements, et lorsque c'est possible de l'argent, sont envoyés aux commandants sur les champs de bataille ; des promotions et des honneurs sont distribués en fonction des compétences et non de l'influence ; la discipline est améliorée. Cependant, en 1703, la monarchie autrichienne doit faire face à de grands dangers sur plusieurs fronts. Envoyé par le roi Louis XIV, lemaréchal de Villars vient renforcer les troupes de l'Électeur de Bavière sur les rives du Danube ; ses troupes menacent directement Vienne. Pendant ce temps, le maréchal de Vendôme demeure à la tête d'une grande armée en Piémont et il combat la faible armée impériale commandée parGuido von Starhemberg. La révolte menée parFrançois II Rákóczi en Hongrie est tout aussi dangereuse, car, à la fin de l'année, elle a atteint laMoravie et laBasse-Autriche[42].
Des dissensions entre Villars et l'Électeur de Bavière les ont empêchés de lancer l'assaut sur Vienne en 1703[N 9]. Au début de l'année 1704, leduc de Marlborough marche vers le sud afin de venir au secours de la ville de Vienne. Il obtient la présence du prince Eugène, afin d'avoir à ses côtés un« partisan zélé et ayant de l'expérience »[46],[N 10].
La victoire deBlenheim est remportée le, lors de labataille de Höchstädt. Le prince Eugène, à la tête de l'aile droite de l'armée alliée, contient des forces supérieures en nombre commandées par l'Électeur de Bavière et par lemaréchal de Marsin. De son côté, le duc de Malrborough fait une percée au centre de l'armée française, commandée par leMaréchal de Tallard. Ayant fait plus de 30 000 morts et blessés du côté ennemi, la bataille se révèle décisive : Vienne est sauvée et la Bavière hors de combat[N 11].
Cependant, l'année 1707 va se révéler décevante tant pour le prince Eugène que pour la Grande Alliance. L'empereur et le prince Eugène, dont l'objectif principal est, après s'être emparé de Turin, de prendre Naples et la Sicile qui sont aux mains des alliés de Philippe, duc d'Anjou, doivent accepter avec réticence le plan d'attaque de Toulon élaboré par Marlborough.Toulon, en effet, est le port d'attache de la flotte française en Méditerranée. Cependant, la désunion entre les commandants de l'Alliance — le duc de Savoie, le prince Eugène et l'amiral anglaisShovell — condamne l'expédition à l'échec. Même si le prince Eugène approuve certaines formes d'attaques sur la frontière sud-est de la France, il est clair qu'il considère l'expédition irréalisable et il ne montre pas« l'empressement dont il a fait preuve à d'autres occasions »[52]. Néanmoins, sous la chaleur écrasante de l'été de 1707, son armée aura mis16 jours pour traverser laCôte d'Azur de Nice à Toulon[53]. Le Château d'Agay se voit saccagé[54]. D'importants renforts de troupes françaises de l'armée du Dauphiné commandée par lemaréchal de Tessé mettent fin à l'entreprise, et le, l'armée impériale commence sa retraite. La prise, après coup, de la ville deSuse ne peut compenser l'échec complet de l'expédition de Toulon, et avec elle tout espoir d'une percée victorieuse des Alliés cette année-là[55].
Claude Louis Hector de Villars, maréchal de France.
Au début de l'année 1708, le prince Eugène réussit à se soustraire à un transfert enEspagne.Guido Starhemberg, envoyé à sa place, lui permet ainsi de prendre le commandement de l'armée impériale sur laMoselle et de s'unir de nouveau avec Marlborough dans lesPays-Bas espagnols[N 14]. Encouragés par la confiance du prince Eugène, les commandants alliés élaborent un plan audacieux pour engager le combat contre l'armée française qui, commandée par Vendôme et leduc de Bourgogne, se prépare à assiégerAudenarde[57]. La bataille d'Audenarde le est un succès retentissant pour les Alliés[N 15]. Marlborough préfère désormais une avancée rapide le long du littoral pour contourner les principales forteresses françaises, mais les Hollandais et le prince Eugène, inquiets de laisser leurs couloirs de réapprovisionnement non protégés, sont partisans d'une approche plus prudente. Marlborough accepte et se résout ausiège de la grande forteresse de Lille. Tandis que Marlborough dirige les forces de couverture, le prince Eugène supervise le siège de la ville, qui capitule le. Cependant, leMaréchal Boufflers ne rendra la citadelle que le. Le prince Eugène est grièvement blessé au-dessus de l'œil gauche par une balle de mousquet. Il survit aussi à une tentative d'empoisonnement.
La campagne de 1708 est un remarquable succès. Les Français sont chassés de la quasi-totalité des Pays-Bas espagnols[N 16]. Le duc de Marlborough dirige lesiège de Tournai(en), en laissant le soin au prince Eugène de commander les troupes de couverture. La citadelle tombe le[61],[N 17]. Labataille de Malplaquet qui s'ensuit le est la bataille la plus sanglante de toute la guerre de Succession d'Espagne. Sur le flanc gauche, leprince d'Orange dirige l'infanterie hollandaise en des charges désespérées, et elle se fait tailler en pièces. Sur l'autre flanc, le prince Eugène attaque et souffre presque aussi sévèrement. Mais le maintien de la pression sur ses côtés oblige Villars à affaiblir le centre de son armée, permettant ainsi à Marlborough de faire une percée et de remporter la victoire. Villars est incapable de sauverMons, qui capitule le, mais sa défense déterminée à Malplaquet, ayant infligé jusqu'à 25 % de pertes aux troupes alliées, sauve peut-être la France de la destruction[63].
