Le 16 juin, il propose que le Tiers état se proclame« Assemblée des représentants de la Nation connus et vérifiés », maisJacques-Guillaume Thouret s'y oppose.
Le 17 juin, le Tiers état se déclare Assemblée nationale. Le 20 juin, les députés du Tiers prononcent le serment du Jeu de paume (donner une constitution à la France).
Lors de la séance royale du 23 juin, il lance :« Vous êtes ce jour ce que vous étiez déjà hier », formule éclipsée par celle deMirabeau[4].[pas clair]
Le 9 juillet, le roi reconnaît l'Assemblée nationale comme « Assemblée nationale constituante » et ordonne aux députés du Clergé et de la noblesse de s'y joindre.
Période de l'Assemblée constituante (9 juillet 1789-21 septembre 1791)
Le4 août, Sieyès est en désaccord avec l'Assemblée sur le point de la suppression de la dîme, impôt dévolu à l'Église. Par la suite, il n'accepte lanationalisation des biens du clergé qu'à la condition que l’État subvienne au traitement des prêtres, à l'entretien des écoles, des hôpitaux et des établissements de charité.
Élu président de l'Assemblée en juin 1790, il travaille à la rédaction de laconstitution, mais essuie plusieurs échecs, sur la question du veto ou de la seconde chambre[4].
Il est également membre de lasociété des Amis des Noirs, fondée parJacques Pierre Brissot, qui milite pour l'abolition progressive de l'esclavage, la fin immédiate de la traite des Noirs et l'égalité des hommes de couleur libres y compris dans les colonies. Après l'annonce à Paris de l'assassinat àSaint-Domingue du mulâtreVincent Ogé, il s'engage avec conviction dans le débat colonial qui a lieu en mai 1791 et aboutit au vote d'un décret partiellement égalitaire le 15.
Mais membre du club des Feuillants dans le nouveau contexte politique conservateur de la tentative defuite du roi (21 juin 1791), il s'absente prudemment le 24 septembre lorsque le député du Dauphiné fait révoquer le décret du 15 mai.Brissot, ancien fondateur de laSociété des Amis des Noirs lui reproche dans son journalle Patriote Français puis dans sesMémoires posthumes publiés dans les années 1830, de s'être rendu coupable d'"une faiblesse pour ne pas dire plus"[5].
En septembre 1792, Emmanuel-Joseph Sieyès est élu député à laConvention nationale. Il est élu député par les départements de laGironde, le sixième sur douze, de l'Orne, le huitième sur dix, et laSarthe, le neuvième sur dix. Il choisit de siéger pour le département de la Sarthe[6].
Il siège sur les bancs de laPlaine. Lors duprocès de Louis XVI, il vote la mort et rejette l'appel au peuple et le sursis à l'exécution[14]. En avril 1793, il est absent au scrutin sur la mise en accusation deJean-Paul Marat[15]. En mai, il est absent lors du scrutin sur le rétablissement de laCommission des Douze[16].
Sieyès n'est pas compris dans le décret d'arrestation des girondins, ni dans le décret d'arrestation du 3 octobre, n'ayant pas signé la protestation contre lesjournées du 31 mai et du 2 juin. Durant la période de laTerreur, il cesse de s'exprimer à la Convention. Le 20 brumaire an II (le 10 novembre 1793), il renonce solennellement à ses fonctions ecclésiastiques[17]. Dans ses mémoires, Bertrand Barère range Sieyès parmi les girondins, affirme que Robespierre lui était hostile, et qu'il l'appelait « la taupe de la Révolution »[18].
Sieyès, qui n'a pas pris part à lachute de Robespierre, reparaît à la tribune de la Convention à partir de frimaire an III (décembre 1794) et prend une part active aux institutions de laConvention thermidorienne.
Élu quatrième des cinqdirecteurs le10brumaireanIV (), il refuse cette fonction, de même que le poste de ministre des Affaires étrangères, par antipathie à l'égard de Reubell et deBarras, et par opposition à une constitution qu'il ne juge pas viable[4].
Nommé membre de l'Institut à sa création, il ne revient sur la scène politique qu'à l'occasion de la réaction qui suit l'affaire du camp de Grenelle : il est élu président Conseil des Cinq-Cents le1erfrimaireanV ().
Lors desélections de 1798, il l'emporte dans l'Aube et lesBouches-du-Rhône à la suite d'une scission dans les assemblées électorales. La première est invalidée, la seconde validée, par la loi du22floréalanVI ().
Mais il ne siège pas, ayant été nommé par le Directoireambassadeur àBerlin le. Durant cette mission de moins d'un an (du au), il parvient à maintenir la neutralité de laPrusse, mais ne parvient pas à obtenir son alliance contre l'Autriche (19 floréal)[4].
Auréolé de cette ambassade, il est réélu député dans l'Indre-et-Loire le17germinalanVII () et entre, le 17 mai au Directoire en remplacement de Reubell. Tout le monde est conscient qu'il n'a accepté la charge de directeur que dans le but d'œuvrer à la révision de la constitution[4].
Un délai de neuf ans étant nécessaire pour aboutir à la révision, ses partisans optent pour un coup d'État.
