Unestuaire (du latinaestus, « marée », substantif du verbeaesto « je bouillonne ») est l'embouchure d'unfleuve important qui s'évase vers l'aval et dans laquelle pénètre profondément lamarée. Lorsque l'embouchure est dominée par les apports sédimentaires dans les mers àcourants côtiers etde marée importants sur une côte à faible relief, il se forme un estuaire. Des sédiments surtout fins, d'origine fluviale (argiles, limons et sables) et marine (sables et graviers), se déposent sur les berges par le processus d'accrétion ou dans la bassevallée par le processus decolmatage (ensablement,envasement). Ces processus contraignent lecours d'eau à emprunter deschenaux primaires et secondaires bordés par ces accumulations sédimentaires (vasières latérales etbancs sableux médians).
Cette forme littorale fluvio-marine se distingue de celle dues à l'ennoyage par la mer de vallées continentales sans apport sédimentaire important (rias,calanques etfjords). Zones d'accumulation sédimentaire privilégiée, elle se distingue aussi desdeltas qui se forment dans les mers à faibles marées ou lorsque la charge sédimentaire du fleuve est trop importante[1]
L'effet de lamer ou de l'océan est perceptible dans toute la zone estuarienne. Pour certains, il correspond à toute la portion du fleuve — semi-close — où l'eau est salée ousaumâtre ; pour d’autres, c'est la présence de l’effet dynamique de lamarée sur les eaux fluviales qui le définit ou encore un assemblage faunistique ou écologique typiquement « estuarien ». Il est dit microtidal, mésotidal ou macrotidal respectivement selon que son amplitude de marée est faible, moyenne ou forte[2]. Selon Pritchard (1967) par convention, on ne parle pas d'estuaires pour les fleuves qui se jettent dans desmers fermées qui n'ont pas de marée[3].
L’estuaire est unécotone mouvant dont les limites sont d’appréciation délicate. Elles s’apprécient généralement sur l'analyse du mouvement des masses d’eau douces et salées, sur la base du flot principal ou moyen de la marée.
Chaque estuaire est un système physique et écologique dynamique et unique, incluant deszones humides, desméandres sans cesse remodelés par les vents et courants, des charges dematières en suspension apportées par le fleuve, et selon la nature du contexte géologique et dubassin versant, le climat, les vents et les interventions humaines historiques et contemporaines. L’estuaire est aussi le lieu où la force du fleuve est ralentie. Certains polluants s’y sédimentent préférentiellement et peuvent s’y concentrer.
Pour des besoins commerciaux, militaires, maritimes, agricoles,halieutiques ou sécuritaires, depuis des temps millénaires ou séculaires, des ports, des chenaux, des canaux, des aménagements de stabilisations, de drainage et d’assèchement, des atterrissements ou des aménagementsconchylicoles oucynégétiques en ont modifié les volumes et les profils en travers et en long.
L’être humain a cherché à maîtriser les estuaires en fixant les berges et les chenaux, en y construisant de coûteuses digues, parfois immergées. Pour ce faire il a mobilisé les sciences naturalistes, comme les mathématiques (modélisation) et la physique (dynamique des fluides et des matériaux). Depuis quelques décennies, les sciences sociales et économiques sont également appelées par les aménageurs, notamment pour y résoudre les conflits d’usages (chasse, pêche, tourisme, promenade, loisirs, nautisme,plongée sous-marine,pêche à pied, activités portuaires, etc.).
C’est le seulécosystème où la modification altimétrique de la ligne d’eau biquotidienne varie dans le temps et dans l’espace, en même temps que lasalinité et laturbidité. On y trouve des espèces marines, des espèces d’eau douces et des espèces endémiques aux estuaires. Quand lapollution et lasurpêche ne la surexploitent pas, labiomasse produite y est exceptionnellement élevée, notamment enzone tempérée (en Europe notamment[4]). Les estuaires sont à l’origine de nombreuses chaînes alimentaires (mysidae[5]) etpoissons[6],[7] notamment). Ceci en fait une zone de reproduction et de nourrissage irremplaçable pour nombre d’espèces.
Tous travaux d’aménagement en aval ou amont peuvent avoir un impact différé dans l’espace et dans le temps, sur les flux, sur les courants, sur lesvasières, sur lasédimentation, sur le mouvement et l’importance ou la qualité du bouchon vaseux et parfois sur la sécurité des usagers.
