Par lecapitulaireAdmonitio generalis, Charlemagne décrète la création d'écoles dans chaque évêché et le baptême des enfants avant l'âge d'un an. Mise en place demissi dominici (un comte et un évêque) chargés de recueillir leserment de fidélité au roi et d'inspecter les 300 comtés de l'Empire.
Louis V, dernier roi franc carolingien, meurt sans descendance. Élection d'Hugues Capet avec l'appui de l'Église et desOttoniens. Fondation de la troisième race des rois de France : ladynastie capétienne. Instauration du principe deprimogéniture masculine pour la succession au trône.
Cet Empire franc est partagé entre les petits-fils de Charlemagne, à la suite de la mort de son fils, le roi Louis Ier, dit le Débonnaire, ouLouis le Pieux, et donne naissance à l'ouest à laFrancie occidentale, à l'est à laFrancie orientale, et à laFrancie médiane au centre et au sud. Objet d'un siècle de luttes entre les Francies occidentale et orientale, la Francie médiane finit démembrée, sa moitié nord, laLotharingie, se rattachant à la Francie orientale, qui deviendra au prochain changement dynastique leSaint-Empire romain germanique, et sa moitié sud ressuscitant leroyaume d'Italie.
AuVIIe siècle, lesroyaumes barbares connaissent une période de crise et se morcellent. L'expansion musulmane[9] a longtemps été évoquée comme cause de cette crise[10] mais on connaît mieux désormais le rôle de l'Italie byzantine comme courroie de transmission ininterrompueentre l'Orient et l'Occident[11]. N'étant plus assurée par l'État romain disparu, la sécurité est désormais prise en charge par l'aristocratie germanique[12]. Les puissants accueillent des hommes libres, les éduquent, les protègent et les nourrissent. L'entrée dans ces groupes se fait par la cérémonie de la recommandation : ces hommes deviennent des guerriers domestiques (vassus) attachés à la personne dusenior[13]. Le seigneur doit entretenir cette clientèle par des dons pour entretenir sa fidélité[12],[14]. La monnaie d'or devenant rare, la richesse provient surtout de la guerre : butin ou terres conquises à redistribuer. En l'absence d'expansion territoriale, les liensvassaliques se distendent, donc pour se pérenniser une puissance doit s'étendre.
voies commerciales avant la prise de contrôle de la Méditerranée par les musulmans : l'axe rhodanien permet de commercer avec les bassins de laSeine et de laLoire.
Même si les voies terrestres romaines sont encore utilisables à cette époque, le trafic commercial est essentiellement fluvial (et permet le transfert de marchandises d'un bassin fluvial à l'autre) mais il ne permet que le transport de denrées suffisamment onéreuses pour être rentable[15]. Même si le trafic est faible, ces voies sont capitales pour acquérir de quoi entretenir ses vassaux[16]. Avec la présence musulmane en Méditerranée occidentale, les voies commercialesbyzantines ne peuvent plus passer que par l'Adriatique. Dès lors, l'axeRhône-Saône-Rhin (ouSeine) est supplanté par l'axePô-Rhin-Meuse[16].
LesPépinides ou Pippinides, une familleaustrasienne dont le berceau est situé sur laMeuse, acquièrent un avantage économique qui leur permet de mettre sur pied des armées bien plus nombreuses que ses rivales[16]. Le basculement à l'est des voies commerciales réactive les régions riches en minerai de fer, lequel était déjà exploité, à l'origine de lapuissance agricole et militaire des Celtes. Ceci permet de bénéficier d'armes et protections en acier de bonne qualité, augmentant la supériorité militaire. L'outillage agraire s'en trouve amélioré et la productivité augmente. Les Pippinides, en contrôlant plus de 90 grands domaines agricoles de part et d'autre de la Meuse, se sont procuré une puissance sans égale[16]. Ainsi,Pépin de Herstal devientmaire du palais d'Austrasie en 679, contrôle laNeustrie en 687 et prend le titre de prince desFrancs. Pour conserver ses conquêtes, ses descendants doivent maintenir cette politique expansive pour éviter la dissolution de leur empire naissant. Son filsCharles Martel, issu de sa deuxième épouse, doit ainsi réduire les révoltés neustriens puis assujettir lesFrisons, lesAlamans,Bourguignons et lesProvençaux[16].
