Dans lelangage courant, l'adjectif « esthétique » se rapproche de « beau ». Comme nom, « esthétique » est une notion désignant l'ensemble des caractéristiques qui déterminent l'apparence d'une chose, souvent synonyme decosmétique, d'aspect physique et paradoxalement dedesign.
Le termeesthétique prend une signification différente selon les langues, n'ayant pas été adopté aux mêmes périodes, ni sous l'influence des mêmes œuvres philosophiques (celles deKant et deHegel notamment). En outre, ce domaine d'étude est également désigné par des termes synonymes ou proches[6]. L'esthétique est« la théorie, non de la beauté elle-même, mais du jugement prétendant évaluer avec justesse la beauté, comme la laideur[7]. » Dans la langue anglaise, le champ de l'esthétique était traditionnellement classé dans la catégorie de laCritic, à la suite deElements of Criticism (1762) du philosopheHenry Home, se définissant généralement comme « critique d'art » (critic of art). Depuis les années 1950, l'influence dominante de la philosophie analytique dans le monde anglo-saxon tend également à restreindre la portée deaesthetics à la seule philosophie de l'art (Voiresthétique analytique). Dans la langue française, ce champ d'étude était généralement défini, avant leXIXe siècle, comme « théorie des arts » ou « critique du goût ». Dans ses commentaires sur les Salons de la seconde moitié duXVIIIe siècle,Diderot utilise les termes de « manière » ou de « goût » dans sa critique d'art.Charles de Villers écrit en 1799 :« Diderot a voulu introduire dans l'Encyclopédie ce terme d'Esthétique, mais cela n'a pas pris. Nous n'avons sur les principes du goût que des ouvrages fragmentaires et une doctrine éclectique : ces principes ne sont pas rédigés dans un code certain et suivant une méthode vraiment scientifique, il est évident que nous n'avons point d'esthétique[8]. » Le motesthétique entre dans la langue française à la fin duXVIIIe siècle et dans leDictionnaire de l'Académie française en 1835 seulement. Sa première apparition dans un dictionnaire philosophique est due àCharles Magloire Bénard (le traducteur français deHegel) en 1845[9]. Le nom désigne « la science du beau » et la « philosophie des beaux-arts ».
Dans sa définition la plus large, l'esthétique a pour objet lesperceptions sensorielles, l'essence et la perception dubeau, les émotions et jugements liés aux perceptions, ainsi que l'art sous toutes ses formes (musique, peinture, gastronomie, etc.) et tous ses aspects (œuvre, créativité, etc.). Des aspects fondamentaux et parfois opposés peuvent être particulièrement remarqués. L'esthétique peut être unethéorie du beau, qui se veut science normative, aux côtés de lalogique (concept du vrai) et de lamorale (concept du bien). Elle est donc une théorie d'un certain type de jugements de valeur qui énonce les normes générales du beau. L'esthétique peut être également unemétaphysique de la vérité, qui s'efforce de dévoiler la source originelle de toute beauté sensible : par exemple, le reflet de l'intelligible dans la matière (Platon), la manifestation de l'idée (Hegel), de lavolonté (Schopenhauer), de l'être (Heidegger).
Le caractère de métaphysique du beau est progressivement remplacé par unephilosophie de l'art (Hegel), qui prend pour objet les œuvres faites par les hommes au lieu des constructionsa priori de ce qu'est le beau. Par suite, l'esthétique apparaît comme une réflexion sur les techniques ou sur les conditions sociales qui font tenir pour « artistique » un certain type d'action, qui réfléchit également sur la légitimité du concept de l'art.
Comprise dans son sens traditionnel (kantien) comme l'étude philosophique des perceptions, émotions, du beau et de l'art, l'esthétique recouvre un domaine de recherche aussi ancien que laphilosophie elle-même, mais la discipline est moderne, car les Grecs ne distinguaient pas dans la philosophie quelque chose qui ressemblât à une esthétique . C'est donc de façon rétrospective que l'on peut parler d'une esthétique antique comme science du beau ou science du sensible. L'histoire de l'esthétique se développe parallèlement à l'histoire durationalisme. Il faut dater « l'invention » de l'esthétique du milieu duXVIIIe siècle ; si l'on considère la philosophie de l'art, il faut attendre leXIXe siècle (Hegel)[10].
La philosophie de l'art commence, chezPlaton, par une condamnation des beaux-arts[12]. L'art n'est jamais, dans le cadre de lathéorie des Idées, qu'une copie du réel ; or, ce qui est perçu comme le réel par les sens n'est qu'une copie desIdées, c'est-à-dire des formes intelligibles uniquement accessibles à l'intellect . L'art est donc un« simulacre de simulacre »[13].
Socrate, par le truchement de Platon, défend la thèse de l'équivalence du beau, du bon et du bien, tous trois mêlés. L'art représentatif consiste principalement à représenter une personne belle de corps et d'esprit. Platon ne conçoit pas le beau comme quelque chose d'uniquement sensible, mais comme uneidée : la beauté a un caractère surnaturel, elle est quelque chose d'intelligible, qui s'adresse à la pensée. Elle appartient à une sphère qui est supérieure à celle des sens et de l'entendement[11].
Il différencie néanmoins deux techniques d'imitation : la « copie » (eikastikè) telle la peinture ou la poésie, et « l'illusion » (phantastikè) telles les œuvres architecturales monumentales. Si Platon est favorable au beau, il est réticent par rapport à l'art, en particulier à la poésie et à la peinture. Son œuvre passe néanmoins pour la première codification idéologique et politique de l'art.
