L’Empire romain d'Orient, ouEmpire byzantin, est l'État apparu vers leIVe siècle dans la partie orientale de l'Empire romain, au moment où celui-ci sedivise progressivement en deux. Il se caractérise par sa longévité : il puise ses origines dans la fondation même de Rome, bien que la datation de ses débuts change selon les critères choisis par chaque historien. L'année330 et la fondation deConstantinople, sa capitale, parConstantin Ier, ou395 et la division définitive d’un Empire romain qui devenait de plus en plus difficile à gouverner, sont les deux dates de naissance les plus communément adoptées. Plus dynamique qu’un monde romain occidental dont l'administration effective est de plus en plus le fait des élitesbarbares à la suite de leur arrivée progressive par traité ou par conquête, l’Empire d’Orient s’affirme progressivement comme une construction politique originale. Indubitablement romain, cet empire est aussichrétien et delangue principalement grecque. En 476, ledernier empereur d'Occident abdique, l'empereur byzantin devient alors l'unique souverain de l'Empire romain en titre.
Qualifié d’« archaïque » ou de « déclinant » dans l’historiographie ancienne, parfois empreinte demishellénisme, l’Empire byzantin a fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation face aux évolutions du monde qui l’entoure et aux menaces qui l’assaillent constamment, souvent sur plusieurs fronts. Il parvient souvent habilement à user de ladiplomatie autant que dela force pour contenir ses ennemis. Sa situation exceptionnelle, au carrefour entre l'Orient et l'Occident dont il contribue à brouiller les frontières, entremonde méditerranéen etbassin pontique, lui permet de développer uneéconomie dynamique, symbolisée par sa monnaie, souvent utilisée bien au-delà de ses frontières. Cette même abondance suscite aussi les convoitises de voisins ambitieux qui se heurtent régulièrement aux puissantes murailles deConstantinople. Celle-ci, plus encore queRome pour l’Empire romain antérieur, est le centre du monde byzantin. Même lors de son déclin à partir de 1204, il préserve une vivacité culturelle qui favorisel’émergence de laRenaissance européenne.
Les jugements sur l’Empire byzantin ont profondément varié en fonction des époques. Considéré comme un modèle à suivre par les régimesabsolutistes duXVIIe siècle, il est, auXVIIIe siècle, vivement dénoncé pour cette même raison par les critiques de l’absolutisme, et décrit comme décadent. Ces interprétations ont laissé place à des perspectives historiques plus scientifiques. L’héritage du monde byzantin est cardinal dans la compréhension dumonde slave, auquel il a laissé un alphabet et une religion. Au-delà, il a su rayonner, transmettant undroit romain codifié, des chefs-d’œuvre architecturaux, incarnés par labasilique Sainte-Sophie, et, plus largement, une culture originale.
C’est l’historien allemandHieronymus Wolf qui fonde l’étude de l’histoire byzantine en tant que thème à part entière en1557 avec sonCorpus historiæ byzantinæ[6]. Ce n’est qu’en1857 que l’appellation « Empire byzantin » est diffusée par l’historienGeorge Finlay[7] pour désigner ce que certains historiens appelaient « période duBas-Empire ». Bien qu’il s’agisse d’unexonyme, la dénomination « Empire byzantin » a finalement aussi été adoptée engrec moderne (Βυζαντινή αυτοκρατορία /Vyzantiní avtokratoría) et dans lacommunauté internationale deshistoriens pour distinguer l’histoire de l’Empire romain d’Orient considérée comme une histoire grecque.
Pour leur part, les citoyens de l’Empire d’Orient nommaient leur ÉtatΒασιλεία τῶν Ῥωμαίων -Basileía tôn Rhômaíôn[8] (« Empire des Romains » engrec ancien), et ils ne se sont jamais désignés comme « byzantins », mais se considéraient comme des Romains (Rhomaioi, terme repris par lesPerses, lesArabes et lesTurcs qui les appellent « Roum »)[9]. Les auteurs occidentaux, même s’ils traduisaient cette autodénomination en « Romanie » avant de reprendre le terme pour l'empire latin après 1204[10], utilisèrent aussi « Imperium Graecorum », « Græcia » ou « Terra Græcorum » et « Grecs » pour leurs citoyens, dont laliturgie, la langue de communication et la culture étaient essentiellementgrecques, comme en témoignent aussiGémiste Pléthon, ainsi queThéodore Métochitès dans sesCommentaires[11].
L’histoire de l’Empire byzantin, qui s’étend sur une période de plus de 1 000 ans, tire ses origines de la fondation de l’Empire romain. Il n’y a pas de début de l’histoire byzantine, mais deux dates sont à retenir. Celle de 330 marque la fondation de sa capitale,Constantinople, alors même que l’Empire romain est de plus en plus divisé pour des raisons pratiques. Celle de 395 marque la division définitive en deux empires. L’histoire byzantine peut être découpée par les historiens actuels en trois périodes majeures[12] :
L’Empire byzantin plonge ses racines dans la période dite de l’Antiquité tardive, débutant traditionnellement[N 1] avec l’avènement deDioclétien en 284[13].
L'empereur romainConstantin le Grand, à la suite de sa révélation personnelle en 312, favorise lechristianisme et donne une extension considérable à la cité grecque deByzance à partir de 324. Il en fait la « Nouvelle Rome » (Nova Roma) face à Rome qui — au moins depuis le court règne de l'empereurMaxence — n'est plus résidence permanente de l'autorité impériale[15]. La nouvellerésidence impériale devient capitale de la partie orientale de l'Empire romain. Le nom officiel de la ville ne tarde pas à être remplacé dans le langage courant par la dénomination usuelle de « Constantinople », ce qui n'empêche pas l'appellation « Byzance » de perdurer pendant des siècles. Constantinople reste le siège de l'autorité sous les empereurs suivants bien que tous les empereurs n'y aient pas séjourné très longtemps, en tout cas dans les premiers temps. Ainsi,Julien, dernier empereur païen, etValens passent le plus clair de leur temps àAntioche, plus proche des frontières conflictuelles à l'est de l'Empire (voirGuerres perso-romaines).
En 395, lorsque meurt l'empereurThéodose Ier, et à la suite des nombreuses invasions barbares qui menacent l'Empire, il attribue à ses deux fils,Honorius etArcadius respectivement unEmpire d'Occident et un Empire d'Orient. Cettedivision de 395 est traditionnellement considérée comme un point de départ pour l'Empire byzantin[16],[17].
L'Empire romain a certes connu de telles divisions par le passé, mais celle-ci se révèle bientôt définitive : Arcadius, qui réside àConstantinople, passe donc pour le premier souverain de ce « premier » Empire byzantin[N 2]. Toutefois, les contemporains n'ont aucune conscience d'une division (comme le démontrent par la suite les campagnes de reconquête de l'empereurJustinien Ier ditle Grand), mais d'un gouvernement collégial, les mêmes lois ont cours dans les deux moitiés de l'Empire (elles sont en général promulguées conjointement par les deux empereurs) et l'empereur d'une partie ratifie l'intronisation d'un successeur dans l'autre partie[18]. Aussi, cette date de 395 n'est pas retenue par tous les historiens comme « origine » de l'Empire byzantin. Si certains le font remonter jusqu'à Constantin, d'autres s'en tiennent àHéraclius (610–641) comme premier souverain byzantin (accélération du processus d'hellénisation de l'État romain). Enfin, Justinien Ier peut aussi être considéré comme le dernier empereur romain[19].
À partir du début duVe siècle, lesGermains et lesHuns concentrent leurs attaques contre l'Empire d'Occident, plus faible sur le plan militaire. L'Empire d'Orient, pour sa part, doit affronter lors deguerres perso-romaines les assauts de l'Empire perse des Sassanides, seul concurrent à sa mesure, bien que les deux empires restent presque continuellement en paix entre 387 et 502. En 410, la ville de Rome est prise par lesWisigoths, ce qui est un choc pour les Romains, tandis que la partie orientale de l'Empire — si l'on excepte les Balkans — n'est pas inquiétée. De temps en temps, Constantinople s'efforce de venir en aide à l'Occident, comme lors de la malheureuse campagne navale de 467-468 contre lesVandales[21].
Cependant l’Empire est déstabilisé par des conflits religieux violents, entrenicéens etariens et, à partir de 430, entrenestoriens etmonophysites. À partir de 440, lesHuns menacent l’Empire d’Orient, ravagent les régions danubiennes et obligentThéodose II à payer un tribut annuel. Les raids d'Attila sur l'Occident et sa mort en 453 éloignent le danger[24].Léon Ier est le premier empereur d’Orient à recevoir la couronne des mains dupatriarche de Constantinople. Sous le règne de son gendreZénon (476-491), l'empereur-usurpateur d’OccidentRomulus Augustule est destitué parOdoacre en 476 et le dernier empereur romain d'Occident légitime,Julius Nepos, est assassiné en 480. Zénon reste le seul empereur du monde romain, de la Romanie. Néanmoins, son autorité sur l’Occident n’est que théorique[25], permettant aux différents souverains barbares ayant contracté unfœdus de légitimer leur pouvoir auprès des populations romanisées et de la hiérarchie ecclésiastique chrétienne.
Sous le règne de l'empereur Léon Ier, l'Empire doit affronter le problème posé par lestroupes d'auxiliaires germaines. Jusqu'à la fin duVe siècle, la charge de « magister militum » (commandant en chef, un général de haut niveau) revient la plupart du temps à un Germain. Vers 480, avec l'intégration desIsauriens dans le service militaire, on peut envisager de résoudre ce problème en contrebalançant l'influence des Germains. Dans l'armée d'Orient, combattent désormais de plus en plus de sujets de l'Empire. Les empereurs peuvent de ce fait stabiliser leur situation à l'Est. LorsqueRomulus Augustule est déposé en 476, l'Empire d'Orient se retrouve en nette position de force. En 480, les Germains reconnaissent l'empereur d'Orient comme leur seigneur en titre, quand le dernier empereur d'Occident reconnu par Constantinople,Julius Nepos, meurt assassiné, àSalone, enDalmatie. Zénon envoieThéodoric et sesOstrogoths conquérir l'Italie en tant que vassal pour chasser Odoacre, devenu encombrant après l'invasion de la Dalmatie romaine, et débarrasser définitivement l'Orient de la menace gothique[26]. Le successeur de Zénon, l'empereurAnastase Ier (491-518), réorganise la perception de l'impôt, ce qui favorise le commerce et l'artisanat des villes, tout en renforçant les capacités financières de l'Empire. En revanche, ses positions religieuses en faveur dumonophysisme provoquent de fréquentes révoltes à Constantinople[27].
AuVIe siècle, sous le règne deJustinien Ier (527-565), ses deux générauxBélisaire etNarsès reconquièrent une grande partie des provinces occidentales : l'Italie, l'Afrique du Nord, et l'Hispanie du Sud[28]. Ils restaurent ainsi brièvement l'« Imperium Romanum » dans ses limites méditerranéennes, mais sans reprendre pied enGaule. Cependant, les guerres contre les royaumes desVandales et desGoths à l'ouest, et contre le puissantEmpire sassanide deKhosro Ier à l'est, auxquelles vient s'ajouter une épidémie de peste (dite « peste de Justinien ») qui ravage à partir de 541 tout lebassin méditerranéen, affectent sérieusement l'équilibre de l'Empire[29]. Des recherches récentes lient cette épidémie à un refroidissement du climat mondial causé par plusieurs explosions volcaniques très importantes[30].
Un travail juridique impressionnant est également accompli à travers la codification dudroit romain (ce que l'on appelle plus tard le « Corpus juris civilis »). En 533 est également publié leDigeste (ouPandectes), qui correspond à une modernisation de toute la législation antique ainsi qu’à une synthèse de la jurisprudence antique. À cela s’ajoute un manuel pour enseigner le droit, lesInstitutes (533). Enfin les lois nouvelles, voulues par Justinien, lesNovelles, sont écrites engrec, lalangue véhiculaire de l’Empire, après 534. Cette œuvre législative prend une importance fondamentale enOccident, car c’est sous cette forme reçue de Justinien que l’Occident médiéval, à partir duXIIe siècle, adopte ledroit romain[31],[32].
Le long règne de Justinien représente une transition décisive entre le crépuscule de l'Antiquité et leMoyen Âge byzantin, même si Justinien, « dernier empereur romain sur un trône byzantin » selonGeorg Ostrogorsky, se rattache par de nombreux traits à l'Antiquité par sa restauration de l’imperium et son organisation du droit romain. C'est aussi un souverain chrétien, marquant l'influence impériale sur l'Église, quitte à traiter papes et patriarches comme ses serviteurs[33]. C'est pendant son règne qu'est édifiée labasilique Sainte-Sophie (532-537), elle reste longtemps la plus grande église de lachrétienté.
Lors du règne deJustin II (565-578) et deTibère II Constantin (578-582), les deux premiers successeurs de Justinien, les frontières de l'Empire commencent à voir l'apparition de nouvelles menaces. LesAvars dominent toute la région au nord duDanube, poussant lesLombards à envahir le nord de l'Italie byzantine qui cède rapidement. Bientôt, l'Italie byzantine n'est plus qu'un ensemble de possessions éparses sans liens entre elles[34]. En outre, Justin II rouvre les hostilités contre les Perses qui pillent les régions frontalières de l'Empire. Enfin, les peuplesslaves commencent leurs premières incursions au sud du Danube lors des années 570.Maurice (582-602) réussit à rétablir un certain équilibre. Lors de son règne, il parvient à repousser les incursions perses, ce qui lui permet de mobiliser des forces importantes contre les Slaves et les Avars pour libérer lesBalkans. Toutefois, la situation financière reste précaire et Maurice finit par être renversé par une révolte militaire :Phocas (602-610) est alors proclamé empereur. Son règne est sanguinaire et il est rapidement confronté à uneinvasion des Perses conduite parKhosro II qui prétend combattre pour venger la mort de Maurice[35], dont les acquis s'écroulent en quelques années. Les Lombards conquièrent des territoires byzantins en Italie, les Slaves se lancent à nouveau à la conquête des Balkans et les provinces orientales de l'Empire sont envahies par les Perses. Face à cette situation de plus en plus désastreuse, les complots contre l'empereur se multiplient[36]. Finalement, le généralHéraclius (610-641), venu d'Afrique, finit par renverser Phocas qui est massacré[37].
La mort d'Héraclius, concomitante des invasions arabes, est le début d'un tournant dans l'histoire byzantine. Contraint de se replier sur des bases territoriales rétrécies, l'Empire byzantin rentre dans une phase de déclin dans de nombreux domaines. Le longVIIe siècle qui s'annonce, comme l'appelle John Haldon, est une période de résistance et de réforme pour adapter l'Empire à un contexte défavorable[41]. C'est sur ces bases que s'ouvre la période mésobyzantine. L'Empire y développe pleinement ses caractéristiques propres, parfois en rupture avec la tradition romaine, mais sans jamais la renier complètement. C'est à ce prix qu'il peut résister puis s'étendre à nouveau, avant que des forces nouvelles ne le conduisent à un profond repli.
L'Empire en 717, lors de la montée sur le trône deLéon III.
La succession d’Héraclius est troublée et c’estConstant II Héraclius (641-668) qui parvient finalement au pouvoir. L’Empire est alors assailli de toute part et l’empereur échoue à sauver l’Égypte, grenier à blé de l'Empire romain d'Orient. Malgré cette perte, il parvient à préserver l’Afrique de l’invasion arabe. Cependant, les Arabes commencent à développer une marine qui met en péril la suprématie byzantine sur les mers. Le premier exemple de cette contestation est le pillage de l'île de Chypre qui devient un condominium byzantino-arabe, bientôt suivi par la victoire arabe lors de labataille de Phoenix de Lycie en 655[42]. L'Arménie est elle aussi perdue tandis que les espoirs d’une contre-offensive pour reprendre les territoires récemment perdus s’évanouissent au fur et à mesure des années. L’annihilation de l’Empire perse par les Arabes laisse planer le danger d’une offensive prochaine contre Constantinople. Face aux pertes territoriales en Orient, Constant II tente de renforcer les provinces occidentales, allant jusqu’à s’installer àSyracuse, l’un des rares territoires byzantins épargnés par la guerre, mais il meurt assassiné. Son successeur,Constantin IV (668-685) doit faire face aux progrès des Arabes qui planifient leur offensive contre Constantinople. Toutefois, après unsiège de quatre ans (674-678), ils sont contraints de se replier du fait, entre autres, de l’utilisation dufeu grégeois par la marine byzantine pour détruire la flotte musulmane. Ce succès, qui permet provisoirement d’écarter la menace arabe, est contrecarré par le désastre de labataille d'Ongal (681) lors de laquelle une grande armée byzantine est écrasée au Nord du Danube par lesBulgares, un peuple nouveau venu quis’installe dans les Balkans et compromet encore plus le contrôle byzantin sur cette région[43].Justinien II profite de la guerre civile arabe pour consolider la frontière orientale et notamment l'Arménie, récemment reconquise. De même, il combat les Slaves dans les Balkans et renforce les régions les plus proches de Constantinople. Toutefois, la reprise des hostilités contre les Arabes tourne à son désavantage. Cet échec couplé à la hausse de la fiscalité entraînent la chute de Justinien (685-695). À l'aube duVIIIe siècle, le bref renouveau byzantin est terminé et la menace arabe est de retour. Celle-ci apparaît encore plus menaçante que la précédente, car l'Empire byzantin sombre dans une période d'instabilité qui dure jusqu'en 717. Au cours des règnes des six empereurs qui se succèdent, la province d'Afrique tombe aux mains des Arabes (695) ainsi que la Cilicie tandis que les possessions lointaines de l'empire (Sardaigne,Corse) quittent le giron byzantin. Finalement, décidant de profiter de la désunion des Byzantins, le califeSulaymān planifie un deuxième assaut contre Constantinople au moment oùLéon III l'Isaurien (717-741) arrive sur le trône[CH 2].