À la recherche d'« une épée », Sieyès pense l'avoir trouvée dans le généralJoubert, qu'il fait nommer commandant en chef en Italie, mais il est tué à labataille de Novi.
Effrayé par les progrès des néo-jacobins, il fait remplacerBernadotte, qu'il juge trop lié à la gauche, au ministère de la Guerre et nommerFouché au ministère de la Police. De plus, il considèreMasséna, victorieux àZurich, etBrune, victorieux en Hollande, comme des jacobins, et se méfie de Barras[4].
Le retour d'Égypte deBonaparte, dont il a signé la lettre de rappel en juillet sans le croire possible, lui donne l'occasion de mettre en œuvre son projet. Conformément aux plans, lors ducoup d'État du 18 Brumaire, il démissionne de son poste de directeur et entre dans le consulat provisoire incluant Bonaparte, Sieyès et Ducos. Mais le général a d'emblée l'ascendant sur ses deux collègues. Dans les discussions qui suivent, il rejette les propositions de Sieyès sur la « jurie constitutionnaire » et le poste de grand électeur que celui-ci se réservait[4].
En échange, Sieyès obtient la charge de sénateur[23], la propriété d'un des grands domaines nationaux et 200 000 livres de rente[4].
Benjamin Constant dit de lui : « Personne jamais n'a plus profondément détesté la noblesse »[25].
Le baronErnest Seillière relève chez Sieyès une exhortation à l'opposition entre letiers état, vu comme d'originegallo-romaine, contre l'aristocratie, décrite comme étant d'ascendance germanique[26] (franque) ; Sieyès proposait de« renvoyer dans les forêts de laFranconie toutes ces familles (nobles) qui conservaient la folle prétention d'être issues de la race des conquérants et de succéder à leurs droits »[27]. Il faut cependant voir qu'il prenait en cela au mot les prétentions de théoriciens des droits de la noblesse comme Sainte-Pallaye, qui ont promu à la fin de l'ancien régime une vision de plus en plus essentialiste de l'origine du second ordre[réf. nécessaire].
Il oppose le gouvernement représentatif (qu'il promeut) et le gouvernement démocratique (qu'il rejette) :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un Étatdémocratique. »
« Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
Sieyès est alors vu en science politique comme un contradicteur des théories deJean-Jacques Rousseau : alors que Rousseau se prononçait pour la démocratie directe et fustigeait le modèle représentatif britannique, Sieyès, moins confiant dans le peuple que Rousseau, choisit de défendre le système représentatif. Dans le système représentatif, le peuple élit des représentants munis d'un mandat représentatif qui, eux, décident des lois qui s'appliquent, alors que la démocratie directe suppose que le peuple décide des lois qui lui sont appliquées et que les délégués qu'il élit lui sont soumis par des mandats impératifs. La doctrine juridique parle souvent de « souveraineté nationale » pour qualifier l'idée de Sieyès de gouvernement représentatif en l'opposant à celle de « souveraineté populaire », celle de démocratie directe, soutenue par Rousseau puis revendiquée par l'aile gauche du parti desJacobins, celle dite desMontagnards dirigée parRobespierre, lequel avait surnommé Sieyès « la Taupe de la Révolution ».
Sieyès, de plus, s'est montré favorable aubicamérisme, mais il soutenait un bicamérisme différent de ceux britannique et américain ; il réclamait un bicamérisme pour éviter une dictature d'assemblée, sanschambre haute donc. Il a soutenu cette idée déjà dans des propositions pour la Constitution du 3 septembre 1791. Ce sont ses idées en plus de celles deBonaparte qui servent à concevoir la Constitution de 1799 instituant le Consulat. Ainsi, Sieyès est souvent considéré comme un précurseur de la Révolution du fait de son ouvrageQu'est-ce que le Tiers-état ?, mais aussi comme celui qui a déclenché le coup d’État mettant fin à la période révolutionnaire.
Sieyès était partisan dusuffrage capacitaire. Il considérait que levote est une fonction et que par conséquent seuls les individus ayant les capacités (intelligence, niveau économique) d'exercer cette fonction doivent y participer.
Dans un manuscrit, Sieyès forge le néologisme « sociologie » une cinquantaine d'années avantAuguste Comte. Sous sa plume, le terme reste peu conceptualisé, et pris dans le souci de développer un « art social » : la connaissance positive de la société doit servir à la gouverner[29]. Il est également l'un des premiers à utiliser le terme "science sociale"[30].
« L’objet du physicien, déclarait Sieyès, c’est d’expliquer les phénomènes de l’univers physique. Puisque cet univers existe indépendamment de lui, le physicien doit se contenter d’observer les faits et d’en démontrer les rapports nécessaires. Mais la politique n’est pas la physique, et le modèle de la nature ne s’applique pas aux affaires humaines."Pour Sieyès, la société est une construction artificielle, un édifice ; la science de la société devrait donc être, à proprement parler, une architecture sociale.
De même que le jeune Marx devait reprocher à la philosophie hégélienne d’interpréter le monde, sans montrer comment le changer, de même le jeune Sieyès rejeta très tôt l’idée selon laquelle la seule tâche du philosophe serait d’énoncer les faits sociaux.
