Né sous le nom de Éric Alfred Leslie Satie, Erik Satie est le fils de Jane Leslie Anton, d'origineécossaise, et de Jules Alfred Satie, courtier maritime normand, élevé dans lareligion anglicane. Il passe sa jeunesse entre laNormandie etParis[3]. En 1870, la famille Satie quitteHonfleur pour Paris où le père a été embauché comme traducteur. Après la mort de leur mère en 1872, Erik et son frère Conrad retournent à Honfleur chez leurs grands-parents paternels, avec qui ils deviennent pratiquants ducatholicisme, tandis que leur sœur reste avec leur père à Paris[3]. À la mort de leur grand-mère paternelle en 1878, ils reviennent vivre chez leur père à Paris[3]. Ce dernier s'est remarié avec une femme de dix ans son aînée, Eugénie Barnetche[3], professeure de piano, qui enseigne à Erik les bases de l'instrument : « L’enfant prend aussitôt en haine et la musique et le conservatoire[3]. »
En 1879, il entre pourtant auconservatoire de musique de Paris[3]. Considéré comme dépourvu de talent, il est renvoyé après deux ans et demi de cours avant d'être réadmis, à la fin de 1885. C'est durant cette période qu'il compose sa première pièce pour piano connue,Allegro (1884). Faute de faire meilleure impression auprès de ses professeurs, il s'engage dans un régiment d'infanterie.
Après quelques semaines, constatant que l'armée ne lui convient pas, il se fait réformer après avoir exposé sa poitrine au froid de la nuit hivernale au point d'attraper unecongestion pulmonaire.
En 1887, il s'installe àMontmartre et compose ses quatreOgives pour piano, dont les partitions ne font apparaître aucune barre de mesure, caractéristique de nombreuses autres compositions. Il développe aussi très vite son style d'annotations de la manière d'interpréter ses œuvres.
À cette époque commence une longue amitié avec plusieurs poètes, commeStéphane Mallarmé,Paul Verlaine ou le poète romantique espagnolContamine de Latour, avec qui il collaborera par la suite sur le balletUspud. Il fait éditer ses premières compositions par son père. En 1888, il compose ses troisGymnopédies pour piano.
En 1890, il déménage au 6,rue Cortot, toujours à Montmartre, et fréquente le cabaretLe Chat noir où il fait la connaissance deClaude Debussy. En 1891, Satie s'intéresse à l'Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal fondé par le « Sar »Joséphin Peladan. En qualité informelle de maître de chapelle de cet ordre, il compose plusieurs œuvres dont lesSonneries de la Rose-Croix etLe Fils des Étoiles. Dans un élan mystique, il crée son église : « l’Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur » et lance des anathèmes contre les « malfaiteurs spéculant sur la corruption humaine ». Il en est à la fois le trésorier, le grand-prêtre, mais surtout le seul fidèle. Contraint par cette réalité, il l'abandonne. Peu avant sa mort, il s'affirme catholique selonJacques Maritain et communie des mains du PèreJean-Édouard Lamy[4], ami deCocteau.
Le, Satie se lie à l'artiste peintreSuzanne Valadon. Bien qu'il l'ait demandée en mariage en vain après leur première nuit, Valadon s'installe rue Cortot dans une chambre près de la sienne. Dans sa passion pour sa « Biqui », il rédige des notes enflammées sur « tout son être, ses beaux yeux, ses mains douces et ses pieds minuscules » et compose à son intention desDanses gothiques tandis qu'elle réalise sonPortrait d'Erik Satie. Cinq mois plus tard, le 20 juin, leur rupture brise Satie « avec une solitude glaciale remplissant la tête de vide et le cœur de tristesse ». Aucune autre relation sentimentale sérieuse et avouée ne lui est connue. Comme pour se punir lui-même, il composeVexations, un thème construit à partir d'une mélodie courte, à propos de laquelle il note :
« Pour se jouer840 fois de suite ce motif, il sera bon de se préparer au préalable, et dans le plus grand silence, par des immobilités sérieuses. »
Plus tardJohn Cage etThomas Bloch joueront la pièce dans son intégralité, soit840 fois, durant presque20 heures.