Aristote n'a traité ni du beau ni de l'art en général. SaPoétique est un fragment sur l'art dramatique, ne comprenant que les règles de latragédie. Son point de vue est en outre plus expérimental que théorique. Il déduit des règles à partir des chefs-d'œuvre du théâtre grec[11]. Il développe néanmoins une théorie générale de l'imitation, qui peut s'appliquer à des arts divers : « L'épopée, la poésie tragique, la comédie, la poésie dithyrambique, le jeu de la flûte, le jeu de la cithare, sont toutes, de manière générale, des imitations » (ch. 1). Pour Aristote, les arts se différencient par les objets qu'ils imitent et par les moyens artistiques utilisés pour réaliser cette imitation. L'art imite la nature ou bien achève des choses que la nature est incapable de réaliser. La pensée d'Aristote devient ainsi une base pour les « théories de l'art » ultérieures (au sens moderne), par sa dialectique de la connaissance et par son évaluation du rôle de la nature et de l'apparence dans la beauté artistique. Il met en place les concepts de l'imitation (mimèsis introduite par Platon), de l'émotion, duplaisir du spectateur (katharsis), lesfigures de style ou encore le rôle de l'œuvre d'art. Ces théories seront aussi bien reprises, pour l'esthétique classique, parBoileau (XVIIe siècle) que dans le cas de l'esthétiquemarxiste.
Dans l'Antiquité tardive, la théorie du beau est particulièrement systématisée autour des concepts néoplatoniciens dePlotin (204-270). Dans lesÉnnéades, celui-ci reprend et dépasse les distinctions dePlaton. L'essence du Beau réside dans l'intelligible et plus précisément dans l'idée. Ensuite la beauté s'identifie à « l'Unité », dont dépendent tous les êtres. Le beau est ainsi de nature spirituelle (relié à l'âme) et sa contemplation est un guide pour approcher l'Intelligible. Semblablement, la beauté réside dans laforme de l'œuvre, et non dans sa matière. Ainsi pour Plotin, l'art véritable ne copie pas simplement la nature, mais cherche plutôt à s'élever. Plotin fonde ainsi l'esthétique d'œuvres symbolistes et peu réalistes, dont les exemples sont lesicônes byzantines ou les peintures et sculptures de l'art roman[14]. L'esthétiqueromaine reprend les concepts de la Grèce, telles les réflexions sur la relation entrenature et beauté, dans l'Art poétique deHorace, par exemple, ou dans les théories deSénèque sur le beau[14].
Boèce enseignant, manuscrit dela Consolation de la philosophie,1385.
L’esthétique duMoyen Âge reprend les principes du néoplatonisme en les rattachant au modèle théologique duchristianisme. On considère alors que dans la création artistique se distille une dignité créatrice, comparable à la création divine. L'art est un moyen de transcendance vers l'intelligible. Au symbolisme de Plotin est ajouté l'allégorisme, qui n'est plus considéré comme simplefigure de style (rhétorique), mais comme un moyen privilégié de correspondance avec les idées. Du fait de son caractère hautement symbolique, l'esthétique médiévale se prête difficilement au clivage moderne entreabstraction etfiguration. En effet, un même symbole peut être indifféremment représenté à l'aide d'une figure géométrique ou humaine. Par exemple, on trouve des représentations de laTrinité aussi bien sous forme de trois sphères, trois cercles, un triangle ou trois personnes humaines au visage identique[15]. À l'époqueromane, l'art sacré est l'objet d'une opposition entre partisans d'une esthétique du dépouillement en accord avec les idéaux contemplatifs (Saint Bernard et lesCisterciens, lesChartreux) et partisans d'une esthétique plus ornementale dontCluny est le fruit et dontSuger semble l'émule[16]. Suger n'est pas seulement le « créateur de l'art gothique »[17], il développe une esthétique de la lumière en rapport étroit avec la liturgie[18]. L'église est considérée comme une préfiguration de laJérusalem céleste, la cité promise aux élus. Aucun des éléments architecturaux, liturgiques, décoratifs ou iconographiques n'est gratuit. Tout est là pour manifester et célébrer la gloire divine dont la lumière est le meilleur symbole.
En musiqueHildegard von Bingen conçoit la musique comme une réminiscence du paradis. Là aussi, l'esthétique y est inséparable de la métaphysique et de la spiritualité. La musique est d'essence trinitaire, ses lois dérivent du Verbe ainsi que leurs propriétés mathématiques : intervalles, modes, rythmes, etc.[19]. D'une manière générale, les spéculations pythagoriciennes sur les nombres jouent un grand rôle non seulement pour mesurer les rythmes musicaux, mais aussi et surtout pour définir les proportions architecturales[20]. Philosophes :Pseudo-Denys l'Aréopagite,Augustin d'Hippone,Boèce,Thomas d’Aquin.
Au questionnement et à l'interrogation sur le statut des Images religieuses (lesicônes), païennes (lesidoles) et commerciales (les pièces de monnaie, les jarres) menés par leChristianisme lors de laquerelle des images oucrise iconoclaste desVIIe et VIIIe siècles, s'ajoutent en réponse à la question du Beau, le statut de l'icône. En outre, la question du beau est également approfondie par les grands esprits de l'orthodoxie, en établissant une distinction entre l'image et la peinture, entre l'image et la vérité qu'elle porte (qu'est ce qu'une image vraie ou fausse), ou entre l'image et le Logos (verbe, mot). Enfin, cette querelle catalysera également l'émergence de la notion d'empreinte, et permettra d'aiguiser les réflexions reposant sur la relation de l'image, des signes ou encore deshiéroglyphes à la présence.