Issu du latin classiqueaestuarium « endroit inondé par la mer à marée montante, lieu où le flux pénètre », mais aussi « lagune, étang maritime où l'on nourrissait du poisson », dérivé deaestus (« flux de la mer »), substantif du verbeaesto « je bouillonne ». Le mot est un emprunt savant comme en témoignent ses attestations tardives (XVe siècle, mais il ne figure dans les dictionnaires qu’auXVIIIe siècle) et le maintien du /s/ deEs-. De la même racine latine procèdeétier[8], sans doute par l'intermédiaire d'une forme gasconne ou du sud ouest du domaine d'oïl, d'où également le dérivé françaisétiage.
Les eaux des estuaires sont généralement turbides, caractérisées par un bouchon vaseux (estuaire de la Gironde, Sud-Ouest de la France).
L'envasement et la formation dubouchon vaseux résultent de la rencontre des eaux douces chargées de matière en suspension et de nutriments en solution, et des eaux marines salées. Les particules les plus fines (particules d'argiles et colloïdes organiques notamment)[9] qui sont chargées négativement s'agglomèrent en flocons (processus defloculation) sous l'action des cations de l'eau de mer qui neutralisent ces charges négatives[10].
Zone de turbidité maximale, le bouchon migre au rythme des marées. Sa taille et sa position évoluent selon les conditions hydrosédimentologiques propre à l'estuaire et selon des facteurs tels que température, ensoleillement, débits, cycles de marée, pollutions, et en fonction des pratiques humaines ou de l'évolution naturelle du bassin hydrographique, très en amont (fonte des neiges, pluies intenses, renaturation ou au contraire imperméabilisation, pratiques agricoles érosives et forestières (labours, désherbage, coupes rases…), pollutions, travaux decurage… qui exacerbent la teneur de l'eau en nutriments, matière organiques, matières en suspension, etc.).
Le bouchon vaseux constitue un (éco)système tout à fait particulier, souvent gravement perturbé par les activités humaines, en raison d'une quantité excessive d'eutrophisants, de matière organiques, depesticides et d'autres polluants adsorbés sur les particules en suspension ou solubilisés dans l'eau, pour partie protégés d'une décomposition rapide par la lumière ou l'oxygène natif produit par lephytoplancton.
Le bouchon vaseux a été peu étudié jusque dans les années 1980. Depuis, de nombreuses études ont montré qu'il était naturellement important pour la productivité biologique des estuaires, très élevée, mais qu'en raison de perturbations humaines notamment, il peut devenir une zone dégradée et contribuer auxzones mortes marines, et devenir une source très importante d'émission deCO2 et deCH4, deux gaz à effet de serre d'importance majeure.
Les estuaires regroupent généralement une mosaïque de milieux tels queroselières,marais salés,vasières,bancs coquilliers et éventuelsbancs de sable, degravier oucordon de galet...La qualité du cours d'eau et sa teneur naturelle en oxygène et nutriments va influencer l'aval de l'estuaire sur le plateau continental[11], parfois à des dizaines à centaines de kilomètres dans le cas des grands fleuves.Les milieux estuariens sont caractérisés par desmarnages importants, des courants parfois violents. Ils sont néanmoins riches enbiomasse (ex : jusqu’à 1 million de larves de coques par mètre carré enbaie de Somme) et une productivité globale estimée à au moins30 tonnes parhectare pour les petits estuaires en climat tempéré. Ils sont donc des sources importantes deservices écosystémiques[12] mais qui peuvent être dégradés par diverses pollutions qui y dégradent les ressources (Les polluants sont par exemple des pesticides, résidus d'antifoolings, métaux lourds ou nitrates par exemple).
La protection des estuaires implique une gestion quantitative et qualitative de l’eau à l’échelle des bassins versants entiers. Certaines activités y ont été interdites (exemple : le pétardage desarmes chimiques,non explosées ou stockées des deux premières guerres mondiales). Plusieurs dizaines de petits estuaires européens sont concernés par la proximité de dépôts anciens demunitions immergées susceptibles de les polluer par les nitrates, le mercure, le plomb, le cuivre, etc., si ce n’est pas des toxiques de guerre de type ypérite, chloropicrine.
Les milieux intertidaux sont desécotones particuliers, dontla slikke etle schorre sont les deux principales composantes dans les milieux tempérés ou continentaux, remplacées par lamangrove en zone tropicale.