Le prince Eugène se prépare à une grande campagne en 1712[N 19]. Au cours de cette campagne, il prend possession de la forteresse duQuesnoy au début de juillet, avant d'assiégerValenciennes etLandrecies. Le maréchal de Villars, profitant de la désunion des alliés, déjoue les manœuvres du prince Eugène et défait la garnison hollandaise ducomte d'Albemarle àDenain le. Les Français continuent sur leur lancée en s'emparant du camp de base principal des Alliés àMarchiennes, avant de reprendreDouai,Le Quesnoy etBouchain. En un été, l'intégralité des avant-postes laborieusement conquis par les Alliés au fil des années, et devant leur servir de tremplin vers la France, sont abandonnés[65].
Au début du mois d', les troupes ottomanes, comprenant 120 000 hommes sous l'autorité du beau-fils du sultan, le Grand VizirDamat Ali Pacha, marchent depuisBelgrade vers les positions du prince Eugène à l'ouest de la forteresse dePetrovaradin sur la rive nord du Danube. Le grand vizir a l'intention de s'emparer de la forteresse, mais le prince Eugène ne lui laisse aucune chance. Après avoir fait fi des appels à la prudence et renoncé à un conseil de guerre, le prince décide d'attaquer immédiatement, avec plus de 60 000 hommes, au matin du[69]. Au début, lesjanissaires ottomans connaissent quelque succès mais, après une offensive de la cavalerie impériale sur leur flanc, les forces d'Ali Pacha se retrouvent dans la plus grande confusion. Alors que les forces de l'Empereur perdent près de 5 000 hommes, les Ottomans qui battent en retraite vers Belgrade en ont perdu le double dont le Grand Vizir, qui s'est personnellement engagé dans la bataille et qui mourra de ses blessures.
Le prince Eugène réussit à prendre la forteresse deTimişoara dans leBanat à la mi-, mettant ainsi fin à 164 années de gouvernance ottomane sur la région, avant de se concentrer sur la campagne de l'année suivante et sur ce qu'il considère comme le principal objectif de la guerre : la ville deBelgrade[70]. Située à la confluence du Danube et de laSave, Belgrade abrite une garnison de 30 000 hommes commandés par Mustapha Pacha. Les forces impériales mettent le siège devant la ville à la mi- ; à la fin juillet, de grands pans de la ville ont été détruits par l'artillerie. Les premiers jours d'août, une immense armée ottomane dirigée parHacı Halil Pacha(en), forte de 150 000 à 200 000 hommes, arrive sur le plateau à l'Est de la ville pour délivrer la garnison[71]. La nouvelle de la destruction imminente de l'armée impériale fait le tour de l'Europe, mais le prince Eugène n'a absolument pas l'intention de lever le siège[72]. Ses hommes souffrent dedysenterie et sont soumis à un bombardement continu depuis le plateau ; le prince, sachant que seule une victoire décisive peut sortir son armée de cette situation délicate, décide d'assaillir les troupes de renfort. Le matin du, 40 000 soldats de l'armée impériale marchent à travers le brouillard, attaquent les Ottomans par surprise et mettent l'armée de Halil Pacha en déroute. Une semaine plus tard, Belgrade se rend, mettant effectivement un terme à la guerre. Cette victoire est le couronnement de la carrière militaire du prince Eugène.
De toutes les guerres menées par le prince Eugène, celle-ci est celle où il exerce le contrôle personnel le plus direct. C'est également une guerre où,en grande partie[pas clair], l'Autriche s'est battue et a gagné sans l'aide de troupes étrangères[68].
Don Charles, successivement duc de Parme, roi des Deux-Siciles et roi d'Espagne.
Tandis que le prince Eugène combat les Ottomans à l'est, des conflits non résolus à la suite des traités d'Utrecht et de Rastatt provoquent une reprise des hostilités entre l'empereur Charles VI et Philippe V d'Espagne à l'ouest[N 21]. Les représentants d'unenouvelle alliance franco-anglaise, déterminés à assurer la paix en Europe pour leur propre sécurité dynastique, appellent les deux camps à reconnaître mutuellement leur souveraineté, mais Philippe V demeure intraitable. Le, le premier ministre,Alberoni, envahit laSardaigne autrichienne, dans ce qui semble être le début de la reconquête par l'Espagne de son ancien empire italien[74].
Le prince Eugène retourne à Vienne juste après la victoire de Belgrade. Il décide de détacher une partie de ses troupes en Italie, cependant que l'Empereur Charles VI ratifie le pacte de laQuadruple-Alliance, le[N 22]. Après la signature dutraité de Passarowitz mettant fin à la guerre contre les Ottomans, le prince Eugène décide de diriger les opérations depuis Vienne, loin du théâtre des opérations. Les efforts de guerre de l'Autriche en Sicile sont faibles en comparaison des interventions alliées[N 23]. La pression des armées alliées place Philippe V d'Espagne devant l'obligation de signer le pacte de la Quadruple Alliance, le.
Le prince Eugène devientgouverneur des Pays-Bas — à l'époque, lesPays-Bas autrichiens — en, mais sans s'y établir[N 24]. Il va rester à ce poste pendant huit ans, tout en conservant la présidence du conseil de Guerre. Tirant les conclusions de la guerre de succession d'Espagne, il persuade l'empereurCharles VI de créer une école militaire (förmliche Ingenieur-Academia) pour répondre à ce besoin. L'Académie impériale du Génie Militaire est instituée à titre provisoire dès 1717, puis à titre définitif en 1720. En butte à l'hostilité des corporations et de la noblesse locale, il démissionne le[N 25]. L'art du gouvernement est assuré par les ministres plénipotentiaires, d'abordHercule-Louis Turinetti, marquis de Prié dont l'impopularité l'amène à démissionner quelques mois plus tard en 1724. L'empereur nomme sa sœurMarie-Élisabeth d'Autriche gouvernante. Le comteWirich de Daun, qui succède au marquis de Prié comme ministre plénipotentiaire, assure la régence jusqu'à l'arrivée de l'archiduchesse.