Développée en particulier par des philosophes et des théologiens néoplatoniciens et aristotéliciens grecs :Jean Damascène etPseudo-Denys l'aréopagite, la théorie de l'image byzantine construit donc l'image comme un langage designes et decodes[21],[22].
L'Esthétique de la Renaissance est conforme à l'interprétation de l'époque qui relègue leMoyen Âge du côté des temps obscurs et se tourne vers l'antiquité gréco-romaine. Les historiens et humanistes louent le mouvement artistique qui, depuisGiotto a su ramener l'art à la ressemblance de la nature.Alberti attribue àBrunelleschi,Donatello etGhiberti la renaissance des arts plastiques etVasari divise en trois périodes les progrès qui mènent de l'imitation des anciens à l'imitation de la nature. Si l'antiquité n'a jamais été totalement oubliée, les humanistes tentent d'en retrouver l'authenticité : les traductions latines sont abandonnées au profit des textes grecs originaux, les premières fouilles archéologiques sont organisées, les premiers musées apparaissent.
La redécouverte dePlaton parGémiste Pléthon etMarsile Ficin n'est pas sans conséquence sur la conception des arts et de l'architecture. Dans leCompendium in Timaeum, Ficin élabore la norme du pythagorisme et du platonisme esthétiques : la participation du sensible au règne des formes pures se fait par l'intermédiaire des figures géométriques et des proportions. La réalité physique étant d'essence mathématique, le but de l'esthétique est de définir les lois mathématiques de la beauté (spéculations sur lenombre d'or,volumes pythagoriciens, triangle d'harmonie musicale, etc.)[23]. Alberti sera le maître d'œuvre de ce programme. Dans leDe re aedificatoria, il s'inspire duTimée pour établir les principes de la construction. Dans leDe pictura, il aborde les notions de perspective légitime qui fait de la peinture le prolongement de la réalité et de beauté picturale dans la juste composition par le dessin des contours (ligne de circonscription) qui conditionne l'ordre de la couleur et de la lumière (clair-obscur). Si dans sesCarnets,Léonard de Vinci conçoit lui aussi la peinture comme l'imitation de la nature, cette mimèsis passe par une analyse conceptuelle complexe des dix attributs de la vue suivie d'une synthèse picturale et plastique d'éléments aussi divers que l'étude des proportions et attitudes humaines, du mouvement et du repos, de la forme et de la position, de la matière et des couleurs, de la perspective linéaire ou atmosphérique, de la distribution de l'ombre et de la lumière dont les lois de l'optique et les mathématiques sont les instruments d'étude privilégiés[24]. Dans son traité d'architecture inspiré deVitruve,Serlio défend des idéaux de régularité et de symétrie qui préfigurent l'esthétique classique.
Toutefois, en appliquant les théories et la perspective d'Alberti ou les mathématiques de Manetti etPacioli pour créer un espace illusionniste rationnellement construit, les artistes de la renaissance ont conscience d'innover et de mettre au point des techniques artistiques qui n'existaient pas dans l'antiquité.
Le rôle de l'image est remis en question par des théologiens réformateurs qui lisent une contradiction entre le plaisir esthétique et l'ordre divin, le catholiqueJérôme Savonarole à Florence qui organise la destruction des miroirs et des peintures par lebûcher des vanités, le protestantLuther qui interdit les images dans les temples etJean Calvin qui y adjoint lachromoclastie, la destruction des couleurs. En réponse le rôle de l'image comme littérature et discours est affirmé par leConcile de Trente et l'église catholique.
L'esthétique classique, inspirée par leBanquet dePlaton et trouvant une de ses expressions les plus accomplies dansl'Art poétique deBoileau, ne concevait qu'une seule valeur esthétique, lebeau, et son négatif, lelaid. Le beau était conçu en termes d'harmonie, de symétrie, d'ordre et de mesure. L'esthétique empiriste ajoutera une seconde valeur esthétique positive, lesublime. Le sublime est une valeur caractérisée par la dysharmonie, la dissonance, la démesure, le désordre, la dissymétrie. Là où le beau produisait le sentiment de la sérénité dans l'âme, le sublime produit des sentiments telles la terreur et la passion violente (sans pour autant verser dans l'horreur). Le sublime trouvera son application artistique la plus absolue dans leromantisme, qui exaltera la passion et la démesure dans l'âme humaine (le génie artistique, l'amour passionné, le moi solitaire ou encore la révolution politique). Pour l'esthétique classique, le beau était un concept. On peut parler à ce propos d'« art intellectuel » ou d'« intellectualisme esthétique ». Par exemple, dans l'Antiquité, la musique était mise parmi les quatre sciences duquadrivium. Elle était une science de l'harmonie et de la mesure, ainsi quesaint Augustin la décrit dans sonTraité de la musique. PourDescartes, les questions qui préoccupent le cartésianisme sont étrangères au beau et à l'art; dans cette école, quelques esprits se sont contentés de reproduire les traditions de l'antiquité, en particulier les idées dePlaton et de saintAugustin (par exemple les traités sur le Beau deCrouzaz ou duPère André)[5].