Parallèlement à cette évolution, le bassin méditerranéen est victime auxVIe et VIIe siècles d'épidémies de peste et de variole récurrentes que les chroniqueurs de l'époque décrivent comme de véritables fléaux. Le bilan est impossible à chiffrer, mais certains historiens le comparent à celui de lapeste noire de 1347-1350 :Jacques Le Goff etJean-Noël Biraben y voient la cause d'un important affaiblissement démographique du sud de l'Europe qui explique en partie le basculement du centre de gravité de l'Occident vers le nord[17].
Au nord,Charles Martel, le grand-père deCharlemagne, arrête l'expansion musulmane àPoitiers en732.Maire du palaismérovingien, autrement dit intendant principal du roi, il dispose d'une telle puissance qu'il a le pouvoir de fait, mais celui-ci ne se fonde ni sur l'hérédité, ni sur le charisme ; il ne peut prétendre au titre de roi. Sa famille, lesPippinides (qui deviendront lesCarolingiens), a l'expérience du pouvoir. Après avoir remporté une victoire contre les Arabes àPoitiers, Charles Martel écrit au pape Grégoire III lui annonçant l'heureuse nouvelle[21],[22]. Celle-ci a un très vif retentissement et désigne Charles, notamment aux yeux de la papauté, comme le défenseur en Occident de la foi et de l'Église[23].Charles Martel reçoit le titre de « Très Chrétien » accordé par le pape et auquel ont droit tous ses successeurs.
La papauté fait partie de l'Italie byzantine, mais l'essentiel de l'armée de l'empire doit faire face à l'expansion musulmane en Orient ; en Italie même, elle ne peut jouer son rôle de protecteur contre les Lombards et Rome en profite pour s'émanciper[24]. Ainsi, le pape sollicite le secours deCharles Martel pour repousser les Lombards ; il met sous la protection desFrancs toutes ses propriétés et les invite à conquérir l'Italie. L'Église romaine décide de s'appuyer sur cette forte dynastie germanique pour contrer les menaces islamique, lombarde et iconoclaste. En750,Pépin le Bref, successeur de Charles Martel comme maire de palais, envoie une délégation franque auprès du papeZacharie pour lui demander l'autorisation de mettre fin au règne décadent des Mérovingiens en prenant la couronne à la place deChildéric III. Zacharie accepte et déclare : « Mieux vaut appeler roi celui qui possède le pouvoir plutôt que celui qui ne l'a pas[25]. » En novembre751, Pépin déposeChildéricIII puis se fait élireroi des Francs, àSoissons, en se faisant acclamer par une assemblée d'évêques, de nobles et deleudes (grands du royaume)[25]. Le nouveau papeÉtienne II, successeur de Zacharie mort en752, demande lui aussi l'aide militaire de Pépin contre les Lombards et leur roiAistulf (ouAstolf) qui menacentRome.
Autre représentation de l'Empire carolingien après Ribemont (880) qui montre la division de la Francie occidentale entreLouis III de France etCarloman II.
En 800,Charlemagne est couronné « empereur romain d'Occident » par le pape, après l'avoir secouru contre un complot visant à le déposer. Il rétablit ainside facto l'empire d'Occident, en attendant d'obtenir, éventuellement, une reconnaissancede jure par lesempereurs romains d'Orient, qui ne se concrétise pas sur le moment, lesGrecs appelant le nouvel État « Empire franc ». Ce sont en effet lesFrancs qui protègent l'Église enGaule depuisClovis Ier, etPépin le Bref, père de Charlemagne, était déjà intervenu pour protéger la papauté. Lui-même continue de se désigner comme « roi des Francs et des Lombards », en plus d'« empereur romain ». C'est plus tard que Charlemagne sera partiellement reconnu empereur parMichel Ier Rhangabé et formellement parLéon V l'Arménien[26].