Constantin VI (780-797), le fils de Léon, étant alors mineur, c'est la mère de ce dernier,Irène (797-802), qui assure la régence. Il apparaît néanmoins très vite qu'elle n'a nulle intention d'abandonner ce pouvoir. Pour consolider celui-ci, elle s'appuie sur le parti iconodoule et condamne l'iconoclasme lors d'unconcile. Si elle est contrainte de laisser le trône à son fils à sa majorité, le règne désastreux de ce dernier lui permet de revenir au pouvoir après avoir fait aveugler Constantin. Toutefois, son règne est marqué par un affaissement de la vigueur retrouvée de l'Empire byzantin. Les Arabes en profitent pour lancer des raids ambitieux en Asie Mineure tandis que les Bulgares, conduits par leur khanKroum, menacent directement Constantinople.Nicéphore (802-811), le successeur d'Irène, tente de s'interposer, mais périt lors de labataille de Pliska (811)[46]. Dans le même temps, la montée en puissance deCharlemagne et sa volonté de prétendre au titre impérial inquiètent les Byzantins qui voient leur monopole menacé. Finalement, un arrangement est trouvé. Face à la menace bulgare, la nécessité d'un homme d'État capable de reprendre la situation en main se fait ressentir. C'estLéon V l'Arménien (813-820) qui est porté au pouvoir et qui parvient à vaincre les Bulgares affaiblis par la mort de leur chef[47]. Tout comme Léon III, il met sur le compte de la vénération des images les difficultés de l'Empire depuis deux décennies et il rétablit l'iconoclasme sous une forme moins violente que sous les Isauriens[48]. Toutefois, le nouvel empereur est renversé peu de temps après parMichel II l'Amorien (820-829) qui doit rapidement combattre unerévolte de grande envergure. Même s'il en sort vainqueur, l'empire est affaibli et perd du terrain face aux Arabes en Crète et en Sicile[49]. Son fils et successeur,Théophile (829-842), subit unegrave défaite face auxAbbassides qui sonne comme un désaveu pour la politique iconoclaste qui base sa légitimité sur les succès militaires de ses partisans[50]. C'est sous le règne deMichel III (842-867) qu'est définitivement abandonné l'iconoclasme. Sous ce même règne, la menace arabe commence à s'étioler au fur et à mesure que le pouvoir abbasside décline et que des émirats frontaliers se constituent. Si ces derniers continuent de lancer des raids en Asie Mineure, leur potentiel militaire est moindre qu'à l'époque où le califat était une puissance unitaire. Ainsi, les Byzantins remportent une grande victoire lors de labataille de Poson (863) qui inaugure une ère de progrès lents mais réguliers en Orient. En Occident, la grande réussite byzantine est la conversion des peuples slaves par les deux missionnairesCyrille et Méthode qui permettent d'étendre la sphère d'influence byzantine. Cependant, Michel III meurt assassiné en 867 par son favoriBasile Ier le Macédonien qui fonde une nouvelle dynastie sous laquelle l'Empire byzantin connaît sa période faste[51].
L’avènement de Basile Ier sur le trône marque l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle dynastie dite des Macédoniens lors de laquelle l’Empire byzantin de l’époque mésobyzantine atteint son apogée[52]. Son règne n’entraîne pas de véritables changements sur un plan militaire, certaines défaites comme la perte de la Sicile sont contrebalancées par des succès en Orient avec notamment l’écrasement de la principautépaulicienne. Basile parvient toutefois à affermir son pouvoir malgré son statut d’usurpateur grâce à une habile distribution des postes et des dignités[53]. Son successeurLéon VI le Sage (886-912) voit sous son règne la lente transformation de la frontière orientale où de nouveauxthèmes etcleisouries sont fondés, témoignant des progrès byzantins dans la région. Toutefois, les Arabes réussissent quelques brillants coups d’éclat grâce à des raids maritimes avec notamment le pillage de la deuxième cité de l’empire,Thessalonique, ou la défaite infligée à une tentative byzantine de reconquête de la Crète[54].
Cependant, la succession de Léon est troublée. Son frèreAlexandre (912-913) rouvre les hostilités avec les Bulgares avant que sa mort n’entraîne la mise en place d’une régence du jeuneConstantin VII Porphyrogénète (913-959) marquée par des conspirations et des complots.Zoé Carbonopsina parvient à s’imposer, mais la désastreuse défaite byzantine lors de labataille d'Anchialos entraîne son désaveu etRomain Lécapène (920-944) arrive au pouvoir. Il signe la paix avec les Bulgares et, sur le front oriental, les progrès byzantins sont de nouveau possibles[55]. Grâce à l’habileté du généralJean Kourkouas et à la désunion des forces arabes, plusieurs villes frontalières sont conquises dontMélitène[56]. Si Romain finit par être renversé par ses fils, un mouvement de fond a été lancé et de nouveaux généraux poursuivent l’œuvre de Jean Kourkouas pour repousser toujours plus loin la frontière orientale de l’empire.
Toutefois, Basile II ne se soucie pas d'engendrer une descendance et à sa mort, le pouvoir passe à son frère Constantin VIII qui ne reste que trois ans sur le trône. Là encore, un problème de succession se pose car il n'a que deux filles :Théodora etZoé. Si les deux princesses ont derrière elles la puissante légitimité de la dynastie macédonienne, toute descendance semble exclue et la dynastie ne peut guère espérer se maintenir plus de quelques années. Entre-temps, plusieurs personnages tentent de se lier par le mariage aux princesses pour détenir le pouvoir impérial. À la mort deRomain III Argyre (1028-1034), Zoé se marie àMichel IV le Paphlagonien (1034-1041) avant d'adopterMichel V (1041-1042) rapidement renversé. Zoé se remarie une dernière fois avecConstantin IX Monomaque (1042-1055). Sous son règne, l'Empire byzantin qui bénéficie jusque-là de la faiblesse de ses voisins doit faire face à des forces nouvelles. En Orient, lesTurcs seldjoukides commencent à lancer des raids sur les marges frontalières de l'Empire tandis qu'un autre peuple turc, lesPetchénègues, lance des attaques contre les Balkans et que lesNormands commencent à assaillir l'Italie byzantine[63]. L'autre événement majeur de son règne est la rupture avec lapapauté à la suite duschisme de 1054. Après sa mort, Théodora règne dix-huit mois et transmet le pouvoir àMichel VI Bringas, espérant éviter une crise institutionnelle (1056-1057). Cependant, la défiance de Michel envers les généraux attise la colère de ces derniers qui portent au pouvoirIsaac Ier Comnène[64]. C'est le début d'une période de grande instabilité puis de guerre civile qui dure vingt ans. L'Empire byzantin fait alors face à de nombreuses incursions au sein de son territoire que les différents empereurs ne parviennent plus à juguler. Ainsi,Romain IV Diogène (1067-1071) tente de mettre fin aux raids seldjoukides, mais il est vaincu lors de labataille de Manzikert (1071). Si le sultanAlp Arslan se montre clément, Romain est discrédité par cette défaite et est renversé parMichel VII (1071-1078). Ce dernier finit par être aux prises avec des révoltes militaires et, pour soutenir son régime, il fait appel aux Seldjoukides, facilitant la pénétration de ces derniers au sein de l'Asie Mineure laissée sans défense.Nicéphore III Botaniatès (1078-1081), qui parvient à s'assurer du soutien des Turcs, grimpe sur le trône, mais il ne tarde pas à affronter de nouvelles révoltes qui finissent par porter au pouvoirAlexis Ier Comnène (1081-1118), fondateur d'une nouvelle dynastie[64].
Sur le trône, Alexis fait face à une situation critique. L’ensemble de l’Anatolie est tombée aux mains des Seldjoukides qui tentent d’y établir un royaume solide, lesultanat de Roum. En Italie, lesNormands menacent de débarquer dans les Balkans, tandis que lesPetchénègues lancent des raids dévastateurs dans cette même région. Il manque de troupes pour faire face à l’ensemble de ces menaces et s’il parvient, avec l’aide desCoumans, àécraser les Petchénègues, il doit faire appel à l’Occident pour l’aider dans sa lutte contre les Seldjoukides[65]. Toutefois, au lieu de l’arrivée de troupes de mercenaires classiques, c’est à un tout autre mouvement auquel il fait face, celui descroisades, un concept totalement étranger aux Byzantins. Si Alexis parvient à profiter de leurs succès contre les Seldjoukides, il ne peut empêcher les croisés de constituer uneforce indépendante au Proche-Orient[66]. Son successeurJean II Comnène (1118-1143) poursuit cette politique étrangère énergique consistant à rétablir l’Empire byzantin sur les rivages occidentaux, méridionaux et septentrionaux d’Anatolie et à accroître l’influence byzantine dans les Balkans, notamment contre lesHongrois.Manuel Ier Comnène (1143-1180) va plus loin dans cette politique étrangère agressive et ambitieuse. Il tente de reprendre pied en Italie, lance des raids en Égypte et s’ingère dans les affaireshongroises dont il fait du royaume un territoire sous influence byzantine. Cependant, il échoue à soumettre le sultanat de Roum après sa défaite lors de labataille de Myriokephalon. Si les Turcs ne parviennent pas à exploiter leur succès, cette bataille prouve l’incapacité des Byzantins à rétablir leur domination sur l’ensemble de l’Anatolie[67].
Le choc de 1204 ouvre la dernière phase de l'histoire byzantine, celle qui conduit l'Empire à sa chute. Divisé en plusieurs entités, ce dernier devient multiple, tant par les prétentions des croisés à unEmpire latin que par les tentatives d'entités grecques de le faire renaître de ses cendres. Si l'empire de Nicée relève ce défi en 1261, la reconquête de Constantinople n'efface pas l'affaiblissement profond d'un monde byzantin aux ressources désormais trop restreintes. Concurrencé sur le plan politique par l'ascension de forces plus dynamiques et sur le plan économique par le modèle des républiques italiennes, il ne doit sa survie jusqu'en 1453 qu'à la solidité desmurailles de Constantinople et à d'épisodiques interventions extérieures. Culturellement en revanche, la civilisation byzantine brille de derniers éclats qui rayonnent jusqu'enItalie où ilalimente laRenaissance émergente.
L'Empire en 1180, à la fin du long règne deManuel Comnène
La prise de Constantinople par les croisés entraîne la division de l'Empire byzantin entre les puissances latines qui doivent faire face à trois États grecs qui parviennent à s'organiser. À l'ouest, sur le rivage de lamer Adriatique, se constitue ledespotat d'Épire dirigé par la famille desDoukas. En Asie Mineure se forme l'empire de Nicée, dirigé par lesLascaris, et sur le rivagepontique est créé l'empire de Trébizonde, dirigé par une branche des Comnènes. Ces trois États prétendent perpétuer l'héritage byzantin bien que l'empire de Trébizonde soit rapidement isolé du fait des conquêtes turques. La lutte pour la reprise de Constantinople et la refondation de l'Empire byzantin oppose donc le despotat d'Épire et l'empire de Nicée[72].
Si le premier prend d'abord l'avantage, unegrave défaite contre lesBulgares le met hors-jeu en 1230 tandis que l'empire de Nicée parvient à s'établir solidement en Europe grâce à l'action deJean III Doukas Vatatzès. Finalement, après deux tentatives avortées, Constantinople est reprise par le généralAlexis Strategopoulos en 1261, mettant fin à l'existence du moribondempire latin de Constantinople.Michel VIII Paléologue (1259-1282), qui s'est emparé du pouvoir quelque temps auparavant au détriment de la dynastie légitime, devient le refondateur de l'Empire byzantin[73]. Toutefois, il est loin d'être rétabli dans ses frontières d'avant 1204. Une grande partie de la Grèce est toujours soumise au despotat d'Épire et à d'autres États francs (laprincipauté d'Achaïe et leduché d'Athènes). De même, les Italiens dominent l'espace maritime et les îles de lamer Égée par le biais notamment duduché de Naxos tandis qu'en Orient, les peuples turcs se montrent de plus en plus agressifs. Ainsi, Byzance n'est plus la grande puissance d'autrefois, mais seulement un État important à l'échelle régionale[74].
Les Ottomans sontdivisés entre les fils de Bayezid et les Byzantins en profitent pour reprendre quelques territoires dont Thessalonique. Néanmoins, ils sont bien trop faibles pour espérer lancer une véritable reconquête de leurs anciennes possessions. L'avènement deMourad II en 1421 marque la fin de ce bref répit. Pour punir les Byzantins d'avoir soutenu unprétendant au trône, ilassiège Constantinople, mais ne peut s'en emparer. L'année suivante, ilassiège Thessalonique dont il s'empare en 1430. Pour sauver son empire,Jean VIII Paléologue (1425-1448) fait de nouveau appel à l'Occident et signe l'Union des Églises auconcile de Florence pour s'assurer du soutien de lapapauté. Toutefois, une nouvelle armée occidentaleest défaite à Varna en 1444 et la perspective d'une aide occidentale s'éloigne. L'arrivée au pouvoir deMehmed II en 1451 met directement en péril la survie même de l'Empire. Le nouveau sultan s'est en effet fixé pour objectif la ville de Constantinople. Après de longs préparatifs, il vient mettre lesiège devant Constantinople au début du mois d', avec une armée d'au moins 80 000 hommes soutenue par une puissante marine ainsi qu'une artillerie nombreuse. En face, les 7 000 défenseurs (dont 2 000 Italiens) sont largement surpassés en nombre et s'ils parviennent à résister durant près de deux mois, ils finissent par succomber lors de l'assaut final lancé le.Constantin XI (1448-1453) est tué lors des derniers combats et, en s'emparant de Constantinople, Mehmed II met fin à plus de 1 000 ans d'histoire byzantine. Trois petits états byzantins subsistent encore quelques années : ledespotat de Morée qui est pris en 1460, l'empire de Trébizonde pris en 1461 et laprincipauté de Théodoros qui succombe en 1475[CH 5].
Si lachute de Constantinople crée une certaine émotion dans le monde occidental, aucune tentative sérieuse n'est entreprise pour reprendre la capitale impériale, dont la prise par lesOttomans ne fait qu'acter la fin d'un empire millénaire, mais devenu agonisant après sa fragmentation à la suite de laquatrième croisade. Soixante-dix-sept ans plus tard, les Ottomans, dont l'expansion a submergé lesBalkans et laHongrie, mettent le siège devantVienne aux portes de l'Empire germanique.
Même le rétrécissement de l’Empire ne signifie pas son homogénéisation culturelle : durant toute la période médiévale, des élémentsslaves,valaques,arméniens voirearabes sont incorporés tant dans lesBalkans qu’enAsie Mineure qui demeurent ainsi des espaces hétérogènes, comme en témoignent lesPauliciens anatoliens, mouvement culturel et religieux qui essaime dans les Balkans sous la formebogomile et de là, vers le reste de l’Europe, avant d’être finalement maté. Les mouvements migratoires représentent un aspect important de l’Empire byzantin, régulièrement confronté à l’arrivée de nouveaux peuples à ses frontières dès son origine, avec les « invasions barbares » qu’il parvient à mieux juguler que l’Empire d’Occident. S’il doit souvent leur céder des territoires, il réussit aussi à les influencer voire assimiler au moins partiellement, conformément à la tradition universaliste romaine. C’est entre autres le cas duPremier Empire bulgarechristianisé en 864 et conquis entre 995 et 1018[83].
L’adhésion à lareligion chrétienne a pu constituer un élément de cohésion identitaire, moins envers lesJuifs byzantins fortement hellénisés (fidèles autalmud de Jérusalem, et de langueyévanique) qu’envers les communautés professant desformes de christianisme considérées comme « schismatiques » (monophysisme,paulicianisme,bogomilisme et plus tardcatholicisme occidental) ou envers l’islam (sur les frontières orientales). C’est toutefois unevision universaliste du droit qui a sans doute le mieux favorisé la coexistence durable de groupes ethniques et religieux différents, dès lors que le facteur d’unité n’est pas une culture, une langue, une croyance ou une origine, mais l’adhésion à l’idéologie impériale : la notion même de « Byzantins » est inexistante et les habitants de l’Empire se désignant commeRomains en dépit de leur pratique réduite du latin et de leur diversité[83].
L’espace grec,matrice culturelle principale de l’Empire, ne devient réellement prépondérant que dans les dernières décennies de l’Empire, en particulier après 1261 quand ses frontières ne cessent de reculer. Seules des populations hellénophones sont alors contrôlées par Constantinople, ce qui entraîne l’affirmation d’un certain hellénisme de la part d’intellectuels commeGémiste Pléthon[84], et n’empêche pas la coexistence de différentsÉtats grecs parfois hostiles les uns envers les autres (Empire byzantin proprement dit,despotat d'Épire,empire de Trébizonde,principauté de Théodoros).
Si l’Empire romain se caractérise en partie par un réseau de cités importantes, l’Empire byzantin évolue vers une prédominance du monde rural. Comme l’indiquentMichel Kaplan et Alain Ducellier :« Le système politique et social qui permet à l'Empire de survivre face aux invasions repose sur la petite paysannerie : elle nourrit la population et fournit l'essentiel des ressources de l’État par l'impôt, essentiellement foncier, par le gros des troupes desthèmes et même, pendant un temps, destagma »[86]. Lors de ses premiers siècles d’existence, les grandes cités, à l’exception deConstantinople, connaissent un déclin sensible. Au contraire, la ruralité devient un pilier de l’équilibre de l’Empire. La terre est la première source de richesse et la base de la fiscalité. L’agriculture est de loin le principal secteur d’activité de l’Empire et elle assure des récoltes suffisantes pour nourrir l’ensemble de la population dans un cadre qui évolue peu à travers les siècles.
La coexistence de ces deux formes de paysannerie est un trait marquant et durable de l’Empire byzantin[N 3]. Le maintien d’une classe de petits propriétaires terriens devient parfois un souci du pouvoir impérial, dès lors que la charge fiscale croissante contraint certains d’entre eux à céder au statut deparèque, c’est-à-dire de locataire perpétuel d’une terre, dès lors que le loyer est honoré[88]. La différence de situation entre ces deux statuts est faible et le parèque n’est pas inférieur socialement à un propriétaire terrien, d’autant qu’il bénéficie de la protection du grand propriétaire[89]. Dans les deux cas, si le régime juridique de propriété de la terre est distinct, l’exploitation obéit au même principe d’une agriculture familiale. Néanmoins, les empereurs, notamment les Macédoniens, ont vu dans cette évolution un danger pour le modèle du paysan-soldat, propriétaire de sa terre et sensible à sa défense. En outre, elle favorise l’émergence d’une aristocratie puissante et donc menaçante.
Sans être d’une efficacité pérenne, les mesures impériales, à l’image de l’allèlengyon, qui oblige un riche propriétaire à s’acquitter des impôts d’un propriétaire appauvri sans pour autant pouvoir s’emparer de ses terres, favorisent pour un temps la permanence du modèle d’une petite paysannerie détentrice de terres. Néanmoins, sous les Comnènes, les grands propriétaires terriens sont devenus largement majoritaires[90],[91],[CH 7]. Ils peuvent être civils mais aussi ecclésiastiques, avec l’importance croissante des terres détenues par les monastères, l’Église s’affirmant comme le deuxième propriétaire terrien après l’État[92]. Avec la disparition du petit propriétaire, les parèques deviennent le statut normal des paysans dans les derniers siècles. S’ils ont normalement les droits civils d’un homme libre, ils sont, de fait, placés dans une dépendance économique accrue envers les archontes locaux qui se substituent à l'État, en particulier dans le prélèvement de l’impôt. Cela ne va pas sans abus, entraînant une dégradation sensible de la condition paysanne sous les Paléologues[93]. Enfin, le monde rural ne se limite pas à l’agriculture car d’autres métiers s’y pratiquent : bûcherons, charrons, charpentiers, cordonniers, forgerons, marchands, meuniers, tailleurs[94].