Au contraire, l'esthétique empiriste conçoit le beau et le sublime comme des sentiments intérieurs. Ce sont des représentations que se fait l'âme lors de l'expérience esthétique. Le beau renvoie à un sentiment deplaisir et de calme, tandis que le sublime renvoie à un sentiment de plaisir mêlé de douleur, ou à une alternance contradictoire de sentiments. Le goût n'est plus alors une notion intellectuelle, mais concerne l'impression sensible et le sentiment, définis par les empiristes comme les idées de l'esprit les plus vraies et les plus vives. Le livreRecherche philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et du beau (1757) du philosophe irlandaisBurke (1729-1797) peut être considéré comme le manifeste empiriste de laphilosophie esthétique[25]. On peut y ajouter lesEssais esthétiques[26] deHume ainsi que les écrits deShaftsesbury etHutcheson. En France,Diderot et lesEncyclopédistes reprennent des idées similaires.Charles Batteux commenteAristote et réduit tous les arts au principe de l'imitation de la belle nature. L'AbbéJean-Baptiste Dubos etVoltaire contribuent à la caractérisation de l'esthétique en tant quecritique littéraire. En Allemagne, les disciples deWolff et deLeibniz fondent la nouvelle science de l'esthétique.Baumgarten est suivi parMendelssohn,Sulzer etEberhard.
Kant passe pour avoir donné à l'esthétique son autonomie comme domaine propre à l'art, mais en réalité l'autonomie concerne seulement le « sujet esthétique » et elle est en rapport avec la connaissance et la morale[27]. L'esthétique transcendantale dans laCritique de la raison pure (1781) désigne la science de l'intuition, des conceptsa priori de l'espace et du temps du point de vue de la connaissance. L'esthétique est la science du « sensible » par opposition à la logique, qui est la science de « l'intelligible ». Kant remarque que seuls les Allemands utilisent le termeesthétique au sens de critique dugoût dont il n'est pas question pour lui[28]. Dans laCritique de la faculté de juger (1790), Kant analyse la question du jugement dugoût en rapport aubeau et ausublime, mais également la question de latéléologie dans lanature. Il distingue la faculté de juger comme une faculté indépendante de l'entendement ou de la raison et intègre alors l'esthétique au sens de théorie du goût, du beau et de l'art dans le domaine de la philosophietranscendantale.
S'interrogeant sur la nature du sentiment esthétique, Kant observe que pour la perception de l'agréable, chaque personne reconnaît que ce sentiment n'a de valeur que pour sa propre personne, et qu'il n'est pas possible de contester le plaisir ressenti par l'autre : « quand je dis que le vin des Canaries est agréable, je souffre volontiers qu'on me reprenne et qu'on me rappelle que je dois dire seulement qu'il est agréableà moi. » Par cela, il en vient à penser que « chacun a son goût particulier ». Le cas de labeauté serait pourtant différent, puisque s'il juge une chose commebelle : « j'attribue aux autres la même satisfaction » et « je ne juge pas seulement pour moi, mais pour tout le monde, et je parle de la beauté comme si c'était une qualité des choses (…) ». Il démontre ainsi que lebeau n'est pas l'agréable. Le jugement du beau ne s'effectue pas d'après un goût personnel : « On ne peut donc pas dire ici que chacun a son goût particulier »[29].
Dans le système philosophique deHegel, l'esthétique est définie comme une philosophie de l'art, et le but de l'art est d'exprimer lavérité. Lebeau est l’Idée sous une forme sensible, c’est l’Absolu donné à l’intuition. L’art est une objectivation de laconscience par laquelle elle se manifeste à elle-même. Il constitue donc un moment important de sonhistoire. La réflexion sur l’art est liée à la fin de l’art, au sens où cette fin est un dépassement de l’élément sensible vers lapensée pure et libre. Ce dépassement s'effectue dans lareligion et laphilosophie. Pour Hegel la plus mauvaise des productions de l'homme sera toujours supérieure au plus beau des paysages, car l'œuvre d'art est le moyen privilégié par lequel l'esprit humain se réalise.
Pour Hegel, l'histoire de l’art se divise en trois, suivant la forme et le contenu de l’art :
art symbolique, oriental, sublime, où la forme excède le contenu ;
art classique, grec, beau, qui est l’équilibre de la forme et du contenu ;
art romantique, chrétien, vrai, où le contenu se retire de la forme.
Hegel développe également un système des beaux-arts, qui se divise en cinq arts principaux suivant l'espace (architecture, sculpture, peinture) et le temps (musique, poésie).
L'esthétique se développe également hors de l'institution philosophique dans le domaine de lacritique d'art. En 1856,Charles Baudelaire intituleBric-à-brac esthétique son étude consacrée aux Salons de 1845 et 1846. Il lui donnera son titre définitif deCuriosités esthétiques en 1868. Dans son article sur l'Exposition universelle de 1855, il critique les « professeurs d'esthétique », les « doctrinaires du beau » enfermés dans leur système et qui ne savent saisir lescorrespondances. Il théorise l'avènement de lamodernité dans son article capitalLe Peintre de la vie moderne (1863).
Arthur Schopenhauer (1788-1860) est directement influencé parKant, mais il renoue avec les pensées dePlaton et dePlotin. Pour Schopenhauer, l’art est une connaissance directe desIdées (au-delà de la raison), qui elles-mêmes renvoient à un aspect ultime : lavolonté. Il présente aussi l'archétype dugénie, capable de surmonter la subjectivité humaine et d’accéder à la connaissance ultime (et la révéler aux hommes). Il met en place une classification des arts, qui renvoie au platonisme (ou à la pensée médiévale). Il influence profondément les drames et les écrits théoriques deRichard Wagner.
Friedrich Nietzsche se donne ainsi comme objectif de renverser le platonisme. Si Platon posait que la vérité était intelligible (et donc suprasensible) et le réel comme une illusion et une erreur, Nietzsche soutient qu'il s'agit là d'une preuve du nihilisme et de l'hostilité que Platon avait envers la vie concrète, réelle[12].