La même année, il fait la connaissance deMaurice Ravel, à propos duquel il écrira plus tard :« Ravel vient de refuser laLégion d'honneur, mais toute sa musique l'accepte. »
En 1895, il hérite d’une somme d'argent qui lui permet de faire imprimer ses partitions et de changer de style de vêtements. Il achète le même costume en sept exemplaires, de velours moutarde, gagnant à Paris le surnom de « Velvet Gentleman ».En 1896, tous ses moyens financiers ont fondu, il s'installe dans un logement moins coûteux, d'abord dans une chambre minuscule rue Cortot, puis en 1898, àArcueil au 22 (aujourd'hui 34), rue Cauchy dans la « Maison des Quatre Cheminées » (ainsi dénommée en référence à une boutique qui se trouvait au rez-de-chaussée) à 3 km au sud de Paris.
Cette chambre, sans eau ni éclairage, avait été, juste avant lui, occupée par un personnage étonnant d'Arcueil, le fantasque Bibi-la-Purée,André-Joseph Salis de son vrai nom, personnage excentrique de Montmartre et du Quartier Latin qui connaissait tous les artistes de son époque. Il est d'ailleurs fort probable que Satie l'ait connu à Montmartre avant qu'il ne lui reprenne son bail d'Arcueil[5].
Le, il est témoin du mariage deClaude Debussy avec Marie Rosalie Texier.
Il reprend contact avec son frère Conrad et abandonne des idées religieuses auxquelles il ne s'intéressera plus avant les derniers mois de sa vie. Il surprend ses amis en s'inscrivant, en, à laSchola Cantorum deVincent d'Indy pour y étudier lecontrepoint classique avecAlbert Roussel :
« En 1905, je me suis mis à travailler avec d'Indy. J'étais las de me voir reprocher une ignorance que je croyais avoir, puisque les personnes compétentes la signalaient dans mes œuvres. Trois ans après un rude labeur, j'obtins à laSchola Cantorum mon diplôme de contrepoint, paraphé de la main de mon excellent maître, lequel est bien le plus savant et le meilleur homme de ce monde[6]. »
Devenusocialiste, il est employé au patronage laïc de la communauté d'Arcueil, il prend l'apparence du « fonctionnaire bourgeois » avec chapeau melon et parapluie. Au lendemain de l'assassinat deJaurès, il exprime son indignation en s'inscrivant à laSFIO. Les avis diffèrent sur la réalité de son militantisme.
En 1915, grâce àValentine Gross, il fait la connaissance deJean Cocteau avec qui il commence à travailler à partir de 1916, notamment au balletParade. Leur collaboration est fructueuse malgré quelques incompatibilités de caractère comme en témoigne leur correspondance[7].
Jean Poueigh, son ennemi numéro un, écrit comme critique musical à l'Ère nouvelle en mai 1917. Il s'oppose virulemment à Satie qui lui envoie en retour, quelques cartes postales incendiaires, dont la plus célèbre fait mention de : « Monsieur et cher ami, vous n'êtes qu'un cul, pire, un cul sans musique ». Ceci ayant été envoyé sur une carte postale sans enveloppe, donc susceptible d'avoir étélu par la concierge, Satie échappe de peu à une condamnation à une année de prison pour diffamation.
En 1919, il est en contact avecTristan Tzara qui lui fait connaître d'autresdadaïstes commeFrancis Picabia,André Derain,Marcel Duchamp,Man Ray avec lequel il fabrique son premierready-made dès leur première rencontre. Au commencement de l'année 1922, Satie prend le parti de Tzara dans le différend entre Tzara etAndré Breton au sujet de la nature vraie de l'art d'avant-garde, tout en parvenant à maintenir des relations amicales dans les deux camps.Henri-Pierre Roché aurait dû lui organiser une tournée américaine : le projet avorte.
Satie tombe malade au début de 1925. Le comteÉtienne de Beaumont le fait hospitaliser dans la chambre qui lui est réservée à l'année à l'hôpital Saint-Joseph. L'écrivain surréalistePierre de Massot lui rend visite et lui présente le philosopheJacques Maritain, auquel il déclare[9], en regardant le crucifix, qu'il n'espère « qu'en celui-là », et qu'au surplus il changera de vie après sa guérison, mais « pas tout de suite, pour ne pas scandaliser mes amis ».