Exemple caractéristique deslikke (vasière d'estuaire)
Laslikke est l’étage le plus bas : exposée à la mer, zone vaseuse immergée à chaque marée, apparemment pauvre, elle abrite une vie intense, essentiellement desmacroinvertébrés et micro-organismes. La basse-slikke, gorgée d’eau, accueille des plantesphanérogames rare (réduite auxzostères). La haute-slikke est, elle, couverte desalicornes et despartines (graminées dures résistantes au sel).
Leschorre n’est submergé qu’aux grandes marées et lors des tempêtes, mais il est exposé aux embruns. Il abrite desgraminées constituant lesprés salés et une végétation d’autant plus variée que l’eau douce est présente. Le bas-schorre est un milieu de transition accueillant encore des espèces de la haute slikke qui se mélangent à la glycérie maritime (Puccinellia maritima) et à l’aster maritime. Le moyen-schorre accueille l’obione faux-pourpier (sous-arbrisseau aux feuilles persistantes) évoluant vers le haut schorre enrichi destatice maritime (lavande de mer),plantain maritime, avec encore l’aster et la glycérie maritime.Coléoptères,diptères,collemboles complètent la faune descrustacés des bords de slikke, qui nourrissent de nombreux oiseaux (laridés (mouettes et goélands),limicoles, oiesbernaches, canards,hérons à marée basse et oiseaux plongeurs piscivores (grèbes) ou malacophages (eiders,macreuses) à marée haute.
Comme lesdeltas, les estuaires, par mélange (ou parfois par stratification partielle[13]) d'eaux dedensité,salinité ettempératures etturbidité différentes créent des conditions ethabitats uniques, exploités par certaines espèces tout ou partie de leur cycle de vie. Les estuaires sont par exemple des lieux deponte ou de grossissement uniques et vitaux pour certainspoissons (sole etplie). Certaines espèces végétales terrestres ou aquatique sont endémiques d'estuaires (ex. : L'Angélique des estuaires, dans l'Ouest de laFrance)[14]. Remarque : La plupart desamphibiens fuient les zones salées, sauf en Europe lepélodyte ponctué et lecrapaud calamite qui fréquentent volontiers les rivages estuariens, avec laRainette.
En Europe, le mot «estuaire» figure dans les cahiers d'habitats naturels définis en application de ladirective Habitats. Parmi les habitats côtiers (toujours au sens de la Directive), trois habitats sont dits estuariens. Un estuaire est défini comme la « partie aval d’unevallée fluviale soumise aux marées, à partir du début des eaux saumâtres. Les estuaires fluviaux sont des anses côtières où, contrairement aux « grandes criques et baies peu profondes ». L’interaction des eaux douces avec les eaux marines ainsi que la réduction du flux des eaux dans l’estuaire provoquent le dépôt de fins sédiments sous forme de larges étendues de « replats boueux » et sableux. Lorsque l’écoulement du fleuve est plus lent que le flot, les dépôts de sédiments forment undelta à l’embouchure de l’estuaire »[15]
En aval de zones polluées (ce qui est le cas de très nombreux estuaires), là où le courant ralentit et au gré de phénomènes de bioconcentration et de sédimentation, des "poches" de sédiments pollués peuvent apparaître, plus ou moins remobilisés lors destempêtes,curages etcrues saisonnières, voie lors d'actions de pêche auchalut. En France, le projet « CAROL » (Camargue-Rhône-Languedoc) a ainsi mis en évidence[16] des poches desédiments trèsradioactifs au droit de l’embouchure du Grand-Rhône, contaminés par ducésium 137, fixé sur des sédiments.
Comme le courant y ralentit et que l'effet des marées s'y fait sentir, certains polluants plus lourds ou s'adsorbant sur les sédiments peuvent s'y déposer et s'y accumuler puis êtreconcentrés par les organismes vivants. D'autres s'adsorberont sur les particules en suspension du « bouchon vaseux »
En France et dans quelques pays, il existe aussi une tradition dechasse aux oiseaux d'eau (parfois dits « sauvagine ») dans les estuaires. Cette chasse est responsable depuis au moins deux siècles au moins d'un apport considérable deplomb sous forme de billes deplomb de chasse (30 à 40 grammes par cartouche). En2018 l'Agence européenne des produits chimiques estime que 30 000 à 40 000 tonnes de plomb sont dispersées dans les écosystèmes par la chasse et le tir sportif. Une partie de ce plomb continue à contaminer les zones humides et in fine les estuaires où elles sont notamment source desaturnisme aviaire[20].