Cependant, du fait de la faiblesse du commerce et faute de ressources financières suffisantes, Charlemagne est confronté au même problème que ses prédécesseurs : il doit s'étendre en permanence pour entretenir ses vassaux et éviter la dissolution de ses possessions. Pendant tout son règne, il tente de les fidéliser par tous les moyens en leur faisant prêter serment, en leur allouant des terres (seule richesse de l'époque) qu'ils devaient lui restituer à leur mort, et en envoyant desmissi dominici surveiller ce qui se tramait à travers son empire[27]. Pour pérenniser son empire naissant, il doit chaque année réunir son armée et la lancer vers de nouvelles conquêtes. En774, déjà, Charlemagne intervenait en Italie et défaisaitDidier, roi des Lombards, qui menaçait de nouveau le pape, et s'emparait de ses États. Par ailleurs, en 774, l'exarchat byzantin de Ravenne n'est tombé que23 ans plus tôt et c'est donc une région riche et cultivée qui passe sous domination franque. Une fois seul maître du Royaume franc, il agrandit son royaume vers le nord et l’est (Bavière,Saxe,Frise), vers l’ouest (Bretagne) et vers le sud (nord de l’Èbre enEspagne en778, établissant desmarches). Il fait, à partir de772, une guerre acharnée auxSaxons, qui, commandés parWitikind, lui opposent une vigoureuse résistance. Il n'achève de les soumettre qu'en 804 ; il en déporte un certain nombre pour prévenir leurs révoltes. Sa lutte contre les peuplespaïens, dont les Saxons, etleur conversion (forcée de fait) auchristianisme, a ainsi surtout un caractère d'action politique, lui permettant de pacifier un peuple qui menaçait son empire, et ne constitue pas une guerre menée au nom de lachrétienté[réf. nécessaire].
Représentations anachroniques de batailles des conquêtes de Charlemagne
Les pouvoirs que s'arrogeCharlemagne sont très vastes : il légifère beaucoup, y compris en matière dogmatique (introduction duFilioque), et il nomme lesévêques. Il ne reconnaît aucun pouvoir au-dessus de lui. Il est le défenseur du monde chrétien, et l'organise. Il fait d'Aix-la-Chapelle (Aachen, en Allemagne) sa capitale, où il fonde une école pour les cadres de l'Empire qui y bénéficient d'un minimum d'éducation en matière d'administration, de lecture, de religion. Les grands du royaume y envoient leurs fils y étudier. Il intègre également dans sa suite des hommes de tout l'Empire et de toutes ethnies :Saxons,Lombards,Goths.
Avant sa mort, suivant la coutume franque, Charlemagne prépare le partage de son empire entre ses fils, sans désigner de successeur au titre d'empereur. Par ce geste, il montre que la restauration de l'Empire était pour lui une construction éphémère, ne devant pas forcément lui survivre. Finalement, se sentant très affaibli et du fait queLouis le Pieux est le seul à survivre, il le nomme coempereur en septembre 813 à Aix-la-Chapelle.
« Au mois de septembre de cette même année (813), le susdit empereur Charles réunit une grande assemblée du peuple au palais d'Aix. Venant de tout son royaume et empire s'assemblèrentévêques,abbés,comtes,prêtres,diacres et assemblée desFrancs auprès de l'empereur à Aix ; et là ils élaborèrent quarante-six chapitres sur ce qui était nécessaire à l'Église de Dieu et au peuple chrétien. Ensuite se tint une assemblée avec les dits évêques, abbés, comtes et nobles du royaume franc, et ils firent de son filsLouis un roi et un empereur. Ce à quoi tous consentirent pareillement, déclarant que cela était justifié ; et cela plut au peuple, et avec le consentement et l'acclamation de tout le peuple, il fit son fils Louis empereur avec lui, et il perpétua l'Empire par la couronne d'or, le peuple acclamant et criant : vive l'empereur Louis ! Et ce fut une grande joie dans le peuple ce jour-là[28]. »
Mais ce fils survivant s'assurera qu'aucun des autres descendants illégitimes de son père ne puisse interférer sur la succession. En revanche, lui-même partagera l'Empire entre ses trois fils.