Le, après plusieurs années de consommation excessive d'alcool (surtout d'absinthe), Erik Satie meurt à59 ans sur son lit d'hôpital[10] d'unecirrhose[11] que l'on dit soigneusement cultivée[12]. Il est enterré aucimetière d'Arcueil, la dernière ville où il ait eu un domicile ; il y vécut de 1898 à 1925. Parmi les rares personnalités artistiques suivant le convoi mortuaire figurait le peintreJean Pierné (1891-1974), fils du compositeur et chef d'orchestreGabriel Pierné (1863-1937).
L'anecdote la plus connue concernant Satie est probablement celle relative à ce que ses amis trouvèrent lorsque, à sa mort, ils pénétrèrent dans son studio d'Arcueil[13], auquel Satie refusait l'accès à quiconque. Ils y trouvèrent deux pianos complètement désaccordés et attachés ensemble, remplis de correspondances non ouvertes (auxquelles il avait toutefois en partie répondu) et derrière lesquels ont été retrouvées des partitions jusqu'alors inédites, comme celle de l'opéraGeneviève de Brabant qu'il pensait avoir perdue. Dans un placard, une collection de parapluies et de faux cols. Et dans l'armoire, des costumes de velours gris identiques au sempiternel costume que Satie portait toujours : il les avait fait faire d'avance et en prenait un nouveau lorsque le précédent commençait à être trop usé.
L'état du studio révélait la pauvreté dans laquelle avait vécu Satie : ne pouvant vivre de ses talents de musicien, il ne se plaignait pas ou très peu. Quant à demander une aide financière à ses proches, c'était chose encore plus rare et plus difficile pour lui. Il n'allait pratiquement jamais demander de l'aide à ses amis, lui qui était pourtant très entouré.
Quelques rares proches se doutaient de sa situation. Ce n'est qu'à sa mort, en découvrant l'appartement, qu'ils prirent conscience de la misère dans laquelle il vivait, et qu'il surnommait « la petite fille aux grands yeux verts ».
« Avec son pince-nez toujours un peu de travers, sa barbe en pointe et son long nez, ses yeux en coulisse et son sourire moqueur, il avait un air de faune qu'il ne perdit jamais, même quand, sur ses vieux jours, il se fit ermite : cet ironique devint alors l'innocence même. Mais n'y a-t-il point une innocente ironie ? L'homme le plus versatile du monde. » (Paul Landormy, 1943[14].)
« Erik Satie vécut emmitouflé dans son ironie. », déclare l'historien musicologueRoland de Candé, dans sonNouveau Dictionnaire de la musique. En effet, Satie est souvent qualifié d'ironique, ce qui fait considérer la relation complexe qui existait entre Satie lui-même et l'humour. « Erik Satie est attachant par sa personnalité originale. Son humour si particulier voire ironique est l'un des traits de son caractère, son talent naturel lui a permis de fréquenter de nombreux artistes importants de son époque commeDebussy,Stravinsky, Brancusi, Picasso et bien d'autres. Satie intrigue, Satie fascine[15]. »
Jeune, il semble se prendre au sérieux.« Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux ». Il utilise souvent l'humour par pudeur et timidité. Ce genre de procédé se trouve de façon évidente dans sesMémoires d’un amnésique (50 pages blanches), qui n'auraient sûrement trouvé aucun éditeur si elles n'avaient été écrites par Satie lui-même (en effet, Satie se moque de ses propres œuvres).
Erik Satie a été forcé, une bonne partie de sa vie, pour vivre d'être artiste de cabaret, de produire des mélodies frivoles, de« rudes saloperies » selon ses dires, souvent sur des textes humoristiques. Quoique plus tard il ait dénoncé toute cette production comme contre sa nature, ces mélodies ont été parfois les mieux connues (par exemple,Je te veux,Tendrement,Allons-y Chochotte, etc.). Il a notamment arrangé et composé, entre 1898 et 1908, la musique pour une trentaine des œuvres du chansonnierVincent Hyspa. Ces chansons caricaturant l’actualité politique ont permis à Satie d’explorer l’usage de citations à des fins humoristiques qui caractérise son œuvre[16].