Quel que soit le régime juridique de la terre exploitée, l’exploitation familiale est proche d’une économie de subsistance dont l’autarcie constitue l’idéal agricole par excellence. Il en découle une stagnation de la productivité agricole puisque l’accroissement de la quantité produite n’est pas recherché. Par conséquent, les terres cultivées sont d’une superficie réduite. Le jardin, le potager, le verger assurant la survie de la famille, est incontournable[95]. Si l’agriculture byzantine a parfois été décrite comme peu efficace, elle n’en dispose pas moins de réelle capacité d’adaptation à des évolutions de situation, notamment pour assurer une production plus importante avec le retour de la prospérité économique auIXe siècle[96]. Plus largement, l’agriculture byzantine a été largement amputée de ses terroirs les plus productifs par lesinvasions arabes qui ont privé l’Empire de l’Égypte dont la production contribuait, au travers de l’annone, à nourrir les villes impériales, dont la populeuse Constantinople. Les Balkans et l’Asie Mineure sont des régions moins fertiles à la géographie plus montagneuse, aux espaces agricoles plus restreints et fragmentés, aux moyens de transport plus limités[97].
Les céréales sont de loin la principale production agricole, en particulier leblé. Les recherches récentes attestent d’une productivité plutôt élevée. Levin est répandu dans les environs des villes avec descépages réputés comme lamalvoisie, et lesoliviers sont aussi courants dans les champs byzantins[CH 8],[98].
Maisonpontique traditionnelle des bords de lamer Noire, à l’abandon dans les années 1960.
Si la culture paysanne assure la production de fruits, de légumes ou encore de vins, l’élevage est surtout pratiqué sur les terres impériales. L’État est de loin le premier propriétaire terrien et ses possessions, recouvrant parfois des terres incultes comme le centre du plateau anatolien, sont utilisées pour faire paître du bétail ou des chevaux[99].
Au-delà de son rôle agricole, le village-paroisse est la structure sociale de base de l’Empire dont il est la principale source de revenus fiscaux. Les contribuables du village sont solidaires envers le fisc : si l’un d’entre eux n’est pas en mesure d’acquitter ses obligations fiscales, les autres doivent s’en charger[100],[101]. L’habitat rural, le plus souvent regroupé, demeure mal connu et le mobilier est modeste[CH 9] mais compte tenu des vestiges archéologiques des fondations, il semble que les maisons médiévales des Balkans et d’Anatolie ne soient pas très différentes des maisons byzantines : taille modeste, plan carré, cellier-grange en pierre au rez-de-chaussée, habitation en bois au-dessus, toit de tuiles romanes.
Vestiges des murailles byzantines de Thessalonique.
Tout au long de son histoire, la structure urbaine de l’Empire byzantin connaît de profondes évolutions. À ses origines, le réseau de cités romaines est dense et dynamique. Relativement épargné par les secousses du début de l'Antiquité tardive, il est au cœur d’une vie riche, marquée par la domination d’une aristocratie urbaine et la coexistence de communautés culturelles nombreuses. La vie urbaine n’est pas sans troubles ni violence. Le phénomène desfactions connaît son apogée dans les premiers siècles de l’Empire byzantin. Ces regroupements de citoyens en fonction des équipes de chars soutenues lors descourses de chars sont souvent à l’origine de violences urbaines, culminant avec lasédition Nika en 532. Néanmoins, à partir de la fin du règne de Justinien, les cités byzantines connaissent un déclin. Certaines sont fragilisées ou détruites par la multiplication detremblements de terre et lapeste justinienne contribue à un certain dépeuplement, amplifié par laguerre perso-byzantine de 602-628 qui ravage une grande partie des provinces orientales[102]. Dans les Balkans, les invasions slaves entraînent l’effondrement du réseau de cités dans l’intérieur des terres[103]. Au cours de la période mésobyzantine, les villes sont de tailles plus modestes, ne dépassant que rarement les 10 000 habitants[104]. Elles se structurent alors autour d’une acropole, lekastron, qui devient la dénomination usuelle de la ville en remplacement depolis, où peut se réfugier la population en cas d’attaques[FL 1]. Avec le regain territorial de l’Empire byzantin, les villes connaissent à nouveau une croissance démographique. En Asie Mineure où les Arabes refluent de même que dans les Balkans où les Slaves sont soumis, les cités sont moins exposées. Dans les derniers siècles, le nombre de cités aux mains des Byzantins se réduit considérablement, mais dans les provinces qu’ils gardent encore, des centres urbains conservent une certaine prospérité.Mistra, la capitale dudespotat de Morée fondée par les Francs à l’époque de laprincipauté d'Achaïe, en est le meilleur exemple. Elle est alors une place commerciale autant qu’un lieu culturel florissant[105].
Palais de Mistra.
Parmi les cités importantes de l'époque mésobyzantine,Thessalonique occupe une place cardinale. Deuxième cité de l’Empire, elle pourrait bien avoir été la seule en dehors de Constantinople à dépasser les 100 000 habitants[106]. Elle est un centre commercial de premier plan grâce à un riche arrière-pays et à son port très fréquenté.Dyrrachium est aussi une position stratégique, sur la route entre l’Italie et Constantinople.Nicée, cité primordiale dans l’histoire religieuse de l’Empire, garde une certaine importance à travers les siècles, comme en témoigne son statut de capitale quand l’Empire byzantin s’exile en Asie Mineure entre 1204 et 1261. Globalement, ces centres urbains sont le siège d’un dynamisme économique, souvent aux carrefours de plusieurs routes. La reprise de l'activité économique sous les Macédoniens va de pair avec un renouveau urbain, les villes organisant des foires et des marchés réunissant les principales productions locales. Les villes de Grèce commeThèbes ouCorinthe jouissent de l'essor des productions textiles et de lasoie byzantine particulièrement répandue[CH 10]. Pour les cités commeAthènes qui ne peuvent compter sur une production spécifique, c'est le dynamisme accru de l'agriculture et de l'artisanat qui permettent leur développement comme lieux d'échanges[107]. En Anatolie, le même phénomène d'accroissement des cités est noté avec la fin progressive des raids arabes.Nicée etNicomédie abritent des marchés d'importance et de nombreuses foires plus modestes parsèment le territoire, attestant de la reprise économique[108]. En revanche, le nord des Balkans, plus exposé, ne connaît pas un essor similaire des échanges et donc des centres urbains. Quoi qu'il en soit, la croissance des villes ne va pas forcément de pair avec un regain des constructions qui, dans l'ensemble, restent modestes[109].
Constantinople,« NouvelleRome », est le cœur de la puissance impériale. Elle est la raison d’être de l’Empire d’Orient[FL 2]. Sa création parConstantin constitue l’une des dates de naissance du monde byzantin. Sachute en 1453 en signe le terme. La disproportion entre la puissance, la taille de Constantinople et le reste des cités byzantines explique à quel point cette ville occupe une place capitale dans la destinée impériale. Si Rome n’a pas toujours été la capitale de l’Empire romain, Constantinople a toujours été celle de l’Empire byzantin, sauf quand elle estoccupée par les Latins entre 1204 et 1261[KA 2].
Le site stratégique de Constantinople, fondé sur l’antiqueByzance, explique son importance et son développement rapide pour en faire un pôle de l’Antiquité tardive puis duMoyen Âge. À la confluence de l’Orient et de l’Occident, sur la route maritime reliant lamer Noire et lamer Méditerranée, sa position lui assure une prospérité économique. Ses ports et ses marchés attirent les marchands du monde entier. Les marchands italiens ne s’y trompent pas quand ils s’installent dans des quartiers entiers pour commercer, prenant le pas sur les Byzantins à partir duXIe siècle. Militairement, elle jouit aussi d’une situation exceptionnelle[111]. Située sur un triangle dont les deux côtés sont bordés par la mer, notamment par laCorne d'Or, un port naturel, elle est facilement défendable, d’autant queThéodose II crée unedouble rangée de murailles qui résiste à tous les sièges jusqu’à celui de 1453[N 4], marqué par l’avènement de lapoudre à canon. Lamultiplicité des sièges qu’a subie la capitale impériale représente l’enjeu qu’elle constitue pour tout envahisseur. Sur le plan interne, elle est le cœur absolu du pouvoir. Tout prétendant au trône ne peut espérer régner sans s'emparer de la Cité, où se retrouve l'aristocratie la plus influente[112].
Si la Cité connaît un déclin démographique sensible après le règne deJustinien Ier, elle se repeuple progressivement et atteint une population supérieure à 500 000 habitants, ce qui en fait la ville la plus peuplée du monde chrétien. Elle comprend un grand nombre de bâtiments grandioses qui remontent pour certains à sa fondation par Constantin. Créée sur le modèle de Rome, elle abrite unhippodrome, lieu de rencontre du peuple et de l'empereur, ainsi qu’un forum, conformément au standard romain. D'autres bâtiments sont peu à peu créés comme leGrand Palais, où réside l’empereur avant qu’il ne se déplace vers lepalais des Blachernes ou encore labasilique Sainte-Sophie, chef-d’œuvre du règne de Justinien, qui n’est que l’une des nombreuses églises de la ville. Siège dupatriarcat œcuménique de Constantinople qui n'hésite pas à concurrencer Rome, Constantinople est une capitale culturelle et spirituelle de premier plan[113]. LaMésè, principale artère de la cité, est le lieu de concentration de l'artisanat et du commerce constantinopolitains. Un grand nombre de métiers cohabitent dans la ville, comme en témoigne leLivre de l'Éparque qui donne le détail de la structuration des différentes corporations, plus ou moins largement réglementées par le pouvoir politique incarné par l'éparque, le préfet de Constantinople[114]. L'implantation des différents métiers structure certains quartiers avec leChalcoprateia pour les chaudronniers, leKéropoleia pour les fabricants de cierges ou l’Artopoléia pour les boulangers[KA 3]. Cette bourgeoisie urbaine est un aspect fondamental de la capitale et ses insurrections revêtent parfois une violence rare comme lors de lasédition Nika qui menace de mettre un terme précoce au règne de Justinien en 532. Les marchands sont aussi très nombreux et sont autant byzantins qu'étrangers avec la création de quartiers regroupant les marchands originaires des différentes cités commerçantes italiennes[115]. Si l'aristocratie est très concentrée à Constantinople, la ville est aussi largement peuplée de populations plus modestes, allant des esclaves aux indigents[116]. Du fait de ses richesses, Constantinople jouit d’une réputation d’abondance attisant les convoitises, jusqu'à sonsac par les croisés en 1204. Irrémédiablement appauvrie par cet épisode, concurrencée par les colonies commerciales italiennes commePéra, elle sombre dans une période de déclin prononcé, notamment sur le plan démographique, concordant avec l’affaiblissement progressif de l’Empire. Quand elle tombe aux mains des Ottomans, sa population ne dépasse guère les 50 000 habitants[117].
Personnification du Sénat selon le diptyqueconsulaire de Théodore Philoxène.
Selon le byzantinisteGilbert Dagron, la noblesse byzantine« est une noblesse de fonction et non de naissance, mais tendant à l'héréditaire »[118]. Là encore, la nature romaine de l'Empire byzantin se fait ressentir. La naissance à elle seule n'assure pas toujours une place de rang dans la hiérarchie. Le mérite, tout autant que les faveurs impériales, jouent un rôle majeur, ce qui distingue en partie l'Empire byzantin du reste de l'Europe où l'ordre social est souvent plus rigide. La société byzantine permet une élévation sociale, en particulier pour des individus issus de la classe moyenne. Néanmoins, cet aspect ne doit pas être exagéré[119].
La classe dirigeante de l'Empire byzantin est étroitement liée auSénat byzantin[120]. En tant que nouvelle Rome, Constantinople ne pouvait se dispenser d'un Sénat, une institution fondamentale de la romanité. AuIVe siècle, leSénat romain a déjà perdu une grande partie de son influence historique et ses pouvoirs politiques sont restreints. De ce fait, le Sénat byzantin n'occupe pas une place aussi grande dans les destinées politiques de l'Empire, surtout à partir du tournant duVIIe siècle[121]. Cependant, il continue à rassembler l'élite sociale et constitue un puissant marqueur social[122],[123]. Les fonctions les plus prestigieuses vont de pair avec une appartenance au Sénat, une exigence mise en place par Constantin qui conduit au déclin de l'ordre équestre. L'augmentation du nombre de sénateurs permet d'intégrer une composante large des classes supérieures de la société byzantine, y compris des membres de l'administration provinciale, même si la subdivision des sénateurs en trois catégories (lesspectabiles, lesclarissimi et lesillustres par ordre d'importance) maintient une différence de prestige entre les membres de cette institution[124].
Historiquement, une césure apparaît auVIIe siècle avec les bouleversements qui ébranlent l'Empire jusque dans ses fondations. Une grande partie de l'aristocratie des premiers temps de l'Empire disparaît[N 5], notamment les curiales, l'administration municipale qui ne survit pas au déclin des cités. Une nouvelle élite apparaît, souvent d'origine militaire et qui s'élève par la voie des armes en combattant les différents ennemis de l'Empire[CH 11]. L'aristocratie byzantine se caractérise de plus en plus par l'existence de familles puissantes qui parviennent à rester proches des plus hautes sphères du pouvoir de génération en génération, à l'image desDoukas, desMélissène ou desPaléologue, certaines d'entre elles occupant même le trône impérial[125]. En effet, si les fonctions ne sont pas héréditaires, la fortune l'est, quoique partagée entre les descendants, qu'ils soient hommes ou femmes. Cette fortune provient de deux sources : les propriétés foncières et le service de l'État, incarné par laroga, le salaire annuel perçu par les dignitaires de l'Empire. À quelques exceptions, l'aristocratie reste éloignée du monde des échanges et des affaires, conformément à la tradition romaine qui fait du service de l'État l'activité la plus honorable[126]. C'est seulement dans les dernières décennies que les plus grandes familles byzantines s'adonnent au commerce pour compenser les pertes territoriales[127]. Une classe d'importants propriétaires terriens parvient à se constituer au fil des siècles, suscitant parfois les réactions d'un pouvoir impérial inquiet d'y voir une source de contestation de son autorité et une menace au maintien d'une classe de petits propriétaires terriens qui forment le cœur de l'armée byzantine. LeXIe siècle voit culminer la puissance de ces clans aristocratiques, parfois hâtivement divisés entre une aristocratie civile et une aristocratie militaire[128],[N 6], à l'occasion de la longue guerre civile qui suit l'extinction de la dynastie macédonienne. L'arrivée au pouvoir des Comnènes issus de la noblesse militaire entraîne un resserrement de l'aristocratie autour de la famille impériale qui devient le centre du pouvoir[129]. Les alliances matrimoniales sont alors l'occasion de grimper dans la hiérarchie en obtenant des titres de plus en plus prestigieux, en partie liés à la proximité familiale avec l'empereur[130]. Au contraire, la bourgeoisie marchande parvenue à s'élever jusqu'au Sénat est mise à l'écart[131]. Si l'ascension sociale est restreinte, une mobilité persiste dans les plus hautes fonctions, parfois occupées par des dignitaires d'origines étrangères, notamment venant d'Europe occidentale. C'est une constante de l'Empire byzantin que d'intégrer des étrangers dans son administration, à l'image des Arméniens, particulièrement nombreux dans les sphères du pouvoir sous les Macédoniens[119],[CH 12].
L’un des aspects fondamentaux de l’évolution aristocratique est le phénomène de lapronoia qui émerge à grande échelle sous les Comnènes. Il désigne l’obtention de terres et surtout des revenus fiscaux afférents revenant normalement à l’État pour s'assurer du soutien de membres de l'aristocratie. Ce mouvement favorise un affaiblissement de l’autorité impériale qui cède une partie de ses revenus et consent aussi à une hérédité au moins partielle de la concession, même si elle demeure révocable[132]. Lapronoia a fait l’objet de débats à propos de l’introduction d’un féodalisme qu’elle entraînerait dans les structures centralisées de l’Empire byzantin, mais il apparaît aujourd’hui que cette association est dépassée[133]. Quoi qu’il en soit, le développement de lapronoia sous les Paléologue contribue à une autonomisation de l’aristocratie et à un affaiblissement de l'autorité centrale[134],[135]. De surcroît, l’aristocratie terrienne traditionnelle est confrontée au déclin territorial qui la prive de ses ressources et favorise un mouvement d’accaparement des terres restantes au détriment de ce qui pourrait être qualifié de classe moyenne. Les deux guerres civiles duXIVe siècle tirent en grande partie leurs origines dans l’opposition entre cette élite et le reste de la population qui ressent de plus en plus mal les inégalités, ainsi qu'une charge fiscale croissante[CH 13].
Théodora représentée sur une mosaïque de la basilique San Vitale de Ravenne (VIe siècle).
L’étude de la place des femmes dans la société byzantine est relativement récente et se heurte au manque de sources pour l’appréhender correctement, notamment pour les femmes appartenant aux classes sociales les moins élevées[136].
Globalement, la position traditionnelle des femmes dans l'Empire byzantin est d'élever les enfants et de s'occuper du foyer[137]. Pour autant, les femmes ont des possibilités professionnelles qui leur sont reconnues: elles peuvent exercer un métier (sauf certainesfonctions publiques qui ne leur sont pas accessibles comme celle dejuge ou d'avocat) ou encore posséder uneentreprise[137]. Certaines femmes arriveront à dépasser les limites culturelles existantes pour devenir notamment philosophes, écrivaines ou encore femmes d'affaires[137]. On peut citer le cas d’Anne Comnène, la fille de l’empereur Alexis Ier, dont le roman l’Alexiade est un matériau précieux pour l’étude de son règne, ou encoreAnicia Juliana, qui fut à la tête d'une imposante fortune personnelle.
Si l'éducation des femmes reste un mystère[140], un certain nombre d'entre elles, particulièrement dans les milieux les plus modestes, travaillent et subviennent aux besoins de la famille. Selon les sources historiques, le niveau d'alphabétisation des femmes dans l'Empire byzantin a été supérieur à celui existant dans l'Europemédievale[137].
Les femmes ont un accès complet à lajustice mais seulement pour défendre leurs propres intérêts ou dans les affaires où elles sont concernées, ce qui exclut d'agir en justice pour le compte de tiers[141]. Dans la vie privée, le mari détient l’autorité sur les enfants.
Dans la vie religieuse, les femmes ne peuvent pas devenir prêtres. En revanche, les monastères féminins leur permettent d’occuper une place et il existe une égalité spirituelle entre hommes et femmes[137].