Outre leseutrophisants d'origine agricole ou urbaine (nitrates,phosphates) et une eau rendue plus turbide par l'agriculture (labour surtout), de nouveaux polluants sont apparus au milieu duXXe siècle ;pesticides,perturbateurs endocriniens chimiques,dioxines,métaux lourds essentiellement apportés par les fleuves, et tout particulièrement lors desinondations. Il est constaté que les estuaires se comportent comme un filtre naturel pour les métaux en solution ou en suspension dans l'eau, qui tendent à s'y accumuler (bloquant jusqu'à 25 % à 50 % de l’afflux de métaux fluviaux dans le cas de l'Escaut alors que les marais n'y représentent que moins de 8 % de la surface totale de l’estuaire), au détriment cependant de la qualité d'eau du bouchon vaseux et des sédiments. De plus ces métaux ne sont pas dégradables et avec lamontée des océans les estuaires actuels (ceux qui ne forment pas dedelta) pourraient se déplacer vers l'amont[21] et ils pourront dans les décennies ou siècles à venir se retrouver sur le plateau continental où ces métaux pourraient potentiellement alors à nouveau être remis en suspension.
Des épinoches élevées en cage (cagging) ont été utilisées pour l'analyse debiomarqueurs deperturbation hormonale dans quelques estuaires du Royaume-Uni[22]. Des inductions despiggin, marqueur d'une exposition à des androgéno-mimétiques ont été observées après 7 semaines de présence dans un estuaire contaminé par de tels leurres hormonaux.
Les fleuves et les estuaires européens macrotidaux sont (ou sont récemment devenus) une source très importante de gaz àeffet de serre comme le CO2 et le méthaneCH4 émis dans l'air[23],[24].
Ces émissions ont plusieurs origines :
respiration des organismes vivants non compensée par laphotosynthèse (quand celle-ci est inhibée par la pollution ou le manque de pénétration de la lumière dans le bouchon vaseux et/ou le panache estuarien (cf turbidité), surtout dans un contexte d'eutrophisation ;
respiration des organismes hétérotrophes (non photosynthétiques, décomposeurs en particulier) ;
minéralisation d'une partie desmatières organiques apportées par les fleuves ;
CO2 apporté par des eaux souterraines ou des fleuves (ou canaux) sursaturées en CO2 et appauvris en O2 (fréquent en automne, hiver, début du printemps pour les fleuves drainant des zones agricoles et/ou urbaines denses, surtout après les crues). Une partie est évacuée en mer, mais le reste de ce CO2 dégaze dans l'atmosphère quand l'eau est sursaturée en CO2 et/ou agitée par les turbulences induites par les interactions entre fleuve, courants de marée et vent. À la fin duXXe siècle, dans l'hémisphère nord les apports fluviaux aux estuaires étaient déjà devenus trois fois supérieur au CO2 estimé exporté dans l'eau vers lamer du Nord, ce qui indique une fuite nette de CO2 vers l'atmosphère à partir du CO2 dissous dans les eaux douces ou présent sous forme de matière organique dégradée dans les estuaires ou leur panache[25]. En Europe, environ 90 % du CO2 apporté à la mer par les fleuves est estimé exporté vers la mer du nord, mais certains estuaires et panaches[26] estuariens en relarguent une partie[26],[27]
On pensait autrefois en raison de leur riche productivité (> 30 T/ha/an) que les estuaires étaient despuits de carbone, mais quand l’estuaire esteutrophisé oudystrophe, des émissions de CO2 et deCH4 peuvent avoir lieu, en quantités très importantes à partir dessédiments et dubouchon vaseux, la nuit notamment, comme l'ont montré une série d'études ayant porté sur plus de 30 estuaires européens. Mais leprotocole de Kyoto n'a pas pris en compte ces émissions qui pourtant vers l'an 2000 pouvaient correspondre pour l'Europe à plus 8 % du total de ses émissions degaz à effet de serre, (voire plus en équivalent CO2).
Diverses études ont mesuré la pression partielle en CO2 (pCO2) dans les eaux de surface ainsi que les flux eau-atmosphère sur des estuaires en Amérique du Nord, Chine et Europe. Laqualité de l'eau (eutrophisation, polluants inhibiteurs de photosynthèse, taux de carbonates, température, salinité et turbulences qui modifient le coefficient (K)d’échange gazeux eau–air (cf.constante de Henry du CO2[28]) et donc la solubilité du CO2 dans l'eau) ainsi que la saison[29] influent fortement sur le fait qu'un estuaire soit un puits de carbone ou au contraire un émetteur. Pour l'Elbe, par exemple qui semble émettre en moyenne peu de CO2, la période critique semble être le printemps[30].