Charlemagne avait réussi à maintenir l'unité de l'Empire au prix de guerres incessantes, et d'une surveillance accrue de sescomtes etévêques qu'il assermente. Puissant et bien structuré, l'Empire carolingien présente cependant une faiblesse. En l'absence de guerre, l'État n'est pas assez riche pour entretenir ses vassaux.Louis le Pieux doit ainsi concéder des terres en pleine propriété et non plus à titre d'usufruit viager comme le faisait son père, qui récupérait ainsi ses terres à la mort de ses vassaux[29]. Après Louis le Pieux, les règles de partage équitable des terres entre les héritiers conduisent au morcellement de l'Empire. Quand ses fils s'entre-déchirent pour le partage de l'Empire, ils doivent donner de plus en plus d'indépendance à leurs vassaux pour conserver leur soutien[30]. Par exemple, le roi Charles le Chauve, en promulguant lecapitulaire de Quierzy-sur-Oise le ou le, garantit à ses seigneurs la faculté de léguer leurs terres à leurs héritiers[31]. Le pouvoir royal s'affaiblit considérablement et l'Empire se divise en principautés entre lesquelles les communications diminuent[32]. La partie située à l'est de cetempire d'Occident deviendra par la suite leSaint-Empire romain germanique. L'empereur y était élu par les grands princes sans avoir beaucoup de pouvoir sur eux. Le titre d'empereur restera ensuite dans la lignée carolingienne, sans qu'une réelle légitimité ni pouvoir n'y soient associés. Au contraire, ce titre est plutôt un facteur de conflit, lorsque par exempleLothaire Ier essaye de le faire valoir sur ses frères, et lorsqueCharles le Chauve se fait attaquer parLouis le Germanique après son couronnement à Rome. Avec le ralentissement des communications, la culture générale baisse. La fin de règne des Carolingiens voit s'arrêter la production artistique durant trois générations. Il faut attendre leXe siècle pour que se recréent sous l'impulsion des Ottoniens des États puissants et pérennes en Europe.
Lemonachisme irlandais et l'instauration de larègle de saint Benoît conduisent à la création de nombreux monastères et écoles dans tout l'Empire, en particulier grâce àBenoît d'Aniane. Ces monastères avec leurs deux écoles intérieure et extérieure, leur bibliothèque et leurscriptorium sont la base de la renaissance carolingienne. Charlemagne prévoit dans son capitulaireAdmonitio generalis de789, « que dans chaque évêché, dans chaque monastère, on enseigne les psaumes, les notes, le chant, lecomput, la grammaire et qu'on ait des livres soigneusement corrigés »[34]. Le nombre d'écoles augmente encore après leconcile de Mayence de 813 qui ordonne la création d'écoles rurales pour former de jeunes prêtres[34].
L'Empire est divisé en environ 300comtés (subdivisés enpagi (pays))et se structure administrativement : lesmissi dominici[pas clair], qui vont par deux (uncomte et unévêque)[35]. Les directives élaborées à la cour sont communiquées par les capitulaires.
L’Empire englobe 189évêchés oucivitates et plus de six centsmonastères qui possèdent parfois des biens immenses. Lesévêques et lesabbés sont désignés directement par l’empereur, parfois sur la recommandation de leur prédécesseur. Ils sont choisis le plus souvent dans la chapelle royale, et le pape n’intervient que dans la nomination des archevêques. Le roi utilise les évêques et les abbés comme un personnel politique expérimenté pour transmettre et exécuter ses ordres. Les charges ecclésiastiques sont pleinement assimilées aux charges publiques, et sont considérées comme des « bénéfices » (les propriétés de l’Église, largement dotées par le roi, font partie du bien public au même titre que le fisc royal). L’Église doit subvenir à l’occasion aux besoins du souverain sous la forme de dons obligatoires. Les terres ecclésiastiques sont gérées par des avocats (advocati), fonctionnaires nommés par lesmissi ou en tout cas en présence ducomte. Ils jouent un rôle judiciaire en raison de l’immunité accordée aux terres ecclésiastiques, qui échappent au pouvoir du comte[réf. nécessaire].