À partir de 1726, le prince Eugène commence à regagner progressivement son influence politique. À l'aide de ses nombreux contacts à travers l'Europe, soutenu par le vice-chancelier impérialSchönborn, il réussit à s'assurer le soutien de puissants alliés et à renforcer la position de l'Empereur.
En 1733, le roi de Pologne et électeur de Saxe,Auguste le Fort, meurt. Il y a alors deux prétendants au trône :Stanislas Leszczyński, beau-père de Louis XV, etAuguste, fils d'Auguste le Fort, soutenu par la Russie, l'Autriche et la Prusse. Le problème de la succession du trône de Pologne permet àFleury, principal ministre d'État de Louis XV, d'attaquer l'Autriche et de prendre la Lorraine deFrançois. Afin de s'assurer l'appui de l'Espagne, la France apporte son soutien à l'attribution aux fils d'Élisabeth Farnèse de territoires supplémentaires en Italie[N 27]. Le prince Eugène entre dans laguerre de Succession de Pologne en tant que Président du Conseil de Guerre impérial et commandant en chef de l'armée, mais il est fortement handicapé par la qualité de ses troupes et le manque de financements. Désormais âgé de plus de soixante-dix ans, le Prince est également touché par une rapide diminution de ses capacités physiques et mentales. La France déclare la guerre à l'Autriche le, mais sans l'appui des puissances maritimes — qui, malgré le traité de Vienne, restent neutres durant tout le conflit —, l'Autriche ne peut engager les troupes nécessaires pour mener une campagne efficace[85]. À la fin de l'année, les troupes franco-espagnoles se sont emparées de la Lorraine et de Milan. Au début de l'année 1734, les troupes espagnoles ont pris possession de la Sicile.
Le prince Eugène prend le commandement des troupes sur le Rhin en, mais en grande infériorité numérique, il est forcé d'adopter une stratégie défensive. En juin, il entreprend de secourir la ville dePhilippsburg, mais sans avoir le dynamisme ni l'énergie d'autrefois. Le prince Eugène est accompagné du jeuneFrédéric II de Prusse, envoyé par son père pour apprendre l'art de la guerre. Frédéric apprend beaucoup du prince Eugène, se rappelant plus tard dans sa vie la grande dette personnelle qu'il a envers son mentor, mais il est atterré par l'état psychique du prince Eugène, écrivant après coup que« son corps était toujours là mais son esprit était parti »[86]. Le prince Eugène dirige une autre campagne en 1735, mettant là encore en œuvre une stratégie de défense judicieuse du fait de ses ressources limitées. Cependant, sa mémoire immédiate est désormais quasi inexistante et son influence politique disparaît complètement ; Gundaker Starhemberg et John Bartenstein dominent alors la Conférence à sa place. Fleury, qui est déterminé à limiter l'étendue de la guerre et à éviter un renouvellement de la Grande Alliance, accorde, en, de généreuses conditions de paix à l'Empereur[87].
Le prince Eugène rentre à Vienne de sa campagne de la guerre de Succession de Pologne en, affaibli. QuandMarie-Thérèse d'Autriche etFrançois-Étienne de Lorraine se marient en, le prince Eugène est trop malade pour se rendre à la cérémonie. Après avoir joué aux cartes chez la comtesse Batthyány le soir du, il regagne sa chambre auStadtpalais. Quand ses serviteurs arrivent pour le réveiller le matin suivant, le, le prince Eugène est retrouvé mort, à la suite d'une pneumonie.
On connaît peu de choses sur la vie privée du jeune prince Eugène avant 1683, sinon par les lettres et les mémoires de laduchesse d'Orléans, Élisabeth-Charlotte, belle-sœur deLouis XIV, qui déteste le Prince depuis qu'il a pris le parti de l'Autriche, et qui qualifie la jeunesse d'Eugène de« débauchée »[N 29]. En s'appuyant sur les allégations de la duchesse, certains historiens ont avancé l'hypothèse qu'il fut homosexuel ou bisexuel[N 30]. Comme le rappelle l'historien Derek McKay, un des principaux biographes d'Eugène, les réflexions d'Élisabeth-Charlotte sur Eugène sont formulées des années après qu'Eugène a quitté la France, et seulement après qu'il eut sévèrement malmené les armées de son beau-frère, Louis XIV. Entre le départ d'Eugène de France à l'âge de dix-neuf ans et sa mort en 1736, il n'y a aucune autre indication d'homosexualité à son égard[89].
Pendant les vingt dernières années de sa vie, le prince Eugène aurait eu des amitiés féminines, mais il ne s'est jamais marié. Les historiens mentionnent sa longue relation avec la comtesse hongroise Eléonore Batthyány-Strattmann. Il est resté sans postérité légitime[N 31].
Les récompenses attribuées au prince Eugène pour ses victoires, sa part des butins, et ses revenus réguliers liés à ses postes au sein du gouvernement impérial et ceux qu'il tire de ses abbayes en Savoie lui permettent de contribuer au développement de l'architecture baroque. La présidence du Conseil de guerre impérial doit rapporter à Eugène environ 100 000 florins par an, tandis que ses postes degouverneur de Milan etdes Pays-Bas lui en rapportent sans doute 150 000 annuellement[90].