Une étude plus récente (1998) basée sur les émissions de CO2 (mais il faudrait y ajouter leméthane) de 9 estuaires européens, a conclu à des émissions gazeuses situées dans une fourchette de 0,1 à 0,5 mole de CO2 par mètre carré et par jour, soit un bilan net journalier de flux vers l'atmosphère de plusieurs centaines de tonnes de carbone/jour (« jusqu'à 790 tonnes/jour de carbone dans l'estuaire de l'Escaut »). Selon les extrapolations, la fourchette pour les estuaires européens donne pour le début des années 2000 une émission comprise entre 30 et 60 millions de tonnes de carbone par an dans l'atmosphère, soit selon le chiffre retenu, l'équivalent de 5 à 10 % de toutes les émissions anthropiques de CO2 de l'Europe occidentale[31], ce qui correspond à peu près à ce que les écosystèmes continentaux sont supposés pouvoir fixer en Europe (sachant que le stockage dans les forêts augmente en Europe, mais qu'il est stable ou en régression dans lesprairies et se dégrade dans les sols labourés victime d'une érosion qui se traduit par une turbidité croissante de nombreux cours d'eau depuis les années 1970 notamment)[32].
Diverses études montrent depuis lesannées 1950 une altération spectaculaire de la capacité des sols continentaux à conserver leur carbone, avec des taux decarbonates de plus en plus élevés dans les fleuves (Mississippi par exemple[33]) vers les estuaires et mers (HCO3– + CO32–) à partir des sols.
En2018, de nouvelles données éclairent ce qui se passe dans les estuaires tropicaux de l'hémisphère sud, montrant que les émissions de CO2 et deCH4 y sont encore très sous-représentées (dans l'inventaire mondial des émissions des estuaires ; par ex sous estimées de 15 % dans 3 estuaires étudiés par rapport aux modèles pour ces latitudes[34]).Les concentrations saisonnières de CO2 et deCH4 (sur le gradient de salinité de trois estuaires australiens à dominance de mangroves tropicales) ont été mesurées en combinant une étude isotopique du carbone, une mesure des apports par les eaux souterraines, la mesures des apports fluviaux et le temps de séjour en eau douce. Globalement, les émissions de CO2 et deCH4 allaient respectivement de 21,6 à 110,4 mmol m−2 d-1 et de 40,3 à 1047,1 μmol m−2 d−1, respectivement, (à l'intérieur ou à l'extrémité supérieure de la fourchette des données disponibles pour les estuaires en Australie et dans le monde)[34]. Les facteurs explicatifs varient selon la saison (ex : augmentation des émissions lors de la saison des pluies) et le contexte (apports terrigènes, souterrains, etc.). Ainsi dans l'estuaire de la rivière Johnstone les émissions très élevées étaient expliquées par le carbone des eaux souterraines et l'apport fluvial (alors que dans les estuaire des rivières Fitzroy et Constant Creek, la production de gaz in situ et les apports de carbone terrestre expliquaient le mieux les émissions de CO2 et deCH4[34]. Les auteurs en concluent que la part de la contribution du "CO2 fluvial" dans le CO2 mondial pourrait être plus importante que la part duCH4 des rivières par rapport aux émissions globales deCH4 des estuaires[34]. L'estimation globale révisée des émissions de CO2 de l'estuaire entre 0 et 23,5° de latitude sud, est de 52,1 ± 16,1 mmol m−2 d− 1 (soit 15 % de plus que l'estimation récente concernant ces latitudes)[34].
Les émissions degaz à effet de serre (GES) de certains fleuves alimentant des estuaires commencent à être étudiées, mais les données manquent encore pour lescanaux.
Les estuaires, qui sont à la croisée des milieux (eaux douces et salées, air et sols, fleuves et mers), sont concernés par de nombreuses politiques et réglementations : maritime et halieutique, portuaire, des transports, d’aménagement des territoires, du littoral, d’environnement, en particulier.
Selon les critères retenus (géomorphologiques, biologiques, paysagers ou de navigabilité…) et leur mise à jour, les limites des estuaires diffèrent. Ceci pose des problèmes juridiques complexes, par exemple pour la réglementation de la pêche ou la définition des zones concernées par laloi littoral ouNatura 2000.