Le droit leur garantit un certain niveau de protection. L'obligation de connaissance du droit ne s'applique pas à elles avec la même rigueur et elles peuvent être déliées d'obligations qu'elles ont contractées[142]. En droit civil comme en droit pénal, elles sont traitées différemment. Le rapt est particulièrement sanctionné, de même que la contrainte exercée sur des femmes pour qu'elles deviennent ou restent soit prostituées, soit actrices. Le métier d'actrice dans l'Empire byzantin, est moralement discrédité, en raison de la présence fréquente dans cette profession de pratiquespornographiques[137]. Plus généralement, tout ce qui pourrait attenter à la pudeur d'une femme est sévèrement puni, dans une optique de préservation de la moralité, y compris contre elles-mêmes. L'image de la tentatrice est forte dans la société byzantine et leurs vêtements sont conçus pour masquer leurs formes[KA 4].
En revanche, une fois déliées d'une autorité masculine, notamment pour les veuves, elles bénéficient de droits accrus. Dans l'ensemble, le rôle de la christianisation a fait l'objet d'un grand nombre de débats, mais, s'il n'a pas donné tous les droits aux femmes, il pourrait avoir joué un rôle dans une amélioration de leur protection[143],[144]. Dans les villes, le moralisme de l'Église aboutissait à« une rigoureuse réclusion des femmes. Aucune femme respectable ne se serait montrée dans la rue non voilée »[110].
La cellule familiale est appelée l’oikos, soit le foyer, qui assure à la fois une fonction économique de subsistance de base, puisque c’est le modèle agricole de la petite paysannerie ou la boutique de l’artisan, et une fonction sociale. La famille prend un sens différent pour les classes populaires et la paysannerie que pour l’aristocratie, où elle constitue un moyen d'influence dans la société. Les parents vivent avec leurs enfants jusqu’à ce qu'ils se marient eux-mêmes. Lemariage est conçu comme l’union de deux individus autant que comme l'alliance de deux familles. Dès 14 ans pour un garçon et dès 12 ans pour une fille, le mariage peut être prononcé. Progressivement, l'Église s'immisce dans les règles du mariage normalement régies par le droit civil. Elle s'en sert comme d'un levier pour encadrer plus étroitement la vie privée. Cette évolution ne va pas sans résistance, mais s'impose avec le temps.
Les divorces sont rendus plus difficiles, même si la justice est généralement souple dans l'application des textes. De même, le remariage est limité à certaines circonstances. Les fiançailles deviennent un engagement devant Dieu qui ne peut être rompu et non plus uniquement un contrat civil[145]. Si l’homme reste le chef de famille, ses pouvoirs sont moins étendus qu’à l’époque romaine, il n’a pas un complet droit d’usage de la dot. En dehors du mariage, leconcubinage n’a jamais disparu dans la société byzantine, et les enfants qui en sont issus peuvent accéder à des postes importants. La sexualité est marquée par l’influence chrétienne qui en restreint la pratique à la procréation et prône l’abstinence dans de nombreuses situations, en particulier lors des jours de fête. Condamnée par l’Ancien Testament, l’homosexualité est interdite et passible de mort, même si les cas d’exécution pour ce motif sont très rares[KA 5].
Contrairement aux Romains dont les vêtements laissaient paraître les bras et les jambes, les Byzantins, tant hommes que femmes, portent des vêtements ne laissant paraître que la tête, cols et manches étant serrés autour du cou et des poignets. Selon les saisons, les deux sexes aiment également superposer diverses épaisseurs de vêtements, les hommes portant une tunique et des pantalons sous leurdalmatique alors que les femmes portent un long sous-vêtement sous leurstola et unpaludamentum ou long manteau par-dessus[146].
À partir du règne deJustinien Ier auVIe siècle et l’introduction duver à soie àConstantinople, les ateliers impériaux produisent et exportent des tissus aux motifs variés, en particulier de la soie tissée et brodée pour les riches ainsi que des tissus résistants au lavage et imprimés pour les couches moins fortunées de la société. Souvent une bordure extérieure ou passementerie sur les bords les agrémente alors que de minces bandes en nombre variable le long du corps ou des bras indiquent la classe ou le rang. Les gouts des classes moyennes et supérieures sont dictés par les styles en vogue à la cour. Comme en Occident au cours du Moyen Âge, les pauvres doivent se contenter de vêtements plus modestes et en moindre nombre en raison de leurs prix élevés[147] ; de plus, les vêtements féminins doivent pouvoir s’adapter aux modifications du corps au cours des grossesses[148].
Mesures commerciales byzantines, Musée archéologique deVarna.Les routes commerciales de l'Europe de l'Est avec, en violet, la route permettant auxVarègues de commercer avec les Byzantins.
La puissance économique byzantine participe à son influence autant qu’à sa longévité. Alors que l’Empire romain d'Occident connaît un déclin économique autant que politique, l’Empire d’Orient conserve un dynamisme des échanges qui lui permet de résister aux difficultés des « invasions barbares ». La situation géographique de l’Empire, symbolisée par Constantinople, lui confère un rôle de carrefour des échanges. L’État est un acteur clé qui contrôle une large part de l’économie et des flux commerciaux. Certains secteurs stratégiques sont sous son contrôle direct et les échanges sont taxés à hauteur de 10 % au travers dukommerkion, assurant des rentrées fiscales non négligeables. Le gouvernement exerce un contrôle formel sur les taux d'intérêt et décide des paramètres pour l'activité des guildes et des sociétés, pour lesquels il a un intérêt spécial. L'empereur et ses fonctionnaires interviennent pendant les crises pour garantir l'approvisionnement de la capitale et limiter le prix des céréales. À ses débuts, l’Empire contrôle un vaste ensemble de provinces qui lui assure des ressources nombreuses. Néanmoins, l'économie n'est pas étatisée[149], elle permet à une forme de bourgeoisie de se développer et de prospérer aux côtés de l'aristocratie traditionnelle[150].
Les routes terrestres et maritimes de la soie.
L'Empire est attentif au maintien d’un système de routes qui favorise les échanges entre les différentes régions même si l’ensemble du commerce se fait par la mer. LaVia Egnatia qui relie Constantinople à l'Adriatique (àDyrrachium) en passant parThessalonique est la principale voie de communication. L’Empire est aussi une destination de laroute de la soie qui permet d’échanger des produits venant de l’Asie. Lasoie est alors un tissu de luxe qui finit par êtreproduite au sein des frontières impériales. Lesépices sont aussi très recherchées. Jusqu’à la perte de l’Égypte, qui joue longtemps le rôle de grenier à blé, l’Empire contrôle une bonne partie du commerce de lamer Rouge qui le met à portée directe dumonde indien. Si Constantinople, dont les ports accueillent des navires de tous horizons, domine largement le commerce international, d'autres villes provinciales ont un rôle économique non négligeable :Trébizonde est un important port dans le commerce de lamer Noire, en provenance duCaucase, et Thessalonique accueille aussi un grand nombre de navires[151]. Depuis le Nord, l’Empire byzantin est aussi un point d’aboutissement d’importantes routes commerciales, dont laroute de la Volga empruntée par lesVarègues et lesRus'. Parson implantation en Crimée, l’Empire peut directement commercer avec ces peuples[152]. De l’Empire byzantin, les Varègues rapportent du vin, des épices, des bijoux, du verre, des étoffes précieuses, des icônes et des livres. Le nord de laRussie fournit du bois, des fourrures, dumiel et de lacire, alors que les tribus baltes vendent de l’ambre. En retour, l'Empire leur fournit des fruits, du vin et des produits finis (textile, orfèvrerie, métallurgie). Byzance est aussi un carrefour du commerce des esclaves entre les Varègues et les terres musulmanes[153]. Vers l’ouest, il contrôle une large part du commerce méditerranéen, au moins jusqu’à l’époque des Comnènes qui voit l’apparition des républiques maritimes italiennes. Le déclin de la puissance byzantine coïncide étroitement avec la perte de sa mainmise des grandes routes commerciales qui ont fait sa richesse. À partir de 1204, l’Empire est aux prises avec les puissances rivales deGênes et deVenise qui contrôlent de plus en plus de comptoirs commerciaux, y compris à proximité même de Constantinople avec la colonie génoise dePéra[154],[117]. Byzance est alors privée d’une importante source de revenus. Pour autant, la cité de Constantinople reste jusqu’en 1453 un verrou crucial du commerce avec l’Orient et sa chute contribue à un certain déclin du commerce dans la région.
Les institutions byzantines reposent sur une conception romaine du pouvoir et du droit. En dépit de cet héritage, elles s'adaptent très bien aux évolutions de cet Empire durant les mille années de son existence. L'empereur est un véritable autocrate, jouissant de pouvoirs étendus tant en matière temporelle que spirituelle. L'influence du christianisme lui confère une légitimité qui touche au divin mais ne le protège pas des soulèvements et dépositions qui sont incontournables dans le monde politique byzantin et constituent la principale limite à son autorité. Pour régner, l'empereur peut s'appuyer sur une administration centralisée et très structurée. Régionalement, ce cadre parvient à évoluer en fonction des périodes d'expansion et de rétractation territoriales de l'Empire. Enfin, la permanence des institutions byzantines est permise par l'usage conjoint de la diplomatie, au travers d'un large panel de leviers d'actions et de l'armée qui préserve longtemps l'Empire des nombreux adversaires auxquels il fait face.
Le pouvoir de l'empereur repose sur une conception monarchique issue des réformes deDioclétien et deConstantin, ce dernier met aussi en place une légitimité religieuse qui se confirme au fil des siècles. L'empereur devient l'élu de Dieu. Lors des premiers siècles de l'Empire, l'empereur détient le titre d’Imperator Caesar avant qu'Héraclius ne lui substitue le terme deΒασιλεύς, terme grec traduit enbasileus. À l'image de la tradition romaine, la légitimité dynastique manque de solidité et la légitimité élective (acclamation par le peuple, le Sénat et l'armée) reste une réalité, au moins théorique jusqu'aux Isauriens[160]. Cela explique le nombre relativement important de conspirations et de dépositions, y compris après la consolidation de la légitimité dynastique auVIIIe siècle. Le fait d'être le fils de l'empereur ne constitue pas une garantie de légitimité suffisante pour accéder au trône[50],[FL 3]. Par conséquent, les empereurs sont souvent attentifs à faire couronner leurs enfants de leur vivant et les périodes de régence sont particulièrement agitées, à l'image du court règne d'Alexis II Comnène qui aboutit à la fin de la dynastie des Comnènes[161]. Lebasileus peut toujours voir son autorité remise en cause en cas de défaites, de politiques religieuses contraires à l'orthodoxie ou encore d'une quelconque crise de grande gravité. L'empereur ne doit en effet jamais se détourner de la préservation du bien commun. Dès lors qu'il met de côté celui-ci au profit de son bien propre, il devient selon les termes de Jean-Claude Cheynet un « tyran » qu'il faut renverser[50]. Une usurpation réussie devient alors le signe que Dieu répand ses faveurs sur le nouvel empereur. D'une certaine façon, ce droit à la révolte constitue la principale limite à l'autocratie byzantine[162]. Néanmoins, la solidité de la dynastie macédonienne et l'ampleur de la crise interne qui suit son extinction auXIe siècle ou encore la permanence de l'autorité des Paléologue entre 1258 et 1453 signalent l'évolution des pratiques en faveur d'une légitimité dynastique toujours plus grande[163].
En ce qui concerne les pouvoirs de l'empereur, ils sont proches d'un régimeabsolutiste. Sa légitimité divine lui confère une autorité forte tant en matière temporelle qu'en matière spirituelle où il lui arrive de concurrencer lepape ou lepatriarche de Constantinople (voir ci-dessous). L'empereur est« la loi vivante ». Il dit le droit et ses décrets ont valeur de loi. Du fait de sa position, il est au-dessus des lois (Princeps legibus solutus est)[164] mais se conforme de fait à un certain nombre de principes, au premier rang desquels figurent les préceptes de l'Église[165],[162]. La pratique du couronnement par le patriarche, devenue un passage obligé dans le processus de légitimation du nouvel empereur, signale son orthodoxie, un impératif pour toute prétention au trône[138]. L'empereur est aussi le juge suprême, toutes les décisions de justice sont rendues en son nom et il a toute autorité pour réviser un jugement[166].
Carte du Grand Palais, entouré de labasilique Sainte-Sophie et de l'Hippodrome, deux lieux primordiaux dans la symbolique byzantine du pouvoir.
Si la fonction impériale peut faire l'objet d'une rude concurrence et de violentes répressions, comme en témoigne la pratique de l'aveuglement d'un empereur déchu, elle est aussi au cœur d'une symbolique forte du pouvoir. La cour impériale est l’incarnation du principe d’un empereur lieutenant de Dieu sur terre. Tout est fait pour rappeler le caractère divin du pouvoir. Les cérémonies y sont précisément codifiées et l’autorité impériale est constamment entourée d’une part de mystère qui en renforce la majesté et donc la légitimité.Constantin VII Porphyrogénète déclare ainsi que la vie de cour reflète« le mouvement harmonieux que le Créateur donne à tout cet univers »[167],[168]. L’empereur ne se montre que rarement et chacune de ses apparitions est entourée de fastes. Quand il fait connaître ses décisions, la cérémonie prend le nom desilentia, un nom évocateur qui fait référence au silence. Il ne s’exprime jamais directement mais par l’intermédiaire de gestes ou de « traducteurs ». Tout dignitaire qui se présente devant lui doit sacrifier au rite de laproskynèse, une prosternation complète aux pieds de l’empereur qui tire son origine de l'Empire perse. La pourpre impériale dont est revêtu l'empereur est entouré d'une sacralité[169]. Un véritable culte du pouvoir s’érige donc autour de la personne impériale[168].
Les insignes d'unmagister officiorum de l'Empire d'Orient, visibles dans laNotitia dignitatum : le titre de l'office sur un présentoir, des boucliers avec les emblèmes des unités desscholæ palatinæ, et un assortiment d'armes et d'armures attestant la supervision des arsenaux impériaux.
Pour gouverner, l’empereur peut se reposer sur une administration parfois décrite comme complexe, mais néanmoins efficace et susceptible de s’adapter aux transformations du monde. À la différence d'autres États médiévaux en Europe occidentale, caractérisés le plus souvent par des administrations réduites et une forte décentralisation, l'Empire byzantin repose sur une centralisation forte du pouvoir, assuré par une administration très structurée[170]. Attentifs à ce que le monde soit organisé le plus précisément possible, les Byzantins favorisent une structuration administrative assurant l’ordre des choses. Cette rigueur contribue à en faire l'un des systèmes administratifs les plus efficaces de son temps[170].
Là encore, la permanence des institutions du Bas Empire laisse peu à peu la place à un modèle plus spécifiquement byzantin dans les premiers siècles qui suivent la séparation de la romanité en deux espaces. L’Empire romain d’Orient reprend les grands principes administratifs romains comme la séparation des administrations civiles et militaires. Les préfectures du prétoire sont les grandes circonscriptions civiles de l’Empire et le préfet du Prétoire d’Orient occupe une place cardinale dans le gouvernement des premiersbasileus. À ses côtés, lemaître des offices a plus spécifiquement la charge des ministères palatins ainsi que le commandement des régiments de la capitale[171].
Au niveau central, l’administration se caractérise par sa complexité et la multiplicité des offices et bureaux, parfois sans réelle organisation logique. La dualité entre le préfet du prétoire et le maître des offices n’est qu’une des incarnations de cette structuration duale et variable dans le temps. Le domaine fiscal et financier est un autre bon exemple de cette organisation enchevêtrée. Si le préfet du prétoire gère la majeure partie des finances publiques, il doit composer avec lecomte des largesses sacrées, gérant certains pans des finances publiques (les droits de douane, les mines ou encore les ateliers montéires) et lecomte du domaine privé, spécifiquement chargé de l’administration des biens de l’empereur, distinct des biens publics. Pour autant, toutes ces fonctions disparaissent au tournant duVIIe siècle, sans que jamais l’administration financière ne soit unifiée sous un seul bureau. Par bien des aspects, la distinction entre lesacellaire, gérant les biens de l'empereur, et lelogothète du génikon, responsable de l'administration fiscale[172], recouvre celle entre respectivement le comte du domaine privé et le comte des largesses sacrées. Si l’administration financière des Comnènes se traduit par un resserrement des structures, la distinction entre les biens de l’empereur et les biens publics persiste. Dans tous les cas, ce qui pourrait apparaître comme une forme de mélange des genres peu lisible et source de lourdeurs est aussi et surtout un moyen d'assurer un contrôle mutuel des différents bureaux de l'administration entre eux[173].
Plus largement, l’administration centrale fonctionne autour de sortes de ministères qui, à partir duVIIe siècle, prennent le nom desekreta, dirigés par des logothètes. Lelogothète du Drome est longtemps le plus prestigieux d’entre eux[174], chargé notamment de la poste, des missions diplomatiques et des affaires étrangères mais d’autres coexistent comme le logothète du génikon, déjà cité, ou lelogothète de l’armée qui assure, entre autres, l’approvisionnement et la paie de l’armée[175],[176],[177]. Leprotasekretis est parfois considéré comme le véritable chef de l'administration centrale, dès lors qu'il dirige la chancellerie supervisant lessekreta, mais la nature du poste et sa dénomination évoluent grandement au fur et à mesure du temps[178]. Dans les derniers siècles, c'est lemésazon qui occupe cette position[179]. Lechartulaire du kanikleion est un autre poste influent puisqu'il a la garde de l'encrier impérial (lekanikleion) qui sert à la rédaction deschrysobulles, les principaux édits impériaux[CH 16].
L’administration byzantine se caractérise aussi par la profusion de titres et de dignités, témoignage de « l'obsession » des Byzantins pour lataxis, soit la façon de disposer les choses[180]. Comme l’indiqueMichel Psellos, « Deux choses soutiennent et supportent l’hégémonie des Grecs (des Byzantins) : les dignités et les richesses ». C'est une double hiérarchie qui s'impose dans la structuration sociale de l'élite de l'Empire : celle des fonctions qui confèrent un rôle spécifique et celle des dignités en tant que marqueurs sociaux. De nouvelles sont régulièrement créées, remplaçant parfois les anciennes au travers d’une inflation des titres. À cet égard, la période des Comnènes est une illustration frappante de ce phénomène[181]. L’empereur Alexis n’hésite pas à former toute une nouvelle hiérarchie de dignités à partir de celles desébaste pour honorer les membres de sa famille plus ou moins élargies, entraînant la dépréciation de dignités autrefois prestigieuses. Quoi qu’il en soit, ces dignités témoignent d’un ordre social bien précis. Elles sont rangées dans des ordres protocolaires dont certains nous sont parvenus (Taktikon Uspensky,De ceremoniis). La collation de ces titres s’accompagne de cérémonies et de la remise de signes distinctifs, et donne droit à percevoir laroga, un salaire annuel[CH 17]. Certains d’entre eux permettent aux récipiendaires de devenir membres du Sénat, à l’image desprotospathaires, symbolisant l'ascension sociale.