Eugène passe la majeure partie de sa vie à Vienne dans son Palais d'Hiver, le Stadtpalais, construit parFischer von Erlach. Le palais est à la fois sa résidence officielle et sa maison, mais pour des raisons qui demeurent incertaines, son association avec Fischer se termine avant l'achèvement du bâtiment, et il favorise alorsJohann Lukas von Hildebrandt comme architecte en chef personnel. Rien n'indique une querelle avec Erlach, mais seulement une volonté de changer de style. Hildebrandt avait accompagné Eugène en Italie en qualité de ingénieur durant les sièges et devint ingénieur de la cour impériale en 1701. Eugène emploie d'abord Hildebrandt pour terminer le Stadtpalais avant de lui confier l'élaboration des plans pour un palais sur son île du Danube àRáckeve. Commencé en 1701, le chantier de ce bâtiment d'un seul étage dure vingt ans. Malgré cela, probablement en raison de la révolte de Rákóczi, il semble que le prince ne l'ait visité qu'une seule fois : après le siège de Belgrade en 1717[91].
Palais du Belvédère supérieur, la résidence viennoise du prince Eugène.
Le complexe grandiose dupalais du Belvédère à Vienne est d'importance plus notable. Le Belvédère inférieur, d'un seul étage, avec ses jardins exotiques et son zoo, est achevé en 1716. Le Belvédère supérieur, terminé entre 1720 et 1722, est un bâtiment plus important. Avec ses murs étincelants de stucs blancs et son toit de cuivre, il devient une des merveilles de l'Europe. Eugène et Hildebrandt convertissent également une construction existante de son domaine de Marchfeld en résidence de campagne, leSchlosshof, situé entre le Danube et laMorava, un de ses affluents sur un terrain acheté en 1726. Ce bâtiment, achevé en 1729, est bien moins élaboré que ses autres projets mais suffisamment résistant pour servir de forteresse en cas de besoin. Eugène passe beaucoup de son temps libre en cet endroit au cours de ses dernières années, y donnant de grandes parties de chasse[92].
Dans les années qui suivent la paix de Rastatt, le prince Eugène fait connaissance d'un nombre important d'érudits. En raison de sa position et de sa sensibilité, ils sont désireux de le rencontrer : peu d'entre eux peuvent vivre sans mécène et c'est probablement la raison principale de sa rencontre avecLeibniz en 1714. Le philosophe allemand fait la connaissance du prince lors de sa visite à Vienne en 1714, alors qu'il essayait de convaincre Charles VI de fonder une Académie des Sciences[93]. Il se prend d'amitié pour l'écrivain françaisJean-Baptiste Rousseau qui, à partir de 1716, reçoit un soutien financier d'Eugène. Rousseau reste attaché à la maison du prince, aidant probablement à la bibliothèque, jusqu'à son départ pour les Pays-Bas en 1722 Une autre de ses connaissances,Montesquieu, déjà célèbre pour sesLettres persanes quand il arrive à Vienne en 1728, garde de bons souvenirs du temps qu'il passe à la table du prince. Néanmoins, le prince Eugène n'a pas de prétentions littéraires propres, et n'est pas tenté commeMaurice de Saxe ou le maréchal de Villars d'écrire ses mémoires ou des livres sur l'art de la guerre. Il devient cependant un grand collectionneur : ses galeries de peintures sont remplies d'œuvres italiennes, hollandaises et flamandes desXVIe et XVIIe siècles[94]. Parmi les artistes qui travaillent pour Eugène, le peintre et graveur italienGiuseppe Maria Crespi réalise plusieurs tableaux inspirés de lamythologie[95]. La bibliothèque du prince au Stadtpalais est remplie de plus de15 000 livres, 237 manuscrits et une gigantesque collection de gravures (les livres d'histoire naturelle et de géographie revêtent un intérêt tout particulier), son fournisseur étantJean Mariette. Jean-Baptiste Rousseau écrit :« Il est difficilement croyable qu'un homme qui porte sur ses épaules la charge de presque toutes les affaires d'Europe… puisse trouver autant de temps pour lire comme s'il n'avait rien d'autre à faire[96] ». Rousseau était aux Pays-Bas depuis peu lorsqu'il rejoignit la conspiration pour forcer Eugène à quitter son poste de Gouverneur-Général.
À la mort du prince Eugène, ses possessions et domaines, à l'exception de son patrimoine en Hongrie réclamé par la Couronne, deviennent la possession de sa nièce, la princesse Victoria, qui décide immédiatement de tout vendre. Les œuvres d'art sont achetées parCharles-Emmanuel III de Sardaigne. La bibliothèque, les gravures et dessins d'Eugène sont achetés par l'empereur en 1737 et ont intégré depuis les collections nationales de l'Autriche[88].
Napoléon Ier considérait le prince Eugène comme l'un des sept plus grands commandants de l'histoire[97]. Même si des critiques militaires ont par la suite contesté cette déclaration, le prince Eugène fut indubitablement le plus grand général autrichien[98]. Il ne fut pas un innovateur militaire, mais il avait la capacité de faire fonctionner un système inadéquat. Il était tout aussi adroit comme organisateur, stratège et tacticien, croyant en la primauté de la bataille et en sa capacité à trouver le moment opportun pour lancer une attaque victorieuse[98]. Le maréchal de Saxe écrivit dans sesRêveries sur l'Art de la Guerre que« l'important est de voir l'opportunité et de savoir comment l'utiliser. Le prince Eugène possédait cette qualité qui est la plus grande dans l'art de la guerre et qui constitue le test des plus grands génies[99] ».