Nietzsche s’oppose au pessimisme de Schopenhauer, avec une attitude esthétique, ledionysiaque, qu'il oppose à l'apollinien. Inversant la hiérarchie platonique, le sensible devient une réalité fondamentale : « l’art a plus de valeur que la vérité ». Critiquant le principe des valeurs objectives comme fruit de la décadence, Nietzsche place l'artiste en créateur de ses propres valeurs singulières, proposées aux autres hommes, pour stimuler leur « volonté de puissance », c'est-à-dire leur force de vie et de joie. « L’art est le grand stimulant ». Selon Nietzsche la fonction de l'art n'est pas de créer des œuvres d'art, mais « d'embellir la vie ». « L’essentiel, en art, est la célébration, bénédiction, la divinisation de l'existence ».
Heidegger définit l'esthétique comme« la science du comportement sensible et affectif de l'homme et ce qui le détermine[35]. » C’est après1933, dans les conférences sur « L’origine de l’œuvre d’art »[36], ses études de la poésie deHölderlin et la peinture deVan Gogh, queHeidegger aborde la question de l'art. Il déplace toute la questionontologique (« Qu'est-ce l'être ? ») sur les arts. Dans son approchephénoménologique, il désigne l’œuvre d’art comme une mise en œuvre d’un dévoilement (alètheia) de l’Être de l’étant. S'opposant ainsi au courantobjectiviste (qui établit lavérité par un rapport à l'idée deréalité), Heidegger définit l'art comme le moyen privilégié d’une « mise en œuvre de la vérité » par l'esprit :
« Ce n’est que par l’œuvre d’art, en tant que l’être qui est (das seiende Sein), que tout ce qui apparaît par ailleurs et se trouve déjà là est confirmé et accessible, élucidable et compréhensible,en tant qu’étant ou au contraire en tant que non-étant. C’est parce que l’art (Kunst), en un sens insigne, porte l’être à se tenir dans l’œuvre et à y apparaître en tant qu’étant, qu’il peut valoir comme le pouvoir-mettre-en-œuvre tout court, comme latechnè. »
Benjamin parmi ses sujets d’études disparates, élabore notamment le concept d’aura de l’œuvre d’art[38], qu’il étend ultérieurement à l’étude de la photographie et du cinéma, et à la reproductibilité technique des œuvres d'art. L'aura deviendra un concept important pour la critique de l'art contemporain (ready-made,Warhol). La contribution de Benjamin à l'esthétique du vingtième siècle permet de mieux comprendre l'originalité des œuvres d'art en contexte postindustriel et de maintenir ouvert le débat quant à leur légitimité et leur valeur artistique[39].
Entre les années 1960 et 1980, plusieurs philosophes français impulsent de nouvelles approches de l'esthétique. Leurs théories disparates ont une forte influence aux États-Unis sur la critique littéraire et artistique, où elles sont désignées comme « French Theory ». Ces auteurs, rattachés parfois à unephilosophie postmoderne oupost-structuraliste, poursuivent une critique dusujet, de la représentation et de la continuité historique, sous l'influence notamment de Freud, Nietzsche et Heidegger.
Apparue dans lesannées 1950, l’esthétique analytique est le courant de pensée dominant dans lemonde anglo-saxon. Issue de l'empirisme et dupragmatisme, cette esthétique se fonde sur une recherche par des instruments logico-philosophiques et des analyses du langage, dans le prolongement de laphilosophie analytique. Cette esthétique est constituée par un ensemble de théories homogènes, liées essentiellement à l'analyse des questions et définitions de l’art. Ces théories s'affirment indépendantes de l’esthétique « traditionnelle », tant par la restriction de ses objets (sont exclus : la question du beau, l’histoire de l'esthétique) que par la spécificitéanalytique de ses méthodes de recherche (se référant à la logique et nonspéculatives). L'approche métaphysique suit ce courant, notamment sur la« vérité des formes »[40].
« L’esthétique analytique prétend être une nouvelle version de l’esthétique, une façon de la concevoir qui la coupe de sa tradition, comme une langue inédite que l’on prétendrait substituer à la langue commune et dans laquelle elle serait difficilement traduisible[41]. »
Les premiers travaux importants d'esthétique font suite à la publication posthume desInvestigations philosophiques (1953) deWittgenstein, autour de la théorie desjeux de langage plus à même de permettre l'analyse de termes dulangage ordinaire : par exemple, le mot « art » ou la question « What is Art ? » (« Qu'est-ce que l'art ? », sansdéterminant grammatical). Cette recherche est en dialogue constant avec les œuvres d'avant-garde de l'art contemporain, notamment celles deDuchamp etWarhol. Les travaux analytiques abordent notamment : l'indéfinissabilité de l'art (Weitz, « le rôle de la théorie en esthétique », 1956 ;Mandelbaum) ; l'institutionnalisation de l'art (Dickie,Art and the Aesthetic. An Institutional Analysis, 1974) ; le « monde de l'art » (Dickie, Danto) ; l'identification de l'œuvre d'art (Danto,La transfiguration du banal, 1981) ; l'expérience esthétique, l'art commesymbole (Goodman,Langages de l'art, 1968).
Cette transition de « Ceci est beau » à « Ceci est de l'Art » grâce à Duchamp va questionner la définition du mot qu'il lui aura été donné au cours des siècles. Tout étant confronté aux goûts, rien n'échappe alors à l'Esthétique, car même quelque chose que l'on trouve « laid » reste avant tout sujet à un jugement. Donc finalement la définition du mot comme synonyme de beau, de joli peut être vue comme erronée (le terme « inesthétique » ne prendrait alors de sens que lorsque l'Homme ne sera plus là pour regarder les choses).