L'Empire byzantin accorde uneplace importante aux eunuques, plus grande que celle qu'ils pouvaient occuper sous la Rome antique. Socialement, ils occupent une place à part, considérés comme untroisième sexe, et peuvent être d'origine servile autant que des Byzantins de naissance. Politiquement, c'est au plus près de l'empereur qu'ils peuvent exercer leur influence. Leur chasteté leur confère une fiabilité qui plaît aux puissants, qui les laissent protéger et s'occuper sans crainte de leurs femmes mais aussi d'eux-mêmes. Cette fidélité s'incarne dans lecubiculum, la chambre de l'empereur, qui est leur domaine réservé, à l'image duPraepositus sacri cubiculi ou duparakimomène, littéralement celui qui dort aux pieds de l'empereur. Si ces fonctions peuvent apparaître comme similaires à celles de domestiques, elles permettent en réalité à leurs détenteurs une très grande proximité avec le pouvoir et une influence parfois importante, quoique dépendante de la personnalité de celui qui l'occupe[182]. Ils constituent un ordre à part dans l'aristocratie et dans la hiérarchie de l'État. Si certains titres réservés aux« hommes barbus » leur échappent, des fonctions et des dignités leur sont propres. Si l'Église est parfois méfiante envers ce corps influent, des dignitaires ecclésiastiques de haut rang, y compris des patriarches, ont pu être des eunuques[183].
Thèmes byzantins vers 750, au moment de leur apparition.
L'Empire byzantin voit son étendue territoriale grandement évoluer à travers les siècles. Dans ses premiers siècles, il conserve l'architecture héritée de l'Empire romain avec les préfectures du prétoire, les provinces et les diocèses. Ces circonscriptions civiles sont doublées de circonscriptions militaires dominées par les maîtres des milices, conformément au principe de séparation des autorités civiles et militaires. Toutefois, ce système ne survit pas à la crise duVIIe siècle. Déjà,Justinien Ier (qui règne de 527 à 565) tente de réformer les principes de l'administration provinciale en revenant, avec un succès mitigé, sur la séparation entre le civil et le militaire, parfois porteurs de lourdeurs administratives. Les territoires nouvellement conquis en Afrique du Nord et en Italie sont constitués enexarchats où le gouverneur (l'exarque) a des attributions civiles et militaires[184]. À partir d'Héraclius (qui règne de 610 à 641), les empereurs modifient progressivement l'architecture territoriale d'un Empire dont les dimensions se sont notablement réduites. Les thèmes deviennent les unités de base de cette administration. Ils se constituent autour des régiments de l'armée qui s'installent dans les diverses régions de l'Empire, notamment dans l'Asie Mineure où les Byzantins se sont repliés après les conquêtes arabes. Prenant les noms de ces régiments (Opsikion,Optimates), ils sont gouvernés par des stratèges, directement nommés par l'empereur, cumulant des fonctions civiles et militaires[185],[186][réf. incomplète],[KA 7]. Rapidement, ils deviennent les piliers de la résistance byzantine face aux invasions et raids auxquels l'Empire fait face. Reposant sur des armées locales mobilisables à tout moment, les thèmes permettent une réaction rapide et une défense efficace face aux assaillants[187].
Thèmes byzantins d'Asie Mineure vers 950. On constate d'une part la division des thèmes originaux en entités plus petites et d'autre part la constitution de thèmes frontaliers (Colonée,Lykandos) au fur et à mesure des progrès byzantins en Orient.
Thèmes byzantins à l'apogée de l'Empire à la mort deBasile II en 1025. On constate l'apparition des thèmes ou catépanats aux marges orientales de l'empire.
Les derniers siècles de l'Empire sont caractérisés par un déclin territorial progressif. Les thèmes ont alors disparu, remplacés par une organisation variable. Des gouverneurs locaux, lesképhales gouvernant les villes et leurs alentours[191], coexistent avec des territoires plus vastes, confiés à des membres de la famille impériale, les despotats. Au-delà, le phénomène de lapronoia et la décentralisation croissante du pouvoir avec l'affirmation d'archontes locaux de plus en plus influents va de pair avec la perte d'autorité de l'État central[192]. Cette organisation, parfois perçue comme une féodalisation de l'Empire byzantin, conduit à la constitution de territoires à l'évolution fortement autonome par rapport à Constantinople. Ledespotat de Morée survit ainsi quelques années à la disparition proprement dite de l'Empire en 1453. Pour autant, des travaux récents contestent l'interprétation d'un déclin généralisé de l'Empire et rappellent la permanence de l'autorité centrale, y compris dans les provinces autonomes[193].
Après lachute de Rome en 476, le défi majeur de l'Empire est de maintenir un ensemble de relations denses avec ses divers voisins. Lorsque ces nations se mettent à forger des institutions politiques officielles, ils deviennent dépendants de Constantinople. La diplomatie byzantine réussit rapidement à attirer ses voisins dans un réseau international de relations entre États[194]. Ce réseau tourne autour de traités, et incluant la bienvenue de nouveaux dirigeants dans la famille royale, de l'assimilation des attitudes sociales, des valeurs et des institutions byzantines[195].
Les Byzantins considèrent la diplomatie comme une forme de guerre usant d'autres moyens : leSkrinion Barbaron (« Bureau de barbares ») est la première agence de renseignement et collecte d'informations sur tous les Empires rivaux[196]. La diplomatie est préférée à la guerre et à la force militaire[197], ce qui a amené certains auteurs à parler de « faiblesse » de l'Empire byzantin dans ses relations avec l'étranger. L'armée servant prioritairement à défendre l'Empire ou à récupérer d'anciens territoires impériaux. Toutefois, héritière d'une tradition d'empire universel, la diplomatie byzantine considère tous les autres États comme subordonnés à l'Empire à des degrés variables en fonction de leur autonomie par rapport au pouvoir impérial[198],[199]. Cette conception romaine est particulièrement ancrée dans les premiers siècles.Clovis Ier (roi de 481 à 511) reçoit le titre de patrice tandis queThéodoric le Grand (roi de 493 à 526) quirègne sur l'Italie est reconnu comme roi d'Italie par l'empereurAnastase. Une supériorité juridique est donc maintenue au profit de l'Empire d'Orient. Par la suite, les empereurs ont une politique similaire envers les États slaves qui se constituent dans les Balkans, en particulier lePremier Empire bulgare. Implantés dans des terres romaines depuis des siècles, ils sont considérés comme relevant de l'orbite impériale et leur indépendance n'est jamais reconnue, conduisant dans le cas de la Bulgarie à sa soumission sousBasile II[200]. En règle générale, avec les États occidentaux, l'Empire entretient des relations diplomatiques dans lesquelles il affiche constamment sa supériorité symbolique. Il est le seul à pouvoir être gouverné par un empereur[201].
Néanmoins, cette prétention à une autorité universelle fait face à une réalité souvent moins favorable. La rétractation territoriale de l'Empire l'oblige à certaines concessions. Dès lors qu'il n'est plus en mesure d'assurer la protection du pape, ce dernier se tourne vers l'Empire carolingien et couronneCharlemagne empereur. C'est une profonde remise en cause de l'unicité et de la supériorité de l'Empire byzantin qui, après une phase de résistance, reconnaît à l'empereur franc le titre debasileus. Pour autant, les Byzantins maintiennent le principe de leur unicité en ne conférant le titre de« basileus des Romains » qu'à leur seul empereur[201],[202].
Face aux puissances orientales, l'Empire byzantin entretient des relations plus égalitaires. Avec la Perse desSassanides, il fait face à un empire ancien, rival traditionnel de Rome et qui constitue le pôle d'une autre civilisation. Si les guerres sont monnaie courante, elles sont entrecoupées de périodes de paix où les empereurs se traitent en égaux[203]. Quand la Perse s'écroule, remplacée par la puissance arabe plusieurs fois menaçante pour la survie même de l'Empire, le calife jouit aussi d'une position privilégiée même si la proximité affichée entre les deux souverains est moins forte. En revanche, avec les États arabes devenus indépendants du califat, l'Empire fait preuve de moins de prévenance[204].
De manière classique, la diplomatie byzantine passe par l'envoi et la réception d'ambassades selon des règles très codifiées. Les traités sont nombreux, notamment pour rétablir la paix, même s'ils sont régulièrement rompus. L'Empire byzantin use largement du tribut pour mettre fin à une menace. Sa richesse et sa capacité à produire des objets de luxe d'un raffinement presque sans égal constituent un attrait et une monnaie d'échange non négligeable. Il tire aussi parti de son prestige par la collation de titres nobiliaires à des souverains étrangers[N 7], les incorporant d'une certaine manière dans son aire d'influence et le confortant dans sa supériorité symbolique[205][réf. incomplète],[206]. Progressivement, surtoutà partir des Comnènes, le mariage devient un outil diplomatique[207]. L'Empire byzantin est aussi attentif à se servir de tous les leviers d'action dans ses interactions avec les autres États. Les politiques de conversion des peuples slaves menées à partir deCyrille et Méthode (qui œuvrent de 860 à 885) en sont l'illustration, les faisant entrer dans un « Commonwealth » byzantin[208][réf. incomplète].
L'armée byzantine des débuts de l'Empire n'est autre qu'une armée romaine. Il est difficile de donner une date de création à l'armée byzantine tout comme il est difficile de dater avec précision la naissance de l'Empire byzantin[210]. L'armée romaine de l'époque est divisée en deux corps. L'un, mobile, est chargé des expéditions aux divers confins de l'Empire (lescomitatenses), tandis qu'un corps de garnison basé sur leslimes doit défendre les frontières impériales (leslimitanei). Ces unités frontalières sont bien souvent de piètre qualité, mais illustrent la nécessité d'une frontière militarisée face auxinvasions barbares[211]. En Orient, quatre commandements frontaliers peuvent être distingués : celui du Danube, celui de Mésopotamie et d'Arménie face auxSassanides, celui de Palestine et de Syrie face aux tribus arabes, et celui d'Égypte devant défendre lavallée du Nil. Ces troupes sont positionnées le long d'une zone plus ou moins fortifiée selon la région (les fortifications sont nombreuses le long du Danube). Toutefois, ce système deslimes décline rapidement dès les premières années duVe siècle en raison de leur coût, de leur inefficacité et de la dispersion des troupes qu'il induit. Quant à l'armée de campagne, elle compte en 401, date de rédaction duNotitia dignitatum, plusieurs dizaines de milliers d'hommes rien qu'en Orient[212]. Les premiers temps de l'Empire byzantin voient aussi le développement de la cavalerie, cantonnée jusque-là à de petits contingents auxiliaires. Les cavaliers adoptent de lourdes armures et sont appeléscataphractaires[213].
Avec lesconquêtes rapides de la Syrie, de la Palestine et de l'Égypte par les forces arabes, les armées de campagne byzantines sont contraintes de se replier en Asie Mineure, une région protégée par la frontière naturelle constituée par les chaînes duTaurus et de l'Anti-Taurus. Les différents contingents de l'armée donnent alors leur nom aux zones où ils sont établis et où ils recrutent leurs troupes, ces nouvelles provinces devenant progressivement desthèmes[N 8],[CH 19]. Ainsi en est-il par exemple des troupes d'élite desOpsikion qui s'installent enBithynie. Toutefois, en plus de cette organisation militaire nouvelle subsistent encore certains régiments des premiers temps de l'Empire byzantin. En fonction des besoins militaires, de nouvelles circonscriptions militaires sont créées en Europe ou à partir de thèmes plus vastes en Asie Mineure. Ce système d'armées régionales reposant sur un réseau dense de forteresses est particulièrement efficace contre les raids systématiques lancés par les Arabes après l'échec dudeuxième siège de Constantinople en 717-718. En effet, la lutte contre les armées arabes nécessite une mobilisation rapide permise par l'utilisation de paysans-soldats (stratiote) qui constitue le gros de l'armée thématique[214]. Bien plus que dans l'Europe occidentale, la condition militaire occupe une part importante dans la vie paysanne[215]. Le stratège à la tête d'un thème dirige les troupes militaires placées sont sous commandement, elles-mêmes divisées en unités plus petites (turmes,bandon). Cependant, le besoin d'une armée impériale permanente et sous le commandement direct de l'empereur se fait rapidement ressentir. C'est pour cela que sont créés lestagmata (régiments) tels que celui de laSchole palatine, desExcubites ou encore de laVigla. À la différence du gros des troupes thématiques qui ne sont mobilisées qu'en cas de besoin, les soldats destagmata sont des troupes professionnelles. Ces unités apparaissent auVIIIe siècle alors que les empereurs peuvent de nouveau lancer des offensives sur les différents fronts, une stratégie qui nécessite la présence d'une armée toujours disponible[216],[CH 20]. Cela leur permet en outre de disposer d'une force loyale pour contrecarrer les éventuelles rébellions de stratèges. Avec l'expansion byzantine sous l'ère macédonienne, les troupes thématiques déclinent au fur et à mesure que les raids arabes se font moins nombreux et moins dangereux. Lestagmata les remplacent de plus en plus, profitant du fait que les revenus du trésor progressent, permettant l'entretien d'une armée permanente toujours plus grande[CH 21].
Chaquetagma est dirigée par undomestique et le plus prestigieux d'entre eux, ledomestique des Scholes, devient l'équivalent du général en chef dans l'Empire. Lechoc de Mantzikert et l'arrivéedes Comnènes n'entraînent pas de changements profonds. L'armée byzantine reste constituée uniquement de régiments professionnels, souvent différents des premiers tels que les Excubites ou lesHicanates qui ont disparu. Sousles Paléologues, le déclin généralisé de l'État s'incarne dans l'institution militaire dont les effectifs se réduisent progressivement[217].
Peu importe l'époque, l'Empire byzantin fait régulièrement appel à des troupes de mercenaires pour gonfler les effectifs, la plus connue étant celle de lagarde varangienne créée à la fin duXe siècle parBasile II. De même,Alexis Ier Comnène tente de faire appel à des troupes occidentales pour combattre les Seldjoukides à la fin duXIe siècle avant de se retrouver débordé par le vaste mouvement descroisades. En outre, les empereurs byzantins n'hésitent pas à faire appel à diverses troupes alliées si besoin est, à l'image desCoumans qui contribuent à lavictoire décisive contre lesPetchénègues en 1091[218]. En raison de la supériorité militaire et économique de plusieurs des adversaires des Byzantins (les Arabes au premier chef), l'armée byzantine cherche rarement la confrontation directe avec l'adversaire et préfère se concentrer sur le harcèlement de celui-ci comme en témoignent les manuels militaires écrits aux diverses périodes de l'Empire (lesTaktika de Léon VI ou leTraité sur la guérilla deNicéphore II Phocas par exemple)[219],[220].
L'Empire byzantin est un État de droit[162]. Tout au long son histoire, le droit est précisément codifié, dans la droite ligne de Rome. Dès leVe siècle,Théodose Ier fait compiler leCode théodosien qui organise undroit romain parfois foisonnant et incohérent.Justinien poursuit cet objectif au travers du célèbre Code Justinien, complété desInstitutes, un manuel de droit et duDigestes, un recueil de jurisprudence. C'est leCorpus juris civilis. Ces deux codes sont déterminants dans l'évolution juridique de l'Europe qui reprend une grande partie des principes qui y sont édictés, en particulier dans la fondation des États modernes. Pour autant, ils ne sont pas figés dans le temps. Au-delà de cette codification, les empereurs sont attentifs à s'adapter aux situations nouvelles[224]. Justinien publie de nombreusesnovelles qui complètent son œuvre juridique. Par la suite, l’Ecloga deLéon III, dans lequel le grec prend le pas sur le latin, ou lesBasiliques deLéon VI le Sage adaptent et rénovent l'édifice juridique fondé par Justinien[225].
Dans le monde byzantin, à part certains endroits où des juridictions spéciales existent, lajustice ne peut être rendue que par desjuges nommés par l’État ou par l’Église, en fonction du cas jugé[226]. La justice byzantine est influencée par la religion, notamment par les préceptes declémence et depardon, ce qui rend les jugements souvent moins sévères qu'attendu, en matièrepénale[227]. Toutefois, cela n'exclut pas les punitions sévères si nécessaire[110]. Il arrive également que des personnes ayant une réputation de sainte vie soient parfois appelées à trancher des litiges de façon informelle, leur sainteté rendant le verdict d'autant plus acceptable pour les Parties[228].
La culture byzantine puise son fondement dans des influences diverses tout en étant dans la continuité directe de la culture antique gréco-romaine. Sur ce point, il n'existe pas de rupture entre l'Antiquité et leMoyen Âge comme a pu le connaître l'Occident européen, même si les travaux récents ont nuancé l'idée d'une perte totale des référentiels antiques à l'époque médiévale. Néanmoins, la culture byzantine ne doit pas se concevoir comme le calque parfois amoindri d'une brillante civilisation antique. Elle adapte cette culture antique qu'elle nourrit de sa propre originalité. Si des éléments de la civilisation antique disparaissent, comme le sport[N 9], d'autres sont repris et adaptés. Lechristianisme joue un rôle primordial dans l'originalité de la culture byzantine. Il marque de son empreinte de nombreux traits de la vie culturelle byzantine, expliquant largement les abandons, les adaptations et les innovations qui peuvent émerger. Au-delà, d'autres influences, qu'elles soient orientales ou occidentales, en particulier dans les derniers temps de l'Empire, ne doivent pas être négligées. Quoi qu'il en soit, en faisant constamment vivre l'héritage gréco-latin qui le fonde, l'Empire byzantin contribue dans une large part àle transmettre au reste du monde.
L’Empire byzantin est chrétien depuis queThéodose Ier a fait duchristianisme une religion d'État[CH 22]. C’est probablement l’un des éléments qui le distingue le plus de l’Empire romain traditionnel. L'universalisme issu de la conception impériale s'allie avec l’œcuménisme chrétien pour fonder un Empire dont le destin est perçu en lien avec celui de l'Église et vice-versa[KA 8]. Tout au long de son histoire, il constitue un puissant centre spirituel, même quand son pouvoir temporel s’affaiblit. Constantinople, ville impériale, est aussi une capitale patriarcale où réside lepatriarche de Constantinople, l’une des principales autorités du monde chrétien. Lors de ses premiers siècles d’existence, l’Empire byzantin recouvre quatre voire cinq des patriarcats chrétiens avec la reconquête de Rome par Justinien. Il est donc le centre prédominant de la chrétienté et contribue fortement à en définir les préceptes au travers des différents conciles qui s’organisent sur son territoire, sans pour autant parvenir à éviter des divisions, comme en témoigne l’implantation dumonophysisme sur ses provinces orientales[229].