Le prince Eugène était partisan de la manière forte — quand des soldats désobéissaient aux ordres, il se disait prêt à les tuer lui-même — mais il rejetait la brutalité aveugle, écrivant à ce sujet :« vous ne devriez être dur uniquement que lorsque, comme c'est souvent le cas, la gentillesse se révèle être inutile »[100]. Sur le champ de bataille, le prince Eugène demandait du courage à ses subordonnés, et attendait de ses hommes qu'ils se battent où et quand il le voulait. Ses critères pour la promotion de ses soldats se basaient davantage sur l'obéissance aux ordres et sur le courage sur le champ de bataille plutôt que sur leur position sociale. De manière générale ses hommes obéissaient, car il avait la volonté de les pousser aussi durement que lui-même. Cependant, son rôle de Président du Conseil de Guerre Impérial se révéla être une moins bonne réussite. Durant la longue période de paix qui suivit la guerre entre l'Autriche et l'Empire Ottoman, l'idée de créer une armée de campagne séparée ou de donner aux troupes de garnisons un entraînement efficace pour les transformer en une telle armée ne fut jamais envisagée par le prince Eugène. En conséquence, lors de la guerre de Succession de Pologne, les Autrichiens furent dominés par une armée française bien mieux préparée. Le prince Eugène est en grande partie responsable de cette situation — selon lui, contrairement aux exercices et manœuvres de l'armée menées par la Prusse sous l'autorité de Frédéric-Guillaume, de véritables combattants ne pouvaient être formés qu'à l'approche d'une guerre[100]. La confusion de la guerre de Succession de Pologne avait certes marquéFrédéric le Grand, tout comme Eugène comme exemple de la décrépitude épouvantable dans laquelle pouvaient tomber les troupes. Il améliora après coup ces durs jugements. Il commenta en 1758 :« Si je comprends quelque chose à mes affaires, surtout les aspects les plus difficiles, je dois cet avantage au Prince Eugène. De lui, j'ai appris à avoir constamment de grands objectifs en vue, et à consacrer toutes mes ressources à ces fins. »[101] Pour l'historienChristopher Duffy, c'était de cette conscience de la « grande stratégie » dont Frédéric hérita du prince Eugène[101].
Le prince Eugène attacha à ses responsabilités ses valeurs personnelles : courage physique, loyauté envers son souverain, honnêteté, contrôle de soi en toutes circonstances. Il attendait ces mêmes qualités de la part de ses commandants. L'approche du prince Eugène était dictatoriale, mais il était prêt à coopérer avec des individus qu'il considérait comme son égal, comme Baden ou Marlborough. Il en résultait un personnage austère, inspirant davantage le respect et l'admiration que l'affection[102]. La grande statue équestre au centre de Vienne commémore les réalisations du prince Eugène. Est inscrit sur un des côtés : « Au conseiller avisé de trois Empereurs », et sur l'autre, « Au glorieux conquérant des ennemis de l'Autriche »[97].
↑Il s'agissait là de la violation d'une règle que Louis XIV ne pouvait tolérer. On a avancé d'autres raisons.Louvois, secrétaire d'État à la Guerre, détestait la mère d'Eugène après qu'elle lui eut refusé une proposition de mariage entre sa fille et le fils de Louvois[6].
↑Un de ses frères, Louis-Jules de Savoie-Carignan (1660-1683),dit « le chevalier de Savoie », qui était entré au service de l'Empereur des romains l'année précédente, était mort, écrasé par son cheval, en combattant les Ottomans. D'autres membres de sa famille font déjà partie de l'armée impériale : son cousin,Louis-Guillaume de Bade-Bade, exerce déjà un commandement dans l'armée impériale, tout comme son cousin plus éloigné,Maximilien-Emmanuel de Bavière,électeur de Bavière.
↑Même s'il n'est pas autrichien, Eugène a des ancêtres parents des Habsbourg. Son grand-père,Thomas de Savoie-Carignan, fondateur de la lignée des Carignan au sein de lamaison de Savoie, était le fils deCatherine-Michelle d'Espagne, elle-même fille du roiPhilippe II d'Espagne, et l'arrière-petit-fils de l'empereurCharles Quint. De plus, et c'est ce qui est primordial pour Léopold, Eugène est cousin au second degré deVictor-Amédée II, le duc de Savoie, une relation qui pourrait être utile en cas de confrontation avec la France[9]. Ses liens, ses manières et son apparence modeste constituent un avantage au sein de l'austère cour de Léopold[10], et valent à cet expatrié du royaume rival de France un accueil chaleureux àPassau et une place au sein de l'armée impériale[9].
↑Cet épisode est mentionné dans l'Histoire du Prince François Eugène de Savoye, Généralissime des Armées de l'Empereur et de l'Empire, ouvrage anonyme attribué à Elzéar de Mauvillon, édité à Vienne, chez Briffaut en 1741 (TomeIer-p. 92-93). L'auteur précise aux pages 109-110 que le marquis de Quinci, dans sonHistoire militaire de Louis le Grand, envoie le prince Eugène ausiège de Mayence (1689) et le fait blesser à l'attaque du chemin couvert le de la même année. Les historiens allemands qui ont écrit les actions de ce héros ne disent pas un mot de tout cela. Et les mémoires concernant ce prince disent tout le contraire. Ainsi, il y a apparence que M. le marquis s'est trompé et cela n'est pas étonnant chez un historien aussi romancier. « Pour moi, outre les autorités que j'ai du contraire, je ne puis m'imaginer que le Prince Eugène se soit trouvé en si peu de temps en tant d'endroits différents. » Le prince Eugène était effectivement envoyé à Turin par l'Empereur à la fin du mois d' pour obtenir le ralliement de son cousin, le duc de Savoie, à la Ligue d'Augsbourg.