Charlemagne développe l’utilisation de l’écrit comme moyen de diffusion de la connaissance, et particulièrement l’usage de la langue latine. S'appuyant sur les érudits britanniques commeAlcuin, lelatin médiéval[36] s'uniformise et incorpore des mots nouveaux (avec des racines grecques ou germaniques) pour servir de langue internationale. Vers770, la mise au point par des scribes de l'abbaye de Corbie d’une nouvelle écriture, laminuscule caroline permet de gagner en lisibilité car les mots sont séparés les uns des autres, et les lettres sont mieux formées[34],[32]. Des ateliers de copie (scriptoria) se développent dans les abbayes carolingiennes : Saint-Martin de Tours,Corbie,Saint-Riquier… Les connaissances s'échangent dans toute l'Europe. À la fin duVIIIe siècle et au début duIXe, on avait ainsi recopiéHippocrate àSaint-Gall,Pline à Corbie, à Saint-Gall et àSaint-Denis,Dioscoride à l'abbaye de Fleury-sur-Loire,Galien à Fleury-sur-Loire et à Saint-Gall,Columelle à Corbie,Palladius à Saint-Gall et à Saint-Denis,Isidore à Tours, Fleury,Luxeuil et Saint-Gall,Apicius àTours, Marcellus àFulda, lui-même recopié dans le Nord-Est de la France au début duIXe siècle,Cassiodore à Tours, Corbie, Saint-Gall, Saint-Denis,Alcuin à Tours, Fleury et Saint-Gall,Vitruve àJarrow, Fulda etReichenau[37],[38],[39]…
En raison d'un commerce déficitaire avec lesOmeyyades (soit directement, soit viaByzance)[40], et de la diminution des échanges avec le monde méditerranéen due à la perte de contrôle de la Méditerranée par Byzance, la diminution du numéraire en or rend nécessaire l'adoption d'une monnaie frappée avec un métal plus abondant en Europe que l'or. D'autre part, il faut une monnaie de valeur plus faible adaptée aux transactions courantes[41]. Le développement du commerce autour de lamer du Nord entraîne la frappe de monnaies d'argent par lesFrisons et lesAnglo-Saxons dès 680[41]. Au début du règne desPippinides, les différentes parties de l'Empire utilisent des monnaies différentes, ce qui freine les échanges. En 755,Pépin le Bref prend le contrôle deDorestadt et des ateliers de frappe de monnaie frisons, le roi affirme son monopole à battre monnaie, ordonnant la frappe d'un denier d'argent normalisé, orné de son monogramme[42].
Dans le même esprit,Charlemagne institue par capitulaire, en 794, un système fondé sur une masse d'argent : la nouvellelivre correspond à un poids de 434,80 grammes d'argent[43]. Il se fonde sur des monnaies de l'Empire romain : lesolidus ou sol, et le denier. Au départ, on taille, dans cette livre d'argent, 240deniers : le poids théorique du denier est donc de 1,812 g. Unsol (un sou) vaut 12 deniers soit un vingtième de livre carolingienne. Circulent aussi des monnaies divisionnaires, comme l'oboles (demi-denier) et despictes (quarts de denier)[43]. Seul le denier sert de monnaie d'usage, le sol et la livre servant, eux, de monnaie de compte : un « sol de farine » est la quantité de farine que l'on peut acheter avec 12 deniers[44]. Cette uniformisation de la monnaie facilite les transactions commerciales à travers l'Empire et donc augmente les échanges entre les différentes régions. Une véritable révolution économique est lancée, l'utilisation de la monnaie s'accélère et est attestée même pour des échanges modestes[45]. Une des implications est qu'il devient rentable de produire des surplus agricoles susceptibles d'être vendus. La voie est ouverte au développement démographique et à la mutation progressive vers une société plus commerçante, artisanale et citadine.
LesCarolingiens prennent d'autres mesures pour favoriser le commerce : ils entretiennent les routes, favorisent les foires (Charles Martel autorise la création de marchés ruraux dans lesvici dès 744[44])… Cependant, ce commerce est étroitement encadré et taxé[46], les prix sont fixés depuis 794 et l'exportation des armes est prohibée. Ceci permet au souverain de récupérer des entrées fiscales et des produits précieux nécessaires à l'entretien de ses vassaux.