Les objets de l'esthétique sont abordés également par certaines nouvelles disciplines dessciences humaines et sociales, enrichissant ainsi la recherche de nouvelles approches théoriques et méthodologiques.
Ces nouvelles approches de l'art se confrontent par exemple à l’idée commune d’une œuvre, née d’une « libre » inspiration de l’artiste, ou d’une logique esthétiqueintrinsèque à l'art etindépendante du milieu social. De même sont révélés des mécanismes sociaux de réception des œuvres (distinction, codes…). Néanmoins, ces sciences sociales éludent l’étude des œuvres elles-mêmes, conférant peut-être un réductionnisme « social » à l'art ; c’est le motif d’approches nouvelles abordant non plus seulement l'environnement, mais la pratique, voir l’œuvre elle-même[43].
Lapsychologie de l'art vise à l'étude des états de conscience et phénomènesinconscients à l’œuvre dans lacréation artistique ou laréception de l’œuvre. L'analyse de la création artistique reprend l'idée d'une primauté de l'artiste lui-même dans l'interprétation de l'art ; idée développée depuis laRenaissance et leromantisme, et déjà reprises dans les approches biographiques de certains historiens de l’art duXIXe (Cf.Kunstwissenschaft). À partir de1905, avec l’ébauche parFreud de la théorie despulsions, l’art devient un objet depsychanalyse. Cette démarche ne vise pas à l'évaluation de lavaleur de l'œuvre, mais à l’explication des processus psychiques intrinsèques à son élaboration.
« Trouver le rapport entre les impressions de l’enfance et la destinée de l’artiste d’un côté et ses œuvres comme réactions à ces stimulations d’autre part, appartient à l’objet le plus attirant de l’examen analytique » — Freud[44]
Cette analyse se base notamment sur le concept desublimation ; la création artistique est considérée comme latransposition d’une pulsion (désir) : la tentative pour l’artiste de surmonter son insatisfaction par la création d'un objet socialement valorisé, susceptible de satisfaire son désir. De même, par cette approche, l’art est envisagé comme symptôme : il devient alors l'outil possible d’un diagnostic clinique ou d’une thérapie (art-thérapie).
À la suite des théories deFerdinand de Saussure et dustructuralisme se met lentement en place unesémiologie de l'art. Cette « science des signes » étudie non les motifs ou les significations des œuvres, mais les mécanismes designifiance (comment l'œuvre signifie) ; l'œuvre est ici considérée comme un espace designes etsymboles, dont l'articulation est à décrypter. Lelangage des œuvres (par exemple le langage pictural) n'est pas considéré comme un système identique auxlangues : en effet, ce « langage » n'est pas composé d'unités dépourvues designification (comme lesphonèmes linguistiques), ou par des signes de pure convention. Ce langage existe principalement par des rapports d'analogie. Si certains codes propres au langagede l'art peuvent être déterminés (rôle de la forme, l'orientation, l'échelle…), l'implication d'éléments proprement matériels (liés à l'objet : pigments, lumière…) ne permet néanmoins pas de réduireentièrement l'art à des systèmes de langage.
L'autre approche sémiologique analyse la médiation de l'art par la langue (parlé/écrit), notamment par l'étude du discourssur l'art (description, critique, etc.). Ce discours, considéré comme un « méta-langage » des œuvres serait ainsi susceptible d'éclairer les jeux de signification dans l'art. Cette approche a été diversement critiquée par des philosophes et historiens de l'art, en raison de sonlogocentrisme, biais qui réduirait les œuvres visuelles aux seuls textes (descriptifs et interprétatifs), au détriment de leur matérialité et de l'expérience esthétique (du spectateur)[45].
Temple bouddhique dans les montagnes, copie ancienne d'aprèsLi Cheng.
L'artchinois a une longue histoire d’évolution de styles et conceptions. Dans les temps anciens, des philosophes discutaient déjà de l'esthétique.Confucius (551-478 avant notre ère) a souligné le rôle des arts et des lettres (notamment la musique et la poésie) dans le développement des vertus et le renforcement duli (étiquette, rites), afin de se rapprocher de l’essence humaine. S’opposant à ces arguments,Mo Zi a toutefois fait valoir que musique et beaux-arts étaient coûteux et peu efficaces, bénéficiant aux plus riches, mais pas aux gens ordinaires.
Dans des écrits duIVe siècle avant notre ère, des artistes débattent des buts propres à l’art. Par exemple, trois ouvrages deGu Kaizhi à propos de théories de la peinture sont connus. Plusieurs ouvrages plus tardifs, rédigés par des artistes lettrés, traitent également de la création artistique. L’influence entre d’une part, la religion et la philosophie, et d’autre part l’art, était commune, mais pas omniprésente ; ainsi à chaque période de l’histoire chinoise, il est possible de trouver des arts qui ignorent largement la philosophie et la religion.
Autour de 300 avant notre ère,Lao Tseu formule des conceptionsmatérialistes et esthétiques en lien avec letaoïsme et les lois de lanature. Ces conceptions sont en évidente contradiction avec les intérêts de la minorité dirigeante. Le taoïsme influença aussi lefeng shui, ou observation des faits de la terre et du ciel, en vue d'une harmonie.
Le représentant le plus important de la transition à l'esthétique chinoise médiévale est le philosopheWang Chong, auIer siècle. Il adopte une substance purement matérielle, leqi, comme principe d’une évolution naturelle et comme caractéristique fondamentale de la perception humaine. Il considère ainsi le monde matériel comme source de toute beauté ou laideur ; lavérité artistique relève de la conformité avec les faits.