↑D'après le traité de Venise, le duc de Savoie s'engage à faire la guerre à la France aux conditions suivantes[19] :
Que l'Empereur ne ferait aucun traité avec la France ;
Que Sa Majesté enverrait, à ses frais, 6 000 hommes de ses meilleures troupes, pour être jointes à celles de Savoie ;
Que l'Empereur et ses alliés feraient tout leur possible pour mettre le duc de Savoie en possession de Pignerol, etc.
Il semble que finalement la ratification eut lieu à la cour de Turin entre les mains de l'abbé Grimani, futur cardinal Grimani, qui en envoya une copie à la cour de Vienne.
↑Contrairement aux allégations de certains commentateurs[Qui ?], le régiment de dragons autrichien du prince Eugène qui devait venir au secours des Piémontais n'est arrivé qu'après la bataille[21].
↑Louis XIV écrit à son commandant :« Je vous avais averti que vous aviez affaire à un jeune prince entreprenant. Il ne s'attache pas aux règles de la guerre[36]. » Les règles de la guerre consistent à laisser la vie sauve aux prisonniers. Le prince Eugène, ayant eu connaissance du comportement des troupes allemandes qui n'avaient pas fait de quartier, prit les mesures nécessaires pour pallier ces agissements et présenta ses excuses au maréchal de Catinat.
↑Mais des ministres, dans les cours de Versailles et de Madrid, anticipent avec assurance la chute de la ville[43]. L'ambassadeur de l'Empereur à Londres, lecomte Wrastislaw(en), fait pression sur le gouvernement anglais pour obtenir l'assistance des Anglais et des Hollandais sur le Danube dès, mais la crise en Europe du Sud semble lointaine pour la cour anglaise, davantage préoccupée par ses ambitions coloniales et commerciales[44]. Seule une poignée d'hommes d'État en Angleterre et dans les Pays-Bas, principalement leduc de Marlborough, général en chef anglais, ont conscience des véritables implications de la situation critique de l'Empire[45].
↑Les commandants de l'Alliance se rencontrent pour la première fois le dans le petit village deMundelsheim et ont immédiatement des rapports très étroits. Les deux hommes deviennent, selon Thomas Lediard,« la double constellation de la gloire »[47]. Ces liens professionnels et personnels garantissent un soutien mutuel entre les deux hommes sur les champs de bataille, permettant de nombreuses victoires pendant laguerre de Succession d'Espagne.
↑Selon l'opinion de SirWinston Churchill, descendant et biographe de Marlborough,« la gloire de cette victoire reviendrait au prince Eugène, dont la fougue et la vivacité d'esprit ont stimulé les splendides actions de ses troupes »[48].
↑Le duc de Marlborough a fourni à Eugène10 000 hommes en renfort et lui a accordé un prêt de250 000 livres.
↑Au sujet de la bataille de Ramillies, Marlborough écrit :« Il m'est impossible d'exprimer la joie que cela m'a donné, car non seulement j'ai pour lui de l'estime, mais j'aime vraiment le Prince[51]. » Eugène porte peut d'intérêt à Milan : il n'y retournera jamais après 1707.
↑L'armée du prince Eugène est presque entièrement constituée d'Allemands payés par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Il arrive, sans son armée, au camp allié situé à Assche, à l'ouest de Bruxelles, au début du mois de juillet, remontant le moral des troupes qui était bien bas après la perte des villes deBruges etGand. Le général prussienNatzmer écrit :« […] nos affaires vont mieux grâce au soutien de Dieu et à l'aide d'Eugène, dont l'arrivée opportune a de nouveau remonté le moral de l'armée et nous a consolés »[56].
↑Marlborough, bien qu'ayant été le commandant général des troupes, considère Audenarde comme une victoire commune. Il écrit d'ailleurs :« Le Prince Eugène et moi-même ne serons jamais en désaccord sur notre partage des lauriers[58]. »
↑Coxe affirme que la citadelle tombe le 4 septembre. Chandler décrit le siège comme l'un des plus durs de l'histoire moderne. Marlborough dirige le siège tandis qu'Eugène commande les troupes de couverture. Les généraux alliés portent leur attention sur leMaréchal Villars, queBoufflers vient de rejoindre. Villars déplace son armée au sud-ouest de la ville et commence à fortifier sa position. Marlborough et Eugène préfèrent engager bataille avant que Villars ne puisse rendre sa position imprenable, mais ils acceptent également d'attendre les renforts venant de Tournai. Ces renforts n'arrivent que la nuit suivante, donnant un délai supplémentaire aux Français pour renforcer leur défense. Malgré les difficultés de l'attaque, les généraux alliés ne perdent rien de leur détermination[62].
↑Il a l'espoir d'influer sur l'opinion publique en Angleterre et d'obliger les Français à faire des concessions substantielles. Cependant, le, alors que les Tories pensent avoir obtenu des conditions favorables au cours de leurs négociations secrètes avec les Français, le duc d'Ormonde (successeur de Marlborough) reçoit des ordres lui interdisant de prendre part à une quelconque action militaire[64]. Les ministres tories n'informent pas le prince Eugène de cette interdiction d'action militaire, mais ils en informent le maréchal de Villars. En, ils communiquent même à la France ce qu'ils savent des plans de guerre du prince Eugène.
↑Le traité d'Utrecht est signé le. Des requêtes de dernière minute portant sur la cession du Luxembourg à l'Électeur de Bavière, de même que la restauration de la Bavière, le retrait des troupes impériales duDuché de Mantoue et la reconnaissance formelle immédiate de Philippe V comme roi d'Espagne, sont inacceptables pour Charles VI.