Raban Maur (gauche), présenté parAlcuin (centre), dédicace son œuvre à l'archevêqueOtgar de Mayence (droite).Liber de laudibus Sanctae Crucis, manuscrit deFulda, vers 831-840.
Sous son règne, on assiste à une renaissance, appelée la « renaissance carolingienne », qui consiste à étudier les héritages de la civilisation antique dans un espritchrétien.
Pour stimuler et maintenir les valeurs chrétiennes au sein de son empire,Charlemagne adopte une politique culturelle ambitieuse :
un vaste programme d'éducation est mis en œuvre par le principal conseiller de Charlemagne,Alcuin, en mettant en place des écoles, selon le cadre desarts libéraux, transmis de l'Antiquité tardive parBède le Vénérable ;
les bibliothèques se développent et se multiplient :Charlemagne met d'ailleurs en place une bibliothèque impériale à Aix-la-Chapelle ;
En 877,Charles le Chauve meurt. Son règne aura été celui de l'apogée artistique de la renaissance carolingienne. Mais la dissolution de l'Empire s'aggrave, des charges ecclésiastiques sont données à des laïcs par des princes soucieux de récompenser leurs vassaux. L'Église sombre dans une crise plus profonde encore que celle duVIIe siècle[48].
La renaissance aura au total duré quelques décennies et l'ambitieux programme de rénovation culturelle voulu par Charlemagne n'aura eu qu'une pénétration superficielle de la société. Il touche essentiellement les ecclésiastiques et la haute aristocratie. L'enseignement des prêtres dont Charlemagne avait fait l'une de ses priorités n'a que très partiellement porté ses fruits[49]. Cependant, la conversion de l'Occident aucatholicisme est un succès, lepaganisme est en net recul, même si l'Église a dû s'adapter et accepter la multiplication du culte desreliques ou des saints, qui entraînent une multiplication des pèlerinages (lepèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle commence vers l'an 800). Des évolutions économiques et structurelles encore peu visibles sont cependant lancées. L'institution du denier d'argent métamorphose l'économie et bientôt la société, l'Europe entre dans l'âge féodal.
Pour maintenir l'unité de l'Empire, Charlemagne introduit la cérémonie de recommandation, qui imposait un serment devassalité. Il surveille de près ses vassaux, qui sont inspectés régulièrement par desmissi dominici et sont convoqués annuellement pour partir en campagne. D'autre part, il ne concédait les charges qu'à titre de viager, ce qui permettait de récupérer les terres à la mort de son vassal, d'éviter la perte progressive de ses possessions et de conserver un moyen de pression sur ses vassaux, desquels la jouissance des terres accordées en précaire peut être retirée. Mais son filsLouis le Pieux rompt l'équilibre entre les biens fonciers fiscaux et les biens fonciers accordés en jouissance à la noblesse[50]. Dès lors, il n'est plus assez riche pour entretenir ses vassaux et plus rien ne bride leurs velléités naturelles d'indépendance. De plus, les campagnes militaires deviennent moins fréquentes après 820 et les contrôles par lesmissi dominici se raréfient et sont de moins en moins efficaces (ils deviennent coûteux à entretenir, sont corruptibles et les voyages à l'époque sont pénibles)[51] : le contrôle des vassaux se fait de plus en plus lâche. D'ailleurs, Charlemagne avait déjà l'habitude de confier les terres enprécaire aux fils de ses vassaux à la mort de ceux-ci. Progressivement, la transmission héréditaire devient une habitude et la sensation que la terre et des charges appartiennent au souverain décline. Cet état de fait s'aggrave encore quand les fils de Louis le Pieux s'entre-déchirent pour le pouvoir et doivent concéder de plus en plus d'autonomie à leurs vassaux pour conserver leur soutien[30].