Le déclin territorial prononcé de l’Empire auVIIe siècle entraîne la perte du contrôle sur les patriarcats d’Alexandrie, deJérusalem et d’Antioche, ainsi que sur la papauté à Rome. Celle-ci n’hésite pas à se tourner vers les puissances occidentales naissantes comme l’Empire carolingien[230]. Dès lors, l’Empire byzantin voit progressivement naître une chrétienté spécifique, entraînant parfois de vives tensions avec Rome, notamment dans la reconnaissance de la primauté de cette dernière. Ce christianisme orthodoxe qui émerge est intimement lié à l’Empire byzantin. Sa promotion est une manière pour l’Empire d’affermir son autorité et son influence, comme en témoignent les conversions des peuples slaves qui, d’une certaine façon, sont incorporés dans l’orbite byzantine au moins sur le plan spirituel. La rupture progressive avec Rome, marquée notamment par leschisme de 1054, même si ce dernier n'est pas ressenti comme tel sur le moment, a des causes autant théologiques que culturelles[231]. La différence de langue liturgique (le grec à Constantinople, le latin à Rome) favorise des interprétations différentes et lasuprématie sans cesse réaffirmée de Rome est mal perçue à Constantinople. Les deux pôles n'ont pas la même conception de la coexistence du temporel et du spirituel. Là où la papauté s'émancipe de la tutelle impériale au travers de laréforme grégorienne, l'Église byzantine reste fortement liée à l'Empire. Lefilioque constitue le principal point d'achoppement théologique entre les deux centres de la chrétienté. Les chrétiens orthodoxes considèrent que leSaint-Esprit ne procède que du Père alors que Rome défend une double procession, par le Père et le Fils. Pour autant, cette controverse autant que des différences de pratiques, comme lecélibat des prêtres, attestent surtout d'un écart culturel grandissant[232],[233]. Plus encore, ces désaccords sont en partie instrumentalisés dans le contexte des croisades où les différences d'objectifs entre les croisés et l'Empire byzantin favorisent une inimitié grandissante. Laprise de Constantinople en 1204, qui réduit les Byzantins aux rangs d'ennemis de Dieu, entérine la rupture entre deux conceptions de la chrétienté[234]. Les vaines tentatives des derniers empereurs byzantins de rétablir l'Union des Églises obéit à une logique politique de se concilier les bonnes grâces de l'Occident, pour que celui-ci vienne en aide à un Empire à l'agonie, sans parvenir à surpasser un fossé devenu trop profond[FL 4],[235]. À cet égard, la prise de distance progressive entre l'Église et l'État est l'un des traits saillants de la période finale de l'Empire. Jadis étroitement entremêlés, leurs intérêts divergent de plus en plus. L'Église apprend à exister avec un Empire en voie d'extinction, ses structures persistant dans les régions conquises par les Ottomans. Si, en se répandant au-delà des frontières impériales, la religion orthodoxe a d'abord permis à l'Empire byzantin d'accroître son aire d'influence, elle s'est finalement garanti un moyen de subsistance par-delà la disparition du pouvoir impérial. LaSerbie et plus encore laRussie deviennent des centres influents de l'orthodoxie. La nomination deGennade II Scholarios parMehmed II, comme premier patriarche constantinopolitain de l'ère ottomane, consacre ce destin différencié de l'Église byzantine[CH 23]. Celle-ci, comme l'affirmeJean Meyendorff, constitue par bien des aspects l'élément le plus stable de Byzance[236].
L'empereur et le patriarche, entre harmonie et rivalité
Sur le modèle de l'Empire romain qui, à partir duIVe siècle, intègre lechristianisme comme religion officielle, l'Empire byzantin repose sur la coexistence de deux pouvoirs : le pouvoir spirituel, incarné par le patriarche, et le pouvoir temporel, assuré par l'empereur. Tous deux concourent à l'harmonie des affaires terrestres. Leur rôle est donc conçu comme complémentaire. Néanmoins, la coexistence de ces deux pouvoirs n'est pas sans engendrer des relations complexes, empreintes d'une certaine rivalité et d'une propension de l'empereur à s'ingérer dans les affaires spirituelles. Ce qui est parfois qualifié decésaropapisme[237] est une caractéristique forte de l'imbrication entre le temporel et le spirituel dans l'histoire de l'Empire byzantin. À la différence de la papauté qui parvient à s'émanciper d'une tutelle temporelle, l'Église byzantine vit au gré de cette dyarchie[230].
Suivant le modèle fixé parEusèbe de Césarée, les Byzantins voient l'empereur en tant que représentant ou messager du Christ. Dans ce cadre, son rôle dans les affaires religieuses est central, en tant que garant du respect de l'orthodoxie religieuse. Ce rôle de protecteur de l'Église peut alors devenir un prétexte à un interventionnisme fort. Il légifère sur des sujets aussi divers que l'organisation du clergé, la fixation des dates liturgiques voire le dogme en tant que tel, à l'instar de l'Hénotique deZénon[238]. Néanmoins, la personnalité de l'empereur et ses attraits pour les controverses théologiques expliquent la variabilité de l'interventionnisme impérial dans le domaine spirituel. Des empereurs comme Alexis Ier Comnène et Justinien, férus de théologie, n'hésitent pas à participer à la définition même du dogme à suivre et lapériode iconoclaste voit plusieurs empereurs commeLéon III ouConstantin V promouvoir l'interdiction du culte des images, parfois contre le clergé[239]. L'échec final de l'iconoclasme consacre pourtant une réelle capacité de résistance des institutions religieuses face à des incursions trop fortes du pouvoir spirituel[240].
De son côté, le patriarche occupe une place de premier ordre dans l'Empire byzantin. En tant qu'évêque de Constantinople, il est le premier personnage religieux de l'Empire et il n'hésite pas à contester la suprématie papale à plusieurs reprises, jusqu'à s'en émanciper. AuIXe siècle, le patriarchePhotios fait rajouter le qualificatif d’œcuménique à la titulature patriarcale, symbolisant ainsi sa prétention à l'universalité, jusqu'ici considérée comme le monopole de la papauté. Il dispose d'une administration qui lui est propre. La principale limite à son autorité réside donc dans sa coexistence avec un pouvoir temporel présent, tout comme lui, à Constantinople. En effet, sa nomination procède de l'empereur, à la suite de la désignation de trois candidats par le collège desmétropolites présents dans la capitale. Plus encore, il peut aussi le démettre de ses fonctions. Le patriarche ne possède pas un pouvoir équivalent. Le sacre impérial, s'il constitue une étape symboliquement importante de la légitimation du nouveau souverain, n'est pas formellement obligatoire. Pour autant, les pouvoirs et l'influence du patriarcat dépendent en grande partie de la personnalité du titulaire. Des patriarches comme Photios ouMichel Cérulaire ont ainsi disposé d'une large capacité d'action, y compris envers l'empereur tandis que d'autres peinent à exister face à l'autorité impériale[FL 5].
Au-delà de cette cohabitation parfois complexe entre les deux autorités temporelle et spirituelle, différentes institutions assurent le fonctionnement de l'Église. À l'époque où l'Empire domine les cinq patriarcats, c'est la conception originelle du gouvernement de l'Église qui s'impose. Le Christ représente la tête, reposant sur les cinq patriarches, c'est la pentarchie qui assure collégialement la structuration du spirituel[241]. Lesconciles ont alors un rôle cardinal dans la définition des grands canons du dogme chrétien et, conséquemment, de l'identification des différentes hérésies, à l'image de l'arianisme ou dumonophysisme qui sont vivement combattus. Ledernier concile reconnu par l'Église orthodoxe se tient en 787. À cette époque, l'Empire byzantin ne contrôle déjà plus quatre des cinq patriarcats. Dès lors, du fait tant de l'éloignement des patriarcats les plus orientaux, soumis à la présence musulmane, que de la rivalité croissante avec Rome, c'est le synode permanent qui assure le gouvernement de l'Église. Il rassemble le patriarche, les principaux clercs de la grande église (Sainte-Sophie) et les métropolites présents dans la capitale, ainsi que les représentants de l'empereur quand celui-ci ne siège pas en personne. Il définit le dogme de l'Église, tranche les controverses et nomme les évêques. Ces derniers, aussi appelés métropolites, dirigent des régions ecclésiastiques et notamment le clergé local, composé notamment des prêtres. Quand ceux-ci ne sont pas suffisamment nombreux, ce sont les moines qui assurent une présence religieuse dans les territoires[CH 24].
Laprière est un élément central de la vie religieuse collective, en particulier lors de laDivine Liturgie le dimanche. Au-delà de la messe, lesprocessions sont une pratique très courante de la vie religieuse byzantine. Elles ont lieu pour célébrer divers événements comme la célébration d'un Saint ou d'autres fêtes religieuses d’importance. Celles-ci varient par ailleurs grandement en fonction des lieux et des époques. Si certaines restent fixes commePâques ouNoël, d’autres peuvent s’ajouter, en lien avec la vie de saints prestigieux ou d’événements de l’histoire impériale. Quoi qu’il en soit, les plus grandes processions ont lieu à Constantinople et l’empereur peut y participer et, dans tous les cas, elles donnent lieu à des défilés mêlant le clergé aux laïcs et faisant souvent figurer des objets du culte[KA 9]. Lepèlerinage fait aussi progressivement son apparition à partir du règne de Constantin[242]. Les lieux de la vie du Christ sont les premiers visés par cette pratique qui est surtout l’apanage du clergé et plus encore des moines. Jérusalem est le premier pèlerinage en importance et, si pèlerins se font moins nombreux avec les conquêtes arabes, ils continuent de se rendre en Terre sainte. D’autres lieux font l’objet de pèlerinages comme Rome, mais aussi une multitude d’endroits plus ou moins sacrés, qui ne donnent lieu parfois qu’à des déplacements de quelques kilomètres, accessibles au plus grand nombre[KA 10].
La figure dusaint est incontournable dans la pratique religieuse byzantine. Elle incarne un idéal de piété et un intermédiaire entre le monde divin et le monde terrestre, vers lequel les hommes peuvent se tourner en cas de nécessité. C’est ce qui explique le phénomène du patronage des corporations et des villages. Il n’existe pas de procédure decanonisation dans le monde byzantin. Un personnage devient un saint par la postérité et la naissance d’un culte autour de lui. Cela s'appuie souvent sur unehagiographie qui couche sur papier les mérites du saint qui peut alors jusqu’à figurer dans lecalendrier. Les premiers saints sont lesmartyrs de l’époque romaine, mais cette figure tend à disparaître à quelques rares exceptions. Généralement, les saints deviennent alors des ascètes, une forme de piété considérée comme idéale. Enfin, le culte des saints est étroitement lié au développement desreliques[243].
Aux côtés du clergé régulier, lemonachisme est un aspect incontournable de la vie spirituelle byzantine. Ce sont sur les terres de l'Empire romain d'Orient, notamment en Égypte, qu'apparaît le monachisme chrétien avec des figures commePacôme le Grand ouAntoine le Grand, symbole de l'anachorète[246],[FL 6]. Par bien des aspects, la vie monacale représente l'idéal d'une existence entièrement tournée vers la religion. Elle incarne un renoncement au monde et une méfiance envers les péchés inhérents à la vie terrestre qui éloignent les hommes de Dieu[FL 7]. De nombreux empereurs ainsi que des personnalités de premier plan créent ou soutiennent des monastères pour affirmer leur piété[247]. Deux conceptions du monachisme coexistent : l'érémitisme et lecénobitisme. La première met l'accent sur une vie de solitude et de recueillement au travers de l'image de l'ermite. C'est la forme la plus aboutie de monachisme, quoique minoritaire[248],[249], même s'il connaît un regain avec le développement de l'hésychasme auXIVe siècle[FL 8]. La deuxième repose sur la vie religieuse en communauté au sein de monastères. Ces derniers parsèment le territoire byzantin et se concentrent parfois en certains endroits, à l'image de lapéninsule du Mont-Athos qui accueille des communautés monastiques de l'ensemble du monde orthodoxe. Quelques-uns sont particulièrement influents, comme lemonastère du Stoudion à Constantinople. Si le monachisme repose sur un mode de vie simple, parfois proche du dénuement, le triomphe du culte des images entraîne un afflux de richesses dans les monastères professant le culte des icônes. Les difficultés de gestion de ces fortunes remettent en cause l'idéal monastique et entraînent des mouvements de réaction, à l'image de la réforme deThéodore Studite auIXe siècle, tandis que les empereurs sont attentifs à contrôler la croissance des grands domaines monastique[FL 9]. À la différence de la chrétienté occidentale qui voit l'apparition de grands ordres monastiques, les monastères byzantins disposent d'une relative autonomie. Chacun est régi par untypikon, un règlement intérieur dont l'application est assurée par l'higoumène.
Tout au long de son évolution, l'art byzantin, d’inspiration profondément religieuse, s'imprègne des références antiques qu'il retravaille jusqu'à sa chute[FL 10]. Le christianisme est omniprésent à travers les siècles et éclipse souvent les influences profanes. Le déclin progressif de la sculpture enronde-bosse en est une incarnation[250]. Quand l’art n’est pas relié à la religion, il sert le plus souvent à glorifier l’Empire et ses gouvernants. La profusion de luxe contribue alors à glorifier l'empereur et à lui conférer un caractère sacré[251]. Il est possible de distinguer plusieurs périodes dans l'histoire de l'art byzantin, qui ne sont pas sans rapport avec les évolutions plus larges du monde byzantin[252]. Lepremier art byzantin s'inspire grandement de la culture gréco-romaine et, si bon nombre d'œuvres n'ont pas survécu aux épreuves du temps, c'est une époque de profusion artistique qui culmine sousJustinien Ier. Par la suite, la période iconoclaste est un tournant. Si la production artistique ne s'interrompt pas, elle connaît un certain recul et l'interdiction de la vénération des images bouleverse en profondeur l’art religieux[FL 11]. LaRenaissance macédonienne l'est autant sur le plan politique qu'artistique et l'art de la dynastie macédonienne est prolifique, s'expriment sur de multiples supports avec des références à l'Antiquité, enrichies d'influences diverses[FL 12]. Ce retour aux origines exprime un rapport renouvelé au passé glorieux de l'Empire, expliquant qu'il faut d'abord chercher les références dans l'Antiquité tardive plus que dans l'Antiquité classique[253]. Ladynastie des Comnènes poursuit ce mouvement, mais avec des caractéristiques propres, notamment un goût pour le raffinement[FL 13] et la création artistique y est parmi les plus riches de l'histoire byzantine[252].
Lesicônes incarnent la spécificité de l’art byzantin. Ces représentations spirituelles sont généralement peintes sur du bois, mais elles peuvent se présenter sur différents supports ou prendre la forme de mosaïques ou de fresques. Elles sont vouées à être vénérées et se sont largement répandues dans l’ensemble du monde orthodoxe dont elles sont une caractéristique forte. Elles sont présentes dans les églises, mais aussi dans un grand nombre de bâtiments profanes, permettant à chacun d’exprimer sa foi[KA 11]. La plupart des premières icônes n’ont pas survécu aux troubles iconoclastes, mais leur production a crû fortement à partir duIXe siècle, après la victoire des iconodoules, les partisans des icônes. Leur style est très codifié, limitant l'originalité dans leur production. Elles reprennent les grandes scènes de la vie biblique ou représentant des personnages commeJésus-Christ, laVierge Marie ou différents saints. Lamosaïque est aussi très appréciée des Byzantins qui s’en servent pour décorer leurs églises, en particulier dans les premiers siècles. Les mosaïques deRavenne et deSainte-Sophie sont parmi les plus beaux exemples de cet art. Plus tardivement, les entreprises de restauration d'églises entreprises sous les Paléologue sont aussi dignes d'être mentionnées, avec l'exemple des mosaïques de l'égliseSaint-Sauveur-in-Chora[254]. Globalement, l’intérieur des églises orthodoxes est plus richement décoré que l’extérieur. L'usage des fresques y est aussi très courant.
En ce qui concerne les objets de luxe, ils sont très prisés par le pouvoir religieux, l’aristocratie ou les empereurs qui s’en servent dans leur diplomatie pour rappeler l’opulence de leur Empire[FL 15]. Le travail de l'ivoire est surtout présent lors des premiers siècles avant que les ressources ne se tarissent en raison de la mainmise des Arabes sur les routes d'approvisionnement. Il retrouve néanmoins un certain souffle au moment de laRenaissance macédonienne. En dehors des sujets religieux, l'orfèvrerie à destination de l'aristocratie reprend souvent des scènes de la mythologie. La production de ces objets de luxe est très concentrée à Constantinople et fait l’objet d’un contrôle étroit des autorités, même si des centres de production du verre et de la soie prospèrent aussi au centre de la Grèce. Lessoieries sont l'une des spécialités des artistes byzantins, à l'image de la soierie de Bamberg. Lesémaux sont une production artistique particulièrement prisée et ce sont des artistes byzantins qui conçoivent laPala d'oro deVenise. L'incrustation sur fond d'or ou d'argent doré de perles ou pierres précieuses qui favorise des contrastes vifs est devenue une spécialité byzantine[KA 13]. Lastaurothèque de Limbourg-sur-la-Lahn est l'une des plus belles créations byzantines dans le travail des métaux et du bois. Contrairement à d'autres productions artistiques, l’orfèvrerie souffre du déclin de l’Empire byzantin dont la richesse faiblit et s’accompagne d’un manque de métaux précieux[FL 16].
Art byzantin
Couvercle de la staurothèque de Limbourg-sur-la-Lahn (fin duXe siècle)
Il ne reste que peu de vestiges des constructions byzantines, en particulier laïques, ce qui contraste avec la vitalité de l'architecture byzantine en dehors de l'Empire[KA 14]. Elle n’est au début guère différente de l’architecture romaine. Constantinople est ainsi bâtie sur le modèle des cités romaines de l’époque, comprenant de grands bâtiments publics servant à accueillir une population urbaine nombreuse. Rapidement, le développement du culte chrétien entraîne la construction d’églises. Leur plan de construction est alors celui de la basilique, similaire aux temples antiques, en longueur. Néanmoins, il s'enrichit de plans de plus en plus complexes, avec le développement de l'église à plan centré. Le décor y est souvent très riche, comprenant des mosaïques aux décors géométriques pour le sol et à tonalité religieuse pour les murs et plafonds, des colonnes et des chapiteaux sculptés, avec un usage courant dumarbre[FL 17]. Le règne de Justinien signe l’apogée de la création architecturale byzantine. L’empereur fait bâtir de nombreux bâtiments, civils, militaires et religieux aux quatre coins de son Empire en expansion. Labasilique Saint-Vital de Ravenne recèle de trésors architecturaux par sa décoration, mais sa grande œuvre reste la basilique Sainte-Sophie. Par ses dimensions, sa coupole permise par les travaux des mathématiciensIsidore de Milet etAnthémius de Tralles et sa magnificence, elle est longtemps l'un des bâtiments majeurs de la chrétienté[FL 18].
Plan de l'église à croix inscrite devenu le standard de l'architecture orthodoxe.