↑Charles VI refuse de reconnaître Philippe V comme roi d'Espagne, et en retour, Philippe V ne renonce pas à ses revendications territoriales surNaples,Milan et lesPays-Bas, qui ont été transférés à la Maison d'Autriche à la suite de laguerre de Succession d'Espagne. Philippe V est conseillé par son influente épouse,Élisabeth Farnèse, fille duduc de Parme, qui a des revendications dynastiques au nom de son filsDon Charles sur les duchés deToscane et deParme[73].
↑Le prince Eugène parvient à la cour de Vienne avant même la fin de la guerre contre les Ottomans, déterminé à empêcher une intensification du conflit. Il se plaint d'ailleurs de« ne pouvoir mener deux guerres avec une seule armée »[74], et il n'accepte qu'à contrecœur d'expédier une partie de ses troupes des Balkans vers l'Italie. Refusant toutes les propositions diplomatiques, Philippe V lance un nouvel assaut en juin 1718, cette fois-ci contre laSicile piémontaise, en préliminaire à une attaque sur l'Italie continentale. Réalisant que seule laflotte anglaise peut empêcher de nouveaux débarquements espagnols, et que les groupes pro-espagnols en France peuvent pousser lerégent Philippe d'Orléans à la guerre contre l'Autriche, l'empereur Charles VI n'a pas d'autres choix que de signer laQuadruple-Alliance le 2 août 1718 et de renoncer à ses revendications espagnoles[75]. En dépit de la destruction de la flotte espagnole au large ducap Passaro par la marine anglaise, Philippe V et Élisabeth demeurent intraitables et refusent de signer le traité.
↑Les commandants choisis par Eugène,Zum Jungen(de) et, plus tard, lecomte de Mercy, n'obtiennent que de piètres résultats[76]. Des troupes espagnoles isolées restent dans les environs dePalerme jusqu'à la fin de l'année 1719, alors qu'aucune expédition ne peut être menée vers la Sardaigne. Ce ne sont que, d'un côté, la pression exercée par l'armée française qui avance à travers les provinces basques du nord de l'Espagne en avril 1719, et, de l'autre, les attaques de la Navy sur les navires espagnols, qui contraignent Philippe V et Élisabeth à renvoyer Alberoni et rejoindre la Quadruple-Alliance le 25 janvier 1720. Néanmoins, les attaques espagnoles ont mis à rude épreuve le gouvernement de l'empereur Charles VII, provoquant des tensions entre l'Empereur et son Conseil d'Espagne. Le Conseil d'Espagne est constitué d'Espagnols et d'Italiens qui ont rallié l'EmpereurAntonio Folch de Cardona(es). Les membres les plus importants de ce Conseil sont cependant le comte Rocco Stella et le marquis Ramon de Rialp. Le Conseil contrôle les possessions de l'Empereur Charles VI en Italie d'un côté. Cette Conférence discute de la politique étrangère et se tient généralement dans l'un despalais du prince Eugène. L'autre conseil autrichien est dirigée par Eugène. En dépit des ambitions personnelles de l'empereur Charles VI en Méditerranée, il est clair pour l'Empereur que le prince Eugène a placé la sauvegarde de ses conquêtes en Hongrie devant toutes les autres campagnes. Il estime que l'échec militaire en Sicile doit lui être imputé. En conséquence, l'influence du Prince sur l'Empereur diminue de manière notable[77].
↑Il communique ses décisions depuis Vienne à son représentant sur place qu'il a lui-même choisi, lemarquis de Prié[78].
↑Le Prince est peu enclin à quitter son palais et ses amis : cela serait probablement synonyme pour lui de démission du Conseil de Guerre, poste qui constitue son principal sujet d'intérêt. Le marquis de Prié se révèle impopulaire auprès de la population locale et des corporations qui, à la suite dutraité de la Barrière signé en 1715, les obligent à satisfaire aux exigences financières de l'administration et des garnisons hollandaises. Des troubles civils sont réprimés àAnvers etBruxelles avec le soutien et les encouragements du prince Eugène. Après avoir déplu à l'Empereur par son opposition initiale à la création de laCompagnie d'Ostende, le marquis de Prié perd également le soutien de la noblesse locale au sein de son propre conseil d'État à Bruxelles, notamment celui dumarquis de Mérode-Westerloo(en). L'un des anciens protégés du prince Eugène, lecomte de Bonneval, se joint également aux nobles opposés au marquis de Prié, sapant un peu plus l'autorité du prince. Quand la place du marquis devient intenable, Eugène se sent obligé de démissionner de son poste de gouverneur le 16 novembre 1724. Comme compensation, Charles VI lui confère le titre honorifique devicaire général d'Italie, lui rapportant 140 000 florins par an, et un domaine àSiebenbrunn enBasse-Autriche, dont il se dit qu'il vaut le double de la rémunération. Le marquis de Prié démissionne au printemps 1725. Mais cette démission tourmente le prince Eugène. Il souffre d'une grippe sévère à Noël la même année, ce qui sera le début pour lui d'unebronchite chronique et d'infections aiguës chaque hiver les douze dernières années de sa vie[79].
↑Après Parme, Don Charles convoite Naples et la Sicile.
↑Le prince Eugène étant mort sans héritier, ses biens passent à sa nièceMarie-Anne-Victoire alors âgée de 52 ans, qui, devenue subitement riche, trouve rapidement un mari,Joseph-Frédéric de Saxe-Hildburghausen, de 20 ans son cadet. Le couple s'installe dans le château du Schlosshof mais se sépare en 1744, Joseph conservant la splendide demeure. Une grande partie de l'héritage est acquis par François, mari de Marie-Thérèse d'Autriche.