Cao Pi (187-226) a suivi ces considérations précédentes, toutefois il n’inclut pas seulement les critères de beauté, mais également lesformes artistiques.Xie He (479-502) concrétise ces idées dans lesSix Principes de la peinture : l'expression de l'essence des manifestations de la vie ; l'art de la peinture au pinceau ; l'utilisation descouleurs conformément à la nature du sujet ; lacomposition ; la concordance de la forme avec la chose réelle ; l'imitation des meilleurs exemples du passé.
Malgré la multiplicité des réflexions, l’évolution de l'esthétique chinoise dans la période qui a suivi a été fortement entravée par le faible développement des forces productives et la rigidité des relations sociales, dans les formes féodales ou ultérieures.
L'esthétique japonaise est l'approche des notions esthétiques voisines de labeauté ou du bongoût dans la culture japonaise traditionnelle et moderne. Bien que cette approche soit considérée dans la société occidentale essentiellement comme une étude philosophique, elle est considérée au Japon comme un élément indissociable de lavie quotidienne et spirituelle. Par ses aspects religieux, l'esthétique japonaise est fortement influencée par lebouddhisme. Elle est particulièrement développée dans le bouddhisme zen et lechanoyu. Lechanoyu comporte de nombreux aspects :construction,jardin et utilisation des végétaux, tissus,kimono, poterie, artisanat de bambou, calligraphie, fonderie, cuisine... L'esthétique est aussi évaluée à travers des idéaux, traditionnels tels que lewabi-sabi, lemono no aware, leiki, ou modernes tel lekawaii.
L'esthétique arabo-islamique, ou esthétique islamique, ne se rapporte pas exclusivement à la religion, mais à toute la pensée de la culture et du contexte islamique, et aux pratiques religieuses et profanes. Faute de textes, il n'est pas possible de connaitre les théories esthétiques de l'époque préislamique. Les philosophes islamiques n'ont pas rédigé d'œuvres se rapportant strictement à l'esthétique, mais dans leurs discussions à propos de Dieu, ils abordent différents débats dont les thèmes (arts, beauté, imagination...) sont étudiés aujourd'hui dans cette discipline.
Les idées sur labeauté sont inspirées dès leIXe siècle, par les doctrinesnéoplatoniciennes, notamment celles dePlotin, avec un texte arabe diffusé sous le nom deThéologie d'Aristote, qui influença les philosophesAl-Kindi (801-873),Al-Farabi (872-950) etAvicenne (980-1037). Ces philosophes reprennent notamment la distinction entre beauté sensible et beauté intelligible, et les liens avec la perception, l'amour et le plaisir. DansLa Cité vertueuse, Al-Farabi introduit l'idée de beauté intelligible dans les discussions sur lesnoms de Dieu. Il invoque la beauté et perfection de Dieu, pour justifier les rapports de transcendance entreperfection, beauté et plaisir. Les œuvres humaines sont ainsi intrinsèquement imparfaites (comparées à celles de Dieu) ; il s'établira au fil des siècles dans la société islamique des débats sur la pertinence de lareprésentation figurée dans l'art. Dans sonTraité sur l'Amour, Avicenne détaille plus encore les distinctions entre la beauté intelligible et sensible, et les formes de plaisir ou d'attirance, en considérant aussi des éléments psychologiques et spirituels. Avicenne affirme, par exemple, que le désir pour la beauté sensible peut être une noble chose, aussi longtemps que ses aspects purement animaux sont subordonnés, et que l'intelligible conserve la faculté d'influencer le sensible.
Une part importante des discussions philosophiques concerne lesarts, plus particulièrement larhétorique et lapoésie arabe oupersane[46]. Inspirée par les commentateurs grecs d'Aristote, cette approche des arts est moins esthétique, que linguistique et logique. Les philosophes s'interrogent sur l'efficacité du langage, ses mécanismes linguistiques, ses usages (religieux, politique), ses capacités cognitives (persuader, faire imaginer). L'existence de la rhétorique et de la poésie demeure aussi essentielle pour les philosophes, dans leurs explications des liens complémentaires entre religion et philosophie (Al-Farabi,Averroès 1126-1198).
Lamusique est l'objet de plusieurs interprétations suivant les écoles : si lesoulémas la considèrent avec une certaine méfiance, lessoufis lui accordent un rôle spirituel important.Al-Ghazâlî (1058-1111) consacre de nombreuses pages sur les effets de l'audition de la musique, de la poésie et de la prière sur l'âme, et les philosophes comme Avicenne développent des théories mathématiques sur les sons, en rapport avec lamusique des sphères.
Des réflexions esthétiques, produites dès le VIIIe siècle enInde, ont pour matière lethéâtre, qui réunit plusieurs arts (jeu dramatique,poésie,musique,danse).AuxXe et XIe siècles,Abhinavagupta, dans son commentaire l'Abhinavabhāratī, effectue une synthèse de l'esthétique. Laphilosophie de l'esthétique est un domaine profane.Au centre de l'esthétique hindoue, le concept de Rasa, en sanskrit « essence », « goût » ou « saveur » (littéralement « sève » ou « jus » ), est attribué àBharata et développé parAbhinavagupta, qui le qualifie d' « essence de la poésie ». Cette abstraction suggère que les sentiments humains (à chaque sentiment correspond un registre artistique) imprègnent les formes incarnées. Les rasa, que l'on retrouve enthéâtre et enpoésie, constituent les composantes de l'expérience esthétique[47]. Émerveillement et béatitude, supérieurs à toute joie quotidienne, représentent l'essence du rasa. Les causes et effets actualisent les dispositions d'esprit permanentes, qui résultent à la fois de l'expérience (y compris artistique) de la vie et des vies antérieures. La combinaison des éléments dramatiques (dans l’œuvre théâtrale) permet ainsi d'éveiller les sentiments, pour en faire des rasa (ces mêmes dispositions sont à l'origine des sentiments ordinaires dans une conception non-esthétique).