Par la suite, le rythme des constructions s’amenuise fortement. Les troubles politiques, les conquêtes extérieures et la chute de la population n’encouragent guère les bâtisseurs. Beaucoup de villages ou de petites villes n’ont pas résisté à l’épreuve du temps et les découvertes archéologiques trop parcellaires ne permettent pas toujours de se faire une idée précise des constructions dans les villages et les petites villes[256]. Si laRenaissance macédonienne concorde avec une reprise des constructions, il est difficile de parler d’un véritable renouveau architectural. En revanche, l’architecture religieuse connaît un changement profond avec l’adoption duplan à croix inscrite. Les églises, plus petites, sont de forme carrée et comprennent systématiquement une coupole. Avec cette forme, le fidèle est dès son entrée enveloppé dans une atmosphère sacrée. Ce modèle prospère rapidement pour devenir le standard des églises orthodoxes encore aujourd’hui[257]. Des empereurs commeBasile Ier le Macédonien impulsent une dynamique de construction avec, par exemple, laNea Ekklesia. Néanmoins, à Constantinople, il s’agit surtout de restaurer les bâtiments existants même si le développement duquartier des Blachernes est une transformation d’envergure puisqu’il devient de plus en plus le lieu de résidence des empereurs. Dans l'ensemble, à l'image du mouvement global qui traverse l'art sous les Macédoniens, l'inspiration vient largement de l'époque primitive de l'Empire byzantin avec une volonté d'imiter, sans les égaler par leur ampleur, les constructions deJustinien Ier[258]. Ce sont les monastères qui connaissent une réelle prospérité, soutenus parfois par des initiatives privées. Dans la période finale de l’Empire byzantin, on note une dispersion des centres architecturaux. Constantinople sombre dans une dépopulation forte, mais des régions plus dynamiques connaissent des constructions comme ledespotat d'Épire ; la cité deMistra et l’église des Saints-Apôtres de Thessalonique sont caractéristiques de cette architecture tardive[FL 19].
L’art byzantin et l'architecture en particulier a largement débordé des frontières de l’Empire pour inspirer les architectes voisins. Le monde orthodoxe en général a repris les plans des églises byzantines qui se sont répandus dans le monde slave influencé par Byzance. En Orient aussi, les premières constructions islamiques empruntent parfois à la tradition byzantine primitive. Lagrande mosquée des Omeyyades deDamas ou leDôme du Rocher deJérusalem avec son vaste dôme en sont les meilleurs exemples. Au-delà, en Italie,Venise, qui a un temps été sous l’orbite impériale, s’est inspirée de l’architecture byzantine avec labasilique Saint-Marc, bâtie selon le modèle de l’église des Saints-Apôtres de Constantinople[259]. En Italie du Sud et en Sicile en particulier, l’héritage byzantin se mélange avec les influences arabes et normandes pour déboucher sur unsyncrétisme original[260].
L’enseignement est un des aspects les mieux préservés de l’origine antique de l’Empire byzantin puisqu’elle est issue de lapaideia de laGrèce antique. Lapropaideia assure une instruction de base à de larges couches de la population, au travers d’un enseignement primaire de quelques années (de six à neuf ans), dispensé jusque dans les petits villages, qui garantit une maîtrise minimale de l’écriture et de la lecture[140]. La maîtrise des lettres est donc plutôt bien répandue, car même si l’enseignement est payant, le prix est loin d’être rédhibitoire pour un grand nombre de familles[140]. En dépit de cette importance donnée à l’enseignement, le métier d’enseignement est peu considéré socialement. D'abord laïc, l'influence de l'Église sur l'instruction s'accroît au fur et à mesure des siècles, en particulier sousAlexis Ier Comnène[261].
L’enseignement secondaire, lapaideia, est plus élitiste et se concentre majoritairement à Constantinople. Les matières y sont plus variées, reposant sur letrivium (grammaire,rhétorique etpoésie) et lequadrivium (arithmétique,géométrie,astronomie etmusique)[262]. Enfin, l’enseignement supérieur est moins structuré. Là encore, Constantinople jouit d’un poids écrasant même si des villes moyen-orientales parviennent à maintenir des universités dans les premiers siècles[263]. AuIXe siècle, la création de laMagnaure, sorte d’université attenante au Grand Palais, se place dans le cadre d’un regain d’activité culturelle au sein de l’Empire. Si elle ne dure pas dans le temps,diverses institutions proposant des enseignements supérieurs existent ponctuellement dans la capitale impériale jusqu’à sa chute[264].
La littérature byzantine puise ses origines dans la tradition littéraire gréco-romaine, à laquelle s’ajoute l’influence forte du christianisme. Celle-ci se retrouve dans la popularité de l’hagiographie, un style qui célèbre la vertu d’un saint. Si quelques auteurs écrivent en latin dans les premiers siècles (telCorippe), c’est le grec littéraire, lakoinè, qui prédomine très largement, même si des écrits incorporent un langage plus familier. Parmi les principaux genres qui prédominent, larhétorique occupe une place centrale. L’influence de la Grèce antique se ressent, de même que la rareté des livres. Les écrits sont d’abord faits pour être déclamés. D’autres genres populaires sous la Grèce antique sont en revanche plus rares comme l’épopée (leDigénis Akritas est une rare exception) ou le théâtre, considéré comme immoral sauf sous un format religieux. Leroman et lasatire, un temps délaissés, reprennent de l'importance à partir duXIIe siècle avec, par exemple,Théodore Prodrome[265]. Quant à la poésie, si elle est un pilier de l'enseignement en raison de ses liens avec la rhétorique, elle est avant tout destinée à être chantée lors d’événements religieux[266]. Ces hymnes sont principalement écrits par des hommes d’église commeRomain le Mélode. Une poésie profane se maintient néanmoins, prenant des formes diverses, en particulier sous l'influence de l'occupation latine auXIIIe siècle[267]. L'épigramme est aussi un genre plébiscité par les Byzantins, prenant souvent la forme de courts vers satiriques ou encore de devinettes[KA 15].
L’enseignement d’une partie importante de la population contribue à un important renouvellement des auteurs. Les écrivains sont présents à toutes les époques, même si la période centrale allant duVIIe siècle auIXe siècle connaît une raréfaction des grands écrivains jusqu’à laRenaissance macédonienne. Cette période, qualifiée parfois d’âge obscur, correspond aux bouleversements internes et externes auxquels est confrontée Byzance et à la perte de foyers d'intense activité culturelle au Proche-Orient et en Égypte[268].
Entre la littérature et l’écrit historique, la différence est mince. Beaucoup de chroniqueurs byzantins reprennent le style et la manière de percevoir l'histoire des grandes figures de la Grèce antique commeThucydide, mais ils sont aussi de fervents partisans des chroniques universelles à la tonalité religieuse marquée[269],[KA 16]. Chaque siècle de l’histoire byzantine connaît au moins un grand historien, permettant d’avoir un aperçu relativement aisé des événements qui se succèdent. Beaucoup sont proches des plus hautes sphères du pouvoir et affectionnent une description des événements politiques qui rythment l'existence de Byzance. Parmi les historiens les plus marquants figurentProcope de Césarée,Théophane le Confesseur,Anne Comnène,Georges Pachymère ou encoreJean VI Cantacuzène. L'empereurConstantin VII Porphyrogénète est une figure cardinale de la culture littéraire byzantine par le soutien qu'il lui apporte et par ses propres contributions comme leLivre des Cérémonies sur le cérémonial aulique byzantin ou encore leDe administrando Imperio à propos du bon gouvernement de l'Empire, impulsant laRenaissance macédonienne[270]. Au-delà de l'histoire, les encyclopédistes ont aussi été de grandes figures de la littérature byzantine. LaSouda rédigée à la finXe siècle est un recueil de références d'une grande richesse sur la Grèce antique[271] et laBibliothèque du patriarchePhotios commente de nombreuses œuvres littéraires de l'Antiquité. Ces exemples démontrent l'intérêt qui a toujours été porté aux références classiques dans lesquelles puise la culture byzantine. Plus largement, cette préservation des manuscrits antiques[N 10], leur reprise et les commentaires qu'y ajoutent les érudits byzantins assurent une continuité fondamentale de la culture antique tout au long du Moyen Âge. Quand ces travaux sont découverts en Europe, ils favorisent largement le réveil de la culture classique qu'est la Renaissance[272].
Bessarion, un des plus célèbres représentants de l'humanisme byzantin, et relais vers leQuattrocento italien.
Lamédecine peut s’appuyer sur les traités classiques d’Hippocrate et deGalien ; de nouveaux recueils sont écrits, enrichissant les connaissances médicales. AuVIIe siècle,Paul d'Égine rédige un traité médical qui sert de référence plusieurs siècles tant pour la médecine arabe qu’en Europe occidentale. À l’image d’autres domaines culturels, l’Empire byzantin contribue donc à la préservation, à la complétude et à la transmission des connaissances antiques[KA 17]. L’hygiène est une préoccupation importante des Byzantins, directement héritée du souci de l'entretien du corps des Romains. Les plus grandes villes, dont Constantinople[285] et Thessalonique, comprennent des institutions que l’on pourrait qualifier d’hôpitaux ou de dispensaires. Des bains sont régulièrement entretenus et ouverts au plus grand nombre, tandis que l'approvisionnement en eau est assuré par des aqueducs ou des réseaux d'égouts pour l'évacuation[KA 18].
L’Empire byzantin a laissé un riche héritage du fait de sa longévité et de son influence, qu’elle soit politique, économique ou culturelle. L’art byzantin en est un des meilleurs exemples avec l’architecture et la peinture des pays orthodoxes, l’art desicônes, leschœurs orthodoxes, l’architecturevénitienne, et plus récemment, le courant de l'architecture néo-byzantine. Plus largement,Jean-Claude Cheynet parle d'un triple héritage : temporel avec l'Empire ottoman, spirituel au travers duchristianisme orthodoxe et intellectuel avec la transmission du corpus intellectuel gréco-romain en Occident[CH 25].
Le monde slave a été profondément pénétré du legs byzantin[286]. Les peuplesslaves du Sud, qui se sont établis dans lesBalkans jusque dans le Péloponnèse (Ézérites,Mélinges), menaçant à plusieurs reprises Constantinople, sont aussi passés progressivement dans l’orbite de Byzance, notamment ceux dont lesSklavinies (duchés slaves gouvernées par desknèzes) ont été regroupées par lesProto-Bulgares au sein duPremier Empire bulgare. Le travail de conversion deCyrille et Méthode, s’il n’a pas porté ses fruits dans uneMoravie trop proche du monde germanique, a largement participé à l’évangélisation des Slaves du Sud et de l’Empire bulgare (864). Par la suite,Basile II obtient une victoire diplomatique par la conversion des Russes (989). Encore aujourd’hui, ces peuples qui ont constitué à une époque un « Commonwealth byzantin » pour reprendre les termes de Dimitri Obolensky[199], utilisent l’alphabet cyrillique issu duglagolitique de Cyrille et Méthode. La forme orthodoxe du christianisme a aussi été largement façonnée par le monde byzantin, à l’image du creuset spirituel que constitue l’ensemble monastique du Mont-Athos[287][réf. incomplète],[288]. L’héritage byzantin a été un enjeu important dans le monde slave : à partir de lachute de Constantinople, la prétention deMoscou d’être latroisième Rome en est l’incarnation, puisqu’elle illustre l’idée, toujours présente auXVe siècle, de la nécessairedyarchie entre une Église et unEmpire[289],[290]. Dans son célèbre ouvrageByzance après Byzance, l'historienroumainNicolae Iorga estime que la pensée politique byzantine, où religion et politique sont intimement mêlées, influence la vie des Balkans et les principautés roumaines jusqu'auXIXe siècle et l'irruption des idées modernes issues de laphilosophie des Lumières et de la montée desnationalismes[291].
LaGrèce, plus encore que les autres pays orthodoxes, revendique une continuité avec la civilisation byzantine. LaGrande Idée qui émane du nationalisme grec revendique une grande partie des terres de l’ancien Empire byzantin et la reconquête de Constantinople en a été un objectif fort jusqu'à la « Grande Catastrophe »[292].
EnEurope occidentale, l’héritage byzantin est plus complexe à appréhender, car lesquerelles autour de l’héritage romain entre l’Occident franc et l’Orient grec, ont longtemps biaisé ou occulté la perception du monde byzantin. Le fossé qui s’est peu à peu creusé entre la chrétienté occidentale et la chrétienté orientale, culminant avec le choc de laquatrième croisade et l’impossibilité de réunifier la chrétienté, a laissé de profondes traces[293]. L’apport byzantin au renouveau culturel européen, à travers par exemple l’Italie byzantine ou les lettrés byzantins établis enItalie médiévale, a joué un rôle important dans le développement de laRenaissance, et le droit codifié par Byzance a été largement repris par les États en formation en Europe, mais bien que cette influence soit connue des spécialistes, elle reste dans l’ombre[33]. Même si lachute de Constantinople a frappé les imaginations sur le moment, elle a rapidement été intégrée dans lagéopolitique européenne, au point que l’ancienne capitale byzantine, devenue ottomane, ne figure que rarement dans les listes de métropoles européennes, passées ou présentes. L’héritage byzantin est passé d’autant plus facilement à la trappe, que lemishellénisme avait donné en Occident, au mot « byzantin », une connotation péjorative :« qui ne présente ni objet ni intérêt réels, qui se perd en subtilité oiseuse »[294].
Le monde turc a des relations ambivalentes avec l’Empire byzantin, qui a toujours constitué un adversaire jusqu’à sa chute. Malgré son annihilation,Mehmed II a incorporé une partie de l’idéologie sous-tendant l’Empire byzantin. Pour mieux asseoir son pouvoir, le sultan ottoman s’inspire de la vision sacralisée qui entoure lebasileus. Et pour mieux contrôler ses sujets chrétiens, il fait dupatriarche grec de Constantinople le représentant devant lui de tous les chrétiens orthodoxes, quelles que soient leurs langues et origines, hérités eux aussi de l’Empire byzantin et doncdénommésRum. Les Ottomans ont aussi adopté des technologies hydrauliques (comme lesthermes, désormais « bains turcs »),navales etarchitecturales des Byzantins, l’écriture grecque (au début), ainsi que diverses influences juridiques, artistiques, musicales, culinaires ou autres qu’ils ont d’ailleurs assimilées, fait évoluer et diffusées. Même si leurs cloches ne sonnent plus et si seuls les chants desmuezzins marquent désormais l’ambiance sonore, Constantinople et les autres cités byzantines (Salonique,Andrinople,Nicomédie,Nicée,Smyrne,Trébizonde,Icônion,Césarée,Sébastée…) ne tardent pas à retrouver leur splendeur antérieure : Constantinople devient la métropole à la « Sublime Porte », et, àPhanar, la culture et l’influence byzantine se perpétuent[295].
Les « études byzantines » apparaissent peu après la chute de l’Empire romain d’Orient. LeCorpus Byzantinæ Historiæ deHieronymus Wolf (1516-1580) peut être considéré comme une étape fondatrice, avec l’adoption du qualificatif« Byzantins » pour lesRomains d’Orient etleurs empereurs, qui eut pour effet de réserver le qualificatif« Romains » auxEmpereurs germaniques détenteurs du titre d’Imperator Romanorum (« empereur des Romains ») décerné par le papeLéon III en800 àCharlemagne[300],[301]. Le renouveau des études gréco-latines englobe l’Empire d’Orient perçu comme le prolongement du monde antique, et la France se distingue par la richesse des études byzantines. Sous lamonarchie absolue, le pouvoir royal entretient un intérêt vif pour cet Empire qui apparaît comme un modèle à suivre. Des historiens commeDu Cange (1610-1688) ouLabbe (1607-1667) font partie de ces précurseurs[302][réf. incomplète], le deuxième participant grandement à l’élaboration duCorpus Byzantinæ Historiæ (Byzantine du Louvre), vaste recueil de sources byzantines. Cet intérêt n’est pas sans arrière-pensées politiques, carLouis XIV n’hésite pas à se poser comme un héritier légitime du trône impérial de Constantinople en raison de l’occupation franque à l’époque de l’Empire latin de Constantinople[118].
À l’époque desLumières, l’Empire byzantin fait l’objet de jugements souvent sévères et dépréciateurs.Edward Gibbon (1737-1794), connu pour sonHistoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain, vaste fresque de l’histoire romaine, y dépeint un empire décadent qui n’est que la pâle copie d’une Rome glorieuse et florissante. Cet ouvrage reconnu pour ses qualités littéraires a eu une influence considérable sur l'étude de l'Empire, vu au travers du prisme d'un long déclin[303].Montesquieu (1689-1755) ouVoltaire (1694-1778) ne tiennent pas un discours véritablement différent, empreint d'une vision décadente d'un Empire plus occupé par les querelles théologiques que par sa survie[N 11]. Il n’est alors étudié qu’en comparaison avec l’Empire romain et son histoire devient celle d’une longue décrépitude, sans considération pour son originalité propre, ses innovations et ses apports[304]. C'est à cette même époque qu'émerge le concept péjoratif deBas-Empire pour qualifier la période à partir de laquelle l'Empire romain commence à décliner. Alors que l’absolutisme royal est de plus en plus dénoncé, l’Empire byzantin qui mêle religiosité du pouvoir etautocratie devient un modèle à combattre[305],[304],[N 12].
Renouveau des études byzantines à partir duXIXe siècle
Au-delà de cette consolidation de la byzantinologie dans le paysage universitaire, les études s'enrichissent de perspectives variées. La première moitié duXXe siècle voit la domination d'une histoire événementielle faisant la part belle aux évolutions politiques. L'historien d'origineyougoslaveGeorg Ostrogorsky marque l’historiographie byzantine de son empreinte avec sonHistoire de l'État byzantin dans lequel il développe le principe d'un État fort qui, durant la période mésobyzantine, peut se reposer sur une importante classe de paysans libres pour se rénover et s'étendre à nouveau. Plus largement, la question de l'évolution de la petite paysannerie et, parallèlement, de l'affirmation de la grande aristocratie a fait l'objet de profonds débats, se rattachant parfois à l'idée d'une féodalisation de l'Empire byzantin dont les structures étatiques perdent au fur et à mesure leurs compétences au profit de l'aristocratie. L'influence dumarxisme n'y est pas complètement étrangère, favorisant la vision d'un asservissement des paysans à une classe dominante jusqu'aux travaux dePaul Lemerle qui ont remis en cause cette interprétation[311]. La byzantinologie n'échappe pas au développement de l'école des Annales et, peu à peu, l'écriture de l'histoire byzantine met l'accent sur l'histoire des hommes, de leurs comportements et de leurs mentalités et non plus uniquement sur l'évolution des institutions. Cette perspective est symbolisée parAlexander Kazhdan avec des ouvrages commeCampagne et ville à Byzance (1960) ouPeople and Power in Byzantium (1982)[312]. Des études approfondies se portent alors sur la ruralité avec les ouvrages deMichel Kaplan ou sur les évolutions de l’aristocratie avec les travaux deJean-Claude Cheynet par exemple. Cet enrichissement de la byzantinologie est aussi permis par l'exploitation de sources plus variées, allant des textes des historiens de l'époque, dont l'accessibilité est accrue par les traductions, à lanumismatique mais aussi à lasigillographie[313],[314]. D'autres textes comme leshagiographies ou les actes monastiques servent de plus en plus de supports pour compléter des perspectives historiques. Les études se diversifient, s'intéressant à la place des femmes dans le monde byzantin, des travaux sur les évolutions monétaires ou encore l'histoire économique. Un ouvrage commeThe Economic History of Byzantium (L'Histoire économique de Byzance), publié en 2002 sous la direction d'Angelikí Laḯou, est devenu une référence en la matière, qualifiée d'événement scientifique de portée considérable par Michel Kaplan en raison de sa perspective globale sur l'économie byzantine et de sa volonté de traiter les grandes problématiques socio-économiques du monde byzantin[315].