Sa critique avait d’abord pris pour cible le despotisme des faits sur les principes, qu’il décelait dans la physiocratie. À la veille des États Généraux, il trouva une nouvelle cible dans l’approche historique adoptée par les disciples de Montesquieu et dans leur vénération, leur « extase gothique » pour le modèle de la constitution anglaise[31]. »
— Keith Michael Baker, Condorcet. Raison et politique.
Son nom est toujours associé à ceux deFouché et deTalleyrand dans « le brelan de prêtres » (expression ironique deCarnot).
Il est mis en scène parHonoré de Balzac dansUne ténébreuse affaire oùHenri de Marsay fait le récit du complot contre Napoléon auquel Sieyès participe :« Fouché connaissait admirablement les hommes; il compta sur Sieyès à cause de son ambition trompée, sur monsieur de Talleyrand parce qu'il était un grand seigneur, sur Carnot à cause de sa profonde honnêteté »[32]. Un personnage portant ce nom est également présent dans l’œuvreLa dernière campagne du Grand Père Jacques, d'Émile Erckmann, où il est cité comme créateur d'une constitution[33].
Stendhal cite Sieyès dans son romanLe Rouge et le Noir au début du chapitre XII :« On trouve à Paris des gens élégants, il peut y avoir en province des gens à caractère ». Aussi dans chapitre XXVI :« Qui empêchera l'homme supérieur de passer de l'autre côté, comme Sieyès ou Grégoire! ».
Vues sur les moyens d’exécution dont les représentants de la France pourront disposer en 1789.
Des Manuscrits de Sieyès. 1773-1799 et1770-1815, tome I (576 p.) et II (726 p.), publiés sous la direction de Christine Fauré, avec la collaboration de Jacques Guilhaumou, Jacques Valier et Françoise Weil, Paris, Champion, 1999 et 2007.
JérômeMavidal (Éditeur scientifique), ÉmileLaurent (Éditeur scientifique)et al.,Archives parlementaires de 1787 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des Chambres françaises, Paris, P. Dupont,(BNF34057622)
Les papiers personnels d'Emmanuel-Joseph Sieyès sont conservés auxArchives nationales sous la cote 284AP[34].
↑Annonces, affiches et avis divers du pays chartrain du 4 juin 1783.
↑Annonces, affiches et avis divers du pays chartrain du 15 avril 1788.
↑abcdefghijklm etnJean-René Suratteau,« Sieyès Emmanuel Joseph », dans Albert Soboul (dir.),Dictionnaire historique de la révolution française, Paris, Presses universitaires de France,coll. « Quadrige »,,p. 982-986.
↑Jean-Daniel Piquet,L'Émancipation des Noirs dans la révolution française (1789-1795) Paris, Karthala, 2002
Simone Barriere, Albert Ciamin, Jean Destelle, Marie-Dominique Germain, « Les origines de l'abbé Sieyès » et Frédéric d'Agay, « La Famille Sieyès »,Annales du Sud-Est Varois, tomeXIV, 1989, p. 99-108.
Frédéric d'Agay,« Siéyès (Joseph Barthélémy) »,Grands notables du Premier Empire : notices de biographie sociale. Var, Louis Bergeron et Guy Chaussinand-Nogaret (dir.), Paris, Éditions du CNRS, 1988, p. 160-162.
Frédéric d'Agay, « Ambition et pouvoir autour de la cathédrale de Fréjus : Des Camelin à l’abbé Siéyès »Provence historique,no 259, 2016, p. 169-183.Article numérisé.
MarcoFioravanti, « Sieyès et le jury constitutionnaire : perspectives historico-juridiques »,Annales historiques de la Révolution française,no 349,,p. 87-103(ISSN0003-4436,lire en ligne).
Jacques Guilhaumou, « De Sieyès à Marx : le dépassement de la “misère allemande” par la “progression politique” », InChroniques allemandes, n°7 : « Misère Allemande / Deutsche Misere », 1998,p. 25-35,[lire en ligne].
Jacques Guilhaumou, « Sieyès, l’individu et le système »,Provence historique, 2003, p. 47-67.
MarcLahmer, « Sieyès est-il l’auteur des formules célèbres qu’on lui prête ? »,Revue française d'histoire des idées politiques, Picard,no 33,,p. 47-70(ISSN1266-7862,lire en ligne).
Jean-JacquesSarfati, « Sieyès, le choix de l’ombre après les lumières »,Revue française d'histoire des idées politiques, Picard,no 33,,p. 71-81(ISSN1266-7862,lire en ligne).
ErwanSommerer, « Le contractualisme révolutionnaire de Sieyès : formation de la nation et prédétermination du pouvoir constituant »,Revue française d'histoire des idées politiques, Picard,no 33,,p. 5-25(ISSN1266-7862,lire en ligne).
LucasScuccimarra, « Généalogie de la nation : Sieyès comme fondateur de la communauté politique »,Revue française d'histoire des idées politiques, Picard,no 33,,p. 27-45(ISSN1266-7862,lire en ligne).