Longitudinalement, l’estuaire peut s’étendre jusqu’à la zone d'influence desmarées (maxima ou marée moyenne). Transversalement, l’estuaire en tant qu’entité écologique et paysagère intègre les milieux adjacents, dont généralement deszones humides, et, selon les contextes, une part plus ou moins importante deslits majeurs etlits mineurs historiques et géologiques, voire l’ensemble dubassin versant quand il est petit.
Le plus souvent, les principales limites administratives sont des limites transversales, avec par exemple en France :
limite de salure des eaux (LSE), souvent utilisée pour réglementer la pêche et la chasse maritimes et en France (loi littoral de 1986) pour la délimitation des communes estuariennes et le champ d’intervention duConservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres. En France, le décret 75-293 réglemente l’exploitation de la chasse sur ledomaine public maritime et sur la partie des cours d'eau domaniaux située à l'aval de la limite de salure des eaux. C'est donc une limite réglementaire concernant la gestion des espèces vivantes ;
limite de l’inscription maritime : elle correspond (en France) au premier obstacle physique à la navigation maritime sur le fleuve. À son amont, la navigation estfluviale. Elle estmaritime en aval. Cette limite se confond pour certains fleuves avec la limite de leur embouchure (LTM). Elle cadre avec certaines réglementations de la navigation maritime et fluviale ou encore avec l’exercice et le statut de la pêche en estuaire ;
limites des masses d'eau : ces limites sont définies par laDirective cadre sur l'eau (DCE), qui définit une typologie des masses d’eaux « continentales », « côtières », « de transition », « fortement modifiées » et « artificielles ». L’état de ces masses d’eau devra être qualifié en France dans les Schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et, s’il leur état écologique n’est pas satisfaisant, des plans de reconquête devront être définis. Cette Directive peut imposer de nouvelles limites qui ne se superposent pas obligatoirement avec celles, administratives, de la mer, de la salure des eaux, du front de salinité.
Estuaire du Léguer, depuis le sentier côtier rive gauche
Remarque : Le front d’onde et de salinité se meut avec les marées et varie selon leurs coefficients et le débit du fleuve (c'est unécotone mouvant dans l'espace et dans le temps, ce qui lui confère des caractéristiques écologiques particulières). Lalimite de l’influence des marées n’a pas de valeur administrative et peut se trouver très en amont de la limite de l’inscription maritime. Elle a cependant une valeur pour l’aménageur, le riverain ou l’écologue.
Il existe également des limites « longitudinales » de la partie aquatique des estuaires ou de leurszones humides (utiles pour l’application des textes qui interdisent la chasse à lagrenaille de plomb (cf. source desaturnisme des oiseaux d'eau), uniquement dans ou vers les zones humides en France).
En amont de la limite transversale de la mer, ce sont les limites des cours d’eau domaniaux qui comptent, matérialisées en France « par la hauteur des eaux coulant à plein bords avant de déborder ».
Les fleuves ont souvent été utilisés comme frontières administratives. C’est pourquoi il est courant que des estuaires soient situés sur deux pays, régions, départements, cantons ou districts différents (c’est le cas des estuaires de laSeine et de laGironde en France qui sont sur plusieursdépartements et sur deuxrégions). Ceci rend leur gestion encore plus complexe, avec des réglementations parfois divergentes ou contradictoires sur les deux berges.
EnFrance, à la suite de conflits sur l'estuaire de la Seine (Natura 2000,Port 2000) un rapport a été demandé pour prévenir d’autres contentieux[35]. Des projets deparcs naturels marins incluant des estuaires sont en cours. Après un référentiel de gestion sur lesdragages, d'autres sont prévus pour mieux appliquer la directive cadre sur l’eau, le réseau Natura 2000 et le management environnemental des ports (voir aussiEcoport). Ce rapport recommande la mise en place de« comités d’estuaire » dans les grands estuaires, et decommission locale de l'eau dans les autres.
Un décret d’application devrait en 2006 réformer leSchéma de mise en valeur de la mer (SMVM), permettant de créer un volet SMVM dans les SCOT, pour une approche intégrée « terre/mer/fleuve » des documents de planification territoriale.
La série des « Estuaire picards » à la configuration géomorphologique particulière (avec du sud au nord, les estuaires de laSomme, de l'Authie, de laCanche, de laLiane (artificialisé), duWimereux et de laSlack.
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