L'Empire byzantin n'a pas autant inspiré les artistes que l'Antiquité ou l'Europe de l'Ouest médiévale, mais il est parfois évoqué dans les arts après le Moyen Âge. Dès les lendemains de la chute de Constantinople, le monde byzantin a pu constituer un cadre de représentation artistique, à l'image du roman de chevalerieTirant le Blanc écrit parJoanot Martorell dans les années 1460, qui met en scène un chevalier fictif, Tirant le Blanc, que l'empereur de Constantinople charge de libérer la Grèce des Turcs, et qui accomplit toutes sortes d'exploits à son service. Le roman est notamment admiré parMiguel de Cervantes[317].
À l'époque classique, l'Empire byzantin est perçu comme un modèle à suivre pour l'absolutisme royal. Plusieurs œuvres de l'époque mettent en scène des récits inspirés de l'histoire byzantine, à l'image de la pièce de théâtreHéraclius dePierre Corneille, tandis queBélisaire est un thème régulièrement repris au théâtre (trois pièces entre 1642 et 1657)[318]. Dégradée depuis laséparation des Églises d'Orient et d'Occident, l'image du monde byzantin ne s'améliore pas avec l'émergence desLumières, comme en témoignent les œuvres le prenant pour thème, souvent pour n'y voir que les excès de l'autocratie et de lathéocratie.Voltaire consacre l'une de ses pièces de théâtre à l'histoire byzantine,Irène, dans laquelle il blâme ledespotisme des empereurs. Le tableau deJacques-Louis David,Bélisaire demandant l'aumône fait du général glorieux la victime de l'autoritarisme et de l'ingratitude deJustinien Ier, figure d'un absolutisme royal de plus en plus contesté[319],[320]. Jusqu'à la fin duXIXe siècle, Byzance y est souvent fortement dénoncé comme un exemple de tyrannie et de décadence[305].
Sarah Bernhardt en Théodora parGeorges Clairin, 1902.Sarah Bernhardt jouant Théodora dans la pièce éponyme en 1884.
La fin duXIXe siècle marque un tournant. Dans l'historiographie, c'est le moment de l'émergence d'une byzantinologie moderne qui se détache à la fois dumishellénisme médiéval et du cadre des Lumières, largement dépréciateurs. Dans les arts, cette tendance se retrouve et même, par certains aspects, précède cette évolution. Les liens avec le développement de l'orientalisme sont réels même s'ils n'ont pas toujours été mis en avant.Edward Saïd n'en fait ainsi pas mention dans son ouvrage fondateurL'Orientalisme[321]. L'œuvre majeure en la matière reste la pièce de théâtreThéodora deVictorien Sardou[322]. L'impératrice, interprétée par la vedette de l'époqueSarah Bernhardt, y devient une icône de la femme fatale, séductrice et dominatrice. Envoûtante, y compris pour son mari, elle y incarne l'image d'un Orient sensuel, voire érotique, lieu d'épanouissement d'une violence cohabitant avec un cadre raffiné[323]. Le succès de cette pièce joue beaucoup dans le regain de popularité de Byzance à l'époque. Les œuvres se multiplient la prenant pour cadre, à l'image de plusieurs romans dePaul Adam entre 1893 et 1907[324]. Les mêmes traits se retrouvent. Le monde byzantin y est dépeint comme décadent, ouvert aux complots des femmes et deseunuques, violent mais non sans raffinement, profondément paradoxal. L'opulence y est sans cesse rappelée avec l'omniprésence de Constantinople, souvent appelée de son nom antique Byzance. La capitale incontournable est un lieu mythifié mais aussi cosmopolite, ce qui en fait un facteur de faiblesse de l'Empire byzantin dans la conscience de l'époque[325]. Elle est le lieu de tous les complots. Au-delà de la France, auRoyaume-Uni aussi, Byzance apparaît comme un espace mythifié, presque fictif, décrit dans le poèmeSailing to Byzantium. Le poète britanniqueWilliam Butler Yeats qui le publie en 1928 relate une quête métaphysique dont le but spirituel est représenté par la destination légendaire qu'est Byzance[326]. Ni complètement oriental sans être véritablement rattachée à l'Occident et à l'Europe, l'Empire byzantin incarne un entre-deux-mondes, lieu de rencontre entre les peuples, les religions et les époques. La peinture orientaliste prend aussi pour cadre cet univers avec les différents tableaux représentants Théodora, dont ceux deBenjamin-Constant en 1887 ou deGeorges Clairin en 1902. Lachute de Constantinople est un autre cadre apprécié des peintres avec des tableaux, là encore, de Benjamin-Constant ou deFausto Zonaro.
Plus généralement, le siècle de Justinien et la chute de Constantinople sont largement surreprésentés en raison de leur impact historique. La prise de Constantinople devient ainsi l'une desTrès Riches Heures de l'humanité décrites parStefan Zweig. Au cinéma, l'événement a fait l'objet de plusieurs films dontL'Agonie de Byzance deLouis Feuillade en 1913 ou, plus récemment, d'une superproduction turque,Constantinople ouFetih 1453 en 2012. Ce film polémique y exalte l'événement fondateur de la puissance ottomane aux dépens d'un monde byzantin déclinant. L'époque justinienne, elle, a fait l'objet d'un grand nombre d’œuvres. Si le genre dupéplum évoque rarement mais régulièrement l'Empire byzantin, la période la plus représentée est, de très loin, celle du règne de l'empereurJustinien Ier, et accorde une grande place à son épouseThéodora et aux événements de lasédition Nika[327]. Le premier film consacré à son épouse estTeodora imperatrice di Bisanzio de l'Italien Ernesto Maria Pasquali, en 1909, qui adapte la tragédie deVictorien Sardou. La pièce connaît deux autres adaptations au cinéma dans les années suivantes (Théodora du FrançaisHenri Pouctal en 1912 etTeodora de l'ItalienLeopoldo Carlucci en 1922, cette dernière étant celle qui dispose des plus gros moyens)[328]. En 1953,Riccardo Freda traite à nouveau du même thème dansThéodora, impératrice de Byzance avec un scénario plus proche de la réalité historique et un grand soin apporté aux reconstitutions[328]. Au-delà, les péplums se plaisent à traiter du thème de la reconquête de Rome à l'image du filmPour la conquête de Rome I deRobert Siodmak. L'Empire duVIe siècle constitue un cadre de choix pour des œuvresuchroniques, dans la lignée du roman deLyon Sprague de CampDe peur que les ténèbres revenant sur la reprise de l'Italie par les armées de Justinien[329].
Les Byzantins apparaissent également sous un jour défavorable dans les films consacrés à l'histoire des Slaves, dont ils constituent alors les adversaires. En 1985-1986,Rouss iznatchalnaïa (Les Débuts de la Russie), film soviétique de Gennadi Vassiliev, oppose le chef slave Veslav puis son fils Ratibor à l'Empire byzantin gouverné par Justinien. SelonHervé Dumont, le film, réalisé« pour l'édification de la jeunesse soviétique », est empreint d'un discours nationaliste, mais son scénario est adapté d'un roman de Vsevolod V. Ivanov (exilé sous Staline)[330]. En 2000, le film russeRytsarskiy roman (Рыцарский роман), réalisé par Aleksandr Inshakov, se déroule à Constantinople auXIe siècle[331].
↑Ce partage est considéré traditionnellement comme la séparation définitive de l’Empire en deux entités mais, en réalité, la séparation est plus ancienne puisqu’en 364 l’empereur Valentinien se voit adjoindre, sous la pression de ses soldats, un collègue, son propre frère Valens. À partir de ce moment, l’Empire n'est que rarement unifié si l’on excepte les règnes de Julien et Jovien (361-364) et trois mois à la fin du règne de Théodose, de fin à.
↑En 1204, les croiséss’emparent de la ville grâce à leur domination des mers et depuis les murs de la Corne d’Or.
↑Des auteurs commeAlexander Kazhdan ont parfois dressé le constat d'une rupture brutale. Cet avis est aujourd'hui en partie nuancé, des familles aristocratiques parviennent à se maintenir au sommet de la hiérarchie sociale même s'il est difficile de connaître en détail la généalogie des grands dignitaires de l'Empire.
↑La division voire la rivalité entre l'aristocratie civile et l'aristocratie militaire à la fin de l'époque macédonienne est un sujet largement débattu. L'historiographie traditionnelle y a vu une opposition frontale entre deux élites aux origines et aux modes de fonctionnement différents. Néanmoins, les études plus récentes nuancent l'idée de deux factions hostiles, car des liens ont toujours existé entre elles (consulterCheynet 2001 : « On distingue traditionnellement […] sans disposer d'un parti fort dans la capitale »).
↑Le plus ancien manuscrit connu de l’Iliade a été rédigé à Constantinople auXe siècle.
↑Dans sonEssai sur les mœurs et l'esprit des nations (1756), Voltaire y développe la propension des Byzantins aux discussions théologiques sans intérêt alors même que le destin de leur empire bascule :« Ces malheureux Grecs, pressés de tous côtés et par les Turcs et par les Latins, disputaient cependant sur la Transfiguration du Christ ».
↑ « Les tensions sociales se manifestèrent […] en pillant les campagnes ».
↑ « Le répit apporté par la bataille d'Ankara […] Trébizonde succomba à son tour ».
↑ « L'espace byzantin a suivi […] qu'à partir du XVIIIème siècle ».
↑ « Il est certain qu'un mouvement de concentration […] non d'un déclin (cf. l'armée) ».
↑ « Les céréales dominent la production […] entourait les villes importantes, notamment la capitale ».
↑ « Les fermes sont le plus souvent regroupées […] avec les doigts, dans le plat commun ».
↑ « En Grèce, Corinthe et surtout Thèbes […] conduisant aux ports byzantins ».
↑ « La nouvelle aristocratie est issue des guerres […] à leurs enfants ou à leurs parents ».
↑ « Cette aristocratie forme une caste […] entre les différentes couches de l'aristocratie sont permanents ».
↑ « Les archontes, qui servaient l'Etat […] l'une des causes de la décadence de l'Empire ».
↑ « L'Etat fut aussi incapable […] qu'il perdit évidemment au cours de la première guerre civile ».
↑ « Le mariage de l'empereur […] comme des partenaires de plus en plus indispensables ».
↑ « L'empereur n'eut jamais de collaborateur attitré […] ou faisaient appel d'une décision de justice ».
↑ « La hiérarchie des dignités impériales […] dont il a laissé une description très vivante ».
↑ « Le stratège fut longtemps le principal […] étaient en majorité des provinciaux ou des étrangers ».
↑ « Une réforme des thèmes sous Héraclius […] et survécut jusqu'à la fin de l'Empire ».
↑ « La disparition de l'armée de campagne […] en fonction des ressources fiscales ».
↑ « Les soldats des thèmes perdirent leur combativité […] constitué par Basile II ».
↑ « L'adoption du christianisme […] publics ou privés étaient interdits ».
↑ « L'hésychia (tranquillité) constituait l'un des plus hauts degrés […] apparaissait concevable pour certains ».
↑ « L'encadrement des fidèles […] prirent parfois la place laissée vacante ».
↑ « L'Empire byzantin a laissé […] dont profita surtout l'Occident ».
Michel Kaplan,Byzance, 2007 (édition électronique).
↑ « Aristocrates, marchands et artisans […] la révolte des zélotes à Thessalonique ».
↑ « Si Rome est partie d'une ville […] avec la conquête de Mehmet II ».
↑ « Ces activités productrices se retrouvent […] entre Pérama et le forum de Théodose ».
↑ « La femme est vue comme la tentatrice […] y compris la tête ».
↑ « La famille n’a pas le même sens […] l’amitié rapprochée entre personnes du même sexe ».
↑ « Le Palais ouvrait sur l'Augustéon […] qu'il venait de fonder. ».
↑ « L'immense base territoriale […] voire sur proposition du stratège ».
↑ « A la conception d'un empereur lieutenant de Dieu […] c'est-à-dire de tous les chrétiens ».
↑ « L'assistance à la messe […] et trente-deux le patriarche ».
↑ « Mais la pratique la plus spectaculaire […] pour assister au miracle ».
↑ « L'univers artistique des Byzantins […] monuments religieux et profanes ».
↑ « Le renouveau artistique […] des Thériaques de Nicandre ».
↑ « La production d'objets d'art […] utilisées pour les reliquaires ».
↑ « Pourtant, il ne nous reste qu'une infime […] mais nous ne pouvons la voir ».
↑ « Pour l'essentiel, la poésie […] Christophore de Mitylène ».
↑ « Autre genre très prisé à Rome […] ce que l'on attend d'un historien ».
↑ « Si les médecins ont cessé […] dans la connaissance des maladies contagieuses ».
↑ « Les Byzantins ont largement conservé […] les principales rues étaient dotées d'égouts souterrains. ».
Bernard Flusin,La Civilisation byzantine, 2006 (édition électronique).
↑ « Le déclin urbain s'accompagne de l'apparition… […] …en cas de nécessité, vient se réfugier. ».
↑ « La civilisation et l'histoire byzantines sont liées à une ville… […] …laissant à plus tard l'étude du développement urbain ».
↑ « Le caractère électif compose […] un ou plusieurs empereurs ».
↑ « Les tentatives d'union […] à penser une église disjointe de l'Empire ».
↑ « Disposant de ressources considérables […] apparaît comme son complément religieux ».
↑ « Le monachisme est un mouvement radical… […] …mieux intégrées à la vie des églises locales ».
↑ « Les idéaux du monachisme rejoignent des tendances profondes… […] … transformé par le jeûne et les austérités ».
↑ « A l'époque des Paléologues… […] …du poids du monachisme dans l'église byzantine ».
↑ « Les monastères byzantins peuvent dépendre de l'évêque ordinaire… […] …les églises les plus importantes qu'on construit sont des églises monastiques ».
↑ « L'univers artistique des Byzantins est dominé par l'image religieuse… […] …où nous ne séparerons pas non plus monuments religieux et profanes ».
↑Les trois ouvrages intitulésLe Monde byzantin sortis auxPresses universitaires de France reprennent ce découpage chronologique. Le premier ouvrage est intituléL'Empire romain d'Orient, le deuxième :L'Empire byzantin et le troisièmeL'Empire grec et ses voisins.
↑Source : A. MacGeorge,Flags, Glasgow 1881 :The vexillum was a standard composed of a square piece of cloth fastened to a cross bar at the top of a spear, sometimes with a fringe all round, and sometimes fringed only below, or without a fringe, but draped at the sides, When placed over the general's tent it was a sign for marching, or for battle. The labarum of the emperors was similar in form, and frequently bore upon it a representation of the emperor, sometimes by himself and sometimes accompanied by the heads of members of his family et[1]
↑Jordanès, dans son œuvreGetica note par exemple :« … Sclavini a civitate nova et Sclavino Rumunense et lacu qui appellantur Mursianus… » inDe rebus Geticis citant le manuscrit de Vienne ; voir aussiVladislav Popovic,« La Descente des Koutrigours, des Slaves et des Avars vers la mer Égée : le témoignage de l'archéologie », dansComptes-rendus des séances de l'Académie des inscriptions et belles-lettres,vol. 12,,p. 596-648.
↑Jean-Marie Martin, chap. 18, « L'Italie byzantine (641-1071) » in :Jean-Claude Cheynet (dir.),Le Monde Byzantin, Presses Universitaires de France, « Nouvelle Clio » 2006, tome II,p. 473 à 494.
↑« Sénat et noblesse sont deux termes synonymes » selonRodolphe Guilland, « La Noblesse byzantine. Remarques »,Revue des études byzantines,vol. 24,,p. 40(lire en ligne).
↑Sur l'approche historiographique à propos de l'étude des femmes et, plus généralement, des questions de genre dans le monde byzantin, voirGeorges Sidéris, « Approches sur l'historiographie du genre à Byzance »,Genre & histoire,(lire en ligne).
↑Beaucamp Joëlle. La situation juridique de la femme à Byzance. In: Cahiers de civilisation médiévale, 20e année (n°78-79), avril-septembre 1977. p. 149, DOI :https://doi.org/10.3406/ccmed.1977.3069 www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1977_num_20_78_3069
↑Beaucamp Joëlle. La situation juridique de la femme à Byzance. In: Cahiers de civilisation médiévale, 20e année (n°78-79), avril-septembre 1977. p. 151-152, DOI :https://doi.org/10.3406/ccmed.1977.3069 www.persee.fr/doc/ccmed_0007-9731_1977_num_20_78_3069
↑Béatrice Caseau, « Quelle place pour les femmes ? »,Les collections de l'Histoire,vol. 80,,p. 47-48.
↑Sur le sujet de la situation des femmes, voirJoëlle Beaucamp, « La situation juridique de la femme à Byzance »,Cahier de civilisation méditerranéenne,,p. 145-176(lire en ligne).
↑Sur les logothètes, voirRodolphe Guilland, « Les logothètes : études sur l'histoire administrative de l'Empire byzantin »,Revue des études byzantines,vol. 29,,p. 5-115(lire en ligne).
↑Michel Kaplan, « Pourquoi l'empire a duré si longtemps ? »,Les Collections de l'Histoire,vol. 80,,p. 50-55.
↑Leonora Neville,Authority in Byzantine Provincial Society, 950–1100, chap. « Imperial Administration and Byzantine Political Culture »,Cambridge University Press, 2004,p. 13.
↑Voir à ce sujet les travaux de Raul Estangui-Gomez dansRaul Estangui-Gomez,Byzance face aux Ottomans. Exercice du pouvoir et contrôle du territoire sous les derniers Paléologues (milieuXIVe-milieuXVe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne,.
↑Milton V. Anastos,The History of Byzantine Science. Report on the Dumbarton Oaks Symposium of 1961, chap. « Commerce, Trade, Markets, and Money: Thirteenth-Fifteenth Centuries », dans la revue « Dumbarton Oaks Papers », 1962 (lire en ligne),p. 409.
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