L'humour d'Erik Satie apparaît clairement dans les annotations écrites sur ses partitions : par exemple, on trouve « Vivache » comme variante de « Vivace » dans laSonatine bureaucratique (qui est une parodie deClementi). De même, il compose un pastiche de laMarche funèbre deFrédéric Chopin (deuxième pièce desEmbryons desséchés), où il écrit« citation de la célèbreMazurka de Schubert » (Franz Schubert n'a écrit aucunemazurka notoire alors que c'est un des genres favoris de Chopin). On trouve dans sa production musicale de semblables piques à propos deCamille Saint-Saëns,Debussy, etc. Il maniait probablement l'humour sans malice.
Il est condamné à huit jours de prison pour avoir rétorqué au critique musicalJean Poueigh qui a peu apprécié son ballet réalisteParade :« Monsieur et cher ami, vous n'êtes qu'un cul, mais un cul sans musique »[17]. Cette condamnation, suspendue par un accord à l'amiable grâce à l'entregent de diverses personnalités, consolida sa réputation[18].
Erik Satie a aussi écrit, à la fin de sa vie, des œuvres plus sérieuses commeSocrate, sur un texte dePlaton traduit parVictor Cousin, ou comme ses sixNocturnes pour piano.
En 2016, à l'occasion du150e anniversaire de sa naissance, la municipalité d'Arcueil souhaite organiser des festivités. Lors du conseil municipal du 31 mars 2016, délibérant du budget à y allouer, un conseiller municipal d'opposition, Denis Truffaut (FN), déclenche une polémique, refusant que l'argent public soit utilisé pour les commémorations et qualifiant le compositeur de « médiocre », d'« illuminé », de« membre duparti communiste alcoolique[19] ».
En 2025, pour le centenaire de sa mort, un disque regroupant 27 composition inédites est enregistré par le pianisteAlexandre Tharaud (parfois accompagné) et publié chez Erato. Les partitions ont été retrouvées et déchiffrées par James Nye (musicologue et compositeur anglais) et Sato Matsui (compositeur et violoniste japonais)[22].
On peut visiter sa maison d'enfance àHonfleur, transformée en musée. C'était aussi le cas du petitMusée-Placard d'Erik Satie au 6,rue Cortot, à Paris, jusqu'à sa fermeture au public en 2008.
Une plaque à son nom est visible sur sa maison àMontmartre, à Honfleur, ainsi qu'àArcueil.
Portrait d'Erik Satie réalisé par C215 le 21 juin 2016 ; commande de la ville d'Arcueil -150e anniversaire.
En 2005,Arthur H etFeist rendent hommage au compositeur dans un morceau titréLa Chanson de Satie et qui reprend la mélodie de laGnossienneno 1.
L'artisteC215 a réalisé le le portrait de Satie sur une porte du cimetière dans lequel il repose[25].
La bande dessinéeCinq Nouvelles en forme de poire de Bastien Loukia, parue en 2016 aux éditions BVR à l'occasion des150 ans d'Erik Satie, retrace la vie du compositeur, racontée par ceux qui l'ont côtoyé (Jean Cocteau,Alphonse Allais (originaire comme lui de Honfleur), Conrad Satie…)
Le romanLes Parapluies d'Erik Satie de Stéphanie Kalfon, paru en 2017 auxéditions Joëlle Losfeld, rend hommage au compositeur et cherche également à témoigner de sa vie sous forme romancée.
Le musicien français de musique électroniqueThylacine a composé deux morceaux intitulésSatie I (avec un clip en noir et blanc)[26] etSatie II dans son albumTimeless sorti en 2020.
2017-2019 :Nicolas Horvath, CD Naxos – Grand Piano Records (Complete Piano Works, New Salabert Edition : vol.1, vol.2, vol.3, vol.4)(OCLC1000300962 et1018313315)
↑Meunier, Jordan, « 1899. Satie et la chanson de cabaret à Montmartre »,Nouvelle histoire de la musique en France (1870-1950), sous la direction de l'équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : discours et idéologies »,(lire en ligne)
Delphine Bertozzi etMarcelino Truong,Erik Satie, musique pour un cœur simple, éd. À dos d'âne, coll. « Des graines et des guides », 2014 (pour les 8-12 ans et +)
Carl Norac,Monsieur Satie, l'homme qui avait un petit piano dans la tête : fantaisie pour comédien et pianiste, illustrations d'Élodie Nouhen ; Érik Satie, comp. ; récitantFrançois Morel, Didier jeunesse, 2006 - livre-disque