↑Pleine de fiel, la duchesse d'Orléans ne tarit pas de propos diffamatoires sur l'ennemi irréductible du Roi-Soleil. Elle prétend que le jeune Eugène de Savoie-Carignan fréquentait un petit groupe efféminé dans sa jeunesse autour de l'abbé de Choisy. Elle mentionne des comportements homosexuels à l'égard de laquais et de pages, le qualifiant de « souillon » : « il jouait souvent à la femme avec de jeunes individus » ;« … il n'a point passé ici autrefois pour aimer les dames, mais pour avoir été la maîtresse d'autres jeunes gens, aussi l'appelait-on, écrit-elle,Mme Simoni etMme Puttana. Quand il a eu un peu d'argent, il s'est fort bien conduit ; mais c'est chose affreuse à penser que les bruits qui courent sur son compte sont peut-être vrais, car on dit que pour un écu on pouvait faire de lui ce qu'on voulait » (Correspondance complète de madame la duchesse d'Orléans née Princesse Palatine, mère du régent,). La princesse prend la précaution de déclarer qu'elle ne fait que rapporter les bruits qui courent à la cour de Versailles, sans en assumer la responsabilité. Le comportement d'Eugène peut avoir été le résultat du laxisme qui règne au sein de la maison de sa mère, et de l'incapacité de sa mère à montrer une quelconque forme d'affection envers lui (McKay 1977,p. 10).
↑Il est fait référence à une autre femme. Le ministre de Suède à Vienne fait référence à la comtesse Maria Thürheim. Cependant, il n'y a aucune preuve de ces allégations. La majeure partie de ses relations reste d'ordre spéculatif, Eugène ne les mentionnant jamais dans aucune des lettres qui nous sont parvenues. Certains diplomates étrangers font des allusions selon lesquelles Eleonora aurait été sa maîtresse, mais ils ne vivaient pas ensemble et rien n'est prouvé. Eugène et Eleonara se fréquentaient longuement, se réunissant pour des dîners, des réceptions et des jeux de cartes pratiquement tous les jours jusqu'à son décès. Les autres amis d'Eugène comme lenonce apostolique(en)Passionei remplacent la famille qui lui fait toujours défaut. Pour son seul neveu encore en vie,Emmanuel, le fils de son frèreLouis-Thomas, Eugène arrange un mariage avec une des filles du prince de Liechtenstein, mais Emmanuel meurt de la variole en 1729. Après la mort du fils d'Emmanuel en 1734, il n'y a plus de cousin proche de sexe masculin encore en vie pour succéder au prince. De fait, sa plus proche cousine est la fille, célibataire, de Louis-Thomas, la princesseMarie-Anne-Victoire de Savoie (1683-1763), mariée en 1738 (et séparée en 1752) àJoseph-Frédéric (1702-1787), duc de Saxe-Hildburghausen.
↑Histoire du Prince François Eugène de Savoie, généralissime des armées de l'Empereur et de l'Empire, Vienne, Briffaut, 1741 (ouvrage anonyme en cinq volumes attribué à Élzéar de Mauvillon).
↑Acte debaptême du Prince François-Eugène de Savoie-Carignan, cité par Côme Lemaire dansInventaire-sommaire des Archives départementales antérieures à 1790,Seine-et-Marne, tome quatrième,Fontainebleau, 1880, série F page 16.
↑European Drawings « Giuseppe Maria Crespi, called lo Spagnuolo », J. Paul Getty Museum Catalogue of the Collections, t. 4 « Italian School », p. 45[1]
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Éléazard de Mauvillon,Histoire du Prince François Eugène de Savoie, Généralissime des Armées de l'Empereur et de l'Armée de l'Empire, à Vienne en Autriche, chez Briffaut, 1741, 5 tomes.(ouvrage anonyme, attribué à Éléazard de Mauvillon, enrichi de gravures en taille-douce et de plans de batailles).
Domenico Silvio Passionei,Oraison funèbre du Prince Eugène de Savoie Lyon, Perisse, 1770.
Prince Eugène,Mémoires du Prince Eugène de Savoie, écrits par lui-même, Bureau de l'Industrie, Weimar, 180.
P. Thomé de Maisonneuve,L'invasion du Dauphiné en 1692, Éditions Didier et Richard, Grenoble, 1929.
Antoine Béthouart,Le Prince Eugène de Savoie, soldat, diplomate, mécène Librairie Académique Perrin, Paris, 1975.
Nicolas Henderson,Le Prince Eugène de Savoie, Taillandier, Paris, 1980.
André Corvisier,La Bataille de Malplaquet. L'effondrement de la France évité, Economica, 1997.
Clément Oury,La prise de décision militaire à la fin du règne de Louis XIV : l'exemple du siège de Turin, 1706, Armand Colin-Dunod, 2010.
Jean Nouzille,Le Prince Eugène de Savoie et le Sud est européen, (1683-1736), Honoré Champion, Paris, 2012.
D'Artanville,Mémoires pour servir à l'histoire du prince Eugène de Savoie, maréchal de camp général des armées de l'Empereur, etc., La Haye, E. Foulque,.
JeanDumont etRousset,Histoire militaire du prince Eugène de Savoie, du prince et duc de Marlborough, et du prince de Nassau-Frise, où l'on trouve un détail des principales actions de la dernière guerre et des batailles et sièges commandez par ces trois généraux…, La Haye, I. Van der Kloot, 1729-1747.