Le règne deCharles II est symptomatique. Après lepartage de Verdun (843) entre les trois fils deLouis le Pieux,Charles le Chauve hérite du royaume des Francs de l'Ouest, mais il a besoin du consentement et de l'appui de l'aristocratie pour entrer véritablement en possession de son royaume. Lors d'une assemblée tenue àCoulaines en novembre 843, il leur concède « la jouissance paisible de leur fonction et de leurs biens » et en retour ils lui apportent « aide et conseil »[52]. Il tente de conserver l'autorité impériale par tous les moyens, s'adjoignant en particulier le soutien des ecclésiastiques auxquels il concède la possibilité de battre monnaie. Le passage définitif vers laféodalité se fait par lecapitulaire de Quierzy-sur-Oise du[31], quand il garantit à ses vassaux la faculté de léguer leurs terres à leur héritier.
Le cycle annuel des travaux agricoles, Codex 387 de Vienne, v. 800-825.
À partir de 800, les campagnes militaires se font plus rares et le modèle économique franc basé sur la guerre n'est plus viable[53]. L'agriculture est encore largement inspirée du modèle antique de grands domaines cultivés par des esclaves. Mais ceux-ci ont une productivité faible (car non intéressés aux résultats de leur travail) et sont coûteux en saison morte[53]. Quand vient la paix, nombreux sont les hommes libres qui choisissent de poser les armes pour le travail de la terre plus rentable. Ceux-ci confient leur sécurité à un protecteur contre le ravitaillement de ses troupes ou de sa maison. Certains arrivent à conserver leur indépendance, mais la plupart cèdent leur terre à leur protecteur et deviennent exploitants d'unetenure (oumanse) pour le compte de ce dernier[53]. Dans le sens inverse, les esclaves sont émancipés en serfs gérant une terre et rémunérant leur maître par une partie de leur production ou par des corvées et deviennent plus rentables (cette évolution se fait d'autant mieux que l'Église condamne l'esclavagisme entre chrétiens). La différence entre paysans libres et ceux qui ne le sont pas s'atténue. La frappe de monnaie d'argent depuis plusieurs générations, et son homogénéisation en 781 par Charlemagne est un progrès énorme : plus adapté que l'or qui ne convient que pour des transactions très onéreuses, le denier d'argent permet l'introduction de millions de producteurs et de consommateurs dans le circuit commercial[54]. Le paysan peut revendre des surplus, il est donc intéressé à produire plus que ce qu'il faut pour survivre après avoir reversé une partie de sa production à son seigneur[53]. Il en résulte de nombreux défrichages et une amélioration des techniques : passage de larotation biennale à l'assolement triennal[55], utilisation de la fumure, apparition du collier d'épaule et du fer à cheval…
Moulin à eau, miniature anglaise, v. 1200-1250.
De même, les propriétaires terriens ecclésiastiques comme laïcs fournissent des charrues, investissent dans des équipements améliorant la productivité :moulins à eau (en remplacement desmeules à bras utilisées tant que la main d'œuvre était servile), pressoirs à huile ou à vin (en remplacement du foulage)[45]… Les rendements passent de4 pour 1 à5 ou 6 pour 1[45]. L'utilisation de l'énergie hydraulique plutôt qu'animale ou humaine permet une productivité sans comparaison avec celle disponible dans l'Antiquité : chaque meule d'un moulin à eau peut moudre 150 kg de blé à l'heure, ce qui correspond au travail de 40 esclaves[56]. Ces progrès dégagent de la main d'œuvre pour d'autres activités. La population est mieux protégée des disettes et par voie de conséquence des épidémies : la mortalité diminue. L'introduction de la monnaie et d'une fiscalité à montant fixe a un autre effet : il devient intéressant d'avoir des enfants car du fait des surplus dégagés ils augmentent la capacité de production agricole et sont moins vus comme des bouches à nourrir. La croissance démographique et l'augmentation de la production agricole s'auto-entretiennent en un cercle vertueux : elles sont la clef du renouveau médiéval. Cette métamorphose se fait progressivement, ses effets sont encore peu visibles auIXe siècle, d'autant qu'elle est vite freinée par les invasions et guerres féodales, mais la révolution agricole est en germe et elle se concrétise pleinement quand elles cessent auXe siècle.
↑Le françaisroman (gallo-roman), dans ses déclinaisons de langues d'oïl et d'oc, ne commencera son réel développement, en Francies occidentale et médiane, qu'auXe siècle.
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