Ainsi, le matériau de l'art possède un pouvoir propre de révélation des rasa, qui mène à une expérience de jubilation. Abhinavagupta compare le théâtre aux rites, dans l'agencement des actions porteur d'un pouvoir. Cet art s'oppose à la vie quotidienne, à la satisfaction d'un besoin ou d'un intérêt où les limites de temps, espace et causalité asservissent la conscience. Le temps de la délectation esthétique est le présent, qui correspond à l'éternité. Il ne s'agit pas de représenter (forme de réitération du passé), mais de jubiler.
Le terme de pratibh signifie à la fois inspiration et sensibilité. Il correspond aux perceptions ineffables. La béatitude est l'essence de la conscience à laquelle accède l'artiste (yogin). L'esthétique hindoue prend ainsi une dimension métaphysique[48].
Schelling,Lettres philosophiques sur le dogmatisme et lecriticisme (1797),Philosophie de l'art (1802-1803) etPhilosophie de lamythologie (1842, 1847-1852)
Kierkegaard,Ou bien… ou bien... (1843),La Crise et une crise dans la vie d'une actrice (1848) etPoint de vue explicatif sur mon œuvre d'écrivain (1851)
Charles Magloire Bénard, article « Esthétique »,Dictionnaire des sciences philosophiques (1845)
Jacob Burckhardt,La civilisation de la Renaissance en Italie (1860)
Eugène Véron,L'Esthétique : origine des arts, le goût et le génie, définition de l'art et de l'esthétique..., collection « Bibliothèque des sciences contemporaines », Paris, C. Reinwald et Cie, 1878 ; réédition chez Costes en 1921, puis chez Vrin en 2007 —lire sur Gallica.
↑Sur l'étymologie et la portée sémantique deesthétique voir notamment :Marc Jimenez, « esthétique », dansBarbara Cassin,Vocabulaire européen des philosophies : dictionnaire des intraduisibles, Seuil, Dictionnaires le Robert, 2004(ISBN2-02-030730-8).
↑Alexander Gottlieb Baumgarten,Meditationes philosophicae de nonnullis ad poema pertinentibus (Méditations philosophiques sur quelques aspects de l'essence du poème), Halae Magdeburgicae, 1735.
↑Vers 1780,Kant signale ainsi que « les Allemands sont les seuls à se servir du mot « esthétique » pour désigner ce que d'autres appellent la critique du goût. » (Critique de la raison pure) etHegel mentionne également : « À nous autres Allemands ce terme est familier; les autres peuples l'ignorent » (Esthétique)
↑Michel Blay,Dictionnaire des concepts philosophiques, Larousse, CNRS éditions, 2006,(ISBN2-03-582657-8),pp. 50-53.
↑La théorie des trois lits : L'idée du lit (monde intelligible), la copie du lit par le menuisier (réalité sensible), et la version dégradée du lit peint par l'artiste (copie de copie).
↑a etbAtelier d'esthétique (collectif),Esthétique et philosophie de l'art : Repères historiques et thématique, Bruxelles, De Boeck, 2002
↑Une source capitale de l'esthétique au Moyen Âge est leDe musica deSaint Augustin qui définit la musique comme la science de la mesure. V.Science du nombre inInitiation à la symbolique romane,p. 243-245.
↑inAndré Grabar,L'iconoclasme Byzantin, Champs Flammarion, Paris 1998.
↑Gilbert Dagron,Décrire et peindre, Essai sur le portrait iconique, Gallimard, Paris, 2007.
↑V.Les carnets de Léonard de Vinci, ch. 3 (anatomie), 7 (proportions de l'homme), 9 (optique), 16 (atmosphère), 20 (mathématiques), 29 (préceptes du peintre), 30 (couleur), 31 (paysage), 32 (ombre et lumière), 33 (perspective), 36 (sculpture) et 38 (architecture), Gallimard, 1942. V. aussi l'Introduction à la méthode de Léonard de Vinci, 1895, dePaul Valéry.
↑VoirHistoire de l'histoire de l'art, sous la dir. d'Éd. Pommier, Paris, Musée du Louvre, Klincksieck, 1995-1997 (Conférences et colloques du Louvre), T. I(ISBN2-252-00319-7) et T. II(ISBN2-252-03142-5) (en part. J. Rüsen,Esthétisation de l'histoire et historisation de l'art auXIXe siècle, T. II,p. 177-194).
↑Catégorisation plus ou moins arbitraire d'après : Atelier d'esthétique (collectif),Esthétique et philosophie de l'art : Repères historiques et thématique, Bruxelles, De Boeck, 2002, pour laquelle l'esthétique analytique est considérée comme une des multiples écoles contemporaines.
↑Cité par Daniel Charles, art. "Esthétique",Encyclopedia Universalis, tome 9,p. 81
↑Faisant suite à ses cours de 1936. Texte intégré dans le recueilChemins qui ne mènent nulle part
↑Théâtre des philosophes, Ch. IV, trad. Taminiaux.
↑Cf.Bruno Péquignot,Pour une sociologie esthétique, 1993 ;Nathalie Heinich,Ce que l'art fait à la sociologie, 1998 ;Hubert Damisch, « Sociologie de l'art », dansEncyclopedia Universalis
↑Freud, « Das Interesse an der Psychoanalyse » dansGesammelte Werke, cité dansL’enfance de l’art, trad. Kofman, 1970, t.8,p. 417